1Au moment où les conséquences de la crise financière provoquent de profondes inquiétudes et incertitudes sociales, il est primordial que la dimension sociale de l’Europe continue à garantir et à stabiliser la démocratie sociale de manière visible et crédible. En effet, si les droits sociaux fondamentaux n’existent que sur le papier et non dans les faits, alors c’est à juste titre qu’il y aura lieu de s’interroger sur notre modèle démocratique.
2La crise financière actuelle et la dépression sociale qu’elle provoque en Europe, l’euroscepticisme croissant et la crainte de l’avenir doivent nous inciter à redoubler d’efforts sur tous les plans. À cet égard, la société civile se doit de jouer le rôle qui lui incombe.
3Le Comité économique et social européen est un ardent défenseur de l’Europe sociale, des droits sociaux et de l’action sociale, ce qu’atteste son activité. Cet article retrace brièvement le contexte historique et la nécessité actuelle d’un nouveau programme européen d’action sociale assorti d’un pacte d’investissement social.
Historique
4Le traité fondateur signé à Rome en 1957, dit aussi « traité CEE », a établi la base juridique de l’action communautaire dans le secteur social, mais dans des domaines de décision politique relativement limités, tous étant soumis à l’approbation à l’unanimité au Conseil, notamment en ce qui concernait la libre circulation des travailleurs, l’amélioration des conditions de vie et de travail, l’égalité de rémunération pour un même travail et un Fonds social européen destiné à promouvoir l’emploi, la formation et la mobilité des travailleurs. La Communauté économique européenne a permis d’accomplir au cours de ses premières années des progrès importants dans les domaines de la liberté de circulation et des droits transnationaux en matière de sécurité sociale, de la mobilité et de la formation des travailleurs dans l’environnement général du « marché commun ».
5La « méthode communautaire » relative à une politique sociale en tant que telle à l’échelle de la Communauté européenne (CE) a pris une place plus importante avec l’adoption, en 1974, du premier programme d’action sociale européen, dans le cadre duquel ont été adoptées les premières directives de la CE sur les droits des travailleurs dans les cas de licenciement collectif, les transferts d’entreprises et l’insolvabilité des entreprises, l’égalité des hommes et des femmes, ainsi que la santé et la sécurité au travail. Toutefois, après 1979 et pendant une bonne part des années 80, de nombreuses mesures de politique sociale de la CE, de même nature et ayant un caractère contraignant, qui avaient été proposées par la Commission et approuvées par le Parlement européen et le CESE, se sont heurtées au mur infranchissable du liberum veto (droit de veto), dorénavant utilisé de manière active au Conseil, et tout particulièrement par un État membre. Par le jeu de ce mécanisme, presque toutes les propositions de directive (par exemple, sur le temps de travail, l’emploi illégal, le temps partiel volontaire, le travail temporaire, l’égalité de traitement dans le cadre des régimes professionnels de sécurité sociale, les femmes exerçant une activité indépendante, le congé parental, l’information et la consultation des travailleurs et la démocratie industrielle) ont de fait été bloquées malgré l’approbation dont elles avaient bénéficié de la part d’une majorité de gouvernements d’États membres qui s’efforçaient de mettre en place un espace social européen.
6La Commission européenne fut renouvelée en 1985, avec Jacques Delors pour président ; elle bénéficiait de l’appui crucial d’une alliance franco-allemande favorable à des actions européennes. En l’espace d’un an, l’Acte unique européen (AUE) de 1986, proposé par la Commission, fut adopté par tous les États membres. Cet instrument était principalement axé sur un vaste « projet 1992 » d’achèvement du marché intérieur, fondé sur des « conditions de concurrence homogènes » et une « concurrence loyale », et comportant tout un ensemble de directives relevant du mécanisme de vote à la majorité qualifiée au Conseil, qui avait été accepté avec cette finalité en vue (article 100 A de l’AUE). En même temps, la Commission Delors a inauguré une ère nouvelle de dialogue social entre les partenaires sociaux européens avec les entretiens de Val Duchesse.
