CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Lorsque la coalition gouvernementale entre sociaux-démocrates et Verts sous l’égide de Gerhard Schröder, le chancelier allemand de l’époque, mit en chantier la réforme du marché de l’emploi, connue sous le sigle Hartz IV, au début de la première décennie des années 2000, elle ne se doutait guère des bouleversements qu’elle allait introduire dans la gestion du chômage et des chômeurs. Si la raison réelle de l’introduction de la réforme était l’incapacité du gouvernement de juguler la montée du chômage, ce qui risquait de lui coûter sa réélection en septembre 2003, le facteur déclenchant était le constat que l’Office fédéral du travail de Nuremberg, l’équivalent de l’ANPE en France, avait présenté des statistiques de placement considérées comme inexactes.

2Face aux critiques acerbes adressées à l’administration du travail, le gouvernement ne se contenta pas de remplacer le président à la tête de l’Office. Il a créé la commission Moderne Dienstleistungen am Arbeitsmarkt (prestations de services modernes sur le marché du travail) dont il a confié la direction à Peter Hartz, le DRH de Volkswagen de l’époque. Lui et les membres de sa commission étaient chargés de faire des propositions en vue de transformer les agences pour l’emploi en offreurs de services modernes à destination des chômeurs, des actifs et des entreprises. Les quatre lois Hartz auxquelles ont abouti les travaux de la commission avaient pour but l’amélioration de la politique de l’emploi de l’administration en vue d’accélérer le placement des chômeurs et de parvenir ainsi à un recul du nombre de chômeurs dans les statistiques.

3La quatrième loi sur les prestations de services modernes, plus communément appelée Hartz IV, d’après le nom de son concepteur, est entrée en vigueur le 1er janvier 2005. Elle est considérée comme la pièce maîtresse d’un dispositif destiné à activer la grande majorité des chômeurs et des « nécessiteux aptes au travail ». Sous le slogan Fördern und Fordern (Promouvoir et exiger), la réforme Hartz IV vise à insérer les chômeurs le plus rapidement possible dans le monde du travail au lieu de les maintenir dans la dépendance. C’est la première fois qu’une branche entière de l’État social traditionnel – l’assistance chômage financé par les impôts – a été complètement supprimée. La création de l’allocation de base pour les chercheurs d’emploi (Grundsicherung für Arbeitsuchende) marque pour les chômeurs de longue durée un éloignement du welfare state bismarckien.

4Aux prestations individuelles établies en fonction du salaire antérieur se substitue pour tous les chômeurs de longue durée de moins de 50 ans une allocation de base forfaitaire de niveau modeste qui prend en considération les besoins des personnes qui composent le ménage. S’y ajoute l’obligation pour tous les chômeurs aptes au travail de chercher un emploi. Baisse du niveau des allocations, contraintes accrues – rarement une réforme a essuyé autant de critiques que Hartz IV, accusée de précipiter les chômeurs de longue durée dans la misère.

5Si la réforme Hartz IV a fait l’objet de nombreuses critiques, rares sont les études qui se sont penchées sur les aspects relatifs au genre, peut-être parce que le souci de l’égalité des sexes a été souligné d’emblée au § 1 de la loi. De plus, les stratégies d’activation poursuivies dans le cadre de la réforme appliquent en principe la norme universelle actuellement en vigueur dans les États modernes concernant le « citoyen individuellement en charge de son emploi ». Ce principe d’égalité se heurte toutefois en Allemagne à un contexte institutionnel, social et culturel qui risque de rendre très difficile l’implémentation du principe de l’égalité des hommes et des femmes devant l’emploi.

6Après une présentation des modalités de la nouvelle loi, pour en saisir les enjeux, et une analyse de la population concernée, dont une majorité de femmes, cette contribution se penchera sur la question de l’impact de Hartz IV sur l’égalité entre les sexes. Dans quelle mesure tant la nouvelle réglementation que sa mise en pratique par les administrations en charge de son application réduisent-elles ou augmentent-t-elles les inégalités dans le contexte social, économique et culturel de l’Allemagne d’aujourd’hui ?

La réforme Hartz IV, une rupture totale avec le régime précédent

7Les concepteurs de la loi Hartz IV [1] avaient souhaité rectifier deux évolutions considérées comme contre-productives : premièrement, étant donné le nombre croissant de chômeurs au début des années 2000, les allocations coûtaient trop cher et, deuxièmement, le système – avec trois formes d’assistance, l’allocation chômage, l’assistance chômage et l’aide sociale, et deux administrations compétentes, une au niveau fédéral, les agences pour l’emploi, et une au niveau communal, l’aide sociale – était trop complexe et générateur de dysfonctionnements. Il convenait par conséquent de réduire le nombre et le montant des allocations et d’introduire un « guichet unique » pour les demandeurs d’emploi. Les dispositions de la loi Hartz IV sont nombreuses et complexes. Celles qui ont un impact sur la question de l’égalité sont essentiellement les modalités financières ainsi que l’incitation, voire l’obligation, du retour à l’emploi.

8• Fusion de l’assistance chômage et de l’aide sociale : avant l’entrée en vigueur de la loi Hartz IV, les chômeurs et les personnes inaptes au travail pouvaient bénéficier, selon le cas, d’un des trois revenus de substitution. Le premier, l’allocation chômage, était versé à tous les salariés ayant perdu leur emploi pendant une durée, variable selon l’âge et l’ancienneté, pouvant aller jusqu’à trente-six mois. Financée par l’assurance chômage, elle atteignait environ les deux tiers du salaire précédent. Depuis le 1er janvier 2005, la durée de perception de cette allocation a été ramenée à douze mois et baptisée allocation chômage I. Après épuisement des droits à l’allocation chômage, le demandeur d’emploi percevait l’assistance chômage. Financé par le contribuable au niveau fédéral, le niveau de ce revenu de substitution était également fonction du dernier salaire perçu et atteignait environ la moitié de celui-ci. L’aide sociale, quant à elle, était versée par les communes aux personnes sans ressources. D’un montant faible, elle était complétée par une aide au loyer, voire une prise en charge complète de son coût, ainsi que par diverses aides complémentaires. Pour les chômeurs de longue durée, ces deux derniers revenus de substitution ont été fusionnés dans le cadre de la réforme pour former l’allocation chômage II (Arbeitslosengeld II, AlG II, aussi appelée Hartz IV). Les bénéficiaires de cette nouvelle allocation dépendent, depuis le 1er janvier 2005, d’administrations gérées en commun par les agences pour l’emploi et les communes.

