CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Les limites de l’action de l’Union européenne dans le domaine de la santé publique sont connues. En 1957, le traité de Rome ne reconnaît aucune compétence à la Communauté en matière de santé publique. Il ne renvoie à celle-ci qu’au titre des motifs d’intérêt général susceptibles de justifier une mesure d’effet équivalant aux restrictions quantitatives [1]. Après l’abandon d’un projet de Communauté européenne de santé, présenté peu après l’entrée en vigueur du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier [2], les rédacteurs du traité instituant la Communauté économique européenne ont estimé que les bénéfices engendrés par le marché commun auraient une influence positive sur les politiques redistributives nationales [3].

2Il faudra attendre le traité de Maastricht pour que l’Union se voie reconnaître une compétence dans le domaine de la santé, bien qu’elle fût limitée à la promotion de la coopération entre les États. L’actuel article 168 du traité sur le fonctionnement de l’Union confirme la nature particulière de cette compétence. À l’exception de quelques domaines précis, qui peuvent faire l’objet de mesures d’harmonisation [4], il établit pour l’essentiel une compétence d’appui et de complément, habilitant l’Union à prendre des mesures incitatives et complémentaires de celles des États. En un sens, la reconnaissance d’une compétence de l’Union dans ce domaine s’est faite au prix d’un renouvellement de la notion même de compétence et d’une accentuation de la distinction entre la compétence (à savoir le titre juridique d’habilitation) et le pouvoir (à savoir les attributs conférés à l’Union) (Michel, 2004).

3Il reste que l’influence de l’Union dans le champ de la santé a ceci de particulier qu’elle ne s’appuie pas nécessairement sur la compétence qui lui est dévolue dans ce domaine, fût-elle limitée. Le droit du marché intérieur et, plus particulièrement, la libre prestation de services ont des effets décisifs sur les aspects transnationaux de la santé. L’accès des patients aux soins transfrontaliers en est une parfaite illustration.

4Au terme d’un processus particulièrement long, le Parlement et le Conseil ont adopté, en mars 2011, la directive 2011/24 relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers [5]. L’adoption de ce texte était largement attendue (Grove-Valdeyron, 2011). Au regard de son intitulé, qui met en avant l’existence de droits individuels dans un champ social, elle apparaît, de prime abord, comme une mise à l’écart de la dimension essentiellement économique du droit de l’Union. Elle s’inscrit en cohérence avec le nouveau visage que l’Union cherche à offrir à ses citoyens depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, dans la mesure où elle traduit un rééquilibrage de son action dans un sens plus social [6]. La directive « prévoit des règles visant à faciliter l’accès à des soins de santé transfrontaliers sûrs et de qualité élevée et encourage la coopération en matière de soins de santé entre les États membres, dans le plein respect des compétences nationales en matière d’organisation et de prestation des soins de santé » (art. 1er). À cette fin, elle pose des principes généraux applicables au remboursement des coûts (art. 7) et fixe un cadre général pour promouvoir la coopération entre les États (art. 10). Les États doivent la transposer d’ici à octobre 2013.

5Le sens de la libre circulation des patients n’est pas tant de reconnaître au patient la possibilité de se faire soigner dans un autre État que son État d’affiliation : dès lors qu’il en supporte seul le coût, l’accès à des soins hors de ses frontières est possible. Le véritable enjeu est plutôt de lui offrir le maintien d’une couverture sociale au-delà de ses frontières nationales, à savoir qu’il puisse, en exerçant son droit à la mobilité, continuer à être un assuré social titulaire de soins dans un cadre collectif et socialisé (Lernould, 2008). Pareille perspective nécessite de contourner le principe de territorialité, inhérent aux systèmes nationaux d’assurance maladie, qui implique que l’assuré soit résident sur le territoire national pour bénéficier des prestations de soins (Cornelissen, 1996 ; Pellet, 2009).

6Historiquement, cet accès aux soins repose sur des règlements européens ; initialement, le règlement n° 1408/71, devenu depuis lors n° 883/2004, ainsi que leurs règlements d’application [7]. Ces textes reposent sur une fiction juridique : le patient est considéré comme s’il était un assuré de l’État de séjour (ou de soins), autrement dit il est fondu dans le système national de soin. Ce régime s’applique pour les soins inopinés, à savoir des soins justifiés par la nécessité lors du déplacement d’une personne en dehors de son État d’affiliation, et pour les soins programmés, à savoir lorsque le besoin de soin motive ce déplacement. Ces dispositifs reposent sur la technique de la coordination, qui permet de faire coexister des régimes nationaux de soins sans altérer leurs spécificités. Les droits nationaux poursuivent de la sorte leurs finalités propres, la coordination permettant de limiter les effets négatifs qui pourraient résulter de leur application isolée de toute considération extérieure. Ils visent à une articulation cohérente des systèmes nationaux sans objectif d’harmonisation. La mise en œuvre de ces règlements par les États membres a largement contribué à l’ouverture des espaces nationaux dans l’accès aux soins (Van Raepenbusch, 2005).

7Depuis une quinzaine d’années, avec les célèbres arrêts Kohll et Decker [8], la Cour de justice a introduit une brèche dans ce mécanisme en développant de nouvelles pistes de prise en charge. À la voie du règlement s’est juxtaposée celle du traité, sur la base de laquelle la libre circulation du patient est directement fondée sur le régime de la libre prestation de services, avec les spécificités qui lui sont propres. De manière alternative aux possibilités offertes par le règlement, les patients se sont vu reconnaître la possibilité d’invoquer la libre prestation de services pour obtenir le remboursement de soins perçus en dehors de leur État d’affiliation. C’est cette « seconde voie » que la directive sur les soins transfrontaliers entend clarifier, avec l’ambition de codifier les principes dégagés par la Cour ; en d’autres termes, de réunir dans un cadre cohérent les solutions jurisprudentielles.

8L’exercice n’est guère évident. Les rédacteurs de la directive devaient, en effet, prendre en compte un certain nombre de contraintes, parmi lesquelles les exigences liées au respect de la libre prestation de services (dont la mobilité des patients constitue une traduction particulière), le respect de la compétence historique des États et de la diversité des différents modèles de santé, ou encore la protection des équilibres financiers et les droits des patients. La surabondance de la motivation de la directive est parfaitement illustrative des équilibres qui ont dû être pris en compte par les institutions européennes et des compromis nécessaires à son adoption [9].

9L’objectif du présent article est de rendre compte des équilibres contenus dans la nouvelle directive relative aux soins transfrontaliers adoptée en 2011. Le législateur n’a pas seulement systématisé les solutions prétoriennes, il les a également complétées en veillant à une meilleure cohérence de l’action de l’Union en matière de santé publique. La directive illustre, en effet, une combinaison originale entre la codification des solutions issues de la libre prestation de services, la facilitation de l’exercice de la mobilité du patient par la mise en avant de son information, la promotion de la coopération entre les États en lien avec l’article 168 TFUE (traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) et, pour chapeauter l’ensemble, le rappel, souvent incessant, du caractère essentiellement national de la politique de la santé

10Pour mieux comprendre ce texte, il nous faut revenir tout d’abord sur le cadre dans lequel il a été élaboré, s’interroger ensuite sur son apport à la clarification des principes de remboursement, puis identifier les droits qu’il reconnaît au profit des patients.

La genèse de la directive

11La directive sur les soins transfrontaliers est la conséquence directe de la filière jurisprudentielle inaugurée par les arrêts Kohll et Decker. Elle ne peut être comprise sans une mise en perspective avec celle-ci. Comme souvent en matière européenne, son adoption est le fruit d’une longue négociation.

L’aboutissement de la jurisprudence Kohll et Decker

12Les décisions Kohll et Decker, dans lesquelles sont en cause des soins ambulatoires, sont célèbres pour avoir ouvert une nouvelle voie pour le remboursement des soins reçus par des patients en dehors de leur État d’affiliation [10]. Par ces arrêts, la Cour applique le régime de la libre prestation de services à des soins couverts par un régime de sécurité sociale. Les régimes d’autorisation préalable pour obtenir des soins hors de l’État d’affiliation se voient dès lors soumis aux règles du marché intérieur.

