CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1La médecine générale (MG) est l’objet des préoccupations croissantes des pouvoirs publics, qui se sont récemment traduites par une meilleure reconnaissance institutionnelle de sa place au sein de l’université comme du système de soins (Bloy, 2010b). Il s’agit officiellement, depuis 2004, d’une spécialité médicale, et la politique en matière de postes aux épreuves classantes nationales (ECN) vise à assurer à cette discipline un effectif d’internes satisfaisant. En dépit de fortes inégalités géographiques et du fait que certains postes ne trouvent pas preneurs, l’internat de MG se positionne globalement bien dans les choix des étudiants (mieux encore dans ceux des étudiantes) (Faure, 2010 ; Fauvet, 2010). Au niveau de l’internat, la moitié environ des étudiants en médecine est désormais inscrite dans cette filière. La formation pratique et théorique spécifique qu’ils y reçoivent n’a cessé de s’étoffer et ils en sortent au bout de trois ans munis du diplôme d’études spécialisées (DES) de médecine générale.

2Dans le même temps pourtant, l’avenir des soins primaires et l’affectation des jeunes médecins issus de l’internat de médecine générale n’ont jamais suscité autant d’inquiétudes et de prises de positions en France. Cette question est devenue éminemment politique, au sens noble du travail d’anticipation et de structuration de l’offre de soins à garantir dans un pays développé, comme au sens des rapports de forces entre les représentants des acteurs impliqués et les pouvoirs publics. Dans ce contexte, sondages et études sur les intentions des étudiants et des jeunes médecins se sont multipliés, pas toujours avec la rigueur souhaitable (Schweyer, 2008). Leurs résultats sont régulièrement convoqués à l’appui du débat sur la question de l’installation des jeunes médecins en médecine générale de proximité. Ce texte entend contribuer à la compréhension des enjeux du renouvellement des médecins généralistes grâce à une enquête sociologique précise sur les parcours professionnels et biographiques effectifs de jeunes diplômés de MG.

3J’ai tout d’abord étudié de manière approfondie, entre 2002 et 2004, l’expérience d’une cinquantaine d’internes (dits alors résidents) de MG au moment où ils rencontraient cette pratique, c’est-à-dire lors du semestre de stage chez le praticien [1] (Bloy, 2004, 2005). Le bilan provisoire, effectué au milieu des années 2000, montrait que la conversion des internes à la MG n’était pas systématique, qu’il s’agisse de leur part d’hostilité à cette médecine ou d’hésitation devant les exigences et contraintes de son exercice, que cela tienne à leur (petite) expérience propre du métier de généraliste ou à des motifs extérieurs. Certains internes concevaient des projets alternatifs, tandis que beaucoup se disaient indécis et peu pressés de se poser en MG. Ils questionnaient les modes d’exercice des généralistes en vigueur et prévoyaient parfois de contourner la médecine générale. Leur devenir apparaissait ouvert et incertain, au point que j’avais qualifié cette phase « d’âge des possibles ». Suivre ces personnes au-delà de l’obtention de leur diplôme de médecin généraliste m’est alors apparu très indiqué pour observer le déroulement effectif de leur insertion professionnelle, en MG ou ailleurs, et comprendre les logiques sociales à l’œuvre dans la formation de leurs parcours.

4Les préoccupations des pouvoirs publics sont venues croiser ce projet sociologique [2], au fur et à mesure qu’une prise de conscience du fait que tous les diplômés de MG n’exerçaient pas cette médecine au sens strict s’opérait. Certains assurent des fonctions médicales diverses en institutions tandis que d’autres, au sein de la médecine libérale, font en sorte de ne pas exercer les soins primaires tout venant, bien qu’ils restent officiellement généralistes. Il n’y a donc pas d’équivalence mécanique entre le nombre de généralistes diplômés et celui des médecins pratiquant effectivement la MG quelques années plus tard [3]. Le constat ne vaut pas que pour les générations fraîchement formées, puisque c’est au moins depuis les années quatre-vingt qu’un nombre important de généralistes rejoint le salariat hospitalier et non hospitalier, ou encore se « quasi spécialise » dans un exercice qui n’est pas de MG [4], mais ce n’est que pour ces dernières qu’il semble en passe d’acquérir un statut de véritable problème public.

5Dans pareil contexte, la méthode du suivi longitudinal permet un approfondissement de l’analyse des itinéraires inégalé par les enquêtes transversales, même lorsqu’elles incluent des questions prospectives ou rétrospectives. Il s’agit ici d’un travail qualitatif : l’échantillon de départ, diversifié sans prétendre à la représentativité, comprenait dix-sept hommes et trente-quatre femmes, répartis sur quatre départements de médecine générale [5] et trois régions. Quarante-six des cinquante et un jeunes médecins de l’enquête initiale ont ainsi pu être rencontrés à deux ou trois reprises, le mode d’investigation privilégié restant l’entretien approfondi en face à face. Au-delà de l’objectivation des positions successivement occupées, cette méthode permet de documenter le contexte des orientations prises, les ressources et contraintes des acteurs, et de solliciter leur réflexivité sur leur parcours, dans une démarche qui se veut compréhensive et jamais normative. À la différence de la plupart des travaux disponibles sur les projets réels ou supposés des jeunes médecins, qui tendent à orienter le questionnement sur les préférences en matière d’emploi et de mode de vie futurs, une grande attention a été prêtée en entretien à l’exploration du contenu et du sens du travail médical tels que les intéressés l’éprouvent et le construisent au fil de leurs expériences. Instruite par une sociologie du travail qui établit toujours ce dernier comme un « ferment majeur des identités » (Lallement, 2007), notre enquête ne pouvait négliger de s’intéresser aux « individualités travaillant » (Zarifian, 2003). Dans le même temps, les personnes ne sont jamais uniquement des travailleurs, il était donc impératif d’élargir le regard pour se donner les moyens de situer les parcours professionnels au sein des parcours biographiques. Les entretiens répétés et peu directifs permettent précisément de circuler de manière souple entre les informations pour reconstituer avec les intéressés les éléments pertinents qui ont pu participer à leur orientation au cas par cas.

6Nous procéderons en deux temps. Dans un premier moment, une mise à plat synthétique des parcours observés est proposée afin de mettre en évidence les logiques sociales qui y ont présidé. Nous ouvrons ensuite sur une analyse du renouvellement de la MG qui lie nos données d’enquête aux enjeux macrosociaux actuels concernant le devenir de la médecine générale et le lien formation/emploi chez les jeunes médecins.

