Introduction [1]
1La mise en place du revenu minimum d’insertion (RMI) et ses métamorphoses successives – extension de l’intéressement, revenu minimum d’activité (RMA), puis revenu de solidarité active (RSA) – traduisent une inflexion dans la conception de la solidarité publique. D’abord envisagée comme une responsabilité nationale de soutien au revenu de ceux auxquels la société ne pouvait garantir un emploi, elle a peu a peu pris la forme d’une solidarité « active » et contractuelle, mettant l’accent sur la responsabilité individuelle et le retour à l’emploi. Cette inflexion participe d’une tendance plus générale à l’« activation » de la protection sociale, affectant la conception même de l’État social, qu’il s’agit de transformer en « État social actif » en reformatant les politiques sociales de manière à inciter les individus au retour à l’emploi (Barbier, 2011) [2]. Les analyses portant sur les programmes d’activation des allocataires de minima sociaux se sont centrées sur les contenus (incitations, accompagnement) et les résultats en termes de retour à l’emploi [3]. Les aspects procéduraux ou institutionnels, qui concernent la manière dont cette activation a été décidée, organisée et gouvernée, ont été moins étudiés [4], bien que la tendance à l’activation affecte ce qu’il est convenu d’appeler la « gouvernance » des politiques d’insertion [5], marquée en particulier par un processus lent et heurté de décentralisation.
2De nombreuses recherches en sciences sociales mobilisent le concept de gouvernance, qu’il s’agisse de travaux théoriques portant sur les transformations des régulations politiques, ou plus appliqués notamment dans le champ de l’administration et des politiques publiques, en lien avec le développement d’un nouveau management public ou de la territorialisation [6]. L’usage de ce concept polysémique est révélateur d’un questionnement portant sur les interactions entre l’État, les territoires, le marché et la société civile, mais aussi sur les imbrications entre le local et le global (Baron, 2003). Il traduit aussi un glissement dans la conception de l’exercice du pouvoir, faisant une large place aux incitations et au « pilotage » plutôt qu’à l’autorité (Crowley, 2003), qui renvoie au concept foucaldien de gouvernementalité (Foucault, 2004 a,b). Dans bon nombre de pays d’Europe, l’activation des demandeurs d’emploi et des allocataires de minima sociaux s’est accompagnée d’un processus de réformes des politiques d’insertion et du service public de l’emploi (SPE) visant à en améliorer la gouvernance. Quatre orientations ont été privilégiées : la décentralisation, la marchandisation, la coopération et le rapprochement entre acteurs, et la mise en place d’une « politique de la performance » (Van Berkel et al., 2011). On retrouve ces orientations dans les réformes françaises (Eydoux et Béraud, 2011), en particulier dans celles de l’insertion des allocataires de minima sociaux (Eydoux et Tuchszirer, 2010).
3L’objet de cet article est d’analyser les inflexions de la gouvernance de l’insertion des allocataires du RMI-RSA, marquées surtout par un processus de décentralisation, en faisant apparaître ses tensions, ses ambiguïtés, voire ses incohérences. Deux approches complémentaires sont mobilisées successivement. Un retour sur les débats parlementaires autour du RMI et de ses réformes successives montre tout d’abord comment ses concepteurs en ont pensé (et repensé) la gouvernance à mesure qu’ils se faisaient les artisans d’une conception plus « active » et décentralisée de la solidarité. Les effets des réformes de la gouvernance de l’insertion des allocataires sont ensuite interrogés à partir d’une revue de la littérature et des évaluations disponibles (cf. encadré).
Du RMI au RSA : un retour sur les débats parlementaires
4Les débats parlementaires autour de la genèse du RMI et de ses réformes alliant activation des allocataires et décentralisation illustrent bien à quel point la réflexion sur les formes et les contenus de la solidarité publique est indissociable d’une réflexion sur la gouvernance de l’insertion. Trois temps forts de ces débats sont ici privilégiés : l’instauration du RMI en 1988, sa décentralisation et la mise en place du contrat d’insertion-revenu minimum d’activité (CI-RMA) en 2003, et sa métamorphose en revenu de solidarité active (RSA) en 2007, qui consacre le rôle des conseils généraux dans le pilotage de l’accompagnement des allocataires. Notons que les configurations politiques étaient très différentes aux trois moments étudiés. En 1988, c’est un gouvernement de gauche qui met en place le RMI alors que les départements sont majoritairement à droite. En 2003, lors de l’adoption du RMA, les rapports de forces sont inversés puisque c’est un gouvernement de droite qui porte la réforme, alors que celle-ci est affaiblie au niveau local et sur le point de basculer à gauche (en 2004). Enfin, le RSA est adopté sous un gouvernement de droite quand la majorité des conseils généraux est ancrée à gauche. C’est dans ce contexte de jeux de majorités contraires qu’ont eu lieu les débats parlementaires ici étudiés.
Méthodologie de la recherche
La seconde partie de l’article analyse les effets des réformes adoptées en privilégiant encore des « récits ». Elle ne propose donc pas une évaluation des réformes sur la base d’enquêtes de terrain ou statistiques. Elle s’appuie sur la littérature portant sur le sujet, et notamment sur les rapports et travaux publics d’évaluation de ces réformes. Elle cherche, à partir de ces travaux, à faire écho aux débats parlementaires séminaux. Le monde de l’expertise est ainsi mobilisé à travers diverses sources officielles et publiques : rapports de la Cour des comptes, de l’IGAS, de l’ODAS, du Sénat afin de mettre en évidence les difficultés concrètes, souvent anticipées par les parlementaires, de la mise en œuvre des changements. La mobilisation de ces deux « forums », celui du politique et celui de l’expertise, fait apparaître de larges convergences sur les points les plus sensibles et débattus de ces réformes.
Le RMI, une prestation en mal de définition… et de gouvernance
5La question de la gouvernance du RMI est au cœur des débats parlementaires lors de sa création en 1988, dans un contexte politique marqué par une première vague de décentralisation (les lois Deferre) qui a vu, en 1983, l’action sociale confiée aux départements. Le RPR comme l’UDF, alors dans l’opposition, soulignent l’incohérence de l’action gouvernementale qui recentralise l’action sociale. L’État intervient tant dans la définition du montant et des conditions d’attribution que dans le financement de l’allocation, mais décentralise partiellement le programme d’insertion qu’il copilote, avec le conseil général, à travers les instances chargées de le concevoir et de le mettre en œuvre. Cette incohérence institutionnelle tient à la nature même de la nouvelle prestation, dont la place dans le paysage de la protection sociale est incertaine. S’agit-il de compléter un système de protection sociale qui ne parvient plus à protéger des segments de la population ? La solidarité nationale doit-elle être temporaire ou pérenne, assortie d’une démarche d’insertion limitée à l’action sociale ou intégrant une exigence d’activité professionnelle ? Ces questions font débat au sein de l’Assemblée nationale.
6Face à un constat partagé – la hausse du chômage de longue durée et les révisions à la baisse de son indemnisation dans les années quatre-vingt sont à l’origine du phénomène de pauvreté que le RMI « qui devrait concerner à peu près 800 000 personnes [7] » doit traiter –, les parlementaires peinent à s’accorder sur la définition des politiques d’insertion, qui recouvrent aussi bien le logement, l’éducation, la santé que l’insertion sur le marché du travail. Pour le groupe socialiste, l’insertion constitue l’objectif à atteindre, et le nécessaire versement d’une allocation de soutien au revenu doit favoriser les démarches en ce sens ; mais la responsabilité de l’insertion, l’« ardente obligation de l’insertion [8] », incombe à la société tout entière : elle ne s’impose pas tant aux allocataires qu’à l’ensemble du corps social [9]. L’opposition parlementaire insiste quant à elle sur les contreparties demandées aux allocataires, avec toutefois des nuances dans les positions défendues. Si, pour le député UDF Denis Jacquat, « le contrat d’insertion doit être perçu par son bénéficiaire comme un engagement ferme qui conditionne le versement de l’allocation », Roselyne Bachelot, députée RPR, est moins catégorique : « Il n’est pas question de subordonner le versement du RMI à la signature dudit contrat, mais il faut pouvoir suspendre le versement si la personne ne respecte pas ses engagements [10]. »
7Le débat sur la responsabilité de l’insertion et les contreparties demandées aux allocataires du RMI en recouvre un second, portant sur l’organisation institutionnelle de l’insertion. Les concepts d’assistance, de solidarité, nationale et/ou active (car cette notion est déjà présente en 1988), largement mobilisés par les parlementaires, sont au cœur des oppositions quant à la façon dont il convient d’organiser le dispositif sur le territoire et de répartir les rôles entre l’État, les services de l’emploi et les collectivités territoriales.
