CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Kant explique que c’est la lecture de Hume qui l’a tiré de son sommeil dogmatique [2], et cette anecdote fameuse suffit à rappeler que les ressources les plus précieuses de l’Europe ne se trouvent pas dans les coffres des banques, mais dans la tête de ses citoyens, qui pensent en plusieurs langues (Nies, 2005) et conversent par-delà les frontières.

2L’année 2008 a marqué une double rupture dans l’édification de ce qu’il est convenu d’appeler l’« Europe sociale ». La première a été, en septembre, l’implosion des marchés financiers et la faillite idéologique de la doctrine ultralibérale. La seconde a été la conversion de la Cour de justice européenne à cette doctrine de déconstruction des droits sociaux [3]. Se détournant de l’objectif d’« égalisation dans le progrès », qui figure dans le traité européen et qui inspirait sa jurisprudence antérieure, elle s’emploie désormais à permettre aux entreprises installées dans les pays à bas salaires et faible protection sociale d’utiliser à plein cet « avantage comparatif ». À cette fin, la Cour a exempté ces entreprises du respect des conventions collectives [4], ainsi que des lois indexant les salaires sur le coût de la vie [5] ; elle a écarté les présomptions de salariat posées par les droits des pays étrangers où elles opèrent [6] ; elle a condamné les dispositifs permettant aux États d’accueil de contrôler efficacement le respect des droits des travailleurs qu’elles emploient [7] ; elle a affirmé que le recours aux pavillons de complaisance ressortait du principe de libre établissement [8] ; elle a interdit en principe les grèves contre les délocalisations [9]. Dans l’un des arrêts les plus récents rendus dans cette veine, la Cour affirme que les objectifs de protection de pouvoir d’achat des travailleurs et de paix sociale ne constituent pas un motif d’ordre public de nature à justifier une atteinte à la libre prestation de services [10].

3L’on pourrait s’étonner que ce soit l’année même où l’ultralibéralisme a perdu tout crédit moral et intellectuel que le juge communautaire y ait adhéré avec autant d’éclat. Le paradoxe n’est qu’apparent si l’on veut bien reconnaître que l’élargissement de l’Europe aux pays post-communistes n’a nullement signifié l’extension à l’est de l’« économie sociale de marché », mais bien plutôt la rencontre fusionnelle de l’ultralibéralisme et du communisme et la naissance de ce que la République populaire de Chine, qui en représente la forme la plus achevée, appelle « économie communiste de marché » [11]. Ce régime hybride émancipe les forces du marché des entraves inhérentes à un plein exercice de la démocratie politique et sociale. L’Europe élargie et la Chine en représentent deux variantes différentes. En Chine, les dirigeants ne partagent pas la foi naïve des européens dans les bienfaits spontanés de la libre circulation des capitaux et des marchandises : ils n’ouvrent leurs frontières que dans la mesure où cela leur est profitable et ils n’ont nullement asservi leur système bancaire à la dictature des marchés financiers. La situation de l’Europe, avec ses dirigeants crispés sur des dogmes coupés des réalités, évoque bien plutôt, quant à elle, une « brejnevisation », une glaciation politique annonciatrice d’inéluctables débâcles. Mais la démocratie continue de s’exercer au niveau des États membres, sous réserve de ne pas affecter l’ordre juridique communautaire.

4La nouvelle « doctrine sociale » de la Cour de justice s’inscrit dans ce contexte. Il faut tout d’abord en prendre la pleine mesure et analyser ensuite les résistances qu’elle suscite si l’on veut sortir l’Union européenne du sommeil dogmatique où l’a plongée sa conversion à l’ultralibéralisme.

La doctrine « sociale » de la Cour de justice de l’Union européenne

5Concernant les leçons à tirer du tournant ultralibéral de la Cour de justice de l’Union européenne, il faut commencer par prendre acte de sa radicalité. Totalement insensible aux critiques qui lui ont été adressées et incapable de tirer la moindre leçon de la crise du modèle ultralibéral, la Cour de justice poursuit l’entreprise de déconstruction des droits sociaux nationaux et de « libération des forces du marché ». Dernier en date de ces coups de pioche libérateurs, son arrêt du 15 juillet 2010 étend l’emprise des marchés sur la gestion des systèmes d’assurance vieillesse négociés par les partenaires sociaux [12]. Usant de la rhétorique inaugurée en 2007 dans ses arrêts Viking et Laval, la Cour commence (§ 38) par proclamer bruyamment le caractère fondamental des droits des travailleurs en cause (en l’espèce le droit à la négociation collective) pour fonder ensuite son raisonnement, non sur ces « fondamentaux », mais sur « l’application des libertés d’établissement et de prestation des services » (§ 46) [13]. À rebours de ses décisions antérieures, qui faisaient échapper au droit commercial la négociation collective [14] et les institutions fondées sur la solidarité [15], la Cour affirme sans ciller dans cet arrêt (§ 52) qu’un « juste équilibre » doit être observé « dans la prise en considération des intérêts respectifs en présence », c’est-à-dire, d’un côté, ceux des travailleurs dont il s’agit de garantir un bon niveau de pension et, de l’autre, ceux des banques et des compagnies d’assurance dont la Commission défend la liberté d’opérer sur le marché des retraites [16]. Aux yeux de la Cour et de la Commission, cet équilibre serait rompu si l’on admettait que l’épargne des retraités soit gérée conformément à leurs vœux et qu’elle ne serve que leur seul intérêt et non celui des marchés. Un pas de plus est ainsi franchi dans la captation par le secteur privé de la manne financière représentée par les cotisations sociales, qui s’inscrit elle-même dans un mouvement plus général de privatisation de l’État-providence [17]. Dans cette veine, on retiendra l’affirmation de la Cour selon laquelle la « solidarité n’est pas par nature inconciliable avec l’application d’une procédure de passation de marché », au motif que « la mutualisation des risques, sur laquelle repose toute activité d’assurance, peut […] être garantie par un organisme ou une entreprise d’assurance » (§ 58). User ainsi de la notion de « mutualisation des risques » comme d’un chapeau, d’où les assureurs privés ressortent en chevaliers blancs de la solidarité, est un tour de passe-passe, digne d’un numéro de cabaret. Le secret de ce tour consiste à confondre un calcul de probabilités et un lien d’obligations entre des personnes. La « solidarité » que promeuvent les assureurs est bien résumée par cet argument publicitaire de l’un d’entre eux : « Pourquoi payer comme un malade, quand je ne suis pas malade ? [18] » Sur cette pente, on ne voit pas très bien ce qui retiendra l’Union européenne de brûler l’assurance maladie sur l’autel des marchés, au nom du « juste équilibre » à trouver entre le niveau de soins dont doivent bénéficier les malades et les chances de gain qu’une privatisation de la couverture santé obligatoire représenterait pour les assureurs.

