Introduction
1Dans un contexte de changements rapides et profonds de l’organisation hospitalière, comment des médecins salariés (hôpitaux publics et cliniques privées) vivent-ils leur situation au travail ? Comment disent-ils leurs sentiments de satisfaction et d’insatisfaction dans leur pratique professionnelle ? Dans quelle mesure ces sentiments reflètent-ils leur état de santé au travail ? À partir de quels points de vue se placent-ils pour juger leurs conditions de travail et de la qualité des soins qu’ils peuvent apporter ? Il est urgent d’en rendre compte car on peut penser que leurs vécus, leurs jugements, leurs discours vont influer à l’avenir sur leurs attitudes, et en particulier sur leur pratique professionnelle vis-à-vis des malades, de l’équipe et de l’institution, et, au-delà, sur leurs décisions de rester ou de sortir du cadre hospitalier.
2L’actualité sociale montre l’existence d’un profond malaise dans les hôpitaux. Celui-ci s’exprime, entre autres, par le mouvement récent des praticiens hospitaliers démontrant, s’il en est besoin, que la problématique de la satisfaction professionnelle est devenue centrale, alors que la situation démographique médicale et paramédicale est problématique (HOPE, 2004 ; OCDE, 2009). Les problèmes rencontrés par ces professionnels, les modalités de prise en charge des patients et le système dans lequel ils évoluent (démographie médicale, qualité des soins, sécurité, coûts) justifient une attention particulière afin de les comprendre. En effet, au-delà des prises de positions dans les médias, il n’y a pas eu en France, jusqu’ici, d’analyse systématique permettant d’objectiver les éléments de la satisfaction et de l’insatisfaction des médecins au travail. Cette recherche [1] fait suite à un travail similaire conduit au niveau européen auprès de 39 898 paramédicaux (enquête PRESST-NEXT : Estryn-Behar, 2008).
3L’hôpital est confronté à des évolutions majeures conduisant à une transformation des rapports sociaux dans les équipes de travail (notamment la répartition sexuée du travail) et des changements dans le contenu et l’organisation du travail (Picot, 2005 ; Acker, 2005). Les politiques publiques de santé interviennent directement dans ces évolutions, impulsant une réorganisation des établissements de santé publics. Son impact sur le contenu du travail a pu être sous-estimé, tant les changements de l’organisation du travail infirmier et médical (Picot, 2005 ; Cordier, 2008) que l’augmentation des tâches administratives (Estryn-Behar, 2008), la fonctionnalité des systèmes choisis (Estryn-Behar, 1996 ; Estryn-Behar, 2009a) ainsi que les exigences et les attentes des patients pour l’amélioration de l’information et de la qualité des prises en charge.
4« L’accréditation » impulse la mise en place de protocoles, d’outils de traçabilité et de contrôle centrée sur les résultats. Or cette conception est en décalage par rapport à celle de la qualité des soins définie en termes de prise en charge globale des patients, présente parmi les soignants. Pour les salariés, « les normes de qualité se traduisent par une surveillance accrue de la hiérarchie » et un accroissement des contraintes de travail (Le Lan et Baubeau, 2004), ce qui rejoint les constats d’autres auteurs (Bué et Rougerie, 1999 ; Estryn-Behar et al., 2001). Ces résultats convergent avec ceux de l’enquête PRESST-NEXT qui a montré le lien entre l’insatisfaction de la qualité des soins, l’insuffisance de qualité du travail d’équipe, l’épuisement professionnel et l’intention d’abandonner la profession (Estryn-Behar, 2008 ; Estryn-Behar et Muster, 2007).
5La densification des activités, liée en particulier à la diminution de la durée de séjour des malades et des moyens humains – jugés insuffisants –, entraîne en particulier une mutualisation des moyens (Gheorghiu et al., 2007). Or cette mutualisation, conduisant à des changements très fréquents de poste de travail, rompt les « collectifs de travail » qui ont, de tout temps, joué un rôle majeur (Estryn-Behar, 1996).
6La nouvelle gouvernance, qui a pour effet de redistribuer les pouvoirs au sein des établissements, a fait l’objet d’une alarme lancée par l’ensemble des dirigeants médicaux de l’Assistance publique, soulignant le risque d’aboutir à « un découragement de l’ensemble des personnels » (Cordier, 2008 ; Lettre des présidents CCM, 2008).
7Ce contexte permet-il aux médecins de trouver satisfaction dans leur activité, de se sentir efficaces et fiers de la qualité de leur travail et des relations qu’ils nouent avec les autres soignants et avec les malades ? L’enquête SESMAT (Santé et satisfaction des médecins au travail) permet d’apprécier les effets des changements en cours sur le travail et la pratique médicale hospitalière. Elle permet surtout de cerner les éléments de discours d’un échantillon spécifique de médecins hospitaliers (sans doute motivés par la question) sur ce qu’ils trouvent le plus pénible et sur ce qui leur permettrait d’avoir une satisfaction professionnelle.
L’enquête
Présentation
8Notre étude concerne les médecins et pharmaciens travaillant en France ayant une activité salariée, pour la plupart en milieu hospitalier. Un questionnaire détaillé passe en revue les différents aspects des conditions de travail, leur satisfaction et leur état de santé. Le questionnaire était disponible en ligne entre avril 2007 et mai 2008, et les deux plus importantes associations de médecins (Coordination des praticiens hospitaliers [CPH] et Intersyndicat national des praticiens hospitaliers [INPH]) en ont fait la promotion. 3 196 médecins et pharmaciens – 90,3 % d’entre eux travaillant à plein temps à l’hôpital – ont répondu et fourni des données utilisables. Il y a 39 389 praticiens hospitaliers recensés en France (33 835 à temps plein et 5 554 à temps partiel [2]) et 4 799 ont été informés de l’existence de notre enquête par le site www.presst-next.fr/SESMAT/
9Le taux de réponse sur cette population concernée est donc élevé (67 %), mais il est important de garder à l’esprit que les médecins accédant à ce site ne sont pas tirés aléatoirement dans la population des praticiens hospitaliers. On sait que l’accès à ce site se fait principalement par l’intermédiaire d’organisations syndicales de médecins, ce qui laisse penser que les répondants à notre enquête sont particulièrement concernés par les questions abordées et y ont réfléchi. Par conséquent, notre échantillon n’est pas représentatif de la population des praticiens hospitaliers. Cela n’est pas un défaut de notre enquête, car nos analyses visent à comprendre différentes positions discursives attestées sur les conditions de travail et la satisfaction au travail de cette population particulière et non à donner un point de vue représentatif de l’ensemble des médecins hospitaliers, comme le ferait une enquête d’opinion.