8Pour la majorité parlementaire, le RMI sera financé par le budget de l’État au nom de la solidarité nationale : la lutte contre la pauvreté est un impératif national dont la charge ne peut être transférée aux collectivités territoriales. Quant à la politique d’insertion, dans la mesure où elle est conçue comme une obligation nationale, l’État reste pilote, les collectivités territoriales étant mobilisées pour assurer l’animation des dispositifs d’insertion et la mise en place du contrat d’insertion. Mais une autre raison est également avancée pour refuser un transfert plus large au département : le risque de clientélisme et le fait que nombre de députés de l’opposition sont des élus locaux, voire des présidents de conseils généraux. Pour le député socialiste Bernard Derosier, « aller plus loin encore dans l’esprit de la décentralisation » requiert quelques précautions : « Lorsque les évaluations seront menées, les conseils généraux pourront voir leur rôle s’élargir quand ils seront tous convaincus qu’il ne faut pas céder au clientélisme [11]. »
9Ainsi, si le territoire géographique désigné comme pertinent pour mener à bien cette politique d’insertion est le département, le conseil général n’est mentionné que de façon allusive bien qu’il soit appelé à assurer le financement d’une partie du programme d’insertion, celle qui répond à des besoins spécifiques du territoire. Claude Évin, alors ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale, expose en des termes relativement flous la place concédée aux nombreux acteurs appelés à se mobiliser : « Les collectivités territoriales auront un rôle à jouer essentiellement dans l’animation et la gestion de ces dispositifs d’insertion. Je pense naturellement au département qui exerce des responsabilités considérables en matière d’insertion sociale et qui dispose d’un service départemental d’action sociale […]. Je pense aussi, s’agissant des collectivités territoriales, à celles qui sont invitées à participer par convention au dispositif d’insertion : les communes, les régions […] je pense aussi aux ASSEDIC, au concours des associations et enfin à l’ensemble des partenaires sociaux et économiques [12].» Les modalités de construction des partenariats entre ces acteurs ne sont pas définies, pas plus que n’est désigné un chef de file pour assurer la gouvernance de l’ensemble. De nouvelles structures sont créées, mais les débats parlementaires laissent leur place dans la gouvernance locale indéterminée [13].
10Si la droite parlementaire ne conteste pas le projet de loi, qu’elle juge bon dans son principe, elle est très critique quant aux modalités organisationnelles retenues, insuffisamment incitatives et décentralisées. Confier à l’État le financement de la prestation n’inciterait pas les acteurs locaux à s’investir sur le terrain de l’insertion. L’attribution du RMI sans contrepartie constituerait, quant à elle, une prime à l’inertie des allocataires [14] comme des acteurs locaux. Plus généralement, le caractère étatique du dispositif est dénoncé par Adrien Zeller comme tournant le dos à la décentralisation et réduisant « la solidarité à un face à face entre l’État et l’individu : au lieu de soutenir, par la solidarité nationale, l’action décentralisée vous confiez la responsabilité de la gestion du RMI à l’État […]. Les acteurs locaux risquent à l’avenir d’être davantage incités à constituer une demande d’allocations qu’à agir, c’est-à-dire à trouver d’emblée un travail ou à découvrir ou à créer une activité [15] ». Le député UDF souligne aussi l’insuffisance des moyens des collectivités locales pour organiser l’insertion : «Votre texte leur dit “à vous de jouer”, mais il ne leur en donne ni les moyens administratifs ni les véritables compétences législatives, puisqu’elles ne disposent d’aucune administration : ni les services de l’ANPE, ni les moyens considérables du ministère du Travail, ni le rôle, ni l’expérience nécessaire ; ce sont l’État et les régions qui ont la haute main dans ce domaine [16].»
11Pour la majorité parlementaire de gauche, l’insertion est d’abord l’affaire de l’État, et les acteurs des territoires sont mobilisés et coordonnés à l’échelon territorial selon une gouvernance contractualisée : c’est par le recours au conventionnement entre acteurs locaux, régionaux et nationaux que la dynamique d’insertion est censée voir le jour [17]. Toutefois, comme le soulignent les députés de l’opposition, les conditions de cette gouvernance restent problématiques puisque aucune collectivité locale n’a autorité sur les dispositifs d’emploi et de formation professionnelle gérés par l’État et les régions, et que le conseil départemental d’insertion, chargé de la mise en œuvre du programme d’insertion, « est une instance qui n’a pas de responsabilité, elle n’engage les finances de personne et son acte sera purement théorique ». Les députés de droite se montrent également dubitatifs quant à la coopération entre acteurs venus d’horizons administratifs différents. Rien ne pourra les contraindre à se mobiliser collectivement s’ils ne le souhaitent pas. L’absence du service public de l’emploi (SPE), qui n’est à aucun moment mentionné dans le texte de loi, est critiquée par les groupes UDF et RPR. Ceux-ci regrettent que le SPE ne participe pas plus activement à la commission locale d’insertion ou au conseil départemental d’insertion, alors même que le retour à l’emploi des allocataires constitue l’objectif final du RMI (ce qui n’exclut pas un parcours préalable d’insertion sociale). Dans les faits, ce seront essentiellement les travailleurs sociaux qui s’occuperont des contrats et des parcours d’insertion. Il y a donc une disjonction, soulignée par l’opposition parlementaire, entre les finalités du RMI et les voies organisationnelles choisies pour assurer le déploiement du dispositif. En 1988, celle-ci s’explique par la pluralité des objectifs assignés au RMI, l’accent mis sur la lutte contre la pauvreté plaçant la prestation au confluent des politiques sociales et de l’emploi, et sa gouvernance à l’intersection du pilotage national et territorial. Cette disjonction perdurera même lorsque l’objectif de retour à l’emploi deviendra premier, au détriment de l’insertion sociale.
Le RMA : une politique d’insertion à part pour des chômeurs à part entière ?
12Fervent partisan de la décentralisation de l’action publique, Jean-Pierre Raffarin est avec son gouvernement à l’origine de la loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation du RMI et création du RMA. Cette loi, qui entend faire primer la réinsertion professionnelle des allocataires sur la lutte contre la pauvreté, confie aux départements le financement comme le pilotage de l’insertion et crée un dispositif spécifique d’insertion, le contrat d’insertion-revenu minimum d’activité (CI-RMA). Ce dernier est un contrat de travail à temps partiel et à durée déterminée, assorti d’une couverture sociale réduite. Le choix de la décentralisation et du RMA a été justifié par ce qu’il a été convenu d’appeler l’« échec du RMI », à savoir la hausse du nombre des allocataires, la faible proportion de contrats d’insertion et la multiplication des acteurs impliqués dans la gestion du dispositif. Il n’en demeure pas moins paradoxal : c’est dorénavant au département d’engager le RMI dans cette nouvelle voie, alors qu’il est avant tout l’échelon de l’action sociale, tandis que le CI-RMA se veut l’outil d’une insertion à part pour des allocataires du RMI considérés comme des chômeurs ordinaires.