Suivre les parcours des jeunes diplômés et en identifier les logiques sociales

Positions : le vaste champ des possibles

7Un premier niveau de résultats est constitué par la carte des positions occupées au dernier contact, c’est-à-dire cinq à sept ans après la fin de l’internat (sans considérer le moment d’obtention de la thèse). Les personnes de notre échantillon exercent des fonctions qui requièrent le titre de médecin et se trouvent ainsi à l’abri de la concurrence des non-médecins. L’encadré 1 présente la répartition par métiers au sein de l’échantillon.

8Les effectifs sont donnés à titre indicatif, sans qu’il faille leur prêter trop de valeur. Les sex-ratios sont toutefois cohérents avec des tendances bien établies dans les statistiques nationales (Sicart, 2008) : des hommes qui embrassent plus volontiers l’exercice libéral ; le tropisme du salariat pour les médecins femmes ; leur présence majoritaire au sein du salariat non hospitalier. Au-delà des statuts, des effets de genre traversent la cohorte quand on s’intéresse à ce que font et aiment faire les médecins, le discours et les choix des femmes restant plus colorés par le souci général du care.

[Encadré 1] Les métiers exerces au dernier contact par les 51 diplômes de mg (17 hommes/34 femmes)

– Généralistes installés : 11 médecins (6 hommes/5 femmes) (dont 1 à l’étranger et 2 collaborateurs).
– « Quasi-spécialistes » libéraux installés : 3 médecins (2 hommes/1 femme) (nutrition, angéiologie, hypnose).
– Remplaçants MG exclusivement : 4 médecins (femmes).
– Remplaçants MG + médecine d’urgence hospitalière : 2 médecins (1 homme/1 femme).
– Urgentistes de ville libéraux (type « SOS ») : 2 médecins (hommes) (dont 1 avec activité hospitalière simultanée).
– Urgentistes hospitaliers exclusifs : 7 médecins (4 hommes/3 femmes).
– Gériatres : 4 médecins (femmes).
– Psychiatres : 2 médecins (femmes).
– Hospitaliers autres : 7 médecins (femmes) (dont 2 se présentent comme « MG en institution »).
– Salariés non hospitaliers : 7 médecins (6 femmes/1 homme) (3 médecins territoriaux, 2 médecins à la mutualité sociale agricole, 1 médecin de l’éducation nationale, 1 médecin de crèche).
– Inclassables : 2 médecins (1 homme/1 femme) (1 interne de spécialités médicales, 1 qui semble avoir arrêté la médecine).

9Mais c’est avant tout l’extrême diversité des fonctions occupées sur la base du même diplôme de généraliste récemment obtenu qui frappe. Une spécification plus fine des positions fait d’ailleurs apparaître une gamme de statuts, temps et conditions de travail, également étendue : au sein du salariat, il n’y a pas grand-chose de commun entre des personnes titularisées sur des postes de praticiens hospitaliers, poursuivant avec succès une carrière dans la fonction publique, et les attaché(e)s, assistant(e)s, ou contractuel(le)s qui fournissent une main-d’œuvre qualifiée bon marché aux mêmes services ou à d’autres institutions [6], parfois sans perspective d’évolution statutaire ; au sein de l’exercice libéral voisinent les médecins installés et les remplaçants, avec de gros écarts de revenus et de densité de l’activité.

10Le champ des possibles s’avère ainsi remarquablement large, que l’on considère le contenu du métier, les conditions d’emploi, ou simplement les propositions d’emploi que rapportent les intéressés. Pareille ouverture atteste la polyvalence plus que la spécialisation des jeunes diplômés de MG. Elle figure une forme de dérive ou de déviance (Becker, 1985), éventuellement inquiétante, par rapport aux objectifs des enseignants de MG comme des pouvoirs publics d’affirmer aujourd’hui le centre de gravité de la discipline du côté des soins primaires ambulatoires et de réaliser l’ancrage des jeunes en leur sein. Dans le même temps pourtant, elle s’inscrit largement dans la continuité des compétences développées durant l’internat de MG au fil des différents stages [7]. Ce que les internes apprennent en MG ne borne donc à aucun moment leur horizon professionnel, d’autant qu’ils fréquentent de stage en stage des services hospitaliers variés qui stimulent leur appétit de formations complémentaires et sollicitent leur capacité d’adaptation et de résistance à des charges de travail nouvelles et généralement élevées. La découverte de la MG vient en plus, ajoute une corde à leur arc, provoque plus ou moins d’enthousiasme, sans les contraindre sérieusement par rapport à l’avenir.

Les logiques sociales des parcours observés

11Au-delà des points de stabilisation (plus ou moins durable) atteints lors du dernier contact, ce sont encore les manières de cheminer entre les positions successivement occupées, à partir du projet ou de l’indétermination initiale, qui divergent. C’est précisément sur cette formation des parcours et des décisions que l’approche compréhensive et longitudinale révèle sa capacité heuristique. Même si la place manque ici pour le montrer sur le détail des entretiens, l’ajustement du questionnement dans l’instant de la conversation permet la meilleure reconstitution possible des circonstances précises dans lesquelles telle bifurcation est intervenue à tel moment d’un itinéraire [8]. De plus, la durée et la répétition des entretiens entre les deux mêmes personnes multiplient les chances d’accéder à des strates moins immédiates, car plus enfouies ou moins assumées, de l’expérience des médecins [9]. Si le bénéfice pour la compréhension individualisée des parcours singuliers est indéniable, l’exercice de mise en ordre synthétique des parcours dans une sorte de biographie collective n’en est que plus compliqué.

12Un premier constat est que les parcours ainsi appréhendés n’obéissent pas à un principe moteur unique, à quelque facteur général qui rendrait pour l’essentiel prévisibles les destins au sein de la population étudiée. Toute généralisation en la matière serait abusive. Par exemple, la vocation tôt arrêtée pour telle ou telle forme de soin n’opère que pour une petite partie de l’effectif ; mais la maximisation des bénéfices individuels ou la minimisation des efforts, chères aux économistes néo-classiques, ne rendent pas mieux compte de l’ensemble des décisions considérées. Il n’y a pas davantage, dans notre corpus, de modèle dominant de parcours mais plusieurs formes ou « allures » que nous avons pu organiser de manière inductive (Glaser et Strauss, 2010 ; Demazière et Dubar, 1997) en cinq types. Ces types sont a priori indépendants du point d’arrivée que constituent le métier ou le statut relevés au dernier contact.

