CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1L’expérimentation en politique sociale est une démarche courante dans les pays anglo-saxons et nord-européens. Elle est même pratiquée depuis une trentaine d’années aux États-Unis, notamment pour les programmes d’aide à l’emploi. C’est peu le cas en France. Par exemple, la prime pour l’emploi ou l’intéressement au revenu minimum d’insertion (RMI) ont été instaurés sans que leurs effets sur les comportements d’activité n’aient été testés au préalable [1]. Le revenu de solidarité active (RSA) marque une rupture en ceci qu’une phase expérimentale, destinée à évaluer l’impact du dispositif, a été inscrite dans la loi de Finances pour 2007 du 21 décembre 2006 et dans la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (TEPA). Ces deux lois ont offert la possibilité aux conseils généraux de déroger localement et temporairement aux règles d’intéressement de droit commun applicables aux bénéficiaires du RMI, en vue d’expérimenter pour ces derniers une prestation préfigurant le RSA. La loi TEPA autorise également les préfectures à expérimenter le RSA pour les bénéficiaires de l’allocation de parent isolé (API), mais pour les seuls départements où les conseils généraux ont été habilités à le faire pour le RMI.

2Trente-trois départements volontaires ont été autorisés à expérimenter le RSA. L’Eure a lancé le premier ce nouveau dispositif en juin 2007. La plupart des autres départements ont suivi entre novembre 2007 et mars 2008. Chacun d’eux a choisi librement ses propres modalités d’expérimentation pour les bénéficiaires du RMI : barème, bénéficiaires éligibles [2], formes de l’accompagnement, types d’emplois concernés [3], clauses de sauvegarde, etc.

3Le Livre vert (encadré) présente les objectifs du RSA expérimental (p. 14) : « Lutter contre la pauvreté, notamment la pauvreté au travail ; inciter à la reprise d’emploi ; améliorer l’accompagnement dans l’emploi des bénéficiaires ; simplifier le système existant des minima ; lutter contre le travail au noir [4]. »

4Le Livre vert présente également les objectifs du processus d’expérimentation (p. 5) : « Il teste la capacité d’acteurs différents à se coordonner sur un projet commun qui concerne aussi bien l’accompagnement social que l’insertion professionnelle ; il donne des éléments de réponse aux multiples questions de faisabilité technique, de calcul et de versement d’une prestation nouvelle ; il fournit des connaissances précises sur les comportements des acteurs ; il produit des données solides sur les coûts et les économies générées par le nouveau dispositif ; il permet de mieux identifier les autres obstacles au retour à l’emploi et la manière d’y apporter des réponses sur mesure ; il donne des éléments de comparaison entre les territoires concernés par l’expérimentation et ceux qui ne le sont pas, soumis à évaluation par un comité indépendant. »

Encadré : Le Livre vert

Le Livre vert intitulé Vers un revenu de solidarité active a été présenté par Martin Hirsch, haut commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, et rendu public le 2 mars 2008. Il présente les enjeux, les objectifs et les modalités de la réforme du revenu de solidarité active (RSA) en envisageant plusieurs scénarios. Sa particularité est d’être un livre ouvert : les quinze grandes questions qu’il formule, ont été soumises au débat public à partir d’un forum recueillant les avis des citoyens. Cette phase de consultation s’est déroulée de mars à mai 2008. Le Livre vert a ensuite servi de base de concertation lors de la préparation du projet de loi qui a été présenté devant le Parlement à l’automne 2008.

5Pour évaluer les effets du RSA, quatre outils d’évaluation ont été mis en place : une enquête monographique menée auprès des principaux acteurs [5] chargés de la mise en œuvre du RSA ; une enquête qualitative menée auprès de bénéficiaires du RMI, de l’API ou du RSA ; une enquête quantitative réalisée sur un échantillon de 3 500 bénéficiaires du RMI, de l’API ou du RSA ; un tableau de bord présentant des indicateurs relatifs au contexte socioéconomique, aux moyens engagés pour mettre en place le RSA, et aux résultats obtenus notamment en termes d’emploi [6].

6Au terme de cette expérimentation qu’a clos la généralisation du RSA le 1er juin 2009, il paraît utile de rassembler l’ensemble des résultats disponibles. Le rapport rédigé par le Comité d’évaluation et publié en mai 2009 synthétise l’essentiel des conclusions qui peuvent être tirées des quatre outils d’évaluation. Toutefois, d’autres articles parus après le rapport du Comité (Fabre, Vicard, 2009a et b) apportent des éclairages supplémentaires grâce à de nouvelles exploitations de l’enquête quantitative auprès des bénéficiaires. En outre, certains aspects explorés dans les enquêtes qualitatives peuvent être utilisés davantage qu’ils ne l’ont été dans le rapport du Comité, qui a vocation à être synthétique. C’est le cas notamment pour ce qui concerne l’accompagnement des bénéficiaires vers l’emploi. En outre, avec le recul dont on dispose aujourd’hui, il paraît opportun d’apprécier le processus d’expérimentation en tant que démarche originale en France.

7C’est à ce double exercice d’analyse que propose de se livrer cet article, en vue de nourrir le débat public. La première partie sera consacrée aux résultats des expérimentations en adoptant la démarche évoquée : synthèse à partir des publications disponibles et approfondissement. Elle présentera l’impact du RSA sur l’entrée dans l’emploi, puis les facteurs susceptibles de jouer sur l’accès à l’emploi : l’accompagnement vers et dans l’emploi, la communication en direction des bénéficiaires et des entreprises, enfin les droits connexes et les aides facultatives. La seconde partie visera à établir un bilan du processus d’expérimentation, en pointant ses effets positifs et ses limites. La dernière partie évoquera les questions que suscite le dispositif RSA à la lumière des expérimentations.

Les résultats des expérimentations au regard des objectifs du RSA

Le RSA et l’objectif de retour à l’emploi

8Enjeu majeur des RSA expérimentaux, car facteur de lutte contre la pauvreté, l’incitation à la (re)prise d’emploi renvoie à quatre interrogations : le RSA favorise-t-il l’accès à l’emploi ? Assure-t-il la pérennisation de l’insertion professionnelle ? Améliore-t-il l’accès à des emplois de qualité ? Peut-il amener vers l’emploi ceux qui en sont les plus éloignés ?

L’effet du RSA sur l’entrée et le maintien dans l’emploi est contrasté selon les types de bénéficiaires

9Le rapport final sur l’évaluation des expérimentations du RSA calcule, à partir des données du tableau de bord, le taux d’entrée mensuel moyen dans l’emploi de janvier 2008 à mars 2009 [7]. Il obtient un taux supérieur de 9 % dans les zones expérimentales par rapport aux zones témoins. Toutefois, en raison de disparités entre les départements et de fortes fluctuations dans le temps, desquelles résulte une imprécision statistique, « on peut seulement affirmer que le véritable impact [du RSA] est compris dans un intervalle de confiance de - 6 % à 25 % […]. Au-delà de la valeur moyenne observée de 9 %, l’incertitude sur le véritable effet du RSA expérimental reste très forte » (Comité d’évaluation des expérimentations, 2009).

10L’enquête quantitative auprès des bénéficiaires donne des résultats qui vont dans le même sens : les personnes qui ont repris un emploi au cours des expérimentations sont un peu plus nombreuses dans les zones tests (19,1 %) que dans les zones témoins (17,6 %). Mais l’écart est faible et non significatif statistiquement au seuil de 5 % (Fabre, Sautory, 2009).