13Après l’adoption par le Sénat du projet de loi, les débats parlementaires à l’Assemblée nationale témoignent d’une approche renouvelée de la solidarité et de l’insertion. À l’« ardente obligation nationale d’insertion » qui s’imposait à la nation en 1988 [18] se substitue la référence à la dignité de la personne. La notion de contrat, d’engagement réciproque, la condamnation d’une tradition d’assistanat émaillent le discours introductif de François Fillon, alors ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité : « Oui, il est possible d’améliorer la gestion du RMI en la rapprochant du terrain : c’est l’objet de la décentralisation du dispositif. Oui, il est possible d’épauler les allocataires du RMI sur le chemin de l’insertion professionnelle : c’est l’objet du RMA, qui s’offre à ceux qui ne baissent pas les bras. […] Notre attachement au pacte social nous commande de ne pas accepter l’idée d’une assistance passive qui s’apparente davantage à une charité de façade qu’à une véritable solidarité [19]. »
14Les critiques des parlementaires de l’opposition de gauche pointent surtout le décrochage entre le dispositif spécifique mis en place et la perception uniformisante du RMiste portée par la réforme : un contrat de travail à part et aux contours juridiques contestables pour un allocataire qui se confond avec la figure du chômeur de longue durée. La création du CI-RMA, dédié aux allocataires du RMI, devient la pomme de discorde entre la majorité et l’opposition parlementaire. Pour l’opposition, s’il s’agit de rapprocher les allocataires du marché du travail, les outils traditionnels de la politique de l’emploi doivent être mobilisés, quitte être réaménagés. Le CI-RMA est vu comme un sous-contrat de travail qui concurrence les contrats aidés de la politique de l’emploi en instillant sur le marché du travail une précarité plus grande. Gaëtan Gorce, député socialiste, en pointe ainsi les contradictions : « Mi-contrat de travail, mi-autre, mi-salaire et mi-allocation… il ne peut servir à atteindre votre objectif. […] Pourquoi ne pas utiliser les outils existants plutôt que de créer un nouvel instrument hybride [20] ? » Cette critique n’est pas réservée à l’opposition puisqu’on la retrouve dans les propos de Christine Boutin, alors rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, qui le qualifie de sous-statut hybride nuisant à l’insertion :
15« On donne le travail sans le statut du travail […] les RMistes se vivront comme des gens dont le travail ne mérite pas un vrai salaire. » La faible protection sociale que procure le CI-RMA est au cœur de sa dénonciation : « Le RMA crée une protection sociale atypique. […] Aucun contrat de travail, pas même le CES et le CIE [21], ne comporte une telle différence de traitement. […] En particulier, l’impossibilité de revenir dans le système de l’assurance chômage est choquante et de nature à briser la démarche d’insertion [22]. »
16L’opposition parlementaire de gauche ne conteste pas le principe de la décentralisation : le mode de gouvernance qui avait accompagné la mise en place du RMI, par la multiplicité des acteurs impliqués, appelait une réforme du pilotage du dispositif. En outre, la configuration politique des territoires a changé puisque, lors des cantonales de 2001, nombre de départements ont basculé à gauche, ce qui rend les députés de l’opposition moins hostiles au principe de la départementalisation du dispositif. Ceux-ci, rappelant le contexte de la réforme (réduction du volume des emplois aidés et durcissement des conditions d’accès à l’assurance chômage et à l’allocation spécifique de solidarité), continuent toutefois à redouter que la décentralisation ne se traduise par un désengagement de l’État. Ils critiquent également les modalités de la décentralisation, et plus particulièrement la place prédominante qu’occupe désormais le président du conseil général dans le pilotage du dispositif. Ils craignent surtout que les conditions financières dans lesquelles s’opère le transfert de charges aux départements ne conduisent le conseil général à durcir les conditions de recours à la prestation : « Si nous exigeons que les décisions de suspension soient subordonnées à un avis conforme de la CLI [23], c’est que nous craignons que les ressources transférées par l’État ne suffisent pas à couvrir les besoins et que certains présidents de conseils généraux, ayant à choisir entre une plus grande fermeté en matière de renouvellement des allocations et l’augmentation des impôts locaux, privilégient la première option, ce qui serait contraire à l’exigence de solidarité [24]. » La critique porte aussi sur la faible place laissée aux associations et aux travailleurs sociaux, seuls acteurs à même d’assurer l’articulation entre l’exclusion, l’insertion et l’emploi. Les limites de la gouvernance décentralisée, et notamment la faible articulation des politiques menées par les différents acteurs de l’insertion, sont enfin pointées par le député socialiste Gaëtan Gorce : « Votre réponse manque de cohérence. Comment vont s’articuler les politiques de l’État, des régions chargées de l’emploi des jeunes, et des départements chargés de l’emploi des exclus [25] ?»
17En définitive, si le projet de loi et la loi n° 2003-1200 du 18 décembre 2003 envisagent que les allocataires du RMI soient orientés vers le SPE, le rôle central assigné au président du conseil général dans la régulation de l’ensemble du dispositif fait de leur insertion une insertion à part, relevant, qui plus est, de politiques dont l’articulation est incertaine. La page législative qui s’écrira avec le RSA cherchera à rapprocher l’insertion des allocataires de celle des autres chômeurs.
Le RSA : retour du SPE derrière un département chef de file
18Les objectifs fixés à la nouvelle prestation RSA confirment le glissement du RMI vers une prestation de retour à l’emploi. Comme il est dit dans le rapport de Marc-Philippe Daubresse (2008) sur le projet de loi, la primauté est donnée à l’insertion professionnelle et à « l’articulation du dispositif avec les interventions du service public de l’emploi ». Certains des rares observateurs des débats parlementaires se sont étonnés du quasi-consensus autour d’un projet qui va beaucoup plus loin dans la logique de retour à l’emploi que le projet de loi de 2003 (cf. Cytermann, 2009). Car cette nouvelle phase législative est dominée par la référence à la thématique présidentielle de Nicolas Sarkozy relative à la promotion du travail : « Travailler plus pour gagner plus », fil rouge de la réforme, selon lequel tout travail doit se traduire par une amélioration des revenus. Le système d’intéressement généralisé mis en place par le Haut-Commissariat aux solidarités actives, à travers un RSA englobant désormais un autre minimum social, l’allocation de parent isolé (API), s’inscrit dans cette perspective. L’objectif de retour à l’emploi est affirmé de manière plus radicale qu’en 2003, notamment dans les propos de Martin Hirsch : « Nul n’est inemployable […] nous adressons un signe fort de dé-relégation : l’emploi c’est la règle [26]. » La solidarité est donc pensée non comme soutien au revenu mais comme instrument d’activation des allocataires. Cela passe à la fois par un reformatage de la prestation et par la mobilisation de toute la gamme des acteurs des politiques sociales et de l’emploi : « Nous ne proposons pas d’alourdir l’État-providence, mais de lui préférer la logique de la solidarité active. […] La solidarité ne tombe pas du ciel. Elle ne se limite pas à la redistribution. Elle doit davantage favoriser l’activité que la pénaliser. Elle ne repose pas seulement sur l’État, mais mobilise l’ensemble des corps sociaux et des collectivités territoriales [27]. »
19Afin de dépasser les contradictions de la réforme de 2003, le droit commun et la vocation universelle du service public de l’emploi (SPE) sont affirmés. Le CI-RMA est supprimé [28] dans le cadre de la mise en place du contrat unique d’insertion (CUI) ouvert à l’ensemble des demandeurs d’emploi et des allocataires du RSA. Ces derniers sont de leur côté censés être orientés vers la nouvelle institution, issue de la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC [29] ou vers des opérateurs privés de placement. Désormais, le parcours d’insertion doit avoir pour priorité le retour à l’emploi et mobiliser le SPE ; l’accompagnement social, sous ses divers aspects (logement, santé, transport, etc.), s’inscrit dans cette finalité professionnelle.
