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La mobilité des patients : un enjeu pour l’europe et ses états

L’ampleur du phénomène : quelques chiffres

1La mobilité des patients demeure à l’échelle de l’Europe un phénomène marginal. La Commission européenne estime que les soins délivrés à des patients européens en dehors de leur État membre d’affiliation ne représentent que 1 % de l’ensemble des dépenses publiques de santé, soit un peu moins de 10 milliards d’euros par an, et ne concernent que 3 à 4 % des citoyens de l’Union. En France, la valeur totale des paiements recensés au titre des soins de santé, programmés ou non, effectués à l’étranger s’élevait en 2008 à 0,32 milliard d’euros. La majorité des patients préfèrent effectivement se faire soigner près de chez eux, de leurs proches, dans un système qu’ils connaissent et dont ils maîtrisent la langue.

2Cependant, le phénomène monte en puissance, principalement du fait de l’accroissement général des flux de personnes. Ainsi, les paiements effectués par le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS) ou reçus par celui-ci, au titre des prestations de santé, augmentent en moyenne de 10 % par an depuis une dizaine d’années [1]. Localement, la mobilité des patients peut même être un phénomène important, notamment dans les zones touristiques ou frontalières. Même si les masses financières en jeu sont relativement faibles au niveau global, la mobilité des patients peut néanmoins représenter des sommes importantes pour certaines organisations locales.

Les raisons de la mobilité

3Le phénomène de la mobilité tend à se complexifier en ce sens que les durées et les motifs des migrations se diversifient, multipliant par conséquent les situations différentes de recours à des soins à l’étranger. On peut en effet identifier cinq profils principaux de patients mobiles :

  • les touristes ayant besoin de soins urgents ;
  • les retraités vivant dans un autre pays que leur pays d’affiliation et cherchant à bénéficier de soins dans leur pays de résidence ou dans un troisième État ;
  • les personnes habitant en zone frontalière voulant bénéficier de soins proches de chez eux mais de l’autre côté d’une frontière ;
  • les migrants souhaitant bénéficier de soins dans leur pays d’origine ;
  • les patients souhaitant traverser une frontière dans le but de se faire soigner.
Au sein de cette dernière catégorie, les motifs de déplacement sont eux-mêmes variés. Parmi les Européens se déclarant prêts à se déplacer à l’étranger, les principales motivations déclarées sont [2] :
  • l’indisponibilité des traitements médicaux nécessaires dans le pays d’affiliation (91 %) ;
  • une meilleure qualité des soins (78 %) ;
  • l’accès à un spécialiste réputé (69 %) ;
  • la réduction des délais d’accès aux soins (64 %) ;
  • la réalisation d’économies (48 %).
Par ailleurs, toujours selon la même enquête, le souhait de recours aux soins à l’étranger varie en fonction des pays : si, en France, 37 % des assurés seraient prêts à partir se faire soigner à l’étranger, ils sont 26 % en Finlande et jusqu’à environ 88 % à Chypre, la moyenne de l’Union européenne se situant à 53 %.

4La mobilité des patients est donc un phénomène non négligeable, complexe et en croissance. L’offre européenne de services de santé tend à constituer un marché global ouvert dans lequel les frontières entre pays deviennent des opportunités, le patient et les prestataires se rencontrant de plus en plus à l’échelle internationale.

Les défis de la mobilité

5La mobilité des patients soulève un défi pour le droit européen. Elle oppose en effet le niveau communautaire, qui ne dispose pas de compétence en matière d’organisation des systèmes de santé mais garantit le respect de la liberté de circulation et de fourniture de services, à la souveraineté des États, qui ont en charge l’organisation territoriale de systèmes de soins reposant sur la solidarité nationale. L’article 168 du TFUE – traité sur le fonctionnement de l’Union européenne [3] – prévoit en effet que « l’action de l’Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l’organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux ». Il s’agit donc de concilier des systèmes de santé qui relèvent d’une logique nationale et la mobilité, qui revêt une dimension intrinsèquement européenne.

