1Dans le cadre de la mise en place en France des agences régionales de santé (ARS), l’organisation des soins primaires est un chantier majeur, d’où notre volonté de mobiliser des spécialistes de différents pays afin de voir ce qu’il est possible de retenir des expériences étrangères pour éclairer la situation française. Comme le souligne Dominique Polton dans sa contribution, un certain nombre de dispositifs concernant les soins primaires existent déjà en France. Néanmoins, la réflexion en termes de principes et de système est aujourd’hui assez faible.
2Des pistes de réflexions se dégagent des contributions réunies dans ce numéro autour de trois thèmes clés :
- la territorialisation, en lien avec la définition de ce que l’on appelle « soins primaires » ou « soins de premiers recours » ;
- les formes d’organisation des soins en liaison avec les logiques professionnelles ;
- et enfin les formes de contractualisation avec les professionnels ou les groupes de professionnels qui délivrent les soins primaires et la question du financement qui peut être lié à des objectifs divers, notamment des objectifs de santé publique, des objectifs d’efficience, des objectifs de réduction des inégalités …
Territorialisation et dé finition des soins primaires
3En France, la question des territoires va certainement être un des points d’entrée des nouvelles agences régionales de santé dans la conduite du changement dont elles ont la charge.
4Les expériences et les réformes menées au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Allemagne et en Espagne montrent que, finalement, l’approche est assez variable et ne débouche pas nécessairement sur un maillage exhaustif du territoire. En revanche, la question qui est toujours posée est celle de savoir comment mettre en relation une population et une offre de service, en l’occurrence l’offre de soins primaires ou de soins de premiers recours et, question corrélative, comment piloter au mieux cette connexion.
Quelle approche de la territorialisation ?
5Dans tous les cas présentés dans ce dossier, un opérateur infrarégional assure le pilotage et l’interface entre l’autorité régionale et les cabinets ou les groupes de médecins ou de professionnels qui délivrent les soins primaires.
6Ces opérateurs infrarégionaux sont organisés dans le cadre d’un maillage territorial ou, comme en Caroline du Nord, prennent la forme de réseaux qui ne s’identifient pas à un strict découpage du territoire. Cette organisation peut également être planifiée par l’autorité régulatrice, au Royaume-Uni et en Catalogne par exemple, ou émerger de projets des professionnels de santé qui sont ensuite relayés et repris par l’administration comme dans le cas de la Caroline du Nord.
7Ce constat suggère diverses interrogations : faut-il rechercher un découpage exhaustif et systématique ou davantage se préoccuper de territoires particuliers ? Faut-il privilégier – mais à quelles conditions – une approche qui, au sein d’une région, s’appuierait sur le développement de projets professionnels émergents ? Le débat qui a eu lieu, lors du colloque d’octobre 2009, s’est largement fait l’écho de ces interrogations. Un accord s’est exprimé sur la nécessité d’une participation active des professionnels et, également, des patients. Il est, en conséquence, clair qu’il faut certes construire des territoires qui permettent une action du régulateur mais qui soient aussi le lieu d’une mobilisation collective des acteurs et des opérateurs concernés.
8Un deuxième aspect évoqué lors des discussions est la question de la taille du territoire et de celle de ses frontières lorsque l’on est dans une démarche de maillage systématique. Dans l’exemple britannique, la question de la taille du territoire et de l’entité associée, qui va réguler les soins primaires pour une population donnée, renvoie à un arbitrage entre une régulation concernant une population à faible effectif qui favorise la réactivité, la proximité et un pilotage à une échelle plus vaste qui donne au régulateur local un pouvoir de négociation plus important vis-à-vis des professionnels.
9S’agissant des frontières, tant Mike Burrows, en s’appuyant sur l’expérience du Royaume-Uni, que Toni Dedeu, pour la Catalogne, ont évoqué la nécessité de respecter les limites administratives pour favoriser l’articulation de la ligne de soins primaires avec d’autres services, notamment les services sociaux. Cette considération est très importante pour les agences régionales de santé françaises s’agissant du volet médico-social ou des soins de long terme, qui sont gérés par les collectivités locales à un niveau départemental.
Quelle définition des soins primaires ?