6Ces confusions et ces régressions ne peuvent surprendre si l’on veut bien se souvenir de l’espèce de fond qu’a touché le juge communautaire en affirmant dans l’arrêt Viking que le respect de la dignité humaine devait être concilié avec les exigences relatives aux droits économiques protégés par le traité. Étrangement, ce point n’a guère attiré l’attention des très nombreux commentateurs de cet arrêt, alors qu’il constitue la pire des extravagantes dérives de la Cour de justice. La signification profonde du principe de dignité, tel qu’il s’est affirmé au sortir des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, est qu’en aucun cas et sous aucun prétexte il n’est permis de traiter les hommes comme des animaux ou des machines. Il ne s’agit pas d’un droit fondamental parmi d’autres, mais d’un interdit fondateur d’un ordre juridique civilisé. La Cour de justice ne l’entend pas ainsi : le respect de la dignité humaine doit, nous dit-elle, être « concilié » avec la libre concurrence, la libre circulation des marchandises et des capitaux et la libre prestation de services [19]. À la lecture de cet arrêt, le doute surgit : les juges communautaires savent-ils encore de quoi ils parlent lorsqu’ils parlent du principe de dignité ? Comprennent-ils qu’en le plaçant sur le même plan que ceux qui régissent le droit des affaires, ils reviennent sur l’un des acquis les plus chèrement payés par l’Europe ? Sur le principe qu’en 1949 l’Allemagne fédérale a placé en tête de sa Constitution, pour sceller la tombe du délire totalitaire où l’avait plongée le nazisme [20].

7Depuis un demi-siècle, grâce à la prudence de générations de juges communautaires, respectueux des principes fondamentaux des ordres juridiques nationaux, la Cour avait progressivement acquis une vraie légitimité. Légitimité toujours fragile s’agissant d’une institution non élective, et dont la fragilité est plus grande encore dans un ordre communautaire situé loin des peuples et souffrant d’un fort déficit démocratique. Certaines de ces décisions pouvaient être vivement contestées, mais elle était toujours respectée. C’est ce respect qu’elle est en train de perdre depuis qu’elle s’est laissé prendre à l’ivresse de son pouvoir législatif incontrôlé. Les arrêts Viking et Laval sont clairement une revanche politique de ceux qui n’avaient pu imposer leur point de vue démocratiquement lors de l’adoption de la directive « services » [21], avec l’abandon à l’époque du projet dit Bolkenstein [22]. On se souvient que cet abandon avait été décidé pour tenter de réduire le risque d’un rejet électoral du projet de traité constitutionnel. Le texte de la directive finalement adoptée écarte l’idée, présente dans le projet Bolkenstein, d’appliquer le droit du pays d’origine du travailleur détaché, à la seule exception des dispositions visées par la directive « transfert ». La volonté démocratiquement exprimée du législateur européen est donc claire : ces dispositions constituent un minimum et non un maximum de droits du travailleur détaché [23]. En renversant cette règle, la Cour exprime le peu de cas qu’elle fait du respect de la démocratie dans l’élaboration du droit communautaire [24]. Mépris également visible dans la manière dont elle s’arroge le pouvoir de réglementer la grève, pouvoir que les traités refusent explicitement aux institutions communautaires [25].

8À vrai dire la Cour de justice n’est pas la seule à s’affranchir des exigences de la démocratie. L’Union européenne est devenue un modèle accompli de la « démocratie limitée » qu’Hayek appelait de ses vœux. L’un des buts explicites du programme ultralibéral était de « détrôner la politique » (Hayek, 1983, p. 153 et s.) pour empêcher des populations ignorantes de se mêler des lois de l’économie, qui échappent à leur entendement. « L’économie de marché, écrivait Hayek, leur est en grande partie incompréhensible ; ils n’ont jamais pratiqué les règles sur lesquelles elle repose, et ses résultats leur semblent irrationnels et immoraux […] leur revendication d’une juste distribution – pour laquelle le pouvoir organisé doit être utilisé afin d’allouer à chacun ce à quoi il a droit – est ainsi un atavisme fondé sur des émotions originelles » (p. 197-198.). L’objectif premier de la révolution ultralibérale a été et demeure de mettre l’« ordre spontané » du marché à l’abri du pouvoir des urnes, au moyen de dispositions constitutionnelles qui « interdisent à quiconque de fixer l’échelle de bien-être dans les divers groupes et entre les individus » (p. 181). L’absence de véritable scrutin à l’échelle communautaire a fait de l’Union européenne une terre d’élection de cette politique d’éviction du politique. Les résistances électorales se sont certes vigoureusement exprimées dans maints référendums nationaux. Mais les dirigeants des pays de l’Union européenne sont parvenus à contourner successivement le rejet du traité de Maastricht par les électeurs danois, du traité de Nice par les Irlandais, du traité constitutionnel par les électeurs français et hollandais et du traité de Lisbonne par les Irlandais. L’habitude se prend de considérer que les résultats d’un scrutin ne s’imposent que s’ils répondent aux vœux des dirigeants qui l’organisent.

