CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Le médecin libéral est-il un professionnel libéral comme les autres ?

2Au contraire, l’activité médicale libérale a-t-elle un statut juridique, social et fiscal particulier par rapport aux autres professions libérales ?

3Pour répondre à ces questions, il faut commencer par identifier les règles transversales communes et spécifiques qui définissent toute activité libérale. Contrairement aux salariés, aux artisans, aux agriculteurs et aux commerçants, l’exercice de la profession libérale n’a pas de définition légale. La nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) ne propose pas de définition de la catégorie 31 « professions libérales et assimilées ». Elle classe empiriquement les ménages selon leur milieu social et leur emploi (emploi de la personne de référence) à partir d’une classification à trois critères combinés qui mêlent le statut (salarié/non-salarié), le métier (le savoir-faire, par exemple médecin, médecine) et la qualification (issue du salariat industriel : manœuvre, ouvrier qualifié, contremaître …). Cette nomenclature PCS, bien que de conception ancienne (élaborée en 1950 et rajeunie en 2003), et bien qu’étant actuellement en concurrence avec une autre nomenclature (notamment internationale : classification internationale type des professions [CITP], 1988), reste toujours d’actualité, en raison de ses indicateurs synthétiques, explicatifs de la société française, et relativement robuste dans le temps [1].

4Nous proposons ici d’utiliser la récente définition européenne des professions libérales. Cependant, pour l’Union nationale des professions libérales [2] (UNAPL), la définition rédigée par l’Institution européenne pourrait très facilement se transposer dans le droit français et permettrait de mieux cerner et identifier ce champ professionnel afin de les faire connaître auprès des institutions, des collectivités territoriales, du public, des jeunes, et donc favoriser le développement de ce secteur d’activité.

5La directive européenne relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles donne la définition suivante de la profession libérale [3] : « La profession libérale désigne toute profession exercée sur la base de qualifications professionnelles appropriées, à titre personnel, sous sa propre responsabilité et de façon professionnellement indépendante, en offrant des services intellectuels et conceptuels dans l’intérêt du client et du public », et son considérant no 43 précise « […] une activité ou un ensemble d’activités professionnelles dont l’accès, l’exercice ou une des modalités d’exercice est subordonné directement ou indirectement, en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées, à l’utilisation d’un titre professionnel limitée par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives aux détenteurs d’une qualification professionnelle donnée […] ». Le médecin exerçant en cabinet libéral correspond certainement à cette définition. Outre cette définition générale, le médecin, en France tout au moins, est aussi sujet à la charte de la médecine libérale de 1927 qui précise l’organisation des soins médicaux en France : « Libre choix du médecin par le patient, respect absolu du secret professionnel, droit à des honoraires pour tout malade soigné, paiement direct par le patient, liberté thérapeutique et de prescription et liberté d’installation ».

6Suivant la directive européenne, les règles qui distinguent les professions libérales des autres secteurs économiques sont l’indépendance, la responsabilité civile personnelle et le monopole d’exercice confié à la profession. En revanche, la directive « qualifications » ne fait pas référence à la formation continue. Cette directive fait l’objet d’une évaluation en vue d’une révision et certaines associations de professions libérales demandent que la directive contienne des dispositions concernant l’obligation de formation continue. Quant au secret professionnel, la définition de la directive « qualifications » n’y fait pas non plus référence. C’est un concept à géométrie éminemment variable en Europe. Il figure, en revanche, dans les valeurs communes aux professions libérales rédigées par le Conseil européen des professions libérales (CEPLIS). Nous pouvons cependant remarquer que le nécessaire respect du secret professionnel pour les professions réglementées peut être un argument que reconnaît la Commission pour limiter les partenariats multidisciplinaires (article 24 de la directive « services » sur la suppression de l’interdiction des partenariats multidisciplinaires), notamment entre avocats et experts-comptables.