9• L’aptitude au travail : toutes les personnes aptes au travail, âgées de 15 à 64 ans et sans ressources, ont droit à l’allocation chômage II. La loi allemande définit l’aptitude au travail de façon restrictive : est considérée comme apte au travail dans l’esprit de la réforme toute personne capable d’exercer une activité professionnelle pendant au moins trois heures par jour, ce qui élargit le périmètre des personnes appelées à travailler pour subvenir à leurs besoins pour y inclure tant des handicapés que des mères de famille. Or le critère déterminant pour juger du droit aux prestations de l’allocation chômage II est, à côté de l’indigence, non pas le chômage, mais l’aptitude au travail.

10• Le montant de la prestation : le montant de l’allocation chômage II versée aux bénéficiaires est censé couvrir les besoins du minimum vital. Un montant précis est prévu pour chaque membre de la communauté de besoin (Bedarfsgemeinschaft). Depuis le 1er janvier 2012, les allocations sont les suivantes :

  • montant pour un adulte vivant seul ou avec enfant(s) : 359 euros ;
  • montant pour le partenaire adulte : 323 euros ;
  • montant pour un enfant de moins de 6 ans : 215 euros ;
  • montant pour un enfant de 6 à 13 ans : 251 euros ;
  • montant pour un adolescent de 14 à 18 ans : 287 euros.
À ces versements s’ajoutent le loyer et le chauffage également pris en charge par l’administration [2]. Contrairement à l’aide sociale à laquelle les bénéficiaires aptes au travail n’ont plus accès, l’allocation chômage II ne prévoit ni allocation spéciale pour les fêtes de Noël ni d’autres prestations uniques, telles que les contributions pour une bicyclette, un siège auto pour enfants ou le versement des frais de scolarité, compléments importants notamment pour les familles monoparentales. S’agissant désormais d’une prestation fédérale dont le niveau est fixé par le gouvernement, les communes ne sont plus en mesure de les moduler.

11• Prise en compte du revenu du conjoint ou du patrimoine du bénéficiaire et du conjoint : cette nouveauté de la réforme découle de l’introduction de la notion de Bedarfsgemeinschaft. Ce n’est plus la situation de la personne nécessiteuse qui est au centre, mais celle de l’ensemble de la communauté de besoin. Par conséquent, le versement de l’allocation chômage II est subordonné aux ressources de la communauté à laquelle appartient le bénéficiaire. La notion de communauté renvoie à celle de « ménage », étant entendu qu’elle n’implique pas nécessairement le mariage, mais qu’elle repose sur le principe du partage des ressources entre les différents membres de celle-ci, tant des adultes (salaires, allocations) que des enfants (allocations). Le revenu du conjoint ou du partenaire partageant le foyer est pris en considération, même éventuellement celui du conjoint après un divorce ou une séparation de corps. Les parents sont tenus de soutenir leurs enfants allocataires de moins de 25 ans tant que leur formation professionnelle n’est pas achevée, alors que les enfants ne sont pas redevables vis-à-vis de leurs parents qui touchent l’allocation chômage II. Si le bénéficiaire ou son conjoint détient un patrimoine, mobilier ou immobilier, il n’est pas considéré comme nécessiteux si celui-ci dépasse 3 500 euros ou 200 euros par année d’âge, une somme limitée à 9 750 euros, sauf pour les personnes nées avant 1948, dont le patrimoine susceptible d’être conservé peut atteindre 33 800 euros.

12• Compatibilité entre perception de l’allocation chômage II et activité professionnelle annexe : les bénéficiaires de l’allocation chômage II ont le droit d’exercer une activité annexe et de percevoir un revenu [3]. Mais l’allocation perçue est alors réduite en fonction du salaire brut, apuré des frais directement liés à l’exercice du travail, tels que les frais de déplacement. Les allocataires sont autorisés à conserver les premiers 100 euros de leur rémunération brute, ainsi que 20 % de la somme restante. Le détenteur d’un mini-job, la situation la plus courante des bénéficiaires de Hartz IV qui exercent une activité annexe leur rapportant 400 euros par mois, peut en conserver 160 euros. Le droit à percevoir l’allocation chômage II s’éteint avec une rémunération brute de 1 500 euros par mois.

13• Prise en charge des bénéficiaires de l’allocation chômage II : dans la plupart des cas, l’agence pour l’emploi et la municipalité collaborent pour une prise en charge conjointe des allocataires. Portant des noms divers, ces maisons de l’emploi, souvent appelées JobCenter, sont un lieu unique où les fonctionnaires des agences pour l’emploi et des municipalités– en charge de l’aide sociale– s’occupent ensemble de tous les aspects de réinsertion des allocataires ; les fonctionnaires des agences pour l’emploi se penchent plus particulièrement sur la recherche d’une activité professionnelle, alors que ceux des municipalités prennent en charge les problèmes afférents au logement, à la garde des enfants et à la santé (alcoolisme, drogues, etc.) des allocataires et de leurs familles.

14• Encouragement au retour à l’emploi : l’allocation chômage II concerne les chômeurs en fin de droits de l’allocation chômage I et les anciens bénéficiaires de l’aide sociale aptes au travail. Leur prise en charge par l’administration, gérée en commun par l’agence pour l’emploi et la municipalité, implique l’encouragement au retour à l’emploi. S’agissant de personnes souvent éloignées du marché du travail, leur insertion se fera surtout dans le cadre du deuxième marché de l’emploi. Néanmoins, les allocataires ne peuvent pas refuser un emploi, même s’il ne correspond ni à leur formation ni à leur rémunération antérieure. Tout travail est considéré comme acceptable (zumutbar) [4]. Les seules restrictions apportées sont les suivantes : l’emploi proposé doit correspondre aux capacités de l’allocataire et à son état de santé, et il ne doit pas « compliquer sa réinsertion dans les activités exercées jusqu’à présent ». L’éducation des enfants ne doit pas en souffrir, et l’activité professionnelle doit être conciliable avec les soins prodigués à un proche.

Qui sont les bénéficiaires de Hartz IV ?

