1Alors que le Parti travailliste s’accorde un droit d’inventaire du « blairisme », notamment dans le domaine social, il peut être intéressant de se pencher sur les franges critiques du travail social en Grande-Bretagne. Cette appellation de « travail social critique » regroupe ici des auteurs, tous universitaires dans des facultés de travail social au Royaume-Uni et par là même formateurs de travailleurs sociaux [1], qui tentent de comprendre comment des transformations sociales, économiques et politiques, que l’on peut résumer par le passage à une société « néolibérale [2] », impactent l’activité des travailleurs sociaux dans ses méthodes et ses fondements. Ils ont en commun de développer un point de vue sociologique sur les problèmes sociaux bien que le social ait des acceptions différentes selon les auteurs.
2Avec différentes assises du point de vue des théories sociales mobilisées, ils discutent des enjeux essentiels des politiques sociales instiguées par le New Labour : l’individualisation des prestations sociales et la promotion de l’usager-consommateur de services, la montée du pouvoir gestionnaire et la libéralisation des services sociaux, le développement des nouvelles technologies dans le travail social, ou encore la prégnance du travail social fondé sur la preuve scientifique (evidence-based social work).
3Cette pensée critique du travail social se déploie dans des espaces académiques reconnus comme le British Journal of Social Work [3], mais elle n’est jamais déconnectée des enjeux réels de l’intervention auprès des personnes en difficulté dans un contexte institutionnel et politique mouvementé [4]. Un premier corpus rassemble des auteurs qui explorent les conséquences des changements sociaux sur les rapports entre savoir et pouvoir dans la relation d’aide. Les approches constructivistes des politiques et de l’intervention sociales s’interrogent ainsi sur les répercussions du tournant « postmoderne [5] » et des formes de relativisme qu’il engendre. Le second courant, dit du « travail social radical » (radical social work), est d’inspiration marxiste ou poststructuraliste et favorise des lectures plus macrosociales et politiques de l’environnement des travailleurs sociaux.
Le travail social à l’ère du relativisme postmoderne : les analyses constructivistes
4Un premier ensemble de travaux s’intéresse à la construction cognitive et normative des problèmes sociaux et des publics du travail social. Le tournant postmoderne relativiste serait alors marqué par une mise à distance des grands paradigmes d’appréhension et d’explication des problèmes sociaux tant au niveau macro qu’au niveau de la prise en charge individuelle. Un second ensemble de travaux est plus spécifiquement centré sur les nouvelles techniques de gestion des publics du travail social dessinées par la montée de la rationalité managériale dans le travail social. Il analyse la manière dont cela modifie les contours de la professionnalité des travailleurs sociaux.
Une attention aux relations entre savoir et pouvoir dans les politiques et l’action sociales
5Les approches constructivistes sont particulièrement attentives à la question de la connaissance dans le travail social et des relations de pouvoir que ces rapports de connaissance instituent. Pour les constructivistes, la connaissance n’est pas prise pour un acquis, comme une donnée objective existant en dehors des formes sociales dans laquelle elle prend corps. C’est une production inscrite dans l’histoire des sociétés. Le caractère construit de la connaissance s’observerait aussi bien dans les interactions en face à face que dans les processus plus intermédiés (production médiatique et institutionnelle). Le statut de la vérité est ainsi remis en question.
6L’approche constructiviste a donné lieu à de nombreux travaux de recherche sur les catégories de l’action et de l’intervention sociales. Nigel Parton a fait une très belle démonstration de l’usage du paradigme constructiviste en étudiant la construction et la transformation du problème de la maltraitance des enfants en Angleterre depuis ses prémices dans la société industrielle du xixe siècle (Parton, 1985) jusqu’à ses développements préventifs contemporains (Parton, 2006). De même, Caroline Taylor (2008) a réalisé un travail sur les archives des philanthropes anglais de la fin du xixe siècle pour mettre en lumière les récits humanistes et leurs figures, la structure de ces récits comme les modes de catégorisations qu’ils ont engendrés.