6Au niveau national, la mobilité à un certain degré implique une réorganisation de l’offre de soins et de la planification de ces derniers. En effet, l’État, afin de pouvoir garantir l’accès à des soins de qualité pour sa population, est amené à investir et l’assurance maladie à rembourser les soins. Il est donc nécessaire de tenir compte des flux entrant et sortant de patients afin d’ajuster ces investissements et ainsi éviter soit un double financement (une première fois en finançant les investissements des infrastructures et une deuxième fois en remboursant les frais occasionnés par des soins à l’étranger), soit une sous-capacité en lits et en prestataires. Une mobilité des patients importante et dérégulée pourrait également avoir pour conséquence le développement du « tourisme médical », qui réduirait de fait l’impact des dispositifs de régulation mis en œuvre par les États membres avec les établissements et les professionnels de santé.

7Le rôle de l’UE dans ce contexte est difficile à délimiter. Elle doit s’efforcer de coordonner et de s’assurer que les États garantissent bien le remboursement de leurs soins à l’étranger, le tout sans remettre en cause la souveraineté des États. La mobilité peut ainsi également constituer un enjeu en matière d’équilibre des systèmes de santé, à plus forte raison en temps de crise. Enfin, la mobilité met en jeu deux logiques qui paraissent opposées : celle du marché intérieur avec ses libertés de circulation et celles de la solidarité nationale et de l’intervention publique qui caractérisent le fonctionnement des systèmes de santé européens.

Les soins transfrontaliers et la coordination des régimes de sécurité sociale au sein de l’Union européenne

8La coordination des législations de sécurité sociale des États membres de l’Union européenne, consubstantielle à la liberté de circulation des travailleurs, a été une préoccupation ancienne de la Communauté et est aujourd’hui régie par les règle ments n° 883/2004 et n° 987/2009.

9L’application de la liberté de circulation pose la question de la coordination des systèmes de santé et de sécurité sociale de base pour le remboursement des soins effectués dans un État autre que le pays d’affiliation. Elle est notamment à conjuguer avec le principe de territorialité gouvernant la sécurité sociale en Europe, selon lequel le régime de sécurité sociale compétent pour recevoir les contributions et verser les prestations est normalement celui du pays où l’on travaille ou celui où l’on réside. La coordination permet d’assouplir ce principe de territorialité sociale afin d’éviter une perte des droits acquis des patients mobiles (art. 48 du TFUE).

L’attachement au principe de territorialité affirmé au travers des règles d’affiliation

10En matière de rattachement à un État compétent, pour le versement des prestations de sécurité sociale, le principe de territorialité reste la règle. Le cas général demeure le rattachement à l’État du lieu d’activité pour les personnes exerçant une activité professionnelle, salariée ou non salariée, même si des exceptions sont prévues. Ainsi, par exemple, les actifs ou personnes expatriées continuant de bénéficier de prestations de sécurité sociale dans le cadre de leur activité salariée restent rattachés à la législation dont ils relevaient, alors que les travailleurs détachés relèvent de l’État d’affiliation de leur employeur.

11Une fois leur rattachement précisé, les assurés de l’Union européenne se voient garantir quatre grands principes posés par le traité et repris dans les règlements :

  • l’égalité de traitement entre ressortissants des différents États ;
  • l’unicité de la législation applicable (à une date donnée, un seul État peut être compétent) ;
  • le maintien des droits en cours d’acquisition (ou cumul des périodes) ;
  • le maintien des droits acquis (ou exportabilité).

Le touriste malade ou la naissance de la coordination en matière de soins transfrontaliers

12Les règlements précisent les conditions de remboursement de soins inopinés reçus dans un autre État que celui d’affiliation, le plus souvent lors d’un séjour touristique ou universitaire. En cas de nécessité de recevoir des soins de manière inopinée, les prestations sont servies pour le compte de l’institution compétente, par l’institution du lieu de séjour, selon les dispositions de la législation qu’elle applique, comme si les personnes concernées étaient assurées en vertu de cette législation (art. 17, règlement n° 883/04). Le but de cette coordination est que la personne pour qui des soins sont devenus nécessaires du point de vue médical ne soit pas contrainte de rejoindre son État d’affiliation avant la fin de la durée prévue de son séjour.

13Les patients peuvent également bénéficier d’une dispense d’avance de frais si le régime local le prévoit et sous réserve de justifier d’une couverture maladie. Afin de faciliter la fourniture d’une attestation de l’existence de ces droits aux prestations en nature, la carte européenne d’assurance maladie (CEAM) a été mise en place en 2004. En cas de dispense d’avance de frais (ou « tiers payant »), la compensation financière entre systèmes d’assurance maladie se fait via le CLEISS.