15Le cadre de la réforme posé, il convient de s’interroger sur les bénéficiaires de l’allocation chômage II. L’Agence fédérale du travail de Nuremberg, qui est en charge de la gestion de l’allocation Hartz IV, définit les communautés de besoin, auxquelles ils sont tous rattachés comme un groupe solidaire de personnes qui comprend des allocataires aptes au travail et d’autres qui ne le sont pas. Les premiers perçoivent l’allocation chômage II, et les personnes inaptes au travail, notamment les enfants de moins de 15 ans, bénéficient de l’assistance sociale. Une communauté de besoin comprend au moins un bénéficiaire apte au travail ainsi que son/sa partenaire et des enfants, s’il y a lieu. Elle représente souvent une famille, mais ne se confond pas avec elle. Le mariage n’est pas un critère ; il suffit que deux personnes adultes, de sexe différent ou non, vivent ensemble depuis au moins un an ou ont un ou des enfants communs pour que le législateur les considère comme une communauté de besoin. Sa composition étant très variable, les allocations perçues diffèrent, puisqu’elles prennent en considération non seulement l’âge des ayants droit, mais aussi le revenu et le patrimoine de tous les membres de la communauté, y compris des enfants [5].

16L’allocation Hartz IV est versée à tous ceux qui, pour les raisons les plus diverses, tant professionnelles que privées, ne disposent pas d’un revenu suffisant pour vivre. Ils constituent un groupe extrêmement hétérogène, comprenant des personnes qui, pour des raisons personnelles ou professionnelles, sont très éloignées du marché de l’emploi, mais aussi des actifs, à temps partiel ou à temps complet, qui perçoivent un complément en raison de la faiblesse de leur rémunération. Le secteur des bas salaires est très étendu en Allemagne, un des rares pays européens qui ne connaît pas de SMIC.

17Les données relatives à l’allocation chômage II et ses bénéficiaires sont collectées et publiées régulièrement par l’Agence fédérale du travail (Bundesagentur für Arbeit, 2012). Conformément à la typologie introduite par la réforme Hartz IV, ce recueil mensuel de statistiques d’une soixantaine de pages propose une analyse des communautés de besoin et des personnes qui la composent, ainsi que des bénéficiaires aptes au travail et de ceux qui ne le sont pas. S’y ajoute la présentation du taux de dépendance des bénéficiaires et des communautés et celle des prestations financières. La différenciation hommes-femmes est opérée très rarement, l’accent étant mis sur les communautés de besoin. Le seul aspect relatif au genre évoqué est l’analyse des familles monoparentales bénéficiaires de Hartz IV. Même dans ce cas, les familles monoparentales sont présentées comme telles, sans la précision qu’elles sont très majoritairement constituées d’une femme avec un ou plusieurs enfants.

18Cela dit, les quelques rares statistiques qui différencient entre hommes et femmes permettent de donner quelques premières indications sur la présence des femmes dans le système Hartz IV. D’après les chiffres de l’Agence fédérale du travail, le nombre de bénéficiaires au mois de janvier 2012 était de 6 155 000 vivant dans 3 325 000 communautés de besoin, ce qui correspond à une moyenne de 1,9 personne par communauté. Parmi les bénéficiaires, 72 % étaient considérés comme aptes au travail, les autres 28 % non, en majorité des enfants de moins de 15 ans. Les communautés se décomposaient en 53 % de ménages à une personne, 19 % de familles monoparentales, 11 % de couples sans enfants et 14 % de couples avec enfants. 70 % des bénéficiaires vivaient dans une communauté comprenant plus d’une personne.

19Parmi les bénéficiaires jugés aptes au travail, il y avait 51 % de femmes et 49 % d’hommes. 42 % étaient inscrits au chômage, 20 % percevaient en même temps un revenu du travail et 2 % complétaient leur allocation chômage I par un supplément sous Hartz IV. Les femmes dépendent un peu plus de ce revenu de substitution que les hommes ; leur taux de dépendance des prestations sociales s’élevait en effet à 8,7 % en septembre 2011, alors que celui des hommes était de 8,0 % [6]. La différence est aussi perceptible quand on considère les chiffres du chômage des allocataires aptes au travail : en septembre 2011, 46 % des hommes, mais seulement 39 % des femmes y sont inscrites. La différence résulte du fait que les femmes chargées d’enfants en bas âge sont dispensées de recherche d’emploi. C’est ce qui ressort également du tableau ci-dessous qui détaille les activités quotidiennes des bénéficiaires de l’allocation Hartz IV.

Tableau 1

Activités quotidiennes des bénéficiaires de l’allocation Hartz IV (en %)

Tableau 1
Femmes Hommes Total Formation 10,5 9,9 10,2 Activité professionnelle 30,8 27,6 29,3 Mesure d’insertion 9 11,2 10,1 Prise en charge d’autres personnes 8,9 4,7 6,9 Prise en charge d’enfant(s) 46 10,4 28,8

Activités quotidiennes des bénéficiaires de l’allocation Hartz IV (en %)

SOURCES • Institut für Arbeitsmarkt- und Berufsforschung (IAB), 15/2010.

20Si le pourcentage de femmes et d’hommes ne se distingue guère concernant leur implication dans la formation et leur participation à des mesures de qualification ou d’insertion, la différence est très nette concernant les activités extraprofessionnelles. Presque la moitié des femmes sont en effet chargées d’enfants dont elles s’occupent au quotidien, auxquelles il convient d’ajouter presque 9 % qui prennent régulièrement en charge un autre membre de la famille, alors que, parmi les hommes, seuls 15 % sont engagés dans des activités de soin. Ce qui peut étonner, c’est qu’elles sont plus nombreuses que les hommes à travailler à côté, mais le type d’emploi tenu varie de façon importante, comme le montre le tableau ci-dessous, un des rares aspects détaillés par l’Agence fédérale du travail selon le critère du sexe.

Tableau 2

Bénéficiaires de Hartz IV selon le sexe et le type d’emploi tenu

Tableau 2
Total Femmes (en %) Hommes (en %) Bénéficiaires détenant un emploi 1 368 304 54 46 Mini-job 680 878 56 44 Travail à temps partiel assujetti aux assurances sociales 241 273 71 29 Travail à temps plein assujetti aux assurances sociales 328 599 41 59 Indépendants 127 603 39 61

Bénéficiaires de Hartz IV selon le sexe et le type d’emploi tenu

SOURCES • Bundesagentur für Arbeit, 2012.

