Introduction
1L’activité du secteur de l’aide à domicile auprès des personnes fragiles (âgées et/ou handicapées) a enregistré une croissance importante depuis vingt ans (Chardon et Estrade, 2007). Pourtant, le secteur connaît depuis 2010 quelques freins à son développement et de nombreuses difficultés y subsistent. Les constats sont assez récurrents quant à la mauvaise qualité de l’emploi des salariés (Causse et al., 1998 ; Clozel, 2008 ; Dussuet, 2005 ; Devetter et al., 2008 ; Avril, 2003). Les rémunérations demeurent médiocres, les pénibilités physiques et psychologiques sont loin d’être négligeables (Messaoudi, Farvaque et Lefebvre, 2011), tandis que l’organisation des temps de travail demeure assez éloignée de la situation traditionnelle des salariés des autres secteurs. Les enquêtes monographiques (Doniol-Shaw et al., 2007, par exemple) soulignent le temps de travail réduit des aides à domicile tout en mettant également en évidence l’importance des contraintes temporelles (et notamment le décalage entre la faiblesse du temps de travail rémunéré et l’amplitude des journées de travail). Elles pointent aussi la tendance au fractionnement des interventions (prestations à la demi-heure, voire au quart d’heure [1]). Ainsi, les démarches entreprises au début des années 2000 visant à améliorer la qualité des emplois, notamment pour construire des temps pleins, n’ont pas réellement abouti.
2Plus largement, la professionnalisation des salariés revendiquée par le secteur se heurte à des obstacles importants et produit des résultats paradoxaux. Ce processus complexe de professionnalisation – terme souvent peu ou pas défini – renvoie, selon nous, à plusieurs éléments complémentaires. D’abord, la professionnalisation correspond à une augmentation générale du niveau de qualification (et notamment le recours à des salariés titulaires du DEAVS [2]). Ensuite, la professionnalisation renvoie à l’accroissement de la complexité des tâches réalisées (qui se manifeste par une croissance de la part des activités d’aide à la vie quotidienne aux dépens des travaux exclusivement ménagers). Un autre élément important est la possibilité pour les salariés de bénéficier de temps de travail plus longs, leur évitant une multi-activité préjudiciable à la stabilisation dans l’emploi. Enfin, un dernier point évoqué en matière de professionnalisation concerne la modalité d’emploi. Même si ce point peut être controversé, de nombreux travaux insistent sur le fait que le recours au mode prestataire était davantage compatible avec cette démarche de professionnalisation, car les structures sont mieux à même d’organiser la montée en compétences des salariés ou l’allongement de leur temps de travail (Dussuet, 2005 ; Doniol-Shaw et al., 2007). Parallèlement à cette démarche de professionnalisation, l’aide à domicile – notamment le secteur prestataire – connaît une forte accidentologie du travail. Pourtant, la qualification des salariés devrait améliorer la prise de conscience des risques professionnels permettant de limiter les accidents au travail. Selon la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, l’aide à domicile est l’une des professions où les accidents de travail sont les plus fréquents et donnant lieu à plus d’arrêts de travail (CNAMTS, 2010). Dès lors, on peut s’interroger sur l’interaction entre processus de professionnalisation et conditions de travail et d’emploi. L’objectif de cet article est de mieux caractériser cette relation à partir de l’exploitation de l’enquête Intervenants à domicile (voir encadré 1).
3Dans un premier temps, nous chercherons à décrire l’organisation spécifique des temps de travail dans l’aide à domicile, en insistant notamment sur la faiblesse des durées de travail et l’éclatement des horaires. Ces caractéristiques peuvent apparaître préjudiciables à la professionnalisation des salariées (première partie). Parallèlement, l’enquête souligne que l’augmentation des temps de travail, socle a priori de la professionnalisation des emplois et source par ailleurs de meilleurs revenus du travail, implique souvent une aggravation de la pénibilité ressentie au travail. Le constat paradoxal qui se détache de l’analyse empirique est alors que les déterminants d’une plus grande professionnalisation (temps plein, qualification, tâches plus complexes, travail dans une structure) sont statistiquement corrélés à une plus grande fréquence des contraintes temporelles, physiques et psychologiques pour une part importante des intervenants à domicile (seconde partie).
Une organisation temporelle peu propice à l’amélioration de la qualité des emplois et à la professionnalisation des salariés
4Le temps de travail des aides à domicile est marqué par deux phénomènes principaux : d’un côté, il s’agit de la concomitance de durées de travail rémunéré faibles et d’une emprise sur la journée élevée ; de l’autre, de l’absence d’une norme temporelle unique. Comme nous le voyons ci-dessous, aucune durée standard ni organisation spécifique des horaires n’émergent réellement.
Encadré 1 : L’enquête auprès des intervenants au domicile des personnes aidées
Si le champ de l’enquête couvre une partie importante des services à la personne, elle se limite en revanche aux intervenants auprès des personnes fragiles : personnes âgées, handicapées ou nécessitant de l’aide pour les actes de la vie quotidienne. L’échantillon de cette enquête est composé de 2 587 intervenants interrogés représentatifs de l’ensemble du secteur de l’aide à domicile aux personnes fragiles, soit 515 370 intervenants (Marquier, 2010a). Parmi eux, 37 % travaillent en mode prestataire, 23,5 % en mode direct et 39,5 % en mode mandataire ou mixte. L’âge moyen est de 44,9 ans et l’ancienneté moyenne dans le métier est de 9,2 ans. 30,2 % déclarent travailler à temps plein (le temps de travail moyen est de 26,1 heures pendant une semaine de référence). Presque 80 % des intervenants ont un niveau inférieur au BEP (niveau secondaire 2e cycle court) et deux tiers ne disposent d’aucun diplôme en lien avec le métier de l’aide à domicile. En moyenne, le salaire net mensuel est de 832 euros (1 190 euros en moyenne pour les intervenants à temps plein et 717 euros pour ceux qui sont à temps partiel).
