Introduction
1 L’intensité des débats en France sur le temps de travail, notamment à propos de la mise en place des 35 heures, ne doit pas occulter le fait qu’il s’agit d’un enjeu fortement européanisé depuis une vingtaine d’années. Le 23 novembre 1993, une directive (93/104/CE) a pour la première fois établi des prescriptions en matière d’organisation du travail dans l’ensemble de l’Union européenne. Elle visait à garantir la protection des travailleurs contre les effets néfastes pour leur santé et leur sécurité d’une durée de travail excessive, d’un repos insuffisant et/ou d’une organisation irrégulière du travail. L’existence d’une législation européenne sur le temps de travail conduit à s’interroger sur les dynamiques de convergence à l’œuvre au sein de l’Union européenne. Ce questionnement se pose tout particulièrement pour l’hôpital, qui a été au cœur des débats sur la révision de la directive depuis 2004.
2 Cet article présente les résultats d’une étude financée par la DREES sur le temps de travail des médecins hospitaliers [1] dans cinq pays européens, correspondant à cinq cas contrastés : l’Allemagne, le Danemark, l’Espagne, la Lituanie et le Royaume-Uni (Hassenteufel et al., 2007) [2]. Le principal résultat comparatif, que nous présentons ici, est celui de la faible convergence du temps de travail des médecins hospitaliers malgré la législation européenne – une conclusion qui corrobore celle de Falkner et al. sur la mise en œuvre de la directive dans l’en semble des secteurs concernés (cf. chapitre 6 dans Falkner et al., 2005). Cet article s’attache donc à démontrer que le maintien, voire le renforcement, de la diversité des situations nationales et infranationales en matière de temps de travail des médecins hospitaliers s’explique par les différences de configuration d’acteurs et de système hospitalier entre les pays. Ce sont, en effet, les enjeux nationaux qui permettent de comprendre la disparité et les difficultés de mise en œuvre des normes européennes.
3 Afin de bien comprendre les enjeux du temps de travail des médecins hospitaliers en Europe, il convient de commencer par une brève description des dispositions de la directive européenne sur le temps de travail. Par les changements qu’elle apporte au volume horaire de travail hebdomadaire et à la définition du temps de travail (cf. encadré 1), cette directive a des implications spécifiques pour les médecins hospitaliers.
4 Dans le cadre de la directive, on considère comme temps de travail « toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales » (article 2). Les 48 heures constituant la durée maximale de travail par semaine sont une moyenne calculée sur une période de référence standard de quatre mois (article 16). Cette formule assure aux employeurs la flexibilité nécessaire pour organiser le travail en fonction de la nature de leur activité. De plus, les États membres peuvent étendre à un an (au plus) la période de référence dans le cadre d’une convention collective (article 18). Le repos est défini comme « toute période qui n’est pas du temps de travail ». La directive actuelle ne comporte aucune disposition sur le temps de garde. Les médecins en formation sont couverts depuis le 1er août 2004. Jusqu’en 2009, ils travaillaient au maximum 58 heures par semaine. À compter du 1er août 2009, leur durée maximale hebdomadaire de travail a été abaissée à 48 heures.
[Encadré 1] La réglementation européenne sur le temps de travail
- une durée moyenne maximale de travail (heures supplémentaires incluses) de 48 heures par semaine (article 6) ;
- une période minimale quotidienne de repos de 11 heures consécutives toutes les 24 heures (article 3) ;
- des pauses lorsque la journée de travail excède 6 heures (article 4) ;
- une période minimale hebdomadaire de repos de 24 heures s’ajoutant aux 11 heures de repos journalier par période de sept jours (article 5) ;
- une restriction du travail de nuit à une moyenne de 8 heures par période de 24 heures (article 8).
L’article 22 de la directive actuelle confère aux états membres, dans certaines conditions, la faculté de ne pas appliquer l’article 6 sur la durée maximale hebdomadaire de travail de 48 heures (opt-out). Ces conditions sont les suivantes :
- l’employeur doit obtenir l’accord du travailleur pour que celui-ci travaille plus de 48 heures par semaine ;
- nul travailleur ne doit subir de préjudices pour avoir refusé de donner son accord ;
- l’employeur doit tenir un registre actualisé de tous les travailleurs auxquels ne s’applique pas la durée maximale hebdomadaire de travail ; ces registres doivent être tenus à la disposition des autorités compétentes, qui peuvent si nécessaire, pour des raisons de santé ou sécurité, interdire ou restreindre le dépassement de la limite des 48 heures de travail.
5 Ces différentes dispositions posent problème dans le domaine hospitalier en particulier. C’est pour cela que l’article 22 de la directive de 2003 confère aux États membres, dans certaines conditions, la faculté de ne pas appliquer l’article 6 sur la durée maximale hebdomadaire de travail de 48 heures : c’est la clause dite d’opt-out. Cette possibilité de ne pas appliquer la durée maximale hebdomadaire de travail a été négociée par le Royaume-Uni dès l’adoption de la première directive européenne sur le temps de travail en 1993. À la suite des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rendus depuis 2000 (cf. encadré 2) qui définissent le temps de garde des professionnels de la santé comme du temps de travail, la France, l’Espagne et l’Allemagne ont choisi de ne pas appliquer la durée maximale hebdomadaire de travail à leur secteur de la santé ; l’Allemagne et l’Espagne ont cependant modifié leur législation sur les gardes à la suite de l’arrêt.
[Encadré 2] La jurisprudence de la cour de justice de l’Union européenne sur le temps de travail
Dans l’arrêt Jaeger du 9 septembre 2003, la Cour a précisé son jugement en notant que l’élément décisif de la définition du temps de travail consiste dans le fait d’être présent sur le lieu déterminé par l’employeur et de se tenir à la disposition de ce dernier. De ce fait, le temps de garde où le salarié n’exerce pas son activité professionnelle doit être considéré comme du temps de travail pour le calcul de celui-ci et pour celui du salaire. La Cour a également énoncé que le repos compensateur devait immédiatement succéder au temps de travail et ne pouvait pas être calculé en moyenne sur la semaine [4].
Dans l’arrêt Pfeiffer d’octobre 2004, la Cour a précisé que l’employeur ne pouvait se contenter d’une convention collective ou d’un accord de branche pour déroger à la directive, mais devait recueillir l’accord explicite du salarié s’il envisageait de lui faire dépasser la limite des 48 heures de travail hebdomadaires [5].
Cette jurisprudence a été confirmée en 2005 par l’arrêt Dellas dans lequel la Cour a considéré qu’un décret français instituant un système de pondération entre période de garde active et période de garde inactive pour le calcul de la rémunération était contraire aux dispositions de la directive [6]. au total, pour la Cour, la notion de temps de travail est indépendante de l’intensité du travail accompli : les temps de garde effectués sur le lieu de travail sont, dans leur intégralité, du temps de travail. en outre, la préservation de la santé et de la sécurité des travailleurs impliquent qu’on ne puisse compenser de longues périodes de travail par de longues périodes de repos. aucune de ces interprétations n’avait été anticipée par les législateurs.
6 L’opt-out et la comptabilisation du temps de garde sont les deux enjeux majeurs au niveau européen, comme l’a montré le très conflictuel (à la fois entre les États et entre les institutions européennes) processus de révision de la directive entamé en 2004 qui s’est terminé par un rejet en avril 2009 [7]. On peut ainsi noter que, si l’on considère la totalité du temps de garde comme temps de travail, les médecins de la plupart des États membres effectuent plus de 48 heures de travail par semaine.