21Ce tableau est intéressant parce qu’il esquisse la place des femmes dans le dispositif Hartz IV. Si 1,36 million de bénéficiaires de Hartz IV détiennent un emploi au début de l’année 2012, plus de la moitié, 54 %, sont des femmes, ce qui peut paraître surprenant en raison des charges familiales qui pèsent sur bon nombre d’entre elles. À regarder de près, on constate toutefois que la moitié des bénéficiaires, les femmes plus que les hommes, n’effectuent qu’un mini-job, c’est-à-dire un emploi à temps très partiel et à faible rémunération [7]. La variante du travail à temps partiel assujetti aux assurances sociales est encore plus un domaine féminin car, sur les 241 000 travailleurs à temps partiel, 71 % sont des femmes. Un rapide calcul [8] du nombre de femmes travaillant à temps partiel, soit sous la forme d’un mini-job, soit sous sa forme plus sécurisée, montre que les trois quarts des femmes qui travaillent tout en percevant l’allocation Hartz IV détiennent un emploi à temps partiel. Le tableau ne serait pas complet sans évoquer les 41 %, soit environ 134 000 femmes, qui travaillent à temps plein tout en percevant des allocations, ce qui les classe dans le secteur des bas salaires.

22Pour terminer l’analyse de la place des femmes dans le dispositif Hartz IV, il est nécessaire de revenir sur les familles monoparentales dont l’importance numérique est considérable car, sur les 4 649 248 communautés de besoin recensées en juin 2011, 796 691 ont été classées dans la catégorie famille monoparentale, dont 29,1 % des chefs de famille, soit 232 206, détiennent un emploi. Le tableau ci-dessous donne des détails sur la nature des emplois tenus et le temps de travail effectué.

Tableau 3

Familles monoparentales dont le chef de famille détient un emploi, selon la nature de l’emploi et le temps de travail (juin 2011)

Tableau 3
Total En % de l’ensemble des familles monoparentales bénéficiaires de Hartz IV Bénéficiaires Hartz IV dans famille monoparentale détenant un emploi : 232 206 29,1 – dont avec un enfant 150 147 – dont avec deux enfants 64 786 Bénéficiaires salariés 219 991 27,6 Travail à temps plein assujetti aux assurances sociales 45 119 5,7 Travail à temps partiel : 174 872 21.9 – dont assujetti aux assurances sociales 56 622 7,1 – dont mini-job 118 250 14,8 Bénéficiaires indépendants 13 909 1,7

Familles monoparentales dont le chef de famille détient un emploi, selon la nature de l’emploi et le temps de travail (juin 2011)

SOURCES • Bundesagentur für Arbeit, 2012.

23Le tableau ci-dessus complète le tableau 2 en soulignant l’importance du travail à temps partiel pour les familles monoparentales, presque exclusivement des mères seules chargées d’enfants. Sur environ 800 000 familles dans ce cas, presque 30 % des personnes en charge travaillent à côté, presque toutes en tant que salariées ; les trois quarts d’entre elles détiennent un emploi à temps partiel, majoritairement un mini-job. 70 % des familles monoparentales dépendent uniquement du versement de l’allocation Hartz IV, ce qui souligne le taux élevé de dépendance des prestations sociales de cette constellation familiale.

24Si, en 2011, 10,5 % de toutes les familles et types de communauté dans des ménages privés, selon la typologie de la loi Hartz IV, ont bénéficié de prestations dans le cadre de l’allocation chômage II, le taux de dépendance des familles monoparentales est nettement plus élevé. Il est globalement de 39,9 %. Le nombre d’enfants présents au foyer joue un rôle considérable. Avec un enfant, ce sont 35,6 % des familles monoparentales qui dépendent de Hartz IV. Avec deux enfants, ce taux monte à 44,8 %, pour atteindre 66,1 % avec trois enfants (Bundesagentur für Arbeit, 2012).

L’impact de la réforme Hartz IV en termes d’égalité entre hommes et femmes

25Le monde du travail en Allemagne a pendant longtemps été marqué par le modèle du male bread winner, une répartition des tâches professionnelles et familiales où le partenaire masculin assure les moyens d’existence par son activité professionnelle à l’extérieur alors que les femmes assurent le travail ménager au sein des familles [9]. Cette répartition est cimentée, encore aujourd’hui, par un système fiscal favorisant les couples dont les revenus accusent des écarts importants. Ce modèle traditionnel s’est toutefois modernisé, notamment sous l’impact de la participation croissante des femmes au marché de l’emploi [10], même si c’est encore trop souvent dans des activités professionnelles discontinues ou précaires. Si l’intégration des femmes dans le monde du travail peut être considérée comme la pierre angulaire de toute politique visant à établir l’égalité entre hommes et femmes, il ne faut pas oublier les nécessités économiques. Étant donné la fragilité croissante des partenariats, que ce soit au sein du mariage ou non, la contrainte de l’indépendance financière s’impose tant aux femmes qu’aux hommes.

26C’est pourquoi on peut s’étonner du fait que le législateur ait pu faire voter des lois fondamentales, telles que Hartz IV, sans qu’une étude préalable ait été conduite pour examiner ses différentes conséquences sur les hommes et les femmes. C’est particulièrement surprenant dans le cas d’une loi qui a réformé en profondeur le marché du travail, car les différences en matière de formation, d’emploi et de carrière sont encore considérables. Cela dit, la définition des objectifs de la loi Hartz IV (§1, Sozialgesetzbuch [SGB] II) comprend également le principe de l’égalité : « L’égalité des hommes et des femmes est à poursuivre en tant que principe général. Les prestations de l’allocation de base sont à concevoir de telle sorte […] que les préjudices relatifs aux spécificités de genre soient contrebalancés » (§1, SGB II). L’intention du législateur était de formuler les nouvelles règles de telle sorte qu’elles s’appliquent indifféremment aux femmes comme aux hommes [11], un procédé considéré comme apte à battre en brèche le modèle traditionnel de répartition des tâches. Le principe du gender mainstreaming, dont l’intégration au texte n’avait pas été prévue au départ, a finalement été intégré à la première et la dernière page de la loi, sans que le texte lui-même ait été changé.

27Si, en dépit de cet affichage, les critiques ont été vives, c’est que la loi postule l’égalité, sans toutefois prendre en considération le contexte socio-économique global qui défavorise les femmes. Ainsi ont été mis en exergue certains règlements, notamment la constitution des communautés de besoin, les notions de Fördern und Fordern ainsi que les dispositions financières, tous des domaines où, selon les détracteurs de la réforme, l’égalité de principe ne conduit pas à l’égalité de fait. Au-delà des règlements ont été incriminées les modalités pratiques et l’application du dispositif par les administrations en charge de la gestion, c’est-à-dire les agences pour l’emploi et les communes.