7La démarche constructiviste a également été appliquée par des féministes attachées à rendre compte des biais sexistes qui surdéterminent la construction sociale des problèmes sociaux. C’est le cas de Cowburn et Dominelli (2001), par exemple, qui montrent combien la construction clinique et médiatique du « pédophile » tend à occulter les effets plus généraux de ce qu’elles appellent la « masculinité hégémonique » : ces discours consolideraient la frontière entre la figure positive et normale de l’« homme hégémonique », le protecteur, et la figure masculine déviante, le prédateur. Le sexe des criminels sexuels est, selon elles, très souvent omis alors que l’on sait qu’ils sont la plupart du temps des hommes. De même, l’image du pédophile comme danger public occulterait le fait que la plupart des abus sexuels sur les femmes et les enfants se perpétuent dans la sphère domestique. Une fois cette figure mise à distance, l’homme normal serait conforté dans son rôle de protecteur vis-à-vis de sa famille, alors même que le pouvoir que lui confère ce rôle est, d’après les auteurs, encore trop souvent retourné contre les siens.
8Ce courant nourrit enfin une réflexion sur la nature du savoir et de la professionnalité en travail social ainsi que sur la pratique réflexive : alors que les critiques précédentes visaient à relativiser un discours sociétal monolithique et à en démasquer les enjeux de pouvoir, cette démarche plus praxéologique [6] vise à comprendre les enjeux pour le travail social de l’avènement d’une société postmoderne, dans laquelle chaque individu serait porteur d’une vérité et d’un récit à respecter. Le British Journal of Social Work a été au milieu des années 1990 le théâtre d’un débat passionné sur la nature des transformations du travail social. David Howe (1994) et Nigel Parton (1994) y ont défendu l’idée que le travail social a été le théâtre d’un tournant postmoderne. Ce dernier serait frappé de plein fouet par la disparition de « métarécits », susceptibles de donner un sens universel aux expériences singulières. Aussi, selon Howe, le travail social postmoderne serait-il caractérisé par le pluralisme, la valorisation de la participation, le pouvoir et l’efficacité (performance). La différence serait devenue valeur à défendre et le pluralisme caractériserait aussi les pratiques professionnelles qui ne sont plus unies par un corps doctrinaire unique. La participation de l’usager découle pour ces auteurs du relativisme postmoderne : puisque chacun est porteur de sa vérité, chacun est légitime à participer à la décision. Le centre du pouvoir se serait en conséquence déplacé (Parton, 1994) : les managers deviennent les personnes clés du système, médiateurs entre les savoirs experts, l’individu, les besoins de la communauté et l’allocation des ressources rares. Les travailleurs sociaux eux-mêmes deviennent des case managers, c’est-à-dire que les notions de suivi, de gestion des cas deviennent essentielles dans le travail quotidien. Enfin, le travail social aurait renoncé à agir sur le for intérieur conformément au programme moderne de la conduite du sujet, mais se limite à intervenir sur le comportement extérieur. Les individus sont traités comme des sujets de droits et de devoirs, des consommateurs et des contractants et non plus dans des termes médico-sociaux.
Une critique des nouvelles technologies de gouvernementalité
9Autour de l’approche de Nigel Parton (1994, 1996) s’est agrégé un ensemble de travaux qui s’intéressent tout particulièrement aux technologies de gouvernementalité et aux formes de savoir spécifique de la société postmoderne.
10Poursuivant une analyse foucaldienne sur le rôle du travail social comme activité de normalisation, moralisation et mise sous tutelle de la population, Parton tente d’analyser la fonction sociale du travail social dans la société postmoderne. La transformation du travail social doit être reliée à la transformation des modes de gouvernementalité, c’est-à-dire des formes de pouvoir qu’exercent des institutions et des groupes constitués à travers le contrôle de la vie des individus et des familles, à travers des méthodes et des techniques de régulation qui supposent la construction et la manipulation de savoirs spécifiques sur les populations. Selon lui, l’avènement d’une idéologie néolibérale aurait représenté un tournant radical en termes de vocabulaire, de systèmes d’interprétation, de technologies de gouvernementalité. Parton montre que le travail social s’est trouvé vivement attaqué par les néoconservateurs britanniques. L’accent a été alors mis sur la responsabilité individuelle, et l’activité du travailleur social a été redéfinie autour de trois compétences clés : avoir une vision complète des différentes ressources d’aide disponibles dans la zone, être conscient du fait que le service direct n’est pas toujours la meilleure solution, soutenir la participation la plus active possible des tiers dans l’aide à l’usager. Dans le même temps, c’est toute la structure de l’offre de services sociaux qui a été reconfigurée à l’aune de la doctrine du « pluralisme du welfare » : pluralisme dans les ressources (appel au tiers-secteur, au privé, à l’auto-organisation), décentralisation des services sociaux et organisation au service de la communauté ou du quartier (community-oriented), introduction de relations contractuelles plutôt que hiérarchiques et verticales. Le temps passé à l’administration augmente fortement. Le lieu central de la gouvernementalité s’est déplacé vers ceux qui détiennent l’information agrégée sur les cas, donc les managers plutôt que les travailleurs sociaux de terrain.
