1Jean de Kervasdoué a récemment (2011) fait paraître La peur est au-dessus de nos moyens. Pour en finir avec le principe de précaution, qui se présente comme la suite des Prêcheurs de l’Apocalypse. Pour en finir avec les délires écologiques et sanitaires, paru en 2007. Ces deux ouvrages dressent un réquisitoire sévère contre le principe de précaution dans le domaine environnemental et de la santé. Le principe (tel qu’énoncé par de Kervasdoué) dit que, s’il existe de « bonnes raisons » de redouter un danger sur la santé ou sur l’environnement en raison d’une activité humaine, il est raisonnable d’interrompre cette activité en attendant d’avoir accumulé suffisamment de preuves empiriques sur la réalité et l’ampleur du danger. Jean de Kervasdoué s’oppose à ce principe pour deux raisons principales. Tout d’abord, arrêter une activité humaine n’est jamais sans coût et il est faux de prétendre opposer l’« économie » à la « santé » ou à l’« environnement », car, en fait, on parle dans les trois cas de sacrifices ou de pertes d’utilité pour les individus – de Kervasdoué affirme ici que tomber malade ou perdre son emploi sont deux événements négatifs commensurables et qu’il est légitime d’envisager de sacrifier un peu de santé pour sauver son emploi et son revenu. Ensuite, décider avant de disposer des connaissances statistiques sur un risque est absurde car cela revient à confondre l’incertain (un phénomène dont la réalisation est aléatoire mais la probabilité connue) et l’inconnu (un phénomène est possible, mais on n’en connaît pas la probabilité et elle peut être très faible). Au total, sa conclusion principale est familière à l’économiste car elle repose sur le principe d’utilité espérée de von Neumann et Morgenstern : face à un risque, l’individu calcule son utilité dans le cas favorable (le risque ne se réalise pas) et dans le cas défavorable (le risque se réalise). Il pondère ces utilités par les probabilités respectives des deux cas de figure et calcule le résultat pour obtenir son utilité espérée dans la situation incertaine. Espérée signifie donc ici simplement « attendue », avant la réalisation du risque. Pour évaluer une action visant à réduire la probabilité de survenance du cas défavorable, on compare le coût de cette action au gain d’utilité espérée généré par la diminution de la probabilité défavorable.
2Le réquisitoire est véritablement développé dans les deux derniers chapitres du livre (respectivement chapitre 9 « Précautionneuse » et chapitre 10 « Raisonnable »), qui suivent une série de huit chapitres démontrant l’absence de mérite scientifique de la plupart des revendications écologistes ou de santé publique. Il faut avouer que l’intérêt de ces chapitres initiaux ne saute pas aux yeux immédiatement et qu’ils ressemblent le plus souvent au fameux combat contre l’homme de paille : l’auteur met en scène un écologiste ou un administrateur de santé publique particulièrement mal informé ou rigide dans ses principes, puis se met en scène lui-même en Don Quichotte triomphant et met en déroute son adversaire sur mesure. Tout cela met en lumière l’érudition [1] de l’auteur, mais ne peut vraiment convaincre de l’ineptie de tout discours prônant la précaution face aux activités humaines potentiellement dangereuses. Il faut avoir lu les deux derniers chapitres pour comprendre pourquoi de Kervasdoué a construit cet adversaire de paille et l’a ensuite vaincu : son argument ici est que l’existence d’idées fausses sur les risques liés aux activités humaines permet de disqualifier tout discours profane, émis hors de la communauté scientifique, sur ces risques et leurs causes. Il n’est pas nécessaire de montrer que tout discours profane ou fondé sur le principe de précaution est faux, mais seulement que ce principe permet de générer certains discours profanes infondés. En effet, rejeter le principe de précaution dans l’absolu n’est pas le seul argument du livre – il affirme aussi qu’il faut rejeter ce qui accompagne ce principe (et en rend possible l’expression publique), à savoir l’immixtion du profane (dans sa version grand public, mais aussi politique) dans le débat scientifique.
