CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction [1]

1Depuis l’acte II de la décentralisation (2003), les départements sont chefs de file de l’action sociale décentralisée. R. Lafore (2004) s’est très tôt interrogé sur les moyens à disposition du « département-providence » pour exercer cette compétence. D’une part, en soulignant la diversité des contextes départementaux et des ressources à disposition des décideurs locaux, d’autre part, en explicitant des questions soulevées par le choix du département comme territoire de proximité de référence en matière sociale : ainsi, il est responsable de la politique d’insertion mais possède de faibles moyens d’action en matière économique.

2L’un des domaines d’intervention sensibles du département, actuellement et pour les années à venir, concerne les personnes âgées. En premier lieu, le département verse des allocations : l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et l’aide sociale à l’hébergement (ASH). Les dépenses d’aide sociale aux personnes âgées représentent dès aujourd’hui une part importante des dépenses sociales des départements (6,3 milliards d’euros de dépenses nettes et 26 % des dépenses sociales départementales nettes en 2009 ; Clément, 2011), alors que la tendance est à l’accroissement des besoins. Ensuite, il est un acteur de premier plan dans la régulation de l’offre : il autorise la création et l’extension de capacité des établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes, et organise la coopération entre acteurs concernés dans le cadre de son schéma gérontologique [2].

3Dans un contexte budgétaire contraint, l’information sur l’efficacité de la dépense : à quels bénéficiaires attribuer les dépenses limitées et selon quelle modalité pour qu’elles soient les plus efficaces possibles ?, devient un enjeu crucial. À cet égard, la comparaison entre départements peut aider à établir l’état des lieux préalable à la prise de décision locale. Cette comparaison sera d’autant plus utile qu’elle dépasse des critères usuels tels que la proximité géographique, la taille et la structure de la population, la dominante urbaine ou rurale, pour se centrer sur la demande potentielle d’intervention sociale adressée aux départements. Cela permet en effet à l’acteur départemental de comprendre en quoi son département est singulier et d’identifier ceux qui en sont proches. Les échanges sur les diagnostics locaux et les politiques menées prennent alors tout leur sens quand ils s’appliquent à des départements à contexte semblable, et où les populations en demande d’action sociale ont des profils comparables. En d’autres termes, les départements ont actuellement besoin de se situer par rapport aux autres. Par ailleurs, les conseils généraux déploient leur action sur des territoires infradépartementaux. L’analyse des disparités entre départements peut alors fournir un cadre et des premières hypothèses pour interpréter les écarts de situation à l’intérieur du territoire départemental et pour réfléchir aux mesures adaptées aux particularités infradépartementales.

4La question du système d’information à la disposition des départements tend ainsi à devenir un enjeu décisif pour les départements. Cependant, en raison même de la décentralisation, les données départementales comparables sont complexes à produire. En 2009, dans le cadre du Conseil national de l’information statistique (CNIS) [3] et avec le soutien de l’Assemblée des départements de France (ADF), un groupe de départements et les principaux producteurs nationaux de statistiques sociales ont sélectionné ensemble un socle minimal d’indicateurs chiffrés décrivant les besoins des populations en matière d’action sociale décentralisée, le contexte socio-économique environnant, l’offre d’équipements et de services sur un territoire départemental, et enfin de grands agrégats financiers (voir encadré 1 et la liste en annexe 1) [4]. Pour juger l’utilité de la sélection opérée, une expérimentation a été conduite en 2010-2011. Deux thèmes particulièrement d’actualité pour les conseils généraux ont été privilégiés : la précarité (Chaillot et al., 2011) et le vieillissement, objet de ce texte.

5Des travaux nationaux et départementaux ont été conduits en parallèle sur ces deux thèmes. Des analyses à une échelle géographique plus fine que le département ont été réalisées à l’initiative de deux départements [5] dans le cadre de partenariats locaux. L’analyse de la précarité réalisée en région Nord-Pas-de-Calais se situe au niveau communal, le travail sur les personnes âgées en Loire-Atlantique au niveau des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

6L’information commence donc à structurer. Mais lacunaire, insuffisante au niveau départemental et infradépartemental, elle reste encore largement à développer. L’objectif de cet article est de montrer comment la mise en cohérence des données actuellement disponibles permet de progresser dans les diagnostics dont ont besoin les départements. Située au début d’un processus appelé à se poursuivre sur plusieurs années, l’analyse ici proposée ne peut pas prétendre préparer directement la décision ; elle vise plutôt à poser des questions, à émettre des hypothèses à vérifier par des investigations complémentaires. Les questions soulevées par l’analyse locale, et les propositions qui en découlent, pourront enrichir à leur tour les comparaisons interdépartementales, selon une démarche collaborative qui reste à prolonger.

7La démarche adoptée dans cet article sera la suivante. Dans une première partie, nous utiliserons les informations disponibles pour regrouper les départements selon les profils des personnes âgées bénéficiaires des aides ou potentiellement concernées et selon l’état de l’offre d’hébergement spécialisé. Cela permettra de caractériser les contraintes spécifiques auxquelles sont confrontés les départements. La deuxième partie discutera de l’intérêt pour un conseil général de cette comparaison départementale et de sa transposition possible à une échelle géographique plus fine, à partir du cas particulier du département de la Loire-Atlantique.

Les indicateurs sociaux départementaux DU CNIS

Le groupe de travail « indicateurs sociaux départementaux » a rassemblé en 2009 dans le cadre du Conseil national de l’information statistique des représentants des départements, de la statistique publique et d’organismes gérant des systèmes d’information sociale au niveau national ou régional. Son objectif était de définir un socle commun d’indicateurs, base d’un futur système d’information partagé entre les échelons centraux et départementaux pour les principaux domaines de l’action sociale départementale. Les indicateurs sélectionnés ont été expérimentés en 2010 dans le même cadre partenarial que le groupe d’origine, avec une participation renforcée des départements. Joël Guist’hau, directeur général adjoint des services chargés de la solidarité au conseil général de la Loire-Atlantique, et l’auteur du présent article ont coanimé cette phase d’expérimentation, au titre de l’ADF et de la DREES. Cet article rend compte d’une partie des travaux correspondants.
La sélection proposée (cf. liste en annexe 1) intègre à la fois des indicateurs de contexte territorial, des indicateurs propres à chaque thématique et des indicateurs financiers.

L’aide sociale aux personnes âgées prend des formes diverses selon les départements

8Compte tenu du vieillissement de la population, la prise en charge des personnes âgées tend à devenir un enjeu majeur pour les départements. En effet, selon le scénario intermédiaire établi par le groupe « perspectives démographiques de la dépendance » (Charpin, 2011) dans le cadre du débat national sur ce thème, le nombre de personnes âgées dépendantes augmenterait de 35 % entre 2010 et 2030, et doublerait de 2010 à 2060. Il est donc particulièrement important pour les départements de pouvoir évaluer le nombre de personnes concernées et d’anticiper leurs besoins.

9Pour rendre compte du recours à l’APA (nombre de bénéficiaires, degré de dépendance, vie à domicile ou en établissement) et des dépenses induites, nous avons tout d’abord établi une carte des départements. Cette carte est fondée principalement sur les caractéristiques de la demande, effective ou potentielle, d’intervention publique sociale en faveur des personnes âgées, mais elle tient compte également de l’offre de places en établissement concernant les personnes âgées.

Des formes variées de recours à l’APA

10En prenant en compte l’ensemble des indicateurs disponibles et pertinents pour analyser la composante de l’aide sociale départementale consacrée aux personnes âgées [6], sept groupes de départements peuvent être identifiés (voir carte 1) selon une méthodologie présentée en annexe 2. C’est d’abord en fonction du niveau de vie [7] des ménages âgés que les départements se différencient, les départements à niveau de vie médian [8] élevé, majoritairement urbains, s’opposant à ceux, plus ruraux, où la pauvreté des ménages âgés est fréquente et le vieillissement plus prononcé. Le lieu de vie des bénéficiaires de l’APA, à domicile ou en institution, constitue la seconde ligne de partage entre les départements.

11Trois des groupes sont composés des départements en majorité urbains, les deux premiers avec une population âgée plus aisée que la moyenne. Deux autres groupes ont une population âgée plus pauvre que l’ensemble des départements, tandis que c’est l’accueil des personnes âgées en établissement qui unit un sixième ensemble. Enfin, les départements corses apparaissent singuliers.