13Dans le système de représentation de la Cour, l’autorisation préalable est assimilée à une restriction à la libre circulation du patient pour obtenir un service dans un État membre (en l’occurrence un soin de santé), dans la mesure où elle dissuade le patient de recevoir un traitement dans un État autre que son État d’affiliation [11]. Mais, en retour, cette restriction doit pouvoir être justifiée sur le fondement d’un motif prévu par le traité, en l’occurrence la protection de la santé publique, ou d’une raison impérieuse d’intérêt général [12]. Elle doit être fondée sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, et passer le test du principe de proportionnalité [13]. La prise de position de la Cour permet au patient d’obtenir le remboursement des soins de santé suivant une voie alternative à celle du règlement : à moins qu’elle ne soit justifiée, il ne pourra se voir opposer l’exigence d’une autorisation pour un soin reçu hors de l’État d’affiliation, avec un remboursement suivant le barème tarifaire de celui-là.

14En statuant de la sorte, la Cour a œuvré à une extension du champ matériel d’application du droit de l’Union (Martinsen, 2009). En combinant une interprétation extensive et de la notion d’activité économique (critère d’applicabilité matériel de la libre prestation de services) (Koutrakos, 2005) et de la notion de restriction aux échanges (condition d’application), la Cour a étendu l’emprise de la libre prestation de services à des domaines qui, formellement, relèvent de la compétence des États. De cela découle une forme de débordement, qui s’explique par la dissociation entre le champ d’application du traité et la répartition formelle des compétences. Ce mouvement d’emprise des règles relatives aux libertés de circulation sur les politiques nationales redistributives a d’ailleurs été critiqué, certains auteurs estimant que la Cour n’avait pas de légitimité pour remettre en cause l’exercice par les États de leur compétence retenue en matière sanitaire et sociale (Fuchs, 2002).

15Cette jurisprudence, que l’on pouvait croire circonscrite aux soins ambulatoires, s’est étendue à la plupart des autres types de soins, indépendamment du cadre dans lequel ceux-là sont prodigués. La Cour a ainsi conclu à l’applicabilité de la libre prestation de services, et donc à la nécessité pour les États de justifier les régimes d’autorisation préalable pour des soins hospitaliers prodigués dans un centre hospitalier [14] (et ce quand bien même les frais liés à des soins reçus dans un autre État seraient à la charge d’un système national de santé financé par l’État et fondé sur le principe de la gratuité des prestations [15]), pour des soins reçus dans une clinique privée [16], mais également pour des soins en nature dispensés chez un spécialiste sans hospitalisation [17]. L’ensemble des soins de santé entre dans le champ de la libre prestation de services, ce dont rend compte la définition que retient la directive de la notion même de soins [18].

16En matière de soins hospitaliers, la Cour a néanmoins dégagé des solutions plus favorables aux intérêts financiers des États. À la différence des soins ambulatoires, un régime d’autorisation préalable pour l’accès à des soins hospitaliers hors de l’État d’affiliation peut être justifié, dès lors qu’il est nécessaire pour garantir certaines raisons impérieuses, compte tenu de la particularité que présentent les prestations médicales dispensées dans un milieu hospitalier. Ces motifs sont liés à la nécessité de préserver la marge de l’État d’affiliation dans l’exercice de sa propre politique de soins ; il s’agit d’éviter un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale [19], de maintenir un service médical et hospitalier équilibré et accessible à tous [20] et de garantir le maintien d’une capacité de soins sur l’ensemble du territoire [21]. La plupart de ces justifications traduisent une volonté du juge de l’Union de préserver les mécanismes de solidarité propres aux États (Pellet, 2011 ; de La Rosa, 2011). Il n’en demeure pas moins que, pour être admis, le régime d’autorisation doit respecter des garanties procédurales, lesquelles reposent sur des critères personnels, liés à l’état de santé du patient, et sur des exigences de procédures aux termes desquelles l’autorité en charge de l’autorisation préalable doit respecter un délai raisonnable pour la délivrance de l’autorisation et veiller à des garanties d’objectivité et d’impartialité. Les éventuels refus d’autorisation doivent, par ailleurs, pouvoir être remis en cause dans le cadre d’un recours juridictionnel [22].

Un long processus d’adoption

17À peine les arrêts Kohll et Decker, puis Smits et Peerbooms, furent-ils rendus que de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer une clarification du cadre juridique. La nouvelle voie de prise en charge a été critiquée par les États, qui y ont vu un risque d’atteinte à l’équilibre financier de leurs régimes nationaux d’assurance maladie, par les praticiens et les acteurs de la santé (Lewalle et Palm, 2001 ; Furet, 2005), par des études académiques (Hatzopoulos, 2002), mais également par certains membres de la Cour [23]. Les conséquences financières de la mobilité des patients ne sont pourtant pas décisives. Elle affecte plus particulièrement les petits États et les zones frontalières mais les coûts qu’elle engendre ne dépassent pas, selon la Commission, 1 % du budget des services publics de santé [24].

18Les institutions, et notamment les directions générales compétentes de la Commission, ont longtemps hésité entre une approche horizontale, qui inscrivait la problématique des soins de santé dans le cadre d’une modernisation générale des règles du marché intérieur, et une approche sectorielle, spécifique (Gekiere et al., 2010). Bien que les solutions issues de la jurisprudence soient relativement claires, l’objectif recherché est de rendre plus prévisible l’application de la règle de droit et certaine l’application du régime de mobilité créé de toutes pièces par la jurisprudence. En 2002, un groupe à haut niveau est mis en place afin de proposer des mesures de nature à clarifier le cadre juridique applicable aux soins transfrontaliers. Outre une amélioration de la coopération entre les autorités nationales et le développement d’un appui de l’Union aux politiques sanitaires nationales (lequel se traduira par une extension de la méthode ouverte de coordination à la santé) [25], le rapport remis par ce groupe préconise de réserver un traitement spécifique aux soins de santé dans la future directive générale sur les services [26].

19Les soins se retrouvent intégrés dans le champ d’application de la première mouture de cette directive, qui passera à la postérité sous le nom de « directive Bolkenstein ». Le texte sera au cœur du débat politique. Trop général, il avait vocation à englober la plupart des formes de prestation de services ; trop unifiant, il contenait un régime général, fondé sur le principe du pays d’origine, qui se serait appliqué à l’ensemble des services, indépendamment de leur spécificité. Dans le contexte tendu des débats référendaires, caractérisés par une défiance générale à l’égard du traité constitutionnel et de la directive « services » en particulier, le Parlement européen adopte en avril 2005 une résolution par laquelle il insiste sur la nécessité d’une approche spécifique pour les soins de santé [27]. Avec l’exclusion des services de santé de la version finale de la directive 2006/123/ CE du 12 décembre 2006 sur les services dans le marché intérieur [28], la voie était ouverte à la préparation d’un texte spécifique.

20Ces facteurs expliquent les compromis nécessaires à l’adoption de ce texte, de même que la longueur de son adoption. En septembre 2006, la Commission a lancé une vaste consultation pour relancer le débat et envisager une action de l’Union dans l’ensemble du domaine des services de santé. Le Conseil puis le Parlement approuvent tous deux la nécessité d’un texte relatif à la mobilité des patients. La proposition sera finalement déposée par la Commission en 2008 [29].

21Après un rejet du texte par le Conseil en première lecture, c’est finalement la présidence belge qui favorise, en seconde lecture, l’accord entre le Conseil et le Parlement. L’essentiel de la négociation a porté sur l’exigence d’autorisation préalable nécessaire à la délivrance de soins hospitaliers. Pour le Parlement européen, l’autorisation devait être l’exception et non la règle, tandis que les États défendaient la position inverse. L’autorisation a finalement été encadrée : le Parlement a obtenu que la liste des motifs permettant de refuser la délivrance d’une autorisation préalable à un patient soit une liste fermée car fondée sur des critères suffisamment précis.