7 Les dispositions concernant le temps de travail relevant d’une directive, elles ne sont pas d’application directe mais doivent être traduites dans le droit national de chacun des États membres de l’Union européenne, ce qui s’accompagne d’adaptations du texte (opt-out, modes de transposition, etc.). L’analyse des processus d’intégration de la réglementation européenne dans les cinq pays concernés par l’étude souligne, selon les cas, qu’il y a congruence ou bien décalage (Green Cowles et al., 2001) entre la norme européenne et le temps de travail effectif des médecins hospitaliers. Si la réglementation au Danemark et en Allemagne sont conformes à la directive européenne, il n’en est rien en Lituanie. Entre les deux pôles de ce continuum, l’Espagne et le Royaume-Uni adaptent progressivement leur législation pour se mettre en conformité (cf. tableau 1).
8 L’objet de cet article est d’expliquer la persistance de différences de temps de travail entre les pays et à l’intérieur de chaque pays malgré l’existence de la directive européenne. Cette explication est développée en trois temps : tout d’abord, nous mettons en avant que la transposition de la directive européenne dans le droit national de chacun des pays donne lieu à des interprétations qui s’écartent plus ou moins de la norme européenne selon les pays. Deux séries de facteurs sont ensuite avancées pour expliquer ces différences non seulement dans la transposition de la directive mais aussi dans sa mise en œuvre effective au niveau des hôpitaux. Une première série de facteurs renvoie au rôle de la négociation collective dans chacun des pays qui conduit à des différenciations en fonction du statut des médecins hospitaliers, du type d’hôpitaux et des territoires considérés. La seconde série de facteurs renvoie au contexte hospitalier dans son ensemble. Le temps de travail apparaît comme un enjeu secondaire dans les pays étudiés, inscrit dans le contexte plus général des enjeux et des évolutions des politiques hospitalières nationales et de la démographie médicale. Les enjeux de la transposition de la directive européenne sur le temps de travail dans le secteur hospitalier prennent donc sens avant tout par rapport à ces enjeux nationaux.
- le système de protection maladie (un système d’assurance maladie : Allemagne ; trois systèmes nationaux de santé : Danemark, Espagne, Royaume-Uni ; un système en transition : la Lituanie) ;
- l’organisation du secteur hospitalier (un système centralisé : Royaume-Uni ; un système fédéral : Allemagne ; trois systèmes régionalisés : Danemark, Espagne, Lituanie) ;
- la place de la négociation collective (forte en Allemagne, au Danemark et au Royaume-Uni ; limitée en Espagne ; faible en Lituanie) ;
- la mise en œuvre de la législation européenne (conformité au Danemark ; opt-out en Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni ; non mise en œuvre en Lituanie).
Entretiens semi-directifs avec des acteurs concernés par le temps de travail et la directive européenne dans les :
- ministères ;
- autorités sanitaires liées à l’administration centrale et autres institutions publiques en charge de l’hôpital ;
- collectivités territoriales ayant des compétences en matière de politique hospitalière ;
- associations professionnelles de médecins hospitaliers et de médecins en formation ;
- hôpitaux (gestionnaires qui participent à la négociation collective).
Les réglementations nationales sur le temps de travail face à la directive européenne
9 L’objectif de cette première partie est de montrer que, malgré l’entrée en vigueur d’une réglementation européenne commune aux cinq pays étudiés ici, le temps de travail des médecins hospitaliers demeure très différent entre ces pays et souvent supérieur à la norme européenne. Deux explications à cela : tout d’abord, le temps de travail hebdomadaire des médecins hospitaliers en Europe était très hétérogène avant le vote de la directive européenne et, ensuite, la transposition de la directive dans le droit national de chacun des pays s’est accompagnée d’adaptations du texte en fonction de la législation existante et des caractéristiques des systèmes de santé. En effet, les cinq pays étudiés ici se distinguent par leurs systèmes de protection maladie, par le mode d’organisation centralisé ou décentralisé du secteur hospitalier ainsi que par la place de la négociation collective dans la détermination du temps de travail (cf. tableau 1). En conséquence, tous les pays étudiés ne respectent pas l’ensemble des dispositions du texte européen.
Caractéristique des systèmes de santé et de la réglementation sur le temps de travail (Allemagne, Danemark, Espagne, Lituanie, Royaume-Uni)

10 Le cadre d’analyse proposé par Green Cowles, Caporaso et Risse (2001) permet d’expliquer pourquoi la transposition des directives relatives au temps de travail se fait différemment en fonction des situations nationales. Les auteurs partent de la distinction entre fit et misfit, autrement dit entre congruence ou au contraire décalage entre les décisions prises au niveau de l’Union européenne et l’état des structures institutionnelles ou la nature des choix publics existant au niveau national. Si les politiques nationales sont substantiellement différentes des décisions communautaires, la pression sera très forte, comme elle l’est souvent pour les pays candidats à l’accession à l’Union européenne. Si, au contraire, les institutions ou les politiques nationales sont déjà conformes aux prescriptions posées par l’Union européenne (ce qui s’explique parfois par le fait que ces mêmes politiques nationales ont servi de référence à la décision européenne), alors aucune pression adaptative n’est véritablement identifiable et la probabilité de changements de l’action publique imputables aux instances européennes est très faible.
11 D’autres auteurs ont par la suite approfondi cette distinction entre congruence et décalage pour expliquer la mise en œuvre différenciée des directives européennes selon les États membres. Falkner, Treib, Hartlapp et Leiber (2005), en particulier, distinguent trois types de décalages potentiels au niveau des politiques, des procédures et des coûts. Le décalage de politique publique (policy misfit), tout d’abord, signifie que le contenu de la directive européenne est différent de celui des politiques publiques concernées dans les États membres. Le décalage des procédures (politics and/or policy misfit) renvoie aux interactions entre les institutions publiques et le secteur privé : des modèles traditionnels, par exemple quant aux domaines respectifs de la loi et des conventions collectives, peuvent être affectés par le mode de transposition des directives imposé par l’Union européenne. Enfin, le décalage de coûts prend en compte les conséquences économiques de l’application d’une directive, du point de vue des coûts de protection sociale, des salaires, du nombre de cas concernés, etc. Le temps de travail est de fait un domaine dans lequel des changements de réglementation entraînent d’importantes conséquences économiques (salaires, recrutement et formation de nouveaux médecins, etc.). Les trois types de décalages ont été identifiés dans cette étude.
12 Ces décalages à eux seuls n’expliquent pas la mise en œuvre différenciée des directives européennes dans les États membres, cependant ils permettent de comprendre l’adaptation ou la résistance des acteurs domestiques face aux directives européennes. Falkner et al. (2005) ont modélisé différents types de transposition et de mise en œuvre des directives en fonction de l’existence ou non d’un système de représentations favorable à l’européanisation et partagé, correspondant à une culture de la conformité (culture of compliance). Ils distinguent trois, puis quatre (Falkner et Treib, 2008), mondes de la mise en conformité (worlds of compliance) avec les directives européennes : celui de l’observation de la loi (law observance) où les normes européennes sont mises en œuvre de manière conforme du fait d’un consensus cognitif entre acteurs administratifs et politiques (cas des pays scandinaves) ; celui des politiques domestiques (domestic politics) où l’application est plus limitée du fait de divergences entre acteurs administratifs et politiques, moins systématiquement favorables à l’européanisation (on trouve notamment dans ce type l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne) ; celui de la négligence (neglect) où l’application ne se fait pas, le plus souvent du fait des fortes oppositions à l’intégration européenne aux niveaux administratif et politique (cas dans lequel on trouve la France) ; enfin, le monde des lettres mortes (world of dead letters) où les directives sont transposées mais non appliquées du fait des limites du contrôle et de l’absence d’institutions adéquates (on y trouve les nouveaux pays entrants issus de l’Europe centrale et orientale).
