Introduction
1Depuis 1993, les réformes des retraites successives ont visé à accroître l’âge de sortie définitive d’activité afin d’équilibrer les comptes des divers régimes ou, tout le moins, de réduire les déficits projetés à long terme. L’idée affichée était de faire de l’âge de sortie du marché du travail, plutôt que du montant des pensions ou du taux de cotisation, le levier principal de la moindre progression des dépenses de retraite à venir, dans un souci d’éviter une dégradation trop forte des revenus des retraités. La question de l’emploi des seniors est donc cruciale dans l’analyse des systèmes de retraite, puisqu’elle constitue à la fois l’objet des réformes récentes de ces systèmes et la condition de leur réussite.
2Pour l’économiste, cette question est complexe. Il n’y a pas, en effet, de causalité simple entre structure des systèmes de retraite et profils des âges de cessation d’emploi, même si le rôle très important des premiers sur ces derniers ne peut bien sûr pas être ignoré. Les déterminants de l’emploi des seniors, tant du côté de l’offre que de celui de la demande de travail, sont nombreux et leurs interactions complexes. Cette complexité est d’ailleurs visible dans le débat public, puisque des raisonnements dans lesquels les liens causaux sont vus de manière totalement inverse sont opposés les uns aux autres. Certains auteurs soulignent ainsi la nécessité d’une modification des paramètres des systèmes de retraite comme seul moyen d’obtenir un décalage effectif des âges de cessation d’activité, quand d’autres s’appuient justement sur la faiblesse de ces âges effectifs de fin d’activité (bien inférieurs à l’âge d’ouverture des droits à la retraite dans le secteur privé) pour affirmer qu’une modification des paramètres des régimes de retraite serait sans effet.
3L’analyse du lien ou des liens entre systèmes de retraite et emploi des seniors est essentielle à au moins deux titres. Elle l’est, d’un point de vue rétrospectif, dans une optique d’évaluation des politiques publiques. La question est alors d’évaluer l’impact réel des réformes de 1993 et de 2003 sur l’âge effectif de départ à la retraite. Mais l’analyse est également essentielle, d’un point de vue prospectif, pour la préparation des réformes des retraites à venir. L’enjeu est alors à la fois de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre, afin d’identifier les leviers d’action réellement efficaces, et d’être en mesure de quantifier les conséquences prévisibles des réformes, dans une optique de calibrage de celles-ci.
4Ajoutons à cela que, pour l’économètre, les réformes passées peuvent constituer une « expérience naturelle [1] », qui permet de mieux estimer l’impact des paramètres des systèmes de retraite sur les cessations d’activité. L’évaluation de ces réformes est donc l’occasion de réinterroger les résultats d’études empiriques plus anciennes sur les comportements de départ à la retraite.
5Cet article présente les résultats de plusieurs analyses empiriques récentes des effets des systèmes de retraite sur l’emploi des seniors. La première partie s’intéresse aux effets directs de l’allongement de la durée requise pour le taux plein (réformes de 1993 et de 2003) et de la mise en place de la surcote (réforme de 2003) sur les départs à la retraite à partir de 60 ans, dans le secteur privé et dans le secteur public. Le seconde partie analyse les effets indirects sur l’emploi des seniors avant l’âge minimal d’ouverture des droits : des mécanismes d’anticipation peuvent en effet expliquer que les systèmes de retraite jouent sur l’offre ou la demande de travail, même pour des personnes qui sont encore trop jeunes pour être éligibles à une pension. La dernière partie conclut en rappelant les limites des études présentées et les questions restantes.
Un impact significatif des systèmes de retraite après 60 ans
6La situation des seniors sur le marché du travail résulte à la fois de facteurs d’offre et de demande de travail. Cependant, après l’âge minimal d’ouverture des droits dans le cas général (60 ans), l’un des principaux facteurs explicatifs de l’emploi est l’arbitrage individuel entre prolongation d’activité et départ à la retraite. Cela explique que les études empiriques sur l’activité après 60 ans se soient, pour la plupart, concentrées sur l’offre de travail, et plus spécifiquement sur l’influence des divers dispositifs institutionnels constitutifs du système de retraite (cf. encadré 1). Les récentes réformes des retraites de 1993 et de 2003 ont par ailleurs accru l’intérêt pour cette problématique dans un cadre d’évaluation des politiques publiques.
Encadré 1. La pension de retraite dans le secteur privé : les principaux éléments du calcul

Le taux de liquidation ? est égal à 50 % lorsque la pension est liquidée à « taux plein », c’est-à-dire lorsque la personne a validé au cours de sa carrière un nombre de trimestres au moins égal à la durée requise pour le taux plein, ou lorsqu’elle est partie à la retraite à 65 ans ou après, ou bien lorsqu’elle a liquidé sa pension au titre de la « catégorie » (invalides et personnes déclarées inaptes au travail). La durée requise pour le taux plein est fixée par la législation et dépend de la génération. Elle était égale à 150 trimestres (37,5 années) pour les personnes nées en 1933 ou avant, mais a ensuite été allongée progressivement par les réformes des retraites de 1993 et de 2003. Cette durée requise vaut par exemple 162 trimestres (40,5 années) pour les personnes nées en 1950. Par ailleurs, le taux de liquidation peut être minoré (cas de la décote) ou, depuis 2004, majoré (cas de la surcote) par rapport au taux plein de 50 %. Le premier cas correspond aux personnes qui liquident leur droit à la retraite avec un nombre de trimestres validés et un âge insuffisants par rapport à ce qui est requis pour le taux plein ; le second cas correspond aux personnes ayant travaillé au-delà de l’âge de 60 ans et de la durée requise pour le taux plein.
Le coefficient de proratisation min

Le salaire annuel moyen (SAM), enfin, représente le salaire de référence à partir duquel sera estimé le montant de la pension, sous la forme d’une proportion de ce salaire. Il est actuellement égal à la moyenne des salaires annuels bruts pour les vingt-cinq meilleures années de la carrière, c’est-à-dire les vingt-cinq années pour lesquelles le revenu salarial annuel a été le plus élevé. Lorsque ce revenu salarial annuel est supérieur au plafond de la sécurité sociale, seule la partie sous le plafond est considérée.
Le régime général est un régime de base. La pension est complétée par une prestation versée par les régimes complémentaires (notamment l’AGIRC, l’ARRCO et l’IRCANTEC), dont les règles de calcul sont différentes. C’est cependant la pension de base qui compose l’essentiel du montant de la pension de retraite totale, notamment pour les non-cadres (près des trois quarts du montant total de la pension – pour les cadres, la pension versée par le régime de base ne représente en revanche qu’un peu moins de la moitié du montant de la pension totale). De plus et surtout, les circonstances de liquidation dans le régime de base jouent directement sur les régimes complémentaires. L’obtention du taux plein dans le premier conditionne en effet l’absence d’abattement du montant de la pension dans les seconds. Cela justifie que l’analyse des effets des systèmes de pension sur les départs à la retraite s’intéresse en premier lieu aux dispositifs propres aux régimes de base plutôt qu’à ceux des régimes complémentaires.
7Pour les salariés du secteur privé, Bozio (2006, 2011) et Aubert (2012) estiment un impact significatif de l’allongement de la durée requise pour le taux plein sur l’âge de départ à la retraite. L’élasticité correspondante serait de l’ordre de 0,7 pour les hommes et de 0,6 pour les femmes [2], c’est-à-dire que l’âge de départ à la retraite augmenterait en moyenne de 0,6 à 0,7 année lorsque la durée requise pour le taux plein augmente d’une année. Si l’on veut tenir compte de l’incertitude liée aux hypothèses de spécification des estimations, on peut retenir une fourchette de 0,65 à 0,85 pour l’élasticité du nombre de trimestres validés après 60 ans par les hommes à l’allongement de la durée requise pour le taux plein (c’est-à-dire en moyenne entre 8 et 10 mois supplémentaires de durée validée après 60 ans pour un allongement d’un an de la durée requise pour le taux plein) et de 0,5 à 0,75 pour les femmes (c’est-à-dire entre 6 et 9 mois supplémentaires) [3].