L’exploitation des données de cette enquête a donné lieu à trois rapports qui interrogent plus spécifiquement le temps de travail (Devetter et Barrois, 2011), les conditions de travail (Messaoudi, Farvaque et Lefebvre, 2011) et la coordination des soins au domicile des personnes fragilisées (CRÉDOC, 2011). Le présent article s’appuie sur les deux premiers rapports. Les données sur les emplois du temps des salariés retracent les plannings des interventions au cours d’une journée de référence. L’analyse s’appuie sur ces données journalières croisées avec les caractéristiques personnelles et professionnelles des salariés. Les plannings renseignés par l’enquête permettent de déterminer l’heure de début de la journée de travail (heure de départ du domicile de l’intervenant), l’heure de début et de fin de chaque intervention, les temps de trajet entre les domiciles, les heures non travaillées et l’heure de fin de la dernière intervention ainsi que l’heure de retour au domicile.
Concernant les conditions de travail, les données sont relatives aux caractéristiques de l’activité : la nature des tâches effectuées au domicile des personnes aidées (aide à la toilette, travail de ménage, etc.), le profil des personnes aidées (personnes âgées, enfants de bas âge, personnes handicapées, etc.), les contraintes rencontrées au travail et leur niveau de pénibilité ressentie par le salarié (effort physique, port de charges lourdes, insalubrité des lieux d’intervention, etc.). Dans cette enquête, le risque d’épuisement professionnel est enfin mesuré par le questionnaire de Karasek.
Comparativement à l’enquête Conditions de travail de la DARES dont le champ couvre l’ensemble des professions, l’enquête IAD identifie avec plus de précision les caractéristiques des emplois et les conditions de travail dans l’aide à domicile auprès des personnes fragiles. Pour certaines questions transversales à toutes les professions (comme le temps de travail ou l’amplitude des journées de travail), l’enquête Conditions de travail permet d’apporter des éléments de comparaison utiles.
Des durées hebdomadaires et quotidiennes assez courtes qui expliquent des rémunérations faibles…
5L’enquête met en évidence des durées hebdomadaires et quotidiennes de travail réduites. Ainsi, la durée moyenne de travail hebdomadaire [3] reste inférieure à 25 heures 30 et descend à 18 heures 12 même au sein de l’emploi direct (contre 27 heures 55 pour l’emploi prestataire et 27 heures 12 en statut mixte). Le temps partiel demeure en quelque sorte la « norme » du secteur. Cette faiblesse du temps de travail explique en partie la fréquence de la multi-activité (18 % des salariés ont ainsi exercé un autre métier durant la semaine de référence). Cependant, même en ajoutant ce travail additionnel, les durées effectives de travail restent inférieures au temps complet : 27 heures 45 en moyenne, 29 heures 12 pour les salariés en mode prestataire, 22 heures 50 pour les salariés en emploi direct et 29 heures en mode mixte. Ces durées hebdomadaires moyennes restent ainsi sensiblement inférieures à celles des salariés en général (36 heures 30 selon l’enquête Emploi 2009) et même à celle des seuls employés (33 heures 27).
6Cette faiblesse des durées hebdomadaires se retrouve logiquement lorsque l’on étudie la durée quotidienne de travail. La somme des temps d’intervention pendant une journée est le plus souvent limitée : elle est en moyenne d’un peu plus de 5 heures (4 heures 9 en emploi direct, contre 5 heures 36 en mode prestataire et 5 heures 20 en mandataire). La journée de travail est ainsi en apparence assez courte. Par ailleurs, elle est plutôt concentrée durant les périodes traditionnelles d’activités professionnelles (8 heures-12 heures et 14 heures-17 heures).
7Ce temps de travail relativement faible se cumule avec des salaires horaires réduits pour déboucher sur des rémunérations mensuelles moyennes inférieures à la plupart des professions de niveaux de qualifications comparables : 832 euros mensuels nets selon l’enquête IAD contre une rémunération moyenne des employés de 1 230 euros selon l’enquête Emploi 2009 [4]. Près de la moitié des aides à domicile déclarent un revenu mensuel inférieur à 900 euros (ce niveau est ainsi bien plus faible que le salaire médian des employés : 1 216 euros selon l’enquête Emploi 2009).
8Pourtant, derrière l’omniprésence du temps partiel et des faibles rémunérations se cachent des situations assez variées. La caractéristique du secteur est justement qu’aucune durée « standard » n’émerge réellement. Des durées très courtes côtoient des durées longues. Ainsi, près d’un quart des aides à domicile travaillent moins de 17 heures durant la semaine de référence (et 10 % moins de 9 heures) (graphique 1), tandis que près de 10 % effectuent plus de 40 heures hebdomadaires. L’enquête comptabilise un quart d’intervenants qui ont travaillé 35 heures ou plus pendant une semaine de référence. L’étude des journées de travail confirme ce constat : un peu moins d’un quart des journées de référence effectuées par les aides à domicile correspondent à moins de 3 heures d’intervention, 10 % dépassent au contraire les 8 heures d’intervention.
Répartition des salariés en fonction de leur temps de travail hebdomadaire

Répartition des salariés en fonction de leur temps de travail hebdomadaire
LECTURE • 2 % des durées de travail de l’ensemble des salariés et 8,6 % de celles des intervenants à domicile sont inférieures ou égales à dix heures par semaine.CHAMP • Ensemble des intervenants à domicile ayant répondu aux questions relatives à la semaine de référence (n = 2 461).
9Cette hétérogénéité des temps de travail se traduit par d’importantes disparités de revenus : la borne maximale du premier décile n’atteint que 279 euros tandis que la borne inférieure du dernier décile est de 1 315 euros (soit un rapport interdécile de 4,7 contre 3,4 pour l’ensemble des employés selon l’enquête Emploi 2009). Si ces écarts de salaires reflètent d’abord les différences de temps travaillé, ils sont accentués par le statut du salarié. Ainsi, l’écart interdécile (différence entre le 1er et le 9e décile) est de 740 euros par mois dans le mode prestataire contre 1 044 euros dans le mode direct [5]. Ces différences peuvent être attribuées à l’existence ou non de mécanismes de régulation du temps de travail selon le mode d’intervention : le salaire minimum conventionnel qui impose une durée minimale dans les structures prestataires, par exemple, ou encore l’objectif d’équité dans la répartition du temps de travail inscrit dans les pratiques de l’économie sociale et solidaire. Ainsi, la corrélation entre temps de travail hebdomadaire en tant qu’aide à domicile et rémunération mensuelle est particulièrement forte au sein de l’emploi direct (coefficient de corrélation linéaire de 0,76 contre 0,49 pour le mode prestataire et 0,51 pour les salariés en situation mixte).