[Encadré 2] Les types de parcours

– Les « fidèles » (parcours linéaires conformes aux intentions formulées au premier entretien, en médecine générale ou ailleurs).
– Les « reconvertis engagés » (vers une pratique qui n’était pas distinguée au premier entretien mais est venue ensuite éclipser toutes les autres).
– Les réorientations contingentes opportunes (par hasard et essais/erreurs, jusqu’à stabilisation dans un métier qui convient).
– Les réorientations réactives (en réaction à une pratique éprouvée dont on ne veut plus).
– Les parcours incertains (sans ligne directrice ni stabilisation évidentes).

13L’allure des parcours est-elle susceptible d’interférer avec les chances d’une stabilisation ou non des jeunes médecins en MG plutôt qu’ailleurs ? Sur la cinquantaine de cas suivis, nous en faisons l’hypothèse : il ne semble pas y avoir d’indépendance entre la manière dont les jeunes diplômés vont d’un emploi à l’autre en début de carrière et leurs chances de se poser en MG stricto sensu. Comprendre comment des jeunes diplômés se saisissent des opportunités d’emploi et les expérimentent, le sens qu’ils donnent à leur cheminement dans des métiers médicaux, puis mettre le tout en regard de ce que signifie une stabilisation en MG de proximité, dans ses modalités actuelles, peut éclairer d’un jour nouveau une certaine désaffection de cette médecine. Reprenons donc les types proposés, avec une vigilance particulière quant aux effets « MG-fuges » ou « MG-pètes » qu’ils induisent.

14Les « fidèles » n’ont guère d’histoire, du point de vue retenu ici, puisqu’ils réalisent leur attrait pour la médecine dont ils nous avaient parlé dès le premier entretien. Ce peut être la MG, auquel cas ils remplacent puis s’installent rapidement, mais ce peut-être tout autre chose (la psychiatrie, la médecine d’urgence, la nutrition …). Ils se dépêchent alors d’acquérir tous les titres nécessaires pour consolider et rendre inattaquable leur nouvelle orientation. On trouve parmi eux les « malgré nous » les plus radicaux [10] de la médecine générale qui, après avoir subi du fait de leur échec à l’internat une orientation vers une médecine dans laquelle ils ne se sont jamais reconnus, exploitent une marge de manœuvre attendue une fois leur diplôme en poche.

15Les « reconvertis engagés » ont trouvé leur orientation après l’entretien initial puis s’y sont tenus avec constance. On peut distinguer en leur sein des convertis « corps et âme », qui après avoir apprécié leur expérience en MG ont été captés par la découverte d’une autre forme d’exercice (les urgences, les soins palliatifs), et des reconversions davantage motivées par la recherche précoce d’une porte de sortie de la MG vers un exercice spécialisé (d’angéiologie, d’hypnose médicale) qu’ils n’avaient pas initialement distingué et qu’ils se sentent mieux à même d’assumer ou jugent moins contraignant. Ces parcours sont tous durablement MG-fuges.

16Les « réorientations contingentes opportunes » ne procèdent pas d’une décision ferme a priori d’engagement vers tel ou tel type de médecine. Fonction des opportunités rencontrées, elles laissent plus de place aux rencontres, au hasard (largement soutenu par le réseau professionnel et personnel), à l’expérimentation, ce qui n’empêche pas une stabilisation durable dans un exercice que le premier entretien ne permettait pas de prévoir. Cette modalité de (ré)orientation (importante dans le corpus, notamment lors des premiers temps de l’insertion professionnelle) s’accorde bien avec une norme générationnelle dont Céline Van de Velde (2008) a fait l’analyse au sein de la jeunesse européenne : valorisation de l’ouverture et de l’exploration des possibles, report de l’engagement, déconsidération (particulièrement en France) de ce que représente l’installation dans la vie adulte et du « définitif imposé ». Or, dans la France des années 2000, un diplôme de médecine générale constitue une ressource exceptionnelle pour qui veut enfin « se trouver » en donnant libre cours à des envies de mobilité et d’expérimentation professionnelle, après la longue période contrainte des études médicales. S’il n’y a pas forcément refus de la MG de la part des personnes engagées dans ce type de parcours, il y a refus d’un mode de stabilisation qui paraît peu réversible, et cela aboutit à une tendance « MG-fuge » : une installation en MG, même dans les conditions économiquement peu risquées d’aujourd’hui, reste un acte symbolique lourd qui engage. Cela s’accorde mal avec ce modèle de cheminement labile et contingent vers une position dans laquelle la stabilisation n’est pas activement recherchée mais peut venir de surcroît.

17Les parcours marqués par une « réorientation réactive », enfin, comportent un moment de nette discontinuité, en réaction aux tensions vécues dans la forme d’exercice médical précédemment expérimentée. La réorientation correspond à un dégagement par rapport à un contexte professionnel devenu délétère pour l’équilibre personnel. Les parcours regroupés ici sont MG-fuges lorsqu’ils correspondent à l’arrêt de remplacements de MG de la part de médecins qui se réorientent vers diverses fonctions de médecine salariée non hospitalière, jugées moins exigeantes en termes de responsabilité individuelle, davantage compatibles avec une vie de famille, et éventuellement plus intéressantes. On peut également rattacher à ce type le renoncement à la MG suite à une ou des tentatives d’installation bien engagées puis avortées, qui conduit à s’engouffrer dans un tout autre type de poste pour tourner la page de l’intégration du milieu libéral jugé décevant.

18Nous n’explorerons pas ici les parcours « incertains » qui constituent la catégorie la plus hétérogène et la plus difficile à qualifier, si ce n’est pour dire qu’ils peuvent difficilement faire bon ménage avec ce qu’une installation en libéral suppose de construction autonome et durable de son outil professionnel, dans des choix qui imposent forcément des renoncements (notamment dans les premiers temps).