22De ces longs compromis, il résulte un texte dense, fondé sur une double base juridique, d’une part, l’article 114 TFUE, qui constitue la base juridique principale du marché intérieur, d’autre part, l’article 168 TFUE relatif à la compétence de l’Union en matière de santé. La référence à ces deux bases juridiques est riche de sens. La référence à l’article 114 TFUE aurait pu suffire, car l’essentiel des dispositions du texte vise à améliorer le fonctionnement du marché intérieur à travers le cadre particulier de la libre prestation de services. La dimension « marché intérieur » est ici prépondérante. La référence à l’article 168 TFUE, ajoutée par le Conseil en première lecture [30], ne permet pas, en tant que telle, de fonder l’inscription de règles contraignantes dans la directive dans la mesure où les compétences normatives qui sont reconnues à l’Union par cette disposition ne couvrent pas la circulation des patients. Le recours à l’article 168 TFUE, qui constitue la base juridique d’une compétence d’appui, est essentiellement conçu pour préserver le champ de compétence des États en matière de santé publique [31] et pour justifier les instruments de coopération prévus par la directive. Cette double base juridique explique également le caractère un peu bancal du texte final qui, d’un côté, reconnaît des droits au profit des patients mais qui, d’un autre côté, préserve autant que faire se peut la compétence des États.

La clarification du régime de remboursement

23L’enjeu d’une clarification de la jurisprudence Kohll consistait à préciser le régime applicable au remboursement des soins reçus par les patients hors de leur État d’affiliation. Pour l’essentiel, le texte reprend les principes dégagés par la jurisprudence elle-même. Soucieux de ménager les intérêts financiers des États, de même que leur compétence de principe en matière sanitaire, les rédacteurs de la directive ont également pris soin d’identifier les catégories de soins justifiant le recours à une autorisation préalable pour le patient.

Une reprise des principes de remboursement issus de la jurisprudence

24La directive 2011/24 clarifie les règles applicables au remboursement des frais engagés par une personne assurée qui reçoit des soins hors de son État d’affiliation. C’est l’objet du chapitre III de la directive relatif au remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers. Il s’agit bien d’une clarification du régime du remboursement mais non de la reconnaissance d’un droit au remboursement des soins reçus en dehors de l’État d’affiliation [32]. L’article 7, § 4, de la directive rappelle le principe d’une prise en charge des soins par l’État d’affiliation, « à hauteur des coûts qu’il aurait dû prendre en charge si ces soins de santé avaient été dispensés sur son territoire, sans que le remboursement excède les coûts réels des soins de santé reçus ». C’est là une confirmation du principe issu de la jurisprudence Vanbraekel [33], selon lequel un remboursement complémentaire doit être versé à l’assuré dans l’hypothèse où il existe une différence entre le montant des frais exposés par le patient pour des services hospitaliers fournis dans un État membre de séjour et celui qui aurait résulté de l’application de la législation en vigueur dans l’État membre d’affiliation en cas d’hospitalisation.

25La directive ne précise toutefois pas si ce complément vaut à la fois pour les soins programmés et pour les soins inopinés, qui échappent normalement à la procédure d’autorisation. Dans une décision récente, Commission c. Espagne [34], la Cour de justice a refusé d’étendre le complément Vanbraekel aux soins inopinés. Elle a écarté les arguments de la Commission, qui estimait que l’absence de remboursement complémentaire des soins hospitaliers reçus, hors de l’État d’affiliation, consécutivement à une dégradation de l’état de santé du patient, devait être considérée comme une restriction aux échanges. C’est là une prise de position qui limite la construction d’un droit à la mobilité des patients fondé sur la libre prestation de services et qui, plus généralement, va dans le sens de la protection des intérêts des États. En cas de litige, et dans le silence de la directive, la Cour devra choisir entre le maintien de cette solution ou l’application de la directive qui ne distingue pas selon le caractère programmé ou inopiné du soin.

26Ces principes de remboursement s’articulent avec le régime issu des règlements de coordination. Les rédacteurs de la directive ont, en effet, veillé à garantir une cohérence entre les règles édictées par la directive et celles fixées par le règlement n° 883/2004. Cette cohérence est liée au champ d’application personnel de la directive sur les soins transfrontaliers. Celui-ci est construit sur la notion de « personne assurée » [35]. La notion se trouve être définie par renvoi aux règlements de coordination : sont considérés comme des personnes assurées, d’une part, les personnes, y compris les membres de leur famille et leurs survivants, qui sont couvertes par l’article 2 du règlement n° 883/2004, d’autre part, les ressortissants de pays tiers qui sont couverts par le règlement n° 859/2003 ou par le règlement n° 1231/2010.

27Outre la cohérence qu’elle assure entre les champs ratione personae de la directive et des règlements, la définition par renvoi permet surtout d’élargir le nombre des patients susceptibles de bénéficier des garanties de la directive. Par rapport au règlement historique n° 1408/71, le règlement de base n° 883/2004 a un champ d’application personnel élargi à tous les ressortissants de l’Union européenne qui sont ou ont été soumis à la législation d’un État membre [36]. Il s’agit là d’une modification de taille qui conduit à ce que les personnes inactives, assurées sur la base de leur résidence sur un territoire donné, soient désormais protégées par le règlement de 2004 si elles se déplacent dans un autre État de l’Union européenne (Cornelissen, 2008 ; Lernould, 2010). Même si les rédacteurs de la directive ont pris soin de limiter les références au citoyen européen (et donc nécessairement aux droits attachés à la citoyenneté européenne), le champ d’application personnel de ce texte, du fait de son renvoi au règlement de base, permet à des citoyens qui n’ont pas la qualité de travailleur d’accéder à des prestations de soins dans un État autre que l’État d’affiliation. C’est là une évolution qui participe de la reconnaissance d’un accès aux droits sociaux sur le fondement de la citoyenneté européenne (Newdick, 2006 ; Azoulai, 2010).

L’élargissement des catégories de soins justifiant une autorisation préalable

28La jurisprudence inaugurée par les arrêts Kohll et Decker est particulièrement subtile. Elle étend le champ matériel du traité aux soins de santé tout en ménageant la possibilité pour les États de justifier leurs propres politiques de soins par des raisons impérieuses d’intérêt général. Les États ont dû exercer leur politique de soins dans le respect du droit de l’Union mais se vont vu reconnaître de nouveaux espaces de justification à leur profit (Hervey, 2007). En même temps qu’elle a favorisé l’accès des citoyens à un grand marché européen, la Cour a intégré la nécessité de préserver les mécanismes nationaux de solidarité.

29L’une des questions soulevées par la codification était de savoir s’il fallait conserver les mêmes justifications et les mêmes catégories de soins susceptibles de justifier une autorisation préalable. La directive privilégie une solution en demi-teinte. D’un côté, elle conserve les raisons impérieuses, telles qu’elles ont été dégagées par la jurisprudence, mais, d’un autre côté, elle élargit les catégories de soins qui sont susceptibles de justifier une autorisation préalable. Si l’État conserve une certaine latitude pour identifier les types de soins susceptibles de faire l’objet d’une telle autorisation, il doit en revanche faire preuve de transparence et rendre publique à l’avance la liste des soins visés (art. 8.7).

30L’article 7.9 reprend les raisons impérieuses telles qu’elles sont reconnues depuis l’arrêt Smits et Peerbooms [37] pour justifier une limitation à l’accès au traitement, c’est-à-dire « les impératifs de planification liés à l’objectif de garantir sur le territoire de l’État membre concerné un accès suffisant et permanent à une gamme équilibrée de soins de qualité ou à la volonté d’assurer une maîtrise des coûts et d’éviter, autant que possible, tout gaspillage de ressources financières, techniques et humaines ». À ces raisons impérieuses, il est possible d’ajouter le maintien d’une capacité de soin ou d’une compétence médicale sur le territoire [38].