10En matière de discours et concernant des questions ouvertes, ce qui est visé n’est donc pas la représentativité du recueil, mais consiste à déployer un éventail large de points de vue possibles sur un objet. D’une part, le discours est, on le sait, proliférant (Foucault, 1971), les énoncés infiniment variables, donc difficilement classables en éléments simples de catégories de contenu construites, celles-ci risquant d’ailleurs de refléter des catégorisations dominantes (Pêcheux, 1990) ; d’autre part, la relation entre une énonciation particulière et la place sociale du locuteur (son statut, son rôle, son sexe, son âge, sa position dans des activités, etc.), si elle n’est pas sans rapport, n’est pas automatique. L’analyse des discours produits doit alors s’attacher en tout premier lieu à dégager des constantes de sens, des « configurations discursives », qui sont, comme on le verra pour les plus importantes, en nombre limité. Il s’agit donc ici de dessiner l’espace des points de vue les plus caractéristiques sur les thématiques proposées. C’est seulement en second lieu que l’on pourra mettre en rapport, en tendance et en tendance seulement, ces espaces de points de vue et de significations avec des caractéristiques sociales des locuteurs. Si la représentativité des répondants par rapport à la population totale est souhaitable, elle n’est pas indispensable à la mise au jour de ces configurations discursives, à condition toutefois que le discours examiné soit suffisamment dense, ce qui est largement le cas ici.
11Le questionnaire SESMAT a été adapté pour les médecins français à partir du questionnaire NEXT (Hasselhorn et al., 2003 ; Estryn-Behar et al., 2007), utilisé en France et dans dix pays européens auprès des soignants paramédicaux salariés. Il comprend 121 questions fermées et 5 questions ouvertes.
12L’analyse des réponses aux questions fermées est en cours et fait l’objet de plusieurs publications thématiques (Estryn-Behar et al., 2009b). Parmi les 3 196 répondants à l’enquête SESMAT, 2 555 ont répondu à au moins une question ouverte (78 %, ce qui donne un taux de réponse à au moins une question ouverte de 52 % de la population ayant accédé au site). Il s’agit de 2 371 médecins hospitaliers, de 98 pharmaciens hospitaliers et de 86 médecins salariés du travail et de santé publique non hospitaliers. Les médecins hospitaliers représentent donc 92,8 % des répondants aux questions ouvertes et nous emploierons le terme « médecins hospitaliers » pour décrire l’ensemble des répondants analysés, médecins et pharmaciens, hospitaliers ou non.
13Soulignons que ces verbatim ont été écrits en ligne directement par les médecins eux-mêmes. Ce corpus de réponses libres, par sa longueur, sa précision et la qualité des réponses permet de cerner les motivations au travail et les valeurs de ces médecins hospitaliers dans des conditions d’exercice qu’ils jugent souvent pénibles.
La situation d’enquête et les questions ouvertes
14Répondre à un questionnaire est une situation sociale d’interlocution particulière autour d’un acte de parole central : une question et une réponse (ici en ligne et par écrit), engageant deux locuteurs, d’un côté un groupe de chercheurs qui a préparé le questionnaire, de l’autre un individu parlant à partir de sa place, de son statut et rôle et de son activité. Les questions posées ouvertes que nous analysons ici étaient les suivantes :
15« 122 [désormais 122a] : Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre travail de façon générale et dans votre discipline ? Expliquez :
16122b : Qu’est-ce qui vous semble le plus pénible dans votre travail de façon générale et dans votre discipline ? Expliquez : »
17Ce qui est demandé aux répondants est un jugement – une appréciation par rapport à un ressenti – appuyé sur leur expérience dans leur milieu de travail. Les différents énoncés peuvent être envisagés comme des représentations de ce ressenti. C’est une forme de prise de distance qui fait une synthèse ou qui relève des éléments les plus typiques ou marquants de ce vécu.
18Les deux questions posées demandent de faire un choix hiérarchisé parmi plusieurs possibilités ouvertes non précisées (« le plus ») d’actes, d’activités, de situations, de relations, d’objets, de finalités, etc. Elles circonscrivent deux domaines :
- le « travail » (donc des activités dans des situations concrètes) « de façon générale » (donc une synthèse ou des éléments marquants) ;
- et la « discipline » (donc un ensemble de discours et de pratiques socialement autonomisés).
La méthode
Prendre les mots au mot
19La méthodologie d’analyse lexicométrique, c’est-à-dire l’analyse statistique des formes lexicales, permet d’aller au-delà d’une analyse de contenu qui classerait intuitivement les énoncés et les mots, en s’appuyant sur un comptage rigoureux des formes simples ou combinées. Ainsi, par exemple, un terme aussi polysémique que « travail » (une des formes les plus fréquentes du corpus) est, dans la question sur le goût au travail, majoritairement le « travail en équipe » alors qu’il figure comme « charge de travail » dans la question sur la pénibilité. Une catégorie globale « travail » n’aurait pas permis de prendre en compte cette particularité. Pour l’analyse des questions ouvertes, nous avons utilisé le logiciel Lexico (Lebart, Salem, 1988 et 1994 ; Leimdorfer, Salem, 1995) et le logiciel Alceste (Reinert, 1986 et 1993 ; Leimdorfer, 2009).
20Toute analyse sociologique d’un corpus de textes pose l’hypothèse d’une régularité des énoncés et des effets de sens produits pour des personnes dans des situations sociales analogues ou proches. Pour aborder un tel corpus (ici l’ensemble des réponses à une question donnée), nous nous sommes interrogés sur les mots utilisés dans les énoncés, en nous appuyant sur une compréhension immédiate de leurs significations et en dégageant des régularités que l’on mettra en regard de caractéristiques sociologiques (âge, lieu de travail, sexe, spécialité, etc.). Nous nous sommes limités ici à dégager les grandes tendances des contenus des réponses ainsi que les spécificités lexicales les plus caractéristiques des différentes catégories de locuteurs.