7Ayant à de nombreuses reprises soutenu l’idée d’une législation sociale à l’échelon européen, le CESE prend alors une initiative audacieuse dans un avis crucial adopté le 19 novembre 1987 sur « Les aspects sociaux du marché intérieur. Espace social européen » (rapporteur : Danilo Beretta). L’avis développait en effet l’argument selon lequel le projet du marché unique pour 1992 ne pourrait fonctionner sans une dimension sociale correspondante. Il déclare sans ambages « qu’il faudra procéder rapidement à la définition de normes de base sur le plan social, qui puissent être adaptées à l’ensemble de la Communauté [et] que l’on définisse et adopte des dispositions communautaires garantissant les droits sociaux fondamentaux – c’est-à-dire des droits ne pouvant pas être remis en cause par la pression de la concurrence ou par la recherche de compétitivité ». L’avis se poursuit en indiquant que le nouveau mécanisme de vote à la majorité qualifiée mis en place par l’Acte unique européen devrait également s’appliquer à la politique sociale de la Commission européenne, non seulement au titre de l’article 100 A, mais également au moyen de l’application de l’article 118 A « dans son interprétation élargie ». S’interrogeant sur le retard des directives bloquées en matière de politique sociale, l’avis du CESE conclut que : « afin d’imprimer une impulsion et une force nouvelles à l’ensemble de la politique communautaire […], il est possible et nécessaire d’élaborer, à l’heure actuelle, une directive-cadre établissant le caractère inaliénable des droits sociaux fondamentaux [2] ».
8L’avis « Beretta » rendu en 1987 par le CESE fit l’effet d’une bombe et créa un point de ralliement. Cet avis marque, en pratique, le point de départ du nouveau mouvement pour une charte de la Communauté européenne et un programme d’action en faveur des droits sociaux fondamentaux sur le lieu de travail.
9En l’espace d’une année, la Commission Delors, sous l’effet de l’avis « Beretta » et d’une mobilisation des membres du CESE visant à déclencher une initiative politique, invita le seul CESE, le 24 novembre 1988, à faire connaître son sentiment sur les composantes possibles d’une « Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux ». Il s’agit là de la toute première saisine « exploratoire » du CESE, saisine qui reconnaît officiellement son rôle de « passerelle » avec la société civile, en tant qu’intermédiaire pour la recherche d’une solution politique.
10Le CESE se mit promptement au travail et adopta son avis sur « Les droits sociaux communautaires fondamentaux » (rapporteur : François Staedelin), le 22 février 1989, à une majorité écrasante non seulement au sein de l’assemblée plénière du CESE, mais aussi au sein de chacun des trois groupes qui le composent. L’avis « Staedelin » du CESE fut l’une des plus grandes réussites du CESE. Il est permis d’affirmer qu’il donna naissance à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs ainsi qu’au deuxième programme d’action sociale de l’Union européenne qui l’accompagne, instruments sur lesquels se fondent l’actuelle dimension sociale et l’actuel « acquis » social de l’Union européenne. Cet avis présentait un projet exhaustif en matière de droits sociaux essentiels, fondé sur les anciennes directives de politique sociale qui avaient été bloquées et sur les normes, conventions et recommandations de l’OIT et du Conseil de l’Europe. Il présentait aussi l’intérêt crucial d’énumérer les moyens dont disposait la Commission pour rendre ces droits contraignants et efficaces. Reprenant des références antérieures aux articles 118 A et 100 A de l’Acte unique européen, l’avis indiquait expressément que, selon le Comité, « ce sont les instruments et les procédures prévus par le traité qui doivent être utilisés pour garantir, dans le cadre des ordres juridiques des États membres, le respect des droits sociaux fondamentaux ainsi que pour permettre la mise en œuvre des mesures sociales indispensables au bon fonctionnement du marché intérieur [3] ».
11La Commission a correctement interprété ce message essentiel en proposant à la fois une charte et un programme d’action renfermant un éventail complet de directives et d’initiatives soumises à un vote à la majorité qualifiée au Conseil, sur base des articles 118 A et 100 A du traité modifié.