9S’est ainsi installée en Europe une version occidentale de ce que l’article 1er de la Constitution chinoise appelle une « dictature démocratique » [26]. La différence – évidemment très importante – est que cette dictature est exercée en Chine par un parti unique et en Europe par les marchés financiers. Mais cela n’interdit pas des points communs et notamment une aversion marquée pour la liberté syndicale et pour le droit de grève, qui sont les piliers de la démocratie sociale, non moins susceptibles que la démocratie politique d’entraver l’action bienfaisante de cet avatar moderne de la divine providence qu’est la main invisible du Marché [27]. Depuis un siècle, la démocratie sociale a été le propre des pays libres qui, sous des formes diverses, ont complété la démocratie politique – à base quantitative et électorale, par des mécanismes de représentation qualitative des différents groupes d’intérêts professionnels [28]. Au lieu d’asservir les syndicats et d’interdire les grèves pour imposer d’en haut une certaine conception de la justice – ce qui a toujours été le cas des régimes dictatoriaux –, la démocratie sociale consiste au contraire à faire du conflit d’intérêts l’un des moteurs de la découverte de la règle juste, à un moment et dans des circonstances donnés. La liberté syndicale, le droit de grève et la négociation collective sont également nécessaires à cette conversion des rapports de forces en rapports de droit. Dans un système politique comme l’Union européenne, qui échappe à peu près complètement à la sanction électorale, ces trois instruments sont les seuls dont les travailleurs pouvaient disposer librement pour contester les effets sociaux de l’« ordre spontané » du marché unique. La Cour de justice leur ôte cette liberté en se faisant juge des « raisons impérieuses d’intérêt général » en dehors desquelles toute grève de ce type est désormais interdite [29]. Elle tire ainsi tout le parti négatif possible de l’absence à l’échelle communautaire d’un cadre juridique ferme instaurant une véritable démocratie sociale, et non pas seulement un « dialogue social » coupé de véritables moyens d’action collective pour les syndicats [30]. Dire que les salariés ne peuvent faire grève que si les pouvoirs publics estiment qu’ils ont une impérieuse raison d’intérêt général de le faire, ou bien soumettre les syndicats au droit des affaires, c’est vider les libertés collectives de leur contenu et non pas les concilier avec les libertés économiques. On aboutit à un système typique de l’économie communiste de marché, dans lequel la proclamation bruyante des droits fondamentaux des travailleurs [31] s’accompagne de l’interdiction qui leur est faite de défendre librement et collectivement leurs intérêts.

10Cette politique est dangereuse. Dès lors qu’il ne peut plus s’exprimer par des voies démocratiques sur le terrain économique, le sentiment d’injustice sociale peut aisément être détourné vers la haine de l’autre et le rejet de l’étranger. De socio-économiques, les conflits se font identitaires. Attiser, comme le fait la Cour, la mise en concurrence systématique des travailleurs de nationalités différentes – jouer les Lettons contre les Suédois, ou les Européens contre les immigrés – ne peut que nourrir la xénophobie et la stigmatisation de l’étranger. Celles-ci ne sont déjà plus le triste apanage des partis d’extrême droite, mais irriguent les postures et les programmes de beaucoup de partis de gouvernement. La politique de mise en concurrence des travailleurs de tous pays ne peut en effet être mise en œuvre sur le territoire d’un même État sans enfreindre le principe d’égalité de traitement garanti par les traités européens. Cette violation est flagrante dans la dernière jurisprudence de la Cour. Elle a pour effet que les droits de deux travailleurs ou de deux entreprises œuvrant sur un même chantier ne seront de fait pas les mêmes selon leur nationalité [32]. Le Parlement européen s’est élevé contre cette violation grossière du principe d’égalité dans une résolution adoptée en 2008, qui rappelle que, « dans le cadre de la libre prestation de services ou de la liberté d’établissement, la nationalité de l’employeur, des employés ou des travailleurs détachés ne peut justifier des inégalités en matière de conditions de travail, de salaire ou d’exercice de droits fondamentaux comme le droit de grève [33] ». Le fait que cette résolution, qui critiquait explicitement les arrêts Laval/Viking/Rüffert [34], n’ait eu aucune portée juridique ni même aucune influence sur la jurisprudence ultérieure de la Cour, pas plus que sur la Commission ou le Conseil, souligne, s’il en était besoin, que le rôle imparti aux élus dans les institutions européennes se réduit à celui d’un cache-sexe démocratique.

« Quis custodiet ipsos custodes ? »

11Mais qui les gardera, ces gardiens[35] ? Quels pouvoirs ou contre-pouvoirs sont aujourd’hui en mesure de ramener le juge communautaire à la raison démocratique et au respect des principes et droits sociaux fondamentaux ? Les institutions communautaires s’étant révélées incapables de le faire, soit par impuissance juridique (dans le cas du Parlement), soit par impuissance politique (dans le cas du Conseil), soit par adhésion idéologique à la doctrine de la Cour (dans le cas de la Commission), les rappels à l’ordre ne peuvent venir que d’instances nationales ou internationales.