  • Plus précisément, Paris et les Hauts-de-Seine (premier groupe) se caractérisent par un niveau de vie élevé des ménages âgés. Les inégalités de niveau de vie entre ménages résidents sont très fortes. C’est même le seul groupe qui se démarque très nettement de l’ensemble de la France métropolitaine sur ce point [9]. Les personnes âgées y vivent plus souvent seules à leur domicile. Les cadres, actifs ou retraités, sont très présents. L’espérance de vie est plus longue que dans les autres départements. Les personnes âgées y sont moins souvent bénéficiaires de l’APA, surtout de l’APA à domicile. En revanche, les bénéficiaires de l’APA à domicile sont plus fréquemment en situation de grande dépendance [10] (34 % d’entre eux, contre 20 % pour la médiane des départements).
  • Également plus urbain que la médiane des départements, le deuxième groupe, composé des autres départements aisés (treize départements), connaît un niveau de vie des personnes âgées élevé et compte moins de bénéficiaires de l’APA à domicile. La part de la grande dépendance parmi les bénéficiaires de l’APA à domicile y est aussi plus forte que la moyenne, toutefois moins qu’à Paris et que dans les Hauts-de-Seine. Là aussi, les cadres, actifs ou retraités, sont très présents.
  • Les autres départements à dominante urbaine (vingt-neuf départements), qui constituent le troisième groupe, comptent davantage d’anciens ouvriers et employés, et le niveau de vie médian des ménages âgés y est moins élevé que dans les deux groupes précédents. Dans la plupart des départements de ce groupe, les personnes âgées sont moins fréquemment pauvres (le Gard et l’Hérault faisant exception) et vivent davantage seules que dans l’ensemble des départements. L’offre d’hébergement pour personnes âgées y est moins importante qu’en moyenne nationale. Les bénéficiaires de l’APA à domicile y sont davantage présents.
  • Dans les vingt-six départements à population âgée pauvre (quatrième groupe), la part des personnes âgées est presque toujours supérieure à la médiane des départements. Le niveau de vie des ménages âgés y est en retrait de celui des trois groupes précédents.
  • Les dix départements âgés très pauvres (cinquième groupe) ont une population plus âgée, plus rurale que l’ensemble des départements, mais aussi que ceux du groupe précédent. L’espace rural y regroupe de 40 à 80 % de la population. La pauvreté des personnes âgées y est encore plus fréquente que dans le groupe précédent, et le niveau de vie médian des personnes âgées de 75 ans ou plus y est sensiblement inférieur. Les anciens agriculteurs devenus retraités y sont très nombreux, les personnes âgées vivent moins souvent seules. Le taux d’APA, en établissement comme à domicile, y est élevé. Le taux d’équipement en établissements pour personnes âgées y est fort.
  • Dans les départements orientés « APA établissement » (quatorze départements, dont la Loire-Atlantique, sixième groupe), les inégalités de revenus entre ménages de chaque département sont peu marquées. Ils se singularisent par une plus forte présence de bénéficiaires de l’APA en établissement, couplée à un taux d’équipement en places d’hébergement correspondantes élevé. Cependant, les bénéficiaires de l’APA à domicile y sont moins nombreux, moins souvent en grande dépendance. La part des bénéficiaires de l’aide sociale à l’hébergement (ASH), en proportion du total des places, y est inférieure à la moyenne.
  • Dans le septième groupe, composé des départements de la Corse, la pauvreté de l’ensemble de la population et celle des personnes âgées sont plus fortes que dans les autres groupes de départements. Le taux d’APA est très élevé : le tiers des personnes de 75 ans ou plus en bénéficient. Mais très peu d’entre elles vivent en institution. Le taux d’équipement en places d’hébergement pour personnes âgées y est d’ailleurs très faible. Toutefois, la proportion de bénéficiaires de l’ASH parmi les personnes âgées hébergées en établissement est forte.
Au total, les caractéristiques des personnes âgées dépendantes ou en risque de dépendance et les intensités très différentes de recours à l’APA, dans des modalités elles-mêmes différenciées, permettent de situer les départements les uns par rapport aux autres en mettant en lumière des ressemblances et des contrastes. Au niveau national cette fois, quels enseignements peut-on tirer de cette typologie ?

SEPT groupes en fonction de la situation des personnes âgées

La typologie départementale a été établie à partir de onze variables :
  • la part des personnes âgées de 75 ans et plus dans la population totale ;
  • le niveau de vie moyen des ménages dont le référent fiscal a 75 ans ou plus ;
  • le taux de pauvreté monétaire [*] des personnes âgées de 65 ans et plus ;
  • la proportion de personnes âgées de 75 ans ou plus vivant seules dans leur logement ;
  • la part d’anciens employés et ouvriers parmi les retraités ;
  • la part d’anciens agriculteurs parmi les retraités ;
  • le taux d’équipement en places d’hébergement en établissement pour personnes âgées, en pourcentage de la population de 75 ans plus ;
  • le taux de bénéficiaires de l’APA à domicile ;
  • le taux de bénéficiaires de l’APA en établissement ;
  • la part des personnes âgées les plus dépendantes (classées GIR 1 ou 2) parmi les bénéficiaires de l’APA à domicile ;
  • l’espérance de vie masculine à la naissance.
Des précisions sur l’analyse réalisée figurent en annexe 2.

12Au niveau national, la lecture transversale des caractéristiques des sept groupes identifiés fait apparaître des constats généraux, certains confortés par d’autres travaux :

  • le premier constat est la corrélation entre le niveau de vie des ménages âgés, d’une part, le taux de bénéficiaires de l’APA et les dépenses d’APA, de l’autre ;
  • deuxième constat, l’offre de place en institution spécialisée et le taux de bénéficiaires de l’APA en établissement sont corrélés, sans que la correspondance soit parfaite, du fait des migrations ;
  • troisième constat, le contexte sociodémographique départemental a un impact fort sur les dépenses d’APA ;
  • enfin, quatrième constat général, à l’exception du groupe des autres départements à dominante urbaine, qui est le moins homogène, les départements dont les profils sont proches sur la carte sont souvent géographiquement voisins.

Carte 1

Sept groupes de départements liés à la situation des personnes âgées

Carte 1

Sept groupes de départements liés à la situation des personnes âgées

SOURCES • Indicateurs sociaux départementaux [11].

Un recours à l’APA plus intense là où les ménages âgés ont des revenus modestes

13Premier constat, la demande d’APA apparaît corrélée aux ressources des ménages âgés.

14D’une part, le groupe des départements âgés très pauvres (le cinquième groupe) cumule un vieillissement prononcé et un fort taux de recours à l’APA dans une population âgée aux revenus plus modestes qu’ailleurs. La conjonction entre pauvreté des personnes âgées élevée et forte intensité de recours à l’APA se retrouve dans les départements de la Corse, où la part des personnes âgées dans la population est toutefois moins importante que dans les départements âgés très pauvres. D’autre part, c’est dans les départements du premier groupe, où les ressources des ménages âgés sont les plus élevées, que l’intensité de recours à l’APA est la plus faible. C’est surtout le recours à l’APA à domicile qui est réduit en comparaison des autres départements, et il concerne plus souvent les cas les plus graves de perte d’autonomie. Ce lien entre pauvreté des personnes âgées et taux de recours à l’APA peut surprendre, l’éligibilité à l’APA n’étant pas fonction des ressources. Cependant, il correspond à l’intuition des représentants des départements qui ont participé à la démarche d’expérimentation des indicateurs à propos de leur propre territoire : la demande d’APA serait plus intense là où les ménages âgés ont les revenus les plus modestes. De plus, ce résultat recoupe ceux de travaux antérieurs (Jeger, 2005 ; Clément et Mansuy, 2011), montrant une corrélation entre les disparités départementales de bénéficiaires de l’APA [12] et la distribution géographique des bénéficiaires des allocations du minimum vieillesse. Or cette dernière variable est elle-même très corrélée à la pauvreté des seniors [13].

15Deux facteurs peuvent rapprocher la localisation des personnes âgées pauvres et celle des bénéficiaires de l’APA. D’une part, le nombre moyen d’années vécues en incapacité fluctue selon la catégorie sociale et les revenus. En effet, toutes les catégories sociales ne sont pas soumises aux mêmes risques d’incapacité, à âge donné. Les ouvriers connaissent en moyenne davantage d’années d’incapacité, tout en ayant une espérance de vie plus courte. L’espérance de vie sans incapacité des agriculteurs est sensiblement inférieure à celle des autres indépendants, des professions intermédiaires ou des cadres (d’un an, deux ans et cinq ans dans le cas des hommes ; Cambois et al., 2008).