31C’est au regard de ces raisons impérieuses que peuvent être identifiés les cas pour lesquels une autorisation préalable est susceptible d’être exigée. C’est l’objet de l’article 8 de la directive, lequel identifie trois grandes catégories de soins. A contrario, les soins qui ne sont pas identifiés par cette disposition échappent à la procédure d’autorisation, tels que la plupart des soins ambulatoires.

  • Le premier cas concerne les soins qui sont soumis aux contraintes de planification et de budget et qui impliquent le séjour du patient à l’hôpital pour au moins une nuit ou qui nécessitent un recours à des infrastructures ou à des équipements médicaux hautement spécialisés et coûteux (art. 8.2 a). Ce sont là deux hypothèses distinctes. La première, qui se caractérise par une hospitalisation du patient, a d’ores et déjà fait l’objet d’une jurisprudence importante. L’autorisation préalable est, en matière de soins hospitaliers [39], nécessaire et raisonnable puisque le nombre des infrastructures hospitalières, leur répartition géographique, les équipements dont elles bénéficient ou encore la nature des services médicaux qu’elles offrent doivent pouvoir faire l’objet d’une planification. La directive insiste d’ailleurs sur la marge de manœuvre qui doit être reconnue aux États dans l’exercice de cette politique, en leur donnant la possibilité de fixer des critères différents selon les régions et les territoires. À terme, une véritable politique de soins transfrontaliers supposera que les États intègrent, notamment en zone frontalière, une planification commune en matière d’accès aux soins. La seconde hypothèse, qui renvoie à l’utilisation d’« équipements matériels lourds », a fait l’objet d’un arrêt récent dans lequel la Cour a étendu sa jurisprudence aux soins dispensés en dehors de structures hospitalières mais impliquant le recours à des structures particulières [40]. Là encore, le recours à une autorisation doit être pleinement approuvé dans la mesure où il s’agit ici de recourir à des appareils médicaux particulièrement coûteux, généralement novateurs, dont la diffusion et la distribution dans les hôpitaux publics se font progressivement.
  • La véritable nouveauté de la directive, dans son exercice de codification, tient à l’ajout de deux nouveaux cas, introduits à la demande du Conseil. Ces cas semblent se rattacher au motif de santé publique, prévu par l’article 36 TFUE, plutôt qu’aux raisons impérieuses. Peuvent être soumis à autorisation préalable les soins de santé qui peuvent exposer le patient à un risque particulier (art. 8.2 b) ainsi que ceux qui sont dispensés par un prestataire dont la qualité des soins serait susceptible de soulever des inquiétudes (art. 8.2. c). Il s’agit ici d’ajouts, introduits à la demande du Conseil, qui traduisent une volonté d’accroître la marge des États par des dispositions rédigées de manière évasive. Le recours à cette dérogation devra s’articuler avec les dispositions de droit dérivé relatives aux produits de santé, et notamment avec les directives relatives aux prescriptions minimales de certains produits de santé, de même qu’avec celles relatives aux qualifications des professionnels de santé [41]. La reconnaissance de cette catégorie de soins susceptibles d’être soumis à autorisation est cohérente avec l’identification des cas dans lesquels un État peut refuser d’accorder une autorisation préalable [42].

La reconnaissance de garanties au profit des patients

32L’originalité de la voie ouverte par la Cour de justice tient au fait qu’elle reconnaît des garanties procédurales au profit des patients qui sollicitent une autorisation pour l’obtention d’un soin hors de l’État d’affiliation, sans pour autant leur reconnaître formellement un droit général au bénéfice de soins. Tout en confirmant ces garanties, la directive affiche la volonté d’aller au-delà en mettant en avant les valeurs de l’Union en matière de santé.

La confirmation des garanties procédurales reconnues par la jurisprudence

33Au regard de son objectif de codification, il était logique que la directive reprenne les exigences procédurales dégagées par la jurisprudence. Depuis l’arrêt Geraets-Smits, précisé sur ce point par l’arrêt Watts, la jurisprudence impose aux institutions nationales le respect de critères procéduraux dans le traitement des demandes d’autorisation préalable. Cette autorisation est une pièce maîtresse qui permet aux États de réguler le flux des patients et d’éviter un éventuel exode de ceux-là vers des centres hospitaliers étrangers (Hatzopoulos et Do, 2006). La procédure d’autorisation doit être, à la fois, personnalisée, en prenant en compte l’état de santé du patient, et équitable, à travers le respect d’une procédure non discriminatoire et transparente [43]. La marge des institutions d’affiliation est dès lors encadrée puisque leur pouvoir discrétionnaire ne peut s’exercer de manière arbitraire. Ces garanties vont d’ailleurs de pair avec le besoin de sécurité juridique du patient mobile, qui suppose un traitement objectif et impartial des demandes. À travers ces exigences, la jurisprudence a développé les conditions d’une justice procédurale au profit des patients à une échelle transnationale, sans pour autant avoir affirmé un véritable modèle européen de santé publique (Azoulai, 2006).

34Conformément à la jurisprudence qu’elle entend codifier, la directive reprend ces garanties. C’est l’objet de l’article 9 relatif aux procédures administratives concernant les soins de santé transfrontaliers. Cette disposition affirme que les procédures concernant le remboursement des soins doivent reposer sur des critères objectifs et non discriminatoires, nécessaires et proportionnés à l’objectif à atteindre (art. 9.1). Les décisions individuelles doivent être rendues dans un délai raisonnable fixé à l’avance (art. 9.3), être dûment motivées et faire l’objet, au cas par cas, d’un réexamen et pouvoir être contestées en justice (art. 9.4). L’ensemble de la procédure doit par ailleurs respecter un principe général de transparence, puisqu’il est prévu que l’État membre d’affiliation rend publique la liste des soins de santé soumis à autorisation préalable ainsi que l’ensemble des informations pertinentes relatives au système d’autorisation préalable (art. 8.7). Toutes ces dispositions reprennent les principales solutions retenues par la jurisprudence.

35Bien que leur inscription dans un texte législatif soit une avancée incontestable, ces exigences n’en restent pas moins tout à fait classiques. Elles rappellent, dans une large mesure, celles qui se trouvent être définies dans la directive relative aux services dans le marché intérieur [44]. Ce sont là des références logiques dans un texte qui codifie une jurisprudence bâtie sur la libre prestation de services. Reste à savoir si ces garanties suffisent pour reconnaître de véritables droits au patient en mobilité. Tout l’enjeu de l’exercice de codification consiste précisément à aboutir à un texte qui dépasse les solutions jurisprudentielles pour reconnaître des garanties supplémentaires au patient.

De nouveaux droits au profit des patients au nom des valeurs de l’Union ?

36Le texte de la directive surprend par ses nombreuses références aux valeurs de l’Union en matière de santé publique. Elles sont rappelées dès les motifs introductifs de la directive [45]. Cette mise en avant a un sens. Elle traduit une volonté de reconnaître, au profit des patients, des droits en cohérence avec l’orientation sociale que souhaite se donner l’Union. Dans quelle mesure les droits identifiés par la directive traduisent-ils ces valeurs ? Trois idées peuvent être avancées.