11Toutefois, cette absence de différences au niveau de l’ensemble des bénéficiaires masque des écarts significatifs pour des profils particuliers de bénéficiaires. Les personnes seules et les titulaires d’un baccalauréat ou d’un diplôme supérieur qui étaient sans emploi avant les expérimentations, travaillent plus souvent dans les zones tests que dans les zones témoins (Fabre, Sautory, 2009). Le phénomène est inverse pour les personnes peu qualifiées, qui ont moins souvent obtenu un emploi dans les zones tests (Ibid.). Ainsi, « l’accès à l’emploi semble avoir été facilité pour les populations ne cumulant pas trop d’obstacles pour le retour à l’emploi » (Comité d’évaluation des expérimentations, 2009).

12Pour ce qui concerne le maintien dans l’emploi, un peu plus de personnes étaient en emploi juste avant le démarrage des expérimentations et le sont toujours en mai dans les zones tests (76,4 %) que dans les zones témoins (75,4 %). Mais à nouveau, l’écart est faible et non significatif, et ce quel que soit le profil des personnes. Ce résultat n’est pas très surprenant : « la durée d’observation est insuffisante pour pouvoir observer l’effet de la pérennisation de l’aide au-delà de douze mois » (Comité d’évaluation des expérimentations, 2009).

La durée de travail est plus courte pour les bénéficiaires du RSA mais pour des emplois plus proches du domicile et des horaires plus classiques

13Un second point important concerne la qualité des emplois auxquels les allocataires du RSA accèdent. L’enquête qualitative auprès des bénéficiaires suggère que, sur cet aspect, leurs attentes sont fortes. La plupart des personnes interrogées, qui n’ont connu jusque-là que succession de contrats courts dans des secteurs peu attractifs, partagent le souhait de sortir d’un circuit d’instabilité dans lequel elles se sentent enfermées, pour occuper un emploi stable sur le long terme, à temps plein le plus souvent, avec des horaires fixes permettant d’avoir une vie réglée. Ce désir de stabilité porte également sur la rémunération : les deux tiers des personnes interrogées dans l’enquête quantitative déclarent, aussi bien en zones tests qu’en zones témoins, qu’elles préfèrent percevoir une allocation fixe chaque mois plutôt qu’une allocation susceptible d’évoluer au cours du temps (Fabre, Sautory, 2009).

14L’enquête quantitative permet également de connaître les caractéristiques des emplois occupés en mai 2008. En termes de type de contrat (CDI, CDD, intérim, etc.), de secteur d’activité (commerce, services aux particuliers, etc.), de statut d’employeur (entreprise publique, entreprise privée, association, particulier, etc.), les différences sont faibles et le plus souvent non significatives entre les zones témoins et les zones tests (Fabre, Sautory, 2009). Dans les deux types de zones, à peu près quatre bénéficiaires sur dix occupent un emploi dans le secteur marchand, et environ 30 % bénéficient d’un contrat à durée indéterminée (CDI) [8]. Les données du tableau de bord, dont le rapport d’évaluation précise « qu’elles ne peuvent être comparées entre zones expérimentales et zones témoins », indiquent que la part d’emplois durables (CDI + CDD de plus de six mois) représente 30 % des emplois occupés à l’entrée du dispositif, l’intérim et les contrats courts 25 %, les contrats aidés 27 % [9] (Comité d’évaluation des expérimentations, 2009).

15En revanche, dans les zones d’expérimentation, les emplois occupés par les bénéficiaires du RSA sont de durée un peu plus courte, donc assortis de salaires mensuels un peu plus faibles, mais plus proches du domicile, avec des horaires un peu plus « classiques » [10] et des conditions de travail jugées par les bénéficiaires plus satisfaisantes (Comité d’évaluation des expérimentations, 2009 ; Fabre, Sautory, 2009). On est tenté de suggérer que la proximité entre le lieu de résidence et le lieu de travail, le caractère moins atypique des horaires et la pérennité de l’allocation du RSA peuvent rendre attractif un emploi même à temps très partiel, notamment pour des femmes qui ne disposent pas de modes de garde pour leurs enfants. Ceci est cohérent avec le fait que les personnes ayant accédé à un emploi à temps partiel au cours de l’expérimentation souhaitent moins souvent travailler davantage en zones tests qu’en zones témoins [11]. D’ailleurs, qu’elles soient en emploi ou non, les personnes sont moins nombreuses à rechercher un emploi à temps complet dans les zones tests que dans les zones témoins.

16On dispose également d’informations sur les emplois occupés par les bénéficiaires du RSA au titre de l’API grâce à une enquête réalisée en 2008 auprès des caisses d’allocations familiales (CAF) qui expérimentent le RSA (Avenel, 2009). Plus des deux tiers des allocataires du RSA-API occupent des emplois à temps partiel, soit davantage que l’ensemble des allocataires de l’API en activité (54 %). En outre, la part de l’emploi à temps partiel semble augmenter au moment de l’ouverture du droit RSA. Ces résultats ne permettent cependant pas de conclure que le RSA favorise le développement du temps partiel, car « l’emploi précédemment occupé ne renvoie pas nécessairement à la même situation : il peut avoir été exercé avant l’API, avant la séparation et avant les enfants » (Avenel, 2009). Néanmoins, on peut suggérer que le RSA rend le temps partiel acceptable pour des femmes [12] pour lesquelles un volume horaire réduit peut être la seule formule compatible avec l’absence de modes de garde des enfants. En effet, 20 % des bénéficiaires du RSA-API ayant un seul enfant n’ont aucun mode de garde, tandis que 40 % recourent à des solidarités informelles (famille ou amis). Dans ces conditions, une augmentation du volume horaire risquerait de créer des tensions sur la garde de l’enfant, le recours informel sollicité n’étant pas forcément disponible pour une durée de garde plus longue. Le taux de temps partiel plus élevé peut donc être interprété comme l’expression d’une certaine forme d’offre de travail que le RSA rend possible, sous contrainte d’absence de modes de garde formels.

17Par ailleurs, même si les allocataires du RSA-API bénéficient plus souvent que les allocataires du RSA-RMI d’un CDI (38 % contre 18 %), la majorité d’entre eux occupe un emploi temporaire : 30 % sont en CDD, 20 % en contrat aidé et 7 % en intérim (Avenel, 2009). Ces contrats sont souvent de courte durée : la durée moyenne des emplois exercés avec le RSA pour l’ensemble des bénéficiaires est de neuf mois. Ce constat va à l’encontre de la forte aspiration des bénéficiaires à un emploi stable assorti de revenus réguliers.

Une interrogation des départements : le RSA peut-il amener vers l’emploi les bénéficiaires qui en sont le plus éloignés ?

18Dans l’ensemble, les conseils généraux enquêtés jugent le RSA efficace pour les personnes qui sont déjà en emploi ou pour remettre dans l’emploi ceux qui n’en ont pas depuis peu, avant que certains ne s’enlisent dans les dispositifs de minima sociaux. En revanche, ils sont plus sceptiques quant à la capacité du RSA de mener vers l’emploi et l’autonomie financière les bénéficiaires les plus éloignés de l’emploi. Selon eux, la priorité donnée par le RSA à l’insertion professionnelle risque de se faire au détriment de l’accompagnement social qui est prioritaire pour certaines populations. En outre, pour les populations installées depuis longtemps dans la précarité, la réintégration du marché du travail ne peut se faire que progressivement et sur le long terme.