3L’idéal opposé par de Kervasdoué au principe de précaution est donc la prise de décision fondée sur la valeur de l’utilité espérée comparée au coût de la réduction des risques, toutes les évaluations étant menées par la communauté scientifique. Il y a un curieux passage dans le livre dans lequel l’auteur se défend de vouloir instaurer la République des savants (page 228, « Je ne suis pas un tenant du “rationalisme à la française” »). Il est vrai qu’il ne plaide que pour une séparation radicale des pouvoirs entre politiques et savants (page 228 encore : « Je ne pense pas qu’il y ait d’issue sans un retour à la séparation des ordres » (c’est moi qui souligne), mais il n’en reste pas moins que, en faisant des décisions sur les risques liés à l’activité humaine le domaine unique de la communauté scientifique, il établit de fait une République sous influence de la communauté scientifique et tente de revenir à une sorte d’âge d’or dans lequel la décision n’était pas polluée par la démagogie (selon sa conception).
4Il est difficile en lisant ce livre de ne pas y trouver l’écho de celui paru en 1995 sous la signature d’Aaron Wildavsky (et écrit en collaboration avec de nombreux étudiants) [2]. Ce livre, But Is it True?, sélectionne plusieurs controverses scientifiques autour des risques (industriels) pesant sur l’environnement ou la santé (animale et humaine) et calcule les coûts induits par les mesures de prévention adoptées. Il montre alors, sinon que la peur est au-dessus de nos moyens, au moins que la prévention a un coût, parfois sans rapport avec le nombre de vies sauvées ou l’effet sur la nature. Il montre aussi que l’évaluation des risques est le champ d’affrontements, non seulement, comme on pourrait s’y attendre, entre industriels et riverains ou politiques et scientifiques, mais aussi et encore bien plus au sein de la communauté scientifique elle-même.
5C’est ici, à mon sens, que le livre de Wildavsky est vraiment passionnant et présente une lecture du principe de précaution et de ses alternatives différente (et, à mon avis, bien plus convaincante) de celle du livre de Jean de Kervasdoué. Premièrement, il affirme que ces désaccords entre scientifiques sont le plus souvent liés à des biais de plusieurs ordres. Certains de ces biais sont matériels (le scientifique est payé par l’industriel à la source du risque), mais d’autres, tout aussi importants, sont sociaux ou idéologiques (par exemple, le scientifique n’aime pas le capitalisme et le grand capital à la source des risques industriels) ; de tels biais sont liés à une loi de la recherche scientifique selon laquelle, contrairement à la croyance populaire et au dogme wébérien, la subjectivité de l’observateur se glisse toujours dans le travail scientifique. Wildavsky estime même qu’un expert non engagé et sans opinion serait une sorte d’eunuque, inoffensif, mais sans grande capacité créatrice. Mais Wildavsky ajoute que cette variation systématique des résultats selon la position du chercheur ne doit pas pousser le « consommateur de science » (le décideur politique ou l’électeur/consommateur) dans le désespoir ou le nihilisme. Au contraire, elle doit pousser le profane à mieux comprendre la science et ses règles de falsification, et à trier ce qui relève de la subjectivité de l’auteur scientifique de ce qui relève du résultat scientifique lui-même.
6Wildavsky affirme que cette recherche est nécessaire, particulièrement dans le domaine des risques sur l’environnement et la santé : c’est bien parce que la science environnementale et la santé publique sont des exercices terriblement complexes que les non-scientifiques doivent renvoyer les producteurs de résultats aux critères les plus sévères de la validation scientifique. En gros, l’utilité de la science ne repose pas sur l’intégrité des scientifiques eux-mêmes, mais sur les règles épistémologiques que doivent respecter les études scientifiques.
7Il affirme aussi que cette recherche est possible : ce que Wildavsky propose est de créer un corps de citoyens éclairés, qui savent lire les études scientifiques et faire leur diagnostic sur la base d’une sorte de revue systématique de la littérature. Loin de la « République des savants », il propose donc une science démocratisée, autorisée à se produire sur le marché des idées et jugée aux normes de la scientificité par la majorité de ses consommateurs. Son livre est du reste une première application de ce principe, visant à former des non-scientifiques à lire et à comprendre des résultats d’études en sciences de l’environnement ou de santé publique. Comme de Kervasdoué, Wildavsky est très critique sur la façon dont la presse grand public rend compte des résultats scientifiques : alors que de Kervasdoué préconise un monopole du discours scientifique (et des décisions en découlant) par les scientifiques eux-mêmes, Wildavsky recommande que les citoyens court-circuitent la vulgarisation et aillent directement à la source (les articles scientifiques) – leur tâche sera facilitée par le fait que ces articles sont extrêmement standardisés, présentés selon le format question-données-méthodes-résultats-discussion.