8Pour les salariés du secteur privé, une estimation séparée des effets de l’allongement de la durée requise pour le taux plein et de la mise en place de la surcote est possible, puisque le premier a commencé en 1994 alors que la seconde n’est intervenue qu’à partir de 2004. Concernant ce dernier dispositif, Benallah (2011) estime un impact significatif sur l’âge de liquidation et sur la probabilité de poursuivre une activité après 60 ans [4]. Pour les personnes en mesure de devenir éligibles à la surcote, l’âge de départ à la retraite serait ainsi, toutes choses égales par ailleurs, de 0,19 année plus élevé. Par exemple, les personnes nées en 1944 et ayant validé au moins 40 ans – hors majoration de durée d’assurance – à l’âge anniversaire de 60 ans ont un âge moyen de liquidation égal à 60,6 ans, alors que cet âge aurait été de 60,4 ans si la surcote n’avait pas existé. La probabilité de poursuivre son activité après 60 ans serait quant à elle de 7 points plus élevée, toujours toutes choses égales par ailleurs (53 % au lieu de 46 %).
9Des estimations similaires sont plus difficiles à réaliser pour les salariés du secteur public, dont les régimes de retraite ont fait l’objet d’une profonde réforme en 2003. Pour ces salariés, le recul temporel est encore faible (les premières générations touchées dans leur totalité par la réforme ne sont entièrement parties à la retraite qu’à partir de 2010) et la réforme s’est avérée plus « complexe » puisqu’elle a impliqué simultanément l’allongement de la durée requise pour le taux plein, la mise en place de la surcote et la création d’une décote. Baraton et al. (2011) donnent cependant des premiers résultats sur la portée de cette réforme, en mettant en lumière un impact significatif sur la probabilité de ne liquider qu’après 61 ans pour les enseignants du second degré. Cette probabilité est ainsi, toutes choses égales par ailleurs, de 6 points plus élevée pour les enseignants nés en 1946 et à qui il manque, à 60 ans, entre trois et six trimestres pour le taux plein [5], par rapport aux enseignants qui disposaient dès 60 ans de la durée suffisante.
10Comme dans le privé, l’impact significatif de la réforme passerait par un comportement de « recherche du taux plein », qui se traduit par une probabilité significativement plus forte de poursuivre son activité après 60 ans tant qu’on ne dispose pas d’une durée suffisante pour le taux plein. Cette « recherche » n’est bien sûr pas absolue et les travaux de Baraton et al. (2011) ne permettent pas de quantifier dans quelle mesure elle détermine et explique les choix de départ à la retraite. Ces travaux montrent seulement que ce comportement a un effet statistiquement significatif sur l’âge de départ à la retraite et concerne donc une partie au moins des fonctionnaires. Le comportement de recherche du taux plein dans la fonction publique n’est par ailleurs pas, en soi, imputable aux réformes, puisqu’il s’observait déjà avant 2003. Ainsi, l’écart d’environ 6 points de la probabilité de ne partir qu’après 61 ans entre les enseignants à qui il manque entre trois et six trimestres pour le taux plein et ceux qui disposent déjà de la durée suffisante est toujours significatif et de même ordre de grandeur, que l’on considère des générations concernées par la réforme (générations nées en 1945 et 1946) ou d’autres qui ne l’étaient pas (générations nées en 1942 et 1943). L’impact des réformes de 1993 et de 2003 joue donc en grande partie par des effets de composition plutôt que par des effets de modification des comportements : en allongeant la durée requise pour le taux plein, les réformes ont augmenté la proportion de personnes qui ne peuvent pas liquider une pension à taux plein dès 60 ans, et donc augmenté la proportion de personnes amenées à poursuivre leur activité après cet âge [6].
11Les résultats de ces diverses études rencontrent une limite commune, liée à la difficulté de généraliser les résultats. Les élasticités calculées concernent une population, de taille relativement restreinte, constituée d’individus véritablement placés devant un arbitrage entre poursuite d’activité et départ à la retraite. Elles ne peuvent en effet être estimées que parmi les personnes encore en emploi à 60 ans, qui ne disposent pas encore à cet âge d’une durée suffisante pour le taux plein, mais qui peuvent espérer l’atteindre avant 65 ans. Il n’est pas certain que les élasticités moyennes seraient aussi fortes, ni aussi significatives, si elles pouvaient être estimées sur les autres composantes de la population : personnes ayant quitté l’emploi avant 60 ans (parmi lesquelles des personnes ayant exercé des métiers pénibles et rencontrant des problèmes de santé), personnes ayant commencé à travailler très jeunes (et qui disposent donc dès 60 ans d’une durée validée suffisante pour le taux plein, même après la réforme), personnes à carrières incomplètes (qui de toute façon ne pourront pas partir au taux plein avant l’âge d’annulation de la décote de 65 ans).
12Il convient enfin de souligner que tous les résultats présentés dans cette partie sont estimés avec des spécifications simples, qui ne modélisent pas explicitement certains déterminants potentiellement importants du départ à la retraite, notamment des effets liés au niveau de revenu, à la structure du ménage et à l’état de santé. Nous discutons cette problématique dans la conclusion de cet article.
Des mécanismes indirects induisent aussi un impact sur l’emploi avant 60 ans
13Actuellement, la moitié environ de la population arrive à 60 ans en ayant déjà cessé définitivement tout emploi. Cette proportion élevée pourrait diminuer la capacité des réformes à augmenter l’âge de cessation d’emploi par des effets directs de prolongation d’activité après l’âge d’ouverture des droits. Les effets directs résultent en effet, comme on l’a vu dans la partie précédente, des arbitrages individuels entre prolongation d’activité et départ avec une pension minorée, arbitrages qui n’existent que pour les personnes en mesure de choisir de prolonger leur emploi, c’est-à-dire les personnes qui sont encore sur le marché du travail. L’existence d’effets indirects sur l’emploi avant 60 ans, en sus des effets directs après 60 ans, conditionne donc largement la réussite des réformes des retraites, dont l’objectif affiché est de retarder la cessation d’activité pour le plus grand nombre possible de personnes.
Deux mécanismes théoriques
14Un exemple de mécanisme indirect, transitant en grande partie par la demande de travail, a été récemment mis en avant, à l’origine dans le rapport du Conseil d’analyse économique de d’Autume et al. (2005), repris ensuite dans plusieurs articles de recherche (notamment Hairault et al., 2006 et 2009). Ces articles soulignent l’importance de l’« horizon d’activité » des salariés, c’est-à-dire de la distance restante jusqu’au départ à la retraite. Le faible horizon d’activité des seniors aurait un effet dissuasif pour les employeurs, du fait, d’une part, de la faible perspective de retour sur investissement pour les coûts de formation des salariés déjà en place et, d’autre part, des coûts d’embauche de nouveaux salariés âgés. En cas de dégradation du climat économique, le coût d’opportunité du licenciement (lié au fait que l’employeur devra réembaucher dès que la conjoncture se redressera) serait en outre plus faible pour un senior que pour un salarié plus jeune car l’employeur aurait de toute façon dû procéder au remplacement du senior lors de son départ à la retraite, quelque temps après. L’effet horizon pourrait de plus être renforcé par des comportements d’offre de travail, la motivation de certains chômeurs âgés pour rechercher un emploi pouvant par exemple diminuer à l’approche de la retraite.
15Deux faits empiriques viennent étayer l’idée que l’horizon d’activité pourrait pénaliser les seniors : d’une part, une corrélation, observée au niveau international, entre taux d’emploi relatif des seniors (taux d’emploi des 50-59 ans rapporté à celui des 25-59 ans) et âge légal de la retraite dans divers pays de l’OCDE ; d’autre part, l’observation, sur données individuelles françaises, que la probabilité d’être en emploi, à un âge donné, est d’autant plus forte que les personnes sont éloignées de l’âge du taux plein (Hairault et al., 2006 et 2009). Ces preuves empiriques restent néanmoins fragiles, comme l’ont souligné plusieurs études postérieures (Blanchet, 2006 ; Benallah et al., 2008) [7].
