CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Au cœur de la plus importante crise économique depuis la Seconde Guerre mondiale, qui menace les systèmes nationaux de protection sociale et les droits sociaux des salariés, il est intéressant d’apprécier, avec le recul de vingt ans, quel a été l’apport de l’Union européenne dans ce qu’on désignera ici, pour des raisons de brièveté, le domaine social [1]. Il y a en effet vingt ans que fut adopté le traité de Maastricht. C’est au cours de la période ouverte au début des années 1990 que le projet de l’euro a connu son affermissement, puis sa réalisation et que la coordination macroéconomique de l’Union s’est imposée comme de plus en plus présente. En 1993, la Cour de justice de l’Union européenne – CJUE – (alors nommée Cour de justice des Communautés européennes) prenait une décision essentielle concernant les systèmes de protection sociale en les plaçant en dehors de la concurrence du marché, au motif principal qu’ils sont fondés sur la solidarité (affaires Poucet et Pistre [2]) (Borgetto et Lafore, 2010). Cette jurisprudence a été, pour l’instant, confirmée.

2Ces années sont aussi une forme d’âge d’or en matière d’intervention de l’Union dans le domaine social, avec une innovation majeure, la stratégie européenne de l’emploi (formellement, « stratégie coordonnée » de l’ex-article 128). Cette innovation provoqua, à juste titre, un fort intérêt pour ce que l’on a pu appeler, en français, l’« Europe sociale ». Ainsi, entre 1992 et 2004, se diversifiaient les instruments d’intervention – de gouvernance – du niveau de l’Union dans le domaine social, alors même qu’à l’origine de celle-ci sa compétence était légalement réduite au marché interne, à la défense de la concurrence et à la mise en œuvre des libertés économiques (circulation des marchandises, du capital, des personnes, des services et liberté d’établissement). Cette extension de l’intervention dans le domaine social a connu un arrêt relativement brutal, en 2004, avec l’arrivée d’une nouvelle Commission présidée par J.M.D Barroso, et un changement d’équilibre entre « acteurs économiques » et « acteurs sociaux » au sein de cette Commission (Barbier, 2008). La désignation, en 2009, d’une Commission à nouveau présidée par J.M.D Barroso avait d’autant moins de chances de « relancer l’Europe sociale » que l’Union était désormais entrée dans une crise économique et monétaire à rebondissements successifs. La stratégie appelée « Europe 2020 » apparaît à tous égards bien limitée (Barbier, 2011).

3Pour contribuer à mesurer les effets de la gouvernance européenne dans le domaine social, nous nous centrerons sur le droit. Avec le recul de vingt ans, le consensus chez les chercheurs qui travaillent sur l’intégration européenne s’est fait autour de la reconnaissance du rôle de contrainte majeure exercée par la coordination macroéconomique, dont les développements, depuis 2009, sont encore plus évidents. Mais le rôle du droit n’en est pas moins important pour la protection sociale, les services et les droits sociaux. Les autres méthodes de gouvernance s’articulent en fait avec lui : dialogue social, méthodes ouvertes, mais cette gouvernance s’insère dans le contexte plus vaste des instruments juridiques internationaux, comme la Convention pour la sauvegarde des droits de l’homme du Conseil de l’Europe et la Charte sociale européenne (Roman, 2010 ; Akandji- Kombé et Leclerc, 2001 ; Rodière, 2010).

4À l’issue d’une enquête approfondie menée sur une longue période [3], le droit européen nous apparaît comme un dieu Janus à double face, porteur de menaces avec son premier visage, et d’opportunités pour le second. Ce ne sont pas les mêmes individus, groupes d’intérêt, collectifs, acteurs, etc., qui se sentent menacés par le droit européen, ou qui, au contraire, se trouvent dotés de ressources par lui. C’est ce que nous apprenons en rencontrant les acteurs pertinents de sa construction et de son application. Cela permet de discuter les thèses qui prédisent une extension en quelque sorte inexorable de l’intégration négative (Scharpf, 2010) et de repérer quels sont les acteurs sociaux qui font confiance au droit européen et le promeuvent, pendant que d’autres lui sont hostiles ou étrangers : au total, l’enquête permet ainsi de contribuer à une sociologie politique du droit européen. Sans prétendre résoudre la question de la légitimité, si difficile en sociologie, elle débouche cependant sur une réflexion qui fait écho à la façon dont la science politique pose le problème. Elle souligne la double face du droit et fait ressortir de façon claire le contraste entre les droits individuels et les droits que nous dirons « collectifs [4] », mais aussi d’autres dimensions, comme celle qui oppose les citoyens « mobiles » de l’Union et ceux qui, ne se déplaçant pas, en forment pourtant l’immense majorité.

5Nous procéderons en quatre étapes. D’abord, nous décrivons l’approche sociologique et sa méthode. Nous considérons les « acteurs du social » comme des participants actifs à la fabrication et à la mise en œuvre du droit de l’Union. Un travail de synthèse de nombreuses publications (Barbier, 2008) est à la source de la construction d’un programme de recherche sélectionné par la Commission européenne, dans le cadre de son septième programme-cadre [5]. La familiarité acquise avec la scène politique européenne autorise, on va y revenir avec plus de précision (voir tableau), à identifier les acteurs pertinents qu’il s’agit d’interviewer. Nous les appelons « acteurs du social » (ou acteurs sociaux) et nous les repérons dans des espaces particuliers où la gouvernance européenne et le droit qui l’accompagne sont discutés. À la suite de B. Jobert (1998), nous désignons ces espaces comme forums, où les politiques sont débattues ; pour cet auteur, ces derniers se distinguent des arènes, où les décisions sont prises quant aux politiques européennes (on revient plus loin sur leur identification). Aucune recherche n’est évidemment en mesure de couvrir l’ensemble des domaines affectés par la coordination politique et la gouvernance européenne dans le domaine social, un domaine très hétérogène et multiforme. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes centrés sur des études de cas considérées comme très significatives de l’influence de l’Union européenne sur la palette extrêmement diverse des politiques sociales.

6Dans la deuxième partie, nous présentons de façon schématique les caractères du droit européen pour les contraster avec la situation classique des politiques sociales qui trouvent leur origine, leur financement et leur conduite dans le cadre national, en liaison avec le droit national. Ces caractères expliquent l’étrangeté du droit de l’Union aux yeux des acteurs (Barbier et Colomb, 2011).

7La troisième partie est consacrée à notre objet central, l’ambivalence du droit européen. Nous explorons ce sujet par la présentation de thèmes qui résultent des interviews avec les acteurs, confrontés systématiquement à l’analyse juridique des experts du droit que nous avons eux aussi interrogés, sur la base d’une revue de la littérature juridique européenne en matière de « droit social » européen. Trois grands thèmes émergent qui illustrent l’ambiguïté du droit européen : son asymétrie et le caractère incertain du principe dit de « subsidiarité » ; les contradictions entre le marché, l’économie et la solidarité ; les incertitudes et les limites de la citoyenneté européenne. Ces thèmes débouchent sur un sentiment d’incertitude présent chez les acteurs sociaux.

8Cette analyse ouvre sur une conclusion qui identifie des coalitions qui se forment entre les acteurs pertinents du droit social de l’Union, considéré comme un dieu Janus bifrons. Ce constat sociologique permet d’esquisser un questionnement en termes de légitimité comparée entre les niveaux de gouvernement, national et supranational, en matière de politiques sociales.

Les « acteurs du social européen », observés dans leurs forums et arènes

9Les acteurs qui nous intéressent sociologiquement, au sens où ils sont impliqués dans la mise en œuvre des politiques sociales au sens large [6], jouent deux rôles principaux en rapport avec la fabrication du droit européen.

