1L’âge de la retraite est un élément central du pacte social qui préside au fonctionnement de l’assurance vieillesse et se matérialise par la promesse d’un certain niveau de revenu à un âge donné, contrepartie plus ou moins étroite des cotisations versées avant cet âge.
Un bref retour sur l’histoire des régimes de retraite
2Au début du xxe siècle, l’âge fut au cœur des débats qui entourèrent la création des retraites ouvrières et paysannes. Fixé à l’origine à 65 ans, il valut au régime nouvellement créé d’être qualifié par certains de retraite des morts, tant il paraissait tardif au regard de l’espérance de vie des travailleurs de l’industrie. Cet âge devait être abaissé à 60 ans au lendemain de la Première Guerre mondiale.
3En 1945, l’ordonnance qui institua la branche vieillesse du régime général fixa prudemment l’âge de la retraite à taux plein à 65 ans [1], conditionnant la possibilité d’améliorer les droits ouverts par la législation aux progrès de la reconstruction du pays. Le montant des pensions était faible et pendant longtemps (jusqu’aux lois Boulin des années 1970) ce furent les prestations du minimum vieillesse (l’assurance vieillesse des vieux travailleurs salariés créée en 1941 et l’allocation du Fonds national de solidarité créée en 1956) qui garantirent à un niveau extrêmement bas le revenu des retraités à partir de 65 ans. Les régimes spéciaux faisaient cependant exception, qu’il s’agisse des régimes de fonctionnaires ou des régimes des entreprises des secteurs de l’énergie ou des transports nationalisées après la guerre. De création ancienne, tous ces régimes avaient achevé leur montée en charge et offraient à partir de 60 ans des pensions d’un niveau satisfaisant. Cela explique qu’ils aient gardé leur autonomie et qu’ils aient longtemps fait figure de modèle pour le régime général.
4La croissance économique des Trente Glorieuses redonna de la force à la revendication sociale ancienne d’abaisser pour l’ensemble des salariés l’âge de la retraite à 60 voire 55 ans [2], revendication que justifiaient toujours les énormes disparités d’espérance de vie entre catégories socioprofessionnelles et le maintien de conditions de travail pénibles et dangereuses pour de larges fractions de la population active. Bien que quelques dispositifs aient permis au cours des années 1970 d’élargir les droits à retraite anticipée à certaines catégories de travailleurs, manuels en particulier [3], il fallut attendre le changement de majorité de 1981 pour que cette revendication débouche sur l’institution en 1982 du droit à la retraite à 60 ans.
5La réforme répondait à des aspirations très éloignées de la représentation de la retraite du début du xxe siècle. En 1980, il ne s’agissait plus seulement d’assurer des ressources aux personnes qui, du fait de leur âge ou de leur état de santé, ne pouvaient plus subvenir par leur travail à leurs besoins. Il s’agissait aussi d’accorder aux travailleurs le droit à une période de repos, de temps libéré du travail, à l’issue de leur vie professionnelle.
6Adoptée dans un contexte de montée du chômage, la réforme de 1982 s’inscrivait, par ailleurs, dans le cadre d’un projet de partage du travail qui inspirait les mesures adoptées au même moment dans le champ de l’emploi. Elle permettait de mettre fin aux garanties de ressources, dispositifs de préretraite institués au cours des années 1970 par les partenaires sociaux pour favoriser la cessation d’activité des travailleurs de 60 ans et plus, et dont le financement n’était plus assuré. Elle consacrait en droit l’inactivité des hommes entre 60 et 65 ans [4] et ouvrait la voie à la baisse des taux d’activité masculins entre 55 et 60 ans, rendue possible par la création d’un nouveau dispositif de préretraite, les contrats de solidarité.
