CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La RFAS a interviewé Éric Aubin, secrétaire général de la Fédération de la construction, du bois et de l’ameublement de la CGT, en charge du dossier de la retraite, et Jean-Louis Malys, secrétaire national de la CFDT, chargé des retraites. Elle a recueilli leur point de vue sur l’avenir du système de retraite français.

2RFAS. – D’où vient l’idée d’une réforme d’ensemble du système de retraite : Maison commune des régimes de retraite pour la CGT, réforme systémique pour la CFDT ?

3Éric Aubin. – C’est au congrès de 2009 qu’a été adopté le projet de Maison commune des régimes de retraite. Ce projet s’inscrit en rupture avec la succession des réformes qui, depuis 1993, a continuellement dégradé le système de retraite et l’a fait glisser d’un système à prestations définies vers un système à cotisations définies. Ces réformes ont, en effet, programmé le recul de l’âge de la retraite et l’ajustement à la baisse du niveau des pensions, sans traiter la question du financement. Elles ont rendu les règles des régimes toujours plus complexes et creusé les inégalités au détriment des femmes, des jeunes et des précaires. Elles ont accru les difficultés de pilotage des régimes. Le projet de Maison commune des régimes de retraite se propose d’offrir une perspective qui réponde aux trois menaces qui pèsent aujourd’hui sur notre système : la paupérisation des retraités, la perte de confiance dans la répartition et le refuge dans l’individualisme.

4Jean-Louis Malys. – Après les réformes de 1993, 2003 et 2010, la logique paramétrique est à bout de souffle. Ces réformes ont, en effet, progressivement affaibli le caractère défini des prestations. L’indexation sur les prix des salaires portés au compte dans le régime général a fait passer le taux effectif de remplacement du salaire par la pension de 50 % à 43 %, montrant que le calcul en annuités ne garantit rien. Le système est devenu toujours plus complexe, ne donnant plus de visibilité sur les droits garantis aux différentes générations, ce qui alimente l’anxiété. Les assurés les plus âgés ont le sentiment d’une dégradation continue qui les incite à partir en retraite le plus tôt possible. Les plus jeunes pensent qu’ils n’auront droit à rien. La réforme de 2003 a cependant été différente des deux autres, en ce sens qu’elle a rapproché les situations des différentes catégories d’assurés du public et du privé et qu’elle a réduit les inégalités, notamment par la prise en compte des carrières longues. Une remise à plat est aujourd’hui nécessaire. L’idée d’une telle remise à plat date de 1998 à la CFDT. Il s’agit d’évaluer les bienfaits du système actuel mais aussi ses effets devenus pervers, en faisant le bilan des différentes règles au regard des caractéristiques des carrières actuelles. Le système de retraite mis en place en 1945 était conçu pour des carrières stables qui sont en train de devenir minoritaires. Il faut redonner confiance et s’adresser particulièrement aux jeunes qui, sinon, fuiront vers la capitalisation.

5RFAS. – Sur quels principes faut-il selon vous asseoir la réforme du système de retraite français ?

6Éric Aubin. – Il faut garantir des droits sûrs et lisibles, fondés sur des principes d’équité et de solidarité pour l’ensemble des salariés et des retraités. Ils redonneront confiance aux jeunes en leur permettant de savoir dans quelles conditions ils pourront partir à la retraite, à quel âge et avec quel montant de pension. L’objectif est d’assurer une répartition financée, répondant au principe de solidarité et garantissant des prestations définies dans un cadre transparent. La démocratie sociale et une gestion par les élus des salariés doivent être réintroduites.

7Jean-Louis Malys. – Pour nous, la répartition est le système le plus solide qui fonde la confiance sur la croissance et non sur la spéculation. Le système doit être solidaire et lisible, permettant aux gens de connaître les droits qu’ils acquièrent. Il doit réduire les freins à la mobilité entre secteurs public et privé. Il doit donner aux individus un pouvoir sur leur propre vie, sur leur carrière, ce qui correspond à la vision que les jeunes ont de leur vie. Il n’y a pas de solution miracle ; elle doit être le fruit du débat.

8RFAS. – Pouvez-vous préciser les modalités de cette réforme : préconisez-vous un régime unique pour l’ensemble des assurés, ou un régime en points, ou encore un régime en annuités ?

9Éric Aubin. – La CGT ne souhaite pas la création d’un régime unique qui serait irréalisable et ne permettrait pas de prendre en compte la diversité qu’incarnent de façon légitime les différents régimes actuels. Lors des rencontres qui ont précédé la réforme de 2010, le gouvernement envisageait d’aligner les règles de calcul du salaire de référence dans les différents régimes [1]. Or la discussion a rapidement montré que cette harmonisation appliquée à des situations totalement différentes n’était pas pertinente. Appliquer la règle des six derniers mois aux salariés du privé aboutirait à une baisse de leur pension, nombre d’entre eux ne travaillant plus lors de leur départ à la retraite. Nous refusons un système en points qui, prenant en compte toute la carrière et ne traitant pas de la solidarité, accroîtrait les inégalités. La Maison commune des régimes de retraite conduirait à la définition d’un socle de droits communs à l’ensemble des assurés quel que soit le secteur dont ils relèvent, avec notamment la garantie d’un taux de remplacement (qui inclut les retraites complémentaires). Elle prévoit un pilotage global, assurant l’équilibre de l’ensemble des régimes et gérant la compensation interrégime de façon lisible et transparente.