21Nous avons constaté que la répartition par sexe, âge, spécialité et région de la totalité de l’échantillon ayant répondu à au moins une question ouverte diffère peu de la répartition donnée par la DREES.
22Le développement de la statistique textuelle et des logiciels informatiques d’analyse lexicométrique permet de faire des analyses de la distribution des formes lexicales (les mots) d’un corpus et leurs associations.
L’analyse des questions ouvertes : utilisation des logiciels Lexico et Alceste
23Le logiciel Lexico permet de montrer les environnements textuels de mots choisis (les « co-occurrences »), de calculer la fréquence des occurrences de formes, la spécificité de leur fréquence par rapport à des variables connues par les réponses aux questions fermées (c’est-à-dire la répartition non aléatoire des formes selon, par exemple, l’âge, le sexe, le locuteur, les périodes, etc.). Cette spécificité, positive ou négative, indique que le terme apparaît de manière non « banale », c’est-à-dire par écart significatif à la probabilité d’apparition d’une forme dans un ensemble (une partie) d’énoncés relatifs à une variable (âge, sexe, etc.), compte tenu de la longueur (le nombre d’occurrences des formes) du corpus total et des parties délimitées par les variables. Ces dernières sont, pour les questions ouvertes, les suivantes : le sexe (masculin, féminin), l’âge (– 35 ans ; 35-44 ans ; 45-54 ans ; 55 ans et +), le type d’établissement (CHU, CHG, autre), le service hospitalier (urgences, anesthésie-réanimation, chirurgie incluant l’obstétrique, médecine incluant la pédiatrie, longs et moyens séjours, psychiatrie, pharmacie, médecine préventive, plateau technique), la région (Île-de-France, province).
24Le logiciel Alceste constitue des classes (par classification hiérarchique descendante) d’énoncés (de longueur fixe en nombre de mots) qui partagent un même vocabulaire spécifique de « mots pleins » (morphèmes lexicaux), les « mots outils » (morphèmes grammaticaux) et les variables spécifiques étant rapportés après regroupement de ces énoncés en classes. Alceste permet de constater que des ensembles de mots forment en quelque sorte des « mondes lexicaux » permettant de dégager des thématiques fortes pour l’ensemble du corpus. L’intérêt de cette analyse est qu’elle regroupe des énoncés et des mots non par affinité sémantique ou par précatégorisation de l’analyste, mais par des opérations purement mathématiques et statistiques.
25Le logiciel Lexico effectue une partition « externe » du vocabulaire à partir de variables sociodémographiques déclarées par les répondants. À partir de cette partition, nous pouvons repérer des spécificités lexicales employées par certaines catégories de médecins. En revanche, les classes d’Alceste se dégagent par proximité lexicale des énoncés et permettent une sorte de partition « interne » du corpus. Cette partition fait ainsi apparaître des lignes thématiques distinctes, pouvant caractériser certains groupes du corpus, certaines réponses des médecins pouvant appartenir à plusieurs groupes.
26Les textes réunis en corpus sont considérés comme une totalité fermée. Les co-occurrences, les calculs se font à l’intérieur de cet ensemble mis à plat. Ajoutons que les mots que nous allons examiner ne sont pas les réponses à la question, mais font partie d’énoncés complets qui constituent les réponses effectives.
27Dans cette étude, nous avons souhaité restituer les thèmes dominants des réponses des médecins hospitaliers. D’autres méthodes d’analyse de discours sont bien entendu possibles : analyses de l’énonciation, des actes de parole, des catégorisations, des termes évaluatifs, des relations questions-réponses (cf. Leimdorfer, 2010, à paraître), etc., mais engagent vers d’autres types d’études et de résultats.
Les résultats
Le goût des autres
28À la question 122a : « Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre travail de façon générale et dans votre discipline ? Expliquez : », 2 520 médecins hospitaliers ont répondu. Ces réponses se ventilent en plus de 47 000 occurrences pour environ 4 000 formes lexicales différentes : c’est donc un corpus considérable. Nous allons examiner ici les formes dont les occurrences sont les plus nombreuses afin de centrer l’analyse sur les données les plus significatives : travail, patient-e-s, équipe, contact, diversité et variété. Remarquons que ces différents termes peuvent figurer dans une même réponse.
Les termes lexicaux
29Les morphèmes lexicaux les plus nombreux (nombre d’occurrences > 100) sont, par ordre décroissant de fréquence (cf. tableau 1) :
30– Travail (986 occurrences) - travailler (88 occurrences) : c’est le mot le plus fréquent de la question 122a, mais également de la 122b. Le mot le plus associé à travail est équipe (près de 500 occurrences), lui-même très largement inclus dans cette série. On trouve également plusieurs occurrences de travail en commun, en réseau, etc. Un premier ensemble de relations, relativement univoque, est donc constitué par les collectifs de travail. Un deuxième réseau de relations réfère aux conditions de travail : condition, ambiance, charge, temps, organisation du travail (~ 160 occurrences). Un troisième ensemble est formé par la qualité du travail : intérêt, satisfaction, variété, diversité (~ 110 occurrences).
31– Patient-e-s (1 195 occurrences) est fréquemment associé à famille-s (~ 100 occurrences), et dans une moindre mesure à : proches, équipe, personnel, travail. Mais, lorsqu’il s’agit de patients, c’est l’aspect relationnel qui prime avant tout : avoir des contacts, des rapports, des relations (humaines), des échanges avec les patients (+ de 800 occurrences). Ensuite apparaissent l’apport, l’aide, le soin, le soulagement : apporter, aider, soigner les, améliorer l’état de, rendre des services, être utile aux patients (+ de 500 occurrences), etc. Puis nous trouvons le travail avec les patients : travailler avec, prendre en charge, suivre les, s’occuper des patients (~ 500 occurrences), et enfin l’explication aux, l’information et l’éducation des patients (~ 40 occurrences), et leur reconnaissance et leurs remerciements (~ 50 occurrences).