… mais une emprise du travail importante sur la journée et la semaine
10En considérant cette hétérogénéité des temps de travail, on peut penser que ceux qui travaillent peu d’heures par jour ou par semaine peuvent bénéficier d’une meilleure conciliation entre le travail et la vie privée. Or, les modes d’organisation du travail spécifiques au métier de l’aide à domicile impliquent des contraintes temporelles qui touchent une grande partie de salariés, y compris ceux qui ont de faibles temps d’intervention. En effet, la faiblesse des durées peut s’accompagner d’une emprise importante du travail sur la journée, une fois prises en compte les durées de déplacement et l’imprévisibilité des horaires : l’étude des amplitudes quotidiennes met en évidence le décalage entre les durées d’intervention et l’amplitude de la journée de travail (comprenant l’ensemble des temps entre le début de la première intervention et la fin de la dernière intervention). En moyenne, le temps d’intervention ne représente que 71,5 % de la journée de travail.
11À nouveau, les situations observées sont très hétérogènes : un tiers des aides à domicile auprès de personnes fragilisées effectuant au moins deux interventions par jour subissent des temps de non-travail (trajets entre deux interventions, attentes entre deux domiciles, repas, etc.) supérieurs à 3 heures au cours de leur journée de travail. Par comparaison, l’enquête Conditions de travail 2005 montre que cette situation ne concerne que 2,3 % de l’ensemble des familles professionnelles.
12L’écart entre l’amplitude de la journée et la durée d’intervention est en effet principalement dû à l’organisation du travail sous la forme d’une succession d’interventions de durée limitée. La durée moyenne d’une intervention reste inférieure à 1 heure 40. Par ailleurs, les temps de déplacement entre deux interventions sont rarement déclarés comme intégrés au temps de travail, ce que prévoit la convention collective des organismes d’aide à domicile mais pas celle du particulier employeur. Ainsi, les temps de déplacement sont intégralement pris en compte pour 41 % des salariés en mode prestataire (ce qui est conforme à ce que prévoit la convention collective) et pour 30 % des salariés en mode mixte. Néanmoins, cette pratique demeure minoritaire (tout type d’employeur confondu) : seuls 27 % des aides à domicile affirment que ces temps sont intégralement pris en compte.
13Cet éclatement du temps de travail, dû aux temps de déplacement ou d’attente entre deux interventions, se répercute directement sur les rémunérations. Les aides à domicile effectuant des journées longues (amplitude supérieure à 10 heures) n’interviennent ainsi en moyenne que 6 heures 46 (pour une amplitude moyenne de 11 heures 25), soit légèrement moins qu’un temps plein si ces durées sont répétées sur cinq jours. Dans l’état actuel des choses, seules les journées les plus longues permettent l’obtention de revenus mensuels supérieurs à 1 100 euros (contre environ 500 euros pour les journées de moins de 3 heures et 770 euros pour les journées comprises entre 3 et 7 heures). Cependant, cette amélioration du revenu rend difficile la conciliation des temps professionnels et privés : le salaire moyen des salariés déclarant ne pas rencontrer de problèmes de conciliation reste inférieur à 800 euros mensuels, contre 1 055 euros pour ceux dont les difficultés sont les plus vives.
14Comme d’autres métiers relationnels, le secteur de l’aide à domicile peine à faire émerger un compromis stable sur la mesure et l’organisation du temps de travail, voire à valider la frontière entre ce qui est et ce qui n’est pas travail (England et al., 2002). L’enquête IAD permet de souligner que, si cette problématique se retrouve quel que soit le mode d’intervention, elle apparaît particulièrement prégnante dans l’emploi direct : 20 % des salariés de structures prestataires prennent souvent ou très souvent sur leur temps personnel pour aider une personne contre 33,5 % des salariées en mode mixte et 42 % des salariés en emploi direct.
15Ces temps souvent non payés (déplacements, attente entre deux interventions, prestations réalisées sur le temps personnel, etc.) expliquent l’importance de l’amplitude de la journée de travail qui, elle-même, implique des horaires atypiques. Parallèlement, de nombreuses tâches (aide au lever, au coucher, à la prise du repas) ont lieu à des horaires qui s’écartent de la norme dominante : le travail tôt le matin ou tard le soir touche une proportion non négligeable d’aides à domicile (tableau 1), tandis que près d’un intervenant sur trois est amené à travailler le dimanche. Ces horaires atypiques se traduisent pour 37,5 % des aides à domicile par une fragmentation de leur temps de travail [6]. Associée à une variabilité des horaires hebdomadaires (ce qui concerne près d’une aide à domicile sur cinq), cette fragmentation du temps de travail peut entraîner une emprise du travail très élevée. La seule durée de travail effective, pendant laquelle les interventions sont réalisées, ne permet pas de saisir l’importance des temps pendant lesquels ces salariés sont, de fait, à la disposition de leur(s) employeur(s).
Contraintes temporelles et statut d’emploi

Contraintes temporelles et statut d’emploi
LECTURE • 17 % des journées de référence sont concernées, au moins partiellement, par le travail tôt le matin, soit un début avant 8 heures.16Ces contraintes temporelles ne touchent cependant pas tous les salariés de manière identique : les intervenants en mode mixte ou prestataire y sont sensiblement plus exposés (tableau 1). À nouveau, l’hétérogénéité des situations individuelles est importante, mais il apparaît clairement que l’augmentation du temps de travail passe inexorablement par des temps de travail plus atypiques. Refuser ces horaires conduit au contraire bien souvent les salariés à se contenter d’un temps partiel réduit.
Encadré 2 : Précisions sur les durées de travail
Pour le dire autrement, une heure d’intervention équivaut à 1,39 heure rémunérée. Cette équivalence implique une croissance des rémunérations qui n’est toutefois pas compatible avec le maintien des tarifs appliqués actuellement par les conseils généraux.
D’impossibles temps complets ?