16La durée d’assurance validée pourrait également peser sur les taux d’emploi des seniors par un autre mécanisme que l’horizon d’activité, jouant cette fois principalement via l’offre de travail : avoir, avant 60 ans, validé ou non une durée suffisante pour pouvoir liquider une retraite à taux plein dès 60 ans rend a priori plus ou moins attrayants certains dispositifs de cessation d’activité. Par exemple, certains dispositifs de préretraite « maison » (c’est-à-dire entièrement financée par le dernier employeur), lorsque le salarié sort des effectifs de son entreprise, ne permettent plus de continuer à acquérir des droits à retraite : un salarié qui n’aurait pas validé une durée suffisante pour le taux plein ne sera pas incité à accepter un départ dans le cadre d’un tel plan si celui-ci lui est proposé par son employeur, contrairement à un autre salarié qui, lui, aurait déjà validé un nombre de trimestres suffisant pour être assuré de bénéficier d’une retraite à taux plein dès 60 ans [8]. Si l’allongement de la durée requise pour le taux plein a pour effet de diminuer la proportion de salariés atteignant déjà la durée du taux plein avant 60 ans, il pourrait donc se traduire par des durées en emploi en moyenne plus longue au sein de l’ensemble des salariés.
17À cela s’ajoute le fait que certains dispositifs de préretraite publique étaient conditionnés à une durée validée minimale, supérieure à la durée requise pour le taux plein. C’était le cas, notamment, de l’allocation de remplacement pour l’emploi (ARPE). Dans ce cas, le lien statistique entre le fait d’avoir validé une durée suffisante et la probabilité de sortie de l’emploi est mécanique.
18Les effectifs concernés par les divers dispositifs communément regroupés sous l’appellation de « préretraites maison » sont très difficiles à cerner et restent très mal connus en France. Ces dispositifs peuvent prendre plusieurs formes : dans certains cas, les personnes concernées restent salariées de l’entreprise et continuent donc d’apparaître, dans les sources administratives, comme des personnes en emploi ; dans d’autres cas, le paiement de la préretraite est externalisé à une société d’assurance, une mutuelle ou une institution de prévoyance. Les personnes apparaissent alors, dans les sources administratives, comme en inactivité totale. Parmi les hommes nés en France en 1938, environ 10 % cessent leur emploi entre 55 et 59 ans en passant directement de l’emploi à l’inactivité, sans bénéficier d’un dispositif tel que le chômage, la préretraite publique ou la maladie (cf. graphique). On peut penser qu’une partie de ces 10 % corresponde à des situations de préretraites maison puisque, dans le cas d’une perte d’emploi involontaire, une validation de trimestres au titre du chômage aurait été observée. Une autre partie de ces 10 % pourrait également correspondre aux salariés partis en préretraite publique dans le cadre du dispositif d’ARPE. Les périodes correspondant à ce dispositif ne donnaient en effet pas lieu à la validation de trimestres assimilés pour la retraite, et ne sont donc pas renseignées à ce titre dans les données de l’EIC (échantillon interrégimes de cotisants).
Première situation après la cessation définitive d’emploi pour les personnes nées en France en 1938 qui, à chaque âge, ont cessé définitivement tout emploi

Première situation après la cessation définitive d’emploi pour les personnes nées en France en 1938 qui, à chaque âge, ont cessé définitivement tout emploi
En % des personnes de la génération (dans l’état civil)CHAMP • Personnes nées en France en 1938, vivantes au 31 décembre 2005.
LECTURE • À l’âge de 50 ans, 26 % des femmes nées en France en 1938 n’ont jamais travaillé ou ont cessé définitivement tout emploi en devenant inactives (y compris assurance vieillesse des parents au foyer), 4 % ont cessé tout emploi avant 50 ans en passant par une période de chômage, maladie ou invalidité juste après le dernier emploi, et 1 % d’entre elles sont passées directement à la retraite après leur cessation d’emploi (avant 50 ans). Les 70 % restant de la génération occupent encore un emploi à l’âge de 50 ans (même si la cessation d’emploi peut effectivement avoir eu lieu au cours de l’année des 50 ans), ou en occuperont un après cet âge. Par convention, les personnes n’ayant jamais travaillé en France (environ 4 % de la population pour les hommes et 5 % pour les femmes) sont classées comme étant sorties de l’emploi vers l’inactivité avant 50 ans.
NOTE • Dans le graphique, une personne qui travaille jusqu’à son anniversaire de 60 ans et prend ensuite sa retraite est classée comme encore sur le marché du travail au cours de l’année de ses 60 ans et en retraite à partir de l’année de ses 61 ans seulement.
Une nouvelle estimation
19Des analyses « toutes choses égales par ailleurs » (cf. encadré 2) permettent de confirmer que les deux mécanismes décrits ci-dessus semblent effectivement jouer de manière significative sur l’emploi avant 60 ans. L’analyse empirique est réalisée ici sur des générations ayant atteint l’âge de 60 ans avant la réforme de 2003 (générations nées en 1934, 1938 et 1942). Les comportements mis en lumière sont donc ceux qui prévalaient avant la mise en place des retraites anticipées pour carrière longue.
Encadré 2. Analyse toutes choses égales par ailleurs des liens entre dispositifs de retraite et emploi des seniors
• Un modèle d’âge moyen de cessation d’emploi (pour des personnes encore en emploi au régime général à 54 ans) régresse l’âge de cessation d’emploi des individus sur des variables explicatives captant les effet des dispositifs de retraite, ainsi que d’autres déterminants socio-économiques (génération, salaire, taux de chômage observé lors de l’année où la durée requise pour le taux plein est atteinte, etc.). L’âge de cessation d’emploi est défini comme l’âge atteint au 31 décembre de la dernière année où un report de salaire au compte ou une validation au titre de l’emploi est observé dans les données de l’échantillon interrégimes de cotisants (EIC). Le lien avec les dispositifs de retraite est capté par l’inclusion d’indicatrices de l’âge (entre 54 et 65 ans) auquel la durée requise pour le taux plein est atteinte, compte tenu de la durée validée jusqu’à l’âge de 54 ans et des paramètres en vigueur avant la réforme de 1993 (c’est-à-dire une durée requise de 150 trimestres, soit 37,5 années, pour le taux plein). Il est également capté par une variable égale au décalage de cet âge lié à l’allongement de la durée requise pour le taux plein induit par la réforme de 1993.
Dans les données utilisées, la date de cessation d’emploi n’est connue qu’à l’année (civile) près. Le décalage est donc également exprimé à l’année près. Selon la génération (née en 1934, 1938 ou 1942), il pourra être égal à 0, 1, 2 ou 3 années. À titre d’exemple, prenons le cas d’un individu né en 1942 et qui a validé 143 trimestres au 31 décembre de l’année de ses 54 ans. Avant la réforme, il lui aurait manqué 7 trimestres pour atteindre la durée requise pour le taux plein (soit 150 trimestres) : au mieux il n’aurait pu atteindre cette durée que dans l’année de ses 56 ans, et cela en validant 4 trimestres durant l’année de ses 55 ans et 3 trimestres durant celle de ses 56 ans. En réalité, cet individu né en 1942 doit cependant valider 159 trimestres pour le taux plein. L’âge minimal pour atteindre cette durée, toujours compte tenu du fait qu’il a validé 149 trimestres avant 54 ans, est donc 58 ans, et le décalage de cet âge minimal du fait de la réforme vaut donc deux ans.
Notons que le décalage lié à l’allongement de la durée requise est nul pour les personnes dont la durée validée à 54 ans est soit trop faible pour permettre d’atteindre le nombre de trimestres requis avant l’âge d’annulation de la décote (65 ans), soit suffisamment élevée pour que ce nombre reste atteint à 54 ans ou avant, même après la réforme. Ces deux sous-populations constituent de ce fait le « groupe de contrôle » grâce auquel l’effet de l’allongement de la durée requise pour le taux plein pourra être identifié, indépendamment des effets de génération.