32– Contact-s (636 occurrences), si l’on y ajoute les mots relation-s (353 occurrences), relationnel-s (56 occurrences) et rapport-s (57 occurrences), totalise 1 102 occurrences. Il s’agit tout d’abord du contact et des relations avec les patients (près de 600 occurrences), auxquels on peut ajouter ceux avec : gens, famille, malade, enfant, parent-s, jeune-s, d’une part, collègues, le personnel, agents, salariés, de l’autre, ou le « contact humain » en général.
33– Variété-diversité : elles sont appréciées en tant que telles par les répondants (~ 70 occurrences). Ensuite la diversité-variété s’applique au travail en général (près de 200 occurrences), aux activités (+ de 170 occurrences), aux personnes (les patients ~ 150 occurrences), aux pathologies (~ 130 occurrences), aux contacts (~ 120 occurrences), aux disciplines (~ 65 occurrences), aux situations (~ 40 occurrences).
Encadré 1 : Termes lexicaux les plus nombreux, quelques exemples
« Le contact direct avec le patient et le travail en équipe, travail très diversifié (régulation SAMU, SMUR, accueil urgences). »
Homme, moins de 35 ans, CHG, province, chirurgie :
« Le contact du patient, une confrontation à une situation à chaque fois différente, le travail en équipe et le partage des connaissances, pouvoir agir de façon directe sur une pathologie donnée car je suis chirurgien. »
Mots (morphèmes lexicaux) avec un nombre d’occurrences supérieur à 90 dans le corpus des réponses à la question 122a : « Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre travail de façon générale et dans votre discipline ? Expliquez : »

Mots (morphèmes lexicaux) avec un nombre d’occurrences supérieur à 90 dans le corpus des réponses à la question 122a : « Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre travail de façon générale et dans votre discipline ? Expliquez : »
Les termes grammaticaux : l’exemple de « avec »
34Sauf exceptions rarissimes, les mots les plus fréquents d’un corpus sont les termes grammaticaux (« de », « le-la-les », « et », etc.). Dans ce corpus, la très grande fréquence du connecteur « avec » (en septième position de fréquence) ne peut que retenir l’attention.
35Il s’agit avant tout de « contact avec les patients » (ou de relations, de rapports avec les patients, les collègues, l’équipe, etc.), de « travail d’équipe avec » ou de « travailler avec l’équipe ». Ainsi le mot « patient-e-s », mot plein le plus fréquent, est associé dans près de 40 % de ses occurrences au mot « avec », qui est également fréquemment associé à « malade-s », « enfant-s », « famille-s ». Le mot « contact-s » précède dans près de 70 % des cas le mot « avec », ainsi que le mot « relation-s » et « rapport-s ». Ils expriment par excellence la multiplicité des interlocuteurs des médecins dans l’exercice de leur activité (patients, collègues, paramédicaux…). Le mot « avec » est donc associé à la plupart des termes les plus fréquents.
36« Avec » permet également de cerner les désignations des groupes et professions avec lesquels les médecins entretiennent des relations privilégiées : collègues, confrères, salariés, soignants, infirmières, ambulanciers, aides-soignants, personnels, agents, paramédicaux, professionnels ou équipe.
Quelques spéci?cités sociologiques des formes : le sexe et l’âge
37Si les femmes comme les hommes mentionnent dans leurs réponses tous les éléments que nous avons précédemment mis en évidence dans les résultats globaux, il est cependant clair que les femmes médecins accordent préférentiellement une importance première aux rapports aux autres et à la dimension humaine de l’activité médicale (cf. tableau 2). Les hommes, quant à eux, privilégient la technique, la réanimation, les responsabilités, l’enseignement.
Formes lexicales et segments les plus spécifiques positivement selon le sexe dans le corpus des réponses à la question 122a : « Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre travail de façon générale et dans votre discipline ? Expliquez : »

Formes lexicales et segments les plus spécifiques positivement selon le sexe dans le corpus des réponses à la question 122a : « Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre travail de façon générale et dans votre discipline ? Expliquez : »
38Il faut ici prendre en compte la surdétermination des caractéristiques des hommes et des femmes, c’est-à-dire le fait que les femmes sont plutôt plus jeunes, dans des spécialités particulières et dans des postes à moindres responsabilités. La domination de genre exerce des effets à la fois sur l’âge, le type de discipline, les postes à responsabilités, ces différentes caractéristiques étant tendanciellement nouées. Le vocabulaire utilisé est donc à interpréter à l’aune de ce croisement de facteurs.
39En ce qui concerne l’âge, on remarque que les termes les plus fréquents du corpus ont une spécificité négative chez les plus de 45 ans, et qu’en revanche patients, travail, équipe, variété et diversité ont une spécificité positive chez les moins de 45 ans. Il semblerait qu’une coupure s’instaure autour de la cinquantaine : avant, ce sont les contacts (dont les contacts avec les patients), la variété, le travail (dont le travail en équipe) qui sont les termes spécifiques des réponses à la question 122a (cf. tableau 3).
Formes lexicales et segments les plus spécifiques positivement selon l’âge dans le corpus des réponses à la question 122a : « Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre travail de façon générale et dans votre discipline ? Expliquez : »

Formes lexicales et segments les plus spécifiques positivement selon l’âge dans le corpus des réponses à la question 122a : « Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre travail de façon générale et dans votre discipline ? Expliquez : »
Les points de vue des médecins hospitaliers du corpus sur ce qu’ils aiment le plus
40On constatera que les deux analyses se rejoignent.
41Le traitement du corpus par Alceste nous donne six classes d’énoncés et de mots pleins spécifiques. Ces classes peuvent se regrouper en deux grands ensembles (quatre classes opposées à deux classes). Le premier ensemble (A) peut être synthétisé par le rapport au travail qui résume une posture fondamentale des médecins salariés du corpus. Il peut être détaillé en quatre classes : la prise de responsabilité et les services ; le travail en service d’urgences ; la recherche et l’enseignement ; le travail en équipe. Le deuxième ensemble (B) est centré sur deux classes : soigner et le sentiment d’être utile, qui résument également une posture fondamentale, celle du rapport aux patients et à la finalité de l’activité.