13 Green Cowles et al. (2001), quant à eux, s’intéressent en particulier au processus d’incorporation et de traduction des normes européennes par les acteurs publics et privés et les institutions concernés au niveau national. Tout dépend ici de ce qu’ils appellent des prismes nationaux, c’est-à-dire l’ensemble des institutions, des dynamiques ou des acteurs au sein des États membres qui sont affectés par la pression adaptative née du processus européen et qui sont susceptibles d’y réagir. Ils insistent de ce fait sur les mécanismes de traduction et les capacités de réaction qui caractérisent les acteurs domestiques confrontés aux instances européennes et objets de leurs actions. Pour ces auteurs, l’impact de l’intégration européenne (c’est-à-dire les effets concrets et l’ampleur de l’européanisation) correspond au rapport entre la pression adaptative exercée et la nature des prismes nationaux mobilisés. Sur la base des études de cas qu’ils ont conduites, Green Cowles et al. mettent en avant quatre modalités principales – cf. tableau 1 supra. Première forme d’impact et de conséquence, la plus favorable au vu du processus européen initialement enclenché, l’hypothèse d’une absorption, autrement dit d’un transfert du modèle européen dans les politiques domestiques. Ce résultat correspond en fait à deux cas de figure différents : soit l’absence de pression adaptative ne nécessite pas d’action publique réformatrice puisque les structures existantes et les politiques antérieures étaient déjà conformes au modèle européen, soit la pression adaptative forte a été médiatisée de façon favorable par les prismes nationaux et le modèle domestique s’est transformé pour se rapprocher des normes européennes. Le cas du Danemark (adaptation à la marge, au niveau des modalités et non du contenu) correspond au premier cas puisque le temps de travail hebdomadaire des médecins consultants comme des médecins en formation était déjà de 37 heures et que le temps de garde des médecins en formation était inclus dans le temps de travail. La directive européenne a d’abord été intégrée dans les conventions collectives dès 1995 (Knudsen et Lind, 1999). Toutefois, la Commission européenne a considéré qu’il convenait également de légiférer pour que les normes européennes s’appliquent aussi aux 15 % de salariés non couverts par des conventions collectives – ce qui a donné lieu au vote d’une loi en 2002 (Jørgensen, 2005). Ce décalage entre la procédure européenne et le modèle danois de négociation collective est l’exemple typique de décalage de procédure que citent Falkner et al. (2005, 30).
14 Le cas de l’Allemagne correspond au second cas, c’est-à-dire à l’intégration progressive des normes européennes dans le modèle national. En effet, en Allemagne, le temps de travail des médecins hospitaliers relève d’une loi entrée en vigueur le 1er janvier 2004 en application de la directive européenne. Cette dernière explique en grande partie la mise sur agenda de cette question : les interlocuteurs rencontrés ont tous souligné qu’il ne s’agissait pas d’un enjeu saillant dans le secteur hospitalier auparavant. Mise en œuvre progressivement jusqu’au 1er janvier 2007, la loi prévoit une durée moyenne hebdomadaire de 48 heures de travail, un temps de repos minimal de 11 heures par période de 24 heures et, surtout, prend en compte les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne comptabilisant le temps de garde comme du temps de travail, en particulier l’arrêt Jaeger. Cependant, des conventions collectives permettent aux hôpitaux de déroger à certaines de ces dispositions, comme nous le détaillerons plus loin.
15 Parallèlement à l’adoption, les auteurs estiment qu’une troisième forme d’européanisation est possible qui repose sur la « traduction » des directives ou des politiques communautaires dans les cadres institutionnels domestiques. Dans un tel cas de figure, l’Union européenne exerce bien une influence sur les politiques domestiques, mais les institutions ou les acteurs nationaux interviennent pour atténuer ou transformer l’impact initialement attaché aux décisions prises au niveau européen. Les cas du Royaume-Uni et de l’Espagne correspondent ici à cette modalité d’européanisation aménagée nationalement. Les évolutions de la réglementation du temps de travail des médecins hospitaliers en Espagne suivent de près celles des directives européennes sur la question : un premier décret royal de 1995 a transposé la directive de 1993 tout en excluant les employés du secteur public de son champ d’application. Suite à l’arrêt SIMAP de la Cour de justice de l’Union européenne et aux directives de 2000 et 2003, deux nouvelles lois ont été votées en novembre et décembre 2003 pour en transposer les principales dispositions dans le secteur de la santé. Les principaux syndicats n’ont toutefois pas soutenu ces textes, considérant qu’ils ne respectaient pas l’esprit des directives européennes. De fait, les autorités espagnoles ont eu recours à plusieurs mécanismes pour en reporter les effets et minimiser son impact sur le management des ressources humaines. Contrairement à l’Espagne, ce sont des conventions collectives entre les représentants des médecins (British Medical Association) et le ministère de la Santé qui régulent les conditions de travail au Royaume-Uni. La directive européenne est donc transposée dans le droit national par le biais du texte Working Time Regulations 1998, modifié en 2003 pour inclure les médecins en formation dans son champ d’application. Cependant, le recours à l’opt-out a été important puisque le Royaume-Uni a bénéficié d’un opt-out collectif pour l’application de la réglementation sur les repos compensatoires et d’un délai pour l’application de la durée maximale du travail pour les médecins en formation jusqu’en 2009.
16 Si les trois premiers scénarios identifiés par Green Cowles et al. supposent tous une forme plus ou moins aboutie de convergence, ces auteurs n’excluent pas que l’impact du processus européen puisse nourrir d’autres résultats, moins substantiels sur l’action publique au niveau national. Ainsi, l’européanisation peut s’avérer nulle ou presque si l’on observe une inertie des structures institutionnelles et des décisions publiques dans les États membres. Cette inertie tient principalement à la résistance des acteurs à toute forme d’influence de l’Europe ou à des sentiers institutionnels domestiques très éloignés des normes européennes. C’est à cette configuration que correspond le cas de la Lituanie. Le temps de travail des médecins hospitaliers y dépend du Code du travail, un cadre national défini sans rapport avec la directive européenne et dont l’application dépend de négociations locales ou de conventions collectives locales quand elles existent. La Lituanie bénéficie de l’opt-out, ce qui explique que la durée moyenne du travail hebdomadaire y soit toujours de 60 heures.
17 Selon ce cadre d’analyse, l’ampleur de la pression exercée par la directive européenne sur le temps de travail des médecins hospitaliers dans chacun des pays correspond à l’écart entre la norme européenne et les situations nationales. Cet écart s’est traduit par des degrés et des modalités de transposition de la directive différents selon les pays. L’objet des deux parties suivantes est donc de mettre en évidence les facteurs domestiques (i.e. les prismes nationaux selon la terminologie de Green Cowles et al.) qui permettent d’expliquer l’ampleur de la pression exercée par la directive européenne et, partant, le maintien de différences de temps de travail des médecins hospitaliers entre les pays et à l’intérieur de chacun des pays.
Les catégories nationales de négociation du temps de travail : des limites potentielles à la mise en œuvre de la directive européenne
18 Selon le cadre d’analyse de Green Cowles et al., la pression adaptative exercée par la directive européenne est liée à l’écart avec la situation de chaque pays. Cependant, cet écart ne se mesure pas seulement par rapport à une norme nationale unique dans chaque pays. Si la plupart des pays étudiés se sont dotés d’une loi sur le temps de travail pour transposer la directive européenne, la détermination du temps de travail des médecins hospitaliers est généralement aussi le produit de négociations collectives entre les représentants des médecins et ceux des employeurs. Selon les cas, des conventions collectives sont signées en fonction du statut des médecins (Danemark, Royaume-Uni), de la taille des hôpitaux (Allemagne) ou du territoire (Espagne). Seule la Lituanie est un cas à part puisqu’on verra que la négociation s’y opère sur une base individuelle plutôt que collective. Au terme de cette partie, les différences entre hôpitaux à l’intérieur de chacun des cinq pays étudiés paraissent d’autant plus grandes que l’européanisation (c’est-à-dire la transposition effective de la directive européenne dans le droit national et dans les pratiques) est faible. Le tableau 2 résume brièvement les données sur le temps de travail présentées dans cette partie.