7Le rôle de l’âge d’ouverture du droit à pension dans la régulation du marché du travail s’est alors trouvé explicitement affirmé. Les ordonnances introduisaient pour la première fois le principe de l’interdiction du cumul entre un emploi et une retraite pour les salariés du secteur privé. La loi devait par la suite articuler les normes d’âge du droit du travail et du droit de la sécurité sociale, liant les notions de droit à la retraite et de mise à la retraite, distinctes du licenciement, avec les règles d’ouverture des droits à une pension à taux plein dans les régimes de retraite. Comme l’analysent Blanchet et al. [5], les régimes de retraite jouent clairement à partir de cette époque en France un double rôle, rôle d’assurance vieillesse mutualisant le risque viager et rôle d’assurance de fin de carrière mutualisant le risque d’exclusion précoce du marché du travail.
8Alors que la loi consacrait la retraite à 60 ans, la question des conséquences à venir du vieillissement sur l’équilibre des régimes de retraite était déjà à l’ordre du jour. La commission Lyon, réunie en 1980 dans le cadre du Commissariat général du Plan, écartait la généralisation de la retraite à 60 ans, consciente des perspectives futures d’alourdissement des charges des régimes de retraite associées au départ à la retraite des générations nombreuses du baby-boom. Elle recommandait, en revanche, de substituer un critère de durée d’assurance au critère d’âge pour l’ouverture du droit à une retraite à taux plein, afin d’opérer une discrimination au bénéfice des catégories sociales ayant une faible espérance de vie : les ouvriers ayant commencé à travailler plus jeunes pouvaient remplir plus facilement que les cadres un critère de durée d’assurance longue et partir ainsi plus tôt à la retraite, à 60 ans ou avant. Les durées qu’elle évoquait étaient de 40 ans, voire 42 ou même 45 ans. On trouve une traduction de cette réflexion dans le choix opéré par la réforme de 1982 de subordonner l’ouverture du droit à une retraite entre 60 et 65 ans à un critère de durée d’assurance, alors fixé à 37,5 ans [6].
9La question du recul de l’âge de la retraite s’est trouvée posée avec une acuité renforcée lorsque, une dizaine d’années plus tard, furent clairement perçues les conséquences pour les régimes de retraite non seulement du baby-boom, depuis longtemps bien identifiées, mais aussi de la poursuite de l’allongement de l’espérance de vie après 60 ans, jusqu’alors mal prises en compte.
10Elle a, en outre, pris une dimension communautaire dans le cadre de la stratégie de croissance développée par l’Union européenne. Cette stratégie s’est exprimée après le Sommet de Lisbonne de 2000 par des objectifs quantifiés d’accroissement de la population en emploi complétés à la suite du Sommet de Stockholm de 2001 par des cibles propres aux travailleurs de 54 à 65 ans (cible de taux d’emploi de 50 %). La recommandation européenne de durcir les conditions d’accès au droit à une retraite à taux plein est un corollaire de cet objectif.
Les réformes des régimes de retraite de 1993, 2003 et 2010
11Les trois réformes des retraites intervenues successivement en 1993, 2003 et 2010 ont en conséquence toutes comporté des mesures visant au recul de l’âge effectif de cessation d’activité et de liquidation des pensions. Les récentes mesures adoptées en 2012 ont apporté des correctifs au dispositif pour des assurés ayant commencé à travailler tôt et totalisant de longues durées d’assurance.
12Ces réformes combinent des modifications des paramètres des régimes de retraite et des mesures dans le champ des politiques du travail et de l’emploi. Elles jouent à la fois sur la durée d’assurance et, pour la réforme de 2010, sur l’âge requis pour accéder à une retraite à taux plein. Elles réintroduisent une certaine modulation du barème de calcul des pensions par l’introduction d’un système de décote et de surcote autour du moment où l’assuré est susceptible de bénéficier du taux plein. Il s’agit d’ouvrir une certaine latitude de choix aux assurés à même de l’exercer compte tenu du contexte de l’emploi. Elles maintiennent des possibilités de départ en retraite anticipée, notamment pour les assurés ayant effectué des carrières longues et de façon très limitée pour des travailleurs ayant connu des conditions de travail pénibles. Elles ont, par ailleurs, modifié les règles applicables au départ et à la mise à la retraite dans le droit du travail et comportent des dispositifs encourageant, dans les entreprises et les administrations, la gestion des âges et l’emploi des seniors. Le mouvement de réforme d’abord engagé dans le régime général a ensuite été étendu à l’ensemble des régimes, selon un objectif de justice voulant que les mêmes principes régissent pour tous les assurés l’âge du départ à la retraite.