19Au final, la dynamique interne des parcours peut éclairer une partie des « fuites » hors de la MG. Si elle ne pèse guère sur les destins professionnels de ceux qui ont tôt senti que la MG leur convenait ou pas, ou qui ont « succombé » à une autre forme de médecine (rencontrée en stage d’internat ou plus tard) qui leur était accessible, elle contribue à en éloigner bien des indécis qui varient les exercices professionnels sans hostilité à la MG, qu’ils peuvent d’ailleurs pratiquer avec plaisir et intérêt un temps, sous forme de remplacements. Qu’une partie de ceux-là finisse par s’en détourner tient à la concurrence de formes salariées d’exercice médical, à des considérations de fond sur le contenu de la MG (elle peut lasser, paraître trop ou pas assez exigeante, selon les dispositions intellectuelles et relationnelles des uns ou des autres), mais aussi à des caractéristiques liées aux modalités de son exercice libéral en France, qui sont donc plus contingentes en dépit de leur ancrage historique et culturel (Bloy, 2010a) : l’isolement dans l’exercice quotidien du métier comparé au partage et à la stimulation que permet le travail au sein d’une (bonne) équipe ; les réactions peu confraternelles essuyées par certains jeunes diplômés formés aux derniers standards de pratique, qui semblent parfois déranger des habitudes locales de prise en charge ; les difficultés à développer une activité de médecine générale à temps partiel dans de bonnes conditions tout en poursuivant par ailleurs une carrière salariée, comme beaucoup l’aimeraient.

20Par construction, une entrée par une sociologie compréhensive des parcours professionnels et biographiques prend au sérieux le travail d’autodéfinition que réalisent les jeunes médecins en fonction des ressources et contraintes spécifiques qui sont les leurs, elle considère avec intérêt les dimensions subjectives du processus de construction d’une identité professionnelle. Mais la tâche du sociologue ne s’arrête pas là, il faut encore ouvrir sur « le système », c’est-à-dire sur la manière dont ces parcours interfèrent avec les problématiques macrosociales actuelles concernant le renouvellement de la médecine générale.

Le renouvellement de la médecine générale et de ses praticiens : quels enseignements ?

Le devenir de la médecine générale, d’une génération à l’autre : des mouvements passablement divergents

21Que l’on considère la discipline MG, sa reconnaissance et son institutionnalisation, ou les dispositions et cheminements des jeunes praticiens, des évolutions importantes sont en cours, qui questionnent nombre d’évidences sur les contours et la place de cette médecine. La convergence des différents mouvements n’est toutefois pas acquise, puisque la récente promotion de la MG comme spécialité et discipline universitaire risque d’achopper sur la conversion des jeunes médecins à une pratique de MG stricto sensu, du moins dans les conditions de son exercice traditionnel en France. Toutes les personnes de la cohorte ont été en contact avec la MG et ses praticiens [11]. Les jeunes médecins n’ont indéniablement jamais été aussi bien préparés à la MG, mais après le temps de l’internat, de plus en plus long, consistant, et sans doute pertinent, vient celui où s’épanouissent des logiques d’action autonomes. Le contraste entre les contraintes subies pendant une dizaine d’années par ces jeunes adultes et l’espace des possibles qui s’ouvre ensuite paraît structurel. Il sort même renforcé des mesures venues alourdir et rigidifier le troisième cycle de MG ces dernières années.

22Quelle place tient la médecine générale libérale classique, « tout venant » et de proximité, dans les années qui suivent l’internat ? Si l’installation fait hésiter, les remplacements en MG conservent une place non négligeable dans le processus d’exploration professionnelle par lequel passent la plupart des jeunes médecins de la cohorte. Dans une phase où ils entendent prendre de l’assurance en complétant leur formation pratique, s’essayer à différents contextes de travail tout en poursuivant leur établissement conjugal et familial, les remplacements jouent un rôle indéniable dans la « construction normative » qui permet de se faire une idée des métiers et d’affiner ses critères de choix (Levasseur et Schweyer, 2004 ; Schweyer, 2010b). Sur les quarante-six diplômés dont nous avons suivi les parcours, trente et un ont ainsi une expérience consistante des remplacements. Parmi ces derniers, onze se sont installés en MG, six remplacent toujours (parfois de manière permanente dans un cabinet, parfois en combinaison avec d’autres formes d’exercice), mais quatorze se sont complètement détournés de la MG libérale. Ce dernier chiffre montre l’insuffisance d’une explication de la désaffection de cette médecine par le seul manque de connaissance qu’en ont les jeunes du fait d’une formation hospitalo-centrée : on peut aussi s’éloigner de cette médecine en connaissance de cause, après s’y être véritablement essayé. Le rapport à l’exercice libéral et au monde social de la médecine libérale est loin d’être homogène, parmi ceux qui s’y installent comme parmi ceux qui s’en détournent, mais des éléments de critique récurrents sont formulés par beaucoup : citons la difficulté à travailler seul, à contrôler son temps de travail et son investissement, à aménager les formes de la dépendance aux patients de manière à résister aux dérives d’une médecine commerciale tout en les éduquant à un recours pertinent au généraliste. Devoir assumer la gestion de l’entreprise médicale, en relation avec les administrations et tutelles, est unanimement redouté, bien que la situation des remplaçants soit assez simple de ce point de vue. Une fois le pas franchi, soulignons que les installations effectives se passent finalement très bien dans notre échantillon. C’est l’enthousiasme pour le métier et nullement la plainte qui domine alors les entretiens.

23Une dizaine de personnes de la cohorte sont justement installées en MG, celles-là sont-elles alors généralistes à la manière de leurs aînés ? Nos observations sont en faveur d’un renouvellement bien tempéré plutôt que d’un effet de génération majeur qui tournerait le dos aux façons de pratiquer anciennement établies en MG libérale. Trois profils de jeunes médecins généralistes installés ont pu être distingués : un profil « critique vigilant autonome » (le plus exigeant intellectuellement, le plus indépendant, le plus critique aussi sur l’environnement professionnel que constitue le milieu de la médecine libérale) ; un profil « collégial intégré » (pour lequel le partage du métier au sein d’un véritable groupe affinitaire est le moteur quotidien de la mobilisation professionnelle) ; et un profil « libéral conventionnel classique » (qui se fond bien dans son environnement). La révolution, parfois rapidement annoncée, de jeunes praticiens prêts à bousculer les manières traditionnelles d’exercer, prompts à l’innovation organisationnelle (dont les maisons médicales constituent aujourd’hui le paradigme en vogue), n’a pas vraiment eu lieu dans notre échantillon. La modestie de l’effectif oblige à la prudence, mais nous n’avons guère rencontré, au fil de nos enquêtes, de jeune généraliste en pointe sur la refondation de l’organisation des soins primaires ou du practice management. Deux questions se posent alors : tout d’abord, les études médicales, dans leur format actuel, équipent-elles les praticiens fraîchement formés pour (re)penser les mouvements historiques et sociétaux dans lesquels ils s’inscrivent, ou pour concevoir par exemple davantage que leurs aînés la qualité en termes organisationnels et contracter sur cette base avec les tutelles ? Il est permis d’en douter, la charge de l’apprentissage clinique et la problématique du soin individuel restant dominantes, la connaissance du contexte institutionnel comme les apports des sciences sociales réduits à la portion congrue, même dans l’apprentissage d’une MG qui se revendique d’un paradigme « bio-psycho-social » (Bloy et Rigal, 2010). Il faudrait ensuite savoir si les critiques de l’organisation actuelle des soins primaires sont portées par des jeunes qui font malgré tout le choix de la MG ou par d’autres, qui y renoncent plus ou moins à regret. Ce point ne peut être tranché, mais certains des jeunes médecins qui semblaient déterminés et mobilisables sur les questions organisationnelles [12] se sont détournés chemin faisant de la MG classique, par exemple pour exercer en institution ou faire de la médecine d’urgence de ville.