8Je reviens maintenant sur le premier point : la recherche du résultat validé est particulièrement importante dans les domaines sanitaire et environnemental parce que ces domaines sont très complexes, parce que Wildavsky développe l’idée novatrice souvent négligée selon laquelle la science sociale joue un rôle critique dans l’évaluation des risques industriels.
9Chaque chapitre du livre de Wildavsky montre que la complexité des études environnementales ou sanitaires tient au fait qu’elles combinent au moins trois types de démarche scientifique :
- l’approche épidémiologique cause-symptôme, qui cherche à établir un lien, de préférence causal plutôt que de simple association, entre l’apparition d’un facteur de risque et l’apparition d’une conséquence négative ;
- l’approche statistique dose-réponse, qui cherche à quantifier ce lien tout au long de la gamme observable du facteur ; ici, l’idée est que l’observation en un point donné d’un lien facteur-symptôme (mesuré par exemple par contraste entre une situation avec et une situation sans facteur de risque) ne donne aucune idée de la variation de ce lien quand l’intensité du facteur varie. Un exemple typique est celui de la consommation de vin, qui semble inoffensive à faible dose et terriblement dangereuse à forte dose, selon un processus absolument non linéaire. Il est un fait que les manuels d’épidémiologie recommandent tous de mener une analyse dose-réponse en plus de l’analyse cause-effet. Il est un autre fait que les études d’épidémiologie menées dans la vraie vie se contentent de la seconde et extrapolent linéairement sur l’ensemble de la gamme du risque, comme tous les exemples de Wildavsky le montrent ;
- l’approche sociale, permettant de décrire la gamme effective du risque dans la population ou la zone géographique concernée : si une étude épidémiologique a mis en lumière un risque de 1 % au niveau le plus fort d’exposition au facteur de risque, mais que moins de une personne sur un million vit à ce niveau d’exposition, il ne sera peut-être pas raisonnable de prononcer l’interdiction du facteur de risque. Wildavsky affirme aussi que la science est complexe, car elle ne se résume pas à une suite d’essais cliniques randomisés : elle repose toujours sur des « modèles », c’est-à-dire des représentations théoriques simplifiées de la réalité et des mécanismes causaux entre les phénomènes.
10Que dit Wildavsky du principe de précaution ? Comme de Kervasdoué, il le réfute, en tout cas, il en refuse l’application. Mais, de même qu’il choisit la démocratisation là où de Kervasdoué prône la dictature du scientifique, il choisit de réfuter le principe de précaution sur la base du principe incrémentaliste plutôt que sur la maximisation de l’utilité espérée en toute connaissance de la probabilité des risques encourus. Pour bien comprendre le principe sur lequel s’appuie Wildavsky, il faut revenir à une expression plus complète du principe de précaution que celle fournie dans l’ouvrage de Jean de Kervasdoué. Le principe est un syllogisme : 1) il existe des éléments raisonnables permettant de penser à une relation risque-symptôme ; 2) ce symptôme est irréversible (destruction de la planète ou de forêts millénaires ou d’espèces animales, ou infirmité/décès humains) ; donc, conclusion, aucune loterie ne peut être meilleure en termes d’utilité que l’absence du risque. C’est pourquoi, selon ce principe, la suppression du risque doit être toujours préférée. L’essence du raisonnement est dans le point 2, le pari contre l’infini. Son application concrète passe par le point 1, qui repose le plus souvent sur des modèles animaux (d’où les Canadiens et les rats cités plus haut). Le raisonnement se déroule comme suit : on sait bien qu’il est faux d’extrapoler des modèles animaux aux risques pour l’humain, ce qui veut dire que la probabilité d’un risque pour l’humain reste faible même si une expérience animale a montré un lien risque-symptôme (à des doses souvent totalement irréalistes). Pour autant, comme l’enjeu est infini (à cause de l’irréversibilité), même une probabilité faible conduit à une utilité espérée infiniment négative. L’utilité espérée dans le cas incertain sera donc toujours plus négative que le coût de la précaution.