37• En premier lieu, la directive reprend le principe dégagé dans l’arrêt Watts, selon lequel des considérations d’ordre administratif ou financier ne peuvent être opposées au patient dans le traitement de sa demande d’autorisation. Ainsi, le patient ne peut se voir refuser le bénéfice d’une autorisation préalable, dès lors que les soins auxquels il peut prétendre ne peuvent être dispensés « dans un délai acceptable sur le plan médical, sur la base d’une évaluation médicale objective de l’état pathologique du patient, de ses antécédents, de l’évolution probable de la maladie, du degré de sa douleur et/ou de la nature de son handicap » (art. 8.5). Si la directive ne condamne pas, en soi, le système des listes d’attente, celui-ci doit être toutefois conçu de manière souple [46]. C’est là une traduction concrète des valeurs et de l’exigence d’équité qui sont mises en avant par la directive. Seule prime la réalité de l’état pathologique du patient, sans que ne puissent être opposés des arguments d’ordre administratif ou bureaucratique. À l’échelle de l’État, l’encadrement du recours à des listes d’attente aura vraisemblablement des conséquences sur la politique de planification hospitalière. Les États pratiquant un système de soins en nature seront directement concernés par cette évolution. D’un côté, la mise sous surveillance des listes d’attente devrait conduire à une modernisation des politiques de soins, par l’amélioration des délais de traitement et de la qualité des soins prodigués. D’un autre côté, celle-ci peut également produire l’effet inverse. Les autorités nationales pourront également refuser tout investissement et préférer le maintien du statu quo sanitaire plutôt que de réaliser de coûteuses modernisations de leurs hôpitaux.

38Ce possible désintérêt risque d’être renforcé par l’absence de contrainte véritable à l’échelle européenne, dans la mesure où l’Union se borne à inciter, sans contraindre, à la modernisation des équipements nationaux pour des soins durables et de qualité en utilisant les ressources de la méthode ouverte de coordination (Greer et Vanhercke, 2010 ; de La Rosa, 2007) [47]. Cela explique que le chapitre IV de la directive insiste sur la mise en place de structures de coopération entre les États, parmi lesquelles la mise en place de réseaux européens de référence (article 12), l’établissement d’un réseau santé en ligne (article 14) ou encore la coopération dans le domaine de l’évaluation des technologies de la santé (article 15). Il s’agit de structures originales, qui ambitionnent de constituer un cadre cognitif commun pour les institutions de santé des États [48]. De toute évidence, l’institutionnalisation d’un véritable cadre coopératif entre les États est primordiale pour concrétiser les droits reconnus aux patients en mobilité (Hervey, 2006).

39• En second lieu, la directive met clairement l’accent sur le droit à information du patient. L’information a également à voir avec les valeurs en matière de santé. C’est là une exigence essentielle pour garantir un exercice éclairé de la mobilité médicale et bénéficier de soins de qualité (Davies, 2007). L’article 4 de la directive relatif aux responsabilités de l’État de traitement insiste sur les informations que les patients doivent recevoir du ou des points de contact nationaux relevant de l’État d’affiliation. Prévues par l’article 6, ces entités auront une fonction essentielle dans la transmission au patient des informations relatives à la fourniture de soins dans l’État membre de traitement. Elles devront également fournir des informations relatives aux procédures et aux recours applicables en cas de litige ou de préjudice subi dans le cadre de soins transfrontaliers. La directive reste toutefois évasive quant à leurs modalités de fonctionnement [49].

40S’agissant des informations à transmettre, la directive reconnaît des droits en demi-teinte au profit du patient. D’un côté, les informations collectives sont entendues largement. Elles portent sur les normes de sécurité, les dispositions sur l’évaluation et la surveillance des prestataires de soins de santé et sur l’accessibilité des centres hospitaliers aux personnes handicapées. Les prestataires de soins sont quant à eux chargés de fournir des informations relatives à des aspects spécifiques des services de soins qu’ils proposent « pour aider chaque patient à faire un choix éclairé, notamment en ce qui concerne les options thérapeutiques ». La délivrance de ces informations devrait, en principe, favoriser une mobilité réfléchie de la part des patients, guidée par la recherche de la qualité des soins et non par la recherche du meilleur coût (Davies, 2007). D’un autre côté, la directive est globalement silencieuse sur les droits individuels des patients. La question, pourtant centrale, des informations personnelles, liées au dossier médical, est abordée de manière évasive (Grove-Valdeyron, 2011). Les informations personnelles sont envisagées sous l’angle de l’inscription dans le « dossier médical » du patient (article 4.2 f) [50], mais la directive n’apporte pas de réponse précise à la mise en œuvre de ce dossier ni n’aborde véritablement la question, sauf en termes généraux, de la gestion des données de santé et du consentement du patient au traitement des données dans le cadre d’une opération transfrontalière.

41• En troisième lieu, on peut se demander si la directive parvient à aller au-delà de ce droit renforcé à l’information dans la reconnaissance de droits au profit des patients. Une question, essentielle, est celle du lien entre la mise en avant, par la directive, des valeurs de l’Union en matière de santé et les traductions de ces mêmes valeurs en termes de droits au profit des patients. Dans ses motifs introductifs, la directive insiste largement sur le nécessaire respect des valeurs de l’Union en matière de santé publique que sont « l’universalité, l’accès à des soins de bonne qualité, l’équité et la solidarité » [51]. Une telle mise en avant des valeurs est d’ailleurs cohérente avec la reconnaissance de valeurs en droit primaire depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne [52]. Elle l’est également avec les priorités de la stratégie de l’Union en matière de santé, ainsi que l’illustre la communication de la Commission sur la solidarité en matière de santé [53]. En d’autres termes, l’inscription d’une référence aux valeurs en droit de l’Union en général, et dans cette directive en particulier, illustre une volonté de l’Union de préciser les fondements sociaux et politiques de son action, en l’orientant, en l’occurrence, vers un modèle de démocratie sociale. Elle participe d’une reconnaissance du rôle de la solidarité en droit de l’Union, laquelle est susceptible de recevoir plusieurs significations [54].

42Pour autant, la directive parvient-elle à traduire concrètement ces valeurs, notamment le fait que « tous les patients soient traités de manière équitable en fonction de leurs besoins en soins de santé plutôt que sur la base de leur État membre d’affiliation » (considérant 5 de la directive) ? La traduction en droits est douteuse. C’est pourtant un aspect essentiel de l’équité que de permettre un accès identique à des soins, indépendamment du statut social ou de la capacité à payer. Curieusement, ou volontairement, le texte est silencieux sur les inégalités territoriales et sociales dans l’accès aux soins. Il ne fait pas véritablement cas des individus ou des groupes de population défavorisés, souvent à l’écart des politiques publiques de soins. Il ne prévoit pas, non plus, la promotion de l’accès à des soins frontaliers pour des patients présentant un état de nécessité [55]. En dépit de l’affichage des valeurs, ce texte s’adresse essentiellement à des personnes ou à des groupes d’individus qui disposent des ressources cognitives et sociales nécessaires pour s’engager dans un processus de mobilité. C’est là l’un des travers de la traduction matérielle de la mobilité en droit de l’Union.

Conclusion : une contribution partielle à la formation d’une Europe de la santé

43La construction d’une Europe de la santé est une affaire d’arbitrages. Arbitrage entre les exigences des libertés de circulation et le respect de la compétence historique des États, arbitrage entre l’exigence de traduction des valeurs sociales que se fixe l’Union et la réalité des pouvoirs dont elle dispose pour y parvenir. L’Europe de la mobilité des patients est illustrative de ces tensions. Les exigences de la libre circulation des personnes impliquent des ajustements des régimes nationaux d’assurance maladie, mais ces ajustements ne peuvent toutefois constituer des atteintes excessives à la souveraineté des États, qui conservent la maîtrise de l’étendue de la couverture garantie et du degré de solidarité nationale.

44La directive, dans son exercice de codification, est-elle parvenue à prendre en compte ces exigences contradictoires ? Le texte final traduit un agencement équilibré. Il apporte de la sécurité juridique dans les règles de remboursement de soins alors que celles-ci étaient dégagées au cas par cas. En reconnaissant assez largement l’exigence d’une autorisation préalable, pour les soins hospitaliers et ceux qui nécessitent de lourdes infrastructures, la directive est de nature à apaiser les craintes des caisses nationales de sécurité sociale quant au coût de la mobilité des patients. Par ailleurs, elle contribue, à son échelle, à dégager un statut du patient en droit européen, en reconnaissant un droit à l’information, des garanties procédurales lors de la demande d’une autorisation préalable pour obtenir un soin hors de l’État d’affiliation ou encore en posant un principe de reconnaissance des prescriptions médicales délivrées dans un autre État.

