CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Vous mettez régulièrement l’accent sur la priorité à accorder à l’évaluation de la performance sociale. Pourquoi ?

2C’est, en effet, un thème qui m’est cher. Alors que nous devons surmonter de lourdes contraintes et relever de nombreux défis, des marges importantes d’efficacité et de productivité existent. L’exigence de performance constitue un impératif : une évaluation régulière doit la mesurer. J’en ai acquis la conviction de longue date en référence à plusieurs constats.

3–?Notre taux de redistribution sociale est, d’ores et déjà, l’un des plus élevés en Europe. La protection sociale au sens large représentait 29 % de notre PIB en 2007, près de 3 points de plus que la moyenne européenne. Le montant des prestations s’élevait à 550 milliards d’euros. Leur croissance s’est accélérée depuis 2001, même si nous avons connu, en 2006, une année de pause relative sous l’effet d’une diminution du chômage et d’un ralentissement des dépenses de santé.

4–?Notre contrat social est marqué par une forte dimension de solidarité. La stabilité du taux de prise en charge de l’assurance-maladie obligatoire à 78 % en témoigne alors que, de manière récurrente, le désengagement de celle-ci est mis en avant. La progression des ALD compense, en effet, le moindre remboursement de certaines prestations. Mais, cet engagement collectif fort en faveur de la solidarité ne se retrouve pas au niveau des résultats. Ceux-ci ne sont pas à la mesure des dépenses engagées. Nombre d’indicateurs dans le champ de la protection sociale ne nous sont pas favorables : insertion des jeunes dans la vie professionnelle, lutte contre la pauvreté, emploi des seniors…

5–?Au cours de ces quinze dernières années, selon le constat dressé par le Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC), les gains de productivité ont été principalement absorbés par l’évolution des charges de protection sociale, au détriment de l’évolution du salaire direct et du pouvoir d’achat des salariés.

6–?Dans un contexte de mondialisation et de globalisation des échanges, notre système ne doit pas porter atteinte à la compétitivité de nos entreprises, constituer un frein pour l’emploi et nous interdire d’engager les dépenses de préparation de l’avenir. Malgré l’importance des allégements de charges consentis, le coût horaire du travail reste supérieur à celui de nos principaux voisins et concurrents.

7–?Le déficit structurel de notre système de protection sociale pose évidemment problème, notamment à l’égard des générations futures. Le cap d’un retour progressif à l’équilibre doit être réaffirmé et tenu malgré le ralentissement de l’économie consécutif à la crise que nous traversons.

8–?Enfin, l’exigence de responsabilité et d’éthique du service public doit nous conduire à penser performance sociale dans le but de toujours mieux servir l’usager et de gérer, de manière optimale, les deniers publics.

9Tel est déjà le sens de la mission des institutions de contrôle (Cour des comptes, IGAS, IGF, IGA…). La recherche de performance a été consacrée par le législateur à travers la LOLF, ou la LOFSS, puis réactivée, à l’initiative de l’exécutif, dans la démarche de révision générale des politiques publiques (RGPP) et de modernisation des administrations. Plus largement, elle est au cœur de toutes les démarches d’évaluation.

10La France est suradministrée et sous-organisée, dit-on en Europe. Dans le domaine de la formation professionnelle, le récent rapport de la Cour des comptes l’a, à nouveau, illustré.

11Un important effort d’efficience et d’efficacité doit être développé.

12La crise financière, économique, sociale, que nous traversons en renforce l’obligation.

13En prend-on le chemin ?

14Sur le plan de la prise de conscience, la réponse est positive. Un important travail a été réalisé par la Cour des comptes et les corps de contrôle. Mais les résistances sont fortes : il faut faire preuve de courage et de persévérance. Certaines structures sont arc-boutées sur leurs justifications. À titre d’exemple, j’évoquerais une opération immobilière réalisée il y a quelques années par le ministère de la Culture et située rue des Bons-Enfants à Paris. L’investissement représentait 75 millions d’euros. En contrepartie, un engagement de vente de six immeubles dispersés avait été pris par le ministère. Quelques années plus tard, aucun n’avait été vendu. À la suite d’un contrôle sur pièces et sur place effectué par Georges Tron, Gilles Carrez et moi-même, l’obligation de vente a dû être confirmée par D. de Villepin.