10D’une part, ils y sont confrontés en tant que sujets/objets de son application après sa transposition dans le droit interne des États membres. Ce ne sont pas des acteurs passifs, mais des participants à la mise en œuvre. Pour ces acteurs, le droit européen est quelque chose de relativement récent ; ce à quoi ils ont été habitués c’est leur droit national, et c’est seulement parce que le droit de l’Union s’est récemment attaqué à de plus en plus de domaines, directement ou, le plus souvent, indirectement, que les « acteurs du social » se trouvent désormais concernés (Rodière, 2008 ; Hartlapp, 2012 ; Barbier, 2012) et, en conséquence, de plus en plus conscients de cette situation. Quand on interroge ces acteurs aujourd’hui, on est d’ailleurs frappé du fait que leur intérêt et leur connaissance spontanée vont plutôt du côté du « droit doux » (soft law) que du côté du droit classique (hard law). Dans le domaine social, une immense littérature a été consacrée aux méthodes ouvertes de coordination (MOC), qui eut comme conséquence de laisser de côté – dans les sciences sociales – le droit (Hartlapp, 2012). Des travaux pionniers ont pourtant averti de l’importance de ce droit dans le domaine social depuis longtemps (Leibfried et Pierson, 1998). Les acteurs des droits sociaux et de la protection sociale n’ont pas moins été intéressés au développement de ces méthodes qui leur fournissaient, parfois, des ressources d’influence (Barbier, 2008).

11Le deuxième aspect du rôle des acteurs tient dans le fait qu’ils agissent pour ou contre l’application du droit de l’Union et qu’ils critiquent ce droit, qu’ils résistent à son extension (y compris par l’usage de recours judiciaires), qu’ils s’efforcent d’influencer son application et sa substance. Bien que cela ne soit pas souvent mentionné, ce rôle appartient à la pratique de la démocratie (Kelemen, 2006 ; Börzel, 2006 ; Stone Sweet, 2010). Ce second rôle commence souvent dans l’espace national, mais il est plus aisément observable « au niveau de l’Union » et prend souvent la forme du « lobbying » dans les forums transnationaux dont la localisation matérielle courante est située à Bruxelles [7]. C’est la raison pour laquelle le tableau ne sépare pas strictement des acteurs « nationaux » d’acteurs « du niveau de l’Union », une séparation qui manquerait de cohérence. Si l’on met à part les administrations nationales et les institutions formelles de l’Union, clairement situées d’un côté ou de l’autre, tous les acteurs, d’un point de vue sociologique, sont à la fois des acteurs nationaux et des participants au moins potentiels des forums du niveau européen (ainsi le tableau comporte une liste semblable de catégories aux deux niveaux) [8]. Au demeurant, tous les acteurs ont une expérience personnelle dans un ou plusieurs pays, même quand ils travaillent dans les institutions européennes et dans les nombreuses associations ou représentations sises dans la capitale belge. La communauté des juristes, pour sa part, agit aux deux niveaux, européen et national.

12Avant de camper la carte des acteurs que nous considérons comme « pertinents », il est nécessaire de préciser les lieux où nous les rencontrons, les forums et les arènes. Ces notions ont été introduites par B. Jobert (1998, p. 133-137) que nous suivons ici. Elles sont beaucoup plus spécifiques que la notion, par ailleurs fort marquée, de « champ » (Favell et Guiraudon, 2011). Rappelons que, pour B. Jobert, la dimension normative et cognitive des politiques est essentielle, à travers la formation d’un référentiel. Les acteurs concourent à cette formation dans de multiples forums qui ne sont pas homogènes quant à leur fonctionnement. B. Jobert en distingue trois principaux, qu’il distingue des arènes, les espaces où les compromis politiques sont passés et les décisions sont prises (en particulier, à propos du droit) [9]. Dans les limites du présent article, on se centre sur un type de forum, le « forum de communauté de politique publique », qui se distingue des « forums de la communication politique », d’une part, et, de l’autre, des « forums scientifiques ». Tout sociologue (ou économiste) qui travaille sur la construction européenne, qui est en rapport – parfois à titre d’expert – avec les services de la Commission européenne, fait partie, volens nolens, de ce dernier type de forum, ce qui, soit dit en passant, lui apporte des informations essentielles sur le fonctionnement des forums du niveau européen. Si nous laissons de côté les « forums de la communication politique » dans le présent travail, c’est pour la facilité de l’exposition ; ces derniers concernent, pour le cas de l’Union européenne, la communication politique des institutions européennes avec les citoyens (voir, pour plus de précision, Barbier et Colomb, 2011). Mais le lieu essentiel de l’identification et de l’observation de nos « acteurs sociaux », ce sont les forums « de communautés de politique publique ». De tels forums rassemblent, comme d’ailleurs au plan national, les spécialistes d’un secteur, constituant ce qu’on appelle souvent un réseau, un policy network. Les forums nationaux et du niveau européen dans un domaine donné, par exemple, la protection sociale, les services sociaux, le droit du travail, ne sont pas isolés les uns des autres, ils se recoupent partiellement. La typologie des acteurs pertinents sélectionnés est décrite en détail dans le tableau. Nous présentons cinq types.

  • Dans les types 1 et 2, on trouve le groupe des « acteurs sociaux » qui gèrent la protection sociale (les syndicats ont un statut particulier, différent des associations), qui sont des fournisseurs de services sociaux (y compris les acteurs du secteur lucratif). Nous rencontrons ces acteurs pour l’essentiel par l’intermédiaire de leurs organisations professionnelles, mais aussi quelques producteurs directs de services. Les associations qui promeuvent des causes sont aussi très nombreuses dans le domaine. Beaucoup sont financées par la Commission, quand elles n’ont pas été créées à son initiative, comme ce fut le cas par exemple pour l’association Social Platform en 1995, qui joue aujourd’hui le rôle d’un interlocuteur privilégié pour la Commission et qui représente un très large ensemble d’associations sur le plan européen. Ces « ONG », comme on les appelle dans le jargon communautaire, ont en commun de défendre (faire du lobby) des groupes identifiés, comme les personnes handicapées, les familles, les pauvres (par exemple l’association ATD Quart Monde, qui a œuvré à la constitution d’un « intergroupe » spécial au Parlement européen), les sans-abri (par exemple la FEANTSA – Fédération européenne des associations nationales travaillant avec des sans-abri), etc. Elles se fondent sur la défense des droits individuels de base (droits considérés comme « fondamentaux ») de ces groupes qu’elles privilégient, pour la plupart d’entre elles, par rapport à des droits exercés dans le cadre classique de la protection sociale.
  • Les types 3 et 4 regroupent les institutions formelles de l’Union. La Commission européenne appartient aux deux : en tant qu’autorité administrative et de préparation de la législation, elle relève du type 3, et c’est à ce niveau que nous avons effectué la plupart de nos entretiens. Mais, en tant qu’autorité en charge de décisions légales [10], elle est dans le type 4, aux côtés de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, ex-CJCE). Ici, notre matériau empirique repose sur quatre entretiens essentiels et approfondis avec trois anciens référendaires de la Cour et un juriste de la Commission [11].
  • Le type 5 regroupe les acteurs en charge de la traduction des textes juridiques européens (interprètes, traducteurs, administrateurs de la DG traduction). Leur rôle est central mais souvent ignoré dans l’interprétation du rôle du droit européen au sein des pays membres.
Notons que la présente enquête a privilégié les acteurs publics et associatifs : le tableau en montre la prééminence dans l’échantillon. Quelques acteurs du secteur lucratif et marchand seulement ont été interrogés (8) et leurs propos plutôt utilisés pour vérifier et contrebalancer ceux des acteurs publics et non marchands. En ce sens, l’enquête assume un biais, nous y reviendrons en conclusion. On sait cependant dans la littérature que les intérêts économiques disposent d’une position privilégiée et diversifiée vis-à-vis des usages du droit européen. Ils sont parmi les principaux bénéficiaires de l’intégration négative (Streeck, 1998 ; Scharpf, 2000 ; Delmas-Marty, 2004). Ces intérêts sont bien sûr également présents dans le domaine social : on les rencontre par exemple dans la protection sociale complémentaire, les mutuelles, les fonds de pension et dans tous les domaines où il y a concurrence entre le privé et le public, au tout premier plan dans les services sociaux (gestion des maisons de retraite, des établissements médicaux, entreprises de crèches, organismes fournisseurs de logement). L’une des caractéristiques de ces groupes d’intérêt est également d’avoir un accès privilégié au contentieux, via des stratégies qu’en anglais on désigne sous le terme « strategic litigation » (Börzel, 2006 ; Kelemen, 2006 et 2012), qui consistent à agir en justice en visant à déclencher des recours préjudiciels à la Cour de justice. Faute de place, on ne peut aborder cette question ici autrement qu’en citant un exemple dans le domaine des services sociaux, analysé par S. Sciarra (2001, p. 241-259). C’est le cas des acteurs privés italiens qui, en introduisant une affaire concernant le travail intérimaire, cherchent à renverser la législation italienne soutenant le monopole de placement du service de l’emploi (arrêt JobCentre II de 1997, C-55/96). Un exemple plus contemporain est le litige, actuellement en cours de jugement, concernant le logement social hollandais, où la décision de la Commission déjà évoquée plus haut est attaquée par divers acteurs (voir note 10 supra).