16Deuxième facteur, les bénéficiaires potentiels dont la situation financière est confortable ont peu d’intérêt à demander la prestation. En effet, la part du plan d’aide APA restant à la charge financière du bénéficiaire est importante lorsque son revenu est élevé (jusqu’à 90 % du montant total). Cela pourrait désinciter les personnes âgées dépendantes aisées à faire la demande de cette prestation. D’autant plus qu’elles peuvent bénéficier d’une réduction fiscale pour leur consommation de services à domicile. Dans une modélisation récente de la demande d’APA à domicile (enquête Handicap-Santé, ménages), on note d’ailleurs un effet revenu significatif : lorsque le revenu du ménage excède 3 000 euros mensuels, toutes choses égales, la demande d’APA est significativement moins fréquente qu’à des niveaux de revenus inférieurs (Arrighi et al., 2011).

Un partage différencié entre domicile et institution

17Deuxième constat transversal, l’intensité du recours à l’APA en établissement et la capacité d’accueil des personnes âgées en institution vont souvent de pair.

18Sur la carte 1, deux groupes de départements se singularisent particulièrement par le mode d’hébergement des bénéficiaires de l’APA. Les départements dits orientés APA établissement (sixième groupe), où les bénéficiaires de l’APA vivant en institution représentent de 9 à 12 % de la population âgée de 75 ans ou plus (contre 8 % pour la médiane des départements), s’opposent aux départements de la Corse, où la proportion correspondante est inférieure à 5 %. Comme les départements orientés APA établissement, les départements ruraux très pauvres (cinquième groupe) ont également un taux de bénéficiaires de l’APA vivant en institution élevé. Ils s’en différencient par un taux d’APA à domicile également élevé.

19Cependant, la correspondance entre la capacité d’accueil des personnes âgées et l’intensité du recours à l’APA en établissement n’est pas automatique. Non pas à la suite d’un déséquilibre entre offre et demande de places [14], mais en raison des migrations résidentielles entre départements. En effet, lorsque le flux de personnes originaires d’autres départements accueillies est important, une capacité d’équipement élevée peut coexister avec un taux d’APA en établissement inférieur à la moyenne. Des départements situés dans la grande couronne parisienne (l’Essonne, le Val-d’Oise) présentent ce décalage.

Un lien fort entre profil départemental et dépenses d’APA pour quatre groupes sur sept

20Troisième constat, les différences d’intensité et de formes de recours à l’APA sont susceptibles d’avoir une incidence forte sur le niveau des dépenses correspondantes, et donc sur les finances des départements [15]. C’est en partie vrai pour les sept groupes dégagés ci-dessus. À Paris, dans les Hauts-de-Seine et dans les autres départements urbains aisés (premier et deuxième groupes, cf. graphique 1), la dépense d’APA par habitant apparaît sensiblement inférieure à celle des autres départements [16]. Au contraire, la dépense d’APA par habitant est supérieure pour les départements à population âgée pauvre (quatrième groupe, sauf dans le Jura, la Meuse, les Pyrénées-Atlantiques, la Haute-Savoie, la Vienne et le Vaucluse qui appartiennent à ce groupe) et surtout pour les départements âgés très pauvres (cinquième groupe).

21La dépense d’APA par habitant fluctue davantage à l’intérieur des groupes « autres départements urbains à dominante urbaine » (troisième groupe) et « départements orientés APA établissement » (sixième groupe), mais la médiane est proche de celle de l’ensemble des départements (cf. graphique 1). Autrement dit, dans le sixième groupe, l’hypothèse d’une surcharge du niveau de dépenses d’APA par un accueil plus fréquent des bénéficiaires en établissement n’est en général pas vérifiée [17].

22Pour affiner ces résultats, les disparités spatiales de dépenses d’APA par habitant peuvent être estimées en fonction du contexte du département, selon un modèle linéaire très simple (voir annexe 3). Les disparités spatiales apparaissent alors fortement liées à l’âge (part des 75 ans et plus), à la pauvreté des seniors, à la catégorie socioprofessionnelle des retraités et au degré d’urbanisation. En effet, toutes choses égales, les dépenses sont supérieures dans les départements plus âgés, et là où les personnes âgées sont plus fréquemment pauvres. Toutes choses égales, les dépenses sont aussi plus élevées là où les retraités sont plus fréquemment anciens employés ou ouvriers et où la population est plus urbaine. Ces quatre dimensions expliquent ensemble 80 % de la variabilité de ces dépenses entre les départements. En d’autres termes, les disparités de dépenses d’APA apparaissent très fortement liées au contexte sociodémographique des départements. En revanche, le maintien à domicile des personnes les plus dépendantes et l’offre d’hébergement disponible localement pour les personnes âgées ne semblent pas avoir d’effet propre sur le niveau des dépenses d’APA par habitant.

Graphique 1

Pauvreté des personnes âgées et APA dans les sept groupes de départements (en % de la médiane des départements métropolitains)

Graphique 1

Pauvreté des personnes âgées et APA dans les sept groupes de départements (en % de la médiane des départements métropolitains)

LECTURE • Dans les départements âgés pauvres, la dépense médiane d’APA par habitant dépasse de 50 % celle de l’ensemble des départements métropolitains.
NOTE • Pour chaque indicateur, la médiane du groupe est exprimée en pourcentage de la médiane des départements métropolitains (en ordonnée).
SOURCES • Indicateurs sociaux départementaux.

Les départements d’un même groupe sont souvent géographiquement proches

23Dernier constat transversal, les départements appartenant à un même groupe sont souvent proches dans l’espace géographique (voir carte 1). Or, si on considère l’ensemble des dépenses sociales consenties par les départements, il a été démontré que les niveaux de dépense sociale de départements géographiquement proches sont plus semblables que ceux de départements éloignés [18] (Fréret, 2007 et 2008 ; Gilbert et al., à paraître). Cette proximité géographique entre départements dont le profil est proche se retrouve donc en partie dans le cas des interventions sociales concernant les personnes âgées. Chacun des groupes suivants – les départements aisés, les départements à population âgée pauvre, les départements âgés très pauvres et les départements de la Corse (respectivement premier, deuxième, quatrième, cinquième et sixième groupes) – sont constitués de départements géographiquement proches. Ce constat doit toutefois être nuancé. Ainsi, le groupe des départements dits orientés APA établissement est moins concentré sur la carte 1 [19]. Le groupe des autres départements à dominante urbaine, le moins homogène, est aussi le plus dispersé géographiquement. En outre, certains départements font exception en se démarquant nettement de leurs voisins géographiques. C’est notamment le cas de la Seine-Saint-Denis, dont le profil apparaît différent de celui des autres départements franciliens, ou de certains départements siège de grandes agglomérations (les deux départements alsaciens, le Rhône et la Haute-Garonne, voir carte 1).

24Les sept groupes identifiés ci-dessus ont permis de préciser et de comparer au niveau national le degré de contraintes auxquels les départements doivent faire face en matière d’aide sociale aux personnes âgées : le degré de vieillissement et de dépendance de la population, les ressources des personnes âgées, le taux de recours à l’APA, tous ces facteurs, très divers selon les départements, doivent être pris en compte conjointement par la politique départementale. La typologie présentée peut aussi être utilisée localement par les départements.

Quel apport pour un acteur départemental ? Le cas de la Loire-Atlantique

25Les départements font face à une demande croissante d’intervention sociale en faveur des personnes âgées dans le cadre d’une contrainte budgétaire forte. Dans cette situation de tension, ils éprouvent le besoin de situer leur département par rapport aux autres. Ainsi, un département dont le niveau de dépenses est élevé peut expliquer que sa position apparemment défavorable est liée à l’effectif ou aux caractéristiques de sa population âgée et non pas à un manque de rigueur budgétaire. De plus, pour améliorer l’efficience de leurs dépenses, ainsi que la qualité des prestations délivrées, les départements peuvent gagner à transposer des méthodes éprouvées par d’autres. Cette transposition est d’autant plus pertinente que les départements concernés sont dans une situation voisine du point de vue du domaine d’action sociale considéré. Cela justifie l’intérêt de l’analyse menée dans la partie précédente. Dans cette partie, nous illustrons, pour la Loire-Atlantique et toujours dans le cas de l’aide sociale aux personnes âgées, le positionnement d’un département par rapport aux autres et la détermination de ceux dont le profil est proche, au sens du domaine considéré. Nous développons ensuite la manière dont la comparaison interdépartementale peut aider au diagnostic territorial au sein d’un département.