7L’UNAPL considère quatre critères fondamentaux identifiant la profession libérale :

  • l’indépendance : elle garantit la liberté de jugement et de la pratique du professionnel libéral et, par conséquent, un service répondant aux seuls intérêts du client ou du patient, indépendamment de toute influence extérieure, de quelque nature qu’elle puisse être, notamment morale, politique, religieuse ou financière ;
  • la responsabilité : conséquence de son indépendance, le professionnel libéral engage, en suivant les règles déontologiques, sa responsabilité personnelle du fait de ses actes. Sa responsabilité judiciaire peut être civile et/ou pénale. Il s’expose également à des sanctions judiciaires et/ou disciplinaires en cas de non-respect des obligations mises à sa charge par la loi ou son organisme professionnel ;
  • le secret professionnel : le professionnel libéral est tenu au secret professionnel. Il ne peut divulguer les faits dont il a connaissance à l’occasion de son exercice professionnel, sous peine de s’exposer à des sanctions d’ordre pénal et/ou disciplinaire. Le respect du secret est la base de la confiance qui unit le professionnel à ses clients ou à ses patients ; il leur garantit aussi un service personnalisé, adapté à leurs besoins et à leurs attentes ;
  • la formation continue : l’actualisation des connaissances professionnelles est une exigence (car les professionnels libéraux doivent délivrer des services conformes aux données acquises les plus récentes des sciences et des techniques) pour les professions libérales qui sont même, pour nombre d’entre elles, tenues à une obligation de formation professionnelle continue.
La distinction entre les professions de santé (a fortiori les médecins) et les autres professions libérales repose sur leur domaine de compétence : la santé. La prestation de santé n’est pas réductible à un échange dont les conditions dépendent de l’offre et de la demande sur le marché, comme la plupart des autres services libéraux. Cette différenciation de ces services libéraux fait consensus en Europe. Les autorités européennes, lorsqu’elles se sont attelées à la libéralisation des services dans le marché intérieur, par la directive « services » (2006/123/CE), ont exclu de son champ d’application [4] les soins de santé publics et privés [5]. La Commission a jugé que ces services devaient faire l’objet d’un traitement particulier en raison de leur nature de service d’intérêt général (SIG), non économique [6].

8En France, les services de santé sont aussi bien dispensés par un secteur privé libéral que par un secteur public. Malgré la présence d’un secteur libéral, la mise en place de l’assurance maladie fondée sur la solidarité conforte ce statut spécifique de la santé par rapport aux autres activités économiques. Dans les années 1970, l’obligation de limiter les dépenses de santé gérées par l’assurance maladie a donné naissance au système conventionnel [7] et de fixation réglementée à l’acte du prix des prestations des médecins et autres professionnels de santé.

9Ce qui distingue les médecins des autres professions libérales (hors santé) est l’existence d’un tiers gestionnaire s’interposant entre le client et le professionnel (en France, il s’agit des caisses d’assurance maladie) du fait d’accords conventionnels. Le médecin libéral et les autres professionnels de santé libéraux, comme les infirmières, les masseurs-kinésithérapeutes, les orthoptistes …, fonctionnent donc de façon indépendante dans le cadre d’une convention collective. La convention médicale est un accord négocié avec les trois caisses afin d’établir la rémunération d’un acte médicale permettant le remboursement partiel de celui-ci aux patients. Ces conventions fixent donc les règles de détermination de la rémunération du médecin libéral. La santé n’étant pas dans un système commercial, la majorité des professionnels travaillent avec des tarifs encadrés pour leur activité. La question est de savoir si la valeur de l’acte médical suit la valeur de l’indice des prix comme les actes des professionnels libéraux.

10À l’inverse, à l’exception notable des officiers publics ministériels (notaires, huissiers de justice, avoués, avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation qui doivent être honorés par un tarif établi par les pouvoirs publics), toutes les autres professions libérales sont à honoraires libres. Ce qui distingue donc les professionnels de santé libéraux des autres professions libérales, c’est la négociation conventionnelle d’un tarif unique pour l’ensemble des professionnels avec un tiers gestionnaire.

11C’est sans doute un inconvénient pour les plus entrepreneurs des médecins ou autres professionnels de santé libéraux, qui pourraient gagner plus sans cette interposition du tiers gestionnaire, mais la profession a en général une solvabilité garantie. Il y a moins d’incertitude sur le revenu et le médecin n’a que très rarement des retards de paiement par rapport, notamment, aux avocats ou aux architectes. Le mode de prise en charge de la prestation du professionnel et son financement montrent des variations entre les professionnels en période de difficulté économique (cf. graphique 1).

Graphique 1

Médecins et autres professionnels face aux difficultés financières

Graphique 1

Médecins et autres professionnels face aux difficultés financières

SOURCES • « Les entreprises libérales face à la crise économique », L’Entreprise libérale, n° 70, 2009 ; n° 78, 2010.