10Une deuxième question, très liée à celle de la territorialisation, est celle du contenu donné à ce que l’on appelle « soins primaires » ou « soins de premiers recours ».
11La loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (dite HPST) [1] pose d’importants jalons pour définir ce que sont ces soins de premiers recours en France.
12Les contributions rassemblées ici montrent à quel point le contenu de ce qui est appelé « soins primaires » est extrêmement variable selon les pays, voire selon les époques dans certains cas. Cependant, ce contenu renvoie toujours à la combinaison d’une logique de prise en charge individuelle des patients associée à une logique communautaire.
13Dans tous les cas, le libre choix du patient n’est jamais mis en cause et, en principe, le patient peut toujours choisir les praticiens ou les groupes de praticiens auxquels il a recours.
14La question importante de la gamme de services offerts est réglée de façon diverse. Dans certains pays, ce sont les professionnels eux-mêmes qui se mettent en situation d’offrir une gamme de services. Dans d’autres, c’est le régulateur qui la définit. Enfin, assez fréquemment, les contrats que l’assureur ou le régulateur passent avec les professionnels définissent une offre de droit commun des professionnels, à laquelle s’ajoutent des items supplémentaires donnant lieu à contractualisation et visant à encourager l’émergence de services de premiers recours.
15Les auteurs signalent certains problèmes auxquels il faut être attentif :
- partout, comme en France, la population souhaite avoir accès à tous les niveaux de prise en charge sanitaire en un seul lieu et sans délai. Cela conduit une partie de la population à avoir directement recours aux urgences hospitalières, ce qui est évidemment mal approprié, coûteux et contraire à la logique de prise en charge graduée des malades que l’on souhaiterait mettre en place ;
- l’articulation entre la prise en charge des personnes âgées au titre des soins de longue durée, ou du médico-social pour utiliser le vocabulaire français, et l’offre de soins primaires est délicate.
Formes d’organisation des soins et logiques professionnelles
16La contribution de Thomas C. Ricketts sur l’expérience de la Caroline du Nord montre que nous rencontrons manifestement en France les mêmes problèmes, mais avec simplement une séquence historique un peu différente. Ce qui est logique, puisque nous nous sommes, par le passé, largement inspirés de l’exemple américain. Aux États-Unis, l’émergence d’une logique de prise en charge de premiers recours a résulté, d’une part, de l’obsolescence progressive d’anciens modes d’exercice de la médecine qui assuraient, en particulier, la permanence des soins par des gardes et des astreintes – comme le souligne Robert Berenson – et, d’autre part, de l’expression par la population de besoins croissants de prises en charge requérant une continuité des soins et une permanence au titre, notamment, des maladies chroniques.
17Toutes les contributions témoignent d’une tendance générale au regroupement de professionnels ayant des compétences diverses et à l’évolution dans le partage des rôles et des compétences entre les professionnels qu’a particulièrement analysée Bonnie Sibbald. En même temps, il semble que le poids de petits cabinets, voire de l’exercice solitaire de la médecine, reste important dans pratiquement tous les pays, à des degrés divers, y compris dans les pays qui sont le plus avancés dans l’organisation de formes regroupées de la prise en charge sanitaire.
18Dans tous les cas, des effets positifs résultent des nouvelles formes d’organisation des soins à la fois pour les patients et les professionnels. Les performances sont notables en termes d’égalité d’accès aux soins, comme cela a été souligné dans le cas britannique, ou de qualité des soins. Lorsque des évaluations financières ont été réalisées, il est intéressant de noter que les nouvelles formes d’organisation ne coûtent pas nécessairement moins cher mais sont dans tous les cas évaluées plus efficientes, comme le montre notamment Bonnie Sibbald.
19Quelques problèmes sont signalés dans la continuité de la prise en charge des patients qui, confrontés à des structures dans lesquelles il y a plusieurs professionnels, peuvent ne pas avoir le même suivi que celui assuré par un seul médecin.