• Un second modèle estime la probabilité d’être en emploi à chaque âge dans la population (restreinte au préalable par l’exclusion des personnes sorties précocement de l’emploi, c’est-à-dire avant 54 ans). Dans cette régression, l’effet des dispositifs de retraite est introduit au moyen de deux variables : d’une part, une indicatrice pour les individus disposant déjà d’une durée suffisante pour le taux plein (compte tenu des paramètres qui s’appliquent à leur génération) et, d’autre part, une variable de distance (nombre d’années d’écart) entre l’âge considéré et l’âge minimal auquel l’individu pourra liquider au taux plein. Ce dernier se distingue de l’âge minimal où est atteinte la durée requise pour le taux plein, puisqu’il n’est pas possible de liquider un droit en retraite avant l’âge de 60 ans (les générations étudiées n’ont en effet pas accès à la retraite anticipée pour carrière longue) et que le taux plein est acquis à l’âge de 65 ans, quelle que soit la durée validée. Par exemple, à l’âge de 58 ans, la « distance au taux plein » vaut deux ans pour une personne qui atteint la durée requise dans l’année des 59 ans (elle ne peut en effet liquider qu’à 60 ans), quatre ans pour une personne qui atteint cette durée requise au minimum à 62 ans, et sept ans pour une personne qui ne l’attendrait qu’à 68 ans (le taux plein étant acquis à 65 ans indépendamment de la durée validée).
L’inclusion de ces deux variables explicatives a pour objectif d’identifier, séparément, les deux mécanismes par lesquels peuvent jouer les dispositifs de retraite.
• Enfin, un troisième modèle estime la probabilité de sortie de l’emploi à chaque âge pour les personnes encore en emploi au régime général au début de l’année où est atteint cet âge. Les variables explicatives sont les mêmes que celles du modèle 2.
Le troisième modèle se distingue du précédent, entre autres, par la sélection de l’échantillon sur lequel est réalisée l’estimation : dans un cas, on retient tous les individus en emploi à 54 ans (modèle de stock) ; dans le second, on ne retient que les personnes encore en emploi à l’âge considéré, c’est-à-dire de 55 à 59 ans selon les cas (modèle de flux).
Les données utilisées pour les régressions sont celles de l’échantillon interrégimes de retraités (EIR) de 2004 et de l’EIC de 2005. Ces échantillons sont produits par la DREES tous les quatre ans et portent sur les caractéristiques des pensions des retraités (montant de chacune des composantes de la pension, circonstances de liquidation, durée de carrière, etc., sont observés dans l’EIR) et sur les droits à retraite acquis, année après année, au cours de la carrière (durées validées chaque année, nature des validations, revenus annuels, etc., sont observés dans l’EIC). Les informations constitutives de l’EIR et de l’EIC sont elles-mêmes issues des fichiers administratifs de la quasi-totalité des régimes de retraite français, de base et complémentaires, complétés par des informations extraites des fichiers administratifs de l’INSEE et de Pôle emploi.
Les trois modèles sont estimés sur une population de personnes encore en emploi salarié au régime général durant l’année de leurs 54 ans. La problématique des sorties d’activité plus précoces est en dehors du champ de ces régressions. Ces sorties d’emploi très précoces représentaient un peu plus d’un homme sur dix et une femme sur trois parmi les personnes nées en France en 1938 (cf. graphique).
20Comme dans les études présentées dans la première partie de cet article, l’estimation repose sur la double variabilité selon la génération et selon la durée validée (ici, en l’occurrence, la durée validée à 54 ans). En effet, si l’allongement de la durée requise pour le taux plein avait un impact uniforme au sein de chaque génération, il ne serait pas possible de distinguer son effet de celui d’autres évolutions concomitantes ou d’autres différences entre générations. Ce n’est cependant pas le cas puisque, selon la durée validée, l’impact de la réforme sera plus ou moins fort (voire nul dans certains cas) au sein même de chaque génération. Plus précisément, la sélection d’un échantillon de personnes encore en emploi à 54 ans et l’existence d’un âge d’annulation de la décote (65 ans) induisent une relation non linéaire entre, d’une part, le nombre de trimestres manquants à 54 ans par rapport à la durée requise pour le taux plein et, d’autre part, le premier âge où les conditions pour l’obtention du taux plein sont réunies (cet âge étant borné à 54 ans). C’est cette relation non linéaire qui rend l’impact de l’allongement de la durée requise différencié sur les personnes au sein d’une même génération. Cela permet d’identifier à la fois un effet de la génération (ou de la période) et un effet de la réforme. Les personnes dont la durée validée à 54 ans fait que, quelle que soit la législation considérée, elles disposent déjà d’une durée suffisante ou à l’inverse ne pourront de toute façon pas en disposer avant 65 ans constituent, à cet égard, un « groupe de contrôle » non affecté par la réforme. L’effet de la génération pourra dès lors être estimé sur ce groupe de contrôle [9]. On peut, de plus, distinguer l’âge du taux plein (c’est-à-dire le premier âge où une liquidation au taux plein devient possible, âge qui, par construction, ne peut pas être inférieur à l’âge minimal d’ouverture des droits de 60 ans) et l’âge où la durée requise pour le taux plein est atteinte (qui, lui, peut être inférieur à 60 ans). Cette distinction permet d’identifier à la fois un effet de la distance au taux plein et un effet du fait d’avoir déjà une durée suffisante.
21Le recul, du fait de la réforme de 1993, de l’âge minimal auquel est atteinte la durée requise pour le taux plein est associé à un âge effectif de cessation d’emploi plus tardif pour certains sous-groupes d’hommes et de femmes (cf. tableau 1). Par exemple, pour les hommes qui, compte tenu de leur durée validée à 54 ans et de la législation en vigueur avant 1993, auraient atteint une durée suffisante pour le taux plein à l’âge de 58 ans, l’âge de cessation définitive d’emploi augmente en moyenne d’une demi-année lorsque la réforme de 1993 a repoussé d’un an l’âge auquel ils atteignent la nouvelle durée requise pour le taux plein (cf. coefficients de 0,55 ou 0,48, selon la spécification). Les coefficients s’avèrent positifs et statistiquement significatifs pour les hommes qui, avant réforme, atteignaient la durée requise pour le taux plein à 54 ans ou entre 57 et 61 ans. Pour les femmes, les résultats sont un peu moins conclusifs : les coefficients ne ressortent significatifs que pour celles qui atteignaient cette durée à 54, 57 ou 60 ans.
Facteurs explicatifs de l’âge de cessation d’emploi pour les personnes en emploi au régime général à 54 ans


Facteurs explicatifs de l’âge de cessation d’emploi pour les personnes en emploi au régime général à 54 ans
CHAMP • Personnes en emploi au régime général au cours de l’année de leurs 54 ans, nées en 1934, 1938 ou 1942, ayant validé entre 110 et 160 trimestres à la fin de l’année de leurs 54 ans.NOTE • Régression par les moindres carrés ordinaires. Les coefficients statistiquement significatifs au seuil de 1 % (resp. 5 % et 10 %) sont signalés par *** (resp. ** et *).
22La régression contrôle bien les effets de génération. Elle contrôle par ailleurs les âges moyens de cessation d’emploi pour chacun des âges minimaux auxquels est atteinte la durée requise pour le taux plein compte tenu de la législation avant réforme (c’est-à-dire 150 trimestres requis pour pouvoir liquider au taux plein dès 60 ans). Ces variables captent en particulier des différences entre individus ayant eu des durées de carrière différentes, et notamment des différences liées à l’âge d’entrée sur le marché du travail, et donc l’âge de fin d’études et la qualification (ces différences sont également partiellement captées par les variables de salaire et de salaire au carré). En moyenne, les personnes à carrière longue, atteignant la durée requise pour le taux plein avant 56 ans, cessent leur emploi plus tôt. Il n’y a en revanche pas de différence sensible pour les personnes atteignant cette durée requise entre 56 et 59 ans. L’âge moyen de cessation d’emploi est ensuite, toutes choses égales par ailleurs, d’autant plus élevé que la durée requise pour le taux plein est atteinte tardivement après 60 ans. Ce résultat est surtout marqué pour les hommes.