19Il est possible de regarder si ces craintes se sont concrétisées en étudiant l’ancienneté dans le dispositif RMI des personnes ayant accédé à un emploi. Les données du tableau de bord indiquent que les allocataires inscrits au RMI depuis plus de quatre ans sont un peu plus nombreux parmi les entrants dans l’emploi dans les zones expérimentales (25 %) que dans les zones témoins (21 %) (Comité d’évaluation des expérimentations, 2009). Pour les anciennetés comprises entre six et quarante-sept mois, les pourcentages sont les mêmes dans les deux types de zones. D’après ces chiffres, le RSA n’a pas évincé de l’emploi les plus éloignés au profit des plus proches. Toutefois, l’ancienneté dans le dispositif RMI n’est pas un indicateur univoque de l’éloignement de l’emploi. Ce dernier peut être lié à des obstacles relativement aisés à lever [13], ou au contraire à des handicaps plus lourds [14]. En outre, des études menées sur les bénéficiaires du RMI révèlent que les plus anciens dans le dispositif ne sont pas toujours les plus éloignés de l’emploi (Corlay et al., 2006). Les données disponibles permettent donc de n’avoir qu’une idée de la capacité du RSA d’amener vers l’emploi les bénéficiaires les moins employables.

20L’amélioration de l’entrée dans l’emploi pour certains profils de bénéficiaires suscite une question : quels facteurs en sont à l’origine ? Est-ce l’aide financière qu’apporte le RSA ? Ou un meilleur accompagnement vers l’emploi ? Ou encore une mobilisation des entreprises ?

L’impact de l’aide financière apportée par le RSA

L’impact du RSA joue-t-il sur le salaire de réserve des bénéficiaires ?

21Le RSA étant une allocation pérenne qui complète le revenu d’activité, il est susceptible de modifier les conditions d’acceptation d’un emploi : le salaire à partir duquel les bénéficiaires sont prêts à accepter un emploi, la distance entre le lieu de travail et le lieu de résidence, le niveau de qualification de l’emploi par rapport au niveau de formation du bénéficiaire, etc. Or sur ces points, on n’observe pas de différence dans l’enquête quantitative entre les zones tests et les zones témoins (Fabre, Sautory, 2009). Dans les deux cas, quasiment neuf personnes sur dix recherchant un emploi déclarent qu’elles accepteraient un emploi pour lequel les qualifications requises seraient inférieures aux leurs si elles avaient une proposition ferme d’embauche ; un peu moins des deux tiers se déclarent prêtes à déménager et plus de huit sur dix à travailler dans un autre secteur que celui initialement souhaité. On n’observe pas de différence non plus dans le salaire minimum souhaité.

22Comment interpréter cette similitude de déclaration ? Elle peut être due à une véritable absence d’impact du RSA sur les conditions d’acceptation d’un emploi. Elle peut aussi résulter de la complexité du dispositif, qui, alimentant l’incompréhension voire la méfiance, dissuade les bénéficiaires de modifier leur arbitrage actuel en matière d’offre du travail. Elle peut également tenir au fait que les individus, sachant le dispositif expérimental, ne modifient pas à court terme leur offre de travail.

L’effet incitatif du bonus financier doit toutefois être relativisé

23Les bénéficiaires interrogés dans l’enquête qualitative présentent le bonus financier qu’apporte le RSA comme nécessaire, mais non suffisant. Ils évoquent sans ambiguïté l’importance de l’aide financière reçue (Comité d’évaluation des expérimentations, 2009 ; Alberola et al., 2009a ; Fabre, Vicard, 2009b). Mais leur difficulté d’accéder à l’emploi semble le plus souvent liée davantage à une absence d’offres d’emploi, à des obstacles pratiques et/ou une inadéquation de leur qualification qu’à une question financière. Le mécanisme de l’intéressement est rarement présenté comme susceptible d’être en soi un élément déclencheur de l’accès à un emploi ou à un meilleur emploi (Alberola et al., 2009 a). Globalement, les bénéficiaires interrogés établissent le même diagnostic : les aides financières, pour précieuses qu’elles soient, ne peuvent se substituer à un accompagnement professionnel et social solide, indispensable pour réunir les circonstances favorables permettant d’accéder à l’emploi durable. Ce diagnostic est partagé par les départements qui ont souvent profité de la mise en place du RSA pour renforcer l’accompagnement vers et dans l’emploi.

L’accompagnement vers et dans l’emploi des bénéficiaires dans le cadre du RSA

24Même si la question de l’insertion professionnelle projette d’emblée sur un horizon dépassant le cadre des expérimentations, ces dernières suscitent néanmoins deux interrogations : le RSA a-t-il modifié, par rapport au RMI et à l’API, la nature et l’intensité de l’accompagnement des bénéficiaires vers l’emploi ? Si oui, à quel coût et surtout, pour quel résultat ?

Un investissement en apparence fort des départements

25De manière générale, les départements enquêtés ont fait du contrat d’insertion le support central de l’accompagnement et de la construction des parcours professionnels (Loncle et al., 2009). C’était déjà le cas depuis la décentralisation du RMI. Néanmoins, l’expérimentation du RSA a induit trois changements.

26Premièrement, la mise en place du RSA a stimulé la signature de contrats d’insertion RSA dans les départements enquêtés où le taux de contractualisation des bénéficiaires du RMI était faible. Toutefois, l’enquête quantitative auprès des bénéficiaires ne repère pas les effets d’une telle politique. Le pourcentage (57 %) de bénéficiaires du RMI sans emploi déclarant avoir un contrat d’insertion en cours ou en préparation, n’est pas significativement différent dans les zones tests et dans les zones témoins.

27Cette incohérence apparente entre les deux enquêtes peut s’expliquer par une différence de champ : l’enquête qualitative auprès des acteurs porte sur cinq départements, l’enquête quantitative en concerne quinze. En outre, l’enquête qualitative enregistre les déclarations des conseils généraux, l’enquête quantitative celle des bénéficiaires. Or il est probable qu’au moment où l’enquête quantitative a été réalisée, la systématisation de la signature de contrat d’insertion n’avait pas encore d’effets visibles pour les bénéficiaires.

28Deuxième changement, certains conseils généraux ont construit le contrat d’insertion avec l’objectif d’améliorer la connaissance des parcours des bénéficiaires et d’évaluer le dispositif.

29Enfin, dans deux départements, la procédure d’élaboration du contrat d’insertion a été modifiée. Un double diagnostic de la situation des bénéficiaires est établi en binôme par un spécialiste de l’accompagnement social et par un spécialiste de l’accompagnement professionnel [15].

30En matière de suivi et d’accompagnement des bénéficiaires du RSA au titre du RMI, les départements enquêtés semblent avoir développé deux stratégies différentes. La première s’inscrit dans la continuité des orientations prises lors de la décentralisation du RMI. Les missions des référents n’ont pas changé et l’accompagnement des bénéficiaires du RSA, comme pour ceux du RMI, reste centré principalement sur la dimension sociale. L’accompagnement vers l’emploi est délégué à des intervenants complémentaires dont le référent assure la coordination. La seconde stratégie consiste à profiter de l’expérimentation du RSA pour renouveler l’accompagnement. Le principal changement réside dans le poids plus important donné à la dimension professionnelle, avec un suivi spécifique des bénéficiaires et une approche individualisée reposant sur la notion de parcours. Certains départements ont créé de nouvelles structures chargées de mettre en œuvre les nouvelles formes d’accompagnement : cellule RSA, plateforme unique d’accueil regroupant les différents interlocuteurs potentiels d’un bénéficiaire, par exemple.

31Quelle que soit la stratégie adoptée, la plupart des départements adaptent le dosage entre accompagnement social et professionnel en fonction des profils des bénéficiaires. Par exemple dans le Val-d’Oise, l’accompagnement des bénéficiaires du flux se situe dans la continuité de celui mis en œuvre pour le RMI, tandis que l’accompagnement des bénéficiaires du stock est sous-traité à une association qui aide à la recherche d’emploi et à la création d’entreprise, grâce à des liens étroits avec le monde économique.