Tableau

Les acteurs pertinents : leur relation avec le droit européen et les thématiques des entretiens semi-directifs

Tableau
Acteurs Nombre d’entretiens Rapport avec le droit européen et participation à la production du droit Thématiques d’entretiens (semi-directifs) Type 1 Acteurs nationaux au sein des forums nationaux 61 Acteurs du secteur lucratif et marchand 6 Appliquent et résistent au droit. Activités de négociation et action en justice. Influence du droit européen, place de la concurrence et de l’État. ONG, associations (services sociaux) 20 Appliquent et résistent au droit. Activités de lobbying pour protéger et développer leur secteur. Influence du droit européen sur les marchés publics, les aides publiques. Rôle de la concurrence du secteur privé. Méthodes ouvertes de coordination. Syndicats 5 Recherchent des ressources communautaires pour les utiliser dans les forums et arènes nationaux. Lobbying national. Actions multiniveaux des syndicats, évolution du droit du travail national et communautaire. Méthodes ouvertes de coordination. Administrations publiques et ministères 20 Négocient, transposent et adaptent le droit européen. Négocient et interagissent avec les groupes d’intérêt. Stratégie vis-à-vis de la Commission. Compréhension et application du droit. Négociation avec les acteurs. Évolution des positions. Méthodes ouvertes de coordination. Juristes : services sociaux, droit du travail, droit européen 9 Explication du droit européen. Action en justice au nom d’acteurs nationaux ou européens. Application de la loi. Production et négociation du droit. Interaction avec les autorités et les groupes d’intérêt. Explication du droit européen : historique, articulation avec les normes, place et rôle des catégories juridiques, hard et soft law. Personnel politique 1 Utilise le droit européen et les ressources politiques européennes. Rôle du personnel politique européen et national. Type 2 Acteurs « nationaux » dans les forums européens 27 Acteurs secteur lucratif et marchand 2 Défense des intérêts. Situation actuelle du secteur économique et relation avec droit européen. Types d’actions. ONG 5 Défense des intérêts. Situation actuelle du secteur économique et relation avec droit européen. Types d’actions. Syndicats 3 Défense des intérêts. Situation actuelle du secteur économique et relation avec droit européen. Droit du travail et services sociaux. Types d’actions syndicales. Juristes 17 Interprétation et production du droit, travaillent avec les institutions formelles, participent aux forums et arènes communautaires. Lobbying pour l’élaboration d’un droit européen. L’ordre juridique européen. Thèmes spécifiquement négociés. Compréhension des catégories juridiques européennes. Innovation juridique Institutions de l’UE 12 Conseil et Parlement (personnel politique) Commission : direction et administration 2 10 Participent à la politique de l’UE et comme législateurs. Administrent, négocient. Gestion des lobbies. Communication. Rédaction des textes. Politisation des enjeux. Entretiens spécifiques. Processus de fabrication du droit. Hard et soft law. Type 4 Institutions de l’UE, CJUE et la Commission comme autorité légale 4 Décision et réglementation juridique, production de jurisprudence. Production du droit européen. Articulation entre droit européen et national. Ordre juridique européen. Évolution du droit primaire. Type 5 Acteurs impliqués dans la traduction des textes (institutions européennes) 6 Expliquer, interpréter, traduire et communiquer. Rôle des langues européennes, organisation des politiques des langues dans la production du droit.

Les acteurs pertinents : leur relation avec le droit européen et les thématiques des entretiens semi-directifs

SOURCES • Tableau élaboré par les auteurs.

13Les juristes – professeurs, avocats, administrateurs, magistrats – composent l’essentiel du reste de nos interviews, effectuées sur une durée de près de quatre ans. Ces entretiens sont essentiels dans l’enquête car la « communauté juridique » a un rôle multiple : elle fait le droit, le met en œuvre, elle le discute et argumente au cours de litiges. C’est pourquoi nous utilisons les interprétations des juristes comme une forme de « validation » de celles des autres acteurs. La communauté juridique est désormais majoritairement transnationale [12]. Elle se compose des juridictions des États membres, des professions juridiques, des experts et professeurs et inclut la Cour de justice et son tribunal de première instance (ainsi que les « services juridiques » de la Commission et du Conseil). La position stratégique d’ensemble de cette communauté est liée directement à la validité accordée, comme le souligne F. Scharpf (2000, p. 193), à « un droit prétorien » validé « par des discours spécialisés au sein de la profession juridique ». Ces acteurs constituent des « communautés d’interprétation » (Weiler, 1991, p. 2438), composées de divers groupes professionnels (Dezalay, 2007 ; Vauchez, 2008), et pas seulement déterminés par leur base nationale. Pourtant, les littératures juridique et de science politique sont d’accord pour considérer qu’un soutien social essentiel de la Cour et, par extension, du droit de l’Union réside dans les juridictions nationales (Schmidt, 2006 ; Weiler, 1991). Nos entretiens avec des juristes confirment ce point, ainsi que les efforts constants entrepris par la Commission européenne pour diffuser, notamment par la formation, une culture juridique commune dans l’Union, et en particulier dans les « nouveaux » États membres [13]. Comme on pouvait s’y attendre, nos interlocuteurs juristes signalent que la communauté juridique n’est pas isolée des influences politiques du reste de la société. « Le juge européen ne peut qu’être très “politique” dans le sens où il prend une position activiste pour contrecarrer la “paralysie” des États membres » (interview, ancien référendaire [14], confirmant une abondante littérature juridique, voir Weiler, 1991). Le fait que la Cour jouisse du soutien des juridictions nationales, acquis parfois laborieusement au cours des années (notamment en ce qui concerne les Cours suprêmes), ne l’empêche pas, comme nous le verrons plus loin, d’avoir besoin d’un soutien d’autres acteurs sociaux. Au sein du type 1 (voir tableau), nous avons interrogé trois acteurs politiques au cours de la période d’observation (2009-2012) : un ancien commissaire, membre de la première Commission Barroso, un ancien député européen français et un élu local parisien. Le matériel de ces entretiens a servi à contextualiser l’interprétation, mais ne peut être considéré comme central. Enfin, le matériel issu des entretiens avec des personnes en charge de la traduction et de l’interprétation (type 5) est également relativement marginal pour le présent article, mais l’enquête sociologique sur le droit impose la prise en compte de la réalité fondamentale de la diversité linguistique en Europe. La dernière colonne du tableau donne au lecteur des indications sur les thèmes, adaptés à chaque type d’acteur, des entretiens semi-directifs [15]. Une dernière remarque quant à la méthode : les résultats qui font l’objet de la présentation des sections suivantes sont illustrés de quelques citations, et leur interprétation est fondée sur une validation avec les données des entretiens avec les juristes. Au cours de la recherche, nous avons pu rencontrer certains de nos correspondants plusieurs fois, afin de comparer leurs discours au cours du temps. Comme l’un de nos interlocuteurs à la DG Emploi et affaires sociales de la Commission nous le confie : « C’est une famille, c’est un club [qui s’occupe des questions sociales] et ce sont toujours les mêmes qui occupent, en tournant, la variété des positions » (entretien, décembre 2010).