24Cela nous conduit à poser la question d’une possible redéfinition des frontières de la médecine générale. Une certaine « déspécialisation » n’est-elle pas en cours, qui prendrait à contresens le mouvement engagé dans les facultés pour spécifier la MG, en la distinguant justement de toute autre pratique médicale ? Elle est portée de façon pragmatique par une partie de la génération montante qui envisage la pratique de la MG ailleurs qu’en consultation ambulatoire en cabinet. Plusieurs personnes de la cohorte, loin de se considérer comme « perdues » pour la MG, valorisent d’ailleurs leur identité et leurs compétences de généraliste en se revendiquant d’une MG déplacée dans d’autres cadres : par exemple dans un établissement psychiatrique, ou encore dans tel service hospitalier pointu au sein duquel elles réinventent une forme d’accompagnement global des patients dans la liaison entre l’institution, leur médecin traitant et leur domicile. Quelques autres parviennent à maintenir durablement un poly-exercice, en cabinet et en institution, et beaucoup évoquent leur rêve de pouvoir évoluer entre l’ambulatoire et l’hospitalier sans avoir à subordonner une activité à l’autre ni être entravés par un cumul de statuts malcommode ou par des considérations de rentabilité, vite envahissantes en cas de faible activité libérale. L’opposition ville/hôpital n’est pas structurante dans leurs représentations comme elle l’est pour beaucoup de leurs aînés. Si elles ne prennent pas la forme d’un mouvement social visible, ces velléités de diversification et de redéfinition partielle de ce qu’être généraliste veut dire questionnent, pour l’instant à bas bruit, de nombreuses rigidités de l’organisation actuelle des soins et de l’emploi médical.

Le lien formation/emploi pour les jeunes diplômés de médecine générale

25À l’issue des études médicales, aucune institution ne détient aujourd’hui le pouvoir d’ancrer les jeunes diplômés en MG stricto sensu. Les propositions alternatives d’emploi affluent, tandis que les logiques sociales à l’œuvre dans la construction des parcours débordent de beaucoup le projet des institutions socialisantes ou des autorités sanitaires. L’autonomie des médecins de la cohorte pour conduire leur insertion professionnelle comme ils l’entendent est ainsi à première vue remarquable. Cette situation très favorable tient moins à leurs caractéristiques propres qu’à la conjonction exceptionnelle de trois éléments : les capacités d’adaptation et d’acquisition des compétences supplémentaires qu’ils ont développées ; un « marché » [13] du travail médical porteur, sur lequel les opportunités sont multiples ; la stabilité de la valeur de leur titre à travers le temps et les contextes. Le lien formation/emploi en MG apparaît ainsi souple et fort à la fois : souple de par la diversité des possibilités et fonctions auxquelles le diplôme donne accès, fort parce qu’il protège de la concurrence des non-médecins, et parce que ses détenteurs sont crédités de compétences et savoir-faire universels. La valeur de leur titre semble de surcroît remarquablement protégée des risques d’érosion, même en cas d’exercice limité ou discontinu (Hardy-Dubernet, 2005). Ces conditions tranchent incontestablement avec celles vécues par la plupart de leurs contemporains, aussi diplômés soient-ils. Cela alimente les incompréhensions et les critiques dont les choix des jeunes médecins peuvent être la cible, mais il serait dommage de limiter l’analyse à cette objectivation des conditions privilégiées de choix d’un métier, alors que notre matériau permet d’affiner la saisie du processus d’autonomisation par lequel ces jeunes adultes construisent puis stabilisent leur identité médicale propre. Après une phase durant laquelle leur devenir a été fortement contraint et même déterminé par des procédures de sélection et d’orientation aussi exigeantes qu’aveugles à ce qui pouvait les motiver ou leur correspondre intimement en médecine (Hardy-Dubernet, 2009), ce processus mérite selon nous d’être pris au sérieux plutôt que méprisé. D’ailleurs, la littérature récente de sciences sociales y invite.

26Au-delà du phénomène générationnel saisi par Céline Van de Velde (2008), sur lequel nous ne reviendrons pas, le processus identitaire par lequel les jeunes médecins se cherchent et finissent (en règle générale) par se trouver gagne ainsi à être considéré à la lumière des travaux de Claude Dubar sur la quête d’identité dans une société où les formes antérieures d’identification durable à des rôles établis ou aux « nous communautaires » sont déstabilisées (Dubar, 2000). Il ne s’agit pas ici de nier que les jeunes médecins trouvent dans le contexte actuel des moyens et opportunités enviables de réaliser cette entreprise de découverte subjective de leur moi professionnel, mais de souligner que ce processus d’autodéfinition est loin de n’engager qu’un opportunisme égoïste centré sur le confort de vie, la minimisation des efforts ou la poursuite des intérêts privés – ce que laissent un peu vite imaginer les enquêtes qui se dispensent de les faire parler du travail médical. Comme le montre Claude Dubar, se rendre aveugle à ce que les acteurs contemporains engagent dans leur quête biographique de réalisation et de développement personnel revient à se méprendre profondément sur les exigences de signification du lien sociétaire moderne, qui ne se résume pas à l’intérêt individuel mais inclut des coopérations choisies et des devoirs librement consentis dans une recherche de reconnaissance mutuelle [14]. Chez les médecins étudiés, cette quête touche presque toujours à la question du sens que les jeunes médecins trouvent et mettent dans le soin et la médecine, aux incertitudes qu’ils peuvent assumer ou non (Bloy, 2008), aux ambitions et limites qu’ils se donnent dans la prise en charge de patients. Le suivi de l’élaboration subjective du type de médecin qu’ils veulent devenir, de leur « moi » voire de leur « surmoi » médical, donne à voir un engagement généralement fort en médecine, mais oblige aussi à admettre une pluralité signifiante des valeurs et des fins poursuivies dans l’activité soignante. Les idées qu’ils ont de la bonne vie comme de la bonne médecine, et de ce qu’ils veulent accomplir en propre, divergent en effet. Ce point est à rapprocher des enseignements d’Amartya Sen, précisément attaché à cette liberté des personnes de choisir le mode de vie et de pouvoir développer des modes de « fonctionnements » (au sens d’accomplissements) humains fondamentaux, ceux qu’elles ont de bonnes raisons d’apprécier entre des opportunités de valeur réellement accessibles (Sen, 2003 ; Zimmermann, 2008). À cet égard, les modalités de réalisation et d’évolution professionnelles observées pourraient bien constituer un des rares cas empiriques où l’approche par les capabilities d’Amartya Sen trouve à s’incarner.