La durée moyenne hebdomadaire du travail des médecins hospitaliers en 2007 et les principales catégories de négociation du temps de travail (Allemagne, Danemark, Espagne, Lituanie, Royaume-Uni)

La durée moyenne hebdomadaire du travail des médecins hospitaliers en 2007 et les principales catégories de négociation du temps de travail (Allemagne, Danemark, Espagne, Lituanie, Royaume-Uni)
Les effets contrastés des négociations du temps de travail selon le statut des médecins hospitaliers au Danemark et au Royaume-Uni
19 Au Danemark comme au Royaume-Uni, le temps de travail est déterminé par des négociations collectives distinctes pour les médecins spécialistes (ou consultants) et pour les médecins en formation. Dans les deux cas, c’est pour cette dernière catégorie de médecins que la directive européenne sur le temps de travail est un enjeu. Les similitudes, cependant, s’arrêtent là : les exigences de la directive européenne ont été absorbées dans les conventions collectives existantes au Danemark sans entraîner de bouleversement, tandis qu’elles ne sont que progressivement et partiellement traduites dans les règlements britanniques.
20 Au Danemark, deux textes distincts s’appliquent pour les médecins en formation et pour les consultants. La convention collective pour les médecins en formation prévoit une durée moyenne hebdomadaire de travail de 37 heures et, depuis le début des années quatre-vingt-dix, que tout le temps passé à l’hôpital, y compris le temps de garde, est comptabilisé comme du temps de travail. À cet égard, la directive européenne, complétée par l’arrêt Jaeger, n’a pas bouleversé l’organisation du travail. Par contraste, la convention qui régule les conditions de travail des médecins spécialistes ne prévoit pas de durée moyenne de travail. Si les spécialistes sont attachés à cette absence de durée moyenne du travail qui les place dans la catégorie des cadres, il est cependant admis que leur travail doit être organisé de telle façon qu’il ne dépasse pas de manière significative les 37 heures par semaine. D’autre part, les représentants des employeurs ont ouvert la possibilité de décentraliser la négociation des conditions de travail à l’échelle des hôpitaux. Ces accords étant tenus de respecter les règles relatives aux conditions de travail, leur marge de manœuvre se situe donc entre la convention collective dans le secteur et la directive telle qu’elle est transposée dans la loi et les conventions collectives (Jørgensen, 2005).
21 En dehors des dispositions de ces conventions collectives, peu de données sont disponibles sur le temps de travail effectif des médecins hospitaliers au Danemark. Certains spécialistes de la directive européenne reconnaissent que les conditions d’application de la directive, par emploi et non par employé, associées au manque de médecins dans certaines régions du Danemark ou en Suède ou en Norvège peuvent encourager les médecins à effectuer des heures supplémentaires, voire à cumuler deux emplois. Cependant, des études ont montré que l’existence de conventions collectives réduit le nombre d’heures supplémentaires effectuées en moyenne (Scheuer, 1999), ce qui va dans le sens des représentants des employeurs et des médecins qui considèrent que, en principe, les exigences de la directive européenne sur le temps de travail sont respectées.
22 Au Royaume-Uni, le statut des médecins est aussi le principal facteur de différenciation du temps de travail, mais les spécialistes tout comme les médecins en formation dépassent la durée moyenne du travail hebdomadaire fixée par l’Union européenne. De plus, le gouvernement britannique a obtenu une dérogation concernant l’application des dispositions relatives au temps de repos. C’est la réglementation de 1998 qui s’applique pour les médecins spécialistes. Le texte prévoit une durée maximale de travail de 48 heures par semaine ainsi que des règles s’appliquant aux temps de repos (repos compensatoires lorsque les spécialistes ne peuvent prendre les repos obligatoires, autorisation de prendre le repos continu de 11 heures à une date ultérieure si les interruptions du temps de repos sont significatives). Toutefois, en 2006, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé cette interprétation incompatible avec la directive européenne. De plus, la durée moyenne du travail était loin d’être respectée puisqu’une étude de la BMA (British Medical Association) en janvier 2003 montrait que 77 % des spécialistes travaillaient plus de 50 heures par semaine et 46 % plus de 60 heures par semaine (BMA, 2004).
23 Le temps de travail des médecins en formation fait l’objet d’une double réglementation. D’une part, la directive européenne s’est appliquée progressivement jusqu’en 2009, d’autre part, les contrats signés sous le régime dit du New Deal continuent de s’appliquer pendant la période transitoire. Ces contrats prévoient d’autres dispositions d’ordre général sur l’hébergement et les conditions de travail ainsi que des dispositions parfois plus avantageuses concernant le mode d’organisation du travail (BMA/JDC [Junior Doctors Committee], 2004). Le principal problème du passage du régime du New Deal à celui de la directive européenne est celui de la prise en compte du temps de garde dans le calcul du temps de travail. Les données disponibles montrent qu’entre 16 et 40 % des médecins en formation travaillaient plus de 56 heures par semaine en août 2003, selon qu’ils travaillaient en Angleterre, au pays de Galles ou en Irlande du Nord (BMA, 2006). Si cette situation était conforme, en 2006, aux exigences de la directive européenne (c’est-à-dire le respect des temps de repos et de la durée maximale du travail de 58 heures par semaine), des estimations montrent en revanche que seuls 35 % des médecins en formation travaillaient 48 heures par semaine (ce qui correspond aux échéances 2009 de la mise en œuvre de la directive) (Dell, 2006). Une enquête auprès des médecins en formation en 2010 montre que certains d’entre eux – la moitié des répondants, soit environ 5 % des médecins en formation – travaillent encore plus de 56 heures par semaine un an après l’entrée en vigueur de la réglementation (BMA/JDC, 2010). Les mêmes estimations font apparaître que le temps de travail des médecins en formation varie en fonction de leur statut, de la spécialité dans laquelle ils exercent, de la région et de l’établissement hospitalier où ils sont employés.
En Allemagne, des accords distincts selon les types d’hôpitaux
24 En Allemagne, la mise en œuvre effective de la nouvelle législation sur le temps de travail dépend de conventions collectives différentes selon les types d’hôpitaux. C’est dans ce cadre qu’un opt-out individuel est possible pour les gardes (allant jusqu’à 60 heures hebdomadaires) et un mode de comptabilisation différencié de celles-ci en fonction du temps de travail effectif. Des conventions collectives spécifiques aux médecins hospitaliers ont été signées en 2006 pour les hôpitaux publics, au niveau des Länder et des communes (ce qui correspond à plus de 50 % des lits). Pour les hôpitaux privés (15 % des lits), une première convention collective fédérale a été signée en décembre 2006 dans le secteur privé avec le groupe Helios. La situation est plus complexe pour les hôpitaux gérés par des associations confessionnelles pour lesquels il n’existe pas de conventions collectives. Toutefois, la Diakonie (représentant l’Église luthérienne) a émis des recommandations fédérales prévoyant l’opt-out avec la possibilité d’étendre la durée moyenne de la journée de travail jusqu’à 24 heures (avec au minimum 8 heures de garde) et le temps de travail hebdomadaire jusqu’à 58 heures. Par conséquent, plus des deux tiers des hôpitaux allemands sont couverts par des conventions collectives (les hôpitaux publics et une partie des hôpitaux privés) ou par des recommandations fédérales (une partie des hôpitaux confessionnels). Au niveau des hôpitaux, le baromètre des hôpitaux 2008 estime que dans plus de la moitié des hôpitaux (54,6 %) une durée quotidienne du travail allant jusqu’à 24 heures est possible (Blum et al., 2008) ; le baromètre 2006 montrait que 40,2 % des hôpitaux avaient mis en place de nouveaux modes d’organisation du travail à la suite de la nouvelle législation et que 32 % des hôpitaux avaient planifié une nouvelle organisation du travail (Blum et al., 2006). L’insuffisante acceptation de la flexibilité de la part des médecins, les difficultés de financement et le manque de médecins sont les principaux obstacles à la mise en place d’une nouvelle organisation du travail au niveau des hôpitaux (Blum et al., 2006).