15Comment faire pour que les ministres s’intéressent à l’amélioration de la performance ?

16La reconnaissance médiatique en est sans doute la condition ! Ce critère doit pourtant être aussi important que le fait de défendre un nouveau texte législatif tous les six mois. Des pays comme le Canada ont amélioré de manière considérable leur efficacité, dégagé d’importantes économies alors qu’ils connaissaient des difficultés budgétaires plus importantes que les nôtres.

17Quelle définition donnez-vous plus précisément de la notion de performance sociale ?

18Trois mots clés résument cette notion :

  • l’efficacité, qui repose sur une logique d’objectifs et de résultats ;
  • l’efficience et l’optimisation des ressources, qu’elles soient humaines, organisationnelles, financières… au service des objectifs fixés ;
  • la qualité du service, des prestations, de l’action ou de la politique conduites.
Pour en souligner l’ambition politique, elle doit être complétée d’une double dimension intégrant :
  • la capacité des dispositifs à s’adapter à l’environnement, à ses contraintes, au contexte dans lequel ils s’inscrivent ;
  • la référence à des valeurs communes et partagées, de nature à créer une dynamique de mobilisation des ressources humaines : ce sont, naturellement, les valeurs universelles de dignité, d’égalité, de solidarité, de responsabilité, fondatrices de notre pacte républicain mais aussi la référence aux principes de transparence, d’équité, d’évaluation, de coordination et de coopération qui constituent autant de leviers essentiels pour la performance sociale.
Quelle place le Parlement envisage-t-il de prendre dans l’évaluation des politiques sanitaires et sociales ?

19La récente réforme constitutionnelle conforte la place du Parlement en ce domaine. Au-delà de sa fonction de contrôle traditionnelle et des différents instruments développés depuis une vingtaine d’années par le biais des missions (MEC, MECSS, offices parlementaires…), il est apparu opportun d’affirmer son rôle en matière d’évaluation pour concourir à enrichir directement ses deux missions principales, légiférer et contrôler.

20L’objectif est d’évaluer pour mieux légiférer, mieux contrôler et ainsi favoriser l’adaptation de la législation en fonction des résultats obtenus.

21L’article 24 de la Constitution dispose ainsi : « Le parlement vote la loi. Il contrôle l’action du gouvernement. Il évalue les politiques publiques. »

22L’article 47-2 consacre par ailleurs la contribution de la Cour des comptes à l’évaluation des politiques publiques. Sur le fondement de cet article, les différents organismes internes du Parlement peuvent requérir l’assistance de la Cour dans leur mission de contrôle et d’évaluation.

23Sans attendre l’entrée en vigueur et la pleine application de cette réforme, le rappel de quelques travaux conduits par la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales au cours de ces douze derniers mois témoigne déjà de la forte implication des parlementaires sur cette fonction.

24Dans le cadre d’une mission conjointe avec la Commission des finances, un premier thème a porté sur les exonérations de cotisations sociales. Dans le cadre des travaux de la MECSS, une évaluation a été consacrée à la politique du médicament : « prescrire moins, consommer mieux ». D’autres missions d’information ont respectivement porté sur les agences régionales de santé, le dossier médical personnel, les affections de longue durée, l’offre de soins et les soins de premier recours, la prévention de l’obésité, le développement de l’offre d’accueil de la petite enfance.

25Quelques constantes se dégagent de tous ces travaux :

  • sur le plan politique, il est frappant de constater que souvent les clivages s’estompent. Nombre de recommandations poursuivent les mêmes finalités : l’efficience, l’équilibre et la pérennité de notre système de protection sociale, ainsi que le juste soin ;
  • les propositions, souvent organisées sous forme de boîte à outils, incitent l’exécutif à les utiliser dans la durée en fonction de l’évolution du contexte, et à les mobiliser pour mieux répondre aux besoins.
Dans l’objectif d’amplifier cette dynamique de l’évaluation centrée sur la performance sociale, j’ai constitué à mes côtés un groupe d’experts chargé notamment d’anticiper les rendez-vous législatifs importants (projets de loi hôpital/patients/santé/territoires, cinquième risque, financement de la protection sociale…).