11Cette grille de lecture foucaldienne des transformations sociales amène Nigel Parton à une analyse de ce qu’il appelle le tournant électronique dans le travail social qu’il voit comme la marginalisation du récit au profit d’un transfert d’informations routinisées, objectivées et décontextualisées (Parton, 2008). Le travail social moderne s’attachait à l’être social et au sujet, l’humain universellement doté d’un potentiel de sociabilité. Il reconnaissait à la personne le droit de se dire dans ses propres termes en dehors des caractéristiques objectives ou statutaires que l’institution lui assigne. Les nouvelles technologies viennent faire littéralement écran entre le récit de l’usager et le travailleur social. Le travailleur social est de plus en plus contraint par des procédures standardisées qui diminuent son pouvoir discrétionnaire, alors que ce dernier est considéré comme un élément clé de la professionnalité. La relation d’aide qui était au cœur de la professionnalité des travailleurs sociaux se trouve reléguée au second plan, car le travail est recentré sur la collecte, le stockage et la transmission d’informations. La réponse à la montée de la société du risque a été un renforcement de la fiabilité des systèmes qui pallie le manque de confiance dans les professionnels (Smith, 2004). L’identité des personnes doit se couler, se découper selon l’ontologie de la base de données et le sujet disparaît. Parson souligne donc le caractère paradoxal de la « révolution » individualiste dans le travail social, qui, au nom de l’individualisme, finit par aboutir à une standardisation des récits et à une uniformisation des circonstances personnelles. La même critique de la « tyrannie descriptive » sous-tend l’étude de la mise en œuvre du CAF (Common Assesment Framework), une nouvelle procédure standardisée d’investigation dans le secteur de l’aide sociale à l’enfance au Royaume-Uni (White, Hall, Peckover, 2009). Les auteurs de cette étude notent tout particulièrement l’impossibilité dans ce formulaire universel de prise en charge de rendre compte de la temporalité, de l’histoire dans laquelle cette prise en charge prend place. La formulation du formulaire implique un découpage de la personne en forces et faiblesses, ce qui induit un programme d’action contestable aux yeux des auteurs.
12On trouve donc là des opposants résolus à l’evidence-based social work qui tend à s’imposer comme une pratique dominante du travail social aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Cela participe pour eux d’une rationalité technique dans le travail social (Parton, 2000) qui cherche à mettre en évidence des liens de causalité entre des événements en passant outre la signification socialement construite, celle que leur donnent les personnes (Butt, Parton, 2005).
Les rapports de domination à la lumière du travail social radical
13Bien qu’orientés vers un même objectif de remise en cause des rapports de pouvoir établis, certains chercheurs en travail social ont voulu s’écarter du paradigme constructiviste jugé trop peu attentif aux inégalités structurelles affectant la société et dont le creusement est lié, selon eux, aux développements néolibéraux. Ces théoriciens du travail social défendent donc une position plus engagée encore que les précédents, au service de l’action collective des personnes opprimées, un travail social de l’émancipation et de la résistance, le radical social work.
Une attention aux contraintes structurelles qui pèsent sur les publics
14Iain Ferguson et Michael Lavalette ont développé une approche marxiste du travail social et plaident pour remettre la question de l’aliénation au centre des débats, tant pour comprendre les situations complexes des usagers que pour saisir la position paradoxale de l’intervenant social (Ferguson, Lavalette, 2004). Pour eux, les notions de perte de contrôle (de la part des travailleurs sociaux) et d’impuissance (de la part des usagers) sont beaucoup plus pertinentes que les concepts constructivistes pour penser à la fois les transformations du travail social contemporain et l’expérience des usagers. Ils reprochent aux approches constructivistes d’avoir servi l’ordre néolibéral en mettant l’accent sur la différence et l’identité des personnes et en sous-estimant toutes les formes structurelles d’oppression. Ils sont dès lors très critiques vis-à-vis des théories de l’empowerment qui, selon eux, réduisent les relations sociales à leur dimension les plus interpersonnelles. Très présents dans les mouvements sociaux anticapitalistes et altermondialistes, ils prônent un travail social émancipatoire par la voie collective.