Les communautés de besoin : les implications d’un changement de référentiel

28La réforme Hartz IV introduit de nombreuses ruptures par rapport au système précédent. Une de celles dont les conséquences sur la situation des femmes n’ont pas été clairement perçues au départ est la substitution de la notion de communauté de besoin à celle de chômeur. Les dispositions du Code social II dessinent en effet une image neutre en termes d’égalité. Ainsi, le chef de famille auquel incombe la responsabilité de prendre en charge les membres de la famille n’est pas désigné sous un vocable sexué. De même ne peuvent se soustraire à l’obligation d’accepter un emploi que les chômeurs en charge d’enfants de moins de 3 ans ou de personnes dépendantes, sans qu’il soit précisé qu’il s’agisse de la mère ou du père. Toutefois, par le biais de la notion de communauté de besoin, on constate un retour à une vision plus traditionnelle de la famille, notamment par la prise en considération des revenus du partenaire pour déterminer le niveau de l’allocation du bénéficiaire de Hartz IV. Si une femme au chômage depuis plus d’un an a un partenaire aux revenus considérés comme suffisants, elle perd le bénéfice de son allocation, alors que, sous le régime précédent, elle percevait l’assistance chômage, d’un niveau souvent plus intéressant (voir ci-dessus). La conséquence de cette règle est le rétablissement d’une certaine dépendance des femmes par rapport au partenaire, telle qu’elle a existé pendant longtemps. Il est vrai que la même règle s’applique aux hommes mais, en raison des grandes disparités qui continuent à exister dans la situation professionnelle des hommes et des femmes, cette disposition frappe très majoritairement les femmes.

Les droits et les devoirs

29La philosophie qui sous-tend la réforme telle qu’elle s’exprime dans le slogan « Promouvoir et exiger » suggère une égalité des droits et des devoirs. Les droits ne s’expriment pas seulement dans le versement des allocations aux bénéficiaires, dont le périmètre s’est considérablement accru lors de l’introduction de la réforme, mais aussi dans l’accès à une série de prestations de services conformément à l’intitulé de la loi. Or, les « prestations modernes » ont subi un sérieux coup de rabot lors de la réforme. La plupart des mesures visant à favoriser l’intégration des chômeurs dans le marché de l’emploi ne relèvent pas de droits opposables ; elles sont désormais laissées à l’appréciation des administrations du travail. Le seul droit qui existe porte sur des prestations relatives au placement, alors que celles ayant trait à la « promotion » du chômeur, telles que la formation, ne relèvent que de prestations discrétionnaires. Ce que l’administration en charge de Hartz IV doit obligatoirement proposer à tout chômeur apte au travail, c’est un contrat d’insertion, qui prévoit tant les mesures envisagées que les efforts faits par le chômeur (§15, SGB II). Les prestations complémentaires susceptibles de favoriser la reprise d’un emploi, comme la recherche d’une solution pour la garde d’enfant, relèvent également de l’appréciation de l’administration. Comparé au droit de l’ancienne assistance sociale, il s’agit d’une régression ; les familles monoparentales ont perdu leur priorité dans l’attribution d’une place dans un centre d’accueil de la petite enfance.

30Les devoirs se résument à l’obligation pour tous, les femmes comme les hommes, de subvenir à leurs propres besoins et de faire tout pour parvenir à l’autonomie financière. Il n’existe qu’une seule exception à cette obligation, la présence d’enfants de moins de 3 ans ou de personnes dépendantes au sein de la famille, dont les soins ne peuvent être assurés autrement. Pour les enfants de plus de 3 ans, le législateur part du principe que l’accueil est assuré, en raison du droit opposable à une place en école maternelle pour une demi-journée [12]. L’obligation de prendre un emploi, aggravée par les règles d’acceptabilité durcies dans le cadre de la réforme, est sélective dans la mesure où elle en dispense certaines personnes, très majoritairement des femmes. Si cette exception à la règle générale d’une disponibilité totale pour le marché de l’emploi convient certes aux mères seules en charge d’enfants en bas âge, elle constitue une disposition contestable en termes d’égalité.

31En revanche, ce qui montre que les signaux émis en matière d’égalité sont contradictoires, la règle veut que les partenaires aptes au travail des allocataires soient associés à l’obligation de chercher un emploi, peu importe leur degré d’employabilité. La loi exige qu’ils mettent leur force de travail pleinement, c’est-à-dire à temps plein, à disposition du marché de l’emploi pour contribuer à la réduction de la dépendance. Cette mesure contraignante va dans le sens d’une obligation de travail universelle, mais les moyens mis en œuvre pour faciliter l’intégration des femmes dans le marché de l’emploi ne suivent pas. Alors que les dispositions relatives aux assurances chômage I (SGB III) imposent un taux de promotion des chômeuses pour faciliter leur intégration dans le marché de l’emploi, la formulation ambiguë de cette obligation dans Hartz IV (SGB II) [13] conduit à une sous-représentation des femmes dans les dispositifs d’insertion.

32Une enquête portant sur 25 000 bénéficiaires aptes au travail conduite en 2007 (Betzelt, 2008) a montré que les signaux contradictoires émis par les règlements de Hartz IV ont souvent conduit à une pratique d’activation des chômeurs qui s’appuyait sur une interprétation traditionnelle des rôles des hommes et des femmes. Ainsi, les hommes accèdent en moyenne plus facilement à des entretiens que les femmes (1,84 contre 1,56 entretien en six mois) et concluent plus souvent des accords d’insertion (49,0 contre 41,9) sur lesquels ils portent un regard plus positif que les femmes. Ils sont sanctionnés plus souvent que les femmes au moyen d’une diminution de leur allocation (14,3 % contre 10,3 %). La différence de traitement est particulièrement nette en ce qui concerne les pères et mères d’enfants en bas âge. Les pères chargés d’enfants de moins de 3 ans sont plus souvent convoqués en entretien que les mères (73,6 % contre 58 %), concluent beaucoup plus souvent des accords d’insertion (46,4 % contre 26,9 %) et sont frappés, certes rarement, par presque deux fois plus de sanctions que les mères (1,9 % contre 1,1 %). Ce déséquilibre est également en faveur des pères en charge d’une famille monoparentale, alors que les mères, quoique nettement plus nombreuses, sont moins soutenues par les JobCenter en charge de leur intégration dans le marché du travail.