13Les effets de ces réformes sur les comportements de départ en retraite et sur l’emploi des seniors sont pour le moment restés modestes, malgré leur ampleur pourtant très significative. On rappellera que les bornes d’âge sont progressivement portées de 60 et 65 ans [7] à 62 et 67 ans, cependant que la durée d’assurance requise pour l’accès au taux plein entre ces bornes passe progressivement de 37,5 ans (avant 1993) à 41 ans en 2008, puis suit une évolution parallèle à l’accroissement des gains d’espérance de vie à 60 ans.
14Certes, le dispositif de retraite anticipée pour carrières longues a, dans un premier temps, eu un effet sensible sur les âges de départ en retraite. Mais ce dispositif n’a concerné que certaines catégories d’assurés et, même si les critères d’accès à ces possibilités de retraite anticipée ont été à nouveau assouplis par les mesures adoptées en 2012, sa portée devrait s’atténuer au fil de générations entrées plus tard dans la vie active et dont on peut penser qu’elles auront bénéficié de meilleures conditions de travail.
15Une première explication de la modestie des résultats observés tient à ce que la modification des paramètres des régimes ne peut se faire que par ajustements progressifs pour les générations successives. Il est donc logique que la montée en charge des réformes s’étale dans le temps et que celles-ci n’atteignent leur plein effet qu’au bout de plusieurs années. C’est ainsi que la première génération touchée par la réforme de 2003 (génération née en 1943) n’est pas encore complètement partie en retraite.
16Par ailleurs, on sait que les mesures d’allongement de la durée d’assurance privilégiées en 1993 et 2003 n’ont qu’un impact limité sur les générations les plus anciennes qui ont commencé à travailler tôt et totalisent dès 60 ans des durées de carrière très supérieures à la durée requise. Ces mesures commenceront en revanche à avoir un impact important, à l’avenir, pour les générations les plus récentes qui commencent à travailler plus tard (actuellement à 21 ans en moyenne). Il en va à l’inverse des mesures touchant les âges d’accès au taux plein adoptées en 2010 qui ont un effet plus fort sur les générations partant aujourd’hui à la retraite, mais plus faible que l’effet de l’allongement de la durée d’assurance pour les générations les plus jeunes.
17Les conditions de fonctionnement du marché du travail ont, enfin, constitué un obstacle majeur à ce que les réformes intervenues puissent donner toute leur mesure. La persistance de conditions de travail pénibles se traduit pour certaines catégories de travailleurs par des incapacités et une usure prématurée faisant obstacle, l’âge venant, à leur maintien en activité. Elle rend également difficile le maintien de travailleurs seniors dans certains types d’emploi. Plus généralement, le consensus paradoxal d’intérêts divergents dénoncé dans les années 1980 par Xavier Gaulier a la vie dure, qui fait des jeunes et des seniors la variable d’ajustement d’un marché du travail habitué à fonctionner sur une base démographique réduite.
Un besoin de travaux sur l’âge de la retraite toujours d’actualité
18Malgré toutes ces difficultés, un consensus subsiste autour de l’idée qu’il est souhaitable de favoriser une évolution de l’âge effectif de cessation d’activité et de liquidation des pensions ainsi que d’accroître l’emploi des seniors. Les avis divergent, en revanche, sur les modalités et la portée de cette évolution. Obligatoire et générale pour les uns, elle devrait être réservée aux assurés qui souhaitent continuer à travailler pour les autres. Pour les uns, les paramètres des régimes doivent être ajustés quelle que soit la situation de l’emploi, cet ajustement étant d’ailleurs, selon eux, de nature à modifier le fonctionnement du marché du travail. Pour les autres, il convient d’attendre que l’emploi des seniors augmente effectivement pour ajuster les paramètres des régimes. Pour les uns, le recul de l’âge effectif de cessation d’activité est le levier à privilégier pour assurer l’équilibre financier des régimes. Pour les autres, il ne saurait être mis en œuvre sans une augmentation concomitante des ressources des régimes.