20Quant à la gouvernance de l’ensemble du dispositif, le conseil général, « chef de file » des programmes d’insertion, se doit d’adopter un pacte territorial d’insertion et de désigner un référent unique pour organiser l’accompagnement des allocataires. Cette gouvernance emprunte à deux logiques : celle du territoire et de sa vocation assistancielle, puisque le conseil général y occupe une place centrale, et celle de l’assurance sociale, puisque les institutions de la relation salariale sont appelées à jouer un rôle majeur dans le processus d’accompagnement des allocataires (le SPE, mais aussi la CNAF, pour l’instruction et l’orientation des allocataires, et la MSA). Nombreux sont les députés à s’interroger sur la pertinence de cette construction, d’autant que le projet de loi n’entend pas recourir à la réglementation pour coordonner les interventions de l’ensemble de ces acteurs. Pour le haut-commissaire de l’époque, Martin Hirsch, il s’agit moins de contraindre que d’inciter, moins de réglementer que de mettre en place une nouvelle régulation des politiques d’insertion misant sur des relations contractuelles et sur une plus grande marge d’initiative des acteurs locaux.
21C’est avec l’article relatif à la gouvernance du RSA que débute la discussion du projet de loi. Pour les députés de la majorité parlementaire de droite, la réaffirmation du rôle de chef de file du conseil général devrait offrir de meilleures perspectives d’insertion aux allocataires. La décentralisation n’est plus objet de débats entre les parlementaires, d’autant que depuis 2008 les départements sont majoritairement ancrés à gauche. Certains députés de l’opposition vont jusqu’à regretter que ces derniers n’aient pas plus de marges de manœuvre dans la gouvernance du dispositif. Pour le socialiste Christophe Sirugue [30], « évoquer la gouvernance, c’est pour nous considérer que les conseils généraux peuvent être finalement les décideurs des orientations du plan départemental d’insertion […]. L’examen de cet article doit nous permettre de savoir si les conseils généraux sont bien les décideurs ou s’ils ne sont là que pour cacher la réalité de la politique voulue par le gouvernement [31] ». D’autres parlementaires de l’opposition, également élus locaux, sans contester la décentralisation, émettent des réserves quant à la nouvelle gouvernance proposée. Pour le député socialiste Jean-René Marsac, « tout système d’intervention qui mobilise localement les partenaires publics et administratifs différents – services de l’État, conseils généraux, caisses d’allocations familiales, service public de l’emploi, structures d’insertion et autres intervenants – crée des obligations de liaisons qui, à l’expérience, sont très difficiles pour les agents concernés, mais surtout pour les publics en insertion. Le rôle du référent unique est fondamental et il convient donc de bien préciser sa capacité d’intervention auprès des autres services publics concernés et d’éviter des circuits de décision qui rendent sa fonction de médiateur illusoire. Or, rien n’indique dans le texte que le référent pourra se faire entendre des services dont il ne relève pas directement […]. Par ailleurs, vous créez, sous l’autorité du président du conseil général, des équipes pluridisciplinaires, et vous incitez les différents intervenants publics et associatifs à conclure un pacte territorial pour l’insertion. […] J’estime que ces modalités de coordination sont trop faibles pour être efficaces [32] ». Cette critique pointe l’absence de lien hiérarchique entre le conseil général et les autres acteurs censés intervenir sous son autorité, comme ceux du SPE, absence qui grève la capacité des départements à mobiliser l’ensemble des acteurs autour de l’objectif d’emploi des allocataires du RSA. Malgré le rapprochement opéré avec le SPE, les conditions de la prise en charge par les départements du retour à l’emploi des allocataires du RSA posent question à de nombreux parlementaires.
Les constats : une gouvernance problématique des politiques d’insertion
22Les débats parlementaires autour de la création et des réformes du RMI ne donnent pas simplement à voir la fébrilité qui a présidé aux décisions politiques eu égard au développement d’une solidarité publique plus « active ». Ils pointent et anticipent les difficultés d’une transformation, plus ou moins cohérente, de la gouvernance des politiques d’insertion. Nous insisterons ici plus particulièrement sur ces difficultés, telles qu’elles se manifestent lors de la mise en œuvre d’une gouvernance renouvelée des politiques d’insertion. Pour ce faire, nous nous appuierons sur la littérature disponible qui en propose des évaluations (cf. encadré supra ). Trois problèmes principaux nous semblent se dégager :
- celui du pilotage décentralisé des politiques d’insertion confié à un département « chef de file » aux compétences limitées ;
- celui de la construction de partenariats entre acteurs locaux spécialisés, rendus nécessaires par le caractère indivisible de l’insertion (sociale et professionnelle) ;
- celui enfin du financement, mal assuré, de ces politiques décentralisées.
Décentralisation du pilotage : un département « chef de file » aux compétences bornées
23Les chercheurs et experts s’accordent à considérer que le processus de décentralisation amorcé au début des années quatre-vingt s’est effectué en ordre dispersé et s’est traduit par des transferts donnant aux acteurs locaux des compétences enchevêtrées, ne facilitant pas la mise en œuvre des politiques d’insertion. Si le département a été institué « chef de file » de l’action sociale locale en 2004, son autorité s’avère limitée par le périmètre des compétences des autres acteurs.
24Comme le montre le rapport de la Cour des comptes (2009) consacré à La conduite par l’État de la décentralisation, cette décentralisation s’est effectuée sans qu’une réelle cohérence ne se dégage dans la mise en place de l’action sociale ou des politiques d’insertion dans l’emploi. Lors de la première vague de décentralisation au début des années quatre-vingt, quarante lois et trois cents décrets ont donné de nouvelles compétences aux collectivités territoriales, afin d’encourager les initiatives locales en matière d’emploi, d’insertion et de formation. Lors de la deuxième vague, au début des années 2000, la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 concernant l’organisation décentralisée de la République a posé le principe de la libre administration des collectivités territoriales et a prévu un transfert de ressources supposé correspondre aux dépenses liées à leurs nouvelles compétences, tandis que la loi organique n° 2004-258 du 29 juillet 2004 leur a conféré une relative autonomie financière. Ce processus de décentralisation a pris place à trois niveaux – régional, départemental et local (communal et intercommunal) – sans que l’un d’eux ne se dégage vraiment, comme celui de la coordination de l’action territoriale. La région joue un rôle de plus en plus important dans les politiques de formation professionnelle depuis les années quatre-vingt et est devenue, lors de la deuxième vague de décentralisation, pilote de ces politiques. Mais les conseils généraux ont obtenu la gestion du RMI-RSA et organisent désormais l’accompagnement des allocataires en faisant appel à des intermédiaires en charge de leur insertion sociale ou professionnelle. Les communes et leurs regroupements continuent quant à elles à avoir des compétences locales concernant l’action sociale, l’insertion et le développement local, en partenariat avec d’autres acteurs du social, de l’emploi et de la formation. La décentralisation a par ailleurs connu des mouvements contraires de centralisation. La mise en place du RMI en 1988 en offrait un exemple : au niveau national, la timide décentralisation du programme d’insertion des allocataires s’est accompagnée d’une centralisation de l’allocation, contredisant la première vague de décentralisation qui avait, en 1983, confié l’action sociale au département (Cour des comptes, 2009). Quant au renforcement, en 2003, des compétences des départements, il est allé de pair avec une relative marginalisation des échelons infra - départementaux (Gramain et Neuberg, 2009).