Les dispositions financières

33Les allocations versées aux chômeurs de longue durée, très codifiées, n’opèrent aucune distinction entre les bénéficiaires hommes ou femmes. Les versements étant destinés aux communautés de besoin, ils tiennent seulement compte du premier et du deuxième adulte ainsi que des enfants présents par ordre d’âge. De même pour les versements complémentaires qui couvrent les besoins de la communauté en termes de loyer et de chauffage. Si le système est néanmoins défavorable aux femmes, il l’est de façon indirecte, par le biais des familles monoparentales. L’aide sociale en vigueur avant l’introduction de l’allocation chômage II accordait, en plus de l’allocation mensuelle, des versements uniques, destinés à couvrir des besoins ponctuels, notamment dans le domaine de l’équipement des enfants. L’allocation chômage II, censée couvrir l’ensemble des besoins de la communauté, les a tous supprimés.

34À la suite d’un verdict très remarqué de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe en 2010, les dispositions financières prévues dans le cadre de l’allocation chômage II ont été partiellement invalidées. Selon le verdict de la Cour, le gouvernement était parfaitement en droit de créer une allocation à taux fixe, dont le montant en soi n’était pas considéré comme « manifestement insuffisant », mais le calcul devait être revu dans un procédé transparent et conforme aux réalités, selon les besoins concrets, notamment en ce qui concerne les enfants. Le mode de calcul appliqué par le gouvernement était en effet basé sur l’allocation versée à un adulte [14] et ne prenait pas en considération les besoins spécifiques des enfants, tels que le changement plus fréquent des vêtements et des chaussures, les activités scolaires et culturelles ou les produits d’hygiène nécessaires aux bébés. La Cour constitutionnelle a invité le gouvernement à établir un calcul transparent en tenant compte des vrais besoins des enfants. Elle est également revenue sur la suppression des versements complémentaires, jugeant que cette disposition était contraire au droit fondamental à une existence digne.

35Une semaine après l’annonce du verdict, le gouvernement a fait un premier pas vers une transformation du système dans le sens souhaité par Karlsruhe, en établissant un catalogue de cas qui permettraient à un bénéficiaire de Hartz IV de faire valoir des besoins supplémentaires. Cette réforme des dispositions financières de l’allocation chômage II a rectifié des distorsions qui pesaient surtout sur les familles monoparentales, mais d’autres problèmes persistent sur le plan financier, notamment les règles d’imputation qui diminuent l’allocation chômage si le ou les enfants bénéficient eux-mêmes de revenus (Steffen, 2009). De plus, leur situation spécifique n’est pas suffisamment prise en compte par les administrations en charge de leur insertion sur le marché de l’emploi.

La gestion par les administrations locales

36Contrairement à la gestion des chômeurs de courte durée, moins d’un an, qui incombe aux agences pour l’emploi, celle dédiée aux bénéficiaires de Hartz IV ne prévoyait pas obligatoirement la présence d’une chargée de mission pour l’égalité des chances sur le marché du travail. Pour cette raison, les administrations locales traitaient cette question de façon très variable. Certaines avaient une responsable, d’autres non ; d’autres encore avaient transféré cette mission à la responsable en charge dans d’autres structures, soit au niveau de l’agence pour l’emploi, soit à celui des communes. Cette situation a changé ; depuis le 1er janvier 2011, toutes les administrations en charge de la gestion de Hartz IV doivent obligatoirement disposer d’un(e) chargé(e) de mission pour l’égalité des chances. Le délai est trop court pour évaluer les modifications induites par ce changement. Les derniers chiffres disponibles sur le taux d’insertion des femmes datent de 2011 et n’indiquent pour l’instant aucun changement. Il est vrai que les questions d’égalité ne sont pas considérées comme des priorités par la plupart des administrations (Jaehrling, 2007).

37Cette priorisation insuffisante des besoins spécifiques des femmes, surtout de celles chargées de famille, est particulièrement visible dans l’absence de réponses adéquates pour leurs problèmes de garde d’enfants. Alors que le § 1 de la loi exige la prise en considération de la situation personnelle des bénéficiaires en prônant l’élimination d’obstacles à la reprise d’un emploi, notamment des problèmes de garde d’enfants, les JobCenter locaux ne s’y attellent que difficilement. Au point que rares étaient celles parmi les personnes questionnées dans l’étude mentionnée ci-dessus (Betzelt, 2008) qui en discutaient avec le responsable du JobCenter, alors que presque la moitié des parents ayant la charge d’enfants de moins de 15 ans avaient des problèmes de garde. Les agences pour l’emploi ne sont guère en mesure de proposer des places d’accueil pour les enfants. Les deux tiers d’entre elles envoient les parents aux responsables en charge de cette question auprès des communes, tout en reconnaissant qu’elles n’entretiennent pas de relations suivies avec ces dernières.

38L’accord sur les objectifs de l’allocation chômage II entre le ministère fédéral du Travail et l’Agence fédérale du travail de 2011 (Bundesministerium für Arbeit, 2010) tente d’apporter des réponses à certaines insuffisances constatées dans la gestion des bénéficiaires par les JobCenter. Si les objectifs restent les mêmes– réduire la dépendance des versements de l’État, améliorer l’intégration des chômeurs dans le marché de l’emploi et éviter la perception des allocations sur la durée –, l’accent est davantage mis sur la satisfaction des « clients », comme on les appelle de façon croissante dans les JobCenter. La satisfaction des clients de leurs prestations fait désormais partie des critères d’efficacité dont ils devront tenir compte. Si la situation des femmes en tant que telles n’est pas évoquée, celle des familles monoparentales est en revanche mise en exergue : « Les partenaires de l’accord accordent une attention particulière à la prise en charge et au placement d’allocataires aptes à l’emploi dans les familles monoparentales. Les bénéficiaires monoparentaux sont représentés de façon plus que proportionnelle dans l’allocation chômage II et ils y demeurent plus longtemps que la moyenne. Pourtant, ils ne présentent pas de désavantages particuliers dans le domaine de la qualification. C’est pourquoi il convient de prendre davantage en considération dans le cadre du SGB II les besoins de soutien spécifiques des allocataires monoparentaux, d’améliorer les conditions de conciliation entre la famille et la profession et de promouvoir davantage les familles monoparentales par une activation, un placement et une activité professionnelle ciblés. » Conformément à la prise de position initiale, le gouvernement professe son souci de l’égalité, mais il reconnaît explicitement les difficultés spécifiques des allocataires seul(e)s chargé(e)s d’enfants, sans toutefois reconnaître qu’il s’agit d’un problème presque exclusivement féminin.