Encadré 2 : Ce que les médecins aiment le plus, quelques exemples
Ensemble A
– La prise de responsabilités :
« sans création de postes médicaux en conséquence/je suis responsable d’un pôle ce qui est passionnant. »
– L’urgence :
« l’activité chirurgicale proprement dite/rapidité fréquente de la décision/action concrète au résultat/objectif rapidement constatable. »
– Recherche et enseignement :
« enseignement clinique auprès des externes infirmiers/utilisation de nouvelles techniques ou nouveaux médicaments » ;
« le caractère varié des tâches/salle consultation/formation des étudiants/staffs/la possibilité d’associer activité clinique, recherche/ enseignement. »
– Le travail en équipe :
« contact individuel/restauration de l’autonomie du patient/responsabilité travail d’équipe/travail intellectuel et manuel à la fois. »
Ensemble B
– Soigner :
« prévention des difficultés parents-enfants/instaurer une relation de confiance entre les patients et le système de soins en pédopsychiatrie » ;
« la satisfaction de bien faire lorsqu’on a bien fait/le bénéfice que cela apporte au patient et à son entourage. »
– Se sentir utile :
« apprendre tous les jours scientifiquement et humainement me sentir utile. »
La colère
42À la question 122b : « Qu’est-ce qui vous semble le plus pénible dans votre travail de façon générale et dans votre discipline ? Expliquez : », 2 555 médecins ont répondu.
43Ce qui caractérise les réponses à cette question, c’est tout d’abord leur longueur. Le vocabulaire est plus riche, plus diversifié, pour caractériser par exemple les relations avec l’administration. Les énoncés prennent souvent la forme de petites narrations.
44Le plus remarquable est l’émotion, la colère, la révolte qui surgit dans nombre de réponses. Tout se passe comme si, à la question sur la pénibilité, les instances à l’origine du questionnaire étaient prises comme interlocuteurs directs, témoins des problèmes. Les médecins répondants ne « mâchent pas leurs mots » pour accuser, (dis)qualifier, se scandaliser, se révolter…
Encadré 3 : L’expression de la colère des médecins, un exemple
« […] l’inflation inutile des procédures administratives (démarches qualité trompeuses, traçabilité aux dépens de l’intelligibilité, informatisation de mauvaise qualité mais obligatoire) […] la perte progressive du sens de l’humain dans l’exercice de la médecine […] les injonctions contradictoires : travailler bien en travaillant vite, travailler bien en dépensant peu, travailler vite malgré l’inflation des paperasses. »
45Reste que, au-delà de cette révolte manifeste, on peut repérer un certain nombre de termes et de thèmes récurrents.
Les termes lexicaux et grammaticaux
46Le premier mot de la réponse est très fréquemment un terme négatif, évidemment un effet de la question posée : inquiétude, démotivation, incertitudes, irrégularité, manque, abus, lourdeur, stress, absence, difficultés, instabilité, poids, mauvaise, ne pas, peu, pression, agressivité, charge, dénigrement, gâchis, incompréhension, désorganisation, pénibilité, etc.
47S’agissant des morphèmes grammaticaux, ce sont les termes spécifiques de la question 122b : « non », « ne pas », « trop », « de plus en plus », qui sont les plus intéressants. Ainsi « de plus en plus » est souvent associé à des charges administratives et de travail de plus en plus lourdes, des difficultés de plus en plus grandes, des relations avec des patients de plus en plus exigeants, etc. Quoi qu’il en soit des diverses occurrences, « de plus en plus » marque le vécu des transformations des conditions du travail, la progression des difficultés de tous ordres.
48Les occurrences des termes lexicaux les plus fréquents de la 122b sont : travail, administration (-tif-ive-s), manque, temps, patients (cf. tableau 4).
Mots (morphèmes lexicaux) avec un nombre d’occurrences supérieur à 100 dans le corpus des réponses à la question 122b : « Qu’est-ce qui vous semble le plus pénible dans votre travail de façon générale et dans votre discipline ? Expliquez : »

Mots (morphèmes lexicaux) avec un nombre d’occurrences supérieur à 100 dans le corpus des réponses à la question 122b : « Qu’est-ce qui vous semble le plus pénible dans votre travail de façon générale et dans votre discipline ? Expliquez : »
49Nous les examinons ci-dessous dans leurs environnements textuels :
50– Travail (960 occurrences) : il s’agit tout d’abord de la charge de travail dont il est dit fréquemment qu’elle est en augmentation, de la quantité, de la surcharge, du surcroît ou du trop de, des conditions de travail ; il s’agit ensuite du temps de travail, de son rythme, des horaires, heures et journées. La pénibilité est évoquée, ainsi que la (non) reconnaissance ou le (non) respect. Trois thèmes émergent donc : la quantité de travail, le temps, la reconnaissance du travail. Le travail, nocturne, le nombre d’heures travaillées ou travailler trop ainsi que le travail administratif sont largement évoqués.
51– Administration-tif-ive-s (plus de 900 occurrences dont 803 dans les 40 formes lexicales les plus fréquentes) : les rapports avec l’administration sont désignés par une grande richesse et diversité de substantifs et adjectifs, souvent peu amènes. Contrainte administrative, lourdeur, charge, pression, temps excessif passé au travail administratif ou à l’accumulation de ces tâches. Une première thématique est retrouvée autour de l’attitude de l’administration : manque de considération, non-respect, arrogance, conflits, difficultés de dialogue ou de discussion, manque de compréhension, relations très difficiles, non-reconnaissance, mépris, harcèlement, hypocrisie, agressivité, cécité incurable, etc. Une deuxième thématique est retrouvée autour de l’incompétence ou de la lenteur de l’administration, son absence de connaissance du travail des médecins. Une troisième thématique regroupe des pratiques jugées négativement : ingérence, incurie, inertie, immobilisme, inaction, intrusion, manque de transparence, emprise de plus en plus lourde, pesanteur, poids.