L’étrangeté du droit européen perçu par les acteurs sociaux

14Quand nous conduisions l’évaluation du Fonds social européen (FSE) en France, à la fin des années 1990, nous avions constaté l’étrangeté du droit européen perçue par des acteurs français, en particulier avec la notion de « partenariat » qui, centrale dans la législation du FSE, était dénuée de sens juridique en droit français (Barbier et Rack, 1998). Le concept d’« additionnalité » en était un autre, avec lequel les acteurs de cette politique jouaient et construisaient leur signification à eux, qui n’avait que peu à voir avec la notion du droit communautaire. On tient là une illustration parmi bien d’autres de concepts juridiques européens qui diffèrent de ceux du droit interne. Observée sur une population particulière d’acteurs, elle nous renvoie à une réalité plus générale : le droit est une composante de la vie des citoyens et, dans une communauté politique donnée, les membres sont censés apprendre et connaître son droit. Comme le dit l’adage français, « Nul n’est censé ignorer la loi ». De cette façon, au moins les groupes qualifiés de la population se trouvent partager une « conscience juridique » commune [16] dont aucun équivalent fonctionnel n’existe au niveau européen. Quand on rencontre les acteurs du social qui se confrontent au droit européen, cette conscience juridique commune, qui reste souvent implicite dans le cadre national, n’est pas au rendez-vous, elle est remplacée par la perception du droit européen comme étranger.

15Ainsi, certains traits du droit de l’Union apparaissent immédiatement en contradiction avec tout ce qu’on tient pour normal au plan national : nous nous bornons, faute de place, à en examiner quelques-uns des plus importants tels qu’ils ressortent des entretiens (pour plus de précisions, voir Barbier et Colomb, 2011). L’élaboration de la loi, par exemple, y prend un temps bien plus long. Toutes les directives n’ont certes pas pris aussi longtemps que celle sur la durée du travail, dont la première proposition de la Commission fut présentée en 1990, avant d’être finalement adoptée en 1993 dans une première version, puis modifiée en 2003 et toujours en attente de révision depuis cette époque (Colomb, 2012a). Au plan de l’Union, quand la décision de légiférer a été prise après consultation des États membres, la « fabrication du droit » commence au sein des forums et des arènes par un processus itératif. Cette fabrication se poursuit et se mélange avec l’activité de consultation des intérêts (lobbying) dont il est difficile, pour les acteurs sociaux, de comprendre les modalités d’intervention. Ainsi, la chaîne est fort longue et parfois obscure qui aboutira à l’application finale de la disposition européenne. C’est la raison pour laquelle la présence des effets avérés de droit est encore plus difficile à objectiver méthodologiquement (Roman, 2010, p. 36). La présente enquête y concourt, sans prétendre se substituer aucunement à l’enquête juridique ou à une enquête plus directement centrée sur la mise en œuvre (Falkner et al., 2005 ; Falkner et Treib, 2008).

16Un autre aspect de la loi européenne est très généralement méconnu sinon passé sous silence : le problème des langues. Il faut disposer de vingt-trois versions authentiques pour que les dispositions légales européennes soient applicables à tous les citoyens de l’Union (Kjær and Adamo, 2011). En conséquence, le droit européen se présente comme « étranger » dans un double sens : il pose des problèmes de traduction, d’une part, et, de l’autre, il est intentionnellement construit comme sui generis. Très peu des acteurs rencontrés sont conscients de cette réalité ; évidemment, pour les juristes-linguistes ou les juristes-réviseurs, cela fait partie de leur travail. « Nous nous efforçons de ne jamais être proches des termes de la langue juridique nationale », nous disent deux juristes-linguistes du Conseil [17]. Les instructions officielles leur prescrivent explicitement d’éviter des termes proches des droits nationaux (Piris, 2006) [18]. Ce qui, en revanche, est plus surprenant, c’est de rencontrer des experts avérés du droit de l’Union qui semblent ignorer ces consignes aux traducteurs [19]. On comprend cependant aisément que l’existence d’une « conscience juridique commune » est improbable auprès d’un large public de professionnels du social travaillant dans vingt-sept États membres (Kjoer et Adamo, 2011) [20]. On peut prendre l’exemple du mot « travailleurs », utilisé dans le chapitre 1 du titre IV du traité (TFUE) (liberté de circulation des travailleurs), qui est différent du classique « salarié » ou « indépendant » du droit français, et dont la traduction anglaise (« worker ») est différente de la signification du concept britannique « worker » qui diffère d’« employee »[21]. Nos entretiens avec des membres de la Cour [22] nous font penser qu’il s’agit d’une stratégie juridiquelinguistique qui s’articule bien avec le projet développé, depuis la fondation des Communautés, par la Cour et la Commission de fonder un ordre juridique spécifique, sui generis (Weiler, 1991). Un autre exemple de cette stratégie (dont l’enquête nous montre l’importance [Barbier, 2012]) est le choix fait de ne pas utiliser le terme « service public » et de lui préférer la notion de « service d’intérêt économique général », inscrite initialement dans l’article 90 (puis 86) du traité (aujourd’hui, article 106). Le traité ne parle de « service public » qu’une fois, pour les transports. Les acteurs sociaux sont étonnés par la notion de « service social d’intérêt général » (SSIG) dont ils découvrent qu’elle s’applique désormais à eux. Cette surprise est encore plus forte dans les pays d’Europe centrale : en République tchèque, la notion « est encore à l’étude », nous dit-on [23] (voir aussi Sirovatka, 2012).

17En troisième lieu, la « mise en œuvre » du droit de l’Union est beaucoup plus complexe et incertaine que les opérations correspondantes du niveau national et elle donne lieu à une disparité géographique considérable (Falkner et al., 2005 ; Hartlapp, 2007 ; Falkner et Treib, 2008). Enfin, bien que les juristes de la Commission et de la CJUE considèrent le problème comme réglé du point de vue juridique, la suprématie du droit européen ne passe pas facilement dans les faits quand on interroge les acteurs, dès qu’ils en découvrent les conséquences concrètes dans leur pratique du « social ».

18Un dernier trait du droit de l’Union est souvent mis en cause, qui tient à son mode de fabrication : au plan national, le débat public se déroule plus ou moins imparfaitement dans des espaces publics ; les médias sont en jeu, les Parlements et la communication politique participent tous à la formation de ce qu’on a pu appeler une légitimité par les sources (élections) (input legitimacy, selon l’expression de F. Scharpf, 2000) ; il s’agit d’une caractéristique généralement présente à l’échelon national des démocraties des États membres, qui est absente au niveau de l’Union. Les travaux de science politique comparative ont souligné que la légitimité par les élections n’est pas la seule qui puisse être invoquée, et F. Scharpf a construit ce qu’il appelle « légitimité par les résultats » (output legitimacy). Dans le meilleur des cas, l’Union et le personnel politique qui la dirige doivent se contenter de cette seconde forme de légitimité, dont le même F. Scharpf (2010) tient aujourd’hui la chronique de la crise (voir aussi Scharpf, 2000 ; Höpner, 2011). La présente enquête confronte ses auteurs à des forums multiples, éclatés, et à des arènes où se négocient les décisions plus ou moins facilement identifiables. Les principes qui commandent à leur fonctionnement ne sont pas sur une « place publique européenne » et il est logique que la légitimité des acteurs qui y participent est tout sauf facilement compréhensible, y compris pour ces acteurs eux-mêmes. « Ce sont des gens qui se focalisent sur des virgules et des points, ils sont prisonniers de leur propre “cirque” à Bruxelles[24]. » Tout cela a concouru, depuis de très nombreuses années, à diffuser la thèse du « déficit démocratique ». Cette thèse est difficilement réfutable si l’on se place du point de vue de la légitimité « par les sources », mais il ne faut pas, dans la comparaison avec le niveau national, ignorer qu’à ce niveau aussi un « déficit démocratique » peut être objectivé (Schmidt, 2006). Tous ces traits sont observés dans les entretiens, et leur perception est d’autant plus présente que les acteurs qui les portent sont loin des forums du niveau européen. Mais il y a un autre trait, sur lequel nous allons maintenant centrer l’exposition : il s’agit du caractère asymétrique, sinon incohérent, du droit de l’Union (Delmas-Marty, 2004, p. 151 ; 2006, p. 264).