17Effectivement, ces décalages entre durées courtes et emprise du travail importante expliquent en partie le fait que le temps partiel soit, pour les aides à domicile, un « marché de dupes » (Angeloff, 2000). L’arbitrage traditionnel entre durée du travail et revenu est largement biaisé (au sens où une réduction du temps de travail effectif ne se traduit pas forcément par un gain réel de temps libre) et il en résulte de réelles difficultés de conciliation pour les aides à domicile. Atteindre un temps complet exige d’offrir une très grande disponibilité au travail.
18L’enquête IAD permet d’abord de souligner le lien direct entre le nombre d’interventions et la durée du travail. On constate ainsi que les intervenants doivent effectuer en moyenne au moins quatre interventions par jour pour atteindre un temps de travail proche du plein-temps.
Temps de travail selon le nombre d’interventions quotidiennes

Temps de travail selon le nombre d’interventions quotidiennes
LECTURE • 24 % des salariés ont effectué une intervention durant la journée de référence.19Or, c’est à partir de cette quatrième intervention que les horaires atypiques (tard le soir ou tôt le matin) deviennent fréquents et que les difficultés déclarées de conciliation deviennent très importantes.
20Le fait que ces emplois soient « facilement conciliables avec la vie de famille » n’est une incitation explicite à exercer le métier d’aide à domicile que pour 9 % des aides à domicile, selon l’enquête IAD, loin derrière « l’attrait pour les relations avec les autres, pour le métier », par exemple (30 %). Seuls les salariés effectuant des journées très courtes mettent fréquemment en avant cette motivation. À l’inverse, nombreux sont les salariés déclarant rencontrer des difficultés de conciliation : 10 % estiment que les horaires du métier d’aide à domicile bousculent « tout le temps » la vie familiale ou privée et 24,5 % le ressentent « de temps en temps ».
21L’arbitrage entre rémunération et disponibilité temporelle est assez classique et concerne de manière plus ou moins marquée l’ensemble des actifs, mais il est plus « ouvert » pour les aides à domicile dont la durée de travail hebdomadaire est en partie négociée au niveau individuel. La particularité de l’aide à domicile est le fait que la progression de la rémunération, qui passe par celle du temps de travail, engendre des contraintes de disponibilité temporelle fortement croissantes.
22Ces aspects relatifs à la régulation du temps de travail – emprise du travail élevée, rémunérations faibles – interrogent la possibilité d’améliorer la qualité des emplois d’aide à domicile, tandis que la difficulté à construire des temps complets remet en cause les démarches de professionnalisation. En effet, comme nous l’avons souligné précédemment, la professionnalisation des salariés vise trois objectifs interdépendants : stabiliser la main-d’œuvre, développer les qualifications et améliorer la qualité des emplois. Or ces éléments sont peu compatibles avec des durées de travail faibles. Le temps partiel, au contraire, limite les rémunérations et maintient les aides à domicile dans une logique de travail d’appoint bien souvent subie. Il décourage l’investissement dans des formations parfois complexes compte tenu des trajectoires individuelles et des contraintes professionnelles (situation de multi-employeur notamment). Il ne permet ainsi pas de fidéliser les salariés.
23Comme nous l’avons vu jusqu’à présent, les difficultés auxquelles fait face le processus de professionnalisation tiennent d’abord à la difficulté à construire des temps complets. Un autre élément vient alimenter le paradoxe de la professionnalisation : les principales caractéristiques sur lesquelles ce processus s’appuie (temps de travail plus longs, qualification et complexification des tâches) sont aussi associées à des contraintes accrues pour les salariés dans leur travail.
Un processus de professionnalisation qui accroît les pénibilités ?
24Lorsque le temps de travail parvient à être allongé, la professionnalisation des salariés se heurte à une dégradation importante des conditions de travail. Les emplois d’aide à domicile peuvent en effet cumuler un nombre important de pénibilités.
Les pénibilités ressenties dans l’aide à domicile : définition et mesure
25L’enquête IAD permet de distinguer trois familles de contraintes vécues par les salariés dans leur travail : celles relatives au travail effectué (efforts exigés, postures, position debout longue…), à l’environnement de travail (lieux insalubres et exigus…) ou encore au fait de travailler auprès de personnes dont l’état de santé peut être très fragile (personnes en fin de vie par exemple). Ces contraintes touchent les aides à domicile dans des proportions sensiblement plus élevées que dans la plupart des autres métiers (tableau 3). Mais elles ne sont pas pour autant rencontrées de façon homogène et certaines catégories sont sensiblement plus touchées, notamment selon les modes d’intervention. Par exemple, si 56 % des aides à domicile affirment qu’il leur arrive de travailler dans des lieux insalubres (contre 21 % en moyenne dans la catégorie « employés » dans l’enquête Conditions de travail en 2005), les salariés en mode prestataire sont quatre fois plus nombreux en proportion à être confrontés à cette contrainte que les salariés en mode direct.
Les contraintes physiques au travail : comparaison entre l’aide à domicile et les autres métiers(*)

Les contraintes physiques au travail : comparaison entre l’aide à domicile et les autres métiers(*)
LECTURE • 98 % des salariés en mode prestataire affirment qu’ils effectuent des positions debout longues pendant leur travail.(*) Les principales données relatives aux conditions de travail pour l’ensemble des salariés proviennent de l’enquête Conditions de travail, complément de l’enquête Emploi réalisée tous les sept ans. Il n’est ainsi pas possible de comparer la situation des intervenants à domicile à celle des autres salariés pour l’année 2008. Néanmoins, l’enquête de 2005 permet d’apporter des éléments de comparaison utiles.
26Un indicateur synthétique de pénibilité ressentie [7] a été construit pour agréger ces contraintes en trois dimensions et les pondérer par leur fréquence d’apparition (encadré 3). Parmi les trois dimensions évaluées, la nature du travail exercé est celle qui contribue le plus à la pénibilité ressentie par les intervenants (38 % de la valeur de l’indicateur). Elle est suivie par la dimension liée à l’environnement du travail (32 %) et celle liée à l’état de santé de la personne aidée (30 %).