Encadré 4 : Termes lexicaux : « administration », quelques exemples
« Le poids terrible de notre administration, le déséquilibre entre leur rythme et le nôtre, le manque de considération pour les agents qui sont auprès des patients et le mépris des administratifs pour le corps médical qui est, comme chacun le sait, le responsable de tout ce qui ne va pas dans le monde de la santé. Les consignes, règlements, déclarations, audits évaluation et autres inventions hiérarchiques qui nous empêchent de faire le travail que nous avons été formés à faire. »
Femme, 35-44 ans, CHU, IDF, médecine :
« Les pressions administratives, la volonté de diminuer les consultations, leur qualité, le temps accordé aux familles, les réévaluations régulières avec ajustement de traitement, l’organisation du maintien à domicile. La quantité opposée à la qualité du travail, la maladie grave, la mort ne sont plus admises à l’hôpital, fait penser l’hôpital comme un énorme service d’urgences où tous ceux admis rentrent chez eux guéris. »
52– Manque-s (712 occurrences), auquel on peut ajouter absences-s (280 occurrences) : le manque de sommeil apparaît comme un facteur de pénibilité spécifique. Des éléments matériels ou de locaux sont cités ainsi que le manque de lits ou de places et, de façon générale, le manque de budget ou de moyens. Le manque de personnel concentre le plus de plaintes : en général ou spécifiées (personnels paramédicaux, infirmiers, cadres, médecins et internes). Mais ce sont surtout les aspects qualitatifs et relationnels qui ressortent au premier plan (315 occurrences) : le manque et l’absence de reconnaissance et de considération, de l’administration, des patients ou des autres médecins. Le manque ou l’absence de coopération, de communication, etc., qui réfèrent plus au travail d’équipe, est également une thématique importante. Le manque de temps est cité 118 fois en lien avec des préoccupations sur la qualité des soins, sur la vie personnelle : travailler la nuit, la judiciarisation, le manque de temps à consacrer à chaque patient.
Encadré 5 : Termes lexicaux : « manque », quelques exemples
« Physiquement et moralement : le travail sur 24 heures, jour + nuit, le travail jours fériés et week-ends, les contraintes physiques, les plages horaires non compatibles avec une vie familiale et personnelle, l’impossibilité de s’alimenter correctement ; intellectuellement : le manque de temps pour se tenir à jour (lectures médicales). »
Femme, 55 ans et plus, CHU, province, médecine-pédiatrie :
« La dégradation des conditions de travail de l’ensemble du personnel : […] périodes prolongées de manque de personnel infirmier avec une charge de travail insupportable pour ceux qui restent et l’absence de venue des cadres de santé supérieurs pour au minimum constater la réalité et soutenir moralement le personnel ; la destruction délibérée par la direction des soins du “cahier des soins” qui dans notre service d’enfants était un outil incomparable et validé pendant des années pour permettre aux trois grandes catégories de personnel : les médecins, les infirmières et les aides-soignantes, de […] tout savoir d’un enfant […]. Cette volonté de détruire sans aucune concertation quelque chose qui marchait bien par quelque chose qui n’est absolument pas assimilé par le personnel : les transmissions ciblées. »
53– Temps (551 occurrences) : le manque, l’insuffisance de temps, est le ressenti principal. C’est également le temps de travail consacré aux patients (trop court), aux activités administratives (trop long), ou trop important en général.
54– Patient-e-s (630 occurrences), malade-s (101 occurrences) : le rapport aux patients (la dégradation du temps consacré à la prise en charge, au soin, etc.) et très fréquemment l’attitude de ces derniers (agressivité – plus de 100 occurrences –, non-reconnaissance, exigence, etc.), mais aussi leur nombre croissant sont ici des thèmes majeurs.
Encadré 6 : Termes lexicaux : « temps » et « patients », quelques exemples
« Temps consacré à chaque consultation de patients beaucoup trop court. »
Homme, 45-54 ans, CHU, province, médecine :
« […] la surenchère de contrôles inutiles, d’audits contradictoires, d’accréditations plus ou moins fantaisistes, de rapports multiples et variés demandés qui par l’ARH, la DRASS, la CPAM, la DHOS… dont le résultat ultime est essentiellement un détournement du temps médical vers des activités administratives stériles qui ne débouchent pour la plupart sur rien de tangible. L’inertie administrative et l’absence de réactivité, voire l’incompétence de la technostructure hospitalière. »
Homme, – de 35 ans, CHG, province, service non spécifié :
« L’agressivité des patients, le contact perpétuel avec la mort et l’absence de suivi, rapport émotionnel avec les familles et les patients. »
55Bien d’autres thèmes importants auraient pu être ici abordés, par exemple la pression médico-légale, la judiciarisation, les réformes, la norme T2A [3], citées dans de nombreuses réponses (entre 20 et 40), etc.
Quelques spéci?cités sociologiques des formes
56En Île-de-France, ce sont surtout l’absence de tous ordres (de reconnaissance, de personnel, de soutien, de motivation, etc.), le manque de personnel, la charge de travail, dont les tâches administratives, et le manque de temps qui sont les termes les plus spécifiques. En province, il s’agit des astreintes, des relations avec les confrères, avec les chirurgiens, les conditions de travail des urgences.
57Trois services marquent des spécificités de réponses sur la pénibilité très importantes, et donc très significatives :
- en anesthésie-réanimation, ce sont de loin les gardes (dont de nuit) et le rapport aux chirurgiens, puis le rapport aux collègues et les horaires, le stress, le poids de la hiérarchie et de l’administration ;
- en service d’urgences, ce sont d’abord l’agressivité des patients, le travail (dont de nuit), son rythme et sa charge, les horaires (dont l’absence de week-end), puis l’inadaptation et l’insuffisance des locaux, les relations avec les confrères ;
- en médecine préventive, c’est essentiellement le statut de la médecine et du médecin du travail (et sa non-reconnaissance) qui fait l’objet des énoncés des praticiens.
58Le vocabulaire spécifique des – de 35 ans porte sur la vie de famille, le temps passé, les horaires et le rythme de travail, mais également sur l’agressivité des patients. Les 35-45 ans spécifient le manque de reconnaissance et de considération, alors que les 45-54 ans marquent les problèmes de la permanence et de la qualité des soins, le manque de temps, les rapports aux chefs de service, les contraintes et les astreintes. Les + de 55 ans marquent les pressions de tous ordres, dont la (sur)charge de travail et celle des tâches administratives.
Les points de vue des médecins du corpus sur ce qu’ils trouvent le plus pénible
59Alceste dégage cinq classes d’énoncés de taille à peu près égale dont une est opposée aux quatre autres, ces dernières étant appariées deux à deux.
60La thématique lexicale de la classe opposée aux quatre autres porte sur la lourdeur des gardes et des astreintes, leurs effets physiques et psychologiques et sur la vie personnelle et familiale des médecins. Le point de vue différencie la vie professionnelle de la vie personnelle.