25 La durée moyenne du travail hebdomadaire des médecins a été estimée à 47 heures par le Deutsches Institut für Wirtschaft (67 heures dans les hôpitaux universitaires) (DIW, 2005). Ce chiffre est contesté par le syndicat des médecins hospitaliers Marburger Bund qui, dans sa dernière enquête par questionnaire auprès de ses adhérents [8] (Marburger Bund, 2010), estime la durée moyenne du temps de travail des médecins hospitaliers à 55 heures hebdomadaires (un tiers d’entre eux travaillant plus de 60 heures). En 2006, il estimait que les médecins hospitaliers réalisaient au total 50 millions d’heures supplémentaires, ce qui pouvait conduire à des durées hebdomadaires allant jusqu’à 80 heures (Marburger Bund, 2006). Il citait aussi un sondage effectué par le syndicat local de Munich auprès de 2 500 médecins hospitaliers qui montrait que 50 % des médecins interrogés avaient des journées de travail supérieures à 10 heures et une étude réalisée par l’Institut technique de Berlin en 2001 qui montrait que 60 % des médecins berlinois travaillaient plus de 60 heures par semaine. Ces données, certes disparates mais convergentes, soulignent les limites du respect de la directive européenne au niveau des hôpitaux.
Le territoire, principal critère de différenciation du temps de travail en Espagne
26 En Espagne, la réglementation sur le temps de travail des médecins hospitaliers n’est pas totalement conforme à la directive européenne. Le temps de travail des médecins en formation était de 58 heures en 2006 mais, comme au Royaume-Uni, il aurait du être abaissé progressivement à 48 heures avant 2009. De plus, l’existence d’une « journée spéciale de travail » constitue un opt-out à la réglementation européenne alors que la journée normale et la journée complémentaire obligatoire reposent sur une durée moyenne hebdomadaire de travail pouvant aller jusqu’à 48 heures. Cette journée spéciale peut en effet ajouter jusqu’à 150 heures de travail supplémentaires par an dans les cas où les centres de santé ne peuvent pas garantir la continuité des soins aux patients et est utilisée avec le consentement individuel du médecin. Cet opt-out est réglementé jusqu’en 2013 par la loi 55/2003 et devra alors être révisé.
27 En plus de ces dispositions générales, il existe de grandes variations entre la réglementation et le temps de travail effectif des médecins qui s’expliquent par l’existence de deux niveaux institutionnels différents dans le système national de santé espagnol (Sistema Nacional de Salud - SNS). En effet, le temps de travail des médecins hospitaliers est réglementé par la loi-cadre votée à l’initiative du ministère de la Santé (55/2003), responsable de la coordination du SNS. Sur la base de ce texte, chacune des dix-sept autorités régionales de santé signe ensuite une convention avec les représentants syndicaux des professionnels de santé (dont les médecins hospitaliers) de leur communauté autonome (les Sistemas Regionales de Salud - SRS). Selon les personnes rencontrées, la loi de 2003 n’a été le plus souvent mise en œuvre qu’après que les professionnels de santé eurent assigné les SRS en justice. Il en résulte une très grande difficulté à rendre compte de la situation en Espagne sur cette question.
28 Toutefois, un rapport du CESM (le principal syndicat espagnol des médecins hospitaliers) sur les conditions de travail et les salaires des médecins dans les dixsept SRS qui composent le SNS apporte un certain nombre de données (Sánchez de la Nava et al., 2006). L’écart apparaît ainsi considérable entre les 1 732 heures de travail annuelles prévues par l’accord catalan pour les hôpitaux privés à but non lucratif travaillant pour le système de santé public de Catalogne et les 1 519 heures de travail prévues dans les Asturies, en Castille-La Mancha ou en Estrémadure. Des différences notables apparaissent également dans les niveaux de rémunération, à la fois pour les salaires fixes des médecins hospitaliers et pour le paiement des heures de garde.
29 La capacité de chacune des régions à attirer et à retenir les médecins est un des principaux facteurs de différenciation dans la mise en œuvre des directives européennes dans le système de santé espagnol, ce qui se traduit par une charge de travail plus importante pour les médecins des hôpitaux isolés et sous-dotés en personnel. Des difficultés financières ajoutées au manque de candidats pour effectuer des remplacements dans ces petits centres de santé les empêchent de recruter des médecins sur des contrats de courte durée. De plus, alors que le système public de santé est en conformité à des degrés variables, les hôpitaux privés à but lucratif semblent dépasser systématiquement les limites de temps de travail autorisées par la directive européenne : des accords individuels avec les médecins redéfinissent leurs conditions de travail pour permettre plus de flexibilité et ces médecins travaillent souvent dans au moins deux hôpitaux simultanément, ce qui brouille le calcul de leur temps de travail annuel.
En Lituanie, la prédominance des accords individuels sur le temps de travail
30 La Lituanie se distingue des autres cas du fait de l’importance du cumul d’activités et, surtout, de la négociation individuelle du temps de travail. Bien que la durée hebdomadaire des contrats de travail soit en général de 40 heures et résulte d’une régulation nationale, l’application des règles concernant le temps de travail se négocie au niveau local, dans chaque service. Dans tous les cas, le temps de travail des médecins hospitaliers est déterminé de façon individuelle : il est organisé en ajustant le quota d’heures requis pour chaque médecin en fonction de son contrat et en recherchant une certaine continuité de l’activité médicale. Ainsi, on observe au sein d’un même service hospitalier des durées de travail hétérogènes allant de 1 à 24 heures, la concentration de la présence médicale en matinée et l’absence de présence médicale continue. La rationalité d’organisation du temps de travail se fonde sur l’emploi du temps des personnes (ajustement de plusieurs contrats de travail ou types d’activité) et non uniquement sur l’organisation des services. Et l’administration n’est pas en mesure de promouvoir une rationalisation de l’organisation du travail : les médecins directeurs d’hôpital eux-mêmes travaillent dans leur établissement à plein-temps comme directeur et à mi-temps comme médecin consultant. Le profil d’activité des médecins, et donc leur temps de travail réel, dépend de plusieurs facteurs : l’âge, l’environnement (contexte urbain, contexte universitaire) ou la spécialité. Le cumul des contrats accroît la durée du travail même s’il convient de relativiser la proportion de ces profils multi-actifs dans le corps médical.
31 Ainsi, l’organisation du temps de travail doit être analysée à deux niveaux. Le niveau officiel, celui des plannings, permet d’appréhender le temps de travail par service et par hôpital. Il doit être formellement conforme à la réglementation mais peut donner lieu à des arrangements. Le second niveau d’analyse est celui du travail réel appréhendé par médecin, et souvent au travers d’une combinatoire d’activités. La rationalité en jeu est celle de l’efficience pour atteindre un objectif individuel : « Gagner sa vie d’abord ».
32 Dans chacun des pays étudiés (la Lituanie étant un cas à part), la transposition de la directive européenne procède de lois et/ou de conventions collectives. Quelle que soit la méthode choisie cependant, des accords spécifiques ou des accords locaux introduisent des dispositions spéciales en fonction du statut des médecins, de la taille des hôpitaux ou des territoires en question. Certaines de ces dispositions font exception à la réglementation européenne – ce que l’on appelle l’opt-out –, et les autorités des différents pays se prévalent des difficultés spécifiques au secteur hospitalier qu’entraînerait la réduction du temps de travail au niveau des normes européennes pour maintenir ces exceptions. Il apparaît en effet que le temps de travail est loin d’être un enjeu majeur dans les cinq pays étudiés, ce que nous allons voir maintenant dans la dernière partie.