27Cet indicateur permet de mieux repérer les catégories les plus touchées par un cumul de contraintes et donc les salariés travaillant dans les conditions les plus difficiles. En effet, ces pénibilités temporelles, physiques et psychologiques ne sont pas réparties de manière uniforme. En partie liées à la durée totale des interventions, elles se concentrent sur des intervenants bien particuliers. Ainsi, les salariés en mode prestataire, les salariés disposant d’un diplôme et ceux effectuant une part importante d’activités essentielles de la vie quotidienne (ADL) [8] se retrouvent face à des pénibilités ressenties élevées. Or ces caractéristiques sont également celles qui découlent d’une professionnalisation plus avancée.
28Ces caractéristiques sont en ce sens parfois en partie interdépendantes : les salariés qualifiés s’occupent des personnes les plus fragiles et se concentrent sur les tâches les plus complexes. Ces salariés sont également surreprésentés au sein des structures prestataires. Cet ensemble de facteurs rend ainsi nécessaires des analyses économétriques pour compléter les résultats statistiques afin de raisonner « toutes choses égales par ailleurs ». Un modèle logit dichotomique sur le fait de ressentir une pénibilité très élevée a ainsi été réalisé (tableau 4). Il permet de compléter et parfois de nuancer les données statistiques descriptives.
Encadré 3 : L’indicateur de pénibilité ressentie
Pour une meilleure lecture des résultats, cet indicateur est transformé en échelle de 0 à 100 en rapportant sa valeur initiale I à 36 et en multipliant le résultat par 100 : K = [I/36] × 100. Nous obtenons un score moyen de l’indicateur de 43,33 avec un écart type de 22,65. Afin de comparer les populations à l’intérieur de l’échantillon, nous avons procédé à sa classification en suivant la méthode suivante :
- Niveau faible : scores inférieurs à la moyenne – la moitié de l’écart type.
- Niveau moyen : scores entre la moyenne – la moitié de l’écart type et la moyenne + la moitié l’écart type.
- Niveau élevé : scores supérieurs à la moyenne + la moitié de l’écart type.
Sur l’échelle de l’indicateur (0 à 100), le niveau faible correspond aux scores inférieurs à 32 ; le niveau moyen aux scores compris entre 32 et 54,7 et le niveau élevé aux scores supérieurs à 54,7.
Des pénibilités plus grandes pour les salariés les plus engagés dans un processus de professionnalisation
29Les analyses statistiques et économétriques permettent de préciser les facteurs associés à une pénibilité ressentie élevée (tableau 4). Quatre dimensions ressortent de manière particulièrement nette : le volume d’activité (temps de travail et surtout nombre de personnes aidées), l’importance des activités ADL, l’ancienneté et dans une moindre mesure la qualification et, enfin, le fait d’être salarié au moins partiellement d’une structure prestataire
Le risque de ressentir une pénibilité élevée, toutes choses égales par ailleurs

Le risque de ressentir une pénibilité élevée, toutes choses égales par ailleurs
LECTURE • Le risque de ressentir une pénibilité élevée au travail dans le mode direct est inférieure de 82 % (1 – odd ratio) comparativement aux salariés en mode prestataire, toutes choses égales par ailleurs. Ce risque est supérieur de 18 % chez les intervenants qui exercent une autre activité professionnelle en plus de l’aide à domicile par comparaison à ceux qui n’exercent pas d’autre activité, toutes choses égales par ailleurs.SEUILS DE SIGNIFICATIVITÉ • * : 10 % ; ** : 5 % ; *** : 1 %.
L’allongement du temps de travail
30Le premier facteur associé à une pénibilité ressentie élevée correspond à la charge et à la durée du travail. En effet, les contraintes pèsent particulièrement lourdement (comparativement à la moyenne de l’échantillon) sur les salariés s’approchant d’un temps plein (en termes de durée d’intervention).
31Plus précisément, l’impact de la durée du travail sur les conditions de travail est très net jusqu’au seuil de 28 heures hebdomadaires (la corrélation entre l’indicateur de pénibilité et la durée hebdomadaire d’intervention est de 0,28 ; significative à 0,001). Au-delà, ce lien est bien moins visible (corrélation non significative) : une fois que les durées d’intervention hebdomadaires impliquent une emprise du travail quotidien proche d’un temps plein (soit environ 28 heures d’intervention), le niveau de pénibilité est élevé mais devient relativement indépendant de la durée effective d’activité. Pour un tel niveau d’activité, le rôle de l’organisation du travail devient crucial dans l’accompagnement des salariés à gérer leurs contraintes au travail : la gestion des plannings et des déplacements, le rôle de l’encadrement, la formation interne, etc., sont des ressources organisationnelles permettant de limiter l’effet de l’intensité du travail sur la pénibilité ressentie. On observe cet arrêt de la corrélation entre durée du travail et pénibilité au-delà de 28 heures hebdomadaires de manière comparable pour toutes les dimensions retenues : position debout prolongée, efforts physiques pénibles, travail dans des lieux insalubres, etc.
Indicateur de pénibilité par nombre d’heures d’intervention (échelle 0 à 100)

Indicateur de pénibilité par nombre d’heures d’intervention (échelle 0 à 100)
32L’augmentation du niveau de pénibilité ressentie avec le temps de travail peut s’expliquer par le cumul des contraintes physiques et psychiques en raison de l’augmentation du nombre d’interventions. En effet, pour augmenter le temps de travail, les salariés doivent multiplier les interventions, ce qui peut accroître le risque de rencontrer des situations pénibles.
33Ainsi, non seulement l’obtention d’un temps complet ne semble possible qu’au prix de grandes contraintes temporelles (impliquant de fortes difficultés de conciliation des temps), mais également de conditions de travail sensiblement dégradées.
34Le modèle économétrique permet cependant de nuancer ce constat. En effet, toutes choses égales par ailleurs, la durée de travail hebdomadaire n’a pas d’effet significatif sur le sentiment d’une pénibilité élevée alors que la charge de travail (elle-même appréhendée à partir du nombre d’interventions pendant la journée de référence) a un impact fort (tableau 4). Le fait d’intervenir auprès de huit personnes et plus, seuil qui permet dans de nombreux cas de se rapprocher d’un temps plein, multiplie par 2,3 le risque de ressentir une pénibilité élevée, toujours toutes choses égales par ailleurs (tableau 4). Ainsi, l’existence d’organisations du travail permettant l’augmentation des durées rémunérées sans accroissement trop important du nombre de personnes aidées rend possible, sur le plan des conditions de travail, des emplois à temps complet. Cela nécessite cependant la rémunération des temps hors intervention mais aussi une réduction de la fragmentation des interventions (diminution des temps de déplacement ou des temps morts, allongement de la durée moyenne des interventions, etc.).