Un statut d’entreprise

12Outre cette particularité liée à l’existence d’un tiers gestionnaire, le médecin diffère aussi des autres professions libérales en ce qu’il lui était interdit de salarier un confrère. Les médecins, comme les autres professionnels, dépendent d’un centre de formalités des entreprises, de l’URSSAF ou du greffe du tribunal de commerce en fonction du choix de la forme juridique de l’exercice. Le médecin, percevant des honoraires (recettes) qui génèrent des dépenses (frais généraux), gère donc une entreprise individuelle ou en groupe ou en société d’exercice libéral sous les contraintes des obligations fiscales et sociales (il doit respecter la convention collective nationale du personnel des cabinets médicaux libéraux s’il emploie un ou des salariés) auxquelles sont assujetties toutes les entreprises. En revanche, le statut du médecin libéral lui interdisait de salarier un confrère, alors que cela existe dans d’autres professions comme les avocats, les architectes, les pharmaciens, les notaires, les experts-comptables …, mais depuis la loi Entreprise, dite Dutreil, de 2005, le Code de déontologie médicale a été modifié par décret du 13 décembre 2006 autorisant simultanément la collaboration libérale et salariée. Actuellement, cette disposition ne semble pas intéresser les médecins du fait de sa complexité conventionnelle et juridique.

13On dénombre 93 400 salariés (0,7 par médecin libéral) dans les cabinets médicaux en 2007 [8], soit 28 % des effectifs des « activités liées à la santé » et 9,4 % des effectifs salariés de l’ensemble des professions libérales (cf. tableau 1). Le chiffre d’affaires 2007 représentait 15,7 milliards d’euros, soit 172 000 euros par entreprise en moyenne. Ce qui est inférieur à la moyenne des activités d’architecture (218 000 euros), juridiques (394 000 euros), comptables (592 000 euros) et pharmaciennes (1 437 000 euros). Cela s’explique aisément par le fait que la majorité des entreprises médicales n’ont qu’un seul salarié. Les entreprises médicales ayant un seul salarié sont la configuration la plus fréquente pour les cabinets médicaux (51 % contre 38 % pour l’ensemble des professions libérales) [9]. La part de la valeur ajoutée [10] ramenée au chiffre d’affaires est très nettement supérieure à la moyenne de l’ensemble des entreprises libérales, car les investissements et les achats y sont relativement faibles. En 2008, la valeur ajoutée rapportée au chiffre d’affaire du secteur des activités de médecins était de 75 %, celle des activités juridiques de 74,7 %, par contre celles des activités des architectes étaient de 43 %. Pour l’ensemble du secteur libéral, le ratio était de 38 % [11]. Les salariés des cabinets médicaux sont des femmes à près de 95 %, soit 10 % de plus que pour l’ensemble des professions libérales. Les contrats à temps partiel sont majoritaires pour les salariés de la branche (52 %). Les hommes sont majoritairement à temps plein (61 %) alors que les femmes sont majoritairement à temps partiel (54 %). Les salariés de la branche sont à 61 % des employées. Les cadres constituent tout de même 17 % des salariés de la branche (13 % chez les juridiques, 36 % chez les architectes). Il peut s’agir de techniciens en radiologie, d’infirmières, d’orthoptistes, etc.

Tableau 1

Comparaison entre médecins et quelques autres professions libérales dans le champ économique

Tableau 1
Effectifs salariés 2004-2007 Chiffre d’affaires 2007 (en milliards d’euros) Chiffres d’affaires moyen 2007 (en euros) Valeur ajoutée (en milliards d’euros) Médecins 95 000 93 400 21, 2 172 000 15,7 Activités juridiques 108 700 112 400 18,5 394 000 13,4 Activités comptables 120 200 126 900 11,7 592 000 7,7 Architecture 34 000 41 700 6 218 000 3,7 Pharmacies 120 000 121 700 33,4 1 437 000 7,5 Ensemble des professions libérales 935 100 990 900 202,4 301 000 105,8

Comparaison entre médecins et quelques autres professions libérales dans le champ économique

SOURCES • DGI, INSEE, DADS, DGCIS, bases de données fiscales des régimes du bénéfice réel (BIC-RN, BIC-RSI, BNC-DC) et des régimes « micro ».