Se comparer à d’autres départements

26La Loire-Atlantique est un département qui connaît un dynamisme démographique important : entre 1990 et 2007, sa population a augmenté de 1 % par an en moyenne, soit le double de l’évolution métropolitaine moyenne. La population est moins touchée par la pauvreté qu’en moyenne nationale, mais l’écart est moins favorable en ce qui concerne la pauvreté des personnes âgées [20].

27Du point de vue de la demande d’aide sociale aux personnes âgées, la Loire-Atlantique est aujourd’hui dans une situation plutôt favorable en comparaison des autres départements. Les personnes âgées y sont moins nombreuses qu’en moyenne. De plus, leur niveau de vie est plus confortable. D’ailleurs, la population de 75 ans ou plus y est un peu moins souvent bénéficiaire de l’APA (dans 19 % des cas, contre presque 21 % en moyenne).

28Dans la typologie précédente (voir carte 1), la Loire-Atlantique se situe dans le sixième groupe, celui des départements orientés APA établissement. La moitié des départements de ce groupe se situent dans le voisinage géographique de la Loire-Atlantique, c’est-à-dire dans les régions Pays de la Loire et Bretagne. Dans ce groupe, le taux de bénéficiaires de l’APA en établissement est très au-dessus de la moyenne.

29De plus, les départements du sixième groupe se situent dans la tranche supérieure (dernier quintile [21], voir carte 2) pour le nombre de places d’hébergement offertes aux personnes âgées, en proportion de la population de 75 ans ou plus. Dans ce groupe, la conjonction d’un taux élevé de bénéficiaires de l’APA en établissement et d’un taux d’équipement en places d’hébergement pour personnes âgées très au-dessus de la moyenne laisse supposer que, compte tenu de l’offre de places existantes, les personnes âgées sont plus souvent hébergées en maison de retraite, à niveau de dépendance équivalent, que ce n’est le cas dans les départements des autres groupes. D’autant plus que, dans ce groupe, les personnes âgées en situation de grande dépendance (classées GIR 1 et 2) sont moins présentes qu’ailleurs parmi les bénéficiaires de l’APA à domicile.

Carte 2

Places pour personnes âgées en 2010 (en % de la population de 75 ans ou plus : quintiles)

Carte 2

Places pour personnes âgées en 2010 (en % de la population de 75 ans ou plus : quintiles)

SOURCES • DREES, INSEE.

30On peut affirmer que le classement des départements selon leur capacité d’hébergement en institutions pour personnes âgées a peu évolué depuis la fin des années quatre-vingt. En effet, la carte des départements, classés en cinq groupes selon le taux croissant d’offre de places aux personnes âgées en 1987, est proche de la carte actuelle (voir carte 3, reproduite d’après Mousnier-Lompré et al., 1991).

31Ainsi, la singularité des départements dits « orientés APA établissement » (sixième groupe), où l’offre est importante, n’est pas nouvelle. Elle n’est pas uniquement liée à la politique récente des départements concernés. En effet, la plupart des départements de ce groupe se situaient déjà dans la tranche supérieure pour l’offre de places en établissements pour personnes âgées en 1987, bien avant la création de l’APA.

32La typologie présentée en première partie a permis de situer la Loire-Atlantique parmi les départements où l’offre d’hébergement pour les personnes âgées est la plus importante, et où les bénéficiaires de l’APA vivent le plus fréquemment en institution. Cette conjonction donne à penser que le choix, pour les personnes âgées souhaitant entrer en établissement, est moins contraint par l’offre de places disponibles dans ces départements qu’ailleurs. Toutefois, si les indicateurs agrégés utilisés suffisent à repérer cette particularité, ils ne permettent pas d’en cerner la cause. Cette recherche de causalité nécessiterait une analyse détaillée, fondée sur des travaux complémentaires, que les départements concernés n’ont pas encore eu le temps d’entreprendre. À la lumière des études disponibles, quelques hypothèses peuvent toutefois être formulées.

Carte 3

Places pour personnes âgées en 1987 (en % de la population de 75 ans ou plus : quintiles)

Carte 3

Places pour personnes âgées en 1987 (en % de la population de 75 ans ou plus : quintiles)

SOURCES • Mousnier-Lompré et al., 1991.

33L’équilibre constaté entre maintien à domicile et placement en établissement au niveau global d’un département est la résultante de décisions individuelles de rester à domicile ou d’entrer en institution. Cependant, ces décisions individuelles sont elles-mêmes infléchies par le contexte local (la possibilité d’entrer dans un établissement de son choix est ainsi un exemple des contraintes que le niveau agrégé peut exercer sur les décisions des personnes concernées). Pour bien comprendre le partage entre domicile et établissement au niveau départemental, il faut donc à la fois considérer la transition entre ces deux modes, du point de vue des personnes impliquées, et la manière dont le contexte départemental peut influer sur cette transition [22].

34Quels sont les facteurs qui, au niveau individuel, amènent une personne âgée à quitter son domicile pour une maison de retraite ? Selon les données de l’enquête européenne Share (Laferrère et Angelini, 2009), l’âge, la mauvaise santé et la situation de famille (veuvage ou isolement) sont les principaux facteurs déclencheurs, partout en Europe. À âge, situation de famille et de santé comparables, le revenu joue également : l’entrée en institution est plus fréquente pour les personnes dont le revenu est dans le quart inférieur de la distribution. Plutôt que de choix de la personne âgée, il convient d’ailleurs de parler du choix des familles, tant l’entourage est un acteur majeur de l’entrée en institution des personnes dépendantes (Somme, 2003). Mantovani et al. (2008) insistent eux aussi sur l’absence de la personne âgée dans l’espace des négociations pour son entrée en institution. Selon eux, le renoncement du maintien à domicile peut être lié à un manque de moyens (pour adapter ou rénover le logement de la personne âgée, par exemple) ou à un problème d’organisation (la personne âgée a des moyens financiers au-dessus de la moyenne, des aidants professionnels et familiaux nombreux, mais la mise en œuvre de l’ensemble est lourde et peut conduire à l’« épuisement » des aidants).

35Si on se place désormais au niveau agrégé d’un département, le placement plus fréquent des bénéficiaires de l’APA en établissement peut résulter de l’une ou de plusieurs de ces multiples causes individuelles. Mais s’y ajoute également un effet de contexte géographique : l’entrée en établissement peut s’accompagner d’une migration interdépartementale, si l’offre locale est saturée ou ne correspond pas aux souhaits ou au budget des familles concernées. Les migrations résidentielles de personnes âgées ou très âgées en provenance de l’extérieur du département, à la recherche d’un placement qu’elles n’ont pas trouvé, pour des raisons de places disponibles ou de coût, dans le voisinage de leur résidence antérieure, peuvent donc être un premier élément explicatif possible d’un placement en établissement plus fréquent. Un état de santé des seniors plus dégradé que la moyenne, en partie lié à la composition sociale et aux revenus de la population âgée, peut constituer un deuxième élément. Ces deux éléments s’appliquent à certains départements dits orientés APA établissement, mais pas à la Loire-Atlantique dans son ensemble. En effet, les ménages âgés pauvres n’y sont pas particulièrement représentés, et si le département est attractif pour les nouveaux résidents, c’est avant tout aux âges actifs. C’est seulement sur le littoral que les arrivées de personnes âgées de 75 ans ou plus dépassent sensiblement les départs. D’autres enchaînements causaux sont donc à identifier dans ce cas particulier. Quelques hypothèses sont possibles : le vivier des aidants informels potentiels [23] est-il moins important en Loire-Atlantique qu’ailleurs, ce qui conduirait à un choix plus fréquent du placement en institution à niveau de dépendance comparable ? Le type d’habitat local et sa desserte en services sont-ils moins adaptés au maintien à domicile, en particulier dans l’espace rural ? Des études complémentaires devraient pouvoir éclairer ces points.

Éclairer les contrastes territoriaux internes au département concernant les personnes âgées

36Comme nous l’avons explicité précédemment, pour préparer la décision publique dans un département, une comparaison globale avec les autres départements est utile car elle permet de situer ce département et de préciser ses contraintes spécifiques. Mais elle ne suffit pas. En effet, le département lui-même n’est pas un espace homogène en termes de besoins de la population. Or l’un des objectifs de la décentralisation est de situer l’action sociale publique au plus près des besoins de la population. L’enjeu est donc pour le département de déployer les moyens nécessaires sur le territoire, là où sont précisément les besoins. En d’autres termes, il s’agit de réussir à identifier la demande sociale qui s’exprime au niveau fin et ensuite à mettre en face l’offre sociale nécessaire.