L’ancienneté et la qualification
35L’expérience et la qualification constituent le second ensemble de variables associées à une pénibilité ressentie intense. Les salariés les plus anciens sont ainsi sensiblement plus exposés aux contraintes de l’activité : 41 % des aides à domicile avec une ancienneté de plus de dix ans ressentent une pénibilité très élevée dans leur travail contre 21 % des intervenants ayant moins de trois ans d’ancienneté. Plus généralement, la proportion de salariés exposés à la pénibilité est croissante avec l’ancienneté dans le métier, ce que confirme d’ailleurs l’analyse économétrique (le risque de ressentir une pénibilité élevée augmente avec l’ancienneté).
36De même, les statistiques descriptives soulignent la surexposition à de nombreuses difficultés des salariés diplômés et notamment des titulaires du DEAVS : ainsi, 51 % des salariés diplômés (54 % des titulaires de DEAVS) sont exposés à un niveau élevé de pénibilité contre 25 % des salariés non diplômés. La pénibilité liée à la qualité des logements (insalubrité, exiguïté des lieux) concerne 64 % des titulaires du DEAVS contre 29 % des salariés non diplômés. Plus de 48 % des premiers effectuent des activités physiques contraignantes (effort physique, position debout prolongée, port de charges lourdes) contre 26 % des seconds.
37La pénibilité plus élevée pour les salariés expérimentés et qualifiés peut s’expliquer par la nature des travaux effectués : ces intervenants effectuent des tâches plus complexes auprès de bénéficiaires plus dépendants, ils offrent également un temps de travail plus long. Ainsi, selon les données de l’enquête, 53 % des salariés qualifiés affirment que le nombre de personnes qu’ils aident a augmenté depuis deux ou trois ans. Ce n’est en revanche le cas que de 36 % des salariés sans diplôme. De même, le plus souvent, les salariés qualifiés acceptent, voire recherchent, d’intervenir auprès de plusieurs personnes, ce qui leur permet d’atteindre un temps de travail plus important [9]. L’enquête montre effectivement que les salariés titulaires d’un diplôme spécifique au secteur cumulent un nombre important d’interventions : les salariés qualifiés aident en moyenne huit personnes par semaine contre six personnes pour les salariés non qualifiés (ces interventions sont également souvent plus courtes : la première intervention, notamment, dure en moyenne 1 heure 32 pour les titulaires du DEAVS contre 2 heures 10 pour les non diplômés). La charge de travail correspond néanmoins à une contrainte temporelle plus aiguë puisqu’un tel volume de travail n’est atteint qu’en acceptant des journées de travail plus longues. En plus des contraintes physiques et psychiques liées au travail effectué, le salarié doit donc faire face aux contraintes temporelles analysées plus haut (fragmentation des journées, horaires atypiques, difficultés de conciliation). Chez les salariés diplômés, les semaines et les journées de travail sont bien plus longues : la durée totale de travail en tant qu’aide à domicile atteint 31 heures 48 pour les titulaires d’un DEAVS contre un peu moins de 25 heures pour les non diplômés. Les écarts sur l’amplitude quotidienne sont également importants : 8 heures 37 contre 6 heures 54.
38L’augmentation du temps de travail liée à la qualification peut donc déclencher des contraintes multiples et interdépendantes. C’est dans ce sens que le fait d’être titulaire du DEAVS est notamment associé à un niveau de pénibilité plus élevé (53,6 %) et à des contraintes temporelles plus lourdes (voir tableau 5).
Contraintes temporelles et diplômes

Contraintes temporelles et diplômes
LECTURE • 34,6 % des intervenants ont ressenti une pénibilité élevée dans leur travail.39Cependant, l’analyse économétrique apporte des nuances à ces constats. Certes, la qualification dans le cadre d’autres diplômes que le DEAVS tout comme l’ancienneté augmentent sensiblement le risque de subir une pénibilité élevée : le risque est multiplié par 2,4 chez les titulaires d’un diplôme reconnu dans le métier autre que le DEAVS et par 1,7 chez les salariés anciens de plus vingt ans dans le métier, toutes choses égales par ailleurs (tableau 4). Mais, à l’inverse, l’impact du DEAVS apparaît non significatif tant pour la pénibilité ressentie que pour les difficultés de conciliation (voir en annexe). Nous pouvons faire l’hypothèse (qui rejoint d’ailleurs les résultats des travaux plus monographiques, Doniol-Shaw et al., 2007 ; INRS, 2005) que cette qualification spécifique au secteur entraîne un double effet : d’un côté, des interventions plus complexes, notamment auprès de publics plus dépendants par exemple ; mais, d’un autre côté, cette qualification offre plus de ressources aux salariés pour faire face aux difficultés rencontrées.
40En ce sens, on peut dire que ce diplôme joue le rôle d’un puissant modérateur du risque d’épuisement (Messaoudi et al., 2011) en permettant notamment aux salariés de trouver la « bonne distance » relationnelle (Yahiaoui et Nicot, 2002). Ainsi, les titulaires du DEAVS sont bien moins nombreux à prendre sur leur temps personnel pour aider une personne (tableau 5).
La complexité des activités
41Le troisième facteur de pénibilité est lié au fait d’effectuer des tâches plus complexes et davantage tournées vers les personnes fortement dépendantes. En effet, comme on vient de l’évoquer, la qualification conduit les salariés à intervenir essentiellement auprès des personnes les plus fragiles. Cela fait augmenter le poids des ADL dans leur activité : 60 % des titulaires d’un diplôme du secteur affirment intervenir auprès des personnes en fin de vie contre 37 % des non-diplômés.