20Dans tous les cas se manifeste aussi le besoin de développer une fonction d’administration, que l’on soit dans le cadre de maisons de santé, de cabinets de groupe ou de maisons médicales. Plus largement, les nouvelles formes d’organisation examinées sont le lieu d’une tension entre des finalités médicales portées par les professionnels de santé et des finalités économiques renvoyant à des préoccupations d’efficience et à l’idée d’un « retour possible sur investissement ». Ces deux types de finalités sont légitimes et doivent être également pris en compte. Il est, pour cette raison, très important qu’il y ait un débat pour que puissent se construire des consensus sur la façon de concilier ces différentes finalités.
Contractualisation et financement
21Les contributions de ce dossier posent la question de l’articulation entre des programmes ou contrats nationaux et le niveau de pilotage infranational. Cette question inclut celle des marges de jeu laissées au régulateur local. Comme dans le cas britannique, présenté par Mike Burrows, le régulateur local peut juger, dans certains cas, les dispositifs négociés avec les professionnels au niveau national insuffisamment exigeants et estimer que les acteurs locaux seraient prêts à contracter sur des bases plus ambitieuses que celles définies par le contrat national.
22La question des formes de rémunération de l’activité des professionnels apparaît extrêmement importante. Le mode de rémunération peut faire basculer d’un mode d’organisation à un autre ou, au contraire, être un obstacle important aux évolutions. Partout émergent des formes mixtes de rémunération combinant rémunérations au forfait et rémunérations à l’acte. Nous retrouvons aux États-Unis les problèmes, connus en France, liés au caractère extrêmement détaillé de la rémunération des professionnels, et qui donnent un poids très important aux actes spécialisés par rapport à la prise en charge au titre des soins primaires. Dans cette logique de facturation détaillée, il est difficile de facturer tout ce que nécessite une prise en charge au titre des soins primaires, comme les appels téléphoniques entre patients et médecins, les coûts de coordination entre professionnels … Cela peut justifier la rémunération forfaitaire des médecins généralistes au titre de la prise en charge des malades en affection de longue durée (ALD), récemment mise en place en France. Se pose alors la question d’évaluer ce qu’on obtient en contrepartie comme service en termes de suivi des malades concernés.
23Le choix est souvent fait d’isoler et de rémunérer en tant que telles la performance et la qualité. Mais plusieurs intervenants ont souligné que la rémunération n’était pas l’unique vecteur ou l’unique moyen d’améliorer la qualité et que des activités qui ne faisaient l’objet ni de programmes ni d’indicateurs connaissaient des améliorations. Ils ont également souligné, s’appuyant sur les exemples allemand ou britannique, que, une fois une démarche engagée, on pouvait espérer qu’elle se poursuive avec succès sans qu’il soit besoin de la rémunérer spécifiquement.
24Au titre des incitations non financières, la discussion a porté sur le rôle que l’information peut jouer dans la régulation et la performance des systèmes de santé. C’est un sujet qui recouvre de multiples dimensions.
25Il y a la question de l’information délivrée au patient, par exemple au titre des programmes de disease management, avec la question de savoir si le médecin est le vecteur à privilégier ou si l’assureur ou le régulateur a un rôle particulier à jouer dans l’information des patients, ou les deux.
26En France, nous nous interrogeons surtout sur ce qui peut et doit relever du domaine public, s’agissant des pratiques et des résultats des médecins, et dans quelle mesure cette information a vraiment une influence sur les comportements des patients. De ce point de vue, l’exemple britannique, dans lequel le choix de rendre publiques de nombreuses informations sur les pratiques et résultats individuels des médecins a été fait, est extrêmement intéressant. Il semble montrer cependant que l’influence de cette information sur les comportements des patients soit variable selon les catégories de la population et soit, de ce fait, à relativiser.
27***
28Je terminerai en soulignant l’intérêt des expériences étrangères pour les réflexions qui sont menées en France. Ces expériences nous montrent la diversité des choix possibles dans les formes d’organisation permettant une prise en charge du besoin en soins primaires de la population. Elles nous invitent à ne pas oublier, dans le cadre d’une évolution générale de l’organisation du système de santé, de prendre en compte les problèmes des populations particulières qui concentrent les plus grandes difficultés.
Notes
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[1]
La loi n° 2009-879 « Hôpital, patients, santé et territoires » est parue au Journal officiel du 22 juillet 2009 (ndlr).