45Néanmoins, en dépit de ce bel équilibre, le texte laisse en suspens deux questions essentielles. Tout d’abord, il peine à définir un statut du patient européen qui soit cohérent avec les valeurs sociales de l’Union (Grove-Valdeyron, 2011). Le patient en mobilité est conçu comme un patient suffisamment éclairé, sans que soit prise en compte sa situation sociale. L’accès à des soins transfrontaliers garanti par le droit de l’Union, sous certaines conditions, pourrait bien être réservé aux individus suffisamment éclairés et suffisamment au fait des possibilités de soins dans d’autres États de l’Union. Surtout, la directive ne parvient pas à dépasser les logiques propres au régime juridique de la mobilité pour contribuer à une véritable politique de soin dans l’espace européen. Identifier un espace commun de santé nécessiterait d’aller au-delà des mécanismes juridiques du marché intérieur. Les mécanismes de coopération mis en place par la directive permettront, éventuellement, d’européaniser des pratiques de soins, notamment en zone frontalière, en revanche, ils ne suffiront pas pour harmoniser vers le haut la qualité des soins, de surcroît dans un contexte de réduction des investissements publics. C’est là tout l’enjeu de l’affirmation d’une véritable compétence de l’Union en matière de santé publique.

Notes

  • [*]
    Professeur de droit public à l’université de Valenciennes, IDP, EA 1384.
  • [1]
    Article 36, § 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
  • [2]
    En décembre 1952, Robert Schuman accueille, à l’initiative du ministre français de la Santé de l’époque, Paul Ribeyre, une conférence préparatoire à la Communauté européenne de la santé. Ce projet ambitieux, qui devait consister à déléguer à une haute autorité sanitaire une partie des compétences sanitaires des États, ne verra jamais le jour. Le discours ainsi que les documents liés au projet de Communauté européenne de la santé sont disponibles sur le site d’archive www.cvce.eu
  • [3]
    Ce dont rend d’ailleurs parfaitement compte l’article 2 du traité instituant la CEE, dans sa formulation issue du traité de Rome : « La Communauté a pour mission, par l’établissement d’un marché commun et par le rapprochement progressif des politiques économiques des États membres, de promouvoir un développement harmonieux des activités économiques dans l’ensemble de la Communauté, une expansion continue et équilibrée, une stabilité accrue, un relèvement accéléré du niveau de vie, et des relations plus étroites entre les États qu’elle réunit. »
  • [4]
    À savoir les mesures fixant des normes élevées de qualité et de sécurité des organes et substances d’origine humaine, du sang et des dérivés du sang ; des mesures dans les domaines vétérinaire et phytosanitaire ayant directement pour objectif la protection de la santé publique ; des mesures fixant des normes élevées de qualité et de sécurité des médicaments et des dispositifs à usage médical (art. 168, § 4, al. a, b, c).
  • [5]
    Directive 2011/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011 relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers, JOUE L 88 du 4 avril 2011, p. 45.
  • [6]
    Cette recherche d’un rééquilibrage ressort des objectifs de l’Union tels que définis par le TFUE modifié par le traité de Lisbonne. Ainsi, aux termes de l’article 3, § 3, al. 2, TFUE, « l’Union combat l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant ».
  • [7]
    Règlement (CE) no 883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, JOUE L 166 du 30 avril 2004, p. 1 ; règlement (CE) no 987/2009 du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement n° 883/2004, JOUE L 284 du 30 octobre 2009, p. 1 ; règlement no 1231/2010 du 24 novembre 2010 visant à étendre le règlement (CE) n° 883/2004 et le règlement (CE) no 987/2009 aux ressortissants de pays tiers qui ne sont pas déjà couverts par ces règlements uniquement en raison de leur nationalité, JOUE L 344 du 29 décembre 2010, p. 1.
  • [8]
    CJCE, 28 avril 1998, Raymond Kohll v. Union des caisses de maladie, aff. C-158/96, Rec. p. I-1931 ; CJCE, 28 avril 1998, Nicolas Decker v. Caisse de maladie des employés privés, C-120/95, Rec. p. I-1831. Comm. C. Nourissat, « Quand Panacée rejoint Europe ou comment la Cour de justice consacre la liberté des soins dans la Communauté », JCP G, 1999, II 10002 (voir Lernould, 1998). La décision Decker concerne un aspect particulier de la mobilité des patients car elle porte sur l’applicabilité de la libre circulation des marchandises au remboursement d’une paire de lunettes achetée dans un autre État membre (en l’espèce la Belgique) que l’État d’affiliation du patient (le Luxembourg).
  • [9]
    La directive ne compte pas moins de soixante-quatre considérants, ce qui illustre un excès évident de motivation par rapport aux exigences fixées par la Cour de justice.
  • [10]
    Avant eux, avec ses arrêts Luisi et Carbonne et Grogan, la Cour avait d’ores et déjà conclu à l’applicabilité de la libre prestation de services à des prestations médicales fournies contre rémunération. CJCE, 31 janvier 1984, aff. jtes., Luisi et Carbone, aff. C-286/82 et C-26/83, Rec. p. 377, pt 16 ; CJCE, 4 octobre 1991, Society for the Protection of Unborn Children Ireland v. Grogan, aff. C-159/90, Rec. p. I-4685, pt 18.
  • [11]
    Ce raisonnement s’explique par l’interprétation très large que la Cour retient de la notion de restriction à la libre prestation de services, laquelle a pour conséquence d’étendre le plus largement le champ de cette liberté de circulation. L’article 56 TFUE suppose en effet la suppression de toute entrave, même applicable indistinctement, dès lors qu’elle a pour effet d’empêcher ou de rendre moins attractives les activités d’un prestataire de services établi dans un autre État membre.
  • [12]
    Aff. C-158/96, Kohll, op. cit., pt 34. Dans l’affaire Kohll, la Cour rejette les motifs de justifications avancées par le gouvernement luxembourgeois (équilibre du budget de la sécurité sociale et sauvegarde de la santé publique) et n’envisage qu’une justification, rejetée, en l’occurrence, sur le terrain de l’article 36 TFUE (ex-30 CE).
  • [13]
    Pour un rappel récent, CJCE, 5 octobre 2010, Georgi Ivanov Elchinov c. Natsionalna zdravnoosiguritelna kasa, C-173/09, nep, pt 44.
  • [14]
    Aff. C-157/99, Geraets-Smits et Peerbooms, op. cit.
  • [15]
    CJCE, 16 mai 2006, The Queen, ex parte Yvone Watts v. Bedford Primary Care Trust and Secretay of state for Health, aff. C-372/04, Rec. p. I-4325 (voir Azoulai, 2006).
  • [16]
    CJCE, 19 avril 2007, Aikaterini Stamatelaki v NPDD Organismos Asfaliseos Eleftheron Epangelmation (OAEE), aff. C-444/05, Rec. p. I-3185.
  • [17]
    CJCE, 13 mai 2003, Müller-Fauré v. Onderligne Waaborgmaatschappij OZ Zorgverzekeringen et van Riet v. Onderlinge Waarobgmaatschappij ZAO Zorgverzekeringen, aff. C-385/99, Rec. p. I-4509.
  • [18]
    Article 3 a de la directive. Sont considérés comme « soins de santé », « des services de santé fournis par des professionnels de la santé aux patients pour évaluer, maintenir ou rétablir leur état de santé, y compris la prescription, la délivrance et la fourniture de médicaments et de dispositifs médicaux ». En revanche, la directive ne s’applique pas aux services d’aide à la personne ni aux soins de longue durée qui permettent à la personne qui a besoin de soins de vivre aussi pleinement que possible et de la manière la plus autonome possible. Cette définition est compatible avec la position de la Cour qui estime qu’un centre de cure thermale ne peut être considéré comme un hôpital, CJCE, 18 mars 2004, Leichtle, C-8/02. De même, la directive ne s’applique pas aux soins délivrés dans le cadre de programmes de vaccination publique contre les maladies infectieuses, qui sont soumis à des mesures spécifiques de planification (art. 1.2 c).
  • [19]
    Kohll, pt 41 ; Geraets-Smits et Peerbooms, pt 72 ; Muler Fauré, pt 37 ; Watts, pt 103.
  • [20]
    Il s’agit d’un motif que la Cour rattache au traité au titre de l’article 46 TFUE, Kohll, pt, 50 ; Geraets-Smits et Peerbooms, pt 73 ; Muller-Fauré, pt 67 ; Watts, pt 104.
  • [21]