14Au même titre que d’autres entreprises de professions libérales, telles que les agents d’assurances ou les notaires, le médecin a un impact et un rôle dans l’aménagement du territoire. L’accessibilité aux services de santé entre en ligne de compte dans l’attractivité des territoires. La santé devient un enjeu politique dans leur aménagement, en lien étroit avec la démographie (vieillissement), les évolutions des modes de vie, les mutations économiques. Les responsables locaux recherchent les mesures d’incitation pour attirer les médecins dans des régions rurales, à faible densité de population ou en déficit de soins. La proximité, l’accessibilité à un professionnel de santé, mesurée en distance et en temps d’accès, dans un cadre de transformation des activités hospitalières sont importantes dans un objectif d’égalité au sein de la population et d’attractivité. Mais toute la littérature sur la répartition de l’offre de soins est cantonnée à la question du recours du patient au professionnel. Or, en envisageant l’entreprise libérale de santé comme une entreprise, on peut se rendre compte de l’apport économique de la santé, au sens large : apport en termes d’emploi, d’attractivité du territoire, de contribution au développement équilibré des territoires. Comme le souligne le Livre vert [12] de la Commission relatif au personnel de santé en Europe, qui précise la nécessité de donner une formation en gestion d’entreprise aux professionnels de la santé et de prendre en compte leur dimension de chef manager de leur cabinet ou maison médicale, les activités médicales contribuent à l’emploi, à la croissance, à l’innovation en plus de leur participation à l’amélioration de l’accès aux soins dans la politique les concernant.

15Cette brève analyse économique montre donc que le médecin est aussi un chef d’entreprise mais avec des différences par rapport aux autres activités libérales.

16Par ailleurs, la « reprise/transmission » (cf. tableau 2) en tant que valeur financière de l’activité médicale est en forte diminution par rapport aux autres professions libérales qui ont « un fonds libéral » (notion reconnue par la Cour de cassation mais ne faisant pas l’objet d’une définition légale contrairement à celle, similaire et dont elle s’inspire, du fonds de commerce défini par la loi de 1909). En médecine, la transmission d’une activité se fait par la présentation de la clientèle et peut être estimée de 10 à 30 % du chiffre d’affaires.

17La question de la transmission se pose surtout en termes de présence sur le territoire et d’attractivité. Lorsque certaines activités disparaissent, en particulier les services de proximité, la qualité de vie et l’attractivité d’une commune peuvent être remises en cause. Actuellement, la proportion des seniors augmente plus rapidement chez les médecins que chez les autres professionnels libéraux entraînant un déséquilibre dans la transmission de l’activité sauf si celle-ci est compensée par la création d’une structure médicale pluridisciplinaire pouvant favoriser un meilleur équilibre entre vie familiale et vie professionnelle. Plus le médecin est âgé lors de la transmission (en général, les médecins arrêtent leur activité en prenant leur retraite), plus sera difficile à réussir le passage de relais. En effet, vieillissant avec lui, son outil de travail (clientèle et matériel) sera moins attractif pour un jeune médecin repreneur de l’activité. Le risque est accru d’une déperdition de la clientèle et le matériel obsolète nécessitera un remplacement rapide, d’où aléa financier peu prévisible. Le jeune médecin s’orientera donc vers une création pure. Il est toujours conseillé pour un professionnel libéral d’intégrer dans la structure entrepreneuriale, alors qu’il ne songe pas encore à la retraite, un jeune confrère (juridiquement, le contrat de collaboration le permet). Il peut espérer de cette collaboration, d’une part, un rajeunissement de la clientèle et de l’outil de travail et, d’autre part, lorsque le moment sera venu de céder le cabinet, une transmission progressive. Les cabinets d’avocats qui ont intégré depuis longtemps le contrat de collaboration [13] comme une étape dans la carrière des jeunes générations ont moins de souci de renouvellement de pyramide des âges dans les entreprises.

Tableau 2

Part des reprises dans la création des entreprises de professions libérales. Zoom sur les activités de santé

Tableau 2
Activité Part des reprises Pharmacies 73,4 % Pratique médicale 5 % Pratique dentaire 5,3 % auxiliaires médicaux 1,7 % Laboratoires d’analyses 24,6 % activités vétérinaires 13,1 %

Part des reprises dans la création des entreprises de professions libérales. Zoom sur les activités de santé

SOURCES • INSEE, SIRENE, 2005. Traitement UNAPL.

