1La stratégie d’amélioration de l’efficience du système poursuivie depuis plusieurs années par l’assurance maladie s’est largement appuyée sur les soins primaires. Cette présentation s’attachera à en exposer les principales caractéristiques, avant de proposer quelques perspectives et pistes d’approfondissement.
2Quelques mots, pour commencer, à propos des caractéristiques de notre système de soins ambulatoires. Il est devenu banal de dire que ce système est fragmenté, avec des professionnels libéraux exerçant de manière assez isolée et indépendante. Les professionnels sont faiblement informatisés, l’approche populationnelle peu développée, et les rôles respectifs de chacun (médecins généralistes et spécialistes, par exemple) parfois mal définis. Dans ce domaine, la France apparaît aujourd’hui en décalage par rapport à certains pays qui se sont efforcés de rapprocher leurs praticiens au sein d’équipes pluridisciplinaires, ont développé l’informatisation des cabinets et travaillent avec des indicateurs de qualité des soins en population. Néanmoins, il faut toujours se garder d’idéaliser ce qui existe ailleurs : certains systèmes ont aussi fait l’expérience d’organisations trop administratives qui connaissent des problèmes de désengagement des professionnels.
Comment faire évoluer le modèle d’organisation des soins primaires sans perdre ce qui en fait la force ? Une démarche en plusieurs étapes
3Une première étape importante a été franchie avec la mise en place du dispositif du médecin traitant, qui est généralisé : désormais, presque toute la population adulte est rattachée à un médecin désigné.
4On a pu, parfois, entendre l’argument selon lequel cette mesure n’a que peu fait évoluer les pratiques puisque, comme l’avaient montré les enquêtes de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), la grande majorité de la population avait déjà auparavant un médecin de famille. En réalité, c’est une première pierre essentielle pour passer à une logique d’évaluation du service global rendu à une population :
- global, car le médecin traitant a logiquement une responsabilité sur l’ensemble du processus de soins ;
- à une population, car le mécanisme de l’inscription permet de désigner sans ambiguïté une patientèle pour laquelle le médecin a une certaine responsabilité, y compris en ouvrant la possibilité de démarches proactives pour ceux de ses patients qui utilisent insuffisamment le système de soins pour assurer une bonne prévention ou un bon suivi des pathologies.
- d’abord la négociation d’objectifs collectifs (prévention, qualité des soins, efficience de la prescription), avec un retour d’information personnalisé au médecin sur sa pratique, lui permettant de se situer par rapport à ses pairs (2006) ;
- puis la déclinaison d’objectifs individuels sur ces mêmes champs (2007) ;
- et, en 2009, le Contrat d’amélioration des pratiques individuelles (CAPI), qui marque un pas supplémentaire vers le lien entre performance et rémunération. C’est là un dispositif existant dans de nombreux pays.
Le Contrat d’amélioration des pratiques individuelles : l’introduction d’une rémunération à la qualité et à l’efficience
5Ce CAPI définit trois grands domaines et une quinzaine d’indicateurs ayant trait à la prévention (vaccination contre la grippe, dépistage du cancer du sein, prévention de la iatrogénie médicamenteuse), au suivi des patients chroniques (diabète, hypertension artérielle) et à l’efficience de la prescription (taux de génériques, utilisation des molécules les moins coûteuses en première intention …).
6Tous ces objectifs sont adossés aux lois de santé publique, aux recommandations des agences et aux données publiées de la science médicale. Par ailleurs, ils sont définis statistiquement et ne concernent jamais l’ensemble des cas d’une patientèle : le médecin garde des marges de man œuvre, et donc toute sa liberté, pour des situations particulières.
7On peut illustrer la démarche et le choix des objectifs à partir de deux exemples concernant l’efficience de la prescription et la qualité de la prise en charge des patients diabétiques.
L’efficience de la prescription
8La France est, nous le savons, le troisième pays au monde en termes de dépenses de médicaments par habitant et l’analyse montre que cette situation résulte à la fois de volumes de consommation généralement élevés, mais aussi et surtout de structures de consommation différentes où les produits les plus récents et les plus chers occupent une place prépondérante au détriment de molécules plus anciennes et souvent génériquées. Les comparaisons avec les pays voisins sont, de ce point de vue, très éclairantes : à titre d’exemple, dans la classe des inhibiteurs de la pompe à protons, la prescription de molécules génériquées représente moins de 50 % en France en 2008, contre de 70 % à près de 90 % chez nos voisins (Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne). Surtout, nous sommes le seul pays où cette part a diminué entre 2004 et 2008 : partout ailleurs, elle a sensiblement augmenté. Le même constat peut être fait sur d’autres classes thérapeutiques importantes, comme les statines [1].