23La régression est conduite sur des retraités nés en 1934, 1938 et 1942. Pour certains, le décalage, imputable à la réforme, de l’âge minimal auquel est atteinte la durée requise pour le taux plein peut aller jusqu’à trois années [10]. Les coefficients positifs et statistiquement significatifs associés aux personnes pour lesquelles cet âge minimal est supérieur à 60 ans, ou même égal à 58 ou 59 ans, pourraient donc s’expliquer uniquement avec le mécanisme déjà illustré dans la partie précédente, à savoir le fait que les personnes encore en emploi à 60 ans et à qui il manque, à cet âge, un certain nombre de trimestres pour le taux plein repoussent généralement leur âge de départ en retraite. Cependant, on observe également un coefficient positif et significatif pour des personnes dont l’âge minimal du taux plein avant réforme est de 54 ou de 57 ans, c’est-à-dire des personnes qui, même avec la législation qui s’appliquera à elles du fait de la réforme, auront de toute façon validé une durée suffisante pour le taux plein avant l’âge minimal d’ouverture des droits de 60 ans. Ces observations semblent donc bien cohérentes avec l’hypothèse d’un impact indirect significatif de la législation des systèmes de retraite sur les cessations d’emploi, même avant 60 ans. À ce stade, il n’est toutefois pas possible d’identifier le mécanisme en jeu, parmi les deux présentés précédemment, et cet impact indirect peut donc provenir aussi bien d’effets d’offre que d’effets de demande de travail.
24La mise en lumière de cet impact indirect est confortée par les résultats des régressions des probabilités d’être en emploi et de sortir de l’emploi à chaque âge entre 55 et 60 ans (cf. tableaux 2 et 3). On a représenté ici uniquement les coefficients des deux variables associées à l’impact indirect de la durée requise pour le taux plein :
- variable de distance au taux plein (ou, à proprement parler, de distance à l’âge minimal auquel l’individu pourra liquider à taux plein, compte tenu du fait que l’âge minimal de liquidation est de 60 ans et que le taux plein est octroyé automatiquement à l’âge de 65 ans) qui prend en compte le mécanisme d’horizon d’activité ;
- indicatrice signalant qu’une durée suffisante pour le taux plein est validée avant le début de l’année, qui vise plutôt à capter l’effet éventuel du fait d’avoir déjà atteint la durée du taux plein sur l’attractivité de certains dispositifs de cessation anticipée d’activité.
25Les modèles 2 et 3 (cf. encadré 2), dont les résultats sont représentés respectivement dans les tableaux 2 et 3, sont complémentaires. Ils se distinguent par le champ des personnes retenues pour l’estimation. Le modèle 2 est estimé sur la population dans son ensemble, en emploi ou non [11]. Son intérêt est que ses résultats peuvent être interprétés en termes de taux d’emploi. Le modèle 3 est en revanche un modèle de sortie d’emploi : les probabilités ne sont donc estimées, à chaque âge, que sur les personnes encore en emploi en début d’année, c’est-à-dire une sous-partie du champ du modèle 2, qui diminue au fur et à mesure que l’âge augmente.
26Pour les hommes, la probabilité d’être en emploi à 59 ans et à 60 ans est significativement plus faible (de 6 et 15 points de pourcentage respectivement [12]) lorsque la durée requise pour le taux plein est déjà validée avant cet âge (cf. tableau 2). Corrélativement, la probabilité de sortir de l’emploi est significativement plus forte au cours de l’année des 58 ans et de celle des 59 ans (de respectivement 7 et 9 points, cf. tableau 3). Pour les femmes, le coefficient n’est significatif que pour les sorties de l’emploi à 58 ans. Le mécanisme décrit en début de cette sous-partie, c’est-à-dire la plus ou moins grande attractivité des dispositifs de préretraite maison en fonction de la durée déjà validée ou la condition d’accès à certains dispositifs de préretraite publique tels que l’ARPE selon une condition de durée validée minimale, pourrait donc bien jouer, mais surtout pour les hommes et principalement pour expliquer des sorties d’emploi peu de temps avant l’âge de 60 ans (c’est-à-dire au cours des deux dernières années avant cet âge). Cette différence selon le sexe est cohérente avec l’observation, faite à partir du graphique, de sorties directes entre 55 et 59 ans de l’emploi vers l’inactivité totale plus nombreuses pour les hommes que pour les femmes.
Régression de la probabilité d’être en emploi à chaque âge pour les personnes qui étaient en emploi au régime général à 54 ans (coefficients associés à l’âge du taux plein)

Régression de la probabilité d’être en emploi à chaque âge pour les personnes qui étaient en emploi au régime général à 54 ans (coefficients associés à l’âge du taux plein)
CHAMP • Personnes en emploi au régime général au cours de l’année de leurs 54 ans, nées en 1934, 1938 ou 1942, ayant validé entre 110 et 160 trimestres à la fin de l’année de leurs 54 ans.NOTE • Les autres variables explicatives introduites dans la régression ne sont pas indiquées ici (indicatrices d’âge minimal du taux plein avant la réforme, indicatrice de génération, salaire et salaire au carré). La variable estimée est l’indicatrice d’être en emploi à chaque âge, et la régression est menée avec la méthode des moindres carrés ordinaires. Les coefficients associés aux dispositifs de retraite ressortent significatifs pour les mêmes âges lorsque les estimations sont réalisées avec un modèle Logit (Aubert, 2009). Les coefficients statistiquement significatifs au seuil de 1 % (resp. 5 % et 10 %) sont signalés par *** (resp. ** et *).
Régression de la probabilité de cessation d’emploi à chaque âge pour les personnes en emploi au régime général (coefficients associés à l’âge du taux plein)

Régression de la probabilité de cessation d’emploi à chaque âge pour les personnes en emploi au régime général (coefficients associés à l’âge du taux plein)
CHAMP • Personnes en emploi au régime général au cours de l’année de leurs 54 ans, nées en 1934, 1938 ou 1942, ayant validé entre 110 et 160 trimestres à la fin de l’année de leurs 54 ans.NOTE • Les autres variables explicatives introduites dans la régression ne sont pas indiquées ici (indicatrices d’âge minimal du taux plein avant la réforme, indicatrice de génération, salaire et salaire au carré). La variable estimée est l’indicatrice d’être sorti de l’emploi à chaque âge, et la régression est menée avec la méthode des moindres carrés ordinaires. Les coefficients associés aux dispositifs de retraite ressortent significatifs pour les mêmes âges lorsque les estimations sont réalisées avec un modèle Logit (Aubert, 2009). Les coefficients statistiquement significatifs au seuil de 1 % (resp. 5 % et 10 %) sont signalés par *** (resp. ** et *).
27Avant l’âge de 58 ans, les coefficients associés au fait d’avoir validé une durée suffisante pour le taux plein sont, pour les hommes, toujours de signe négatif pour la probabilité d’être en emploi et de signe positif pour la probabilité de sortir de l’emploi, mais ils ne sont jamais significatifs (sauf pour la probabilité de sortir de l’emploi pour les hommes durant l’année des 56 ans, où le coefficient est significatif au seuil de 10 %). Cela pourrait signifier soit que l’impact indirect lié au fait d’avoir validé une durée requise pour le taux plein est nul avant l’âge de 58 ans, soit qu’il y est beaucoup plus tenu qu’après cet âge, ce qui fait qu’il n’est pas possible de le mettre en lumière de manière statistiquement significative vu la taille des données disponibles ici pour conduire les régressions [13].
28Par ailleurs, pour les hommes, la distance à l’âge minimal pour liquider à taux plein est associée à une probabilité significativement plus forte d’être en emploi à partir de 59 ans et une probabilité plus faible de sortir de l’emploi après 57 ans. Les deux mécanismes (horizon d’activité et attractivité de certains dispositifs de cessation anticipée d’activité) semblent donc jouer de manière concomitante, puisque les coefficients des deux variables captant l’un et l’autre des mécanismes sont chacun statistiquement significatifs.