27La « logique des compétences », qui prône une sécurisation dynamique des parcours, articulant dans le même projet la flexibilité des organisations et les aspirations évolutives des sujets au travail, en représente une variante managériale. Des sociologues ont tenu à la considérer, nonobstant une certaine distance critique, pour ce qu’elle recèle de réelle innovation dans la manière de concevoir l’enrôlement des personnes au service des organisations en mobilisant leur capacité d’engagement subjectif au travail (Reynaud, 2001 ; Boltanski et Chiapello, 1999). Nombre de jeunes médecins semblent effectivement agir aujourd’hui en « entrepreneur de soi », s’engageant pour faire évoluer leurs compétences et leur employabilité au-delà de leur qualification initiale de généraliste. Ils ne se vivent pas comme assignés à la MG, mais libres d’inventer leur mobilité entre des fonctions médicales, au fil des opportunités rencontrées et dans une logique de responsabilité de chacun par rapport à sa propre trajectoire de développement professionnel. Ils réalisent ainsi pour leur compte (et sans le savoir) ce qui nous est présenté depuis une dizaine d’années comme l’avant-garde du management de compétences en perpétuel renouvellement dans un univers lui-même flexible, sans dommage pour leur sécurité dans la mesure où le bénéfice des qualifications acquises et le monopole d’exercice ne sont pas contestés.

Une régulation des affectations à repenser ?

28Pareille entreprise de soi dans la vie professionnelle, aussi valorisée soit-elle dans le discours managérial du moment, et sensée dans le cadre d’une analyse sociologique des parcours de vie d’une fraction privilégiée des jeunes générations, ne garantit évidemment pas une couverture spontanée des besoins sanitaires sur tout le territoire. Cela préoccupe à juste titre les pouvoirs publics, la question de la régulation de l’affectation des jeunes diplômés dans les lieux et les fonctions médicales où ils sont jugés indispensables se posant avec de plus en plus d’insistance. Certains appellent de leurs vœux une politique publique qui viendrait rigidifier la relation formation/emploi et contraindre plus autoritairement les diplômés à un exercice en MG, de préférence dans une zone déficitaire. À supposer qu’elle devienne politiquement assumable vis-à-vis de la profession, et surtout réalisable sans provoquer un phénomène contreproductif de fuite des jeunes hors de la filière MG voire de l’exercice clinique, que peut-on en penser au vu des positions et parcours observés ?

29Il faut d’abord rappeler qu’absence de régulation publique ou de pilotage des affectations après l’internat ne veut pas dire absence ou discrétion des pouvoirs publics. Nous sommes loin du laisser-faire quand la puissance publique, dans ses émanations diverses, organise la formation des médecins, définit les services hospitaliers dans lesquels les internes de MG doivent travailler, protège le monopole d’exercice, rend solvable le marché de la médecine libérale par un conventionnement non sélectif des praticiens et, au final, recrute ici et là des généralistes. Tous les médecins de la cohorte qui n’exercent pas en libéral sont des salariés du secteur public ou parapublic (privé participant au service public hospitalier, mutualiste, etc.). La puissance publique les embauche pour couvrir les besoins sanitaires qu’elle a identifiés et contribue, ce faisant, à les éloigner de la médecine générale stricto sensu. N’est-il pas alors problématique de se focaliser sur la question du renouvellement de la force de travail en MG sans considérer plus avant les nombreuses autres missions de service public que remplissent ces jeunes médecins, autrement dit sans une vision plus large du système de vases communicants sur lequel on prétend agir pour « rhabiller » demain la médecine générale ? Peut-on continuer à concentrer la critique sur les comportements et préférences des jeunes diplômés quand tout un système de postes et d’emplois, principalement public, est en cause ?

30Les descriptions et analyses des marchés professionnels de la médecine dont nous disposons sont insuffisantes, et notre enquête sur ce point ne procède que par coups de sonde au fil des emplois occupés par nos informateurs. Elle permet toutefois d’attirer l’attention sur les conditions inégales de ces emplois salariés qui captent les généralistes en début de carrière. Elles sont loin d’être toujours avantageuses, au point que les disparités de traitement de cette jeune main-d’œuvre invitent à une analyse en termes de dualisme du marché du travail médical (Doeringer et Piore, 1971). Sur une partie de ce marché, la médiocrité relative des statuts (d’assistant, de contractuel …) et des rémunérations (qui peuvent tomber en deçà de celles que touchaient les intéressés en fin d’internat), alliée à l’absence de perspective d’évolution à moyen terme dans la place, autorise à parler d’emploi médical dégradé. La référence aux travaux de Peter Doeringer et Michael Piore est certes approximative d’un point de vue analytique [15], les intéressé(e)s pouvant à tout moment quitter un segment du marché qui ne valorise pas correctement leurs compétences ou leur engagement pour rejoindre, sans réelles difficultés, le marché « primaire ». Cela n’empêche pas ce segment dégradé de retenir plusieurs années de jeunes médecins fortement engagés dans leurs responsabilités cliniques mais prêts à s’accommoder d’un sous-statut. Sans grande surprise, ces médecins se trouvent être dans notre échantillon exclusivement des femmes. Cette observation pose, d’une part, la question de la reconnaissance de leur travail médical et de l’équité de la gestion du personnel médical dans des organisations aussi différentes qu’un service hospitalo-universitaire prestigieux ou un conseil général ; d’autre part, elle ne prend sens que dans le cadre de rapports de genre banalement inégalitaires au sein des couples comme du monde professionnel.