12Le 9 décembre 1989, les chefs de gouvernement des onze États membres de la Communauté européenne, à l’exclusion du Royaume-Uni, adoptaient la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux. Le 29 novembre 1989, la Commission lançait le programme d’action relatif à la mise en œuvre de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux. La décennie qui s’ensuit a vu la politique sociale européenne s’affirmer avec force grâce à l’adoption de toute une série de directives établissant les droits des travailleurs dans toute l’Union, qu’il s’agisse par exemple d’emploi à durée déterminée ou temporaire, de travail intérimaire, de temps de travail, de protection des femmes enceintes sur le lieu de travail, de congé parental, de protection des enfants et de celle des jeunes au travail, des travailleurs détachés, de l’information et de la consultation des travailleurs, de comités d’entreprise européens, de la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe, de santé et de sécurité sur le lieu de travail, de droits à pension transférables, etc. En temps voulu, le Royaume-Uni et les nouveaux États membres ont adopté la Charte sociale et les droits qui en découlent. Cette Charte est devenue partie intégrante du traité et le « chapitre social » a été constamment renforcé par les traités de Maastricht, d’Amsterdam, de Nice et de Lisbonne. Le « modèle social européen » était né.
Un nouveau programme européen d’action sociale est indispensable
13Au cours de la décennie qui vient de s’écouler, en dépit de certains progrès notables en matière de lutte contre les discriminations au travail et de l’adoption en 2000 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, la politique sociale de l’UE en tant que telle a connu un ralentissement considérable. En effet, de l’avis du CESE, « L’acquis social européen atteint suite à l’application du programme d’action sociale de 1989 n’a pas accompagné les défis économiques et sociaux issus de la mondialisation, du changement climatique et de l’évolution démographique. Ces défis sont aggravés par le ralentissement de la croissance économique, l’instabilité financière […]. Certains groupes et citoyens parlent même d’une impasse de la politique sociale européenne par rapport au progrès des politiques liées au marché intérieur [4]. »
14Différentes consultations du CESE « sur le terrain » auprès des acteurs de la société civile dans les États membres de l’UE ont confirmé ce point de vue. La présidente de la section sociale du CESE a directement transmis ce message à l’occasion de la réunion informelle des ministres de l’UE de l’emploi et des affaires sociales qui s’est tenue les 10 et 11 juillet 2008 à Chantilly, en déclarant : « Contrairement aux demandes émanant des eurosceptiques pour “moins d’Europe”, dans le cadre de nos consultations du CESE et de nos forums des citoyens organisés au cours de cette année, nous avons été les témoins à plusieurs reprises d’appels marqués pour “plus d’Europe sociale”. De Stockholm à Edimbourg, de Dublin à Wroc?aw, nous avons à chaque fois entendu les citoyens défendre une Europe des solidarités, des valeurs, qui intègre la mondialisation mais sans conduire à un nivellement par le bas et sans placer le profit avant les citoyens ; une Europe, enfin, de l’insertion et des opportunités, de l’innovation et de l’esprit d’entreprise, où les conditions de travail sont décentes et qui assure un niveau de vie approprié. Il y a une demande constante et vigoureuse pour un nouveau consensus social de progrès. Il y a lieu que l’Europe écoute et agisse. »
15Le Comité économique et social européen a été saisi, en date du 25 octobre 2007, d’une demande d’avis par la future présidence française sur le thème suivant : « Pour un nouveau programme européen d’action sociale ».
16Le 9 juillet 2008, à la suite de plusieurs consultations avec des représentants de la société civile dans différents États membres issus du terrain, le CESE a adopté à une très large majorité son avis (rapporteur : Jan Olsson) qui déclarait que « les arguments en faveur d’un nouveau programme européen d’action sociale ambitieux et participatif restent pertinents et qu’un tel programme apparaît d’autant plus nécessaire […] pour permettre au développement social de suivre l’évolution de l’économie et du marché. Il est aussi opportun à la lumière du nouveau traité de Lisbonne, qui crée de nouvelles possibilités, responsabilités et objectifs, de relancer une Europe sociale plus participative et dynamique. Le nouveau PEAS devrait promouvoir, d’une manière tangible et pratique, les objectifs de la politique sociale européenne et ses ambitions au-delà de 2010 et constituer une feuille de route complète pour l’action politique [5] ».
17Le 30 novembre 2009, à l’occasion de la conférence conjointe Notre Europe-CESE organisée pour célébrer le vingtième anniversaire de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, les participants représentant l’ensemble de la société civile européenne ont appelé la Commission européenne à « proposer un nouveau programme d’action sociale garantissant que les droits sociaux fondamentaux seront traités à égalité avec les règles de concurrence et les libertés économiques » et ont invité le Parlement européen et le Conseil « à adopter ce programme » [6]. Lors de cette conférence, Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, et Mario Sepi, ancien président du CESE, ont signé cette déclaration solennelle en faveur d’un nouveau programme d’action sociale et ont lancé une initiative au niveau de toute la société civile européenne afin de rallier les citoyens actifs à cette cause.