29En termes quantitatifs, la probabilité d’être en emploi à 59 ou 60 ans serait de 5 points supérieure par année de distance au taux plein : par exemple, un homme qui ne pourra liquider au taux plein qu’à 62 ans aura une probabilité d’être en emploi à 59 ans de 5 points plus élevée en moyenne qu’un homme qui pourra liquider au taux plein à 61 ans, et de 10 points plus élevée qu’un homme qui pourra liquider au taux plein dès 60 ans. Cet effet n’apparaît cependant de manière significative que pour les hommes : aucun des coefficients n’est statistiquement significatif en ce qui concerne les femmes. La différence entre sexe pourrait s’expliquer soit par des caractéristiques sectorielles (l’effet horizon pourrait par exemple être plus souvent pris en compte parmi les employeurs des secteurs où les hommes sont plus nombreux, comme les secteurs industriels), soit par des comportements d’offre de travail distincts (la décision de cessation d’activité des femmes pourrait plus fréquemment être prise en fonction de facteurs externes à l’emploi, par exemple le fait que le conjoint est déjà à la retraite).
30L’estimation d’effets indirects des systèmes de retraite sur l’emploi avant l’âge minimal d’ouverture des droits, selon les deux mécanismes décrits ci-dessus, ne signifie bien sûr pas que ces mécanismes sont les seuls déterminants de l’emploi des seniors. D’autres facteurs peuvent jouer, tant du côté de l’offre que de la demande de travail (cf. annexe), et ce de manière éventuellement plus déterminante que les deux mécanismes indirects analysés ici. Les résultats de cette partie doivent donc être vus surtout de manière qualitative, au sens où ils montrent que les deux mécanismes jouent de manière statistiquement significative, et cela principalement sur les deux à trois années précédant l’âge d’ouverture des droits. Ils ne permettent pas, à ce stade de l’analyse et sans calcul complémentaire, de quantifier directement l’impact de ces mécanismes par rapport à d’autres déterminants de l’emploi des seniors ni, à plus forte mesure, de quantifier l’impact sur cet emploi d’une réforme relevant l’âge minimal d’ouverture des droits.
Conclusion
31Plusieurs études récentes, évoquées dans cet article, estiment un impact significatif des systèmes de retraite sur l’emploi des seniors, à la fois de manière directe après l’âge minimal d’ouverture des droits et de manière indirecte au cours des deux ou trois dernières années avant cet âge. L’impact direct passe par l’arbitrage entre prolongation d’activité et départ à la retraite avec une pension minorée pour les salariés qui ne disposent pas d’une durée suffisante pour le taux plein ; l’impact indirect joue via deux mécanismes distincts, l’un lié à l’horizon d’activité (mécanisme jouant sur la demande, et éventuellement l’offre, de travail) et l’autre au fait que les personnes qui ne disposent pas encore d’une durée suffisante pour le taux plein sont moins incitées à ou moins en mesure de profiter des dispositifs de cessation anticipée d’activité (mécanisme jouant sur l’offre de travail).
32Les impacts microéconomiques « locaux », estimés sur la sous-population des personnes touchées par les réformes, ne permettent pas directement de quantifier l’impact macroéconomique global ni, à plus forte raison, de projeter cet impact global sur les dix ou vingt prochaines années. Le fait que l’impact d’une réforme soit statistiquement significatif au niveau microéconomique ne signifie pas, en effet, qu’il sera substantiel au niveau macroéconomique. Bozio (2011) montre notamment que, parmi les salariés de la génération née en 1938, moins de 10 % sont véritablement placés devant un arbitrage entre prolongation d’activité et départ à la retraite avec décote, ce qui explique un impact agrégé encore difficilement perceptible à court terme. Passer d’un impact micro à un impact macroagrégé nécessite, d’une part, de prendre en compte les effets de composition de la population et leurs évolutions (effets que l’on pourrait qualifier de « populationnels ») et, d’autre part, les effets de bouclage macroéconomique entre demande et offre de travail (pour les seniors, mais également pour toutes les autres classes d’âge d’actifs). Ces deux aspects représentent des sujets d’étude complets, qui chacun devraient faire l’objet d’une analyse spécifique, et dont la prise en compte dépasse donc le cadre de cet article. Aubert, Duc et Ducoudré (2012), dans ce même numéro de la revue, discutent et illustrent l’estimation d’effets populationnels à travers l’exemple du modèle de projection PROMESS.
33Pour finir, un fait important doit également être souligné en ce qui concerne les résultats microéconométriques. Tous les résultats présentés dans cet article ont pour point commun d’être issus de l’estimation de modèles statistiques, et non de modèles structurels schématisant les arbitrages individuels entre salaire et retraite. Ce choix s’inscrit dans une démarche qui se veut agnostique et qui recourt aux méthodes empiriques habituelles d’évaluation des politiques publiques, notamment les techniques de « double différence » et de matching (appariement). La mise en œuvre des réformes de 1993 et 2003 constitue en effet une expérience naturelle, qui fournit la variabilité suffisante pour permettre d’estimer des « effets » moyens des paramètres de retraite sur les sorties d’activité, et cela sans recourir à une modélisation plus structurelle des comportements.
34Une telle approche plus structurelle aurait pour enjeu de bien prendre en compte les incitations financières au départ à la retraite ou à la poursuite d’emploi, notamment via les taux de remplacement (dans le cadre d’un modèle d’arbitrage instantané entre revenu et loisir) ou l’équivalent patrimonial des droits à retraite (dans le cadre d’un modèle de maximisation sur le cycle de vie). Cette approche a été explorée sur données françaises dans quelques études un peu plus anciennes (Blanchet et Mahieu, 2001 et 2004), à partir du modèle d’arbitrage de Stock et Wise (1990) [14]. Elle soulève cependant des difficultés empiriques et certaines réserves ont pu être émises au vu des résultats : sous-estimation des pics de départ à la retraite à 60 et 65 ans, qui pourrait venir en partie du fait que les modèles fondés sur les incitations financières captent mal les effets de normes sociales ; valeurs des paramètres structurels parfois peu vraisemblables, notamment en ce qui concerne la préférence pour le loisir. Ces réserves rendent délicate l’utilisation d’une modélisation structurelle pour estimer l’impact des réformes des retraites. C’est en particulier la conclusion que mettent en avant Albert et al. (2008), après avoir cherché à estimer l’impact de la mise en place de la surcote par l’estimation d’un modèle de Stock et Wise. L’adéquation aux données observées ne peut se faire qu’au prix de valeurs des paramètres structurels qui paraissent peu vraisemblables, ce qui rend les estimations peu conclusives en ce qui concerne l’impact réel de la réforme.
35Par ailleurs, Aubert (2012) suggère que les modèles statistiques, utilisés dans les études citées dans la première partie de cet article, peuvent eux-mêmes s’interpréter également de manière structurelle : ils correspondent en effet à des modèles réduits d’un comportement de recherche du taux plein. En d’autres termes, ils modélisent un comportement où le fait d’avoir atteint la possibilité de liquider au taux plein est seul pris en compte explicitement, les autres déterminants du départ à la retraite [15] n’étant pris en compte qu’implicitement, dans les variables de contrôle socio-économique et dans la variabilité individuelle inobservable (résidus de l’équation). La pertinence des modèles de recherche du taux plein est justifiée par deux observations empiriques. D’une part, l’âge effectif de départ coïncide très souvent avec le premier âge où la liquidation au taux plein est possible ; d’autre part, l’importance accordée au taux plein est confirmée par les nouveaux retraités eux-mêmes dans les enquêtes qualitatives sur les motivations du départ à la retraite (Aubert et al., 2010). De plus, dans les estimations de modèles structurels, la prise en compte des incitations financières ne suffit pas toujours à annuler l’impact positif du taux plein sur la probabilité de partir à la retraite (cf. résultats pour les femmes dans Blanchet et Mahieu, 2004) [16].