25Cette décentralisation en ordre dispersé a constamment posé des problèmes de gouvernance. Plusieurs rapports avaient, dès le début des années deux mille, critiqué l’enchevêtrement des compétences (Mauroy, 2000 ; Mercier, 2000) et le caractère formel du copilotage du dispositif RMI par l’État et le département (Cour des comptes, 2002). Afin de répondre aux difficultés de coordination de l’action publique locale à la suite de la première vague de décentralisation, le département a été désigné « chef de file » en matière d’action sociale par l’acte II de la décentralisation. Comme le prévoyaient certains parlementaires et experts [33] dès 2003, il est toutefois demeuré un chef de file au leadership ambigu (Lafore, 2004 ; Frigoli, 2010).
26Selon la loi du 13 août 2004 : « Le département définit et met en œuvre la politique d’action sociale en tenant compte des compétences confiées par la loi à l’État, aux autres collectivités territoriales ainsi qu’aux organismes de sécurité sociale [34]. » Compte tenu de l’enchevêtrement persistant des compétences, les départements se sont vu conférer une autorité diffuse, limitée par les compétences des autres collectivités territoriales (les communes notamment [35]) ou de l’État. Ils ont donc acquis un rôle de coordination plutôt que de direction, qui les soumet aux rapports de forces locaux. Cela permet de comprendre les critiques adressées à la notion de « chef de file » : qualifiée d’« ambiguë et sans réel contenu » (Cour des comptes, 2009), elle est considérée comme n’étant « pas stabilisée » juridiquement et présentant des déclinaisons différentes selon les territoires (Frigoli, 2010). Elle serait, comme le soulignait Lafore dès 2004, révélatrice d’un renouvellement de la gouvernance locale des politiques sociales, où les partenariats inscrits dans des rapports de forces locaux se substitueraient à une prise de décision centralisée : « La notion de “chef de file” renvoie plus à des attributions qu’à des compétences, à une régulation davantage qu’à une réglementation, à une gouvernance et non à un gouvernement. Ce faisant, cette idée de “chef de file” peut passer pour un des symptômes de cet énigmatique “management public” qui prend peu à peu la place de la classique “administration” : le pouvoir décisionnel y est diffus et non concentré, le partenariat y supplante les logiques d’intégration verticale et la négociation s’impose comme un moyen d’action généralisé » (Lafore, 2004, p. 25). Or les partenariats locaux sur lesquels repose cette gouvernance s’avèrent difficiles à construire.
Les départements et l’insertion : quels partenariats pour quelle insertion ?
27Le choix des départements pour la mise en œuvre de l’insertion apparaît peu cohérent au regard des objectifs qui ont présidé aux réformes successives du RMI-RSA (Eydoux et Tuchszirer, 2010). Lors de la création du RMI censé répondre aux conséquences du développement du chômage de longue durée, l’insertion sociale et professionnelle des allocataires a été laissée aux départements. Or ces derniers n’avaient pas de réelles compétences en matière d’emploi, et l’ANPE n’était pas clairement impliquée. Beaucoup dépendait alors de la capacité des départements à mobiliser les compétences d’autres acteurs dans le cadre de partenariats. Quinze ans plus tard, en 2003, alors que le constat d’échec du contrat d’insertion aurait pu conduire à faire appel à l’ANPE pour le suivi des allocataires, ce sont les conseils généraux qui ont obtenu le financement de l’allocation et l’organisation de l’insertion. L’idée était alors de les intéresser à la reprise d’emploi de leurs allocataires et de les inciter à renforcer leurs partenariats avec les acteurs de l’emploi. L’insertion, à l’intersection du social et de l’emploi, se présente en effet comme une question transversale, multidimensionnelle, dépassant les compétences d’acteurs isolés (Frigoli, 2004).
28Deux problèmes sont fréquemment soulevés à propos de ce choix des départements. Le premier concerne leur capacité à mener les politiques d’insertion et à mettre en place les coopérations requises entre les acteurs du social et de l’emploi : comme le soulignent Borgetto et Lafore (2007), le positionnement des départements « entre les espaces régionaux et locaux », en retrait des « logiques économiques », rend délicate la mise en place de politiques d’insertion professionnelle. Le deuxième problème est celui de la segmentation entre les publics des politiques sociales et de l’emploi : le fait de confier les allocataires de minima sociaux au département alors que les demandeurs d’emploi relèvent de l’ANPE induit, pour reprendre la formulation de Borgetto et Lafore (2007, p. 22), une « partition entre les populations insérées par le travail ou rattachées au travail par le biais des droits directs ou dérivés à protection, d’un côté, et les populations inadaptées, légitimement en dehors du travail et “exclues” car sans valeur sur le marché du travail, de l’autre ». Il y aurait là, selon Lafore (2004), une « mutation considérable » dans la conception de la solidarité publique, opposant à l’« État-providence », qui régule la protection sociale des actifs, un « département-providence » en charge de la gestion et de l’insertion de « ceux qui ne peuvent répondre aux requêtes de performance et de compétition » (Lafore, 2004, p. 32-33).
29La coopération entre acteurs de l’insertion sociale et professionnelle, encouragée depuis le début du processus de décentralisation, s’avère difficile à formaliser et à mettre en œuvre, comme l’ont souligné plusieurs travaux au début des années 2000 (Berthet et Cuntigh, 2002 ; Cour des comptes, 2002 ; Marimbert, 2004). Tout d’abord, les acteurs de l’insertion sociale et de l’emploi n’ont pas tous le même degré de compétence et d’autonomie de décision ; de plus, leurs compétences concernent des zones géographiques qui, au niveau infra -régional ou infra - départemental, ne se recouvrent pas toujours ; enfin, leurs domaines de compétences peuvent être redondants et les mettre en concurrence, voire en opposition, lorsque leurs cultures institutionnelles les opposent. Dans le cas du RMI, Frigoli (2004, p. 91-92) montrait bien l’importance des rapports de forces et du « marchandage » avant même la décentralisation : au-delà des « partenaires contraints [36] » qui interviennent dans la gestion de la prestation monétaire, les politiques locales d’insertion mobilisent d’autres partenariats, dans un « marché au sein duquel s’ajustent une offre et une demande de financements, une offre et une demande d’“activités d’insertion”», cela « dans l’intérêt commun bien compris des protagonistes » inscrits dans des « jeux d’alliance et de luttes autour de chasses gardées qui ne sont jamais totalement stabilisés ».
30La décentralisation du RMI et la mise en place du RMA, en faisant du département le chef de file d’une politique affichant pour priorité l’insertion professionnelle, n’ont semble-t-il pas résolu les difficultés. Ce changement a encouragé les conventionnements entre les conseils généraux et l’ANPE ou d’autres opérateurs de l’emploi pour le suivi des allocataires de minima sociaux [37], mais la mise en place de ces partenariats est restée difficile, comme le soulignent deux rapports de l’IGAS consécutifs à la loi de décentralisation du RMI (Corlay et al., 2006 ; Chevallereau et al., 2007). Si les conseils généraux ont bien pris des initiatives en matière d’insertion professionnelle (inégalement formalisées dans les programmes départementaux d’insertion [PDI]), leurs partenariats avec l’ANPE se sont heurtés à la difficile définition des rôles de l’agence, à la fois opérateur (gratuit) de service public de l’emploi pour les demandeurs d’emploi (qu’ils soient ou non au RMI) et opérateur dédié du conseil général (rémunéré par ce dernier) pour les seuls allocataires du RMI. Les conseils généraux se sont montrés dans un premier temps réticents à un recours à l’ANPE comme opérateur dédié et payant, d’autant que les comportements d’inscription des allocataires du RMI à l’ANPE n’ont pas changé (un peu plus d’un tiers seulement étaient inscrits comme demandeurs d’emploi). En pratique, les contenus des conventions conclues entre les conseils généraux et l’ANPE ont été divers, prévoyant le plus souvent le financement de postes de référents RMI au sein des agences locales pour l’emploi, et plus rarement le financement de services dédiés d’accompagnement des allocataires. L’ouverture du marché du placement, par la loi de cohésion sociale en 2005, a par ailleurs conduit quelques départements à faire appel, à côté de l’opérateur public, à des opérateurs privés – mais les initiatives en la matière sont restées timides.