32Est-ce cette diversité de stratégies qui explique que, dans l’enquête quantitative, la fréquence des contacts avec un référent n’est pas significativement supérieure en moyenne dans les zones tests comparativement aux zones témoins (Fabre, Sautory, 2009) ? Ou est-ce à nouveau parce que l’enquête a eu lieu trop précocement dans le processus de changement ? Ou est-ce parce que, si l’on en croit nombre d’acteurs notamment ceux de l’insertion économique, le dispositif RSA « ne bouleverse pas les méthodes d’accompagnement » (Loncle et al., 2009, p. 38) ? Il est difficile de trancher avec les informations disponibles.

33Alors que les expérimentations du RSA-RMI sont mises en œuvre par les conseils généraux, les bénéficiaires du RSA-API sont sous la responsabilité des préfets. L’enquête menée auprès des CAF indique que l’accompagnement des bénéficiaires du RSA-API est assuré par les travailleurs sociaux des CAF qui ont dû prendre en charge non seulement l’accompagnement social qui relève de leurs compétences traditionnelles, mais aussi l’insertion professionnelle qui n’en relève pas (Avenel, 2009). Du coup, les CAF ont instauré des relations de partenariat avec le service public de l’emploi (ANPE et missions locales), les structures d’insertion par l’économique (Plie), ainsi que les services d’action sociale du département et les services d’accueil de la petite enfance (Avenel, 2009).

34L’enquête qualitative menée auprès des acteurs donne quelques indications en ce qui concerne l’articulation entre l’accompagnement des bénéficiaires du RSA-RMI et des bénéficiaires du RSA-API. Une première catégorie de départements propose aux bénéficiaires RSA-API un suivi identique ou proche de celui mis en place pour les bénéficiaires du RSA-RMI. Une seconde catégorie de départements a, au contraire, choisi une différenciation de l’accompagnement entre bénéficiaires du RSA-RMI et des bénéficiaires du RSA-API, notamment en raison du nombre important de bénéficiaires concernés.

35Les diverses orientations prises en matière d’accompagnement trouvent leur traduction dans le choix du référent. Certains départements distinguent les référents RSA, davantage orientés vers l’insertion professionnelle, et les référents RMI, couvrant autant le champ social que professionnel, alors que dans d’autres départements, les mêmes référents assurent le suivi des bénéficiaires du RSA et du RMI. Cette diversité de situations peut poser un problème d’égalité de traitement des bénéficiaires selon que les référents maîtrisent ou non les rouages de l’action sociale, connaissent ou non les dispositifs de formation et d’emploi. L’hétérogénéité des profils a conduit certains conseils généraux à proposer aux référents des formations complémentaires afin d’harmoniser leurs compétences. Des conseils généraux s’emploient également à constituer un référentiel de métiers, à repérer les bonnes pratiques, et/ou à constituer un lieu d’accueil unique réunissant des référents divers.

36À cette hétérogénéité des référents vient s’ajouter le problème du changement de référent. Le RSA expérimental repose sur le principe d’un accompagnement assuré par un référent unique. Mais dans la pratique, ce principe est difficile à mettre en œuvre. De fait, les modifications de statut induisent des changements de référent, avec souvent une rupture de l’accompagnement.

37Enfin, l’accompagnement dans l’emploi [16] fait l’objet de positions diverses. Certains conseils généraux considèrent qu’ils n’ont pas à accompagner le bénéficiaire dans l’emploi par crainte d’une éventuelle stigmatisation résultant des interventions d’un travailleur social sur les lieux de travail. D’autres départements au contraire proposent l’accompagnement dans l’emploi tandis que dans un département, l’accompagnement dans l’emploi fait partie intégrante des prestations offertes. De leur côté, les bénéficiaires interrogés dans l’enquête qualitative, après avoir spontanément émis des réserves sur l’accompagnement pendant l’emploi, évoquent la nécessité de garder le contact avec le référent et de poursuivre le travail d’accompagnement jusqu’à une insertion durable.

Les moyens financiers consacrés à l’accompagnement : un point d’interrogation

38Les conseils généraux ont fourni des données concernant les moyens qu’ils consacrent à l’accompagnement dans les zones expérimentales et dans les zones témoins. Toutefois, les données recueillies sont très peu robustes : elles ne portent que sur un petit nombre de départements, la plupart d’entre eux ayant rencontré beaucoup de difficultés à renseigner les indicateurs prévus. Du coup, ces données ne permettent pas d’apprécier si l’accent que les départements déclarent avoir mis sur le renforcement de l’accompagnement, s’est traduit par des moyens financiers plus importants dans les zones expérimentales que dans les zones témoins.

Les bénéficiaires attendent beaucoup de l’accompagnement

39Les efforts déployés par les conseils généraux en matière d’accompagnement vont dans le sens des attentes des bénéficiaires.

40Ceux interrogés dans l’enquête qualitative souhaiteraient une prise en compte des différents aspects de leur situation personnelle et un accompagnement professionnel spécifique qui soit à la fois renforcé, personnalisé et réactif. Beaucoup souhaiteraient également avoir accès à des formations qualifiantes/diplômantes et à des remises à niveau, alors que très peu pour le moment déclarent avoir bénéficié de telles formations dans les dispositifs d’insertion.

41Interrogés dans l’enquête quantitative sur ce qu’il faudrait faire, de leur point de vue, pour aider les allocataires du RMI à retrouver un emploi, les bénéficiaires évoquent le plus souvent et spontanément l’accompagnement qu’ils souhaitent soutenu, individualisé et tourné vers l’emploi (Fabre, Vicard, 2009b). Pourtant, presque la moitié des bénéficiaires du RMI à la recherche d’un emploi, dans l’enquête quantitative, déclare n’avoir eu aucun contact entre janvier et mai 2008 avec une personne chargée de les aider dans leur recherche d’emploi. En outre, les bénéficiaires du RSA de l’enquête qualitative ne percevaient pas de changement dans l’accompagnement social ou professionnel. Ils repéraient mal les nouveaux référents et ne paraissaient pas bien renseignés sur les contenus des contrats et des avenants RSA. Mais il est probablement beaucoup trop tôt pour que les efforts des conseils généraux et des CAF soient perceptibles par les bénéficiaires.

42De ce panorama se dégage l’impression que les départements enquêtés tentent des innovations variées, qu’ils tâtonnent parfois, et qu’ils tentent de résoudre les problèmes à mesure qu’ils émergent. En tout cas, tous tentent de dynamiser l’accompagnement, soit en poursuivant l’approche globale mise en place pour le RMI, accordant alors autant d’importance à la dimension sociale qu’à la dimension professionnelle, soit en initiant de nouvelles formes d’accompagnement fortement centrées sur le registre professionnel. Mais les données disponibles ne traduisent pas encore ce changement. Elles ne permettent pas, non plus, pour le moment d’apprécier l’impact de l’accompagnement selon les formes qu’il a prises et selon son intensité.

L’information des bénéficiaires : un élément dont dépend la réussite du RSA

43Le RSA ne peut jouer un rôle incitatif sur la (re)prise d’emploi que si les bénéficiaires potentiels ont une connaissance du dispositif qui leur permette d’évaluer correctement les gains qu’ils peuvent en attendre. Par ailleurs, il mènera d’autant mieux à l’emploi que les entreprises proposeront des postes accessibles aux bénéficiaires et qu’elles seront disposées à prévoir les aménagements particuliers indispensables pour les personnes les plus éloignées de l’emploi. L’information est donc un aspect important de la réussite du RSA, tant du côté des bénéficiaires que des entreprises.