12Au plan national, ce peut être le fait du juge ou du législateur. La marge de manœuvre du législateur est étroite et, sauf à prendre le risque d’une crise politique avec les institutions européennes, la tendance des gouvernements nationaux sera plutôt de rechercher des solutions de compromis qui, derrière une soumission de façade aux injonctions de la Cour, limitent la casse de leur modèle social [36]. Le juge, en revanche, et d’abord le juge constitutionnel, est garant du respect des droits et principes fondamentaux et peut décider de ne pas se soumettre aveuglément aux interprétations de la Cour de justice européenne. Le processus de ratification du traité de Lisbonne a ainsi été l’occasion pour le Bundesverfassungsgericht de rappeler avec éclat les limites qu’impose aux institutions communautaires leur manque de légitimité démocratique, dans une décision dont la portée dépasse de beaucoup les questions de droit constitutionnel allemand [37]. La Cour constitutionnelle commence par rappeler que « tant le contrôle ultra vires (qui s’applique en cas de violation des limites de leurs compétences par les organes communautaires ou de l’Union) que le contrôle du respect de l’identité constitutionnelle peuvent conduire à ce qu’une disposition de droit communautaire ou, à l’avenir, de droit de l’Union soit déclarée inapplicable en Allemagne » (§ 241). Plus généralement, elle juge que « si, dans le cadre de l’évolution de l’intégration européenne, une disproportion devait surgir entre la nature et l’étendue des droits de souveraineté exercés, d’une part, et le degré de légitimité démocratique, d’autre part, il appartiendrait à la République fédérale d’Allemagne en raison de sa responsabilité d’intégration d’agir en vue d’apporter un changement à une telle situation et, en ultime recours, de refuser de continuer à participer à l’Union européenne » (§ 264). Si la Constitution allemande doit ainsi « garder le dernier mot », c’est « en tant que droit d’un peuple de trancher directement les questions fondamentales relatives à sa propre identité » (§ 340).

13Le raisonnement de la Cour fédérale ne procède donc nullement d’un réflexe nationaliste, mais bien au contraire du souci de défendre la valeur universelle du principe de démocratie : « L’intégration européenne ne saurait conduire à vider de sa substance le système de pouvoir démocratique en Allemagne et la puissance publique supranationale en tant que telle ne saurait méconnaître les exigences démocratiques fondamentales » (§ 244). Dès lors en effet que « le droit à une participation libre et égale à la puissance publique est ancré dans la dignité humaine » (§ 211), « le principe de démocratie ne peut pas être pesé contre d’autres valeurs ; il est intangible » (§ 216). Or l’Union européenne ne remplit aucune des exigences démocratiques qu’elle impose à ses membres. « Dans une démocratie, le peuple doit pouvoir désigner le gouvernement et le pouvoir législatif au suffrage libre et égal. Ce noyau dur peut être complété par la possibilité de référendums sur des questions de fond […]. En démocratie, la décision du peuple est au centre de la formation et de l’affirmation du pouvoir politique : tout gouvernement démocratique connaît la crainte de perdre le pouvoir en cas de non-réélection » (§ 270). Rien de tel dans l’Union : pas de votes ou d’élections qui permettraient à une opposition de se structurer et d’accéder au pouvoir sur un programme de gouvernement (§ 213). La « démocratie participative » qu’elle prétend développer « ne peut certes remplacer le rapport de légitimité qui se rattache aux élections et votations », mais tout au plus « remplir une fonction accessoire dans la légitimation du pouvoir de la puissance publique européenne » (§ 272). Particulièrement bienvenu [38], ce ferme rappel des exigences de la démocratie s’étend à la démocratie sociale. Ouvrant la voie à un contrôle constitutionnel des atteintes que l’Union européenne porterait aux principes de base d’un État social, le Bundesverfassungsgericht en dessine ainsi les contours : « La Loi fondamentale ne défend pas uniquement les fonctions sociales de l’État allemand contre un empiètement par des institutions supranationales, mais elle veut également lier la puissance publique européenne à la responsabilité sociale, lorsqu’elle exerce les fonctions qui lui ont été transférées » (§ 258). La notion d’identité constitutionnelle n’est pas propre au droit constitutionnel allemand (Burgorgue-Larsen, 2011) et d’autres cours pourraient s’en saisir à leur tour pour rappeler le juge européen au respect de la démocratie politique et sociale [39].

14Les autres garde-fous à l’exubérance ultralibérale de la Cour se situent au plan international. Il s’agit tout d’abord du Conseil de l’Europe et de ses instances de contrôle du respect des droits de l’homme. La Cour de Strasbourg (CEDH) a adopté une méthode d’interprétation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui se réfère aux « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées [40] » et intègre toutes les normes internationales et européennes du travail, y compris les normes de l’OIT et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [41]. Conforme au principe d’indivisibilité des droits de l’homme, cette méthode lui permet d’imposer le respect des droits sociaux fondamentaux que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’emploie dans le même temps à vider de leur contenu. La divergence d’interprétation entre ces deux juridictions européennes est désormais flagrante. Elle prendra un tour directement juridique le jour où l’Union européenne, comme le lui impose l’article 6, § 2, du traité de Lisbonne, adhérera à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