42Or l’intervention auprès des personnes subissant une détérioration mentale et/ou physique est porteuse d’une charge physique et émotionnelle importante (Canouï et Mauranges, 2008). Ces activités deviennent une charge de travail lourde synonyme de pénibilité ressentie lorsque leur poids dans l’activité du salarié est important : 44 % des salariés qui consacrent plus de 30 % de leur activité aux ADL ressentent un niveau de pénibilité élevé, contre 29 % de ceux qui exercent moins de 30 % d’ADL et 17 % de ceux qui n’exercent pas ce type d’activité. L’analyse, toutes choses égales par ailleurs, confirme ce constat : le risque de pénibilité élevée est multiplié par 2,6 quand le poids des ADL dépasse un tiers de l’activité exercée (tableau 4).
Le statut d’emploi
43Enfin, un dernier facteur apparaît déterminant : le statut de l’employeur. En effet, selon l’indicateur synthétique de pénibilité, les salariés en prestataire ressentent une pénibilité du travail deux fois plus élevée que les salariés en mode direct (tableau 6). Suivant la classification retenue dans la construction de l’indicateur, 46,4 % des salariés en prestataire ont ressenti une pénibilité élevée, contre 8,1 % des salariés en emploi direct. En moyenne, environ un intervenant sur trois est exposé à une forme de pénibilité élevée dans son travail.
Résultats de l’indicateur de pénibilité par mode d’intervention (notes sur une échelle de 0 à 100)

Résultats de l’indicateur de pénibilité par mode d’intervention (notes sur une échelle de 0 à 100)
LECTURE • Le score global de l’indicateur de pénibilité dans le mode prestataire est de 51,3 sur 100.44Plus précisément, la dimension de pénibilité liée à l’environnement du travail (insalubrité et exiguïté des lieux de travail) est celle qui différencie le plus les modes d’intervention. Le sentiment de pénibilité associé à cette dimension est 3,6 fois plus important dans le mode prestataire comparativement au mode direct. De même, le sentiment de « vie bousculée » est bien plus fréquent pour les salariés en mode prestataire ou en mode mixte (respectivement 40,5 % et 38 % déclarent que les horaires du métier d’aide à domicile bousculent tout le temps ou souvent leur vie familiale ou privée contre seulement 19 % des salariés en emploi direct).
45Les analyses économétriques confirment largement ce constat : le fait de travailler en mode direct ou en mandataire diminue le risque de rencontrer des situations de forte pénibilité dans le travail. Ce risque diminue de 82 % quand le salarié intervient en mode direct par rapport au mode exclusivement prestataire, toutes choses égales par ailleurs (tableau 4).
Des caractéristiques interreliées
46Ainsi, plusieurs éléments corrélés à une pénibilité élevée ressentie dans le travail peuvent être repérés : des temps de travail proches du temps plein, une ancienneté élevée et certaines qualifications, une part importante d’ADL et, enfin, le fait de travailler dans une structure prestataire. Loin de s’opposer les uns aux autres, ces différents éléments se complètent et dessinent clairement le profil des salariés les plus exposés à de fortes contraintes temporelles, physiques ou psychologiques. En effet, ces éléments (à commencer par la qualification ou le statut d’emploi) ne doivent pas être considérés en tant que tels comme des facteurs de pénibilité mais plutôt comme donnant accès à des emplois cumulant de multiples contraintes professionnelles. Les causes de la pénibilité sont bien multifactorielles (Lasfargues, 2005), combinant la nature de l’activité exercée, la charge de travail (temps de travail, nombre de personnes aidées, l’état de santé de ces dernières, etc.) et les contraintes temporelles (durée de la journée, intensité des interventions à des moments précis de la journée, etc.).
47La faible pénibilité ressentie associée à l’emploi direct, par exemple, s’explique largement par des tâches moins complexes (faible part d’ADL notamment) et des temps de travail plus réduits. La différence d’exposition à la pénibilité selon les modes d’intervention provient des caractéristiques des emplois qui sont elles-mêmes liées aux caractéristiques de la population prise en charge. En effet, d’une part, les bénéficiaires des services prestataires appartiennent à des catégories sociales plus modestes que les particuliers employeurs (Jany-Catrice et al., 2010), la qualité des logements découlant de ce facteur. D’autre part, la plupart des structures prestataires sont historiquement spécialisées dans la prise en charge de la dépendance des personnes âgées [10] qui nécessite certaines compétences professionnelles, notamment quand il s’agit de l’aide à l’hygiène aux personnes lourdement dépendantes. Cela explique la forte proportion de salariés diplômés (55 % dont 40 % de DEAVS) dans le mode prestataire (contre 15 % dans le mode direct) et une activité de ces salariés plus centrée sur des actes complexes (ADL) comparativement aux salariés en mode direct. Le diplôme et le poids des ADL dans l’activité quotidienne des salariés sont ainsi des caractéristiques marquantes des emplois du mode prestataire, alors que les emplois en mode direct sont marqués par une faible qualification et une activité principalement orientée vers l’entretien du domicile. Ces deux caractéristiques modulent les conditions de travail.
48Ainsi, les caractéristiques de l’organisation du travail (part des ADL, nombre et durée d’interventions dans la journée, etc.) et les caractéristiques des salariés (diplôme, modalité d’emploi, ancienneté, etc.) sont interdépendantes. Le diplôme, par exemple, est associé à un temps d’intervention plus important. Il entraîne des activités davantage centrées sur l’aide aux actes essentiels de la vie quotidienne et sur des personnes plus fragiles. La relation entre le temps de travail et la pénibilité est également le résultat de la conjugaison de ces différents facteurs.
Conclusion
49La démarche de professionnalisation dans l’aide à domicile peut apparaître paradoxale : alors qu’elle vise à stabiliser la main-d’œuvre, elle fait supporter aux salariés s’engageant le plus dans cette logique (via une volonté d’allonger le temps de travail pour exercer pleinement un métier, des qualifications spécifiques ou, encore, une activité davantage tournée vers les tâches complexes et les personnes les plus fragiles) des contraintes nombreuses non compensées par de meilleures rémunérations ou perspectives de carrière. La logique de compensation, opérante dans d’autres professions, suggère le versement d’une « prime » pour les activités pénibles (sursalaire, par exemple, ou encore réduction du temps de travail). Comme dans plusieurs métiers pénibles et à bas salaires, cette logique de compensation est en panne, cela étant pour beaucoup lié à la non-reconnaissance des conditions de travail (Baudelot et Gollac, 1993). Le faible impact du DEAVS sur les rémunérations comme sur les perspectives de carrières (Bureau et Tuchszirer, 2010) illustre cette ambiguïté.