18Parallèlement, dans son « Programme pour l’Europe » de 2009, le CESE déclarait sans ambiguïté : « La crise économique n’aurait pas dû devenir une crise sociale. Même si le modèle social européen permet d’amortir les effets de la crise ressentis par les citoyens européens, la situation critique de l’économie mondiale doit être l’occasion pour l’Union européenne de réaffirmer ses objectifs et ambitions de politique sociale.
19Pour redonner aux citoyens la confiance dans une Europe unie et solidaire, les institutions européennes doivent engager un nouveau programme d’action sociale réceptif à leurs besoins face aux défis de la mondialisation, et fondé sur le renforcement mutuel de la solidarité, du respect des travailleurs, des normes sociales fondamentales et de la compétitivité économique. Tous les instruments et outils prévus par les traités doivent être conjugués efficacement pour bâtir un programme bien au-delà de 2010 : action législative, méthode ouverte de coordination, dialogue social et dialogue civil intégrant les initiatives citoyennes. »
20Le Comité recommande que ce nouveau programme européen d’action sociale soit axé sur :
- les nouveaux objectifs sociaux du traité de Lisbonne, notamment le plein emploi et le progrès social ;
- la programmation d’un second Conseil européen consacré au modèle social européen (Hampton Court 2) et de « Sommets des citoyens », soutenus par le Comité, traitant des réalités sociales ;
- la garantie des droits sociaux tels que définis dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
- la contribution des partenaires sociaux et de la société civile à la définition du programme ;
- l’adoption d’une Charte de durabilité sociale définissant les objectifs de performance en matière de protection sociale ;
- la ratification et la mise en œuvre des conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) ;
- la définition et la mise en œuvre de politiques modernes en matière d’emploi, permettant d’anticiper le changement grâce au partenariat social et à l’amélioration des connaissances ;
- la mise en place de dispositifs sociaux favorisant l’emploi de haute qualité, correctement rémunéré et mobile ;
- l’adoption d’un cadre législatif tourné vers l’avenir, permettant de débloquer et/ou d’améliorer certaines directives, de supprimer les opt out, et d’anticiper les nouvelles formes d’emploi et les nouveaux risques au travail ;
- l’association des partenaires sociaux et de la société civile organisée à la transposition, l’application et l’évaluation de la législation sociale communautaire ;
- la prise en compte de la corégulation, de l’autorégulation, des accords, des codes de conduite volontaires et des normes complétant la législation sociale cadre de l’Union européenne conformément aux principes de la responsabilité sociale des entreprises ;
- l’adoption d’un cadre juridique stable pour promouvoir les accords collectifs transnationaux ;
- le renforcement de la démocratie participative, du dialogue social et du dialogue civil, sur la base des nouvelles possibilités ouvertes par le traité de Lisbonne ;
- le droit d’initiative des citoyens comme moyen supplémentaire de promouvoir une Europe sociale plus proche des citoyens ;
- l’examen des possibilités offertes par la coopération renforcée dans le traité de Lisbonne, permettant aux États membres d’aller plus loin et plus vite en matière de politique sociale ;
- l’amélioration de la méthode ouverte de coordination avec des objectifs quantitatifs et qualitatifs, de meilleurs indicateurs sociaux et la participation des acteurs sociaux concernés au niveau local.
L’Europe a besoin d’un pacte d’investissement social
21En cette quatrième année de crise économique et financière, les perspectives pour l’emploi et l’activité en Europe continuent de se détériorer. Comme le montrent les derniers chiffres, l’Union compte 23 millions de personnes sans emploi et le taux de chômage s’élevait, en septembre 2011, à 9,7 % dans l’UE à 27 et à 10,2 % dans la zone euro, en hausse en glissement annuel. Entre 2008 et 2011, le taux de chômage des jeunes a augmenté de 15,5 % à 21,4 % et le taux d’inactivité de 55,6 % à 56,9 %. En Grèce et en Espagne, presque un jeune sur deux est sans emploi [7]. Cela représente un total de plus de 5 millions de jeunes chômeurs qui ne suivent aucun enseignement ni aucune formation. L’amélioration de la situation (+ 1,5 million d’emplois) enregistrée à la mi-2011 n’a pas permis de compenser les pertes massives subies pendant la crise, qui a été à l’origine de la perte de 6 millions d’emplois.