Un statut fiscal qui dépend du choix du mode d’exercice

18La dualité profession/entreprise apparaît avec les différentes modalités juridiques du mode d’exercice de la profession libérale. Ces modalités ont considérablement évolué depuis une quarantaine d’années et elles sont donc désormais bien plus diversifiées qu’il y a trente ou quarante ans.

19Le mode d’exercice d’une profession libérale n’est plus unique (travailleur non salarié, TNS, ou travailleur indépendant selon la terminologie réglementaire ou traditionnelle). Coexistent ainsi aujourd’hui une grande diversité d’entités affectées à l’exercice d’une profession libérale : du cabinet individuel à la société d’exercice libéral (SEL) (cf. tableau 3). Le statut social traditionnel du médecin fait place au statut économique et technique de professionnel de santé. Elle est liée entièrement à la personne de son exploitant, qui exerce en son propre nom. La quasi-totalité du bénéfice est affectée à la satisfaction des besoins personnels du chef d’entreprise, et ce d’autant plus en l’absence d’autres revenus. Le formalisme juridique est simple (comptabilité de recettes-dépenses ou d’encaissements-décaissements).

20De façon générale, chaque modalité juridique s’adapte aux spécificités d’exercice de chaque corps professionnel. Si les biologistes optent pour l’exercice en SEL, les notaires préfèrent, quant à eux, l’exercice en société civile professionnelle (SCP), tandis que les médecins choisissent l’exercice en société civile de moyens (SCM) bien que la SEL attire les médecins [14]. En revanche, l’évolution vers des solutions sociétales (SEL, sociétés de participations financières de professions libérales, SPFPL), avec l’entrée de capitaux extérieurs aux secteurs professionnels, peuvent modifier l’exercice professionnel, surtout dans le cadre de son indépendance.

21Il est donc nécessaire de proposer des pistes de financement pérennes afin que les structures de santé pluridisciplinaires et de proximité puissent fonctionner à long terme. Il est aussi nécessaire d’adapter des structures juridiques existantes pour les nouvelles formes d’exercice interprofessionnelles, telles que la société coopérative d’intérêt collectif qui est une société anonyme ou une société à responsabilité limitée à capital variable régie par le Code de commerce. Elle a pour objectif la production ou la fourniture de biens et de services d’intérêt collectif qui présente un caractère d’utilité sociale (loi no 47-1775 du 10 septembre 1947) permettant un partenariat public/privé.

Tableau 3

Structures d’exercice des entreprises de professions libérales

Tableau 3
Activité Entreprises individuelles Sociétés agents commerciaux 67 % 33 % services aux entreprises 49 % 51 % activités d’enseignement 68 % 32 % activités de santé 90 % 10 % toutes activités 72 % 28 %

Structures d’exercice des entreprises de professions libérales

SOURCES • INSEE, SIRENE, 2005. Traitement UNAPL.

22Actuellement, la part des médecins généralistes libéraux déclarant travailler en groupe a progressé de 25,5 % en dix ans, essayant de rattraper le secteur juridique, comptable ou du cadre de vie (Aynaud, 2007 ; Lafon, 2008).

23D’autre part, à la différence des autres secteurs professionnels (droit, cadre de vie et technique), le médecin n’est pas assujetti à la TVA. Mais, en contrepartie, s’ils sont employeurs, les médecins (comme les agents généraux d’assurances) sont redevables de la taxe sur les salaires. Les activités médicales sont exonérées de la TVA sous réserve que l’activité soit réglementée par le Code de la santé publique (CSP) et que la prestation rendue soit une prestation de soins aux personnes dont l’objectif est de diagnostiquer ou de traiter une pathologie : exemple, les professionnels de santé réglementés par le CSP qui réalisent des opérations de remise en forme en dehors de toute prescription médicale ne peuvent bénéficier de l’exonération de TVA attachée aux professions médicales et paramédicales [15].