19L’ancienneté des premières mesures adoptées permet de disposer aujourd’hui d’estimations empiriques des liens existants entre évolution des paramètres des régimes et évolution de l’emploi. Par ailleurs, les données relatives aux carrières retracées à partir des échantillons représentatifs des cotisants et des régimes de retraite (EIC et EIR) gérés par la DREES constituent une source de données extrêmement complète et détaillée, susceptible d’être mobilisée pour analyser les effets des réformes engagées sur les générations successives et les différents groupes d’assurés. Les réflexions théoriques peuvent ainsi désormais être confrontées à de premières observations. Les travaux d’estimation et de modélisation de l’impact des réformes se sont multipliés. La connaissance des expériences étrangères s’est considérablement enrichie.
20Dans ce contexte, il a paru utile de réaliser un numéro de la RFAS centré sur la question de l’âge dans les régimes de retraite et mêlant des contributions théoriques, des travaux empiriques et la présentation de travaux de modélisation.
21Les conséquences de la situation du marché du travail sur le fonctionnement des régimes de retraite sont très largement documentées et mettent en évidence la pression que ce fonctionnement fait peser non seulement sur la mise en œuvre des règles fixées par ces régimes, mais bien souvent in fine sur l’évolution de ces règles mêmes. À l’heure où l’on souhaite modifier les équilibres depuis longtemps constitués, il est indispensable d’examiner quelle incidence la modification des paramètres des régimes de retraite est susceptible d’avoir en retour sur l’emploi. Plusieurs études mettent en évidence l’impact significatif sur l’âge effectif de départ à la retraite des modifications de la durée d’assurance requise dans les régimes de retraite. Des travaux récents mettent également en évidence un impact indirect sur l’emploi entre 55 et 60 ans de la modification des règles des régimes. Le premier article de Patrick Aubert présenté dans ce numéro propose une mesure empirique de cet impact mobilisant notamment la notion d’« effet horizon » selon laquelle des agents (employeurs ou salariés), intégrant un recul de l’âge auquel il est possible de partir en retraite, ajustent en conséquence leurs anticipations et donc leurs comportements dans le champ du travail et de l’emploi.
22La connaissance des carrières et l’anticipation de leur possible évolution pour les générations qui ne sont pas encore à la retraite sont évidemment déterminantes pour apprécier l’impact des réformes. Le travail présenté par Benoît Rapoport, mobilisant les données de l’échantillon interrégimes des cotisants 2005 de la DREES, permet de mesurer l’impact d’une entrée plus tardive dans l’emploi sur les droits acquis dans les régimes par les générations les plus récentes. Ce décalage dans l’accès à l’emploi observé au fil des générations s’effectue de façon différenciée selon les catégories sociales. Cependant, alors que les plus qualifiés connaissent une stabilité de leurs âges de fin d’études et d’entrée dans l’emploi, les moins qualifiés cumulent un allongement de leur durée d’études (du fait de l’allongement de la scolarité obligatoire) et un accroissement du délai au bout duquel ils accèdent à un emploi stable, une fois leurs études terminées. Cela se répercute sur les droits à pension acquis à un âge donné et suggère la nécessité de réfléchir aussi bien à l’évolution des normes en termes de carrière qu’à la façon de traiter des inégalités dont la forme évolue au sein des régimes de retraite.