15L’autre instance susceptible de réagir aux débordements doctrinaires de l’Union est l’Organisation internationale du travail. Saisie par l’Association des pilotes de ligne britanniques (BALPA) de l’incidence de la jurisprudence Viking sur l’exercice du droit de grève au Royaume-Uni, la commission d’experts de l’OIT « observe avec une grande préoccupation, dans cette affaire, les limites pratiques à l’exercice effectif du droit de grève pour les travailleurs affiliés à la BALPA. La commission est d’avis que la menace omniprésente d’une action en dommages-intérêts comportant le risque de mener le syndicat dans une situation d’insolvabilité, éventualité aujourd’hui fort plausible, compte tenu de la jurisprudence Viking et Laval, crée une situation dans laquelle l’exercice des droits établis par la convention [no 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical] devient impossible [42] ». Au gouvernement britannique, arguant que cet impact sera en pratique limité aux hypothèses où le conflit collectif a une dimension internationale, l’OIT répond que « dans le contexte actuel de la mondialisation, de telles affaires risquent de devenir plus courantes, notamment dans certains secteurs d’emploi, comme celui des transports aériens, tant et si bien qu’une atteinte à la possibilité des travailleurs de ces secteurs de négocier réellement avec leurs employeurs sur les questions affectant leurs conditions d’emploi pourrait assurément se révéler dévastatrice. Ainsi, la commission considère que la doctrine utilisée dans ces jugements de la CJCE est susceptible d’avoir un effet restrictif quant à l’exercice du droit de grève dans la pratique, d’une manière qui est contraire à la convention[43] ». Bien que la commission d’experts ait pris soin de préciser que sa tâche n’était pas de contrôler les motifs des arrêts Laval et Viking au regard du droit communautaire, on ne saurait imaginer une condamnation plus radicale de leur dispositif et de leur effet normatif. Plusieurs réformes sont envisageables, qui donneraient beaucoup plus de poids à l’OIT dans ce débat. La première, actuellement en cours de discussion, consisterait à transformer sa commission d’experts en un véritable organe de règlement des litiges [44]. La seconde serait que l’Union européenne adhère au moins aux conventions de l’OIT garantissant les principes et droits fondamentaux de l’homme au travail visés par ses déclarations de 1998 et de 2008 [45].

D’une crise l’autre

16La présence de ces contrepoids institutionnels est de nature à endiguer les débordements doctrinaires de la Cour de justice, mais non de sortir du piège où se trouve aujourd’hui pris le processus d’intégration européenne. Les deux mâchoires de ce piège sont, d’une part, la pleine capacité des institutions de l’Union de démanteler les solidarités nationales et, d’autre part, leur totale incapacité de bâtir des solidarités européennes. Il serait injuste d’accabler seulement la Cour de justice, qui ne fait que pousser à ses conséquences extrêmes un choix politique qui remonte à la fondation même de la Communauté européenne : celui d’écarter l’idée qu’il n’est pas de vrai « marché commun » sans un droit fiscal et un droit social commun. Cette thèse fut défendue en 1956 lors de la négociation du traité de Rome par le chef du gouvernement français, Guy Mollet, qui y renonça finalement en échange de l’adoption d’une politique agricole commune (Scharpf, 2002, p. 645). Elle fut notamment combattue par le Suédois Bertil Ohlin, économiste qui présidait le groupe d’experts que le BIT avait réuni pour se prononcer sur les aspects sociaux de la future communauté européenne [46]. Deux arguments furent alors avancés pour écarter ainsi l’idée d’une législation sociale et fiscale commune, qui se retrouvent tous deux à l’article 151 TUE (ex-art. 117 du traité de Rome). Le premier était que le fonctionnement du marché intérieur entraînerait spontanément une « égalisation dans le progrès » ; le second qu’une uniformité de ces législations entraverait la compétitivité internationale des entreprises européennes.

17La Cour de justice pourrait donner une portée normative à cet objectif de l’« égalisation dans le progrès », au lieu de promouvoir, comme elle le fait depuis ses arrêts Viking-Laval-Rüffert, une égalisation vers le bas de la condition salariale. Son récent arrêt Koelzsch [47], du 15 mars 2011, est peut-être un premier pas en ce sens, dans la mesure où il rend vigueur au principe de faveur à l’échelle de l’Union, en même temps qu’il va dans le sens d’une reterritorialisation de la loi applicable aux travailleurs. Il est toutefois trop tôt pour savoir s’il témoigne d’une réelle inflexion de sa politique jurisprudentielle en matière sociale, consécutive aux critiques qui lui ont été adressées depuis trois ans, ou bien du souci plus ponctuel de ne pas méconnaître l’esprit des dispositions de la convention de Rome relatives aux contrats de travail [48].

18Mais il n’est de toute façon pas sûr que cette jurisprudence soit le principal problème posé à l’Europe sociale, car elle se borne à appliquer à l’intérieur même de l’Union européenne un mot d’ordre de mise en concurrence des normes sociales et fiscales qui est de règle à l’échelle du commerce international. Ce qui a en réalité progressivement disparu depuis trente ans en Europe (mais pas en Chine ou en Inde), c’est l’idée de « marché intérieur », c’est-à-dire d’un marché institué par le droit, qui lui fixe des limites à la fois fonctionnelles et géographiques. L’idée qui s’est imposée sous l’égide de l’ultralibéralisme est au contraire que le droit lui-même est un produit, un « produit législatif », dont la valeur s’apprécie à l’aune de sa compétitivité sur un marché international des normes. Activement promu par les institutions économiques internationales, comme l’OCDE, le FMI ou la Banque mondiale [49], ce darwinisme normatif fait des marchés financiers l’arbitre suprême de la légitimité des règles sociales, fiscales ou environnementales, donnant naissance à un « marché total » au sein duquel le law shopping supplante peu à peu le rule of law (Supiot, 2010a, p. 64 et s.).