Le droit européen dans le domaine social

19Concentrons-nous maintenant sur les traits du droit européen qui entraînent des conséquences spécifiques dans le domaine social. Comme on l’a déjà mentionné, ces dernières sont récentes, car elles résultent d’un processus d’approfondissement du marché intérieur et d’une contagion du domaine social par des dispositions qui, initialement, n’étaient pas du tout destinées à s’y appliquer ou qui, en principe, seraient exclues par une interprétation simpliste du principe de subsidiarité sur laquelle on reviendra. Cette extension entre pleinement dans la catégorie de l’intégration négative, que Scharpf oppose à l’intégration positive (2000 et 2010). Mais la contagion est aussi ce qu’on désigne en science politique comme un effet de « spill-over ».

L’asymétrie en pratique et les incertitudes de la « subsidiarité »

20Les ordres juridiques nationaux ont une cohérence qui, sous l’égide de normes constitutionnelles, couvre tous les domaines de la loi sur un territoire donné ; dans le domaine social, ils sont en outre articulés avec les instruments internationaux, comme par exemple la Convention des droits de l’homme du Conseil de l’Europe ou les instruments du Bureau international du travail (BIT). Le cas de l’ordre juridique européen, qui dispose de la primauté et de l’autonomie, est différent. Les normes issues de la Convention des droits de l’homme et celles des autres instruments du Conseil de l’Europe ressortissent au droit de leurs traités, alors que l’Union européenne est devenue un ordre juridique à part entière. Cet ordre est censé avoir incorporé, au fur et à mesure de l’histoire des Communautés, les normes générales des traditions nationales et la Convention des droits de l’homme elle-même. Mais, à la différence de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe [25] n’est pas référée explicitement dans l’article 6 du traité de l’Union. Cette dernière charte reconnaît cependant des droits sociaux qui peuvent donner lieu à la saisine du Comité des droits sociaux par des organisations, comme les syndicats, et non par les individus. L’organisation de la hiérarchie des normes reste donc imparfaite. Le point où ce défaut apparaît majeur du point de vue des droits sociaux tient dans le fait que ces derniers – sauf exceptions valables pour certains droits individuels (par exemple liés à la protection contre la discrimination) – ne sont en général pas directement justiciables au plan de l’Union. A fortiori, les droits « collectifs » (Camaji, 2008) – qu’il s’agisse dans notre acception des droits à la protection sociale, ou des droits de grève, par exemple – ne le sont pas (Bercusson, 2009). Au mieux, ces droits font l’objet d’une reconnaissance générale, mais ne fondent qu’exceptionnellement des décisions de la Cour ou de son tribunal.

21Au fil des cinquante ans d’existence de l’Union européenne, le rôle du droit du travail et de la protection sociale est resté marginal au niveau de l’Union, alors qu’il est un domaine privilégié des États-nations. De ce point de vue, les décisions prises à la fondation des Communautés ont continué de porter leurs conséquences. Même en admettant que, depuis 1957, la « dimension sociale » de l’Europe s’est étendue positivement, y compris dans la jurisprudence de la Cour (De Schutter, 2004), droits économiques et sociaux sont loin d’être équivalents, malgré l’adoption de chartes les reconnaissant formellement [26]. Les libertés économiques et le droit d’établissement constituent des normes supérieures de l’ordre juridique européen, car ils sont supposés permettre une concurrence libre qui est la clé du bon fonctionnement du marché intérieur et de l’efficience économique optimale. Par contraste, les droits sociaux, qui relèvent des États, en théorie au moins pour l’essentiel, ne sont pris en considération par l’ordre européen que pour autant qu’ils peuvent être affectés par le marché (ou, à l’inverse, qu’ils peuvent affecter le fonctionnement du marché). Il s’ensuit que la situation reste exceptionnelle où les droits sociaux sont applicables en tant que tels. Logiquement, les droits qui, par exemple, sont énumérés au chapitre « Solidarité » de la Charte des droits fondamentaux de l’Union ne sont pas justiciables au niveau de l’Union et restent généraux et décontextualisés. C’est d’ailleurs ce qui fait que, même si c’est à tort, dans plusieurs États fondateurs de l’Union, le droit social européen est considéré comme de peu d’importance par comparaison au droit national. C’est aussi ce qu’on observe chez nos interlocuteurs, mais leur étonnement est encore plus grand quand ils s’aperçoivent que cette situation est actuellement en voie de changer fortement, créant une grande incertitude. « L’Union considère les citoyens comme des consommateurs sur un marché de services indifférenciés, mais les associations ont toujours accompli des activités économiques à leur propre façon, qui est différente et n’est pas reconnue », déclare un spécialiste des services sociaux dans une association française [27].

22L’application du principe de subsidiarité lui-même pose des problèmes majeurs à cet égard. Grâce en particulier au cas précis des services sociaux, notre enquête nous apprend que ce principe, qui fait l’objet d’un protocole spécial (no 26) du traité de Lisbonne et qui est constamment invoqué par les États membres pour contester les « intrusions » présumées de la Commission, est bien différent dans la pratique juridique de son interprétation coutumière par la plupart des acteurs rencontrés. Contrairement à l’idée reçue, même dans un domaine où l’Union n’a pas de compétences sectorielles, la souveraineté des États membres est aussi limitée : c’est le cas des services d’intérêt économique général, et plus particulièrement des services sociaux d’intérêt général (SSIG) (Guinard, 2009 ; Barbier, 2012). D’où l’importance de la décision à venir de la CJUE à propos du conflit sur la définition et le fonctionnement du logement social aux Pays-Bas (Sol et Van der Vos, 2012). Même si la lettre du droit primaire affirme que les pays de l’Union disposent d’une « large discrétion » pour organiser ces SSIG, dès lors qu’ils sont de nature « économique », la Cour n’en garde pas moins la haute main pour décider si tel ou tel État outrepasse ses pouvoirs en la matière, en commettant une « erreur manifeste » pour la définition de ce qui relève de l’intérêt général. Cette situation fait du principe de subsidiarité un principe qu’on pourrait considérer comme « mou » ou « politique » : « C’est un principe politique pour rassurer les États membres et l’opinion publique ; il n’y a pratiquement pas de jurisprudence à son propos car il est malaisé à appliquer[28]. » Pratiquement, on peut penser, malgré les avis différents de la plupart de nos interviewés, qu’aucun domaine légal n’est en fait à l’abri du juge européen [29]. N’est-ce pas ce qu’a déjà établi P. Rodière en matière de droit du travail (Rodière, 2008, p. 5-6) ? On a pu aller jusqu’à parler à ce sujet d’usurpation de compétences (Höpner, 2008, p. 30).