50Dans ce contexte, une part importante des salariés engagés dans ce processus aspire à quitter le secteur de l’aide à domicile pour rejoindre les structures d’hébergement ou le métier d’aide-soignante. Ainsi, dans l’enquête IAD, plus de 15 % des salariés des modes prestataire ou mixte (contre 7 % des salariés relevant de l’emploi direct) souhaitent suivre une formation prochainement et l’envisagent dans le but d’évoluer vers un autre métier.
51La reconnaissance sociale qu’apporte la professionnalisation est également limitée par la force d’attraction du modèle domestique. En effet, les spécificités d’un travail réalisé au sein des domiciles privés renforcent l’invisibilité d’une partie du temps de travail et des pénibilités. Dépasser ces contraintes rend nécessaire la création d’un nouveau modèle de compensation qui implique, outre une prise de conscience des contraintes supportées par les intervenants, un renforcement du pouvoir de négociation des salariés. Mais ce scénario nécessite également une intervention accrue des pouvoirs publics afin de permettre une prise en charge par la collectivité des coûts réels des services de maintien à domicile des personnes âgées. Le coût de l’heure d’intervention pris en charge par les pouvoirs publics n’est ainsi, dans l’état actuel, pas compatible avec une reconnaissance de la complexité et des pénibilités du travail réalisé. L’effort budgétaire, pour conséquent qu’il serait, n’est cependant pas inimaginable et d’autres travaux ont montré, par exemple, que le redéploiement des exonérations fiscales actuellement attribuées aux personnes non fragiles pourrait permettre d’augmenter sensiblement le financement de ces services d’aide à domicile (Devetter et Rousseau, 2011).
Les questions constitutives de l’indicateur de pénibilité

Les questions constitutives de l’indicateur de pénibilité
LECTURE • Pour 12,9 % des salariés interrogés, la position debout prolongée au travail est une contrainte ressentie comme très pénible tandis que 5,2 % affirment ne pas être concernés par cette contrainte. Pour construire l’indicateur de pénibilité, nous avons attribué un score de 0 à 4 aux réponses de « non concerné » à « très pénible ». La somme de ces scores nous donne la valeur de l’indicateur.Le risque de ressentir des difficultés de conciliation (réponse « Oui tout le temps » ou « Oui de temps en temps » à la question « Est-ce que les horaires du métier d’aide à domicile bousculent votre vie familiale ou privée ? »)

Le risque de ressentir des difficultés de conciliation (réponse « Oui tout le temps » ou « Oui de temps en temps » à la question « Est-ce que les horaires du métier d’aide à domicile bousculent votre vie familiale ou privée ? »)
LECTURE • Le risque de ressentir des difficultés de conciliation entre le travail et la vie privée est inférieur de 40 % (1 – odd ratio) chez les salariés en mode direct comparativement aux salariés en mode prestataire, toutes choses égales par ailleurs.SEUILS DE SIGNIFICATIVITÉ • * : 10 % ; ** : 5 % ; *** : 1 %.
Notes
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[*]
François-Xavier Devetter, maître de conférences en sciences économiques, laboratoire CLERSÉ, université Lille 1. Ses recherches portent sur les services à la personne, le temps de travail et la qualité des emplois.
-
[**]
Djamel Messaoudi, chercheur, ORSEU, laboratoire CLERSÉ, université Lille 1. Ses recherches portent sur l’aide à domicile, les conditions de travail et l’emploi.
-
[***]
Nicolas Farvaque, directeur du pôle Études et recherche, ORSEU. Ses recherches portent sur les conditions de travail et les relations sociales.
-
[1]
L’enquête souligne ainsi que 20 % des interventions réalisées durant les journées de référence durent moins d’une heure.
-
[2]
Le DEAVS (diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale) est le principal diplôme pour les intervenants à domicile ; il correspond à un niveau V.
-
[3]
Cette durée correspond au nombre d’heures travaillées en tant qu’aide à domicile et au titre d’une autre activité pendant une semaine de référence.
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[4]
Les aides à domicile touchent 845 euros par mois selon l’enquête Emploi contre 1 230 euros pour les employés de libre-service et 1 445 euros pour les aides-soignantes).
-
[5]
En ne considérant que les salaires à temps complet (35 heures et plus), l’écart interdécile se réduit à 500 euros par mois dans le mode prestataire alors qu’il augmente dans le mode direct pour atteindre 1 133 euros. L’une des causes de cette augmentation de l’écart dans le mode direct est la très grande disparité des temps de travail à l’intérieur des déciles.
-
[6]
La fragmentation est définie ici par un faible rapport entre le temps de travail (durée des interventions) et l’amplitude de la journée du travail. Nous considérons qu’une journée est fragmentée quand le temps de travail effectué est inférieur à 75 % de la durée de la journée du travail (Devetter et Barois, 2011).
-
[7]
La pénibilité telle que mesurée par l’enquête correspond au ressenti des salariés : chaque contrainte au travail définie par l’enquête est évaluée par le salarié en lui attribuant un niveau de pénibilité (de très pénible à pas pénible). Il s’agit donc d’une évaluation subjective des salariés de leurs situations de travail.
-
[8]
Les ADL (activities of daily living) renvoient à un ensemble d’actes coproduits avec la personne aidée et nécessitant sa coopération : l’aide au coucher ou au lever du lit, l’aide à faire la toilette, l’aide à l’habillage, etc. (voir Marquier, 2010b).
-
[9]
Mais il faut noter également que le salarié ne peut pas refuser la demande de son employeur dès lors que celle-ci ne modifie pas substantiellement son contrat de travail. Cette contrainte est moins pesante dans le mode direct dans la mesure où le salarié, en principe, peut choisir le nombre d’interventions et surtout les interventions les moins pénibles.
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[10]
Le personnel médical et les services sociaux départementaux et communaux jouent un rôle central dans l’orientation des personnes fragiles vers les différentes formes d’offre de services de l’aide à domicile. En général, les personnes les plus fragiles sont orientées vers le secteur prestataire (Messaoudi, 2009).