Les départements ont diversement investi dans l’information des bénéficiaires

44La plupart des départements ont conçu des plaquettes, des affiches et mis à disposition un numéro vert afin d’informer les bénéficiaires du RMI des objectifs et du principe du RSA. L’Eure, premier département expérimentateur, a été plus loin en invitant chaque bénéficiaire du RMI à une réunion cantonale d’information. Mais le plus souvent, les départements n’ont pratiqué qu’une communication limitée, ciblée sur les seuls futurs bénéficiaires, afin d’éviter les effets d’annonce auprès de Rmistes n’entrant pas dans le champ géographique de l’expérimentation.

Les modalités du RSA sont diversement comprises par les bénéficiaires

45On peut observer les résultats de ces stratégies de communication dans la connaissance qu’ont les bénéficiaires du RMI, des RSA expérimentés. Ils sont plus nombreux à connaître le RSA en zones tests qu’en zones témoins, 54 % contre 35 % (Fabre, Sautory, 2009). Dans les zones expérimentales, la majorité des personnes sait que le RSA vise à garantir une augmentation des ressources lors de la (re)prise d’emploi. Quatre bénéficiaires sur cinq savent aussi qu’il faut un emploi pour prétendre au RSA expérimental et qu’il n’est plus versé au-delà d’un certain seuil de rémunération. En revanche, la durée de versement de l’allocation est largement méconnue et les modalités de calcul du montant du RSA restent très floues. Les personnes qui connaissent le mieux le RSA sont, logiquement, celles qui le perçoivent au moment de l’enquête, ainsi que les personnes en emploi et les plus diplômées, c’est-à-dire celles ayant la probabilité la plus forte de bénéficier du RSA (Fabre, Sicard, 2009a).

46L’enquête qualitative confirme que les RSA expérimentaux sont peu connus des non bénéficiaires et même de certains bénéficiaires, car un grand nombre d’entre eux a basculé automatiquement du RMI ou de l’API vers le RSA sans en être informé. De leur information lacunaire résultent souvent des craintes [17], idées approximatives ou fausses.

L’information des entreprises : les départements hésitent

47Tous les départements partagent une communication très réduite en direction des entreprises. D’une part, ils n’ont pas l’habitude de travailler avec elles. D’autre part, les conseils généraux s’interrogent sur l’opportunité de s’adresser à elles à propos du RSA, car ils craignent une stigmatisation des bénéficiaires et une incitation à la précarisation des emplois (Alberola et al., 2009 a ; Comité d’évaluation des expérimentations, 2009). Les bénéficiaires interrogés craignent, eux aussi, cette stigmatisation et ne souhaitent pas, pour cette raison, que leur employeur soit informé de leur statut de RSA. Dans les départements où des démarches systématiques en direction des entreprises ont été déployées, les réactions apparaissent souvent fort timides de la part des employeurs.

RSA, droits connexes et aides facultatives

48Il reste un dernier aspect dont dépendent les effets du RSA : les nouvelles règles d’attribution des aides facultatives et des droits connexes, dans le cadre de l’expérimentation du RSA, risquent de modifier le niveau de revenu des bénéficiaires, donc d’avoir un effet sur leur comportement d’activité.

Aides facultatives existantes et aides spécifiques nouvelles : des choix départementaux différents

49À nouveau, la diversité prévaut entre départements. Certains ont choisi de maintenir pour les bénéficiaires du RSA les aides associées au statut de Rmiste. D’autres au contraire ont décidé que, dans le cadre du RSA, les droits connexes associés au statut de Rmiste prendraient fin quatre mois après la suspension de l’allocation RMI, quels qu’en soient les motifs (Loncle et al., 2009).

50Au-delà de ces différences, les départements enquêtés ont en commun la création de nouvelles aides spécifiquement dédiées à la reprise d’activité. Elles présentent la particularité d’être étudiées au cas par cas et rapidement mobilisables. Elles couvrent par exemple les frais de transport et de déplacement, les frais de garde ponctuelle des enfants, les frais de déménagement pour se rapprocher du lieu de travail, etc.

Quelle articulation entre les différentes aides ?

51Le choix de maintenir ou non des aides liées au statut de bénéficiaire de minima sociaux et de verser des aides spécifiques et personnalisées pose la question du résultat final sur l’offre de travail du bénéficiaire.

52Le Livre vert exprime le souhait que la création du RSA soit l’occasion de réorienter et de mieux coordonner les aides facultatives. Dans la phase d’expérimentation, les départements n’avaient pas entrepris un tel chantier, ce qui n’est guère surprenant. Premièrement, les incertitudes quant à l’issue des expérimentations et à la généralisation du RSA, qui n’était qu’une éventualité lorsque les expérimentations ont débuté, n’incitaient guère à se lancer dans une remise à plat de l’ensemble du système de droits connexes et d’aides facultatives. Deuxièmement, un tel chantier suppose une vision claire de l’ensemble des aides existantes. Or à l’exception de l’Eure, les départements ne semblent jamais avoir entrepris un recensement systématique de ces aides, permettant de savoir qui perçoit quoi.

53Par ailleurs, il semble que les nouvelles aides spécifiquement dédiées à la reprise d’emploi aient été mises en place sans être articulées aux aides existantes. Sans en contester l’utilité, on a quand même le sentiment d’un empilement supplémentaire, là où le Livre vert appelle à une meilleure coordination. Cet empilement risque d’accroître encore davantage la difficulté de connaître l’effet de l’ensemble des aides sur le comportement d’activité des bénéficiaires, d’autant plus que les aides proposées ne sont pas les mêmes pour les bénéficiaires du RSA-RMI et du RSA-API. Il est très probable que lorsqu’ils ont été interrogés en mars 2008, les départements n’avaient pas encore eu le temps de réfléchir et d’améliorer l’articulation entre les différentes aides, la priorité étant la levée rapide des obstacles à la (re)prise d’emploi. Toutefois, la situation ne semblait guère avoir évolué lorsque ces mêmes acteurs ont été réinterrogés à l’automne 2008.

54De leur côté, les bénéficiaires interrogés dans l’enquête qualitative témoignent d’un profond attachement à la préservation des aides perçues. Les personnes craignent que le basculement du RMI ou de l’API vers le RSA ne provoque la perte de certaines de ces aides. Cette crainte peut les inciter à ne pas accepter des contrats courts ou à temps partiel.

Quel bilan peut-on dresser de l’expérimentation du RSA ?

55Trois questions se posent lorsque l’on tente de dresser un bilan de la démarche d’expérimentation au regard des objectifs posés par le Livre vert : quels ont été les impacts positifs de l’expérimentation ? Quelles ont été les difficultés rencontrées ? Quelles incertitudes subsistent inévitablement dans le passage d’un dispositif expérimental à un dispositif généralisé ?

Les impacts positifs de l’expérimentation du RSA

Un renforcement des partenariats

56L’une des principales vertus de la démarche d’expérimentation du RSA est la forte mobilisation des acteurs qu’elle a suscitée. Les conseils généraux ont pleinement endossé le rôle de pilote de l’expérimentation. Cette dernière a également produit un regain de motivation au sein de services sociaux de la CAF, enthousiastes à l’idée de pouvoir développer leurs compétences en matière d’accompagnement des bénéficiaires de l’API.