Protection sociale et marché, économie et solidarité

23Une autre contradiction perçue par les acteurs nationaux – y compris par des membres de la communauté juridique – tient aux rôles quasiment opposés tenus par la protection sociale dans le cadre national et dans le cadre supranational. Dans le premier, la protection sociale et son financement sont au cœur de la possibilité de la communauté politique (Barbier, 2008 ; Schnapper, 1991) ; dans le second, le droit européen en fait une exception aux règles du marché, fondée sur la particularité qu’elle est agie par le principe de solidarité (Borgetto et Lafore, 2010). Le fait que les droits sociaux n’interviennent, de fait, que comme des exceptions à la réalisation des libertés économiques dans le cadre du droit européen ne va pas de soi pour la majorité des acteurs rencontrés, même dans la communauté juridique. Ce sont les associations (non lucratives), les syndicats et les gestionnaires de la protection sociale qui se montrent les plus opposés à cette situation. « Le droit de grève est fondamentalement mis en danger au niveau national par la contestation juridique potentielle des employeurs qui se fondent sur le droit des libertés économiques. C’est particulièrement visible au Royaume-Uni[30]. » Le poids financier de la redistribution (par solidarité) est marginal au niveau de l’UE (Barbier, 2008). Le contraste est donc fort entre les différents ordres juridiques et les droits sociaux, nationaux ou internationaux (Bercusson, 2009 ; Supiot, 2009). Il n’est pas utile de revenir longuement sur la faiblesse du budget européen et sur ses capacités intrinsèques à participer à la redistribution et la solidarité qui sont à la base de la protection sociale. Pourtant, ensemble, les fonds structurels et la politique agricole commune réformée représentent l’essentiel des quelque 130 milliards d’euros du budget de l’Union. Cette marginale contribution à la solidarité doit cependant être reliée à des facteurs plus structurels et plus juridiques à la fois, que l’on peut résumer par la formule suivante : la solidarité et l’économie sont en contradiction dans le droit européen. Les acteurs de la protection sociale et des services sociaux que nous interviewons ont tous beaucoup de réticence à accepter qu’ils sont des « entreprises », au sens du droit de l’Union, et que leurs activités sont « économiques » (Barbier, 2012). « C’est vraiment un paradoxe qu’en tant qu’associations nous fassions désormais partie de la législation économique », nous dit un interlocuteur associatif [31]. Mais peu résistent encore effectivement à ces qualifications (c’est le cas de la CES) [32]. L’ensemble des références juridiques de l’Union sont de plus en plus « économicisées » si l’on peut employer un tel néologisme. Les progrès du raisonnement économique sont notés et critiqués régulièrement à l’intérieur de la communauté juridique (Supiot, 2005 et 2009 ; Neergaard, 2009, p. 44-47). La notion juridique de solidarité dans le droit européen, loin d’être positive, fonctionne en général comme exception (Borgetto et Lafore, 2010), et cela malgré la longue liste formelle du chapitre « Solidarité » de la Charte des droits fondamentaux. La décision Poucet-Pistre, mentionnée dans l’introduction de cet article, reste la base effective de la protection des droits sociaux essentiels « contre le marché ». Plus d’un interlocuteur s’inquiète de la fragilité de cette protection, qui reste purement jurisprudentielle et peut être modifiée dans l’avenir (Driguez, 2010).

Les limites dirimantes de la citoyenneté européenne

24Les acteurs ne trouvent pas non plus d’appuis solides contre l’incertitude dans les dispositions du droit européen sur la citoyenneté. Certes, les enquêtes d’Eurobaromètre menées par la Commission européenne montrent un soutien constant à la liberté de voyager. Mais ce n’est pas en tant que fondement du marché intérieur (Eurobaromètre, octobre 2011). Plus, les bénéfices de cette citoyenneté ne sont pas également répartis entre tous les citoyens : les « mobiles » sont juridiquement avantagés, car la citoyenneté européenne, introduite par le traité de Maastricht, est en quelque sorte « encastrée » dans la liberté de circulation des personnes : en matière de droits sociaux, le traité présente surtout ceux des citoyens migrants (article 21.3, TFUE – traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Les citoyens européens « mobiles » ont accès à des droits supplémentaires, par exemple en matière de regroupement familial (Rodière, 2008, p. 195 ; 265). La principale exception – elle est de taille – au jugement selon lequel l’Union européenne ne favorise pas le développement des droits sociaux en raison de son orientation et son idéologie économique de marché tient dans l’extension des dispositions antidiscrimination [33] (article 19, TFUE), qui sont intrinsèquement liées à la fois aux libertés économiques et aux droits fondamentaux. C’est la raison pour laquelle les acteurs pertinents sont divisés sur ce point, et les jugements souvent ambigus. Les ONG luttant pour des causes soutiennent cet aspect qu’elles considèrent comme progressiste du droit européen, alors que les acteurs classiques de la protection sociale se trouvent le plus souvent en décalage, voire en opposition, y compris au sein d’une même association [34].

25Cette situation est-elle susceptible d’évoluer, comme le prévoient – en vain pour l’instant – ceux qui espèrent beaucoup du déploiement dans l’avenir (Ferrera, 2005) des possibilités introduites par la référence à la Charte des droits fondamentaux à l’article 6 du TUE ? Cette question reste ouverte tant que l’adhésion de l’Union à la Convention des droits de l’homme n’est pas accomplie. Toutefois, la presque totalité des juristes que nous avons interrogés au cours de notre enquête estiment que cette référence de l’article 6 et cette adhésion ne devraient pas changer grand-chose à la situation actuelle (voir aussi Rodière, 2010). « En dépit d’exercices destinés à “sauver la face”, pour certains États membres, le statut légal des droits sociaux n’est pas modifié par la référence du nouveau traité[35]. »

Conclusion : la légitimité ambiguë d’un ordre juridique à visage de Janus

26Il est désormais reconnu par les acteurs comme par la littérature de sciences sociales que les temps du « consensus permissif » à l’égard de l’Union européenne sont révolus. Ce constat est cohérent avec la perception d’une gouvernance « technocratique », présente chez une très grande majorité des acteurs rencontrés. Certains membres de la communauté juridique parlent aussi d’une « oligarchie de fait » (Delmas-Marty, 2004, p. 187). Et, dans le domaine social, c’est au même moment que l’intrusion du droit européen est de plus en plus ressentie, dans les anciens États membres, quelles que soient les familles de protection sociale : cela concerne aussi bien les pays conti nentaux que les Scandinaves, et même la Grande-Bretagne (Koukiadaki, 2012). D’où la perception très répandue d’une situation d’incertitude juridique. Cette situation peut être mise en écho avec l’évolution des sondages d’opinion de la Commission [36]. Si une leçon principale, cependant, peut être tirée de notre enquête, c’est celle d’une légitimité ambiguë qui souligne la diversité des positions collectives des acteurs pertinents identifiés au début, ce qui révèle des alliances inattendues, mais aussi des marges de manœuvre pour le futur de l’« Europe sociale ».

Des alliances inattendues dans les forums et les arènes

27Le discours juridique de l’Union n’est pas simplement porté par un petit groupe de juristes et de juges : il jouit d’un grand soutien parmi les groupes d’intérêt économique (Börzel, 2006 ; Streeck, 1998). Mais, ce qui est plus inattendu, c’est le soutien que lui apporte le groupe des ONG et associations, qui, comme la communauté juridique, s’organise autour de la défense d’intérêts individuels de groupes particuliers (les pauvres, les Roms, les handicapés, etc.), non sans contradiction parfois : « Dans notre association, on voit se dessiner des différences entre ceux qui sont plus en phase avec les priorités “pauvreté” de la Commission et ceux qui militent pour une reconnaissance juridique spécifique des services sociaux[37]. » Seule une minorité, dans la communauté juridique, souligne la conséquence associée de la mise en danger des arrangements sociaux collectifs précédents (Supiot, 2009 ; Bercusson, 2009 ; Guinard, 2009). Mais nous rencontrons, y compris dans les services de la Commission, des acteurs qui sont convaincus de la nécessité de répondre juridiquement à ces inquiétudes. Cette attitude rencontre les prises de position normatives de chercheurs comme M. Ferrera (2009) adjurant les autorités de « protéger les systèmes nationaux ». Les syndicats et les acteurs de la protection sociale publique sont sur une ligne analogue. De son côté, la CES milite pour un « Protocole social » pour protéger les droits sociaux des travailleurs, formulé depuis 2008, en liaison directe avec les décisions Viking et Laval de la Cour de justice.