23L’article de Marlène Bahu, Catherine Mermilliod et Serge Volkoff éclaire la question de la prise en compte de la pénibilité par les régimes de retraite. Cette question revêt un caractère multidimensionnel, renvoyant aussi bien aux conséquences de l’exposition de certains salariés, au cours de leur vie, à des conditions de travail pénibles qu’à la difficulté pour des travailleurs âgés de poursuivre leur activité dans certains postes. L’article s’appuie sur une étude réalisée à partir de l’enquête Santé et itinéraire professionnel [8] qui permet de croiser à un niveau individuel des données sur les trajectoires professionnelles et sur l’état de santé. L’étude teste le caractère discriminant du point de vue de l’état de santé de différents seuils de durée d’exposition aux divers types de pénibilité, de même que l’effet du cumul des expositions. Elle fournit une contribution à un débat dont l’issue réside dans la capacité à construire, sur la base des données les plus objectives, au niveau national et surtout au niveau des entreprises et des branches, un consensus jusqu’ici introuvable pour éliminer autant que possible les facteurs de pénibilité et en gérer pour le reste les conséquences.
24L’article de Patrick Aubert, Cindy Duc et Bruno Ducoudré présente un nouveau modèle de projection de l’évolution à long terme des droits à retraite des différentes catégories d’assurés sociaux, PROMESS. Ce modèle, s’appuyant sur les données des échantillons interrégimes de cotisants et de retraités gérés par la DREES, mobilise les données d’observation disponibles les plus précises sur les carrières des assurés et retraités dans le champ de l’ensemble des régimes français de retraite de base. Le modèle, matriciel, repose sur une segmentation de la population selon différents critères tels que le sexe, la date de naissance, le niveau de salaire et le nombre de trimestres validés. Il permet d’analyser au niveau agrégé de façon quantitative l’impact sur les taux d’emploi des seniors et sur les âges de cessation d’activité des réformes intervenues dans les régimes de retraite. Il permet, en outre, de mesurer l’effet des réformes sur les générations successives et sur les différentes catégories d’assurés. L’article discute l’apport de ce modèle par rapport aux modèles existants et présente la mesure des impacts des réformes de 1993, 2003 et 2010 réalisée avec PROMESS.
25Complétant cet ensemble de travaux centrés sur la question de l’âge de la retraite, l’article d’Isabelle Bridenne et de Corinne Mette présente un éclairage sur l’ampleur toujours relativement limitée du cumul entre un emploi et une retraite en France. Le phénomène est difficile à saisir complètement car il suppose de croiser les données de retraite et d’activité au niveau de plusieurs régimes. Il est néanmoins utile de le suivre et de l’analyser au même titre que les autres formes de prolongation de l’activité des seniors qui peuvent se faire, notamment, par le biais d’une poursuite d’activité donnant lieu à une surcote ultérieure de la pension.
26Il a paru, en outre, intéressant de faire place dans ce numéro au travail réalisé par Virginie Andrieux et Cécile Chantel à partir du dernier échantillon interrégimes des retraités de 2008. Cet échantillon permet de disposer de premières observations de l’impact des réformes passées sur les niveaux de pensions. Les résultats présentés soulignent que, outre la modification des règles de calcul et d’indexation des pensions, l’évolution des carrières des assurés et celle des taux de cotisations déterminant dans les régimes complémentaires leurs droits futurs ont un effet très significatif sur le niveau des pensions. L’article propose, en outre, une réflexion sur les divers approches et indicateurs susceptibles d’être construits pour évaluer la façon dont les différents régimes répondent aux attentes de leurs ressortissants en termes de remplacement de leur salaire.
Points de vue et débats
27La question des droits familiaux et conjugaux a été très présente dans les récentes réformes des régimes de retraite de base français, contraints de tirer les conséquences de différents arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes qui mettaient en cause l’octroi d’avantages spécifiques aux femmes au sein des régimes de retraite professionnels. Dans le point de vue qu’elle nous propose, Hélène Masse-Dessen présente une réflexion originale sur ces évolutions de la jurisprudence et du droit positif. Elle suggère que l’approche communautaire de l’égalité entre hommes et femmes, s’appuyant sur l’appréciation des discriminations dont les uns et les autres peuvent faire l’objet, au vu de leurs différences objectives de situation, ouvrirait un espace plus important qu’on ne le pense pour la reconnaissance de droits particuliers aux femmes.