61Le premier ensemble (A) de classes reliées entre elles porte sur la difficulté de faire son métier, par des contraintes externes, soit de l’administration et des tâches afférentes, soit des conditions du travail. Il est interne à la profession de médecin. La première thématique porte sur les charges et contraintes administratives, obstacles à l’accomplissement du métier. La deuxième thématique est centrée sur la difficulté de soigner et de faire son métier dans les conditions actuelles de travail.
62Pour le deuxième ensemble (B) de deux classes reliées, il s’agit des relations avec les patients et les collègues, leur agressivité et leur manque de reconnaissance. La situation est interne au contexte de l’exercice hospitalier : en général, en consultation ou en urgences. La première thématique est centrée sur le manque (de matériel, de place, de personnel, etc.) et sur l’agressivité des patients, des familles, des confrères. La seconde thématique est centrée sur l’absence de reconnaissance et les conflits avec collègues, hiérarchie, chefs, etc.
Encadré 7 : Quelques exemples d’énoncés
Vie professionnelle et vie familiale
« Le rythme des astreintes et l’impossibilité d’avoir un repos de sécurité après les astreintes pénibles du week-end, parfois quatre heures de repos en deux jours avec reprise des activités le lundi. »
« Fatigue, privation de week-ends en raison des gardes, les miennes et celles de mon mari, sacrifice de la vie de couple, de famille, enfants, des loisirs et amis. »
Ensemble A : le travail médical
– Les rapports à l’administration :
« une pression administrative monstrueuse : enquêtes, protocoles, procédures, réunions, commissions, sous-commissions empêchent une véritable concertation médicale, un esprit de corps » ;
« le poids croissant des impératifs administratifs et économiques sur les décisions de santé et l’accroissement des réunions, pseudo-débats et commissions stériles. »
– Faire son métier :
« savoir d’avance qu’on ne pourra pas faire ce qu’il faut pour tout dans le temps imparti, ne jamais avoir la satisfaction du travail bien fait, ne jamais avoir le temps de creuser les questions » ;
« je suis de moins en moins certaine que l’on me demande de soigner des enfants. On me demande de faire des actes et de ne pas coûter trop cher. »
Ensemble B : les relations
– L’agressivité :
« agressivité des consultants aux urgences, manque de lit dans les structures d’aval. »
– La reconnaissance :
« mauvaise reconnaissance de la profession par la direction et certains confrères. Difficultés de communication avec le responsable hiérarchique. »
Discussion : pour une politique de l’organisation du travail médical à l’hôpital
63Que nous apprennent les réponses des médecins hospitaliers quant à leurs conditions de travail telles qu’ils les vivent et les ressentent ? Dans quelle mesure peut-on en inférer des propositions pour une meilleure organisation du travail à l’hôpital ?
64Les réponses des médecins du corpus soulignent leur appréciation de leur rapport au travail, à l’activité, autour de cinq catégories de contenu, en ordre décroissant : le travail en collaboration (à rapprocher du rapport aux collègues et à l’équipe) ; le mode de travail : diversité, autonomie, responsabilités ; les actes et leur finalité (soulager, guérir, soigner, etc.) ; les techniques et processus ; la discipline exercée, recherche et enseignement, etc. La place centrale du travail d’équipe est également fondamentale dans les réponses aux questions fermées : la qualité du travail d’équipe apparaît pour les médecins répondants comme un facteur majeur (odds ratio ajusté 3,92) quadruplant presque l’intention déclarée d’abandonner sa profession (Estryn-Behar et al., 2010).
65Nous avons constaté le caractère exceptionnellement fréquent du mot « avec » comme caractéristique du goût de la relation aux autres manifesté par ces médecins et tout particulièrement par les femmes jeunes, de plus en plus présentes dans la profession.
66Nous avons été frappés par la place majeure de la pénibilité associée à l’évolution des rapports avec l’administration, à la difficulté de soigner dans les conditions de travail actuelles, l’agressivité des patients et le manque de considération des collègues ainsi que la fatigue engendrée par les gardes qui entravent l’équilibre vie de famille/vie de travail. De même, les réponses aux questions fermées montrent que le burnout est le second facteur de risque pour l’intention d’abandonner sa profession de ces médecins salariés français. De plus, les relations interpersonnelles, le harcèlement par les supérieurs, la crainte de faire des erreurs et le déséquilibre travail/famille sont associés avec l’intention d’abandonner sa profession.
67Dans quelle mesure les énoncés des questions ouvertes produits par ces médecins salariés, leurs réponses aux questions fermées correspondent aux pratiques et comportements observés par d’autres méthodes ?
68Le ressenti de ces médecins est corroboré par les observations ergonomiques de journées complètes de travail de médecins que nous avons pu conduire (Estryn-Behar et al., à paraître). Ces observations montrent comment l’aménagement des locaux, permettant ou non les lieux de parole, et l’organisation du travail, permettant ou non les temps de parole entre des soignants de diverses professions, habitués ou non à travailler ensemble, favorisent ou entravent le partage des informations. Ces observations mettent aussi en parallèle le temps d’échange des infirmiers(ères) avec les médecins et celui qu’ils ou elles peuvent avoir avec les malades pour expliquer et accompagner les soins (Estryn-Behar et al., 2009a). Nous avions déjà souligné, à partir de nos observations ergonomiques et d’une synthèse bibliographique, que, lorsque les conditions du partage pluridisciplinaire (temps, lieux…) ne sont pas réunies, la souffrance devant la dégradation des relations avec les membres de ce qui n’est plus une équipe et avec les malades, qui protestent d’être mal informés, devient criante (Estryn-Behar, 1997).
69De même, une étude allemande a pu mesurer le temps consacré aux différentes tâches par vingt-cinq pédiatres suivis pendant cinq mois (Mache et coll., 2010). Le temps moyen de travail était de 9 heures 18 minutes par jour. Les pédiatres en passaient la plus grande partie en réunions (29,8 % du temps), en tâches indirectes : lettres et notes diverses y compris administratives (17,5 %), écritures liées aux soins et documentation (12,7 %) mais aussi travail infirmier, marches, attente de dossiers, problèmes informatiques et autres. En contraste, le temps consacré directement aux patients était réduit : examens cliniques (9,2 %), dialogues avec les enfants ou les familles (4 %). Les auteurs concluent sur une évidence : les pédiatres consacrent peu de temps direct aux patients, ce qui retentit sur la qualité des soins.