28Depuis longtemps, les chercheurs ont identifié la position privilégiée en Europe des grands acteurs économiques et l’asymétrie – encore une – de leur position visà-vis de celle des syndicats (Scharpf, 2000 ; Streeck, 1998 ; Schmidt, 2006). Pour l’identification des forces sociales qui soutiennent l’extension de la portée du droit européen, il faut souligner aujourd’hui la place des acteurs positionnés vis-à-vis de la défense des « droits fondamentaux », une catégorie de droits qui se distingue de la catégorie classique de la protection sociale ou des services sociaux (Roman, 2010 ; Borgetto et Lafore, 2010). Cette catégorie se marie idéalement avec le combat contre la discrimination, lequel est enté profondément dans la défense des libertés économiques – libertés que, par stratégie politique, la CJUE désigne comme « fondamentales » alors que le mot n’est jamais employé dans le droit primaire (voir Rodière, 2010, p. 578). Le combat contre la discrimination est lui-même un excellent exemple du caractère Janus du droit européen. La Commission européenne ne s’y trompe pas, dont l’essentiel de la communication politique est attachée à la question des droits fondamentaux [38], droits dont la défense passionnée est en même temps le principe organisateur de tous les textes de mémoires et de mélanges écrits par les juges de la Cour. Parce qu’il illustre parfaitement cette alliance, on citera assez longuement l’un d’entre eux, le juge Mancini [39], qui réfléchit rétrospectivement sur l’histoire de la jurisprudence. “They will do well to look closely at the Court’s case law and remember how many of Europe’s citizens have benefited directly of the Court’s rulings. They will for example remember the Belgian air hostess who claimed the right to the same rate of pay as her male colleagues (Defrenne, case 43/775, 1976), the British nurse who objected to being compelled to retire several years earlier than a male (Marshall, cases 152/84, 1996), the German woman who was prevented from getting a job as a canteen assistant at Cagliari university by a practice of discriminating against non-Italians (Scholz, case 419/92, 1994), the French student who wanted to study cartoon-drawing at an academy of fine arts in Belgium and was required to pay a fee not imposed on Belgian students (Gravier, case 293/83, 1985), the Greek hydrotherapist who asked only that his name should not be distorted beyond recognition, when transliterated by an overzealous German registrar of marriages (Konstantinidis, case 168/91, 1993) and above all the millions of consumers who are the direct beneficiaries of a common market founded on the principles of free trade and undistorted competition. What citizen of Europe has not been assisted in some way by the rulings of the European Court in Luxembourg?” (Mancini, 2000, p. 193) [40].

29La réalité évoquée avec tant de conviction par le juge trouve des illustrations nombreuses dans le domaine que nous avons exploré. Les organes supérieurs de l’Union prennent la défense – et la Cour la toute première (Ferrera, 2005) – de certains intérêts au détriment d’autres. Le cas du logement social hollandais (Sol et Van der Vos, 2012) en est un éclatant exemple et la façon dont l’un de nos interlocuteurs de la Commission nous explique la position de cette dernière [41] : « la Commission se doit de choisir les sans-abri de préférence à la classe moyenne », en plein accord avec les associations de lobby correspondantes, dont la FEANTSA, est l’exemple. Une position similaire est tenue en février 2012 par une représentante de la DG Concurrence, dans une conférence sur les SSIG, où elle déclare : « quand il s’agit de logement de luxe pour les personnes âgées, le caractère social du service est douteux[42] ». La logique est la même qui explique l’engagement des associations de défense des victimes de maladies rares pour l’adoption de la directive de 2010 sur les soins transfrontaliers [43], laquelle ne concerne, a priori, qu’un millième des citoyens européens [44]. Il est donc très important, pour comprendre la dynamique du droit européen dans le domaine social, de considérer les évolutions des positions des acteurs dans la tension entre droits « collectifs » et droits individuels (souvent qualifiés de fondamentaux).

L’incertitude et les confrontations entre acteurs à venir

30Il n’y a pas de surprise donc à observer la défiance croissante des acteurs sociaux des services et de la protection sociale vis-à-vis du droit européen, et qu’ils cherchent à se faire entendre. Certes, notre enquête, comme il a déjà été indiqué, n’a pas la prétention d’un travail représentatif et comporte deux biais principaux, deux limites de construction : elle privilégie la situation des anciens États membres et elle ne rend pas compte systématiquement de la position des acteurs marchands. « La croissance du privé lucratif dans le logement pour les personnes âgées est le résultat de la législation qui permet plus de concurrence », nous déclare un acteur du monde lucratif français, en s’en félicitant [45].

31Les élites dirigeantes européennes semblent divisées à ce propos, entre des acteurs comme M. Monti qui, dans son rapport de 2010 sur le marché unique, note que la relance de ce marché va « rencontrer de sérieuses oppositions » (p. 20) et les acteurs qui adoptent une position plus classique de despotisme éclairé, comme T. Padoa-Schioppa [46]. Au même moment, la situation économique tend à radicalement modifier les conditions d’acceptation de la légitimité par « les résultats » (Fitoussi et al., 2010). Le changeant contexte de la dynamique de la protection sociale et des services sociaux n’est donc certainement pas dessiné à l’avance comme le résultat inexorable des contraintes du droit. Des marges de manœuvre nombreuses existent pour de très nombreux acteurs, comme l’illustre l’initiative de la Commission européenne, en décembre 2011, qui cède enfin à certaines des demandes associatives [47]. La CJUE n’est pas isolée des acteurs sociaux et a un besoin crucial, comme on l’a vu, de légitimation. En même temps, l’époque n’est plus à la répétition rhétorique d’espoirs généraux dans le traité de Lisbonne (Ferrera, 2009) : il convient d’observer empiriquement qui les porte, qui peut les insérer dans le fonctionnement du dieu Janus et les chances objectives des scénarios du futur pour la protection et les services sociaux. Les confrontations d’acteurs sont loin d’être achevées et il ne faudra pas y oublier le poids des électorats, auquel, étonnamment, seuls certains hommes politiques semblent attentifs.