31Le dispositif RSA visait à renforcer le rôle de l’opérateur public (désormais Pôle emploi) : les allocataires du RSA relèvent, comme les demandeurs d’emploi, du seul contrat unique d’insertion (CUI) et sont censés se rapprocher de Pôle emploi. Toutefois, la part des inscrits à Pôle emploi n’a semble-t-il pas augmenté : environ un tiers des allocataires du RSA socle sont inscrits comme demandeurs d’emploi. Les conseils généraux gardent la main sur leur insertion dans le cadre d’une politique qui continue de miser sur les partenariats et les conventionnements avec Pôle emploi ou d’autres opérateurs (missions locales, associations, entreprises de travail temporaire, opérateurs privés de placement, etc.). Si l’on manque encore de données précises quant à la manière dont les départements mobilisent ces opérateurs, les travaux sur les expérimentations du RSA ont souligné la diversité des stratégies partenariales pour l’accompagnement des allocataires (Loncle et al., 2009). Une enquête de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS) menée en 2009 a montré que les départements prévoyaient le plus souvent (87 %) de confier l’accompagnement professionnel à Pôle emploi, soit exclusivement (67 %) soit en partie (20 %). Mais la crise qui a confronté Pôle emploi à la montée du chômage (dans un contexte de réorganisations liées à la fusion entre l’ANPE et les Assedic) et les départements à la hausse du nombre de leurs allocataires n’a pas facilité la coopération : les négociations engagées par les départements au moment de l’enquête se sont encore heurtées à la question de la ligne de partage entre les services de droit commun de Pôle emploi et les services dédiés financés par les départements (Avenel et al., 2009). Par ailleurs, selon le rapport de la Cour des comptes (2011), les contrats d’insertion prévus par la loi auraient conduit les départements à renforcer la segmentation entre allocataires, en différenciant ceux jugés proches de l’emploi et orientés vers Pôle emploi des autres, confiés à des organismes en charge de l’insertion sociale. Si le contexte de la mise en place du RSA, marqué par la crise et les réorganisations du SPE, a compliqué la coopération entre acteurs de l’insertion, le financement du dispositif a constitué un problème supplémentaire.
Le financement du transfert, bombe à retardement pour le « département-providence » ?
32Le financement des nouvelles compétences des départements en matière d’action sociale et d’insertion représente la troisième difficulté des réformes de la gouvernance du RMI-RSA. Cette difficulté, qui limite déjà les politiques d’insertion de certains départements, pourrait inciter à restreindre localement l’accès aux prestations.
33Les transferts de compétences de l’État vers les départements ont été assortis de transferts de ressources (loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003) problématiques car ils ne prévoient pas de mécanisme correcteur : les ressources doivent correspondre aux compétences transférées « au moment où a lieu le transfert », non à l’évolution des dépenses liées à ces compétences (Borgetto et Lafore, 2007), ni d’ailleurs aux dépenses liées aux réorganisations des services départementaux pour prendre en charge ces nouvelles compétences. Par ailleurs, l’impôt transféré aux départements au titre du droit à compensation, une fraction de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), n’évolue pas dans le même sens que les dépenses d’insertion qu’il est censé financer (Lafore, 2004). De fait, depuis 2004, les recettes de la TIPP ont stagné ou diminué, tandis que les dépenses de l’allocation augmentaient, si bien qu’il a fallu réajuster à plusieurs reprises le mécanisme initial de compensation. Dès 2004, une dotation exceptionnelle de TIPP a été décidée. En 2006, le Fonds de mobilisation départemental pour l’insertion sociale et professionnelle (FMDI), créé en décembre 2005 pour soutenir les projets d’insertion innovants des départements, a vu son montant augmenté et réaffecté principalement à la compensation des charges nettes des départements (40 %) et des inégalités entre départements (30 %), laissant une moindre part (30 %) à la récompense des initiatives en matière d’insertion. Mais, comme le montre le rapport de la Cour des comptes (2011), la contribution du FMDI à la compensation des charges des départements reste « modeste » et « très différente selon les départements », tandis que son « effet péréquateur » (correction des inégalités entre départements) reste insuffisant et nécessiterait l’affectation « d’une plus grande part du FMDI [38] ».
34De fait, comme le montrent les données de l’ODAS (Megglé et al., 2011), les dépenses non compensées des départements se sont globalement accrues depuis la décentralisation de la prestation en 2004, et plus particulièrement dans la période récente caractérisée par la conjonction de la crise économique et de la mise en œuvre du RSA. Entre 2004 et 2010, les dépenses nettes au titre du RMI-RSA en France métropolitaine ont nettement augmenté, passant de 5,22 à 7,29 milliards d’euros. Dans l’intervalle, la charge nette des départements (après déduction des apports de l’État, TIPP et FMDI) a plus que doublé, passant de 950 millions d’euros en 2004 [39] à 1,71 milliard d’euros en 2010. Cette charge nette des départements a fortement varié au cours de la période, en lien surtout avec la variation conjoncturelle du nombre des allocataires. Après une baisse en 2008, elle a considérablement augmenté en 2009 et 2010 (+ 22,1 % et + 23,9 %) dans le contexte de crise qui a vu progresser le nombre des allocataires. L’évolution du taux de couverture de l’allocation RMI-RSA par l’État (via la TIPP et le FMDI) est révélatrice de la hausse de la charge des départements, qui assument une large part des conséquences de la crise. Ce taux, de 92,2 % en 2004, a plutôt augmenté jusqu’en 2008, année au cours de laquelle il a atteint 95,2 %, avant de fortement diminuer, à 90,4 % en 2009 puis 84,7 % en 2010. Parallèlement à la hausse de leurs dépenses au titre de l’allocation RSA, les départements, économiquement contraints, ont réduit très nettement en 2010 leurs dépenses d’insertion (de 830 millions d’euros en 2009 à 700 millions en 2010, soit une diminution de 16 %).
35Ces charges pèsent différemment sur les politiques sociales et d’insertion des départements, qui apparaissent aujourd’hui inégaux face à la croissance du nombre de leurs allocataires, celle-ci allant de 0 % à + 12 %. Selon Warin et Avenel (2007), sans un mécanisme de solidarité nationale permettant de prendre en compte leurs différences en matière de dépenses comme de potentiel fiscal, tout se passe comme si l’État cherchait à les responsabiliser : « La responsabilité financière “oblige” les départements à une mobilisation renouvelée sur le volet insertion professionnelle du dispositif », orientation confirmée par la conception du FMDI dont une part est fonction de leurs efforts d’insertion professionnelle. Selon ces auteurs, il n’y aurait pas de rupture avec la loi de 1988 et la décentralisation serait une simple « déconcentration de l’État », celui-ci continuant à décider des prestations en ne laissant que peu de marges de manœuvre aux départements. À l’inverse, Lafore (2004) et Borgetto et Lafore (2007) considèrent que la décentralisation de 2003-2004 pourrait conduire à ce que des droits définis nationalement s’appliquent diversement dans les territoires, les départements les plus en difficulté se trouvant confrontés à un choix local entre la hausse des prélèvements fiscaux et le durcissement de l’accès aux prestations.
Conclusion
36La confrontation des deux « forums » que constituent, d’une part, les débats parlementaires et, d’autre part, les travaux d’experts autour des réformes du dispositif RMI-RSA apparaît féconde. Cette confrontation donne à voir la manière dont se met en place une politique décentralisée de solidarité publique qui mise de plus en plus sur l’insertion professionnelle des allocataires et sur l’investissement (au sens large) des acteurs locaux. Les difficultés de cette mise en place, soulignées tant par les artisans de la décentralisation que par ses analystes et évaluateurs, font de la définition du « territoire pertinent » de l’insertion et de la responsabilité de l’emploi des allocataires des questions récurrentes, qui restent d’actualité.