70Comment évaluer ces réponses par rapport aux changements sociologiques, politiques, professionnels et institutionnels dans l’hôpital ?
71Le besoin de stabilité des équipes pluridisciplinaires est sous-estimé dans les changements à l’œuvre dans l’hôpital. Il en est de même de leur nécessaire implication dans une éducation thérapeutique et un accompagnement des patients personnalisés. Les indicateurs de qualité et de sécurité des soins annuels, demandés actuellement (taux d’infection nosocomiale, durée moyenne de séjour…), diffèrent de ceux de l’efficacité à moyen terme, tel le pourcentage de rechutes ou de réhospitalisations évitables par une meilleure observance d’un traitement auquel le patient adhère pleinement. Parmi les principales nouveautés de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST), on retrouve une gouvernance « entrepreneuriale » (organigramme, statut, comptes certifiés, équilibre, intéressement). Cette gouvernance place la reconnaissance plus au niveau salarial qu’au niveau de l’estime des collègues.
72Le rapport de l’IGAS sur le bilan de l’organisation en pôle est plus positif (www.ladocumentationfrancaise.fr/rapportspublics/104000246/index.shtml) que l’appréciation portée par les médecins répondants à notre enquête concernant les relations avec l’administration. Cependant, il pointe la timidité des délégations de gestion et de moyens par les directions.
73Comment prendre en compte le discours de ces médecins sur leur vécu dans les réorganisations en cours ?
74Face aux problématiques de risques psychosociaux auxquelles sont confrontés les milieux professionnels et aux obligations des employeurs à la protection de la santé physique et mentale de leurs employés, diverses propositions visent à dépister et à offrir des prises en charge thérapeutiques aux salariés en souffrance ou des formations à la gestion du stress (Roy, 2009). Dans une autre démarche, les médecins du travail, comme les spécialistes de psychodynamique du travail, ont depuis longtemps attiré l’attention sur les risques que comportent certaines organisations du travail (Dejours, 2000 ; Clot, 2006 ; Huez et al., 2008).
75Pourtant, devant la pénurie de soignants que rencontrent certains pays à hauts revenus, des propositions de flexibilité des affectations se sont développées. Cependant, ce choix de flexibilité omet la difficulté d’obtenir soutien et estime de supérieurs et de collègues avec lesquels on ne travaille qu’occasionnellement (McHugh, 1997 ; Kane-Urrabazo, 2006). La mutualisation des moyens, avec polyvalence des soignants paramédicaux sur les cinq ou six disciplines d’un pôle, ne risque-t-elle pas d’aggraver le stress psychosocial et d’augmenter la fréquence du burnout, si l’on se réfère aux modèles explicatifs du stress les plus acceptés ? La collaboration entre médecins et paramédicaux ne risque-t-elle pas d’être plus tendue, aggravant le stress des uns et des autres ? Réduire ce que les médecins et les soignants paramédicaux aiment et augmenter une formalisation coupée des besoins de soins relationnels développés avec les patients et les familles ne peuvent que générer souffrance et épuisement professionnel, quand ce n’est pas abandon du métier.
76Ces questions qui tournent autour du respect des salariés et de la qualité des soins qu’ils souhaitent dispenser en équipe expliquent le malaise et la révolte de certains médecins : ils tirent actuellement la sonnette d’alarme devant le trop de formalisation et de protocolisation. Ces dernières se font au détriment de la valorisation de l’initiative de communautés thérapeutiques pluridisciplinaires centrées sur les besoins des patients, dont on évaluerait l’efficacité à moyen terme et non à court terme.
Mise en perspective des réponses aux questions ouvertes par rapport aux questions fermées
77Les 1 924 médecins et pharmaciens hospitaliers de l’échantillon tiré au sort selon la méthode des quotas sont 17,4 % à penser au moins chaque mois à abandonner leur profession.
78Ces médecins hospitaliers restent cependant extraits de la base de données totale des répondants volontaires à SESMAT (cf. « L’enquête » supra), dont les résultats sont très voisins. Parmi eux, 16,5 % pensent au moins chaque mois à abandonner.
79Le questionnaire de Copenhague (CBI) a permis de mesurer un épuisement professionnel élevé (score supérieur ou égal à 3 sur une échelle de 1 à 5) chez 42,4 % de ces médecins hospitaliers répondants aux quotas de répartition français et 42,7 % parmi la totalité de la base de données de SESMAT.
80Les répondants ayant une fréquente intention d’abandon ont bien plus souvent un score de burnout élevé. Des relations interpersonnelles tendues, une mauvaise qualité du travail d’équipe, un sentiment de harcèlement par les supérieurs au moins mensuel, la crainte fréquente de commettre des erreurs et un ratio effort/récompense inadéquat ou déséquilibré sont liés au burnout dans cet échantillon. Une sélection de questions fermées concernant plus spécifiquement les thématiques des questions ouvertes est présentée ci-dessous :

Notes
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[*]
M. Estryn Behar et G. Picot : unité PRESST-NEXT-SESMAT ; Coordination centrale de la médecine du travail, Hôtel-Dieu, AP-HP.
F. Leimdorfer : Laboratoire Printemps, CNRS-université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines. -
[1]
Remerciements : enquête initiée et mise en œuvre par l’unité PRESST-NEXT-SESMAT de la Coordination centrale de la médecine du travail de l’AP-HP (Estryn-Behar) et par un comité de pilotage associant les représentants des syndicats de médecins et de pharmaciens INPH, CPH, SYNPREF ainsi que de l’Association nationale de médecine du travail et d’ergonomie du personnel hospitalier (ANMTEPH) et du réseau de soins palliatifs. Il nous faut particulièrement remercier les médecins et pharmaciens qui ont pris sur leur temps de répondre à ce questionnaire, en particulier pour la richesse et l’abondance de leurs réponses aux questions ouvertes, souvent traversées par la passion…
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[2]
Chiffres réactualisés en 2009 par le CNG, données SIGMED, http://www.cng.sante.fr
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[3]
T2A : tarification à l’activité.