36Ces remarques ne visent bien sûr pas à opposer les approches structurelles et non structurelles au sein de la littérature empirique sur l’estimation de modèles de départ à la retraite. Elles cherchent seulement à souligner la pertinence des approches les plus récentes, qui offrent une spécification parcimonieuse tout en restant, dans une certaine mesure au moins, pertinente du point de vue des comportements. Les travaux futurs devraient assurément chercher à concilier les deux approches, c’est-à-dire prendre en compte les incitations financières dans le cadre de spécifications suffisamment robustes et dont les résultats soient suffisamment vraisemblables pour être conclusifs. De telles spécifications seront nécessaires pour étudier certains aspects des réformes des retraites, notamment la modification des barèmes de la décote et de la surcote, qui devraient contribuer à affaiblir à l’avenir la pertinence des modèles de comportement de recherche du taux plein.
Les autres facteurs de l’emploi des seniors avant 60 ans
37D’autres déterminants que les systèmes de retraite jouent sur l’emploi des seniors, à la fois du côté de l’offre et de la demande de travail.
38Pour les salariés quinquagénaires, de nombreux dispositifs institutionnels de cessation anticipée existent. Outre les départs à la retraite dans certains régimes spéciaux et, depuis 2004, dans le cadre du dispositif de départ anticipé pour carrières longues, les dispositifs de préretraites publiques, mais aussi de chômage (dispense de recherche d’emploi par exemple), d’invalidité et de préretraite maison (entièrement financés par les employeurs), peuvent offrir des revenus de remplacement à certains salariés. Par ailleurs, les comportements d’offre de travail ne sont pas uniquement déterminés par les paramètres des dispositifs institutionnels. D’autres caractéristiques individuelles des personnes peuvent également avoir un impact déterminant, en jouant sur l’éligibilité à divers dispositifs (notamment l’état de santé sur l’éligibilité aux dispositifs de maladie et d’invalidité), sur la capacité à continuer à exercer un travail, ou encore sur la « préférence pour le loisir », et donc le choix individuel de souhaiter s’arrêter plus ou moins tôt (par exemple, la satisfaction dans l’emploi, la situation du conjoint vis-à-vis du marché du travail ou, plus généralement, le contexte familial, les contraintes financières éventuelles, etc.).
39Des études sur l’influence de ces facteurs ont été réalisées au niveau européen à partir des données de l’enquête européenne SHARE. Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, les seniors qui sont satisfaits de leur emploi, dont l’état de santé est bon ou qui anticipent une espérance de vie longue déclarent significativement moins souvent désirer partir en retraite le plus tôt possible (Blanchet et Debrand, 2007) et sont effectivement plus souvent en emploi (Debrand et Sirven, 2009). Les seniors sont aussi plus souvent en emploi lorsque leur conjoint est encore en emploi.
40En ce qui concerne la demande de travail, les économistes mettent souvent en avant trois phénomènes principaux qui pourraient, en théorie, expliquer la faiblesse de la demande de travailleurs âgés (Aubert et al., 2005). Le premier suppose l’existence d’une discrimination à l’encontre des salariés âgés, due à des stéréotypes qui ne sont pas forcément fondés économiquement (stéréotypes concernant une supposée moindre productivité, adaptabilité, polyvalence, motivation, etc.). Le second repose sur l’idée qu’il y aurait, pour un nombre élevé de seniors, une inadéquation entre le niveau de leur salaire et celui de leur productivité individuelle, ce qui conduirait les entreprises à s’en séparer. D’une certaine manière, les mécanismes sous-jacents décrits par Hairault et al. (2006 et 2009) pour justifier le principe d’horizon d’activité se rapprochent des explications du type « salaire-productivité », mais en les élargissant à l’ensemble des coûts autres que le salaire (notamment les coûts d’opportunité liés aux embauches et aux départs de l’entreprise), et en le plaçant dans une perspective dynamique. Enfin, le troisième type d’explication ne fait pas l’hypothèse d’un problème spécifique aux seniors, mais suppose simplement que les entreprises font porter en priorité le poids des réductions d’effectifs sur leur main-d’œuvre âgée, ce choix étant mieux accepté « socialement » du fait de l’existence des dispositifs publics de cessation d’activité et du fait de l’idée de « laisser la place aux jeunes ».
41Pour la première explication, il n’existe pas de tests directs de l’existence de discriminations envers les seniors, mais plusieurs enquêtes d’opinion conduites par la DARES suggèrent effectivement la prégnance de stéréotypes affectant négativement les décisions d’embauches de seniors (Monso et Tomasini, 2003 ; Defresne et al., 2010). Au niveau international, notamment américain, des tests ont permis d’illustrer un effet significatif des lois contre les discriminations anti-âge sur l’emploi des classes d’âge couvertes (Adams, 2004).
42L’hypothèse d’un écart important entre salaire et productivité des seniors ne semble pas trouver de validation empirique concluante. À l’inverse, Aubert (2007) signale trois résultats qui tendraient plutôt à la démentir, du moins en tant que phénomène massif et général. Premièrement, l’estimation des profils de la productivité selon l’âge (en estimant la contribution de chaque classe d’âge à la productivité moyenne des entreprises) conduit à des profils similaires à ceux des coûts salariaux : croissants jusqu’à 40 ou 45 ans, puis stables au-delà. Deuxièmement, il n’existe pas d’observation solide prouvant l’existence de rigidités salariales chez les seniors, malgré le profil des salaires moyens après 50 ans particulièrement pentu en France. En particulier, des diminutions de salaire sont observées dans 25 % des cas pour les salariés du privé restant en emploi dans le même établissement deux années consécutives, et cela à tous les âges, même après 50 ans. Cette observation n’est guère compatible avec l’idée de revenus salariaux complètement rigides à la baisse. Or l’existence d’écarts importants et permanents entre salaires et productivité ne pourrait avoir lieu que si de telles rigidités existaient et étaient largement répandues dans les entreprises, ce qui ne semble pas le cas. Par ailleurs, le salaire médian diminue après 55 ans, ce qui nuance fortement la hausse significative avec l’âge du salaire moyen : cette observation, dans les données propres à la France, s’explique en réalité par de forts gains salariaux dans le haut de la distribution de revenu, et non par une hausse générale de tous les salaires des seniors. Troisièmement, enfin, les seniors ne sont pas moins nombreux et ne sortent pas plus souvent de l’emploi dans les établissements où ils sont relativement plus payés. Cette observation souligne que, au niveau des entreprises, l’éviction des seniors n’est en aucune manière corrélée à des coûts salariaux relativement élevés par rapport à ceux des plus jeunes.
43Pour finir, l’argument selon lequel les entreprises feraient porter en premier lieu le poids des réductions d’effectifs sur la main-d’œuvre âgée est fréquemment invoqué mais n’a pas pu, pour l’instant, être illustré par des tests ou des évidences concluantes. On peut noter que c’est sur cet aspect qu’ont porté principalement les récentes mesures visant, directement ou indirectement, à accroître la demande de travail pour les seniors. La suppression des préretraites publiques et des dispenses de recherche d’emploi peut en effet y concourir, car c’est l’existence de ces dispositifs qui pouvait contribuer à rendre plus « acceptable » l’éviction massive des seniors des effectifs des entreprises, même s’il ne faut pas, bien sûr, réduire cette suppression à son seul effet indirect sur la demande de travail, oubliant par ailleurs ses conséquences sur les personnes. De même, les pénalisations financières associées à la non-réalisation d’objectifs chiffrés de maintien dans l’emploi des seniors et la taxation accrue des préretraites participent de la même philosophie d’augmenter le coût pour les entreprises d’une gestion de l’emploi qui ferait porter sur la main-d’œuvre âgée l’essentiel des réductions d’effectifs.
44Pour illustrer l’idée que les seniors puissent être plus souvent victimes des réductions d’effectifs dans les entreprises sans que cela ne corresponde à un comportement des employeurs ciblé spécifiquement à leur encontre, il est intéressant d’observer la répartition sectorielle de ces salariés seniors. Ces derniers se retrouvent en effet plus fréquemment que les salariés jeunes dans les grandes entreprises et dans les secteurs en déclin, notamment les secteurs industriels (Aubert, 2007, chapitre 1). Le mécanisme sous-jacent est lié à l’histoire des secteurs concernés : les seniors sont en effet très nombreux dans les secteurs ayant embauché massivement dans le passé, où ils sont restés, et qui sont maintenant souvent des secteurs en déclin, où les réductions d’effectifs massives sont donc plus nombreuses que dans d’autres secteurs, plus porteurs, de l’économie. Ce problème d’affectation des seniors dans les « mauvais » secteurs joue, ne serait-ce que de manière statistique. Il est une illustration du fait que les difficultés d’emploi des seniors ne sont pas forcément liées à leurs caractéristiques individuelles.