37Le RSA occupe une place singulière dans le paysage institutionnel français : sa mise en œuvre, sous la responsabilité du conseil général, s’inscrit désormais dans une politique d’insertion qui vise moins à faire appel aux institutions du secteur social qu’à celles relevant des services de l’emploi. Cette inflexion apparaît cohérente avec le souhait de rapprocher les allocataires du RSA de la sphère productive et des institutions en charge de la régulation du marché du travail. Elle marque ainsi la volonté de rompre avec une certaine forme de traitement social en favorisant les protections attachées au système productif et aux institutions de la relation salariale. Mais elle pose plus que jamais la question de savoir si le département constitue le « territoire pertinent » pour organiser l’insertion professionnelle des allocataires du RSA (Lafore, 2004). L’adoption du RSA s’est opérée parallèlement à la mise en place de Pôle emploi, dont un des objectifs était d’unifier l’offre de services pour assurer l’égalité de traitement des demandeurs d’emploi sans distinction de statut indemnitaire. Il est paradoxal que les allocataires du RSA aient été tenus à l’écart de cette évolution, alors même qu’ils sont réputés employables et aptes à accéder notamment aux prestations de Pôle emploi. Or les modalités concrètes de leur orientation et de leur accompagnement apparaissent dépendre des possibilités et des stratégies des conseils généraux en matière d’insertion. Elles mobilisent plus ou moins sur les services de Pôle emploi, d’opérateurs privés ou associatifs, suivant les configurations locales d’acteurs qui préexistaient à la mise en place du dispositif. Si les allocataires du RSA sont réputés tous employables, hypothèse certes contestable [40], n’aurait-il pas été plus cohérent de confier directement leur insertion professionnelle à Pôle emploi, dont une des principales missions vise à assurer l’orientation de l’ensemble des demandeurs d’emploi ? Ce n’est pas la voie choisie : la mission d’orientation échoit aux départements qui, pour certains, l’ont confiée aux caisses d’allocation familiales, dont la vocation est d’instruire les dossiers des allocataires, non de les orienter.
38Un autre aspect singulier du RSA est le processus qui a mené de la solidarité nationale, conçue à l’origine comme soutien au revenu avec une contrepartie qui s’impose plus à la société qu’à l’individu, vers une solidarité « active » aujourd’hui très affirmée, qui a renversé l’ordre des responsabilités en matière d’emploi. Si l’État était désigné en 1988 comme responsable de la solidarité nationale, tant concernant le soutien au revenu que l’insertion dont il était l’ordonnateur, cette responsabilité s’est trouvée peu à peu transférée aux départements, qui ont hérité en 2003 du financement du dispositif de soutien au revenu comme de l’organisation de l’insertion et conservent ces responsabilités aujourd’hui avec le RSA (hors intéressement pris en charge par l’État). La logique d’action sur l’offre de travail qui préside à la solidarité active et sur laquelle s’est concentrée la littérature économique (par exemple : Mongin, 2008 ; Anne et L’Horty, 2009) a aussi conduit, par le développement progressif de l’intéressement qui culmine avec le RSA, à faire des allocataires des responsables de leur emploi. On a donc assisté à un double transfert de compétence en matière d’insertion professionnelle, de l’État vers l’individu et vers les acteurs locaux. Ce double transfert traduit une inflexion générale de la gouvernance des politiques d’insertion, laissant une plus grande place aux incitations, au contrat, aux partenariats et au marché plutôt qu’à l’autorité et au pouvoir central. Une telle inflexion peut être questionnée dans un contexte de crise. Lorsque les créations d’emploi se font plus rares, dans quelle mesure peut-on faire confiance à l’efficacité des incitations individuelles à rechercher un emploi plutôt qu’aux capacités publiques de création ou de stimulation de l’emploi (y compris par les emplois aidés) ? La décentralisation du financement du RMI et du RSA, en intéressant les départements au retour à l’emploi de leurs allocataires, leur donne-t-elle les moyens de mener à bien cette mission d’insertion ? Certains départements, qui ont vu croître le nombre de leurs allocataires sans obtenir de financements additionnels, manquent déjà de ressources pour financer l’allocation et ont réduit leurs dépenses d’insertion. Que se passera-t-il si l’État ne joue pas le rôle d’assureur social en dernier ressort ? Ces questions, qui ont émaillé les débats parlementaires, apparaissent particulièrement aiguës dans le contexte actuel.
Du RMI au RSA, les principales étapes des réformes
39La loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 instituant le RMI en fait une prestation de solidarité nationale (différentielle et sous condition de ressources du ménage), gérée par l’État et versée par les caisses d’allocations familiales (CAF). Dans le contexte des années quatre-vingt, marquées par l’émergence d’une nouvelle pauvreté liée à la hausse du niveau et de la durée du chômage ainsi qu’au durcissement des conditions de son indemnisation, cette loi entend concrétiser un principe inscrit dans la Constitution de 1946, selon lequel « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». La création d’une prestation de solidarité nationale est assortie de l’affirmation d’un droit à l’insertion sociale et professionnelle pour les allocataires, et d’un devoir d’insertion pour la collectivité, la loi de 1988 affirmant que « l’insertion sociale et professionnelle des personnes en difficulté constitue un impératif national ». Ce devoir d’insertion se matérialise par une démarche contractuelle entre l’allocataire et la société, confiée aux départements. Dès son origine, le RMI fait débat, notamment parce qu’il constitue, sinon un droit sans contrepartie, du moins un droit dont la contrepartie (l’insertion) reste mal définie. Les politiques locales d’insertion deviennent rapidement une question sensible, et la loi n° 92-722 du 29 juillet 1992 cherche déjà à les renforcer par un élargissement du rôle des commissions locales d’insertion.
40Peu à peu, l’idée selon laquelle les minima sociaux protègent de la pauvreté cède le pas aux discours sur les « trappes à pauvreté » : le dispositif exercerait un effet désincitatif au retour à l’emploi et piégerait ses allocataires dans l’assistance sans les sortir de la pauvreté. À partir de la fin des années quatre-vingt-dix, la Stratégie européenne pour l’emploi, qui soutient l’activation des personnes sans emploi et promeut l’idée de « rendre le travail rémunérateur », donne une nouvelle impulsion aux réformes. La loi Aubry n° 98-657 du 29 juillet 1998 de lutte contre les exclusions sociales étend l’intéressement à l’emploi prévu par la loi de 1988. Lors de la reprise d’un emploi, les allocataires peuvent alors cumuler le RMI avec un revenu d’activité de plus de 750 heures dans l’année : le cumul est intégral les trois premiers mois, puis de 50 % les douze mois suivants. La loi n° 2006-339 du 23 mars 2006 renforce le mécanisme incitatif en pérennisant la prime de retour à l’emploi créée en 2005 et en instaurant un mécanisme d’incitation (prime forfaitaire) commun au RMI, à l’allocation spécifique de solidarité (ASS) et à l’allocation de parent isolé (API). Ces lois, qui concernent la définition de l’allocation, n’en affectent toutefois pas la gouvernance, contrairement aux lois de 2003 et 2007-2008.