28L’idée d’une remise à plat, sinon d’une réforme d’ensemble du système de retraite français, est aujourd’hui souvent évoquée. C’est elle qui est à l’origine du rendez-vous sur les retraites prévu en 2013. La CFDT parle, dans ses projets, de réforme systémique, la CGT de Maison commune des retraites. Pour éclairer ce débat, la revue a proposé à Éric Aubin, responsable des retraites à la CGT, et à Jean-Louis Malys, responsable des retraites à la CFDT, un entretien croisé permettant de présenter les réflexions et les orientations de leur organisation respective sur ce sujet. Le débat, souvent réduit à une discussion technique sur tel ou tel mode de calcul des droits, voire sur tel ou tel choix dans la façon de financer les régimes, ne saurait être mené, comme le met en lumière l’entretien, indépendamment d’une réflexion sur l’évolution du travail et des carrières dans nos sociétés. Plus largement, il renvoie à l’expression de choix sociaux sur le type de solidarité que l’on souhaite organiser et sur l’articulation qu’on imagine entre normes collectives et marges de décision individuelles.
29Cette ample livraison de contributions originales apporte des éclairages précieux aux nombreuses questions qui restent encore à traiter à l’intersection du champ du travail, de l’emploi et des retraites. L’appréciation de l’impact des réformes déjà intervenues va s’enrichir de nouvelles observations au fur et à mesure de leur montée en charge. La multiplication des modèles va permettre de croiser les analyses. Il faut cependant espérer que, à un horizon plus proche, les évolutions de la société permettent de surmonter les contradictions que, depuis tant d’années, les études successives s’efforcent de décrypter.
Notes
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[*]
Inspectrice générale des Affaires sociales, ancienne directrice de la DREES, ancienne secrétaire générale du Conseil d’orientation des retraites.
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[1]
L’âge minimal d’ouverture des droits était cependant de 60 ans. Entre 60 et 65 ans, le taux de liquidation était réduit en fonction du nombre d’années d’anticipation avant 65 ans, sauf en cas d’inaptitude. Il était majoré en cas de départ après 65 ans, pouvant atteindre le cas échéant 100 %.
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[2]
L’âge de 55 ans était revendiqué pour les femmes. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs assez tôt bénéficié de dispositifs de retraite anticipée, dont la retraite des parents ayant élevé trois enfants dans la fonction publique est une survivance.
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[3]
Avant 1982, près d’un tiers des départs à la retraite dans le régime général se faisait par le biais de ces dispositifs : inaptitude, retraite des anciens combattants, retraite des personnes ayant effectué des travaux pénibles…
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[4]
La condition de durée d’assurance de 37,5 ans mise pour l’accès à une retraite au taux plein avant 65 ans excluait la plupart des femmes du bénéfice de la mesure en raison de leurs faibles durées d’assurance. Pour celles-ci, l’âge de la retraite à taux plein demeurait à cette époque, de fait, 65 ans.
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[5]
D. Blanchet, C. Brousse, M. Okba (1996), « Retraite, préretraite, neutralité actuarielle et couverture du risque chômage en fin de carrière », Économie et Statistique, n° 291-292.
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[6]
Durée qui permettait de ne pas exclure les cadres du bénéfice de la mesure.
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[7]
60 ans : âge minimal d’ouverture du droit à pension à taux réduit sauf inaptitude ou durée d’assurance permettant de bénéficier du taux plein ; 65 ans : âge d’ouverture du droit à une retraite à taux plein quelle que soit la durée d’assurance.
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[8]
Enquête réalisée pour sa première vague en 2007-2008 par la DREES et la DARES.