CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1C’est en tant que secrétaire général des ministères chargés des Affaires sociales, ayant pour mission de mettre en place les agences régionales de santé (ARS) et de préfigurer leur pilotage national, que j’inscrirai cet avant-propos au numéro de la Revue française des Affaires sociales.

2La réflexion sur la politique et l’organisation des soins primaires en Europe et aux États-Unis nous offre une occasion, trop rare en France, d’effectuer des comparaisons internationales, souvent porteuses d’enseignements. Une telle réflexion a, en outre, été au cœur des débats parlementaires qui ont abouti à l’été 2009 au vote de la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST).

3Il s’agit d’explorer, à la lumière des expériences étrangères, les enjeux et questions posés par l’organisation future des soins de premiers recours en France, afin de dégager des axes de travail, tant pour les acteurs du système de santé que pour les chercheurs.

4En France, le secteur des soins ambulatoires est aujourd’hui confronté à des évolutions importantes de l’offre et de la demande de soins. Il est à cet égard sous tension. L’augmentation sensible du nombre de personnes atteintes d’affections chroniques ou multiples – qui requièrent des suivis et des compétences spécifiques – affecte tout particulièrement la capacité de l’offre de soins de premiers recours à répondre aux besoins.

5Les soins de premiers recours, en permettant le développement de relations inscrites dans la durée, contribuent à mieux répondre à cette demande de soins et à développer de nouvelles formes de coordination avec le secteur médico-social, notamment dans le cadre d’organisations en réseaux pour la prise en charge de la dépendance.

6Les lieux de tension sont nombreux et divers, en particulier l’articulation entre la permanence des soins ambulatoires et les urgences hospitalières, la prise en charge des malades chroniques, le développement de l’éducation thérapeutique des patients, le rôle des professionnels qui interviennent en ambulatoire auprès des personnes qui sortent de l’hôpital et/ou qui vont être prises en charge dans des structures médico-sociales. Un des enjeux en est la réorientation des malades de l’hôpital vers la ville, à travers une meilleure articulation entre le secteur ambulatoire des soins de premiers recours, l’hôpital et les établissements médico-sociaux.

7En France, aujourd’hui, le système des soins de premiers recours n’est pas suffisamment organisé pour répondre convenablement à ces nouveaux besoins. D’autant qu’il est soumis à la réduction du temps médical disponible et à une démographie médicale très inégalement répartie : si certains territoires sont de véritables déserts médicaux, d’autres ont des effectifs nombreux. Les questions se posent donc tant en termes d’organisation de la permanence des soins que sous l’angle des mesures à mettre en œuvre pour maintenir les médecins (ou aider à leur installation) dans des zones déficitaires.

8La territorialisation des soins de premiers recours est à rapprocher de la réforme du médecin traitant, qui incite les assurés à s’inscrire auprès d’un médecin, dit « traitant », de leur choix. L’institutionnalisation de cette modification des modalités d’accès au système de soins constitue un tournant majeur en inscrivant les pratiques des médecins généralistes dans une logique populationnelle recherchée par le régulateur à travers la territorialisation. Régulateur qui, demain, sera l’agence régionale de santé.

9Ces dimensions à la fois populationnelles et territoriales ouvrent de nouvelles perspectives en matière d’organisation des soins de premiers recours et des pratiques dans les domaines de la prévention, de l’éducation thérapeutique, de la coordination des soins et de toutes les mesures qui visent à réduire les inégalités de santé. Car si les performances globales du système de santé français peuvent être considérées comme satisfaisantes, en revanche, des inégalités de santé très sensibles perdurent.