14Si la personne assurée a effectivement supporté les coûts de tout ou partie des prestations et si la législation appliquée par l’institution du lieu de séjour le permet, elle peut adresser une demande de remboursement à l’institution du lieu de séjour. Celle-ci remboursera directement le montant des frais selon ses conditions légales. Le remboursement peut également être demandé auprès de l’institution d’affiliation, qui appliquera les tarifs de remboursement de l’État du lieu des soins. Le montant remboursé à la personne assurée ne dépasse pas, en tout état de cause, celui des frais qu’elle a effectivement supportés.

15Dans les faits, la diversité des environnements culturels, juridiques ou techniques, la multiplicité d’interlocuteurs éloignés géographiquement et qui pratiquent d’autres langues, engendrent une inévitable complexité pour les assurés, dont l’information est lacunaire.

Les soins programmés, une opportunité de régulation

16Les assurés qui voyagent dans le but d’être soignés (soins « programmés ») doivent, d’après les règlements de coordination, demander une autorisation préalable, formulaire E 112, à leur organisme de sécurité sociale, qui sera compétent pour financer les soins. L’autorisation ne peut être refusée si le même traitement fait partie du panier de soins du pays d’affiliation et ne peut être obtenu dans un établissement conventionné dans des délais médicalement justifiables (art. 20, règlement n° 883/04). La pratique française du contrôle médical subordonne en principe l’octroi de son avis favorable à trois exigences :

  • le traitement proposé doit être conforme aux données acquises de la science ;
  • l’état du patient doit être en soi une indication indiscutable ;
  • aucune équipe française ne doit être en mesure de réaliser le traitement avec des chances de succès comparables et dans des délais adéquats.
Mais l’attitude des États est actuellement variable : acceptation systématique des demandes d’autorisation, refus systématique, remboursement au cas par cas sans justification légale pour éviter le contentieux, mais aussi signature d’accords transfrontaliers. Ces différences induisent pour les citoyens de l’UE des conditions de prises en charge très variables et excluent certains patients des circuits de soins transfrontaliers.

17Une fois l’autorisation obtenue, le patient profite de la dispense d’avance des frais, si cette possibilité existe dans le pays de délivrance des soins.

18Les faibles informations disponibles sur le sujet tendent à montrer que les patients allant à l’étranger pour se faire soigner sont en général satisfaits des soins apportés [4]. De fait, ce système se révèle globalement protecteur, à la fois pour le patient, dont le cas est étudié par le corps médical et qui bénéficie du financement par l’assurance maladie, et pour les États, qui grâce à l’autorisation préalable exercent un contrôle sur les flux de patients. Ce contrôle s’avère important pour l’équilibre des régimes et pour la planification interne de l’offre de soins, gérée strictement car extrêmement coûteuse pour les finances publiques.

Notes

  • [1]
    Cour des comptes, Rapport sur la sécurité sociale 2010.
  • [2]
    Eurobarometer 2007, European Observatory on Health Systems and Policies.
  • [3]
    Ex-article 152 du TCE (traité établissant une Constitution pour l’Europe).
  • [4]
    Rosenmöller M., McKee M., Baeten R. (eds) (2006), Patient Mobility in the European Union. Learning from experience, World Health Organization (La mobilité du patient dans l’Union européenne. Apprendre de l’expérience).
Guillaume Filhon
Ancien élève de l’École nationale supérieure de sécurité sociale (EN3S), il est, depuis 2009, délégué permanent de la Représentation des institutions françaises de sécurité sociale auprès de l’Union européenne (REIF).
Fanny Galvis
Titulaire d’un master II Affaires européennes de l’université de Paris, elle est chargée de mission à la Représentation des institutions françaises de sécurité sociale auprès de l’Union européenne (REIF).
Marianne Cariou
Élève de l’École nationale supérieure de sécurité sociale (EN3S), en formation professionnelle auprès de la Représentation des institutions françaises de sécurité sociale auprès de l’Union européenne (REIF).
Bénédicte Eugène
Élève de l’École nationale supérieure de sécurité sociale (EN3S), en formation professionnelle auprès de la Représentation des institutions françaises de sécurité sociale auprès de l’Union européenne (REIF).
Les auteurs, qui appartiennent à la représentation des institutions françaises de sécurité sociale auprès de l’union européenne (REIF), proposent des éléments concrets sur l’ampleur du phénomène de mobilités des patients à travers l’union européenne et ses enjeux financiers et juridiques
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 12/07/2012
https://doi.org/10.3917/rfas.121.0103
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