57Surtout, l’expérimentation a généré un renforcement des coopérations entre les acteurs, même si les partenariats existant n’ont pas été complètement bouleversés. Par exemple, les conseils généraux et les CAF interrogés dans l’enquête qualitative, déclarent se concerter entre eux et travailler avec l’ANPE, les Plie, les entreprises d’insertion par l’économique, les Maisons de l’emploi, éventuellement les plateformes de services pour la création d’entreprises. L’enquête réalisée auprès des CAF met en lumière que celles-ci sont en train de constituer des réseaux avec des partenaires très variés pour assurer l’accompagnement des bénéficiaires RSA-API [18]. Ce rapprochement des différents acteurs a permis la mutualisation et le développement de leurs connaissances, et une dynamisation de ce qui avait mis en place pour le RMI.

58Deux nuances doivent toutefois être apportées. D’une part, l’intensité des relations varie selon les caractéristiques du territoire d’expérimentation et les habitudes de partenariat. D’autre part, l’appréciation portée sur les partenariats diffère selon le niveau institutionnel auquel se trouvent les acteurs. Alors que les acteurs des services centraux s’accordent pour déclarer que le partenariat fonctionne bien, les acteurs des terrains insistent davantage sur les difficultés inédites posées par la concertation ou par la complexité de l’expérimentation.

La mise à l’épreuve de la faisabilité technique

59L’expérimentation du RSA a permis aussi de faire émerger des problèmes de faisabilité technique. Par exemple, les conseils généraux ont pu tester la mensualisation du RSA et identifier les problèmes qu’elle pose (absence de logiciel adapté, surcroît de travail). Les acteurs se sont aussi interrogés sur les avantages et les risques induits par le profilage des deux filières d’accompagnement (professionnel / social).

La mise en œuvre d’outils d’évaluation

60L’expérimentation du RSA a, aussi, été l’occasion de mettre en place des outils d’évaluation. En particulier, le tableau de bord est le fruit d’une réflexion sur les indicateurs qui sera utile lors du montage du dispositif de suivi des effets du RSA généralisé. Le suivi des allocataires a également été amélioré car certains départements ont profité des outils mis en place pour améliorer leur connaissance des bénéficiaires et pour proposer des indicateurs complémentaires propres à leur situation.

61Toutefois, le processus d’expérimentation du RSA se heurte à des limites.

Les difficultés qu’a rencontrées le dispositif expérimental

Une expérimentation qui n’est que « quasi contrôlée »

62L’expérimentation du RSA n’est pas véritablement une expérimentation contrôlée car les bénéficiaires dans les zones témoins et expérimentales n’ont pas été tirés au hasard. Ceci s’explique par le fait que les délais nécessaires pour procéder à un tirage aléatoire étaient incompatibles avec le calendrier très contraint de l’évaluation et avec les conditions de la définition des expérimentations : les conseils généraux ont clairement revendiqué le choix des zones expérimentales et la mise en place relativement tardive du Comité national d’évaluation n’a pas permis d’infléchir cette position. La définition de zones témoins et de zones expérimentales aux caractéristiques les plus proches possibles a constitué un compromis tendant à se rapprocher des conditions d’une quasi-expérience, ce qui a probablement limité les biais de sélection. Toutefois, il est clair que ce type de méthode ne suffit pas à rendre les zones comparables du point de vue des moyens consacrés ou de la motivation des équipes, qu’il n’a pas été possible de contrôler ex post dans l’analyse des résultats faute d’avoir pu remonter concomitamment les données nécessaires.

L’existence de clauses de sauvegarde perturbe l’évaluation des effets du RSA

63Neuf départements sur dix ont mis en place des clauses de sauvegarde. Elles présentent l’intérêt pour les anciens bénéficiaires du RMI ou de l’API de garantir qu’ils ne subiront pas de pertes financières du fait du basculement dans le RSA. Certains départements ont choisi une clause de sauvegarde finale : si à la fin de l’expérimentation ou à la fin de l’emploi, le bénéficiaire y perd financièrement, le département peut verser le complément perdu. D’autres départements ont décidé d’appliquer la clause de manière anticipée : ils calculent chaque mois ce qu’aurait perçu une personne si elle était restée au RMI et ce qu’elle perçoit en étant au RSA, et ils versent chaque mois le montant le plus favorable.

64Ces clauses de sauvegarde présentent deux inconvénients du point de vue de l’évaluation. Premièrement, lorsqu’elles sont anticipées, elles empêchent de mesurer l’effet du RSA sur le taux de pauvreté, puisque certains bénéficiaires perçoivent une allocation supérieure à celle prévue dans le cadre strict du RSA. Or il aurait été intéressant de comparer l’effet du RSA sur la pauvreté, d’une part, entre zones expérimentales et zones témoins au sein d’un même département, d’autre part, entre départements appliquant des barèmes de RSA différents. Il est en revanche possible de comparer les taux de pauvreté entre zones expérimentales et témoins dans les départements qui appliquent les clauses finales. Mais pour le moment, leur existence complique fortement la comparaison des effets du RSA sur les niveaux de vie des bénéficiaires [19].

65Deuxièmement, les clauses de sauvegarde ont pu perturber le comportement des bénéficiaires. Par exemple, la garantie pour les bénéficiaires des zones expérimentales de ne pas perdre financièrement en participant à l’expérimentation a pu modifier leur salaire de réserve, donc leur choix d’accepter ou non un emploi. Elle a aussi pu avoir un impact sur leur motivation à (re)trouver un emploi. Il ne s’agit donc pas d’une expérimentation « pure ».

66Mais d’une part, si l’on se réfère aux expériences étrangères, c’est rarement le cas. D’autre part et surtout, ces difficultés, pointées au vu de critères techniques de l’évaluation, s’expliquent par la nécessité difficilement contestable socialement de maintenir le niveau de vie des personnes concernées.

La difficulté de déterminer les causes des entrées dans l’emploi

67Enfin, une limite de l’expérimentation, qui tient à la démarche elle-même, réside dans l’impossibilité d’identifier les déterminants de l’entrée dans l’emploi : est-elle imputable à l’effet incitatif engendré par le cumul pérenne [20] de l’allocation et du revenu d’activité ? Ou est-elle plutôt liée au renforcement de l’accompagnement ? Ou à sa réorientation sur la dimension professionnelle ? Résulte-t-elle de la mise en place des aides spécifiques destinées à lever les obstacles à l’emploi ? Ou à la plus grande mobilisation des acteurs ? Il est très difficile de répondre, dans la mesure où le RSA induit deux changements simultanés (l’un sur l’incitation financière, l’autre sur l’accompagnement), dont il est méthodologiquement très difficile d’isoler les effets [21].

Les incertitudes inhérentes au passage d’une expérimentation à un dispositif généralisé

Un effet incitatif du RSA à échelle réduite ne garantit pas nécessairement un même effet au niveau national

68Comme dans toute expérimentation, un effet positif du RSA à échelle réduite ne garantit pas un effet positif à l’échelle nationale [22]. En effet, le gisement d’emplois disponibles sur une zone géographique donnée est inévitablement limité. Il est concevable que les pénuries de main-d’œuvre soient largement résorbées par les seuls effectifs des bénéficiaires des zones expérimentales, qui auront été incités financièrement à (re)prendre un emploi et qui auront bénéficié d’un meilleur accompagnement vers l’emploi. Que se passera-t-il avec le RSA généralisé qui concerne les bénéficiaires de l’ensemble du territoire national ? Même si les allocataires bénéficient d’un bon accompagnement capable de lever les obstacles à l’emploi et sont incités financièrement à reprendre un emploi, il est à craindre que tous ne puissent pas accéder à l’emploi parce que le gisement d’emplois sera insuffisant à l’échelle nationale. Au total, on peut très bien réussir à augmenter le taux d’emploi avec le RSA appliqué à une petite échelle, mais ne pas obtenir les mêmes effets positifs à l’échelle nationale.