37Dans ce but, le décideur départemental a besoin d’outils d’observation et d’analyse des disparités internes à son territoire. C’est d’autant plus indispensable que la prise de décision se situe dans un cadre institutionnel complexe. Pour prendre l’exemple des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, le département autorise conjointement avec l’État l’implantation et l’extension de capacités des établissements d’hébergement. Par ailleurs, le département fixe le tarif d’hébergement, qui peut donner lieu au versement de l’ASH, et le tarif de prise en charge de la dépendance, financé par l’APA. L’État, via l’agence régionale de santé, finance de son côté le tarif soins et la dotation au titre de l’assurance maladie. Gramain et Neuberg (2009) soulignent clairement cette imbrication de responsabilités. Autant dire que la bonne coordination entre acteurs et la disposition d’une information commune, établie à un niveau fin, sont cruciales pour une prise en charge efficiente des personnes concernées. À noter que c’est au département que revient le rôle de coordination puisqu’il est le « chef de file » de la politique d’action sociale concernant les personnes âgées, politique qu’il définit dans le cadre de son schéma gérontologique.

38Dans quelle mesure l’analyse de disparités entre départements disponibles au niveau national peut-elle être un appui au diagnostic et à la décision au niveau local fin ? En préalable, il importe de souligner que l’observation à une échelle plus fine se heurte à deux obstacles de méthode.

39En premier lieu, le choix de la maille d’observation pertinente pour l’action sociale ne va pas de soi. La commune est, selon sa taille, un espace trop étroit ou trop hétérogène [24]. Parmi les zonages administratifs ou les zonages d’études disponibles, aucun ne s’impose vraiment sur ce sujet.

40En Loire-Atlantique, ce sont les EPCI qui ont été choisis par le conseil général et les acteurs de la concertation impliqués dans la préparation du schéma gérontologique pour observer la situation des personnes âgées. Ce choix se justifie doublement. D’une part, en termes de couverture du territoire : dans le département de la Loire-Atlantique, la totalité de la population vit dans un EPCI [25], contre 89 % au niveau national. D’autre part, dans la région des Pays de la Loire, à laquelle appartient le département, les EPCI s’investissent plus souvent dans l’action sociale qu’au niveau national (80 % d’entre eux le font, contre le tiers au niveau national).

41En second lieu, l’information disponible à une échelle géographique plus fine que le département est bien moins abondante et moins facile d’accès, ce qui interdit la reproduction à l’identique des comparaisons entre départements. Par exemple, seuls les revenus fiscaux déclarés, hors prestations sociales, peuvent être utilisés, et non pas, du moins actuellement, les revenus disponibles, les niveaux de vie ou les taux de pauvreté monétaire.

42En dépit de ces obstacles, des contrastes internes aux EPCI de la Loire-Atlantique sont observables. La Loire-Atlantique est un département plus jeune que la moyenne nationale. Cela s’applique également à la plupart des EPCI qui le composent. La proportion des plus de 75 ans n’y excède la moyenne [26] des départements que dans quatre d’entre eux : le pays de Redon et trois EPCI littoraux : Loire-Atlantique méridionale, Cap Atlantique et Pornic. Ces deux derniers EPCI sont d’ailleurs les plus attractifs pour les nouveaux arrivants de cet âge en provenance de l’extérieur du département. En matière de taux d’APA, la variété de situations selon les EPCI de la Loire-Atlantique (voir carte 4) est comparable à celle des départements entre eux, mais un peu plus élevée.

43Cette variété de taux de bénéficiaires de l’APA en établissement entre les EPCI de la Loire-Atlantique peut être rapprochée de la localisation des établissements spécialisés, très polarisée sur certains EPCI (voir carte 5).

44Même si l’on ne peut pas décliner à l’identique, au niveau local, les traitements statistiques appliqués aux départements, est-il possible de vérifier sur les territoires locaux les corrélations mises en évidence dans le cas des départements ? Des proximités entre les territoires internes à la Loire-Atlantique et d’autres départements peuvent-elles être établies ?

Carte 4

Taux de bénéficiaires de l’APA en Loire-Atlantique par EPCI en 2009

Carte 4

Taux de bénéficiaires de l’APA en Loire-Atlantique par EPCI en 2009

LECTURE • Part des personnes de 75 ans et plus bénéficiaires de l’APA selon l’EPCI ; moyenne départementale 18 %.
SOURCES • Conseil général de la Loire-Atlantique, 2009.

45L’association mise en évidence précédemment (cf. supra ) entre le taux de bénéficiaires de l’APA et le taux de pauvreté monétaire des personnes âgées ne peut pas être vérifiée directement, cette donnée n’étant pas accessible au niveau local. De plus, certaines disparités sont liées à la localisation de l’offre de places en établissements. Cependant, on peut remarquer une forme de lien spatial entre offre de places, revenus des ménages âgés et part des bénéficiaires de l’APA dans la population âgée. En effet, dans les EPCI où le taux d’APA est sensiblement plus faible que la moyenne nationale (18 % ou moins, contre 21 % en moyenne), le revenu médian des ménages âgés est élevé et/ou l’offre de places en établissement est réduite. À l’opposé, là où le taux d’APA est sensiblement plus élevé que la moyenne nationale (24 % ou plus), le revenu médian des ménages âgés est en général plus faible. Pour un même nombre de personnes âgées, la demande d’intervention du conseil général est donc plus importante là où les revenus des ménages âgés sont modestes, d’où l’intérêt pour lui d’observer cette variable à l’échelle infradépartementale.

Carte 5

Places d’hébergement pour personnes âgées en Loire-Atlantique par EPCI en 2009

Carte 5

Places d’hébergement pour personnes âgées en Loire-Atlantique par EPCI en 2009

LECTURE • Part des places en établissement pour personnes âgées pour cent habitants de 75 ans et plus ; moyenne départementale 25,7 %.
SOURCES • Conseil général de la Loire-Atlantique, 2009.

46On a vu plus haut que la Loire-Atlantique se situe parmi les départements où la proportion de bénéficiaires de l’APA en établissement parmi les personnes âgées de 75 ou plus est importante, mais avec des disparités internes plus fortes que celles des départements entre eux. Peut-on trouver des similitudes entre certains EPCI de la Loire-Atlantique et d’autres départements du point de vue du recours à l’APA à domicile et en établissement (cf. graphique 2) ?

47Tout d’abord, un ensemble d’EPCI du département connaît à la fois un taux d’APA total élevé et un taux d’APA en établissement fort (carrés dans le quadrant nord-est du graphique) : c’est vrai des EPCI Pontchâteau - Saint-Gildas, de la vallée de Clisson, de la région de Blain, de Pornic, du pays d’Ancenis, du pays de Redon et du secteur de Derval et, à un moindre degré, du cœur de pays de Retz et des zones Cœur d’Estuaire et Sud-Estuaire. Les départements dont ces EPCI sont proches sur le graphique 2 appartiennent d’ailleurs le plus souvent au même groupe de départements que la Loire-Atlantique, c’est-à-dire le groupe que l’on a appelé plus haut les départements orientés APA établissement (sixième groupe). Mais ce n’est pas le cas de l’ensemble des EPCI du département concerné. Un groupe d’entre eux combine un taux élevé de bénéficiaires de l’APA en établissement à un taux global proche de la moyenne ou inférieur (Granlieu, Machecoul, Loire et Sillon, Erdre et Gesvres ; dans le quadrant nord-ouest sur le graphique 2). La région de Nozay est proche de la moyenne nationale.

Graphique 2

Proximités entre départements et EPCI de la Loire-Atlantique concernant l’APA

Graphique 2

Proximités entre départements et EPCI de la Loire-Atlantique concernant l’APA

LÉGENDE • L’axe vertical indique le taux d’APA en établissement, en écart à la moyenne métropolitaine [27] (de – 5 à + 12 points).
L’axe horizontal indique le taux d’APA total (domicile + établissement), en écart à la moyenne métropolitaine (de – 8 à + 8 points).
? Les carrés représentent les EPCI de la Loire-Atlantique.
Les départements sont identifiés par leur place dans la classification ciblée sur les personnes âgées.
Les départements corses et l’EPCI Loire-Atlantique méridionale, qui présentent une situation atypique en raison de taux d’APA très élevés, ne figurent pas sur le graphique.
Groupes de départements :
  1. Paris et Hauts-de-Seine.
  2. Autres départements urbains aisés.
  3. Autres départements à dominante urbaine.
  4. Départements à population âgée pauvre.
  5. Départements âgés très pauvres.
  6. Départements orientés APA établissement.
SOURCES • Conseil général de la Loire-Atlantique, DREES et INSEE.