15Pour les mêmes raisons, les tenants du travail social radical fustigent les approches individualisantes du travail social. Au milieu des années 2000, le British Journal of Social Work a vu s’affronter ces deux conceptions de l’intervention sociale à travers le débat entre Harry Ferguson (2001, 2003, 2008), qui proposait une politique de « gouvernement des parcours de vie » (life politics), et Paul Michael Garrett, partisan d’une action de transformation sociale (2003, 2004). Reprenant les analyses d’Ulrich Beck (1992) ou d’Anthony Giddens (1991), Harry Ferguson décrit le passage de la modernité simple à la postmodernité comme l’avènement d’une société du risque, c’est-à-dire d’une société où ce dernier est devenu consubstantiel à la condition humaine, car généralisé. Une société risquée est selon lui une société dans laquelle les parcours de vie ne sont pas déterminés par les caractéristiques de la naissance mais une société dans laquelle l’individu se fait lui-même chemin faisant, en réalisant des choix de vie. Les normes de comportements ne sont plus aussi prédictives, contraignantes qu’avant. C’est ainsi que l’individualisation prend ici le sens d’une forme d’autonomie des modes de conduite. Harry Ferguson soutient l’idée que le travail social doit s’adapter à l’individu postmoderne en soutenant ce projet de « biographie élective » dont il reconnaît le caractère intrinsèquement précaire. C’est pourquoi il en appelle à un gouvernement des parcours de vie qui traiterait des choix de vie dans un environnement du risque. Le rôle du travailleur social serait alors d’aider les personnes dans la planification de leur vie, dans l’élaboration d’un projet de vie dont les individus acquerraient peu à peu le contrôle.
16Paul Michael Garrett reproche à cette analyse de passer trop vite sur les contraintes et les limitations structurelles de choix de vie qui pèsent sur les populations les plus défavorisées, celles avec qui justement traite le travail social (op. cit.). Pour lui, la révolution du travail social que propose Ferguson n’est qu’un habillage intellectuel de l’idéologie néolibérale qui transforme le citoyen en consommateur conscient de ses choix jusque dans le domaine des services sociaux. Il rejoint en cela les critiques faites à la politique des « chèques d’action sociale », consistant pour les municipalités à verser au bénéficiaire une allocation financière pour payer des services sociaux plutôt que de fournir le service directement (Spandler, 2004 ; Scourfield, 2005) : ériger le bénéficiaire en consommateur de services, mettre en concurrence les structures d’aide sociale, responsabiliser l’usager sont autant de mots d’ordre des réformes du New Labour qui ont profondément changé l’orientation des services sociaux en Grande-Bretagne.
Différents points d’ancrage théoriques poststructuralistes
17D’un point de vue théorique, ces chercheurs en travail social explorent l’ensemble de la galaxie de la sociologie critique, depuis Bourdieu (Garrett, 2007) jusqu’aux philosophes féministes comme Nancy Fraser en passant par les théoriciens de l’École de Francfort (Houston, 2010). Ces paradigmes servent de ressources argumentatives dans des débats internes plus concrets sur des méthodes en travail social, comme par exemple la « conférence familiale ».
18Sur ce sujet par exemple, Garett s’oppose à David Hayes et Stan Houston (Hayes, Houston, 2007). Ces derniers font des conférences familiales, ces lieux de réunions entre les professionnels et les familles pour aider ces dernières à prendre des décisions concernant leurs enfants, l’archétype des pratiques qui réconcilient le « monde vécu » des individus avec le « système », c’est-à-dire la sphère instrumentale de la bureaucratie et du marché. Espace démocratique habermassien par excellence, les conférences familiales permettraient aux personnes d’exprimer leurs besoins et leurs désirs dans un esprit d’intercompréhension.