« L’effet Hawthorne »

69Les expérimentations qui ont eu lieu aux États-Unis ont mis en évidence l’existence d’un effet dit Hawthorne[23]. Il signifie que le comportement des sujets étudiés est modifié par le fait d’avoir ou non été retenu pour participer à l’expérience, et non par le traitement lui-même.

70On peut émettre l’hypothèse d’un tel effet dans le cadre de l’expérimentation du RSA. En effet, l’enquête qualitative met en lumière une forte implication des acteurs (cf. supra) dans des départements expérimentateurs qui n’ont pas été choisis au hasard : ils étaient volontaires dans une démarche qu’ils souhaitaient évidemment voir réussir. Cet enthousiasme a toutes les chances d’avoir produit des effets bénéfiques sur l’accompagnement vers l’emploi et par conséquent sur l’accès à l’emploi. Mais ce haut niveau de mobilisation pourra-t-il rester le même avec le RSA généralisé, lorsque tous les bénéficiaires du RMI et de l’API, et pas seulement ceux des zones expérimentales, ainsi que les travailleurs pauvres, devront être accompagnés, et lorsque tous les départements, qu’ils soient enthousiastes ou réticents, devront mettre en place le RSA ? Le risque existe d’une motivation moindre des acteurs et par conséquent d’effets moins prononcés que ceux observés dans la phase d’expérimentation. À cet égard, la difficulté d’évaluer les moyens consacrés par les départements à l’expérimentation constitue une limite importante.

Les autres enseignements des expérimentations étrangères

71Les expérimentations menées aux États-Unis et dans un certain nombre de pays européens (Grande-Bretagne, Pays-Bas, Suède, Norvège) mettent en lumière d’autres limites.

72Premièrement, un effet de déplacement a souvent été observé : les chômeurs du groupe de traitement recherchent plus intensément et restreignent ainsi la quantité d’offres d’emploi accessibles aux membres du groupe de contrôle. Dans l’expérimentation du RSA, un effet de concurrence entre les zones a pu se produire, surtout dans les départements confrontés à une insuffisance de la demande de travail. Dans ce cas, la différence de taux de retour à l’emploi entre zones expérimentales et témoins s’expliquerait non seulement par une amélioration de l’accès à l’emploi des bénéficiaires du RSA des zones expérimentales, mais aussi par une difficulté accrue de retrouver un emploi pour les bénéficiaires des zones témoins. Néanmoins, cet effet est probablement limité dans les départements où les zones expérimentales et les zones témoins sont géographiquement éloignées.

73Deuxièmement, les dispositifs évalués peuvent avoir des effets sur les non bénéficiaires dont la situation n’est pas identique en présence et en l’absence du dispositif. Du coup, on peut se demander si le renforcement de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA ne s’est pas fait au détriment des chômeurs non bénéficiaires du RSA.

74Par ailleurs, il existe toujours le risque que les individus réagissent différemment à un dispositif temporaire par rapport à une mesure permanente (Moschion, 2008). Or justement, l’enquête qualitative auprès des bénéficiaires indique que le caractère expérimental du RSA a rendu un certain nombre de bénéficiaires méfiants quant à l’avenir du RSA et inquiets quant aux retombées négatives éventuelles sur leurs droits actuels. Le processus d’expérimentation a donc généré une incertitude susceptible d’induire des comportements d’activité que le RSA généralisé ne produira probablement pas.

75En outre, la durée limitée d’une expérimentation empêche les effets d’apprentissage (Allègre, 2008) : la réaction à court terme au dispositif testé peut être différente de celle à moyen ou long terme car les bénéficiaires concernés peuvent apprendre de nouvelles informations au fur et à mesure de l’expérimentation. Par exemple, ils peuvent, dans un premier temps, sous-évaluer ou au contraire surévaluer le gain à reprendre un emploi. Une meilleure connaissance de l’impact financier du dispositif peut, dans un second temps, modifier l’offre de travail des personnes concernées. Il est probable que cet effet joue pour le RSA, compte tenu du flou qui règne actuellement parmi les bénéficiaires interrogés autour de l’éventuelle plus-value du RSA par rapport au RMI. Mais il est impossible de donner la mesure de cet effet.

76Une autre limite tient au fait qu’une expérimentation ne donne qu’une photo à un moment donné du temps. Il n’est pas garanti qu’une politique publique efficace à un instant t le soit toujours lorsqu’elle sera généralisée en t + 1, parce que le contexte économique aura changé. Cet effet risque de jouer fortement dans le cas du RSA : les expérimentations ont débuté avant que la crise économique n’éclate, alors que le RSA a été généralisé au milieu de cette année 2009 que tous les experts prévoient catastrophique pour l’emploi.

Comment prendre en compte les questions identifiées lors du processus expérimental dans l’évaluation qui se poursuit ?

77Bien que les RSA expérimentés diffèrent du RSA généralisé, il paraît utile de pointer les interrogations que font naître les expérimentations et qu’il paraît très souhaitable de traiter dans le cadre du comité d’évaluation permanent du RSA généralisé.

Le RSA, un dispositif agissant sur l’offre de travail

78Dans son principe même, le RSA est un dispositif qui agit sur l’offre de travail (en modifiant le salaire de réserve des individus et en levant les obstacles à l’emploi), mais qui est peu susceptible de modifier la demande de travail.

79Le Livre vert cite néanmoins des mesures prises dans quelques départements expérimentateurs et qui sont susceptibles d’agir sur la demande de travail des entreprises. Dans l’Hérault, « la mobilisation des employeurs s’articule autour […] d’une aide financière d’une durée de six mois accordée aux entreprises acceptant d’accroître le nombre d’heures travaillées d’un bénéficiaire du RSA » (p. 20). Les Bouches-du-Rhône ont, pour leur part, prévu des « aides complémentaires » qui seraient versées aux entreprises transformant « un contrat de travail à temps partiel en contrat le plus proche possible du temps complet ».

80Ceci appelle plusieurs remarques. Tout d’abord, à bien y réfléchir, il ne s’agit pas, au sens strict du terme, d’une mobilisation mais plutôt, selon nous, d’un subventionnement public des entreprises qui vise à augmenter la demande de travail. Dès lors, peuvent inévitablement apparaître des effets d’aubaine de la part d’entreprises qui percevraient une aide financière en procédant à une augmentation du temps de travail qu’elles auraient réalisée même sans RSA, compte tenu de leurs besoins accrus en main-d’œuvre.

81En outre, le Livre vert, déclarant s’appuyer sur les expériences étrangères, écarte un autre effet d’aubaine pour les employeurs qui pourraient voir dans le RSA une aide se substituant à des augmentations de salaire : puisque le RSA ne figure pas sur la feuille de paie et qu’il dépend de paramètres inconnus à l’entreprise (pension alimentaire, etc.), « il ne pourra pas être un élément s’intégrant au calcul économique de l’entreprise » (p. 25). Mais, si les entreprises perçoivent une aide parce qu’elles augmentent le temps de travail d’un bénéficiaire du RSA, elles sont donc nécessairement informées de son statut [24]. Il nous semble donc exister une contradiction entre, d’un côté, la mobilisation des entreprises telle qu’elle est expérimentée dans certains départements et, de l’autre côté, la volonté d’éviter des effets d’aubaine et la stigmatisation des bénéficiaires.