48En revanche, un groupe d’EPCI apparaît éloigné de la moyenne départementale sur le graphique 2. En effet, le taux global de bénéficiaires de l’APA comme le taux de bénéficiaires de l’APA en établissement y sont inférieurs à la moyenne nationale. Ce sont les zones Cap Atlantique (presqu’île de Guérande), Sèvre-Maine, Loire-Divatte, Vallet, La Carène (Saint-Nazaire) et Nantes Métropole (quadrant sud-ouest sur le graphique 2). Dans tous ces EPCI, le taux de places en établissement pour personnes âgées est très en retrait de la moyenne départementale (voir carte 5). En dehors de la métropole nantaise, ces zones avoisinent sur le graphique 2 des départements plutôt favorisés du point de vue des revenus des personnes âgées (départements urbains aisés, hors Paris et les Hauts-de-Seine). De son côté, la communauté urbaine de Nantes Métropole apparaît proche des positions de deux départements franciliens aisés, les Yvelines et les Hauts-de-Seine.

49On mesure ainsi la grande diversité des situations au sein d’un même département, diversité qui oblige le département à développer une offre sociale différenciée sur son territoire pour répondre de manière satisfaisante aux besoins contrastés des EPCI présents dans le département.

50Pour conclure, il est possible, à partir d’un nombre limité d’indicateurs sociaux, de situer un département par rapport aux autres. Lorsque l’on considère la situation des personnes âgées dépendantes, certaines disparités repérées entre départements se reproduisent, parfois de manière amplifiée, à l’intérieur de l’espace départemental. Dans le cas particulier de la Loire-Atlantique, certaines zones s’écartent sensiblement de la moyenne du département. C’est notamment le cas de la métropole régionale, dont la situation est proche de celle de départements fortement urbanisés, situés dans d’autres régions. Cela implique qu’il est utile pour un département de regarder ce que fait un autre département, non pas parce que ces deux départements se ressemblent globalement, mais parce que certaines zones particulières de l’un ressemblent au profil global de l’autre. Donc le département peut, sur la base d’un diagnostic proche, analyser les politiques mises en place par l’autre département et les effets produits.

51Certes, un ensemble réduit d’indicateurs sociaux ne permet pas de définir la solution optimale pour le décideur public qu’est le conseil général, loin s’en faut. Cependant, ces indicateurs aident à la dégager en contribuant à l’élaboration d’un diagnostic éclairé, et en esquissant des hypothèses à valider dans un second temps. Ces indicateurs permettent ainsi de mettre en lumière les approfondissements ultérieurs nécessaires pour définir une offre adaptée à la diversité géographique de la demande d’intervention sociale.

52Ce cheminement, que nous espérons avoir esquissé, est de nature à enrichir à son tour les travaux nationaux. En effet, les hypothèses validées localement peuvent ensuite être testées au niveau national si les données pertinentes pour ce test sont disponibles. Dans le cas où les données correspondantes n’existent pas mais sont jugées suffisamment prioritaires, le réseau collaboratif, regroupant départements et organismes nationaux, qui s’est constitué autour des indicateurs sociaux départementaux, pourrait s’organiser pour les produire et les valider. À terme, le jeu d’indicateurs départementaux comparables devrait ainsi être enrichi, notamment dans la description de l’isolement des personnes âgées. Un indicateur subjectif est d’ailleurs à l’étude par plusieurs départements participant à la démarche (à côté de la Loire-Atlantique, l’Ardèche, la Loire et le Vaucluse) [28]. Une validation préalable par ces départements pourrait ouvrir la voie à la généralisation de cet indicateur à l’ensemble des conseils généraux et à son utilisation dans des analyses comparatives.

Annexe 1

Les indicateurs sociaux départementaux : soixante-seize indicateurs [29]

Contexte territorial
C01 –Population selon l’âge
C02 –Indice de vieillissement
C03 –Taux de mortalité
C04 –Espérance de vie
C05 –Population vivant dans les pôles urbains
C06 –Mobilité résidentielle interdépartementale selon l’âge
C07 –Pauvreté monétaire
C08 –Intensité de la pauvreté monétaire
C09 –Niveau de vie des ménages
C10 –Disparité des niveaux de vie
C11 –Taux de chômage
C12 –Demandeurs d’emploi de longue durée
C13 –Taux d’activité de la population
C14 –Population selon la catégorie socioprofessionnelle
C15 –Élèves en retard d’au moins un an à l’entrée en sixième
C16 –Jeunes non diplômés
C17 –Jeunes diplômés de l’enseignement supérieur
C18 –Demandes de logement social non satisfaites après un an
C19 –Logements suroccupés
C20 –Taux d’effort logement
C21 –Emplois selon la fonction
Personnes handicapées
HA01 –Nouveau-nés transférés dans un service spécialisé
HA02 –Enfants handicapés scolarisés
HA03 –Premières demandes à la MDPH
HA04 –Nouvelles cartes d’invalidité
HA05 –Allocataires de l’AAH
HA06 –Allocataires de la PCH et de l’ACTP
HA07 –Allocataires de l’AEEH ou de la PCH de moins de 20 ans
HA08 –Titulaires de pension d’invalidité
HA09 –Titulaires de rentes d’accident du travail ou de maladie professionnelle
HA10 –Demandeurs d’emploi en situation de handicap
HA11 –Places en établissements et services pour personnes handicapées
HA12 –Places offertes par rapport aux orientations données par la MDPH
Enfance et jeunesse en danger
ASE01 –Enfants dont les parents sont sans emploi
ASE02 –Déclarations tardives de grossesse
ASE03 –Naissances prématurées
ASE04 –Signalements d’enfants en danger à l’autorité judiciaire
ASE05 –Mineurs ayant fait l’objet d’une intervention sociale ou médico-sociale suite au recueil d’une information préoccupante
ASE06 –Mesures d’aide sociale à l’enfance
ASE07 –Places en établissements d’aide sociale à l’enfance
ASE08 –Formation et emploi des jeunes majeurs ASE à la sortie définitive du dispositif
Minima sociaux et insertion
INS01 –Population pauvre selon l’âge et le type de ménage
INS02 –Jeunes non insérés
INS03 –Demandeurs d’emplois non indemnisés
INS04 –Jeunes en difficulté de lecture
INS05 –Allocataires des minima sociaux
INS06 –Population couverte par le RSA
INS07 –Personnes concernées par les droits et devoirs RSA
INS08 –Bénéficiaires de la CMUC
INS09 –Jeunes en premier accueil dans les missions locales et PAIO
INS10 –Évolution des bénéficiaires du RSA vers l’activité
Personnes âgées en dépendance ou en risque de dépendance
PA01 –Premières demandes d’APA à domicile
PA02 –Bénéficiaires de l’aide sociale à domicile
PA03 –Bénéficiaires de l’APA
PA04 –Bénéficiaires de l’aide sociale à l’hébergement
PA05 –Places en structures d’hébergement pour personnes âgées
PA06 –Places de services de soins infirmiers à domicile
PA07 –Densité d’infirmiers libéraux
PA08 –Bénéficiaires de l’APA à domicile classés en GIR 1 et 2
PA09 –Personnes de 75 ans et plus selon leur mode de cohabitation
PA10 –Territoires couverts par les CLIC ou d’autres systèmes d’information et d’orientation
PA11 –Isolement des personnes âgées
Finances
FI01 –Dépenses de RSA par habitant
FI02 –Dépenses de RSA par bénéficiaire
FI03 –Dépenses d’APA par habitant
FI04 –Dépenses d’APA par bénéficiaire
FI05 –Dépenses de PCH et d’ACTP par habitant
FI06 –Dépenses de PCH et d’ACTP par bénéficiaire
FI07 –Dépenses de placement ASE par habitant
FI08 –Dépenses de placement ASE par bénéficiaire
FI09 –Coût annuel à la place établissement personnes âgées
FI10 –Coût annuel à la place établissement personnes handicapées
Fl11 –Coût annuel à la place établissement ASE FI12 -Masse salariale du CG affectée à la solidarité FI13 - Part des agents solidarité du CG territorialisés
FI14 –Part des dépenses sociales du département externalisées
Annexe 2

Construction de la typologie de départements

53Pour constituer les groupes de départements, on ne disposait que de données agrégées. Il n’a donc pas été possible de prendre en compte à la fois les caractéristiques des départements et celles des personnes âgées, dans une modélisation de la demande d’APA de type multiniveaux (Courgeau et Baccaïni, 1997).