L’impact des politiques hospitalières nationales et leurs enjeux sur la question du temps de travail des médecins
33 Dans aucun des cinq pays comparés le temps de travail n’apparaît comme l’enjeu prioritaire pour les médecins hospitaliers, que ce soit du point de vue de leurs représentants ou de la politique hospitalière. Dans tous les cas, la mise en œuvre des nouvelles réglementations concernant le temps de travail est en partie façonnée par des enjeux plus prééminents et plus problématiques à court terme. Les enjeux domestiques, qui influencent de façon déterminante la transposition de la directive européenne, sont liés au contexte hospitalier marqué principalement par les réformes des systèmes de santé et l’évolution de la démographie médicale. Les difficultés soulevées par ces derniers accroissent la pression adaptative exercée par la directive européenne et, partant, affectent les modalités de sa transposition dans le droit national et les conventions collectives de chacun des pays.
Une question secondaire dans le cadre des systèmes hospitaliers nationaux
34 Au Danemark et en Espagne, la politique hospitalière s’inscrit dans le cadre plus large de réformes territoriales : achèvement du processus de transfert des compétences en matière de santé aux communautés autonomes en 2002 en Espagne (Guillén, 2002), transformation des quatorze comtés en cinq régions, dont la principale compétence est la politique hospitalière, au Danemark en 2007. Dans ce nouveau cadre, les régions danoises voient leurs prérogatives réduites par rapport à celles des anciens comtés puisqu’elles ne peuvent lever leurs propres impôts. Il est prévu que le système de santé soit financé par des subventions étatiques et par les municipalités, à hauteur de 20 % des dépenses concernant leur population. En tant que principaux financeurs, le ministère de l’Intérieur et de la Santé et le ministère des Finances disposeront alors d’un siège lors des négociations des conventions collectives. Il s’agit donc bien d’une recentralisation de la politique hospitalière, ce qui pourrait avoir des conséquences – encore incertaines – pour de futures négociations du temps de travail des médecins hospitaliers.
35 En Espagne, la transposition des directives européennes dans la législation espagnole s’inscrit dans un contexte de réforme radicale du SNS. Cette réforme comprend, en particulier, les dernières étapes de la décentralisation des politiques de santé au profit des gouvernements régionaux autonomes, la redéfinition du rôle du ministère de la Santé en tant que coordinateur de l’ensemble du SNS et la transformation du système de négociation entre les autorités de santé et les professions médicales. Ces transformations affectent la négociation du temps de travail mais celle-ci n’est plus perçue comme importante, contrairement à ce qui avait été le cas après l’arrêt SIMAP. Les associations professionnelles et les syndicats eux-mêmes se préoccupent moins de cette question à l’heure actuelle, considérant selon nos interlocuteurs que l’opt-out est une des possibilités offertes par la directive européenne et que les autorités espagnoles en ont profité pour l’inclure dans leur législation.
36 Au Royaume-Uni, la transposition de la directive européenne sur le temps de travail apparaît comme un élément secondaire dans l’ensemble des réformes du NHS depuis les années quatre-vingt. De façon générale, ces réformes visent à accroître l’efficience de l’offre de soins et l’autonomie du management hospitalier (Ham, 2004 ; Join-Lambert et Lefresne, 2004 ; Oliver, 2005). La question du temps de travail n’était pas un enjeu prioritaire de ces réformes ; la mise en évidence de la pénurie de personnel médical (cf. infra) et l’obligation de transposer la directive ont toutefois conduit à sa mise sur agenda. On a vu dans la partie précédente que la transposition de la directive est incomplète au Royaume-Uni : cependant, elle est indirectement prise en compte dans les réformes actuelles et les conséquences de sa transposition complète sont testées à travers l’expérimentation de nouveaux modes d’organisation du travail à l’hôpital (transfert de tâches entre médecins et infirmières, changements dans la planification des journées de travail, etc.).
37 En Allemagne (tout comme en Espagne), la question du temps de travail a été mise sur agenda du fait de l’arrêt Jaeger de la Cour de justice de l’Union européenne et de la nouvelle directive sur le temps de travail. Depuis l’adoption de la loi sur le temps de travail en 2004, ce n’est plus un enjeu majeur. Au contraire, selon les représentants du Marburger Bund rencontrés, le temps de travail a été traité comme un enjeu secondaire par rapport à l’enjeu salarial lors de longs conflits entre médecins et représentants des employeurs en 2005-2006. On peut donc faire l’hypothèse suivante : la flexibilisation du temps de travail a été proposée comme une contrepartie aux augmentations de salaires puisque le Marburger Bund a clairement privilégié les enjeux de rémunération par rapport à ceux liés à la durée du travail. De plus, avant 2004, la question du temps de travail jouait un rôle marginal dans les débats et les revendications. Ainsi, en Allemagne, la négociation collective a permis d’assouplir la réglementation sur le temps de travail, comme on l’a vu dans la partie précédente de cet article.
38 Enfin, en Lituanie, la question du temps de travail s’inscrit dans un contexte de crise marqué par un déficit de financement et, du fait de l’instabilité politique, par la multiplication des réformes dont la mise en œuvre est compromise par l’absence de continuité des projets. De plus, l’objectif de voir une partie des soins hospitaliers spécialisés (coûteux) remplacés par une médecine de première intention exercée par des généralistes n’a pas été atteint. Non seulement le recours aux soins hospitaliers est resté prédominant, mais l’instauration d’un paiement différencié des soins selon le niveau de l’hôpital a créé des déséquilibres. Les municipalités et les régions refusent de payer certains soins spécialisés au motif qu’ils sont plus valorisés dans les hôpitaux universitaires. D’où une centralisation artificielle et une charge accrue pour les hôpitaux les plus coûteux. Une réforme du système est à l’étude. Dans ce contexte, la régulation du temps de travail des médecins hospitaliers est un élément secondaire de l’agenda.
39 Dans tous les pays étudiés, la question du temps de travail paraît secondaire par rapport à d’autres enjeux tels que les réformes des systèmes de santé ou les salaires. Si ces derniers sont susceptibles d’influencer la transposition pour les médecins hospitaliers de la directive européenne sur le temps de travail, c’est surtout l’enjeu de la démographie médicale qui permet d’expliquer les différences entre les pays.
Tensions entre démographie médicale et temps de travail
40 L’enjeu de la démographie médicale se pose avec le plus d’acuité en Lituanie, où il permet de comprendre les résistances à l’adoption des normes européennes en matière de temps de travail. Néanmoins, l’enjeu concerne plus largement l’ensemble des pays comparés, notamment le Royaume-Uni et l’Espagne où il explique dans une large mesure le recours à l’opt-out. Il joue un rôle moindre en Allemagne et au Danemark où émerge cependant un malaise croissant des jeunes médecins.