31Les rapports sociaux de genre réduisent ainsi de manière saisissante l’espace des possibles en matière d’investissement professionnel pour la majorité des jeunes femmes de la cohorte, qui vivent en couple hétérosexuel avec un conjoint appartenant aux franges supérieures de la catégorie cadres et ont de jeunes enfants. Bien au-delà du temps des grossesses, les contraintes induites à cet âge de la vie par la fondation d’une famille se concentrent sur elles de manière asymétrique. Les exceptions existent (notamment dans les quelques cas d’hypogamie, c’est-à-dire de position professionnelle moins favorable du conjoint masculin), mais la configuration dominante reste celle d’une hiérarchisation des carrières comme des revenus au sein des couples, au bénéfice de la carrière masculine et de la mobilité qu’elle impose le cas échéant. Le paradoxe est que la facilité avec laquelle ces jeunes femmes médecins généralistes trouvent à s’employer en tout point du territoire contrarie la prise en compte de leur activité sur un pied d’égalité au sein du couple. Cela aboutit à ce que ces femmes détiennent une sorte de monopole sur le marché dégradé du travail médical [16]. En l’état des contraintes inégales que les arrangements familiaux font peser sur elles, toute réforme venant contraindre les conditions d’affectation géographique des jeunes médecins devrait se soucier des risques de discrimination indirecte que cela présenterait pour les jeunes femmes, tant que les disponibilités respectivement familiale et professionnelle ne sont pas` construites de manière symétrique dans les couples et que la valorisation du travail médical reste aussi inégale [17]. L’absence d’une régulation publique explicite des affectations des jeunes médecins ne doit donc pas laisser imaginer qu’il n’y aurait pas de régulation sociale et que les individus seraient également libres de poursuivre et réaliser leurs désirs professionnels en toute autonomie.

Conclusion

32Prendre le temps de suivre le détail des parcours dans une démarche sociologique longitudinale permet de déconstruire certaines généralisations hâtives sur les comportements, motivations et valeurs des jeunes médecins. Les éléments recueillis résistent à l’imposition d’une grille de lecture unique, comme ils résistent à une lecture morale manichéenne opposant les personnes ou les générations vertueuses, pénétrées des valeurs altruistes associées à la médecine, aux autres.

33Qu’on le regrette ou qu’on s’en félicite, les diplômés de MG ont « du potentiel » : ils sont aptes à exercer un grand nombre de fonctions médicales dans des contextes variés, valorisent cette ouverture, découvrent des opportunités d’exercice qu’ils jugent stimulantes même si elles ne sont pas toujours assorties de conditions statutaires et financières optimales. Le constat de leur polyvalence paraît sans appel, indépendamment de la dynamique de constitution et de reconnaissance d’une spécialité médecine générale. Cette diversité de parcours et de positions gagne à être envisagée en lien avec l’analyse du « marché » et du « système », en prenant bien la mesure du périmètre d’acteurs et de dispositifs qui concourent à éloigner les jeunes diplômés de l’exercice de la médecine générale stricto sensu avant d’espérer articuler une politique publique réaliste.

34L’analyse compréhensive, réintroduisant les dimensions subjectives et identitaires personnelles, vient en complément de ce travail d’objectivation. Elle rend justice au processus complexe du « devenir un professionnel autonome », en le situant dans celui du « devenir adulte » contemporain et en le référant aussi aux transformations en cours des identités professionnelles et personnelles. S’agissant de soignants, elle réintroduit la diversité des dispositions psychiques, cognitives et relationnelles des acteurs impliqués dans les différentes formes de travail médical et confrontés à ce que (bien) soigner veut dire pour eux. Raisonner sur l’allocation d’une main-d’œuvre médicale abstraite et désincarnée est sans doute plus commode, mais les ajustements à trouver ne sont pas que quantitatifs et les décisions collectives ont aussi à considérer la qualité du travail telle que la vivent les protagonistes du soin.