22Par ailleurs, les perspectives de croissance économique ont été considérablement revues à la baisse et, dans les prévisions d’automne pour 2011-2013 qu’elle a récemment publiées, la Commission reconnaît que « la relance de l’économie européenne s’est interrompue » et qu’aucune amélioration des mauvais chiffres du chômage ne s’annonce à l’horizon [8].
23Le CESE estime que cette évolution présente des risques, à la fois pour la santé économique globale de l’Europe et pour son tissu social. Comme l’a souligné le Comité de la protection sociale, les mesures d’austérité exerceront un impact sur l’inclusion sociale, en opérant des coupes claires dans les allocations et l’offre dispensées aux groupes vulnérables, tels que les personnes handicapées. Cela aura des répercussions négatives sur l’accès aux services publics et la qualité de ces derniers, avec des conséquences négatives pour les citoyens et les entreprises [9]. Le Comité de la protection sociale parvient à la conclusion suivante : « L’impact social de la crise […] a entraîné une détérioration significative de la situation sociale de pans importants de la population, et en particulier chez les jeunes, les travailleurs embauchés pour une durée déterminée et les migrants. Dans tous les pays, les chômeurs font partie des groupes les plus exposés à la pauvreté [10]. » L’agitation sociale et les protestations observées en Grèce, en Espagne, ainsi qu’en beaucoup d’autres États membres, sont les conséquences de cette situation.
24Les mesures d’austérité, qui précisément mettent en danger les investissements sociaux nécessaires, renforceront encore la spirale infernale. En l’absence de toute nouvelle source de croissance, la réduction des dépenses concomitantes exerce une influence négative sur les recettes budgétaires, avec par exemple une baisse des rentrées fiscales et une hausse des prestations sociales versées au titre du chômage.
25Le CESE exprime ses plus vives inquiétudes concernant les conséquences sociales de la crise actuelle, particulièrement marquées dans la plupart des États membres. Il recommande d’imprimer aux réformes structurelles une orientation favorable à la croissance et à l’emploi. Garantir et promouvoir les droits des travailleurs et les droits sociaux fondamentaux exercent un impact positif sur la productivité économique dans son ensemble.
26Dans le même temps, le CESE est vivement préoccupé par le risque que, en raison des conséquences sociales de la lutte contre la crise, l’Europe se retrouve toujours plus divisée et perde de ce fait le soutien de ses citoyens. L’Europe doit cependant regagner leur confiance.
27Le CESE met l’accent sur le fait qu’il est nécessaire et urgent de procéder à une analyse d’impact des conséquences sociales de la nouvelle législation sur la gouvernance européenne. L’UE s’est engagée à promouvoir l’inclusion sociale. Cette ambition s’est non seulement traduite par la définition d’objectifs quantitatifs, mais également par un ancrage qualitatif dans le traité, avec les droits sociaux fondamentaux. La qualité de vie des citoyens est directement en cause, et il convient d’en tenir compte et de le mettre en évidence, tant sous l’angle quantitatif que qualitatif, dans le cadre des analyses d’impact. Les propositions législatives n’ont fait l’objet que d’un nombre très limité d’analyses d’impact, dans le cadre desquelles les conséquences sociales ne jouaient qu’un rôle secondaire et dont les résultats n’ont souvent pas été pris en considération.
28Étant donné la nature et l’ampleur des atteintes directes et indirectes portées aux acquis, aux structures et aux droits sociaux, le CESE a insisté logiquement pour que les nouvelles mesures de supervision macroéconomique et budgétaire s’accompagnent d’un pacte européen d’investissement social. Le CESE reprend donc à son compte la recommandation en ce sens de Vandenbroucke, Hemerijck et Palier qui ont déclaré que « le principal défi consiste à faire en sorte que les processus d’investissement social à long terme et le rééquilibrage budgétaire à court terme se renforcent mutuellement, à la fois au niveau de l’Union et des États membres. Les objectifs de la stratégie Europe 2020 pourraient créer un cadre permettant d’y parvenir, à la condition qu’un “pacte d’investissement social européen” soit intégré à une politique budgétaire favorable à la croissance et à la réglementation financière [11] ».