26L’évaluation doit être conçue comme un outil d’aide à la décision, de connaissance, de débat dans le but d’améliorer le fonctionnement des politiques publiques. Elle ne peut donc être réservée à un seul niveau d’intervention. Qu’il s’agisse des échelons territoriaux ou des services de l’État central, des collectivités locales, d’intervenants extérieurs, la fonction d’évaluation doit faire partie intégrante de la mise en œuvre de toute politique publique.

27Pouvez-vous énoncer quelques recommandations concrètes de nature à promouvoir la performance sociale ?

28Si l’on veut faire adhérer le plus grand nombre à la démarche, nous devons être soucieux de la dimension pédagogique. À cette fin, nous devons promouvoir les approches permettant de comparer les organisations, les bonnes pratiques d’un territoire à l’autre, d’un pays à l’autre. Il faut aussi privilégier la présentation de cas-types, les simulations, le benchmarking et favoriser les temps d’analyse critique entre partenaires, entre pairs pour améliorer l’efficience de nos systèmes en intégrant à la fois la dimension qualité, l’optimisation des moyens et la meilleure réponse aux besoins.

29Cette démarche de benchmarking peut concerner de nombreux domaines : à titre d’exemple, le thème de la lutte contre l’obésité. Un rapport de 1 à 4 au niveau des résultats a été constaté sur une dizaine de villes engagées dans le programme EPODE (Ensemble prévenons l’obésité des enfants). Des enseignements en ont découlé ayant notamment conduit au développement de l’éducation physique sur certains sites.

30Sur le plan organisationnel, nous devons privilégier les systèmes décentralisés mais encadrés. Les pays performants offrent des marges de manœuvre aux collectivités décentralisées et aux institutions chargées de la mise en œuvre des politiques déléguées tout en les plaçant sous contrainte de respect de référentiels, de protocoles, de normes, en posant des exigences de transparence et en contractualisant le principe de révision des conditions de mise en œuvre des politiques déléguées au vu d’indicateurs chiffrés.

31La réforme des collectivités locales est aujourd’hui controversée. De fait, l’intercommunalité a condamné les départements, au moins dans les grands départements très urbains. Des couplages peuvent être envisagés entre la région et le département. On pourrait de même envisager une vingtaine de villes métropoles qui assumeraient les compétences de la commune, de la communauté de commune et du département.

32Un véritable effort reste à accomplir en matière de fiscalité pour accompagner ce mouvement. L’insuffisante compensation par l’État des transferts de compétences (APA, RMI, collèges, lycées…) est régulièrement relevée. Dans le même temps, l’intervention accrue de l’État dans la fiscalité locale du fait des mécanismes de dégrèvement et d’exonérations est rarement soulignée. Pour 100 euros dépensés dans une collectivité locale, la contribution locale se limite parfois à moins de 10 %. En matière d’investissements, les taux de subvention peuvent parfois atteindre 80 %. Même si le niveau d’investissement ne correspond pas aux priorités et aux besoins, il faut être très vertueux pour ne pas s’engager. Le lien de responsabilité est affaibli dès lors que la population ne supporte qu’une trop faible part.

33Il faut développer l’information et la transparence, délimiter strictement les compétences, aller plus loin dans la péréquation, récompenser la vertu et non la sanctionner. C’est tout l’intérêt d’établir des comparaisons entre collectivités. Des centres de gestion classent les entreprises, les exploitations, distinguent les 20 % les meilleures et les 20 % les moins performantes. L’émulation est un excellent vecteur de progrès.

34Enfin, tout doit être mis en œuvre pour favoriser les coopérations entre acteurs et créer des dynamiques territoriales, en dépassant notamment les cloisonnements public/privé et organiser une large diffusion des résultats.

35Plus largement, l’exigence d’équité et de responsabilité doit être plus fortement introduite dans la gestion publique.

Notes

  • [1]
    Entretien réalisé par Stéphane Le Bouler, chef de la mission recherche de la Drees au moment de l’entretien, avec le concours d’Yvon Guillerm, conseiller de M. Méhaignerie, et de François Le Morvan, collaborateur de la DREES.
Mis en ligne sur Cairn.info le 12/07/2010
https://doi.org/10.3917/rfas.101.0345
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