Notes

  • [*]
    Jean-Claude Barbier, sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS, Centre d’économie de la Sorbonne. Fabrice Colomb, sociologue, centre Pierre-Naville et université d’Évry.
  • [1]
    Ce champ couvre le droit du travail, les droits sociaux, le droit à la protection sociale, les politiques sociales et les services sociaux.
  • [2]
    Double décision C-159/91 et C-160/91.
  • [3]
    Depuis 1997 (Barbier, 2008), et plus récemment, dans le cadre du projet européen financé par le septième programme-cadre, dit GUSTO (de plus amples détails sont fournis dans Barbier et Colomb, 2011). Voir tableau.
  • [4]
    Ils sont collectifs dans le sens où ils reposent sur des formes de solidarité, par exemple professionnelle (assurance retraite) ; notre acception ne doit pas être confondue avec les droits collectifs au sens juridique (par exemple, droit de grève), mais elle les comprend également.
  • [5]
    Le travail sur lequel s’appuie le présent article s’inscrit dans le programme (2009-2012) GUSTO (Governance of Uncertainty and Sustainability : Tensions and Opportunities). Voir le site www.gusto-project.eu
  • [6]
    Dans cet article, les « politiques sociales » comprennent la protection sociale, les services sociaux (le plus souvent publics) et également le droit du travail : il s’agit d’un raccourci qui n’est pas justifié ici (voir Barbier, 2008).
  • [7]
    L’expression « niveau européen », utilisée en contraste avec « niveau national », est ambiguë, mais on n’en a pas d’autre. Le niveau européen, au sens strict, englobe toute l’Europe, alors que nous parlons ici des activités transnationales et internationales rapprochant des acteurs de plusieurs pays de l’Union. Cette difficulté linguistique explique l’usage courant, chez les acteurs, du terme « Bruxelles » pour désigner l’Union européenne. Une autre difficulté est l’usage de « droit de l’Union européenne », qui a remplacé « droit communautaire ». Pour alléger le texte, on considère que « droit européen » peut remplacer « droit de l’Union », même si ce n’est pas strictement exact.
  • [8]
    Les acteurs du niveau national interrogés dans l’enquête proviennent de quatre pays : Pays-Bas, France, République tchèque et Royaume-Uni. Six Allemands ont été interviewés. La nationalité des acteurs du « niveau européen » n’est pas précisée ici.
  • [9]
    Les acteurs appartiennent souvent simultanément aux arènes et à certains des forums (voir à ce sujet l’analyse du cas des politiques de l’emploi en France, Colomb, 2012b).
  • [10]
    Une décision légale étudiée par exemple dans l’enquête est celle de la Commission qui enjoint au gouvernement néerlandais d’établir un plafond de ressources pour accéder au logement social. Il y a deux décisions de la Commission européenne à ce sujet. La première de 2005 (E2/2005, ex-NN 93/02), et la seconde, qui est mise en cause devant le tribunal d’instance et prend la forme d’une lettre au gouvernement néerlandais du 15 décembre 2009, C (2009) 9963 final (en décembre 2011, le tribunal a déclaré la requête irrecevable, mais la procédure continue).
  • [11]
    Leur identité est évidemment soumise à la confidentialité, sans doute encore un peu plus que celle de tous nos acteurs, pour des raisons compréhensibles.
  • [12]
    Cependant, les différentes communautés juridiques sont inégalement internationalisées. Ainsi, en droit du travail en France, la communauté était peu internationalisée (entretien, professeur français, février 2010), une situation qui est en train de changer (entretien, professeur français, novembre 2011).
  • [13]
    Interview, magistrat, juillet 2010.
  • [14]
    Février 2011. Voir aussi interview, professeur de droit, février 2010 : « Il est impossible de penser que la nationalité des juges siégeant dans la chambre lors des décisions Viking et Laval n’ait pas joué un rôle dans la substance de ces décisions. »
  • [15]
    Un total de 110 entretiens (dont 26 juristes). À ce nombre doivent être ajoutés les entretiens réalisés par les chercheurs du projet GUSTO travaillant respectivement sur le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la République tchèque, aux interprétations desquels nous avons eu accès (voir Sirovatka, 2012 ; Sol et Van der Vos, 2012 ; Koukiadaki, 2012).
  • [16]
    En Europe, ces groupes forment la majorité des sociétés (peut-être 80 %). Mais, dans le même temps, des groupes entiers de populations sont exclus de la connaissance du droit, tout particulièrement chez les jeunes.
  • [17]
    Interview, Conseil, mars 2011.
  • [18]
    « En ce qui concerne la terminologie proprement juridique, il faut éviter les termes trop étroitement liés aux ordres juridiques nationaux », Guideline 5.3.2, p. 19 du Guide pratique commun du Parlement européen, du Conseil et de la Commission à l’intention des personnes qui contribuent à la rédaction des textes législatifs au sein des institutions communautaires (version française, 2003).
  • [19]
    Dans une conférence sur les services sociaux (mai 2011, Copenhague), un expert du droit de la concurrence confie à l’assis tance qu’il a « toujours des problèmes » avec le concept d’undertaking (entreprise), utilisé à la place des termes courants de firm ou company.
  • [20]
    95 % des textes à l’état de draft sont en anglais aujourd’hui (interview, Conseil, mars 2011).
  • [21]
    Dans la version allemande, on trouve « die Arbeitskräfte » au lieu du courant « Arbeitsnehmer ».
  • [22]
    Sur la base de la confidentialité, ces personnes ont été interviewées en 2010 et en 2011.
  • [23]
    Juriste, mai 2011, conférence sur les services sociaux à Copenhague.
  • [24]
    Interview, association, mars 2011.
  • [25]
    Akandji-Kombé et Leclerc (2001) montrent que, en raison de l’adaptation à chaque processus de ratification, les conséquences de la charte sont très diverses selon les pays.
  • [26]
    Il s’agit de la Charte des droits sociaux des travailleurs, adoptée en 1989, et de la Charte européenne des droits fondamentaux, qui inclut des droits sociaux (son chapitre IV « Solidarité »), adoptée au Sommet de Nice en décembre 2000.
  • [27]
    Interview, mai 2010.
  • [28]
    Entretien avec un ancien référendaire, février 2011.
  • [29]
    Les experts juristes des institutions européennes rencontrés nous déclarent tous que l’ordre juridique européen n’a pratiquement pas de limite en fait, à l’exception de certains domaines limités (par exemple, le droit pénal). Mais les différences doctrinales abondent.
  • [30]
    Interview, syndicat, Bruxelles, mars 2011.
  • [31]
    Interview, mai 2010.
  • [32]
    Interview, CES (Confédération européenne des syndicats), février 2010.
  • [33]
    Cf. l’article de Morgan Sweeney dans le présent numéro, « Le principe d’égalité de traitement en droit social de l’Union européenne : d’un principe moteur à un principe matriciel ».
  • [34]
    Interview, association, novembre 2009.
  • [35]
    Interview, administrateur au Conseil, mars 2010.
  • [36]
    Par exemple, Eurobaromètre 322 (2010).
  • [37]
    Interview, association, juin 2010.
  • [38]
    Un cas idoine d’illustration peut être la promotion des droits des Roms, qui aboutit à différents conflits avec les États membres et qui est au centre du premier rapport de la Commission sur les droits fondamentaux (2010).
  • [39]
    En fonction à la Cour de 1982 à 1999.
  • [40]
    « Ils ont intérêt à étudier avec précision la jurisprudence de la Cour et à se souvenir du nombre des citoyens européens qui ont profité directement de ses décisions. Ils se souviendront par exemple de l’hôtesse de l’air belge qui demandait d’être payée au même tarif que ses collègues masculins (Defrenne), de l’infirmière britannique qui contestait la disposition la forçant à prendre sa retraite plusieurs années avant ses collègues masculins (Marshall), de l’Allemande à qui l’on refusait un emploi d’assistante à la cantine à Cagliari par discrimination à l’égard des non-Italiens (Scholz), de l’étudiant français de qui l’on exigeait le paiement de frais d’inscription à une académie des beaux-arts belge pour étudier le dessin, alors que ses collègues belges n’avaient pas à les acquitter (Gravier), de l’hydrothérapiste grec qui réclama qu’on ne dénature pas son nom de famille, par l’excès de zèle d’un employé de l’enregistrement des mariages (Konstantinidis), et, surtout, ils feront bien de se souvenir des millions de consommateurs qui sont les bénéficiaires directs du marché commun fondé sur les principes de la liberté des échanges et de la concurrence libre et non faussée. Quel citoyen européen n’a-t-il pas été aidé d’une manière ou d’une autre par les décisions de la Cour de Luxembourg ? »
  • [41]
    Interview, DG Emploi, mars 2011.
  • [42]
    Conférence sur les SSIG, 2 février 2012.
  • [43]
    Cf. l’article de S. de La Rosa dans le même numéro, « Quels droits pour les patients en mobilité ? À propos de la directive sur les droits des patients en matière de soins transfrontaliers ».
  • [44]
    Interview, mars 2011, ministère des Affaires sociales.
  • [45]
    Interview, septembre 2009.
  • [46]
    L’ancien banquier de la BCE va loin quand il écrit : « Il est absolument impropre de parler de déficit de démocratie, comme si nous étions en présence d’un gouvernement basé sur autre chose que la volonté du peuple » (2010, p. 105).
  • [47]
    « Paquet Almunia » de décembre 2011. Plus de sept ans après le rapport Herzog de 2003 au Parlement européen sur les services d’intérêt général, au moment de l’écriture de ce texte, la Commission semble enfin faire droit à certaines des demandes des producteurs de services sociaux d’intérêt général dans le cadre de la révision de ce qui est désigné comme le « paquet Altmark ».
Français

Dans le domaine des politiques et des services sociaux, du droit du travail et de la protection sociale, la répartition des compétences a peu changé depuis le traité initial de la Communauté européenne en 1957. Pourtant, au fur et à mesure des années, l’impact du droit européen des libertés économiques n’a pas cessé de croître. Son influence sur le droit du travail et les arrangements collectifs de protection sociale est de plus en plus mise en lumière avec la nouvelle jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Les acteurs des services sociaux dans les pays membres les plus anciens en sont de plus en plus conscients et ils sont inquiets pour une grande partie d’entre eux, notamment dans les associations. De l’autre côté, les associations se félicitent des avancées des droits individuels qui sont dues à l’influence résolue du droit de l’Union. Ce droit apparaît comme le dieu Janus, avec ses deux visages.

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Jean-Claude Barbier
Sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS, Centre d’économie de la Sorbonne (CNRS, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).
Fabrice Colomb [*]
Sociologue au centre Pierre-Naville et enseignant à l’université d’Évry. Ses recherches portent sur les politiques de l’emploi, les politiques de vieillissement et les politiques sociales européennes.
  • [*]
    Jean-Claude Barbier, sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS, Centre d’économie de la Sorbonne. Fabrice Colomb, sociologue, centre Pierre-Naville et université d’Évry.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 12/07/2012
https://doi.org/10.3917/rfas.121.0016
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