La qualité de la prise en charge des patients diabétiques
9Le diabète concerne 2,5 millions de personnes en France et sa prise en charge fait l’objet de recommandations très précises de la Haute Autorité de santé (HAS) et de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) : un dosage d’hémoglobine glycosylée (HbA1C) par trimestre, un examen du fond d’ œil, un électrocardiogramme, un dosage de l’albuminurie et un dosage de la créatinine par an, un traitement par statines et aspirine à faible dosage des patients diabétiques à haut risque cardio-vasculaire.
10Sur tous ces points, des progrès ont été réalisés en quelques années, comme le montre la comparaison des deux enquêtes ENTRED [2] menées en 2001 et 2007. Le pourcentage de patients diabétiques ayant eu au moins trois dosages d’HbA1C a augmenté de 10 points, ceux ayant eu un dosage d’albuminurie de 7 points, ceux ayant eu un fond d’ œil de 2 points. Le niveau médian d’HbA1C a d’ailleurs diminué, signe d’un meilleur contrôle glycémique (6,9, soit – 0,3 point sur la période).
11Mais il reste du chemin à parcourir. Seuls 50 % des diabétiques ont un fond d’ œil dans l’année, moins de la moitié des diabétiques ont trois dosages d’HbA1C dans l’année, moins de 30 % un dosage d’albuminurie. Par ailleurs, on ne peut qu’être frappé des disparités autour de ces résultats moyens, car ces pourcentages varient largement selon les médecins traitants. Par exemple, 25 % des médecins ont une proportion de patients diabétiques ayant trois dosages supérieurs à 55 %, mais à l’inverse cette proportion est inférieure à 25 % pour un quart d’entre eux.
12La comparaison avec d’autres pays nous conduit aussi à nous interroger. La plupart de ces référentiels sont internationaux, et quelques études comparatives suggèrent que la France n’est pas toujours très bien positionnée par rapport à ses voisins sur ces indicateurs de qualité du suivi des pathologies chroniques. Ainsi, selon une enquête réalisée en 2008 par le Commonwealth Fund, qui interrogeait un échantillon de patients diabétiques sur les examens dont ils avaient bénéficié au cours des douze derniers mois (HbA1C, fond d’ œil, cholestérol, examen des pieds), la France était dernière, loin derrière les Pays-Bas ou le Royaume-Uni. Dans ce dernier pays, les incitations liées au paiement à la performance (Quality and Outcomes Framework, QOF [3]) ont contribué à faire progresser sensiblement les résultats sur ces indicateurs de qualité. Les taux de conformité aux référentiels atteints sont aujourd’hui nettement supérieurs à ceux constatés en France, même si les indicateurs utilisés ne sont pas strictement identiques.
13Il ne s’agit, bien sûr, que d’indicateurs relatifs aux processus de soins et non aux résultats obtenus : avoir des dosages réguliers n’entraîne pas ipso facto un meilleur contrôle glycémique et une moindre survenue des complications. Les résultats des travaux scientifiques montrent néanmoins que les deux sont liés, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ces recommandations sont aujourd’hui largement diffusées. Nous avons donc dans ce domaine des marges de progrès importantes, ainsi qu’en matière d’efficience de la prescription médicamenteuse.
14En proposant de rémunérer les bonnes pratiques, le CAPI est un élément d’une stratégie d’ensemble déployée pour mobiliser ces marges d’amélioration. Il ne s’agit pas d’un aboutissement, mais d’une étape, et il n’est pas exclusif d’autres démarches (développement des référentiels, formation, évaluation des pratiques professionnelles …). Mais le CAPI marque l’évolution vers une logique de service rendu à une population, et d’évaluation de la qualité des soins fournis à celle-ci. Cette évolution rencontre une adhésion professionnelle, puisque 20 % des médecins ont déjà souscrit le contrat au bout de quelques mois.
De nouvelles étapes sont à venir
15Pour que cette démarche se développe et, à terme, porte ses fruits, il faudra que les praticiens soient eux-mêmes équipés d’outils informatisés leur permettant de générer leurs propres données et qu’ils puissent suivre leur pratique depuis leur cabinet. La fourniture des données par l’assurance maladie est une solution pragmatique : de fait, cette dernière a aujourd’hui plus d’informations que les médecins de terrain, faiblement informatisés et avec des logiciels hétérogènes, et elle a une capacité à restituer cette information sur les processus de soins. Les incitations à la performance ne pourront se développer que si les praticiens sont capables d’analyser leur patientèle et de suivre eux-mêmes leurs indicateurs de performance.
16Au-delà du CAPI, la rémunération des médecins sera sans doute amenée à évoluer plus globalement, avec une combinaison d’éléments : forfaits en contrepartie d’engagements de service, de paiements à l’acte ou d’incitations aux résultats évalués en termes de qualité et d’efficience.
17Enfin, ces démarches d’évaluation et ces nouvelles formes de contractualisation seront facilitées par un exercice plus collectif qui correspond aux aspirations d’une grande partie des jeunes générations de professionnels. Ces nouvelles formes d’exercice sont promues par la puissance publique et vont se développer. Il faut cependant concevoir les modèles organisationnels et économiques pour avoir des structures flexibles et efficientes.