19Évidemment un tel ordre n’est pas tenable à long terme. Instituant la lutte de tous contre tous, il ne peut conduire qu’à la violence et au délabrement de l’économie. C’est sans doute la principale leçon qui aurait dû être tirée de la crise de 2008, que la déréglementation des marchés financiers (censés s’autoréguler) conduisait à la faillite. Au lieu de quoi le mot d’ordre semble être, sur le mode maoïste du Grand Bond en avant, qu’il faut « passer à la vitesse supérieure », pour reprendre le titre éloquent de l’éditorial d’un récent rapport de conjoncture de l’OCDE [50]. S’interrogeant sur les leçons qu’il convient de tirer de la crise, ce rapport explique que l’implosion des marchés financiers ne doit aucunement remettre en cause « les principes prônés depuis de longues années » par l’OCDE. Bien au contraire, il recommande d’intensifier les politiques visant à flexibiliser les marchés du travail, à « réaliser des gains d’efficience sur les dépenses, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé, et éviter d’alourdir sensiblement les impôts ». Tout en félicitant le Brésil, la Chine et l’Inde pour les « améliorations notables [de leur] capital humain » (sic), il leur enjoint d’élargir leurs marchés financiers (alors même que c’est parce qu’ils échappent encore largement à leur emprise qu’ils ont été moins affectés par la crise).

20Même cécité au sein de l’Union européenne. Une fois sauvés de la faillite par un creusement abyssal des déficits publics, les responsables du désastre de 2008 ont argué de ces déficits pour exiger une flexibilité accrue des marchés du travail et une réduction drastique des salaires et des dépenses sociales. Au lieu de restaurer le gouvernement par les lois, et de fixer des règles propres à juguler la cupidité humaine, les États se sont enfoncés dans la gouvernance par les nombres, érigeant les oracles des agences de notation des dettes souveraines en horizon de l’action publique. Des « techniciens » issus des rangs des banques les plus compromises dans la faillite de 2008 ont été mis à la tête de la Banque centrale européenne et des pays les plus exposés à la vindicte des marchés financiers, sans parvenir pour autant – on peut le comprendre – à « rassurer » lesdits marchés. Poursuivant le rêve d’une mise en pilotage automatique des affaires humaines, l’idéologie de la « gouvernance » s’applique ainsi aux États, après avoir été appliquée aux salariés et aux entreprises [51]. Elle ne peut qu’entrer en collision avec le principe de démocratie car, si les États doivent être gérés comme des entreprises, leur direction doit être confiée en effet à des « techniciens » de la finance lorsque les peuples se montrent incapables de répondre aux attentes des marchés. De son côté, la Commission européenne n’a tiré aucune leçon sérieuse de l’échec manifeste de la stratégie de Lisbonne adoptée en 2000. Dans son agenda Europe 2020[52], elle a fixé à l’Union, pour les dix années qui viennent, trois priorités [53] et cinq grands objectifs [54] qui témoignent eux aussi d’une fuite en avant vers les mirages d’une gouvernance par les nombres, déconnectée aussi bien de la démocratie que des réalités sociales et économiques. Aucune des questions clés posées par l’avenir de l’Europe, et qui devraient nourrir le débat politique, ne s’y trouvent posées : ni celle de la réglementation des marchés, ni celle des frontières du commerce, ni celle des politiques sociales, fiscales ou environnementales. Et aucun principe d’action n’y est formulé qui évoquerait, même de loin, un horizon proprement humain, de justice, de solidarité, de démocratie ou de qualité de la vie ; seulement deux mots d’ordre, vides de tout contenu axiologique : efficacité et compétitivité.

21Force donc est de constater que la crise de 2008 n’a pas réussi à tirer nos dirigeants du profond sommeil dogmatique où les a plongés la doctrine ultralibérale. Ce constat n’est nullement pessimiste ou désespéré. Un champ immense s’ouvre aux générations montantes pour défricher les chemins sinueux qui mènent à une autre Europe possible, riche de la diversité de ses cultures et unie par une commune aspiration à plus d’humanité et de justice dans le monde.