    Geraets-Smits et Peerbooms, pt 77 à 79.
  • [22]
    Geraets-Smits et Peerbooms, pt 90 ; Müller-Fauré et van Riet, pt 85 ; Watts, pt 116 ; plus récemment, Georgi Ivanov Elchinov, pt 44.
  • [23]
    Ainsi l’avocat général Ruiz Colomer qui estimait qu’un système de prestations en nature ne relevait pas, en raison de ses caractéristiques particulières (paiement de caisses maladies dans le cadre d’un conventionnement), de la prestation de services et devait donc être, de ce fait, exclu du champ d’application du traité. C’est le sens de ses conclusions présentées dans les affaires Smits et Peerbooms et Müller-Fauré.
  • [24]
    Rares sont les évaluations et les études de l’impact de cette jurisprudence sur les budgets nationaux de santé. Le chiffre de 1 % a été avancé par la Commission dans sa consultation sur l’opportunité d’une directive en matière de soins transfrontaliers, SEC (2006) 1195/4.
  • [25]
    COM (2004) 301 final du 20 avril 2004, communication de la Commission, Moderniser la protection sociale pour le développement de soins de santé et de soins de longue durée de qualité, accessibles et durables : un appui aux stratégies nationales par la « méthode ouverte de coordination ».
  • [26]
    Voir le bilan des propositions de ce groupe, COM (2004) 301 du 30 avril 2004, Suivi du processus de réflexion à haut niveau sur la mobilité des patients et l’évolution des soins de santé dans l’Union européenne.
  • [27]
    Report on Patient Mobility and Healthcare Developments in the European Union (rapporteur John Bowis), A6-0129/2005.
  • [28]
    Directive 2006/123/EC du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 sur les services dans le marché intérieur, JOUE L 376 du 27 décembre 2006, p. 36.
  • [29]
    Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers COM (2008) 414 final.
  • [30]
    Il s’agit également d’une recommandation d’amendements formulée par le Comité des régions. Voir l’avis du Comité des régions sur les « soins de santé transfrontaliers », JOUE du 28 mai 2009.
  • [31]
    Le texte est d’ailleurs riche en références, souvent répétitives, à la nécessaire préservation de la compétence des États, à la fois dans les considérants (considérants 7, 10, 18, 33) et dans le dispositif de la directive (art. 1.1 : « La présente directive prévoit des règles visant à faciliter l’accès à des soins de santé transfrontaliers sûrs et de qualité élevée et encourage la coopération en matière de soins de santé entre les États membres, dans le plein respect des compétences nationales en matière d’organisation et de prestation des soins de santé », et art. 1.4 : « La présente directive ne porte pas atteinte aux dispositions législatives et réglementaires des États membres en matière d’organisation et de financement des soins de santé dans des situations sans rapport avec les soins de santé transfrontaliers. »
  • [32]
    C’est le sens du considérant 33 : « La présente directive n’a pas pour objet d’instaurer un droit au remboursement des coûts des soins de santé dispensés dans un autre État membre lorsque ces soins ne figurent pas parmi les prestations prévues par la législation de l’État membre d’affiliation de la personne assurée. »
  • [33]
    CJCE, 12 juillet 2001, Vanbraekel v. Alliance nationales des mutualités chrétiennes, aff. C-368/98, Rec. p. I-5363.
  • [34]
    CJUE, 15 juin 2010, Commission c. Espagne, C-211/08, nep.
  • [35]
    Ainsi les principes généraux applicables au remboursement des coûts s’appliquent-ils aux « frais engagés par une personne assurée qui reçoit des soins de santé transfrontaliers » (art. 7, § 1).
  • [36]
    Au sens du règlement n° 881/2004, la « personne assurée » désigne, par rapport aux différentes branches de sécurité sociale concernées (à savoir prestations de maladie, de maternité et de paternité ; prestations pour accidents du travail et maladies professionnelles ; allocations de décès ; prestations d’invalidité), toute personne qui satisfait aux conditions requises par la législation de l’État membre compétent pour avoir droit aux prestations, compte tenu des dispositions du présent règlement. C’est là une évolution majeure par rapport au règlement n° 1408/71 dont le champ d’application personnel reposait sur des catégories plus précises : travailleur salarié (donc assuré au titre d’une assurance obligatoire ou facultative couvrant les branches d’un régime de sécurité sociale), travailleur non salarié, travailleur frontalier, travailleur saisonnier ou encore étudiant. Cette évolution s’explique par la jurisprudence de la Cour qui, sur le fondement de la citoyenneté européenne combiné au principe de nondiscrimination, a reconnu la possibilité au citoyen européen, actif ou inactif, d’accéder à des droits sociaux dans l’État d’accueil.
  • [37]
    Ces raisons figurent également à l’article 4.3 au titre des responsabilités de l’État membre de traitement.
  • [38]
    Cette raison est reconnue dans les motifs de la directive (considérant 12) et correspond à des motifs reconnus dans les arrêts Hartlauer (aff. C-169/07) et Blanco Pérez (aff. C-570/07).
  • [39]
    On notera que l’article 3 de la directive relatif aux définitions des termes employés par la directive ne retient pas une définition des soins hospitaliers. Elle est pourtant essentielle car c’est elle qui conditionne l’existence d’une autorisation préalable. Celle-ci est déduite de l’article 8.2 a, qui associe soins hospitaliers et séjour d’au moins une nuit à l’hôpital.
  • [40]
    Affaire C-512/08, Commission c. France. La Cour rejette en l’espèce le recours introduit par la Commission. Pour la Cour, ces équipements doivent pouvoir, en raison de leur caractère particulièrement onéreux, « faire l’objet d’une politique de planification […] notamment leur nombre et leur répartition géographique, et ce afin de contribuer à garantir sur l’ensemble du territoire national une offre de soins de pointe qui soit rationalisée, stable, équilibrée et accessible mais aussi afin d’éviter dans la mesure du possible tout gaspillage de moyens financiers, techniques et humains ». Dans l’affaire Commission c. France, était en cause dans cette affaire la compatibilité de l’article R. 332-4 du Code de la santé publique qui pose une exigence d’autorisation préalable par l’organisme d’affiliation lorsqu’un assuré envisage des soins, dans un autre État membre, nécessitant le recours à « des équipements matériels lourds », tels que définis à l’article R. 6122-26 du même code, à savoir : caméra à scintillation munie ou non de détecteur d’émission de positons en coïncidence, tomographe à émissions, caméra à positons, appareil d’imagerie ou de spectrométrie par résonance magnétique nucléaire à utilisation clinique, scanographe à utilisation médicale, caisson hyperbare, cyclotron à utilisation médicale.
  • [41]
    Des contentieux sont en effet à prévoir dans l’hypothèse où une autorisation préalable est refusée pour l’obtention de soins auprès d’un praticien, dont la qualité des soins suscite des inquiétudes, alors même que ces mêmes soins respectent les prescriptions des directives.
  • [42]
    À savoir, dans les hypothèses où un examen clinique montre avec une certitude suffisante que le patient sera exposé à un risque de sécurité (art. 8.6 a), où des raisons valables font penser que le grand public sera exposé à un risque de sécurité considérable (art. 8.6 b), où un prestataire de soins suscite des inquiétudes graves (art. 8.6 c), et où les soins de santé peuvent être dispensés dans un délai acceptable sur un plan médical (art. 8.6 d).
  • [43]
    Le traitement des demandes d’autorisation doit s’effectuer selon une procédure « aisément accessible et propre à garantir aux intéressés que leur demande sera traitée dans un délai raisonnable et avec objectivité et impartialité, d’éventuels refus d’autorisation devant en outre pouvoir être mis en cause dans le cadre d’un recours juridictionnel » (arrêts Smits et Peerbooms, préc., pt 90 ; Inizan, préc., pt 48).
  • [44]