10Jean-Louis Malys. – L’idée portée par la CFDT est d’évoluer vers un système nouveau qui pourrait être en points avec un compte personnel. À cet égard, le régime unique AGIRC-ARRCO est une bonne chose. L’architecture actuelle du système de retraite ne doit pas être un obstacle à la réflexion. Dans une approche systémique, il est possible d’agir progressivement sur l’architecture. Il faut souligner qu’aucun système n’est solidaire par nature, un régime en annuités pas plus qu’un régime en points. Ainsi, le poids des solidarités est élevé dans des pays qui ont des régimes en points comme l’Allemagne ou la Suède. Mais il est beaucoup plus réduit dans les systèmes américain ou anglais qui fonctionnent pourtant aussi en annuités.

11RFAS. – Quelles garanties sociales doit selon vous apporter le système de retraite, comment peut-il prendre en compte l’évolution des carrières ?

12Éric Aubin. – L’objectif du système doit être d’assurer à tous un taux de remplacement net de 75 % et un niveau de pension égal au minimum au SMIC, avec une indexation des pensions sur les salaires. Il faut redéfinir la notion de carrière complète : elle doit prendre en compte les parcours professionnels réels, avec une partie des années d’études et des années non travaillées, de façon à permettre l’ouverture du droit à retraite à 60 ans. Il faut mettre en place un dispositif de prise en compte de la pénibilité dans tous les régimes différent de celui qui est issu de la réforme de 2010. En effet, basé sur le médical, il ne répond pas à la situation vécue par les salariés. Aujourd’hui, seuls 1 200 salariés ont pu bénéficier d’un départ à 60 ans contre 15 000 à 20 000 annoncés par le gouvernement à la mise en place. Il faut, enfin, fixer des objectifs communs relatifs aux droits conjugaux et familiaux et traiter notamment la situation des femmes qui n’ont pas de carrières complètes.

13Jean-Louis Malys. – Après 1945, le modèle vers lequel tout le monde convergeait était la carrière ascendante masculine. Actuellement, les aléas économiques sont payés dans une large mesure par les jeunes et les seniors et on assiste à un éclatement du monde du travail, avec le développement des situations précaires qui rend les salariés mal insérés sur le marché du travail très frileux en termes de mobilité. Le nouveau système souhaité par la CFDT doit manifester clairement l’existence de droits correspondant à l’ensemble des cotisations versées, qui sont élevées (l’équivalent de 25 % du salaire brut), selon un principe de contributivité. Il est ainsi susceptible d’apparaître plus attractif pour les jeunes que la capitalisation. Un calcul de la pension par référence à toute la carrière, qui bénéficie aux salariés qui ont des carrières plates [2], est préférable au calcul sur la base des vingt-cinq meilleures années qui favorise les carrières dynamiques. La pension garantie doit être égale au minimum au SMIC pour une carrière complète et le taux de remplacement doit demeurer dégressif en fonction du revenu. Il faut, en complément du calcul contributif, développer des mécanismes forts de solidarité remplaçant les dispositifs existants aujourd’hui qui sont limités et fonctionnent mal. Il faut traiter la pénibilité en finançant tout au long de la carrière des droits attachés aux situations de pénibilité. S’agissant de la notion de carrière complète et de la validation des années d’études, il s’agit de savoir combien d’années on valide, pour qui, mais aussi « qui paie ».

14RFAS. – Quel poids donner dans le fonctionnement du système de retraite aux normes collectives et aux choix individuels ? Doit-on renforcer, comme l’ont fait les Suédois, la place faite aux arbitrages individuels ?

15Éric Aubin. – Pour la CGT, l’exemple suédois présente des limites. En Suède, les assurés n’ont en fait pas le choix de leur montant de retraite : ils sont contraints de poursuivre leur activité s’ils n’ont pas un montant suffisant. L’État suédois est d’ailleurs intervenu pendant la crise pour éviter une baisse excessive du niveau des pensions, et les Suédois expriment des inquiétudes par rapport au taux de remplacement. Les dispositifs d’invalidité sont extrêmement développés en Suède. Au total, les âges effectifs de cessation d’activité sont proches dans tous les pays.

16Jean-Louis Malys. – Doit-on savoir dès 18 ans si on partira à la retraite à 60 ans ? On peut vouloir travailler plus longtemps ou, au contraire, partir plus tôt. Alors que les carrières, les trajectoires de vie se diversifient, les individus ne souhaitent pas d’un système uniforme. Ils veulent pouvoir faire des choix dans le cadre des règles collectives. Quand le système appauvrit les plus précaires, ils ne peuvent de toute façon partir à la retraite à 60 ans. Il faut des garanties collectives et un droit au choix, notamment pour les plus faibles. C’est cela l’équité. Le montant de la pension n’est en outre pas l’unique objectif. On a vu des préretraités choisir de partir plus tôt avec des droits plus faibles parce que, usés, ils ne pouvaient travailler plus longtemps. Des possibilités de départ avant 60 ans doivent être maintenues pour traiter ce type de situations. Le système suédois a aussi des défauts, bien sûr, comme le nôtre. L’aide de l’État qui bénéficie aux retraités les plus modestes est actuellement en crise en Suède.