Notes

  • [1]
    Cette contribution est une version remaniée et actualisée d’un texte publié en anglais (Moreau [dir.], 2011).
  • [2]
    E. Kant, préface des Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science (1783), in Œuvres philosophiques, Paris, Gallimard-Pléiade, t. 2, p. 17.
  • [3]
    Jurisprudence inaugurée par ses arrêts Viking (CJCE, 6 déc. 2007, aff. C-438/05) et Laval (18 déc. 2007, aff. C-341-05), et poursuivie par ses arrêts Rüffert (3 avril 2008, aff. C-346/06) et Commission c. grand-duché du Luxembourg (19 juin 2008, aff. C-319/06).
  • [4]
    CJCE 18 déc. 2007, aff. C-341-05, Laval ; 3 avril 2008, aff. C-346/06, Rüffert, qui permet de payer des travailleurs étrangers détachés dans un pays membre de l’UE la moitié du tarif des conventions collectives applicables dans ce pays.
  • [5]
    CJCE, 19 juin 2008, aff. C-319/06, Commission c. grand-duché du Luxembourg.
  • [6]
    CJCE 15 juin 2006, Commission c. France, aff. C-255/04.
  • [7]
    CJCE, 19 juin 2008, aff. C-319/06, grand-duché du Luxembourg, préc.
  • [8]
    CJCE, 6 déc. 2007, aff. C-438/05, Viking.
  • [9]
    CJCE, 6 déc. 2007, aff. C-438/05, Viking.
  • [10]
    CJCE, 19 juin 2008, aff. C-319/06, Commission c. grand-duché du Luxembourg, voir. §. 53.
  • [11]
    L’article 15 de la Constitution de la République populaire de Chine disposait que : « L’État pratique une économie planifiée fondée sur le système socialiste de la propriété publique. » Cette formule a été abrogée en 1993 au profit de la suivante : « L’État met en œuvre l’économie de marché socialiste. L’État met en œuvre la législation économique, il réalise les ajustements et les contrôles macroéconomiques, et il interdit à tout groupe ou à tout individu, conformément à la loi, de troubler l’ordre socio-économique. » La signification acquise du terme « socialiste » sur la scène politique européenne étant source de possibles confusions avec l’idée d’économie mixte (qui servit un temps de doctrine au Parti socialiste), la traduction de shehuizhuyi shichang jingji (????? ???) par « économie communiste de marché » est plus fidèle à l’esprit du constituant chinois.
  • [12]
    CJUE (grande chambre), 15 juillet 2010, Commission c. République fédérale d’Allemagne, aff. C-271/08, voir Kessler (2010).
  • [13]
    Sur cette inversion du raisonnement dans les arrêts Viking et Laval, voir Rodière (2010), spéc. p. 578.
  • [14]
    CJCE, 21 septembre 1999, aff. C-67/96, Albany ; C-115-97, Brentjens ; C-219-97 Maatschappij, Rec. I, p. 5751, concl. Jacobs.
  • [15]
    CJCE 17 fév. 1993, aff. C-159/91, Poucet, et C-160-91, Pistre, Rec. I, p. 664.
  • [16]
    CJUE, aff. C-271/08 préc. § 52.
  • [17]
    C’est J.K. Galbraith (2008) qui a, le premier, décrit ce mouvement de prédation de l’État social.
  • [18]
    Campagne publicitaire de Thelem Assurance, automne 2010, cf. www.thelem-assurances.fr/
  • [19]
    « L’exercice des droits fondamentaux en cause, à savoir respectivement les libertés d’expression et de réunion ainsi que le respect de la dignité humaine, n’échappe pas au champ d’application des dispositions du traité. Cet exercice doit être concilié avec les exigences relatives aux droits protégés par ledit traité et être conforme au principe de proportionnalité » (CJCE, 11 décembre 2007, Viking, aff. C-438/05, § 46).
  • [20]
    Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland, art. 1er, § 1 : « Die Würde des Menschen ist unantastbar. Sie zu achten und zu schützen ist Verpflichtung aller staatlichen Gewalt » (La dignité de l’être humain est intangible. Tous les pouvoirs publics ont l’obligation de la respecter et de la protéger).
  • [21]
    Directive 2006/123/CE.
  • [22]
    COM (2004) 2, final, art. 17.5.
  • [23]
    Cf., sur cette règle, Moizard (2000).
  • [24]
    Cf., en ce sens, Malmberg (2011).
  • [25]
    Cf. les dispositions finales de l’article 136 du traité CE, définissant les objectifs de la Communauté européenne dans le domaine social : « Les dispositions du présent article ne s’appliquent ni aux rémunérations, ni au droit d’association, ni au droit de grève, ni au droit de lock-out. »
  • [26]
    Constitution de la République populaire de Chine, article 1er : « La République populaire de Chine est un État socialiste de dictature démocratique populaire dirigé par la classe ouvrière et fondé sur l’alliance entre ouvriers et paysans. »
  • [27]
    Cf., sur les origines jansénistes de cette métaphore de la main invisible, Latouche (2005), p. 138 et s.
  • [28]
    Cf., sur le cas français, Supiot (2010 b), p. 525 et s.
  • [29]
    CJCE, 18 décembre 2007, Laval, aff. C-341/05, § 101.
  • [30]
    Cf., en ce sens, Vigneau (2011) et Paris (2011).
  • [31]
    Les déclamations de ce type parviennent toujours à rassurer certains juristes (voir par exemple Sabel et Gerstenberg, 2010, p. 511 et s.), mais pas la commission d’experts de l’OIT, qui a une vue plus exigeante de ce que signifient la liberté syndicale et le droit de grève (voir son avis analysé infra).
  • [32]
    Voir en ce sens la forte démonstration de Lo Faro (2011).
  • [33]
    Résolution du Parlement européen du 22 octobre 2008 sur les défis pour les conventions collectives dans l’UE (2008/2085 (INI]), JOUE C-15E, 21 janvier 2010, § 8, p. 55.
  • [34]
    Le Parlement « souligne que la liberté de fournir des services ne prime pas les droits fondamentaux inscrits dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et notamment le droit des syndicats à recourir à une action collective, sachant en particulier qu’il s’agit d’un droit constitutionnel reconnu dans plusieurs États membres ; souligne par conséquent que les arrêts de la CJCE dans les affaires Rüffert, Laval et Viking, précitées, montrent qu’il est nécessaire de préciser que les libertés économiques, inscrites dans les traités, devraient être interprétées de manière à ne pas porter atteinte à l’exercice des droits sociaux fondamentaux reconnus dans les États membres et par le droit communautaire, y compris le droit de négocier, de conclure et d’appliquer des conventions collectives et le droit de mener des actions collectives, et à ne pas porter atteinte à l’autonomie des partenaires sociaux lorsqu’ils exercent ces droits fondamentaux pour la défense d’intérêts sociaux et la protection des travailleurs » (résolution préc., § 5).