41 En Lituanie, dans un contexte de déclin démographique accéléré, l’émigration de nombreux médecins vers d’autres pays de l’Union européenne est perçue comme un signal d’alarme. Des difficultés de régulation de l’offre de soins (concentration de l’offre dans les pôles urbains et désertification des campagnes), le mécontentement de la population et des niveaux de rémunération trop bas ne peuvent contrer la fuite des médecins vers d’autres pays ou d’autres secteurs d’activités [9]. Le bas niveau de salaire dans une économie en expansion et la mise en cause des médecins dans la presse à scandale sont deux indices de la dévalorisation sociale des médecins en Lituanie. Dans ce contexte contraint et incertain, l’enjeu pour les directions hospitalières est donc d’acquérir du temps de travail pour assurer la continuité de l’offre de soins. Le répertoire stratégique à leur disposition n’est guère étendu et repose en grande partie sur l’arrangement individuel, certains médecins négocient des situations avantageuses mais la possibilité la plus fréquente reste la souplesse et l’arrangement individuel. Beaucoup de médecins préfèrent travailler 24 heures de suite, pour des raisons familiales ou pour se libérer pour d’autres activités. Cette durée est réservée en principe à des cas particuliers – la norme étant de 12 heures –, mais des desiderata personnels sont acceptés lorsqu’il s’agit de spécialistes « précieux ».
42 Au Royaume-Uni, le ministère de la Santé prend le parti de traiter la réduction du temps de travail des médecins hospitaliers et les réorganisations que cela implique comme un élément d’un ensemble de politiques. La mise en œuvre de la directive européenne sur le temps de travail est envisagée comme un « produit dérivé » d’une réforme en profondeur de l’organisation hospitalière et des études médicales. Une des difficultés pour les acteurs chargés de la mise en place de la réduction du temps de travail est donc de mettre ces questions à l’agenda alors que les trusts hospitaliers sont confrontés, à court terme, aux réformes du système de santé, à des difficultés budgétaires et de pénurie de personnel. Dans ce contexte, la réforme engagée par le gouvernement travailliste à la fin des années quatre-vingt-dix visait à accroître l’offre de soins en agissant à la fois sur le nombre de médecins (augmentation du numerus clausus, incitations à l’embauche et au recrutement international), sur la disponibilité des médecins en poste (en favorisant la substitution des tâches entre professions médicales et paramédicales, le skill-mix), sur l’amélioration des conditions de travail pour les personnels hospitaliers et sur la revalorisation des salaires (Buchan et Maynard, 2006). Le principal enjeu de la réduction du temps de travail est toujours la formation des médecins, alors que les spécialistes sont moins souvent présents pour assurer la supervision des médecins en formation (Temple, 2010).
43 En Espagne, les problèmes actuels de démographie médicale ne sont pas sans rapport avec les ambiguïtés du partage des compétences entre le ministère de la Santé et les communautés autonomes. De plus, le manque d’information quant aux ressources humaines disponibles dans les systèmes de santé régionaux complique considérablement la programmation et la mise en place de réformes. En mars 2007, les premières conclusions d’un rapport commandé par le ministère de la Santé espagnol ont mis en évidence les déséquilibres de l’offre selon les spécialités, certaines étant confrontées au chômage et d’autres à des manques (chirurgie, radiologie, anesthésie, pédiatrie). Les nouvelles cohortes de diplômés des écoles de médecine ne suffiront pas à combler les départs à la retraite et les nouveaux besoins qui résultent de la décentralisation, du vieillissement de la population ainsi que de l’arrivée de plus de 5 millions d’étrangers en Espagne au cours des dernières décennies. Deux autres facteurs contribuent à la tension de la situation démographique. Il s’agit, en premier lieu, des flux de professionnels de santé au sein de l’Union européenne. La perception générale selon laquelle l’Espagne produit plus de médecins qu’elle ne peut en employer à laquelle s’ajoutent des rémunérations et des conditions de travail plus attractives à l’étranger associées à la libre circulation des professionnels de santé au sein de l’Union européenne ont contribué à l’expatriation de 8 000 à 9 000 médecins ces dernières années. La programmation des besoins en médecins est d’autant plus complexe que de nouveaux flux de médecins arrivent en Espagne, soit spontanément (en provenance d’Amérique du Sud notamment), soit en suivant les filières financées par les autorités régionales de santé confrontées à une pénurie de personnel (ce sont alors des médecins d’Europe de l’Est, notamment de Pologne et de Bulgarie). En second lieu, la féminisation croissante de la profession médicale met au premier plan la question de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale et aurait déjà pour conséquence de réduire le nombre d’heures de travail disponibles.
44 La question d’éventuelles pénuries de personnel se pose aussi au Danemark et en Allemagne, mais la situation n’y est pas aussi tendue que dans les trois autres pays. Au Danemark, l’allongement de la durée de la formation des médecins conduit parfois à des situations de pénurie. Des mesures ont été prises pour imposer un raccourcissement du délai auquel les médecins ont droit avant d’entamer effectivement leur spécialisation (qui passe de six à trois ans) et pour offrir une spécialisation accélérée dans certains domaines. La conciliation vie professionnelle-vie familiale est également un enjeu du temps de travail mais, contrairement à d’autres pays européens, il ne s’agit pas tant d’une conséquence de la féminisation de la profession médicale que d’une réévaluation plus générale de la profession et de la répartition des tâches dans le temps. La décentralisation de la négociation sur le temps de travail est, à cet égard, la solution la plus satisfaisante au regard du double objectif de conciliation des temps sociaux et d’efficience de la production de soins.
45 En Allemagne, on assiste à l’augmentation du nombre de postes hospitaliers non pourvus (+ 25 % selon le baromètre 2006 ; Blum et al., 2006) : 28 % des hôpitaux ne parviennent pas à pourvoir tous les postes de médecins hospitaliers, la proportion est plus forte dans les Länder de l’est de l’Allemagne où 3,5 postes sont vacants contre 2 à l’ouest. Même si les chiffres divergent entre le Deutsches Krankenhaus Institut, qui estime le nombre de postes vacants à 5 500 (DKI, 2010), et le Marburger Bund (2010), qui les estime à 12 000, le constat du manque de médecins hospitaliers est partagé. Une partie de ces difficultés serait attribuable à l’« exil » des médecins hospitaliers, ce qui concernerait 6 300 médecins selon le Marburger Bund (2006). Les mauvaises conditions de travail, l’insatisfaction avec le temps de travail et la faiblesse des revenus comparativement aux autres pays européens en seraient les principales raisons. La question de la relève générationnelle affecte aussi le recrutement des médecins hospitaliers : le nombre d’étudiants en médecine a baissé de 13,4 % entre 1993 et 2003, celui des docteurs en médecine de 22,6 % durant la même période (Marbuger Bund, 2006). Le mécontentement vis-à-vis des conditions de travail, mais surtout la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, la compensation des heures supplémentaires et les aspects bureaucratiques du travail à l’hôpital sont les principales raisons du malaise des jeunes médecins hospitaliers. Comme au Danemark, l’aspiration à une durée de travail réduite et à une meilleure conciliation vie familiale-vie professionnelle est plus marquée générationnellement que par le genre.
Conclusion
46 Cette recherche permet donc de comprendre le maintien, voire l’accroissement, des différences de temps de travail des médecins hospitaliers en Europe malgré les directives, comme l’a souligné la Commission elle-même dans un rapport rendu public à la fin de l’année 2010 (COM [2010] 802 final). Elle note que « dans un nombre significatif d’États membres les services de garde effectués sur le lieu de travail continuent de ne pas être considérés comme du temps de travail à part entière » (p. 5). Concernant le repos compensateur, « dans plusieurs États les dérogations vont au-delà de celles prévues par la réglementation européenne » (p. 6), notamment en France [10] (cf. annexe) où il n’existe pas de norme générale contraignante concernant le repos hebdomadaire. La Commission souligne aussi qu’en 2010 seize États membres (dont la France pour les heures de garde) avaient recours à l’opt-out (contre un seul en 2000 : le Royaume-Uni) avec de grandes disparités dans les conditions de protection liées à celui-ci. Le cas de la directive temps de travail illustre les limites de la capacité de la Commission à faire respecter les normes qu’elle édicte et qu’elle est censée faire appliquer. Les pressions qu’elle a exercées en 2007, dans le contexte de la renégociation de la directive, sur les très nombreux États qui n’étaient pas en conformité avec celle-ci n’ont pas été suivies d’effet. Si la perspective du renouvellement de la Commission (et de la reconduction de son président) a joué un rôle, plus généralement cette impuissance renvoie à la fois à l’opposition d’une majorité importante d’États membres et à la prise en compte des situations nationales, dans le domaine hospitalier en particulier.