39Le rapport du gouvernement sur la pauvreté et la richesse (Bundesministerium für Arbeit, 2008) a souligné que les foyers monoparentaux présentent, avec 36 %, un risque de pauvreté deux fois plus élevé que la moyenne des ménages avec enfants. Ils constituent 18 % des foyers comportant des enfants mineurs et un peu plus de la moitié des familles allocataires de Hartz IV, une proportion en augmentation lente mais constante depuis 2005. La présence massive des familles monoparentales parmi les bénéficiaires de l’allocation chômage II est par conséquent largement due à l’absence de structures d’accueil [15], une faille dont le gouvernement allemand actuel commence à prendre conscience et qu’une politique familiale plus volontariste pourrait peu à peu combler.

Conclusion

40Le Code social II (SGB II), entré en vigueur le 1er janvier 2005, n’avait pas pour objet de rétablir l’égalité des chances mise à mal par la réglementation antérieure. Destiné à combattre le niveau d’un chômage jugé inacceptable par le gouvernement Schröder de l’époque, il visait essentiellement à raccourcir les délais de placement et à soulager les finances des caisses publiques en fusionnant l’assistance chômage et l’aide publique. Si l’objectif de baisse du chômage a été atteint au-delà de toute attente [16], son bilan en termes d’égalité est plus mitigé. Sa conception initiale s’inscrivait encore dans une vision traditionnelle de la répartition des tâches au sein de la famille. Ce n’est que sous l’impulsion de la critique de groupes féministes pendant l’élaboration de la réforme que les termes « hommes » et « femmes » furent systématiquement transformés en expressions neutres, comme, par exemple, « bénéficiaires ». Le gender mainstreaming n’a toutefois pas présidé à son élaboration.

41Si le gender mainstreaming consiste en la réorganisation, l’amélioration, le développement et l’évaluation de processus décisionnels dans tous les domaines politiques et sphères de travail d’une organisation avec l’objectif d’inclure dans tous les processus décisionnels les perspectives des relations de genre et d’utiliser tous les processus de décision pour établir l’égalité pour les hommes et les femmes, alors la réforme Hartz IV semble s’être arrêtée à mi-chemin. La formulation de la loi a en effet été rendue neutre, mais les mesures restent ambivalentes. Le législateur exprime sa volonté de traiter les membres de la communauté de besoin sans considération de la personne, mais la construction de la réforme conduit à maintenir l’image de la famille traditionnelle.

42Cette dichotomie tient au fait que l’égalité postulée se heurte à une culture et à une réalité sociale qui la respectent mal. On peut décréter l’obligation pour toute personne chargée d’un enfant de plus de 3 ans de prendre un emploi, arguant du droit opposable à une place en jardin d’enfants, mais si les structures d’accueil sur place n’existent pas, et si l’administration locale n’est pas en mesure d’apporter une réponse, le chômeur, en général une femme, n’est pas en mesure de se conformer à la loi. Et, si elle le faisait, elle s’exposerait à l’opprobre de la société qui estime encore largement que la place d’une femme est auprès de son enfant. Pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait, beaucoup d’efforts sont encore nécessaires, de la part des femmes elles-mêmes comme de celle des pouvoirs publics. Le récent accord entre le ministère du Travail et l’Agence fédérale du travail est un pas dans la bonne direction, encore faut-il qu’il soit suivi d’effets sur le terrain.