17Éric Aubin. – La CGT n’est pas favorable à un âge couperet. Les assurés doivent avoir véritablement le choix à 60 ans de partir à la retraite ou de poursuivre leur activité. Cela justifie d’avoir une discussion globale sur le travail et la retraite permettant de traiter des conditions de travail et de la souffrance au travail.

18RFAS. – Quel financement proposez-vous pour le nouveau système de retraite ?

19Éric Aubin. – Les retraites doivent être financées à partir du travail et l’assiette des cotisations élargie à l’ensemble des rémunérations, notamment l’intéressement et la participation. Les produits financiers des entreprises doivent être également mis à contribution et leurs cotisations modulées en fonction d’un ratio rapportant la masse salariale à la valeur ajoutée. Il faut enfin remettre à plat les exonérations de cotisations sociales et réserver les aides publiques aux entreprises qui en ont vraiment besoin. Les recettes ont vocation à financer, sans que s’ajoute un concours du budget de l’État, toutes les dépenses des régimes, qu’elles soient contributives ou de solidarité. L’équilibre financier du système doit être assuré, si nécessaire, par une hausse des cotisations. C’est un choix de société que de décider ou non d’accroître les cotisations pour financer les retraites. Il faut souligner que les gains de productivité permettent de maintenir stable l’âge de la retraite et qu’un salarié peut aujourd’hui suffire au financement d’un retraité. Si l’on considère sur les dernières décennies le déséquilibre dans le partage des richesses entre salaires et dividendes, on voit qu’on a les moyens de payer de bonnes retraites. Un retour au plein emploi diminuerait d’ailleurs de moitié le besoin de financement.

20Jean-Louis Malys. – Pour assurer le financement du système de retraite, un niveau élevé d’emploi est nécessaire, puisque c’est le volume global de travail qui génère les cotisations. Les gains de productivité contribuent au financement des retraites. Il faut cependant prévoir des contributions supplémentaires utilisées à bon escient, en veillant à ne pas accroître les inégalités. C’est aux différentes générations qu’il appartient de décider à quoi sont utilisés les gains de productivité : formation, aide aux jeunes, etc. Il n’est pas concevable de tout préempter pour les retraités. Les jeunes le disent explicitement. Dans le système de retraite, il faut, par ailleurs, distinguer différentes sources de financement en fonction du type de droits ouverts. Les droits contributifs, qui sont des « droits pour moi, quand je travaille », doivent être financés par des cotisations. Les droits accordés au titre de la solidarité doivent être financés par des types de financement nouveaux assis sur l’ensemble des revenus, ce qui est d’autant plus justifié que les dysfonctionnements actuels du marché du travail rendent nécessaires des mesures compensatrices.

21RFAS. – Comment envisagez-vous les évolutions institutionnelles portant notamment sur la gouvernance du système ? Comment assurer son contrôle démocratique ?

22Éric Aubin. – La réunion de tous les régimes dans la Maison commune des retraites manifeste la volonté de ne pas les opposer entre eux et d’affirmer leur solidarité. L’harmonisation doit être guidée par des cibles sociales discutées et acceptées par tous, et non par la recherche d’une identité de règles. Il convient de revenir à un principe d’élections, comme en 1945, pour assurer une direction du système fondée sur une large participation des salariés qui les responsabilise, à la différence du système de délégation qui prévaut aujourd’hui.

23Jean-Louis Malys. – Il faut ouvrir des espaces de débat social permettant d’anticiper. La fixation des règles principales est de la responsabilité du politique. Puis, il faut structurer un dialogue portant sur la sociologie des retraites et intégrant l’ensemble des régimes (et pas le seul monde salarié, car il y a une majorité de carrières mixtes). L’élection dans les instances des régimes ne s’impose pas. La légitimité des organisations syndicales s’acquiert dans l’action syndicale au sein des entreprises et elle est mesurée dans le cadre des règles de représentativité. En revanche, il est important d’intégrer les questions relatives aux retraites dans l’action revendicative, indépendamment des initiatives gouvernementales.

Notes

  • [1]
    Le salaire de référence correspond au salaire des six derniers mois dans la fonction publique et au salaire des vingt-cinq meilleures années pour les salariés du secteur privé.
  • [2]
    C’est-à-dire des carrières sans mobilité ascendante.
Éric Aubin
Secrétaire général de la Fédération de la construction, du bois et de l’ameublement de la CGT, en charge du dossier de la retraite.
Jean-Louis Malys
Secrétaire national de la CFDT, chargé des retraites.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 13/03/2013
https://doi.org/10.3917/rfas.124.0215
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