47 L’attention portée dans cette recherche aux politiques publiques nationales et à leurs enjeux ouvre aussi une piste du dépassement du débat entre les deux approches dominantes de la mise en œuvre des directives européennes (Thomson, 2009) : celle centrée sur le degré de décalage (fit/misfit) entre normes nationales et européennes (Green Cowles et al., 2001) et celle centrée sur les cultures de la mise en conformité (worlds of compliance) (Falkner et al., 2005). Notre étude montre que ce sont plutôt d’autres facteurs plus spécifiques au domaine hospitalier qui permettent de comprendre l’absence de convergence dans la mise en œuvre de la directive temps de travail. Il s’agit tout d’abord de la négociation collective (nationale, infranationale sectorielle ou par hôpital) entraînant des différenciations selon le statut des médecins hospitaliers, la taille des hôpitaux et le territoire considérés. Les enjeux des politiques hospitalières sont un autre facteur clé puisque les enjeux du temps de travail, rarement perçus comme majeurs, sont interprétés et traités à la lumière d’autres enjeux plus saillants : réforme de l’hôpital, salaires, démographie médicale en particulier. L’importance de ces différents enjeux et les écarts qu’ils introduisent entre le temps de travail effectif des médecins hospitaliers et les dispositions de la directive européenne permettent d’expliquer les limites de la convergence plus que le décalage initial entre normes nationales et européennes ou l’existence de cultures nationales de la mise en conformité.
Le temps de travail des médecins hospitaliers en France [11]
48 Le principe de la réduction du temps de travail des médecins hospitaliers a été approuvé dès 2001, les difficultés de la mise en œuvre de cet accord ont conduit, en 2003, à en retarder l’application [12]. Aujourd’hui, le temps de travail des médecins hospitaliers n’est pas en conformité avec la réglementation européenne :
- Les internes ont l’obligation de travailler onze demi-journées par semaine, dont deux dédiées à la formation universitaire, sans précision sur la durée de ces demi-journées.
- Conformément à l’arrêt SIMAP, les temps de garde sont comptabilisés dans le temps de travail. De plus, des repos de sécurité sont obligatoires à l’issue de chaque garde de nuit pour les médecins en formation.
- Les praticiens hospitaliers (PH) ont une obligation de dix demi-journées par semaine, sans que la durée de la demi-journée soit précisée ; les hospitalo-universitaire (HU) ont une obligation de onze demi-journées.
- Par dérogation à la règle générale, qui ne prend pas en considération le nombre d’heures effectivement réalisées, les obligations des praticiens travaillant dans les services à temps médical continu sont décomptées en heures, dans la limite de 48 heures [13].
- En principe, la durée annuelle du travail est de 207 jours (414 demi-journées), déduction faite de 104 jours de congés, de RTT (réduction du temps de travail) ou fériés. Toutefois, depuis 2002, une période transitoire existe faute de pouvoir appliquer la RTT [14]. Les médecins hospitaliers accumulent donc des jours de RTT travaillés sur un compte épargne-temps. Un accord a été trouvé en janvier 2008 pour le paiement aux médecins de la moitié des jours de RTT accumulés.
Notes
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[*]
Carole Clavier, université de Montréal, IRSPUM.
Patrick Hassenteufel, université Versailles - Saint-Quentin, CESDIP.
Francisco Javier Moreno-Fuentes, IPP-CSIC, Madrid.
François-Xavier Schweyer, EHESP, centre Maurice-Halbwachs. -
[1]
Par « médecins hospitaliers », nous entendons prioritairement les médecins exerçant des soins dans un hôpital (public ou privé) dans le cadre d’un contrat de travail stable (CDI) et pour lesquels l’activité de soins hospitaliers est l’activité principale (plein-temps). Sont de ce fait exclus de l’étude les médecins ayant des fonctions de management et les médecins exerçant de manière ponctuelle à l’hôpital (temps partiel, vacations). En revanche, les hospitalo-universitaires et les chefs de service sont inclus. Nous avons également pris en compte les médecins en formation, même s’ils n’entrent pas directement dans le champ de notre définition, du fait de l’émergence de problèmes spécifiques les concernant dans le cadre des changements dans la réglementation du temps de travail à l’hôpital.
-
[2]
Le travail de terrain a été effectué par Carole Clavier sur le Danemark et le Royaume-Uni, par Patrick Hassenteufel sur l’Allemagne, par Francisco Javier Moreno-Fuentes sur l’Espagne et par François-Xavier Schweyer sur la Lituanie. Les auteurs remercient Sébastien Guigner et Philippe Leroy qui ont effectué le travail de terrain sur les institutions européennes, la DREES pour son soutien à cette recherche ainsi que le comité de lecture de la Revue française des Affaires sociales pour ses suggestions et ses commentaires.
-
[3]
Affaire C-303/98, arrêt du 3 octobre 2003, Sindicato de Médicos de Asistencia Pública contre Conselleria de Sanidad y Consumo de la Generalidad Valenciana.
-
[4]
Affaire C-151/02, arrêt du 9 septembre 2003, Landeshauptstadt Kiel c./ Norbert Jaeger.
-
[5]
Affaires jointes C-397/01 à C-403/01, arrêt du 5 octobre 2004, Bernhard Pfeiffer et autres C./ Deutsches Rotes Kreuz, Kreisverband Waldshut.
-
[6]
Affaire C-14/04, arrêt du 1er décembre 2005, Abdelkader Dellas et autres c./ Premier ministre et ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité.
-
[7]
Il s’agit du premier cas d’échec de la procédure de codécision depuis son extension par le traité d’Amsterdam en 1999, la délégation du Parlement européen ayant très majoritairement voté contre le texte modifiant la directive de 2003. À la fin de l’année 2010, la Commission européenne a engagé une consultation avec les États membres afin de la réviser à nouveau (COM [2010] 801).
-
[8]
12 000 des 80 000 adhérents du syndicat ont répondu à l’enquête.
-
[9]
European Observatory on Health Systems and Policies (2011), “Mobility of health professionals in Europe (Germany, Lithuania, Poland, Romania, Spain and the United Kingdom)”, Euro Observer, vol. 13, n° 2.
-
[10]
Pour la France, le rapport indique que « le manque de clarté des dispositions relatives à la durée du travail des médecins semble avoir généré une pratique où les médecins des hôpitaux publics, rien qu’en effectuant leur service normal, dépassent déjà la limite des 48 heures prévue par la directive » (p. 4). Elle fait aussi remarquer qu’en France « la réglementation nationale relative aux médecins en formation ne semble toujours pas imposer de plafond en termes de temps de travail » (p. 7).
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[11]
Sources : site internet de la Fédération hospitalière de France : http://www.fhf.fr/Informations-Hospitalieres/Espace-Medical/Jeunes-medecins/Guide-de-l-interne-a-l-hopital/Les-droits-de-l-interne/Temps-de-travail-gardes-astreintes.
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[12]
Cf. le site http://www.fhf.fr/content/search ? SearchText=RTT&SubTreeArray=7722.
-
[13]
Circulaire DHOS/M2 n° 2003-219 relative aux modalités d’organisation de la permanence des soins et d’application des dispositions d’intégration des gardes dans les obligations de service statutaires.
-
[14]
Mission nationale d’expertise et d’audit hospitaliers (2003), Rapport d’étape. Temps de travail des médecins et organisation des services, disponible sur le site www.mnaeh.sante.gouv.fr.