Notes

  • [*]
    Sociologue, maître de conférences à l’université de Bourgogne, membre du LEG, UMR CNRS 5118.
  • [1]
    La génération concernée n’a pas connu les ECN. Le résidanat de MG était la voie de ceux qui ne passaient le concours de l’internat ou qui y échouaient. Le stage chez le praticien, obligatoire au cours du troisième cycle de MG depuis 1997, consiste en un semestre passé au cabinet de médecins généralistes, avec mise en autonomie progressive. La recherche initiale portait également sur les maîtres de stage et les enseignants de MG, ce qui m’a conduit à considérer le mouvement par lequel ces derniers ont progressivement introduit cette médecine dans les facultés, défini les contenus à transmettre, et œuvré pour qu’elle devienne une spécialité reconnue (Bloy, 2010b).
  • [2]
    Ce travail a été rendu possible par un financement de la DREES du ministère de la Santé.
  • [3]
    Entre 1995 et 2005, le nombre de diplômés de MG a ainsi augmenté de 6,9 % tandis que celui du nombre de médecins pratiquant une médecine de premier recours de proximité stagnait (ONDPS, 2008).
  • [4]
    Au point que, sur les quelque 105 000 diplômés de MG aujourd’hui en exercice, environ la moitié exerce la MG ambulatoire, les autres se consacrant à d’autres fonctions (Schweyer, 2010a).
  • [5]
    Ces départements sont les structures en charge de la formation en MG au sein de chaque faculté de médecine.
  • [6]
    En protection maternelle et infantile, au Planning familial, en médecine scolaire, ou dans les services départementaux en charge de l’allocation personnelle d’autonomie pour les personnes âgées dépendantes, etc.
  • [7]
    Pour la génération étudiée, la formation pratique du troisième cycle de MG consistait en cinq ou six semestres de stage avec passage obligé en cabinet de MG et dans trois types de services hospitaliers (médecine d’adultes, d’urgence, pédiatrie ou gynécologie). Un interne de MG raisonnablement compétent et motivé reçoit habituellement des propositions d’emploi dans quelques-uns des services où il effectue ses stages – propositions assorties de statuts plus ou moins enviables.
  • [8]
    Quel type de rencontre ou d’information (recherchée, obtenue, évaluée comment) ? À quel stade de la carrière antérieure (sens de la médecine pratiquée et de la situation d’emploi pour le sujet, satisfactions ou frustrations accumulées, événements professionnels marquants, tournant dans l’organisation d’un service, etc.) ? Quelles alternatives sérieusement formulées et considérées ? Quels événements concomitants dans les autres registres de la vie personnelle (emploi du conjoint, projet immobilier ou de grossesse, mode de garde des jeunes enfants, santé des ascendants, accidents de la vie, etc.) ? Faute de pouvoir approfondir ce grain des portraits sociologiques individuels (Lahire, 2002), nous nous permettons de renvoyer le lecteur au rapport de recherche (Bloy, 2011) disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.sante.gouv.fr/jeunes-diplomes-demedecine-generale-devenir-medecin-generaliste-ou-pas.html.
  • [9]
    L’entretien sociologique ne se confond pas dans mon esprit avec un entretien clinique. Lorsque l’écoute est de qualité et la confiance établie, il est néanmoins généralement l’occasion d’un retour réflexif sur la construction de soi en tant que médecin à travers un certain nombre d’épreuves professionnellement et personnellement déterminantes. Les récits de décès de patients dans des circonstances qui n’épargnent pas au médecin une remise en cause profonde et un doute sur sa capacité à continuer à assumer la responsabilité clinique sont des moments emblématiques de ce processus.
  • [10]
    Radicaux car ils s’étaient positionnés d’entrée de jeu sur un refus de l’enseignement de MG et s’y sont tenus durant les années de cursus imposé, même s’ils sont parfaitement capables de satisfaire formellement toutes les exigences d’apprentissage. Leur passage en MG est le produit d’une procédure d’affectation (le concours de l’internat de l’époque, mais les ECN n’ont pas bouleversé la donne sur ce point) indifférente aux dispositions des futurs internes, au point d’engager certaines personnes dans une filière pour laquelle elles n’ont que mépris (Hardy-Dubernet, 2009).
  • [11]
    Tard certes dans leur cursus, puisque, à la différence des promotions actuelles, elles sont peu nombreuses à avoir bénéficié d’un stage de découverte dès le deuxième cycle.
  • [12]
    Encore ces quelques jeunes se présentaient-ils comme très influencés par un « mentor » (qui se trouvait être un homme quinquagénaire … de leur famille, ou de leur département de formation), lui-même en pointe sur ces questions.
  • [13]
    Le terme est employé dans ce texte dans une acception lâche, nous ne sommes évidemment pas en présence d’un fonctionnement concurrentiel d’ajustement de l’offre et la demande par les prix.
  • [14]
    « L’engagement personnel dans un apprentissage expérientiel, la construction d’un projet professionnel, qui soit assez souple pour s’adapter aux contraintes du marché de l’emploi mais assez ferme pour impliquer une argumentation convaincante et s’appuyer sur des réalisations “à soi”, constituent des formes de rapport au travail qui tranchent avec un destin collectif imposé par un type de diplôme ou une reproduction familiale. Comprendre l’insertion ou les trajets professionnels nécessite d’analyser bien plus que le “niveau de diplôme” et de déchiffrer la signification accordée au travail et les transactions mises en œuvre, par “soi-même”, avec les partenaires de la relation d’emploi. » Claude Dubar invite aussi à « recueillir des paroles sur ce qui justifie des pratiques (ou refus de pratiques) à soi et des “positions”, inséparables d’engagements, décidées par soi-même » (Dubar, 2000, p. 197).
  • [15]
    Je remercie Jean-Daniel Reynaud et Michel Grignon de m’avoir alertée sur le manque de rigueur de mes formulations initiales. Nous ne sommes pas en présence d’un spot market sur lequel la qualification serait laminée, puisqu’il s’agit de postes de médecins, mais de médecins non mobilisés pour la promotion statutaire et économique de leur emploi. Précisons aussi qu’il ne s’agit pas de contrats de base qui correspondraient à des positions d’attente mais bien de voies localement bouchées pour nos informateurs, malgré l’intérêt ou la qualité du travail d’équipe, éventuellement alliés à une tolérance vis-à-vis des imprévus de la vie familiale des parents de jeunes enfants.
  • [16]
    Je crois toutefois utile de préciser que l’enquête ne m’a pas permis de croiser la question des médecins étrangers.
  • [17]
    Pareille dissymétrie des conditions de choix a déjà été identifiée lors des choix aux ECN. Au sein des couples hétérosexuels, les femmes en font les frais plus souvent que les hommes (Hardy-Dubernet et Faure, 2006 ; Faure, 2010).
Français

Résumé

Cet article procède du suivi par entretiens répétés d’une cohorte d’une cinquantaine de jeunes médecins généralistes et propose une analyse sociologique de leurs modalités d’insertion professionnelle. Il établit la diversité des positions occupées et une typologie des formes de parcours. Ces observations sont mises en tension avec la volonté politique actuelle de promouvoir la médecine générale en tant que spécialité et d’ancrer ses jeunes diplômés dans l’exercice des soins primaires ambulatoires. Le renouvellement de la médecine générale et de ses praticiens apparaît incertain du fait des aspirations et des modes d’évolution professionnelle des jeunes, mais surtout du système d’opportunités qui s’offre à eux. De plus, l’absence d’une régulation publique explicite de leurs affectations ne signifie pas qu’il n’y aurait pas de régulation sociale de ces parcours. Articuler une politique de l’offre de soins primaires réaliste et cohérente, à la hauteur des enjeux de qualité des appariements soignants-soignés et non discriminatoire vis-à-vis des médecins femmes, suppose de bien prendre la mesure du périmètre d’acteurs, de dispositifs et de processus sociaux qui concourent à éloigner les jeunes diplômés de l’exercice de la médecine générale stricto sensu.

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Géraldine Bloy [*]
Sociologue, maître de conférences à l’université de Bourgogne, membre du LEG, UMR CNRS 5118. Ses recherches portent sur l’évolution de la médecine générale, l’identité professionnelle des généralistes, le contenu de leur travail médical, les différences de genre et la transmission intergénérationnelle. Elle dirige actuellement une recherche collective sur les soins préventifs en médecine générale et a récemment codirigé (avec F.-X. Schweyer) Singuliers généralistes. Sociologie de la médecine générale, aux Presses de l’EHESP
  • [*]
    Sociologue, maître de conférences à l’université de Bourgogne, membre du LEG, UMR CNRS 5118.
Mis en ligne sur Cairn.info le 16/12/2011
https://doi.org/10.3917/rfas.112.0009
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