Notes

  • [*]
    Brigitte Lestrade, professeure à l’université de Cergy-Pontoise.
  • [1]
    Les modalités de la quatrième loi pour des services modernes sur le marché de l’emploi (Viertes Gesetz für moderne Dienstleistungen am Arbeitsmarkt) sont précisées dans le Code social II (Sozialgesetzbuch II, SGB II).
  • [2]
    Le loyer des bénéficiaires de Hartz IV est pris en charge par l’administration jusqu’à un certain plafond, différent selon les villes. À Munich, ville aux loyers très élevés, il peut dépasser les 800 euros par mois. Les surfaces habitables du logement sont également limitées : ainsi, une famille composée de quatre personnes peut habiter un logement d’une taille maximale de 90 m2.
  • [3]
    L’activité professionnelle annexe des bénéficiaires de l’allocation Hartz IV est encouragée par les agences pour l’emploi, car les revenus perçus diminuent les dépenses de l’État ; de plus, l’activité exercée contribue au maintien des compétences professionnelles des chômeurs. Dans ce cas, le revenu du travail constitue un complément. Toutefois, le cas inverse est également très répandu : l’allocation Hartz IV peut constituer un complément pour les personnes dont le revenu du travail est insuffisant, notamment pour celles qui travaillent, souvent à temps complet, dans le secteur des bas salaires, l’Allemagne ne disposant pas pour l’instant d’un salaire minimum national.
  • [4]
    Dans la jurisprudence ont été considérés comme acceptables des emplois dont la rémunération est de 30 % au-dessous du tarif en vigueur ou qui ne couvre pas le minimum vital, c’est-à-dire quand le revenu y afférent est au-dessous du montant de l’aide sociale ou quand il n’est pas assujetti aux assurances sociales. C’est par exemple le cas quand le JobCenter demande que soit effectué un travail dans le domaine public ou social contre le versement du revenu de substitution. Ces fameux jobs à un euro sont des activités ne faisant théoriquement pas concurrence au premier marché du travail, rémunérées à environ 1 euro de l’heure en plus de l’allocation chômage II. Si le chômeur refuse l’emploi à 1 euro proposé par le JobCenter, il risque une réduction de son allocation de 30 % pendant trois mois, s’il refuse de façon répétée, de 60 %. En revanche, tous les bénéficiaires sont automatiquement intégrés aux assurances sociales, dont les cotisations sont versées par les nouveaux JobCenter.
  • [5]
    L’allocation familiale dont bénéficient les enfants est, dans certaines conditions, imputée à Hartz IV et contribue ainsi à diminuer le revenu de substitution.
  • [6]
    Le taux de dépendance est en recul, tant pour les femmes que pour les hommes, depuis 2009, où il était de 9,4 % et 8,8 % respectivement.
  • [7]
    D’après les dispositions de la dernière réforme des mini-jobs dans le cadre des réformes Hartz, un mini-job correspond à un emploi rémunéré au maximum à 400 euros, somme non imposable pour le salarié et n’impliquant ni versement de cotisations sociales pour celui-ci ni droits y afférents. L’employeur, quant à lui, verse 25 % de charges. La limitation à un maximum de quinze heures par semaine a été supprimée. Ce type d’emploi continue à être un petit complément soit à l’allocation Hartz IV, soit au salaire perçu par le partenaire.
  • [8]
    En se basant sur les chiffres et les pourcentages avancés par l’Agence fédérale du travail, on trouve un total de 552 593 travailleuses à temps partiel (381 291 femmes qui détiennent un mini-job, 171 302 qui travaillent à temps partiel dans le cadre d’un contrat sécurisé). Par rapport à un total de 738 884 femmes qui cumulent emploi et allocation, on arrive à 74,7 %.
  • [9]
    L’Allemagne a été très tardive en matière d’égalité des femmes dans le domaine du travail. Quelques dates historiques importantes :
    • en dépit du principe d’égalité voté en 1949, ce n’est qu’en 1950 qu’a été supprimée la clause dite de célibat dans la loi portant sur les fonctionnaires qui autorisait le licenciement de femmes fonctionnaires et juges si celles-ci étaient considérées comme prises en charge par leurs époux ;
    • en 1957 le pouvoir de prise de décision concernant les affaires maritales réservé aux hommes fut supprimé, mais le droit des épouses à exercer une activité professionnelle continuait à être subordonné à la condition que celle-ci soit compatible avec ses obligations d’épouse et de mère ;
    • la loi de 1976-1977 réformant le droit du mariage et des familles dans le sens d’un principe de partenariat a ouvert la possibilité aux deux époux de décider librement s’ils souhaitaient exercer une activité professionnelle à côté des activités domestiques. Depuis cette date, ils sont à égalité de droit.
  • [10]
    En 2010, le taux d’activité des femmes allemandes était de 66,1 %, de 7,9 % au-dessus de la moyenne européenne.
  • [11]
    Rappelons néanmoins que le projet initial de la commission Hartz prévoyait encore un placement préférentiel du chef de famille masculin (Familienernährer) par les agences pour l’emploi. Devant les critiques des féministes, le terme de Familienernährer a été remplacé par « personnes qui portent une responsabilité particulière pour des personnes dépendantes nécessitant des soins ou pour des membres de la famille ».
  • [12]
    Le Code social II précise dans son § 10, alinéa 2 : « Le bénéficiaire apte au travail doit accepter tout travail à moins que […] l’exercice du travail mette en péril l’éducation de son enfant ou de l’enfant du partenaire ; l’éducation d’un enfant ayant accompli sa troisième année n’est en règle générale pas mise en péril, dans la mesure où son accueil dans un centre d’accueil de jour […] est assuré. »
  • [13]
    Le § 1, alinéa 2, n° 4, du SGB III précise : « Les prestations de la promotion de l’emploi devront améliorer en particulier […] 4. la situation professionnelle des femmes en agissant sur l’élimination de désavantages existants et sur le dépassement d’un marché de la formation et du travail marqué par des spécificités sexuelles et en faisant en sorte que les femmes soient promues au moins proportionnellement à leur taux parmi les chômeurs et leur présence relative dans le chômage. » Le SGB II ne reprend pas cette formulation ; le § 16, alinéa 1, n° 4, se contente de mentionner : le § 1, alinéa 2, n° 4, du SGB III est à « appliquer de façon analogue ».
  • [14]
    Ainsi, pour un enfant de moins de 6 ans, l’allocation était de 60 %, entre 6 ans et moins de 14 ans de 70 % et pour ceux entre 14 et 18 ans de 80 % de celle d’un adulte.
  • [15]
    Les agences pour l’emploi en charge des chômeurs de longue durée bénéficiaires de Hartz IV ne proposent pratiquement jamais de possibilités de prise en charge des enfants, comme nous l’avons vu, alors que manquent non seulement des structures d’accueil pour la petite enfance, mais aussi celles prenant en charge les enfants d’âge scolaire l’après-midi, après la fermeture des établissements scolaires. Les trois quarts des enfants d’âge scolaire n’ont cours que le matin, ce qui oblige leurs mères à se contenter d’un emploi à temps partiel.
  • [16]
    De 5,3 millions au printemps de 2005, le nombre de chômeurs a reculé à 2,9 millions fin 2008, pour ne remonter qu’à 3,4 millions au printemps 2010, en dépit des turbulences créées par la crise économique et financière sur le marché de l’emploi. Au début de l’année 2012, il est tombé à 2,8 millions, un chiffre bas que l’Allemagne n’a pas connu depuis vingt ans.
Français

Résumé

La réforme de l’assurance chômage introduite en Allemagne en 2003 était essentiellement destinée à combattre le chômage, qui avait atteint un niveau tel qu’il menaçait la réélection du gouvernement de Gerhard Schröder. L’objectif essentiel de la réforme Hartz IV étant la lutte contre le chômage, la question de l’égalité hommes-femmes ne s’était pas posée aux concepteurs de la loi. Ce n’est que sous la pression de certains groupes de la société civile que le principe de l’égalité fut inscrit au premier paragraphe de la loi. De plus, les dispositions qu’elle contient ont été formulées de telle sorte qu’aucune mesure ne porte de marqueur relié au genre. Peut-on alors affirmer que la réforme est soucieuse des droits des femmes ? Cela irait probablement trop loin. La volonté d’une formulation neutre se heurte, en effet, aux réalités sociales et culturelles de l’Allemagne contemporaine qui fait la part encore trop belle aux comportements traditionnels. Après une présentation des mesures de la loi Hartz IV et de leur impact sur les femmes au chômage, cette contribution s’interroge sur ses failles, tant dans la conception de la loi que dans son application pratique, susceptibles de porter atteinte aux droits des femmes.

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Brigitte Lestrade [*]
  • [*]
    Brigitte Lestrade, professeure à l’université de Cergy-Pontoise.
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/01/2013
https://doi.org/10.3917/rfas.122.0094
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