45En conclusion de cette brève revue des divers déterminants de l’emploi des seniors, il convient de souligner le fait que, même si la « séparation » des effets des deux côtés du marché du travail (offre et demande) représente un enjeu majeur pour les économètres, les données sont en réalité rarement disponibles pour permettre une analyse économique empirique qui modéliserait conjointement les comportements des personnes et des entreprises. À ce jour, aucun travail économique vraiment concluant n’a donc pu être mené, réalisant la part des choses entre ce qui est dû à la demande de travail et ce qui est dû à l’offre dans le faible taux d’emploi des seniors en France. Cela explique que la littérature empirique sur les déterminants de l’emploi des seniors, brièvement résumée ci-dessus, a surtout cherché à mettre en lumière les facteurs qui jouent significativement sur les âges de sortie d’emploi et de départ à la retraite dans une approche souvent plus qualitative que quantitative.
Notes
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[*]
DREES, sous-direction Observation de la solidarité, bureau Retraites, au moment de la rédaction de l’article.
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[1]
Le terme d’« expérience naturelle » est utilisé en économétrie par analogie avec les situations d’expérience contrôlée. Il désigne une situation dans laquelle une grandeur (dans le cas présent, un paramètre de la législation des retraites) est modifiée d’une manière qui permette d’estimer son effet « propre », indépendamment de l’influence d’autres facteurs observés ou non. Ce problème est crucial : les conséquences d’évolutions législatives au cours du temps ne peuvent pas toujours être isolées, car il n’est pas forcément possible de les distinguer d’autres effets temporels (évolution de la conjoncture économique, des comportements, etc.). Néanmoins, les réformes des retraites de 1993 et de 2003 se traduisent de manière différenciée selon la génération et l’année, mais aussi – au sein d’une même génération – selon la durée validée. Cette propriété fournit une variabilité des situations qui permet de séparer les effets liés à chaque dimension.
-
[2]
Ces estimations correspondent aux résultats d’Aubert (2012). Les résultats de Bozio (2011) sont très proches en ce qui concerne les hommes (élasticité de 0,8), mais moins en ce qui concerne les femmes (0,4). Dans ce dernier cas, il semblerait néanmoins que l’élasticité estimée plus faible serait due à des erreurs de mesure sur la durée effectivement validée après 60 ans. Après correction de ces erreurs, l’élasticité estimée pour les femmes ne serait guère différente de celle des hommes (cf. Aubert, 2009, pour une analyse plus fouillée de cet écart).
-
[3]
Notons que ces élasticités sont pertinentes dans un contexte où la législation incite fortement à partir au taux plein, ce qui est le cas pour les générations sur lesquelles les estimations sont menées (législation antérieure à la réforme de 2003, caractérisée par une forte décote et l’absence de surcote). La question de la pertinence et de la validité de ces élasticités en projection peut néanmoins être posée.
-
[4]
Ce résultat traduit un impact moyen, qui signifie que la surcote a un effet incitatif sur une partie au moins de la population. Il n’est pas contradictoire avec le fait, attesté par des enquêtes qualitatives, qu’une autre partie des bénéficiaires de la surcote aurait de toute façon continué à travailler après 60 ans, même en l’absence des incitations financières procurées par le dispositif. Pour ces dernières, le bénéfice de la surcote s’apparente à un effet d’aubaine.
-
[5]
Il convient de rappeler que la notion de taux plein a une signification légèrement différente dans la fonction publique, puisque la décote n’existait pas avant 2003 et reste faible dans les années qui suivent directement sa mise en place. La minoration du montant de pension liée à un départ avant le taux plein est ainsi plus faible dans le public, puisqu’elle ne provient essentiellement que de la proratisation selon la durée validée, que dans le régime général, où elle traduit une double pénalité à la fois du fait de la proratisation et du fait de la décote. Pour cette raison, on pourrait s’attendre en théorie à un comportement de recherche du taux plein moins marqué parmi les salariés du public que parmi ceux du privé.
-
[6]
Rappelons qu’on ne peut, pour les fonctionnaires, estimer pour l’instant que des effets de court terme. Or, dans les premières années qui ont suivi la réforme de 2003, la pénalisation liée à la décote reste très faible. Les résultats de Baraton et al. (2011) ne permettent donc pas d’exclure que la réforme de 2003 pourrait avoir un effet de modification des comportements, mais qui ne se manifesterait qu’à un peu plus long terme.
-
[7]
Des critiques sur les aspects empiriques ont été adressées, portant sur le fait que la distance au taux plein n’est estimée qu’indirectement à partir de l’âge de fin d’études déclaré. Il est donc difficile de savoir si la variable correspondante capte bien cette distance, ou si elle capte au contraire, en totalité ou en partie, un effet de l’âge d’entrée dans la vie active, ou encore d’autres variables inobservées mais corrélées à cet âge d’entrée. Par ailleurs, dans l’analyse réalisée par Hairault et al. sur les données individuelles françaises, la prise en compte de la distance au taux plein, même si elle s’avère statistiquement significative, n’annule pas l’existence d’un effet significatif de l’âge. En d’autres termes, même en tenant compte du fait que les personnes ont un horizon d’activité plus ou mois long, il reste une diminution observée de la probabilité d’être en emploi avec l’âge, indépendante des horizons d’activité individuels.
-
[8]
Ce raisonnement sur l’offre de travail est réalisé ici en considérant comme exogène la demande de travail, c’est-à-dire, en l’occurrence, la probabilité qu’un employeur propose un départ dans le cadre d’une préretraite maison. Cette probabilité est elle-même sensible au cadre réglementaire, notamment au niveau de taxation des préretraites.
-
[9]
Cela revient donc à faire l’hypothèse que les différences entre générations sont constantes d’une catégorie à l’autre de salariés, une fois contrôlées les éventuelles différences de composition des générations selon les variables prises en compte dans l’estimation (durée validée avant 54 ans et salaire, notamment). Si ce n’était pas le cas, les résultats pourraient être affectés d’un biais de variable omise.
-
[10]
L’âge est observé au 31 décembre de l’année civile au cours de laquelle est atteinte la durée requise pour le taux plein. Le décalage ne peut donc prendre que des valeurs entières (cf. encadré 2).
-
[11]
Après avoir cependant écarté au préalable les personnes sorties précocement (avant 54 ans) de l’emploi.
-
[12]
Ces valeurs des coefficients correspondent à l’estimation d’un modèle de probabilité linéaire, dont les résultats sont présentés dans les tableaux 2 et 3. Le choix de présenter ce modèle a été fait car il permet une interprétation plus immédiate des paramètres. Les coefficients pour les mêmes âges ressortent significatifs (et dans un sens cohérent) lorsqu’on utilise un modèle Logit (Aubert, 2009, pour la présentation des résultats du modèle Logit).
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[13]
L’échantillon utilisé contient 12 700 observations (8 500 pour les hommes et 4 200 pour les femmes). Pour la régression de la probabilité de cessation d’emploi, le nombre d’observations diminue par ailleurs avec l’âge : à 60 ans, par exemple, l’échantillon contient 5 100 observations d’hommes et 2 800 observations de femmes encore en emploi.
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[14]
Cf. également Bommier et al. (2001) pour une revue de la littérature internationale mettant en œuvre ce type d’approche.
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[15]
Ces autres déterminants recouvrent à la fois les incitations financières une fois purgées de l’impact du taux plein, les facteurs de demande de travail, et les facteurs jouant sur l’arbitrage individuel entre travail et loisir (état de santé, etc.).
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[16]
Cf. Aubert et al. (2010) pour une illustration plus précise de ces deux arguments.