L’approche sociodémographique

24La répartition démographique des professions libérales montre actuellement que 50 % des avocats sont des femmes alors que cette proportion est de 14 % pour les agents généraux d’assurances. La place des femmes varie considérablement selon le corps professionnel. La forte féminisation des avocats s’accompagne d’un rajeunissement de leur profession. 28 % des avocats ont moins de 36 ans alors que la proportion n’est que de 6 % chez les biologistes et de 4 % chez les médecins. À l’autre bout de l’échelle des âges, 25 % des avocats ont plus de 50 ans alors que la proportion des « seniors » s’élève à 42 % chez les biologistes et à 49 % chez les médecins. Ce sont les médecins et les biologistes qui accusent une répartition par âge défavorable. Chez eux, les jeunes professionnels sont peu nombreux et les « seniors » sont en proportion élevés.

25Une récente enquête sur les professions libérales [16] observe que l’activité professionnelle pratiquée n’est satisfaisante que dans deux cas sur trois, et ce sont surtout les secteurs de la santé et du cadre de vie qui sont plus critiques sur leur activité (62 % estiment leur activité satisfaisante versus 80 % pour les professions techniques). De même, les attentes sont bien supérieures dans les métiers de la santé (par rapport au technique surtout) sur la prise en charge des tâches administratives, la protection sociale, les revenus et l’image de la profession. La santé se détache avec des souhaits plus importants liés aux contraintes familiales, et un besoin de revalorisation de la profession.

En conclusion

26Les médecins, comme les autres chefs d’entreprise de professions libérales, ont en commun une certaine vision de la vie, une certaine indépendance dans leur métier. Dans l’exercice de leur profession, ils sont régis par des lois spécifiques qui les distinguent du monde du salariat. Toutefois, il va de soi que leur univers ne saurait être un bloc uniforme.

27Les cadres de l’exercice professionnel sont différents d’une profession libérale à l’autre. Certaines activités professionnelles se prêtent mieux à un exercice en solo, alors que d’autres s’insèrent mieux dans le cadre d’une société professionnelle, voire d’un exercice en interprofessionnalité (charte de la collaboration interprofessionnelle entre avocats, notaires et experts-comptables). Aussi, les professionnels libéraux, dont les médecins, sont de plus en plus nombreux à exercer sous un statut de société : entre 1999 et 2006, l’exercice individuel – s’il reste largement majoritaire (environ 70 % des professionnels libéraux) – reculait de 3,7 % quand les structures entrepreneuriales en société progressaient de 26 % (Baudier, 2010). À la différence des autres professionnels libéraux, la majorité des médecins exercent en prix réglementé. Ces tarifs d’autorité peuvent parfois freiner certains investissements, tels qu’une certification de sécurité sanitaire ou un intéressement pour le salarié, tout comme créer des distorsions dans le coût de fonctionnement d’un cabinet ; la valeur locative en Île-de-France représente 6,7 % du chiffre d’affaire versus 4 % en moyenne en région.

28Toutes ces multiples facettes ne sont guère surprenantes : elles sont le reflet de la variété des rôles, des activités, des fonctions qui sont l’apanage des entreprises de profession libérale dans la société d’aujourd’hui. Si les autres branches de professions libérales sont en plein essor (Beffy, 2006), le statut du médecin libéral ne semble plus être attractif actuellement pour les jeunes générations [17]. L’analyse des données de la DREES sur les statistiques des médecins montre une plus faible progression des médecins libéraux versus médecins salariés entre 2001 et 2010 (+ 3,9 % de libéraux, + 8,7 % de salariés) [18]. Le renoncement des jeunes pour l’exercice libéral va modifier l’organisation de l’offre de soins sur un territoire, car le secteur libéral des professions de santé a un maillage territorial et permet souvent de maintenir le lien social. L’absence de l’attractivité pour le secteur libéral risque de créer des tensions pour la transmission de l’activité des professionnels de proximité dans des petites unités urbaines ou en ruralité.

29Pourtant, le statut du médecin n’est guère différent des autres professionnels libéraux. Reste toujours la proximité forte du service libéral et de celui qui le rend, avec pour corollaire l’imbrication de la vie professionnelle et de la vie familiale que le chef d’entreprise doit optimiser dans ses choix entrepreneuriaux pour pouvoir non seulement vivre de son travail mais, aussi, vivre son travail, car c’est encore, très souvent, sinon une vocation au moins un choix issu d’une volonté. Le secteur libéral assure une « mission sociale » d’intérêt général, particularité qui interdit de fondre l’activité libérale dans un marché ordinaire de biens et de services. Il s’agit de préserver toute la dimension humaine et sociale de cette forme d’activité, faite de contacts de proximité. Les activités médicales des professionnels libéraux s’inscrivent dans l’aménagement d’un territoire par leur valeur ajoutée économique et sociale.