11Reformulé ainsi, le principe de précaution apparaît bien plus proche de la logique de Jean de Kervasdoué : dans les deux cas, on cherche à optimiser la décision dans l’absolu au moyen de l’utilité espérée. De Kervasdoué dit que, si la probabilité est inconnue, c’est qu’elle est nulle ; le principe de précaution dit que si l’enjeu est irréversible on n’a pas besoin de connaître la probabilité pour agir.
12Wildavsky affirme au contraire que les décisions ne sont jamais prises dans l’absolu mais sont toujours incrémentales par nature. La question n’est donc pas de ne rien faire tant que la probabilité n’est pas connue parfaitement, ni de tout interdire dès que la probabilité est potentiellement non nulle par peur de dégâts irréversibles. Selon lui, en posant l’irréversibilité (et la linéarité de la réponse à la dose), le principe de précaution néglige les possibilités d’adaptation de l’économie et des sociétés humaines et ne tient pas compte de l’homéostasie des interactions entre l’homme et son milieu naturel, cette homéostasie qui rend justement les évaluations scientifiques des risques particulièrement complexes. Enfin, Wildavsky affirme aussi, contrairement aux tenants du principe de précaution ou à de Kervasdoué, que la seule preuve digne de ce nom n’est pas dans l’essai randomisé. En effet, selon lui, cette méthode n’est valide que si le scientifique est en ignorance de tout modèle théorique et teste, un peu au hasard, une relation potentielle entre un facteur et un effet (Hacking, 1988, cité dans Wildavsky, montre que l’origine de l’essai randomisé se trouve dans une tentative de tester l’existence d’effets télépathiques). Du coup, la science ne procède pas uniquement par sauts quantitatifs entre « incertitude totale » (pas d’essais randomisés) et « connaissance complète », mais de manière continue, à mesure que de nouvelles connaissances et de nouveaux modèles s’enrichissent mutuellement.
13Pour comprendre en quoi les trois principes (précaution, d’utilité espérée à la de Kervasdoué ou incrémental à la Wildavsky) diffèrent, prenons l’exemple de la vaccination contre la grippe H1N1. Il faut tout d’abord faire un détour technique. La précaution diffère de l’utilité espérée de Jean de Kervasdoué de la façon suivante : il n’y pas un seul événement avec une probabilité unique mais une gamme d’événements avec des probabilités distribuées ou bien une probabilité unique mais avec une distribution aléatoire de conséquences négatives du risque. La précaution consiste à s’assurer contre l’événement le plus défavorable. Si la probabilité est connue mais que la conséquence de l’événement défavorable suit une loi aléatoire (par exemple, la probabilité de perdre un bijou est connue mais la valeur de la perte n’est pas observable par l’assureur en moyenne), le marché va générer une assurance indemnitaire : l’assuré achète une couverture sous forme d’indemnité correspondant à la valeur qu’il estime pour son bien et l’assureur se contente de calculer une prime égale au produit de la probabilité par la valeur assurée (plus un taux de chargement). Dans le cas de la grippe, la probabilité est connue (elle est de un, il y a une épidémie de grippe par an au moins), mais le dommage est aléatoire : il peut s’agir de la grippe standard ou d’une grippe particulièrement mortelle, comme en 1919. Le gouvernement a alors, logiquement, adopté une attitude de précaution en facilitant la vaccination pour tous. Pourtant, de Kervasdoué fustige la décision de la vaccination et, partant, le principe de précaution. Selon lui, le coût de la vaccination a été prohibitif alors que le gain potentiel était inconnu, puisque la probabilité que la grippe soit dangereuse l’était aussi. En fait, le coût par individu vacciné est relativement faible (et on peut admettre que tout individu rationnel devrait accepter la vaccination, compte tenu du son prix modique, 25 euros, de l’absence de risque lié à la vaccination et des conséquences toujours redoutables d’une grippe, même standard) – bien sûr, si on additionne tous les coûts de la vaccination, le total est non négligeable (1,5 milliard d’euros) et aurait de fait pu être utilisé à plein d’autres fins, notamment, comme le souligne Jean de Kervasdoué, pour soulager des maladies endémiques dans des pays pauvres. C’est un argument très respectable, mais qui peut s’appliquer à un très grand nombre de consommations (si on additionne tous les repas pris au restaurant par tous les Français sur un an, on peut faire encore beaucoup plus en matière de santé publique dans un pays pauvre – les Français décident de dépenser leur argent en priorité pour eux, on peut le déplorer, mais ça n’est pas une caractéristique particulière de la vaccination contre la grippe). De Kervasdoué développe ensuite un argument contradictoire : la France, en voulant vacciner toute sa population, a prélevé une part des souches de vaccins disponibles dans le monde excédant largement sa part de population mondiale. Soit, mais on ne peut à la fois dire que la vaccination par précaution est une mauvaise décision et dire qu’il faut répartir équitablement la vaccination de précaution. Pourquoi répartir justement ce qui ne sert à rien ?