10L’efficience des soins ambulatoires est un objectif affirmé. Après des politiques essentiellement axées sur la limitation de la capacité de l’offre à travers le numerus clausus puis la maîtrise des actes, une politique de maîtrise médicalisée a été instaurée et mise en œuvre au début des années 1990 pour faire converger la démarche de « maîtrise comptable » vers celles de qualité et de sécurité des soins, afin de favoriser à la fois l’équité et l’efficience. Par opposition à la « pratique solitaire » du médecin dans son cabinet, les formes d’organisation des soins primaires apparaissent comme une voie d’avenir structurante pour nos politiques de santé, qui concourent à la maîtrise des dépenses de santé. Les modifications portent sur l’introduction de mécanismes de régulation de l’offre de soins ambulatoires en matière d’installation, de contractualisation, de reconnaissance et de valorisation des pratiques coopératives.

11Qu’elles soient anciennes, comme les centres de santé ou les cabinets de groupe, ou récentes, comme les maisons et/ou les pôles de santé, ces formes d’organisation constituent des modes de restructuration du système de soins de premiers recours. Elles correspondent à une forte attente des professionnels de santé et notamment des plus jeunes d’entre eux, qui souhaitent aussi une évolution de leurs conditions d’exercice. À ce propos, une mission demandée par la ministre de la Santé et les ministres chargés de la Ville et de l’Aménagement du territoire est actuellement conduite pour réfléchir sur les freins au développement des maisons de santé.

12En France, les réformes successives du médecin traitant et du parcours de soins introduites en 2004, la reconnaissance de la médecine générale comme une spécialité médicale à part entière, la territorialisation croissante des politiques de santé, ainsi que la définition des soins de premiers recours et du médecin généraliste par la loi HPST en 2009, sont autant d’éléments témoignant d’un processus de réorganisation du système ambulatoire selon les principes des soins primaires. La prise de conscience croissante du fait que le pilotage non coordonné de la médecine de ville et de la médecine hospitalière présente des inconvénients majeurs a été un des premiers déterminants de la création des agences régionales de santé par la loi HPST. Les ARS auront un champ de compétence global, la régulation s’appliquant à la fois au secteur ambulatoire, au secteur hospitalier, mais aussi au secteur médico-social. Il s’agit d’améliorer la performance de l’ensemble du système.

13La situation française connaît en ce moment une fenêtre d’opportunité. Nous possédons de nombreux outils, dont beaucoup sont encore à préciser, d’autres à imaginer. Il nous reste à construire les doctrines d’emploi en demeurant à l’écoute des acteurs concernés.

14En conclusion, je souhaiterais partager quelques questionnements. Les expériences européennes et américaines présentées dans ce numéro contribueront sans conteste à apporter des éléments de réponse.

15Notre premier problème reste la démographie médicale. S’agissant de l’accès aux soins et de la permanence des soins, nous devons aujourd’hui gérer des situations de réelles pénuries, de même que des situations d’« abondance », dans certaines spécialités et certaines zones. Nous devons également veiller à une meilleure répartition de l’offre de soins entre professionnels de santé dans des espaces qui devront voir l’émergence de nouvelles pratiques.

16La régionalisation et la territorialisation de la santé soulèvent également des interrogations. Pour la France, la loi HPST doit permettre de renforcer le pilotage régional et ses applications infrarégionales. Il reste à définir le niveau de maillage adapté au schéma ambulatoire. Faudra-t-il faire table rase du passé et redéfinir de nouveaux territoires de santé ? Conviendra-t-il au contraire de privilégier une stratégie plus progressive ? Comment articuler, dans chaque territoire, l’hôpital avec les acteurs et les institutions de prévention du secteur médico-social ? Comment assurer et développer la qualité des services ? Enfin, comment définir le bon niveau d’organisation en gardant le souci de l’égalité d’accès (et la lutte contre les inégalités d ’accès) et des réponses apportées aux besoins des citoyens, tout en prenant en compte les atouts et les contraintes territoriales ?

Jean-Marie Bertrand
Secrétaire général des ministères chargés des Affaires sociales
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    Au moment du colloque et de la rédaction de ce texte.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 22/10/2010
https://doi.org/10.3917/rfas.103.0005
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