Notes

  • [1]
    Sources : Courrier des statistiques, n° 125, 2008.
  • [2]
    L’UNAPL, confédération interprofessionnelle représentative du secteur des professions libérales, fondée en 1977, regroupe soixante-quatre organisations syndicales représentatives du secteur de la santé, du droit, des techniques et du cadre de vie. L’UNAPL est le représentant des employeurs du secteur des professions libérales à la Commission nationale de la négociation collective, où elle siège aux côtés des autres organisations syndicales d’employeurs et de salariés représentatives au niveau national, et dans d’autres organismes paritaires.
  • [3]
    Directive n° 2005/36/CE du 7 septembre 2005.
  • [4]
    La directive « services » relative aux services dans le marché intérieur doit favoriser l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires de services ainsi que la libre circulation des services, tout en garantissant un niveau de qualité élevé pour les services.
  • [5]
    L’article 2, paragraphe 2, point f, de la directive 2006/123/CE exclut du champ d’application de celle-ci « les services de soins de santé, qu’ils soient ou non assurés dans le cadre d’établissements de soins et indépendamment de la manière dont ils sont organisés et financés au niveau national ou de leur nature publique ou privée ».
  • [6]
    Ce sont des activités énumérées par une communication de la Commission en 2000.
  • [7]
    Entre les syndicats représentatifs et les trois caisses d’assurance maladie (CNAMTS, RSI, MSA).
  • [8]
    Direction générale du commerce, de l’industrie et des services (DGCIS).
  • [9]
    Organisme paritaire collecteur agréé des professions libérales (OPCA-PL).
  • [10]
    La valeur ajoutée représente la production (chiffre d’affaires) moins les achats de produits et services en provenance de tiers.
  • [11]
    Sources : ESANE 2008, INSEE. Le ratio de la valeur ajoutée d’une entreprise est la contribution de l’entreprise à la valeur ajoutée de la production.
  • [12]
    Bruxelles, le 10 décembre 2008, COM (2008) 725 final.
  • [13]
    Le contrat de collaboration a été ouvert à l’ensemble des professions libérales réglementées par la loi PME du 2 août 2005.
  • [14]
    CSDM, « Enquête sur trois secteurs professionnels de libéraux (santé, droit, technique et cadre de vie) », n° 47, 2007.
  • [15]
    L’Entreprise libérale, hors-série « Spécial TVA », mars 2010.
  • [16]
    Cf. le site www.onepl.fr.
  • [17]
    Rapport du docteur Élisabeth Hubert, Mission de concertation sur la médecine de proximité, 2010.
  • [18]
    DREES, Les médecins, n° 28, 2001, n° 152, 2011.

Références bibliographiques

  • Aynaud O. (2007), « Enquête sociologique sur quelques activités de professions libérales », L’Entreprise libérale, n° 57, février, p. 11-14.
  • Aynaud O. (2010), « Les professions libérales : des très petites entreprises (TPE) de proximité », L’Entreprise libérale, n° 79, septembre, p. 24.
  • Baudier F. (2010), « La dynamique de regroupement des médecins généralistes libéraux de 1998 à 2009 », Questions d’économie de la santé, n° 157, septembre.
  • Beffy M. (2006), « Moins d’artisans, des professions libérales en plein essor », France portrait social, INSEE.
  • Lafon A. (2008), « Les sociétés d’exercice libéral des médecins : premier bilan décennal au 31 décembre 2004 », thèse n° 29, Paris-V Descartes.
Oliver Aynaud
Respectivement vice-président, délégué à la santé, et directeur général de l’union nationale des professions libérales, Olivier Aynaud et Dominique Picard examinent la situation des médecins au regard des autres professions libérales en France.
Dominique Picard
Respectivement vice-président, délégué à la santé, et directeur général de l’union nationale des professions libérales, Olivier Aynaud et Dominique Picard examinent la situation des médecins au regard des autres professions libérales en France.
Directeur général de l’Union nationale des professions libérales
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 16/12/2011
https://doi.org/10.3917/rfas.112.0311
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