Conclusion
29Le CESE se prononce en faveur d’une action responsable de la part des États dans le domaine économique et social (gouvernance économique et sociale). Le rééquilibrage à court terme doit ainsi être bien plus étroitement associé aux objectifs de la stratégie Europe 2020, qui sont le renforcement de la croissance intelligente, de la cohésion et de l’inclusion sociale.
30L’UE doit continuer de s’assurer que toutes les mesures économiques et budgétaires respectent pleinement l’esprit des dispositions sociales du droit primaire ainsi que les droits sociaux fondamentaux, et en particulier les droits de négociation collective et de grève, et qu’elles ne se traduisent pas par une dégradation des acquis sociaux.
31Étant donné l’ampleur des modifications du traité qui sont actuellement à l’ordre du jour, l’ouverture d’un grand débat est requise au même titre que la légitimation démocratique. Comme ce fut le cas lors de la dernière convention, les parlements nationaux, le Parlement européen, les partenaires sociaux et le CESE doivent apporter leur contribution. Il faudra faire en sorte que ces modifications du traité soient assorties d’une dimension sociale équivalente.
32Le CESE réaffirme que, à ses yeux, les prescriptions de la Charte des droits fondamentaux s’appliquent à tous les organes et institutions de l’UE. Dès lors, les atteintes à l’autonomie des partenaires sociaux en matière de négociations collectives sont tout à fait inadmissibles et la Commission européenne est tenue d’intenter immédiatement une action à leur encontre. Elle doit tout mettre en œuvre pour garantir le respect de ces droits, mais également pour les promouvoir.
33En conclusion, le traité de Lisbonne doit, non seulement en théorie, mais également dans la pratique, renforcer la dimension sociale de l’Europe, réaffirmer juridiquement les droits sociaux fondamentaux et rendre obligatoires les analyses d’impact social pour l’ensemble des projets et des initiatives de l’Union européenne. Le CESE insiste depuis longtemps sur l’idée qu’une économie sociale de marché doit associer compétitivité et justice sociale. La dynamique économique et le progrès social ne sont pas antinomiques mais sont étroitement liés.
34La crise actuelle en Europe appelle des mesures audacieuses, de l’ordre non seulement de la gouvernance économique européenne, mais aussi d’un surcroît de solidarité sociale européenne.
Notes
- [1]
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[2]
Avis du CESE du 19 novembre1987 sur « Les aspects sociaux du marché intérieur. Espace social européen », rapporteur : M. Beretta (JO C 356, 31 décembre 1987, p. 31).
-
[3]
Avis du CESE du 22 février 1989 sur « Les droits sociaux fondamentaux communautaires », rapporteur : M. Staedelin, corapporteur : M. Vassilaras (JO C 126, 23 mai 1989, p. 4).
-
[4]
Avis du CESE du 9 juillet2008 sur le thème : « Pour un nouveau programme européen d’action sociale », rapporteur : M. Olsson (JO C 27 du 3 février 2009, p. 99).
-
[5]
Avis du CESE du 9 juillet 2008 sur le thème : « Pour un nouveau programme européen d’action sociale », rapporteur : M. Olsson (JO C 27 du 3 février 2009, p. 99).
-
[6]
Déclaration à l’occasion du vingtième anniversaire de l’adoption de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux (30 novembre 2009).
-
[7]
Rapport conjoint sur l’emploi 2011, COM (2011) 815 final, p. 2 et 4.
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[8]
http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/11<BR />/1331&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLang uage=fr
-
[9]
Évaluation conjointe de l’impact social de la crise économique et des réponses politiques en 2010, réalisée par le CPS et la Commission européenne, p. 9-10.
-
[10]
Voir l’évaluation conjointe réalisée par le Comité de protection sociale et la Commission européenne, 26 novembre 2010, 16905/10, SOC 793 ECOFIN 786, p. 2.
-
[11]
Vandenbroucke F., Hemerijck A., Palier B. (2011), “The EU Needs a Social Investment Pact”, OSE Paper Series, Opinion Paper, no 5, May, 25 p.