54C’est donc une analyse en composantes principales qui a été retenue, suivie d’une classification ascendante hiérarchique sur les mêmes indicateurs.

55Onze variables disponibles, caractérisant la demande effective ou potentielle d’APA (part des personnes âgées, part des personnes âgées vivant seules, taux de bénéficiaires à domicile et en établissement, part des personnes les plus dépendantes parmi les bénéficiaires de l’APA à domicile), ou susceptibles selon les études disponibles de l’expliquer (pauvreté et niveau de vie des ménages âgés, catégories sociales les plus concernées par la dépendance, espérance de vie) et, enfin, une variable d’offre (les places en établissement offertes dans le département, qui peuvent être en décalage avec la demande, sous l’effet des mouvements migratoires interdépartementaux notamment) ont été retenues. Cette sélection a été en partie déterminée par la possibilité d’accéder à l’information, même agrégée. Par exemple, de nombreux départements n’ont pas d’information concernant les bénéficiaires de l’APA vivant en institution. Il n’a donc pas été possible de considérer le degré de dépendance de cette population, comme on l’a fait pour l’APA à domicile.

56Des variables supplémentaires ont été ajoutées pour faciliter l’interprétation des résultats : elles caractérisent la composition sociale des départements (part des retraités, part des cadres et des anciens cadres et professions intermédiaires), la présence de population, âgée ou non, en situation financière difficile (minimum vieillesse, AAH, taux de pauvreté général [30], taux de bénéficiaires de l’ASH), le degré d’urbanisation du département (part de la population vivant dans les pôles urbains).

57Enfin, la contrainte budgétaire étant forte pour les départements, les dépenses d’APA par habitant ont été choisies également comme variable supplémentaire.

Graphique A

Les variables de l’analyse dans le premier plan principal de l’ACP concernant les personnes âgées

Graphique A

Les variables de l’analyse dans le premier plan principal de l’ACP concernant les personnes âgées

LÉGENDE • Variables actives contribuant fortement à l’un des deux axes (contribution supérieure au poids) :
NivV75 : niveau de vie moyen des ménages dont la personne de référence a 75 ans ou plus.
P75 vit seul : part des personnes âgées de 75 ans ou plus vivant seules.
P75 : part des personnes âgées de 75 ans ou plus dans la population du département.
Pauvreté 65 + : taux de pauvreté des personnes âgées de 65 ans ou plus.
APA établissement : bénéficiaires de l’APA hébergés en établissement, en pourcentage de la population de 75 ans et plus.
APA domicile : bénéficiaires de l’APA vivant à leur domicile, en pourcentage de la population de 75 ans et plus.
Grande dépendance : part des bénéficiaires de l’APA à domicile classés GIR 1 et 2 (en pourcentage du total).
Anciens employés-ouvriers : retraités dont l’ancienne profession est ouvrier ou employé.
Eqpa : nombre de places d’hébergement pour personnes âgées, rapporté à la population de 75 ans ou plus.
En italique, variables supplémentaires :
Cadres : part de cadres parmi les actifs.
Anciens cadres PI : retraités dont l’ancienne profession est cadre ou profession intermédiaire.
Pôles urbains : part de la population départementale vivant dans un pôle urbain.
Retraités : part des retraités dans la population du département.
Pauvreté : taux de pauvreté monétaire.
ASH : taux de bénéficiaires de l’ASH, en pourcentage des places d’hébergement pour personnes âgées.
AAH : taux de bénéficiaires de l’AAH, en pourcentage de la population de 20 à 64 ans.
Dépenses APA hab. : dépenses brutes d’APA rapportées à la population totale du département.
SOURCES • Indicateurs sociaux départementaux.

L’analyse en composantes principales concernant les personnes âgées et l’APA

58Les trois premières valeurs propres sont supérieures à 1. Les deux premiers axes concentrent 58 % de l’inertie du nuage d’information, les trois premiers 74 %. Le premier axe principal oppose le niveau de vie médian élevé des personnes âgées (et, du même côté de l’axe, la part des personnes vivant seules, la part des personnes très dépendantes parmi les bénéficiaires de l’APA à domicile, la part élevée d’anciens cadres et professions intermédiaires[31] et la part de la population vivant dans les pôles urbains ) à la pauvreté monétaire des 65 ans et plus (et, du même côté de l’axe, la part d’agriculteurs parmi les retraités, la part des personnes âgées de 75 ans ou plus dans la population, la part des dépenses d’APA par habitant, le taux de bénéficiaires de l’AAH et la part des retraités dans la population ).

59Le deuxième axe principal fait apparaître une opposition entre fréquence de l’APA à domicile (et, du même côté de l’axe, le taux de bénéficiaires des allocations du minimum vieillesse, le taux de bénéficiaires de l’aide sociale à l’hébergement, le taux de pauvreté monétaire général ) et celle de l’APA en établissement (et, du même côté de l’axe, le taux d’équipement en places d’hébergement pour personnes âgées).

60Le troisième axe principal, non représenté dans le graphique A, est lié à l’espérance de vie (corrélée positivement avec le niveau de vie moyen des personnes âgées, la part de cadres parmi les actifs et les retraités, négativement avec la part d’anciens employés et ouvriers parmi les retraités). Aucun lien significatif n’apparaît entre ce troisième axe et les variables descriptives de l’APA.

Graphiquè B

Les départements dans le premier plan principal de l’analyse concernant les personnes âgées

Graphiquè B

Les départements dans le premier plan principal de l’analyse concernant les personnes âgées

LECTURE • Seuls les départements qui contribuent aux deux premiers axes (contribution supérieure au poids) sont représentés. Les ovales matérialisent les sept groupes définis par la classification associée à l’analyse en composantes principales.
SOURCES • Indicateurs sociaux départementaux.
Annexe 3

Un modèle simple reliant les dépenses d’APA par habitant au contexte du département

61Ce modèle agrégé, estimé sur les données d’une année, relie les dépenses d’APA par habitant à quelques variables de contexte départemental. Les variables significatives au seuil de 5 % sont : la part des personnes âgées de 75 ans ou plus, le taux de pauvreté des personnes de 65 ans ou plus, la part des ouvriers et employés dans la population retraitée, enfin, la part de population vivant dans les pôles urbains. Ces quatre variables expliquent ensemble 80 % de la variance des dépenses entre départements.

Tableau

Dépenses d’APA par habitant et contexte social

Tableau
VariablesDépenses d’APA par habitant (euros)Part des plus de 75 ans9,5(1,1)Taux de pauvreté des plus de 65 ans4,0(0,6)Part des ouvriers et employés parmi les retraités0,7(0,3)Part de la population vivant dans un pôle urbain0,3(0,1)

Dépenses d’APA par habitant et contexte social

LECTURE • Régression linéaire multiple, données de dépenses de 2008.
La moyenne départementale de référence est non pondérée.
R2 = 0,80 ; chaque case contient le coefficient estimé et son écart type (entre parenthèses).
SOURCES • Indicateurs sociaux départementaux.

62En revanche, toutes choses égales par ailleurs, un taux d’équipement en places d’établissement pour personnes âgées élevé ou un taux élevé de bénéficiaires de l’APA à domicile classés en GIR 1 ou 2 n’ont pas d’influence significative sur le niveau des dépenses par habitant.

63En l’absence d’une série temporelle des variables explicatives choisies, il n’a pas été possible de réaliser des estimations sur données panélisées, ce qui aurait permis de tenir compte de l’hétérogénéité non observée au niveau du département ou de regroupements de départements.