    Ainsi peut-on aisément comparer l’article 8 de la directive sur les soins transfrontaliers et les articles 9 et 10 de la directive sur les services. Ces dispositions prévoient, en effet, que les critères qui encadrent les régimes d’autorisation préalable à l’exercice dans un État membre d’une activité de service doivent être non discriminatoires, justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général, proportionnels à cet objectif, clairs et non ambigus, objectifs, rendus publics à l’avance, transparents et accessibles.
  • [45]
    Dans son considérant 21, la directive précise que les États membres devraient également faire en sorte que les valeurs fondamentales que sont l’universalité, l’accès à des soins de qualité, l’équité et la solidarité, reconnues comme « un ensemble de valeurs et de principes communs à l’ensemble de l’Union européenne, en ce qui concerne la façon dont les systèmes de santé peuvent répondre aux besoins de la population et des patients qu’ils ont en charge », soient respectées vis-à-vis des patients et des citoyens des autres États membres. Ces valeurs sont identifiées par renvoi aux conclusions du Conseil sur les valeurs et principes communs aux systèmes de santé de l’Union européenne, JOUE C 146, p. 1. Ce texte, à portée déclaratoire, affirme « les valeurs fondamentales que sont l’universalité, l’accès à des soins de qualité, l’équité et la solidarité ».
  • [46]
    Voir Watts, pt 69 : « la fixation des délais d’attente doit être conçue d’une manière souple et dynamique, qui permette de reconsidérer le délai initialement notifié à l’intéressé en fonction d’une dégradation éventuelle de son état de santé qui surviendrait postérieurement à une première demande d’autorisation ». Comp. considérant 43 de la directive : « le refus d’autorisation préalable ne peut être fondé sur l’existence de listes d’attente sur le territoire national destinées à planifier et à gérer l’offre hospitalière en fonction de priorités cliniques préétablies en termes généraux, sans qu’il ait été procédé à une évaluation médicale objective ». L’affirmation signifie, a contrario, qu’une liste d’attente liée à une évaluation médicale et non à de seuls impératifs administratifs peut être justifiée.
  • [47]
    Les pouvoirs qui sont attachés à ce type d’instrument sont limités : des instruments de coordination peuvent, tout au plus, permettre une absence de contradiction des politiques nationales entre elles (à défaut d’une véritable cohérence), mais ils ne garantissent pas, en tant que tels, l’extension de mécanismes de solidarité au bénéfice des citoyens au-delà des communautés nationales. Notons que cette méthode est désormais reconnue en droit primaire, dans la mesure où l’article 168 TFUE identifie les principales caractéristiques de cet instrument de soft law : « La Commission peut prendre, en contact étroit avec les États membres, toute initiative utile pour promouvoir cette coordination, notamment des initiatives en vue d’établir des orientations et des indicateurs, d’organiser l’échange des meilleures pratiques et de préparer les éléments nécessaires à la surveillance et à l’évaluation périodiques. Le Parlement européen est pleinement informé » (art. 168, § 2, al. 2, TFUE).
  • [48]
    Une telle insistance sur des mécanismes de coopération doit être soulignée. À la différence d’autres directives, telles que par exemple la directive sur les services dans le marché intérieur, le recours à la coopération n’est pas seulement, dans le cadre des soins de santé, un accompagnement à la mise en œuvre du cadre tracé par le législateur ; il est également l’occasion de traduire en termes précis la compétence d’appui et de complément qui est reconnue à l’Union en matière de santé.
  • [49]
    Pour l’essentiel, la directive renvoie à l’autonomie institutionnelle des États pour déterminer les mesures relatives à leur fonctionnement. Ceux-là sont libres de fixer leur ressort territorial, leur éventuel rattachement à un établissement public hospitalier, de même que leur association avec les points de contact mis en place dans le cadre de la transposition de la directive « services ». Des dispositions plus précises auraient pu être considérées comme une atteinte à la compétence des États.
  • [50]
    Lequel dossier médical est défini par la directive comme « l’ensemble des documents contenant les données, les évaluations et les informations de toute nature concernant l’état de santé d’un patient et son évolution clinique au cours du traitement ».
  • [51]
    Voir considérants 5 et 21 où il est fait référence à « un ensemble de valeurs et de principes communs à l’ensemble de l’Union en ce qui concerne la façon dont le système de santé répond aux besoins de la population et des patients qu’ils ont en charge. Les valeurs fondamentales que sont l’universalité, l’accès à des soins de bonne qualité, l’équité et la solidarité. »
  • [52]
    Article 2 TFUE : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. » L’inscription de valeurs en droit primaire traduit une volonté de donner un sens ontologique à l’Union européenne.
  • [53]
    COM (2009) 567, 20 octobre 2009, communication de la Commission, Solidarité en matière de santé, réduction des inégalités de santé dans l’Union européenne.
  • [54]
    De manière générale, la référence à la solidarité comme valeur en droit de l’Union revêt plusieurs significations. Elle est, tout d’abord, une justification pour préserver certaines politiques nationales de redistribution en écartant le qualificatif d’entreprise (et donc l’applicabilité des règles de concurrence) à des organismes qui fonctionnent selon des mécanismes de solidarité. C’est le sens des célèbres jurisprudences Poucet et Pistre, FENIN ou encore CISAIL. Par ailleurs, la fonction de solidarité de certaines entités peut justifier, dans l’hypothèse où elles sont qualifiées d’entreprises, que leur soit appliquée l’exemption prévue par l’article 106 (2) TFUE. Mais la solidarité peut également être le fondement d’une action politico-sociale à l’échelle de l’Union. C’est le sens de la reconnaissance du rôle des services d’intérêt général, et plus particulièrement, en matière de santé, des services sociaux d’intérêt général. Depuis plusieurs années, les institutions cherchent à promouvoir la reconnaissance de cette catégorie, qui n’a pas vraiment d’équivalent dans les droits nationaux, en adaptant l’application du droit primaire ou dérivé à la spécificité de ces services. Le protocole 26 en est une bonne illustration.
  • [55]
    On peut ainsi tout à fait imaginer une aide linguistique aux patients qui, faute d’avoir accès à des soins spécialisés et techniques sur leur territoire, pourraient bénéficier de soins frontaliers. Sans une formation ciblée des patients, il faut croire que la mobilité bénéficiera à ceux d’entre eux qui sont suffisamment éclairés.
Français

Depuis les arrêts Kohll et Decker, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union a profondément modifié les règles applicables à la mobilité des patients dans l’Union européenne. À côté des traditionnels règlements de coordination de sécurité sociale, c’est une nouvelle voie qui a été ouverte pour la prise en charge des soins hors de l’État d’affiliation. L’enjeu de la directive sur les droits des patients en matière de soins transfrontaliers, adoptée en mars 2011, est précisément de codifier les solutions jurisprudentielles, dégagées au cas par cas. À cette fin, la directive veille à concilier des impératifs qui peuvent être antagonistes : droit à la mobilité des patients fondé sur la libre prestation de services, reconnaissance de droits à leur profit, sauvegarde des intérêts financiers des caisses nationales de sécurité sociale, reconnaissance de la compétence de principe des États en matière de santé.

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Stéphane de la Rosa [*]
Professeur de droit public, il dirige l’équipe de recherche en droit, économie et gestion de l’université de Valenciennes (IDP, EA 1384). Ses travaux de recherche portent notamment sur les politiques sociales de l’Union européenne.
  • [*]
    Professeur de droit public à l’université de Valenciennes, IDP, EA 1384.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 12/07/2012
https://doi.org/10.3917/rfas.121.0108
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