19Pour Garrett (2009), cette approche nie que les relations familiales et les interactions sociales dans leur ensemble sont elles-mêmes traversées par des relations de pouvoir et d’instrumentation. Une approche bourdieusienne des positions et dispositions sociales des agents entame largement la confiance dans l’établissement de règles procédurales démocratiques pour arriver à une communication transparente et égalitaire. Il ne suffit pas d’instaurer des « coordonnateurs indépendants », comme le veut la méthode des conférences familiales, pour que la communication entre les participants se réalise selon les seuls principes de la raison argumentative, dénuée d’enjeux de pouvoir, ne serait-ce que parce que ces coordonnateurs sont avant tout des agents sociaux, dotés de capitaux culturel et social qui les font entrer dans des rapports de domination.
20Plus largement, Garrett reproche aux tenants du travail social de la reconnaissance de se focaliser sur les sources de mépris situées dans les relations interpersonnelles en sous-estimant encore une fois les dynamiques plus structurelles qui permettent l’oppression (Garrett, 2010). L’État, en particulier, demeure un impensé de ce travail social de la reconnaissance. L’activité de classement et de catégorisation de l’État, voire de séparation et de ségrégation, à travers les politiques sociales est, selon lui, trop peu prise en compte dans les analyses et les pratiques dérivées de cette théorie.
Conclusion
21Le travail social critique apparaît comme un lieu de débats féconds dans lequel les théories et les concepts servent de points d’appui à des discussions sur les méthodes et les pratiques professionnelles. Si la sociologie est la discipline la plus convoquée, la philosophie ainsi que la psychologie ne sont pas absentes des références des auteurs. Le contexte institutionnel de la formation des travailleurs sociaux outre-Manche (comme dans l’ensemble du monde anglo-saxon) – formation universitaire et construction disciplinaire du travail social – favorise ces formes d’allers-retours entre théorie, pratique et engagement. À l’inverse, l’autonomisation de la formation des travailleurs sociaux français au sein d’écoles coupées de l’université, et donc de la recherche, freine quelque peu l’éclosion de ces pensées hybrides et néanmoins fécondes.
22Le travail social critique a surtout représenté un espace intellectuel et professionnel de résistance aux réformes structurelles et organisationnelles dans les politiques sociales britanniques, alors que ces dernières remettaient en cause les fondements de la professionnalité. Là aussi, on peut y voir la marque d’une organisation institutionnelle des travailleurs sociaux beaucoup plus indépendante vis-à-vis des pouvoirs publics qu’en France. La défense de l’autonomie dans le travail est un élément crucial dans cette construction historique, défense de l’autonomie contre laquelle viennent buter les réformes de type managériale. La construction de savoirs originaux sur et pour le travail social apparaît alors comme un des moyens de reprendre la main sur l’activité, en réaction à la procéduralisation croissante imposée par les pouvoirs publics. Là encore, il est difficile d’imaginer, étant donné les relations d’interdépendance étroites qui existent entre les fragiles organisations professionnelles et l’État en France, un mouvement de réflexion critique qui puisse disposer d’une telle surface sociale. Il y aurait pourtant beaucoup à apprendre d’une telle approche car, loin de s’enfermer dans la dénonciation, elle a à cœur de proposer des outils nouveaux pour accomplir la mission de transformation sociale dans des contextes sociaux, économiques et institutionnels en profonde mutation.
Notes
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[*]
Maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers-Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (CNAM-LISE ; UMR CNAM-CNRS).
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[1]
Il faut ajouter qu’ils ont eu pour la plupart une expérience professionnelle de travailleur social de terrain avant de commencer une carrière académique. Ce multipositionnement est une caractéristique de la construction institutionnelle du travail social dans le monde anglo-saxon.
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[2]
Afin de faciliter la lecture, nous omettrons les guillemets dans la suite du texte.
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[3]
Le British Journal of Social Work est une revue à comité de lecture éditée aux Presses de l’université d’Oxford sous l’égide de la puissante British Association of Social Workers. Sans équivalent en France, elle est la première revue académique en travail social en Grande-Bretagne.
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[4]
Afin de comprendre les fondements analytiques de ce courant, nous nous sommes principalement appuyés sur un corpus d’une vingtaine d’articles publiés dans le British Journal of Social Work au cours de la dernière décennie. Cette liste a été complétée par la lecture d’autres références fréquemment citées dans ce premier corpus.
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[5]
Cf. note 2. p. 75.
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[6]
Nous entendons par là une démarche orientée vers l’analyse de l’agir professionnel et de ses déterminants.