Notes

  • [*]
    La pauvreté est mesurée de façon relative : un ménage est pauvre si son niveau de vie est inférieur à 60 % du niveau de vie médian des ménages français métropolitains, conformément à la définition européenne. Cette mesure ne tient pas compte des différences de coût du logement et des transports selon la localisation, par exemple. Toutefois, intégrer ces dimensions supposerait établi de manière incontestable le niveau du « revenu minimum décent », comme cela se pratique par exemple au Royaume-Uni (Bradshaw et al., 2008). Cette opération implique un dispositif d’observation et de concertation conséquent, qui n’est pas encore en place en France, même au niveau national, et encore moins au niveau de chaque département.
  • [*]
    Statisticienne-économiste, chargée de mission à la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES).
  • [1]
    Cet article a bénéficié de la collaboration de Joël Guist’hau, directeur général adjoint des services chargés de la solidarité au conseil général de la Loire-Atlantique. Il doit beaucoup à l’apport des référents et du comité de lecture, et en particulier à celui de Bénédicte Galtier.
  • [2]
    Il autorise également l’activité des organismes de services d’aide à domicile. Toutefois, ceux-là peuvent opter pour le régime d’agrément qualité délivré par la préfecture, pour lequel le président du conseil général émet un avis (Conseil de l’emploi, des centres sociaux et de la cohésion sociale [CERC], 2008).
  • [3]
    Conseil national de l’information statistique, http://www.cnis.fr/cms
  • [4]
    Une quarantaine d’indicateurs de cette sélection sont disponibles sur le site de l’INSEE, à l’adresse suivante : http://www.insee.fr/fr/publications-et-services/default.asp?page=dossiers_web/action-sociale-departementale/action-sociale-departementale.htm
  • [5]
    Avec l’objectif d’une transposition possible de la méthode utilisée à d’autres départements intéressés.
  • [6]
    Dont le poste principal est l’APA, mais qui comporte aussi l’ASH, les prestations aux personnes handicapées de 60 ans et plus, et l’aide ménagère financée par le conseil général.
  • [7]
    Le niveau de vie correspond au revenu disponible par unité de consommation.
  • [8]
    La médiane sépare une distribution en deux parties égales. Elle caractérise mieux que la moyenne le milieu d’une distribution non symétrique, ce qui est le cas des salaires, revenus, niveaux de vie ou patrimoines.
  • [9]
    En 2008, dans les Hauts-de-Seine, le niveau de vie plancher des 10 % les plus riches est 4,6 fois plus élevé que le niveau de vie plafond des 10 % les plus pauvres. Le rapport entre les deux atteint même 5,9 à Paris, alors qu’il est de 3,4 pour l’ensemble de la France métropolitaine.
  • [10]
    Ils sont classés GIR 1 ou 2. La grille nationale Autonomie gérontologie groupe iso-ressources (AGGIR) permet d’évaluer le degré de perte d’autonomie des demandeurs d’intervention sociale. Le GIR 1 correspond aux personnes âgées confinées au lit, dont les fonctions mentales sont gravement altérées et qui nécessitent une présence indispensable et continue d’intervenants. Dans ce groupe se trouvent également les personnes en fin de vie. Le GIR 2 regroupe deux catégories de personnes âgées : celles qui sont confinées au lit ou au fauteuil, dont les fonctions mentales ne sont pas totalement altérées et qui nécessitent une prise en charge pour la plupart des activités de la vie courante ; celles dont les fonctions mentales sont altérées, mais qui ont conservé leurs capacités à se déplacer.
  • [11]
    L’ensemble des indicateurs sociaux départementaux est disponible sur le site de l’INSEE, à l’adresse suivante : http://www.insee.fr/fr/publications-et-services/default.asp?page=dossiers_web/action-sociale-departementale/action-sociale-departementale.htm
  • [12]
    Ou, plus généralement, des bénéficiaires de prestations destinées aux personnes âgées.
  • [13]
    Les données concernant les revenus disponibles, les niveaux de vie et la pauvreté des personnes âgées par département ne sont disponibles que depuis 2008.
  • [14]
    En 2007, le taux d’occupation des places disponibles atteignait 96 % (Prévot, 2009).
  • [15]
    À niveau de dépendance donnée, la prise en charge à domicile et celle en établissement sont des processus différents, dont les coûts ne sont pas identiques. On s’attend généralement à ce que la dépense par bénéficiaire soit supérieure lorsque le placement en établissement est plus fréquent. L’impact sur la dépense par habitant dépend alors de la composition de cet effet de coût avec ceux de la part des personnes âgées dans la population et de l’intensité de recours à l’APA.
  • [16]
    La dépense médiane par habitant de chacun des deux premiers groupes est très inférieure à la dépense médiane des départements métropolitains.
  • [17]
    Pour dix départements sur les seize du groupe.
  • [18]
    Ce phénomène est qualifié d’autocorrélation spatiale positive (voir Anselin, 1988, et Pumain et Saint-Julien, 2010, pour une présentation de l’autocorrélation spatiale et de sa mesure).
  • [19]
    On note cependant un sous-ensemble polarisé à l’ouest.
  • [20]
    10 % pour le taux de pauvreté monétaire général contre 13 % en moyenne nationale, 9 % contre presque 10 % pour le taux de pauvreté monétaire des personnes âgées.
  • [21]
    Les quintiles séparent la distribution d’une variable en cinq parties égales. Le premier quintile correspond aux 20 % de départements ayant la valeur la plus basse, et ainsi de suite.
  • [22]
    En effet, une corrélation au niveau agrégé entre deux variables n’implique pas nécessairement une corrélation élevée au niveau individuel, et encore moins une causalité. Supposer l’équivalence entre les deux d’après l’observation agrégée constitue une erreur dite écologique (Robinson, 1950). En retour, les décisions individuelles et leurs résultats ne sont pas totalement indépendants les uns des autres, dans la mesure où ils sont influencés par le contexte local. Négliger l’effet du contexte constitue l’erreur atomistique (Alker, 1969).
  • [23]
    En particulier, les membres de la famille peuvent avoir été éloignés par des migrations résidentielles.
  • [24]
    La notion du zonage d’observation adéquat est un point crucial. En effet, comme le note Grafmeyer (2005) dans le cas des typologies de quartiers urbains, le diagnostic porté est très sensible à l’échelle géographique retenue. Ici, l’aire d’attraction des établissements d’accueil des personnes dépendantes, qui serait l’unité adaptée, n’est pas observable. Elle regroupe plusieurs communes dans l’espace rural et peut être infracommunale pour les grandes agglomérations.
  • [25]
    EPCI à fiscalité propre ; sources : DGCL ; bilan statistique des intercommunalités en 2010.
  • [26]
    Non pondérée.
  • [27]
    Aussi égale à la valeur médiane des départements.
  • [28]
    Il s’agit de définir, d’après le contenu des dossiers d’APA, le degré d’isolement des personnes âgées et d’estimer ainsi la présence ou l’absence d’aidants informels potentiels. issus de réseaux familiaux ou d’entraide amicale.
  • [29]
    En gras, les indicateurs disponibles sur insee. fr le 1er août 2011.
  • [30]
    Les disparités géographiques du taux de pauvreté de la population générale diffèrent des disparités géographiques du taux de pauvreté des personnes âgées. Ces deux variables ne sont donc pas redondantes.
  • [31]
    Les variables supplémentaires sont notées en italique dans ce paragraphe et les deux suivants, ainsi que dans les graphiques A et B.
Français

Résumé

La demande d’intervention sociale concernant les personnes âgées s’accroît avec le vieillissement de la population. Depuis 2003, en tant que chefs de file de l’action sociale décentralisée, les départements sont responsables des réponses à y apporter. Dans un contexte budgétaire contraint, ils éprouvent le besoin de se comparer à d’autres critères que ceux immédiatement disponibles, telle la taille de leur population. L’information comparable devient un enjeu décisif. Construire un système d’information permettant des comparaisons est l’objectif d’un travail partenarial en cours, impliquant des départements et des organismes nationaux. L’article présente l’analyse réalisée à partir d’indicateurs construits dans ce cadre. En matière de dépendance liée à l’âge, des proximités entre départements se dégagent, prenant en compte la demande qui leur est adressée, mais aussi l’offre locale d’hébergement. La classification pratiquée dans les départements ne peut pas être reproduite à une échelle géographique plus fine. Elle peut cependant aider à interpréter les disparités internes au territoire départemental, le cas de la Loire-Atlantique présenté dans l’article l’illustre. Les expérimentations locales peuvent en retour enrichir les travaux nationaux. Cette première exploitation d’un système d’information en construction appelle d’autres analyses ultérieures.

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Michèle Mansuy [*]
Statisticienne-économiste, chargée de mission à la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) au moment de la rédaction de l’article. Elle a été coanimatrice du groupe d’expérimentation ADF-DREES « indicateurs sociaux départementaux ».
  • [*]
    Statisticienne-économiste, chargée de mission à la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES).
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/02/2012
https://doi.org/10.3917/rfas.114.0056
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