  • [35]
    Juvenal, Satires VI.
  • [36]
    Cf. la comparaison de l’impact de la jurisprudence Laval au Danemark et en Suède par Malmberg (2011).
  • [37]
    Décision 2 BvE 2/08 du 30 juin 2009, consultable sur le site de la Cour www.bundesverfassungsgericht.de (avec des traductions anglaise et française). Sur cet arrêt, voir Aliprantis (2011). Pour une analyse en langue anglaise, add. le dossier spécial qu’a consacré à cet arrêt le German Law Journal, vol. 10, no 8, 2009, www.germanlawjournal.com
  • [38]
    Voir contra l’analyse de Mückenberger (2011), selon lequel le BVerfG, en prenant acte du déficit démocratique de l’UE, empêcherait que ce déficit puisse être un jour comblé.
  • [39]
    En France, le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de décider que « la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ». Décision no 2010-605 DC du 12 mai 2010, § 18. Et déjà dans le même sens ses décisions no 2006-540 DC du 27 juillet 2006, § 19 ; no 2006-543 DC du 30 novembre 2006, § 6 ; no 2008-564 DC du 19 juin 2008, § 44. Comp. la position de la Cour de cassation, qui a fait acte de totale allégeance à la Cour de justice (CJUE, 22 juin 2010, aff. C-188/10, Aziz Melki, et C-189/10, Sélim Abdeli) en décidant que « le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel » (Ass. plén. 29 juin 2010, pourvois no 1040001 et no 1040002).
  • [40]
    Cette notion est issue, on le sait, des dispositions du statut de la Cour internationale de justice (art. 38, § 1, c).
  • [41]
    CEDH (grande chambre), 12 novembre 2008, Demir et Baykara c. Turquie (no 34503/97) ; et CEDH, 21 avril 2009, Enerji Yapi-Pol Sen c. Turquie (no 68959/01), appliquant cette méthode à la protection du droit de grève.
  • [42]
    BIT (2010), p. 211, « grande préoccupation » est souligné dans le texte original.
  • [43]
    BIT (2010), en italique : souligné par moi.
  • [44]
    Cf., en ce sens, Maupain (2010).
  • [45]
    Cette adhésion de la Communauté européenne aux conventions de l’OIT a été défendue déjà il y a de nombreuses années par notre collègue Éliane Vogel-Polsky.
  • [46]
    BIT (1956), notamment p. 102 à 106, cité par Dumont (2010), p. 81 et s., et Spyropoulos (1966), p. 19 et s.
  • [47]
    CJUE, 15 mars 2011 (grande chambre, aff. C-29/10). Voir Grass (2011), Idot (2011), Lacoste-Mary (2011).
  • [48]
    Dispositions qui se retrouvent inchangées dans le règlement (CE) no 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, qui s’est substitué à la convention de Rome.
  • [49]
    Voir sur le site de programme Doing Business de la Banque mondiale www.doingbusiness.org/, où l’on trouve notamment une mappemonde représentant la terre comme un espace de compétition entre législations (Business Planet Mapping the Business Environment). La Banque met ainsi en œuvre une méthodologie mise au point par des économistes des universités de Harvard et de Yale : Botero et al. (2004).
  • [50]
    OCDE, Objectif croissance 2010. Disponible à l’adresse www.oecd.org/dataoecd/9/9/44756813.pdf
  • [51]
    Cf. ce point développé dans Supiot (2011).
  • [52]
    COM (2010) 2020 : Europe 2020. Une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive.
  • [53]
    Trois priorités « qui se renforcent mutuellement » qui en réalité n’en font qu’une, la croissance économique : « – une croissance intelligente : développer une économie fondée sur la connaissance et l’innovation ; – une croissance durable : promouvoir une économie plus efficace dans l’utilisation des ressources, plus verte et plus compétitive ; – une croissance inclusive : encourager une économie à fort taux d’emploi favorisant la cohésion sociale et territoriale ». COM (2010) 2020, op. cit., p. 3.
  • [54]
    « La Commission propose de fixer à l’UE les grands objectifs suivants : – 75 % de la population âgée de 20 à 64 ans devrait avoir un emploi ; – 3 % du PIB de l’UE devrait être investi dans la R&D ; – les objectifs “20/20/20” en matière de climat et d’énergie devraient être atteints (y compris le fait de porter à 30 % la réduction des émissions si les conditions adéquates sont remplies) ; – le taux d’abandon scolaire devrait être ramené à moins de 10 % et au moins 40 % des jeunes générations devraient obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur ; – il conviendrait de réduire de 20 millions le nombre de personnes menacées par la pauvreté. » COM (2010) 2020, préc., p. 3.

Références bibliographiques

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Alain Supiot
Après avoir été professeur des universités à Poitiers et à Nantes, il est actuellement directeur de l’Institut d’études avancées de Nantes. Il est également membre de l’Institut universitaire de France depuis 2001 (chaire Dogmatique juridique et lien social). Ses travaux et ses publications portent sur les droits du travail et de la sécurité sociale et sur l’analyse des fondements dogmatiques du lien social.
Alain Supiot est directeur de l’institut d’études avancées de Nantes. il analyse ici [1] la nouvelle doctrine sociale de la cour de justice de l’union européenne qui se dégage de la jurisprudence depuis 2008
  • [1]
    Cette contribution est une version remaniée et actualisée d’un texte publié en anglais (Moreau [dir.], 2011).
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 12/07/2012
https://doi.org/10.3917/rfas.121.0185
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