14Wildavsky, pour sa part, aurait adopté une attitude médiane entre la précaution par principe et le rejet de la précaution pour information incomplète : il aurait commencé par lire la littérature existante sur les épidémies passées de grippe et la mortalité associée et aurait certainement conclu à l’existence de raisons suffisantes pour penser que, chaque année, le risque d’une épidémie dangereuse existe. Il aurait alors examiné la littérature plus spécifique (non typiquement épidémiologique, mais plutôt biologique) permettant de comprendre comment le risque relatif que telle grippe soit dangereuse, notamment en fonction du sous-type de virus, et aurait certainement conclu à l’existence de raisons suffisantes pour penser que la grippe A-H1N1 de 2009 pouvait faire partie des grippes dangereuses. Il aurait alors étudié la littérature sur les effets de la vaccination de la grippe, à la fois les effets secondaires indésirables et l’effet de seuil (à partir de quel pourcentage de vaccinés peut-on considérer que l’épidémie ne pourra se transmettre efficacement ?). Il aurait enfin recueilli l’information sur le prix de la vaccination, ainsi que sur les rationnements quantitatifs potentiels (le vaccin étant un produit biologique, il n’est pas toujours possible d’industrialiser sa production et d’en obtenir autant qu’on peut en vendre). Tous ces éléments lui auraient permis de conclure, de manière sans doute provisoire et dans le cas particulier du virus de 2009, qu’une décision de vaccination systématique gratuite n’était pas nécessairement mauvaise.
15Ces deux livres partagent au total une méfiance vis-à-vis du principe de précaution et suivent une méthode assez similaire : une suite de cas d’étude débouchant sur des principes généraux de gestion du risque environnemental et sanitaire. Pourtant, les conclusions sont radicalement opposées et les cas sont conduits de manière aussi très différente : de Kervasdoué utilise majoritairement son érudition personnelle, Wildavsky nous montre comment acquérir de l’information et détecter des erreurs dans la façon dont la science atteint des conclusions ou dans la façon dont ses résultats sont portés au public. La contribution de Jean de Kervasdoué se lit sans doute plus facilement (son ton polémique contribuant sans doute au caractère dynamique de l’écriture), mais celle de Wildavsky me paraît plus instructive et donne au lecteur une méthode qui lui permettra par la suite de se faire une idée par lui-même, sans dépendre d’un interprète de la République des savants, des risques que font courir à la santé ou à l’environnement diverses activités humaines.
16Michel Grignon, McMaster University (Ontario, Canada)
Notes
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[1]
La plupart des domaines abordés sont éloignés de mon expertise et je ne peux donc juger de l’exactitude de cette érudition. Dans le seul domaine que je connais, l’économie de la santé, je peux affirmer que cette érudition de l’auteur est prise en défaut : p. 48, J. de Kervasdoué cite l’objection de John Nyman aux conclusions de l’expérience sur l’assurance santé de la RAND (un effet de sélection systématique dans l’expérience), mais néglige de citer la réponse, convaincante sur de nombreux points, de Joseph Newhouse, au nom de l’équipe HIE de la RAND qui a mené l’expérimentation. Pourtant, cette réponse figure dans le même journal. Ce que peut dire le lecteur de ces deux articles, c’est que l’expérience de la RAND est peut-être affectée par un effet de sélection, mais que celui-ci a peu de chances de remettre en cause le résultat.
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[2]
Jean de Kervasdoué ne cite pas Wildavsky, mais il faut avouer que personne ne cite jamais Wildavsky, tombé dans un oubli immérité.