41Au début des années 2000, le RMI est plus incitatif au retour à l’emploi mais, dans un contexte de récession et de durcissement des règles d’indemnisation du chômage, le nombre des allocataires continue à augmenter. Les pratiques des départements sont de nouveau montrées du doigt car, après plus de dix ans de mise en œuvre, les contrats d’insertion signés entre les allocataires et les conseils généraux ne se sont pas généralisés tandis que les politiques locales d’insertion apparaissent contrastées. De fait, le transfert aux départements de la compétence en matière d’insertion n’a pas été assorti des ressources correspondantes, « les moyens humains et budgétaires (nécessaires à l’accompagnement social et à l’aide au retour à l’emploi) n’ont jamais été suffisants » (Dollé, 2004, p. 53). La loi n° 2003-1200 du 18 décembre 2003 modifie sur ce point la gouvernance du RMI : d’une part, elle tend à responsabiliser les départements en décentralisant la prestation et en leur en confiant la gestion et le financement (en échange d’une portion d’un impôt d’État, la TIPP, mais sans mécanisme de péréquation) ; d’autre part, elle leur attribue le pilotage d’un dispositif d’activation des allocataires du RMI, le contrat d’insertion-revenu minimum d’activité (CI-RMA), un contrat de travail subventionné par un dispositif d’activation des dépenses de protection sociale (l’employeur percevant le montant du RMI pour une personne seule diminué du forfait logement) et dérogatoire au droit commun. La loi n° 2007-1223 du 21 juillet 2007, dite loi TEPA en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, et la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le RSA et réformant les politiques d’insertion modifient de nouveau le dispositif et sa gouvernance. La prestation, rebaptisée RSA, incluant les allocataires du RMI, de l’API et les travailleurs pauvres, vise à activer les allocataires par un reformatage censé rationaliser l’intéressement et mettre fin aux effets de seuil, ainsi que par la mise en place d’un accompagnement systématique au-dessous d’un certain seuil de revenu. La rationalisation repose sur la superposition d’un revenu minimum garanti (fonction de la structure et des ressources du ménage) financé par le département, le « RSA socle », et d’un revenu d’intéressement à l’emploi financé par l’État, le « RSA chapeau ». Les montants et conditions d’attribution du RSA (socle et chapeau) restent définis au niveau national, tandis que l’organisation de l’accompagnement des allocataires est confiée aux départements. La loi prévoit une période d’expérimentation, destinée à évaluer l’efficacité du dispositif avant sa généralisation en juin 2009.
Notes
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[*]
Anne Eydoux, Centre d’études de l’emploi et CRESS-LESSOR, université Rennes 2. Carole Tuchszirer, Centre d’études de l’emploi.
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[1]
Le présent article, qui s’appuie sur de précédents travaux (Eydoux et Tuchszirer, 2010, 2011), a été l’objet de nombreux échanges. Il a tout particulièrement bénéficié des remarques et suggestions de Marie-Thérèse Join-Lambert et des référés anonymes ; qu’ils en soient ici sincèrement remerciés. Les auteures restent bien sûr seules responsables de son contenu.
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[2]
Notons que deux formes de l’activation de la protection sociale peuvent être distinguées : celle des dépenses, consistant à transformer des mesures dites « passives » en subventions à l’emploi (« actives »), et celle des individus (demandeurs d’emploi ou pauvres), visant à les inciter à reprendre un emploi (Barbier, 1997). Les évolutions du RMI fournissent des exemples de ces deux tendances : si la mise en place du RMA procède surtout de l’activation des dépenses, celle du RSA se focalise sur les incitations individuelles (cf. annexe).
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[3]
Voir notamment l’ouvrage coordonné par Lelièvre et Nauze-Fichet (2008) qui consacre un chapitre à l’accompagnement et aux incitations, ainsi que l’article d’Anne et L’Horty (2009).
-
[4]
Certains changements affectant la gouvernance du RMI ont cependant fait l’objet de publications. Cf. le chapitre sur la décentralisation du dispositif dans Lelièvre et Nauze-Fichet (2008), précité.
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[5]
Nous entendons ici par politiques d’insertion des politiques qui visent tant l’insertion sociale que professionnelle, par opposition aux politiques d’activation dont l’objectif est de manière plus unilatérale le retour à l’emploi.
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[6]
Voir par exemple le numéro spécial de Problèmes politiques et sociaux, « Gouvernement et gouvernance des territoires », et l’avant-propos de Le Galès (2006).
-
[7]
Séance du mardi 4 octobre 1988, Assemblée nationale, JO du 5 octobre 1988.
-
[8]
Claude Évin, ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale, séance du 4 octobre 1988, précitée.
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[9]
Notons que la majorité parlementaire est divisée sur la question de l’insertion : le Parti communiste craint que l’obligation d’insertion ne soit l’occasion de multiplier les emplois précaires pour des allocataires qui se verraient contraints de les accepter.
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[10]
Séance du mardi 4 octobre 1988, précitée.
-
[11]
Séance du mardi 4 octobre 1988, précitée.
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[12]
Idem.
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[13]
Celle-ci sera néanmoins en partie précisée dans les circulaires et décrets.
-
[14]
Plusieurs expérimentations avaient été menées dans les années quatre-vingt par des municipalités qui liaient étroitement le versement d’un complément local de ressource à la participation de l’allocataire à des travaux d’intérêt général.
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[15]
Séance du mardi 4 octobre 1988, précitée.
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[16]
Idem.
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[17]
L’article 40 de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 instituant le RMI prévoit ainsi « qu’une ou plusieurs conventions passées dans chaque département entre l’État, le département, la région, les autres collectivités territoriales et personnes morales intéressées définissent les conditions notamment financières de mise en œuvre du programme départemental d’insertion ».
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[18]
Celle-ci reste inscrite dans l’article L. 115-2 du Code de l’action sociale et des familles qui stipule que « l’insertion sociale et professionnelle des personnes en difficulté concourt à la réalisation de l’impératif national de lutte contre la pauvreté et les exclusions ».
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[19]
« Revenu minimum d’insertion et revenu minimum d’activité », Assemblée nationale, deuxième séance du jeudi 25 novembre 2003.
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[20]
Première séance du 20 novembre 2003.
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[21]
Contrat emploi solidarité et contrat initiative emploi.
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[22]
Deuxième séance du vendredi 21 novembre 2003.
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[23]
Commission locale d’insertion.
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[24]
Gaëtan Gorce, député socialiste, deuxième séance du jeudi 20 novembre 2003.
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[25]
Première séance du 20 novembre 2003.
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[26]
Revenu de solidarité active, Assemblée nationale, deuxième séance du 25 novembre 2008.
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[27]
Martin Hirsch, Assemblée nationale, séance du 25 novembre 2008.
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[28]
Notons qu’il avait été modifié, notamment de manière à atténuer son caractère atypique en étendant les droits à la protection sociale de ses bénéficiaires.
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[29]
Loi n° 2008-126 du 13 février 2008 relative à la réforme de l’organisation du service public de l’emploi qui fusionne l’Agence nationale pour l’emploi et le réseau des associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce dans la nouvelle institution Pôle emploi.
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[30]
Notons que ce député concentre aussi ses critiques sur le risque de voir le RSA encourager le développement de l’emploi à temps partiel.
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[31]
Il s’agit de l’article 8 relatif à la gouvernance du dispositif. Séance du mardi 30 septembre 2008.
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[32]
Jean-René Marsac, séance du lundi 6 octobre 2008, session ordinaire de 2008-2009, Assemblée nationale.
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[33]
Au cours de la deuxième vague de décentralisation, Marie-Thérèse Join-Lambert considérait que « le département […] ne sera pas le maître du jeu » (Join-Lambert et Tuchszirer, 2003).
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[34]
Loi du 13 août 2004, article 49, cité par Lafore (2004), p. 23.
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[35]
Pour Borgetto et Lafore (2007, p. 22), le département, s’il parvient à contrôler les espaces ruraux, n’a pas la mainmise sur les agglomérations, si bien que « la notion de “chef de file” nomme davantage un problème qu’elle ne constitue une solution ».
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[36]
Les CAF, notamment.
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[37]
Rappelons que l’insertion de ces derniers relève alors de dispositifs spécifiques comme le CI-RMA.
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[38]
À cet égard, la Cour des comptes suggère un redéploiement de la part « incitative » qui n’a pas fait la preuve de son efficacité.
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[39]
Contre 630 en 2003.
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[40]
Tant les débats parlementaires que les études insistent depuis longtemps sur la diversité des allocataires (voir par exemple Afsa, 1999).