82Pour autant, ces différentes aides financières seront-elles suffisantes pour inciter les entreprises à embaucher des personnes qui pâtissent de handicaps, notamment en termes de qualification ? Seront-elles capables d’assurer une progression vers l’emploi stable à temps plein si la variabilité de la demande de biens et de services qui leur est adressée rend profitable le recours au temps partiel et aux contrats courts ? Quelle efficacité peut-on attendre de ces aides dans les zones où l’offre de travail excède largement la demande de travail ? D’ailleurs, l’enquête auprès des acteurs constate que dans les zones particulièrement défavorisées, le RSA est peu susceptible d’améliorer une situation locale dominée par l’absence d’emplois. Les entretiens menés auprès des bénéficiaires à la fin de l’année 2008 confirment les difficultés liées au peu d’offres d’emploi disponibles dans une conjoncture économique qui se dégrade.

83Notons que, même si le RSA ne peut pas agir sur la demande de travail, il peut néanmoins améliorer l’adéquation entre l’offre et la demande de travail. Si le RSA favorise l’accès à la formation de bénéficiaires dont le faible niveau de qualification restreint fortement les postes auxquels ils peuvent prétendre, si le RSA lève les obstacles à l’emploi tels que l’absence de mobilité ou de structures de garde d’enfants, alors il peut faire émerger une offre de travail correspondant aux besoins locaux en qualifications des entreprises.

Le RSA peut-il améliorer durablement l’accès à l’emploi ?

84L’expérimentation du RSA pose une seconde question : le risque n’existe-t-il pas que le RSA se contente seulement d’accélérer le retour à l’emploi des bénéficiaires les plus employables ? Si tel est le cas, on constatera une amélioration du retour à l’emploi dans les mois qui suivent le début de l’expérimentation parce que les personnes les plus proches de l’emploi auront accédé à l’emploi grâce à un accompagnement renforcé. Mais ce dernier risque d’être insuffisant pour amener vers l’emploi les autres bénéficiaires plus éloignés du marché du travail. L’effet positif du RSA risque de s’évanouir quelques mois plus tard, dès lors que l’on butera sur le « noyau dur » des allocataires du RMI.

85On peut même se demander si, à stock d’emplois donné, l’accès à l’emploi des plus employables ne va pas se faire au détriment des moins employables. Sans que l’on puisse établir un lien de causalité, rappelons que dans l’enquête quantitative (cf. supra), on observe que les plus diplômés ont davantage accédé à l’emploi dans les zones tests que dans les zones témoins, alors que le phénomène est inverse pour les moins diplômés, qui sont les moins employables.

86En outre, l’enquête auprès des acteurs révèle une interrogation à laquelle l’expérimentation n’apporte pas de réponse : comment assurer des parcours progressifs menant à l’emploi stable à temps plein pour des publics caractérisés par des trajectoires d’emploi discontinues ? Certains acteurs soulignent qu’augmenter le nombre d’heures paraît impossible dans certaines situations (pour ce qui concerne les contrats aidés notamment), et pour certains métiers (les aides à domicile par exemple) et que parvenir à cumuler plusieurs emplois différents ou combiner emploi et formations relèvent d’une gageure à laquelle le RSA paraît peu susceptible de répondre.

87Mais on peut, aussi, considérer qu’un emploi à temps partiel obtenu grâce au dispositif RSA constitue une amélioration par rapport à l’inactivité car il procure davantage d’autonomie financière. Surtout, il permet au bénéficiaire d’être sur le marché du travail, ce qui est une position plus favorable pour obtenir un emploi de meilleure qualité.

88Enfin, le maintien durable dans l’emploi mène à la question de l’accompagnement dans l’emploi qui semble porteur d’une contradiction : un accompagnement dans l’emploi suggère l’incapacité de la personne à gérer de manière autonome sa situation de travailleur, alors même que le RSA vise à l’autonomie financière.

Le RSA et les formes de l’accompagnement

89Lors de l’expérimentation, les délais nécessaires à la mise en place des dispositifs d’accompagnement et à la production de leurs effets ont limité les possibilités d’observation et d’évaluation. Or cette dimension nous paraît centrale, particulièrement dans le contexte économique actuel. Les acteurs ont mis en place des modes d’organisation et des partenariats de formes variées, avec des dosages divers entre accompagnement professionnel et accompagnement social. Leur suivi et leur évaluation seront un élément essentiel dans la suite du dispositif, notamment dans la perspective de diffusion des meilleures pratiques.

Le RSA et la lutte contre la pauvreté

90Une étude réalisée à partir du modèle de microsimulation INES (DREES-INSEE) montre que le RSA généralisé, s’il avait été appliqué au 1er janvier 2008, aurait sensiblement modifié les caractéristiques de la prise en charge des situations de pauvreté (Bonnefoy, Buffeteau, Cazenave, 2009). En instaurant un RSA « chapeau » en sus de la prime pour l’emploi (PPE), le RSA généralisé apporte un soutien accru aux travailleurs pauvres et déplace la cible des bénéficiaires au profit des ménages les plus modestes [25]. Nul doute que cette dimension ne soit centrale dans le contexte économique actuel et à venir. Lors de l’expérimentation, elle ne pouvait être appréhendée dans les termes où elle se pose actuellement. Elle doit donc être attentivement suivie dans le cadre de l’évaluation du RSA généralisé.

Conclusion

91Le bilan de l’expérimentation du RSA doit être évalué à l’aune des contraintes auxquelles elle a été soumise dès le départ. Le calendrier était écartelé entre des exigences contradictoires. D’un côté, des considérations strictement techniques conduisaient à souhaiter un long délai d’expérimentation de manière à disposer de davantage de temps pour la conception des outils d’évaluation [26] et à pouvoir évaluer le dispositif au moment où ses effets se feraient pleinement sentir [27]. De l’autre côté, le calendrier politique exigeait d’avoir rapidement des résultats et l’urgence sociale commandait une généralisation rapide.

92Malgré ces contraintes, peut-on affirmer que les objectifs de l’expérimentation recensés dans le Livre vert ont été atteints ? La réponse est : « oui, en partie ». En suscitant une meilleure coordination et des partenariats entre les différents acteurs de l’insertion, l’expérimentation a produit des effets bénéfiques en termes de gouvernance. Elle a aussi apporté des éléments d’information sur les modalités pratiques de mise en œuvre du RSA (mode de calcul et de versement de la prestation, etc.) et a permis de prendre la mesure des difficultés à résoudre. Enfin, elle a amélioré la connaissance du comportement des acteurs et des obstacles à l’emploi auxquels se heurtent les bénéficiaires. L’expérimentation a donc probablement préparé le terrain pour la mise en œuvre du RSA généralisé, dont on peut donc espérer qu’elle sera plus rapide dans les départements expérimentateurs.

93En revanche, elle n’a pas permis d’avoir des données sur le coût du dispositif. Elle n’a pas permis, non plus, de disposer de données robustes sur les effets du RSA sur le retour à l’emploi et surtout sur les déterminants des effets observés (notamment entre accompagnement et incitation financière). Enfin, elle n’a pas permis d’évaluer l’évolution des taux de pauvreté. Elle laisse donc des questions ouvertes que l’évaluation du RSA généralisé devra traiter.

Notes

  • [*]
    Maître de conférences à l’université Paris-Est.
  • [1]
    Dans le cas de la prime pour l’emploi, seules des évaluations reposant sur des simulations à partir de cas-types ont été réalisées avant la mise en œuvre du dispositif.
  • [2]
    L’ensemble des bénéficiaires (le stock) ou les seules personnes qui ont repris un emploi ou augmenté leur temps de travail (le flux).
  • [3]
    Exclusion ou non des contrats aidés.
  • [4]
    Ce dernier objectif ne figure pas dans ceux assignés au RSA généralisé, qui sont : « améliorer le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes ; encourager l’activité professionnelle ; lutter contre l’exclusion, en assurant aux bénéficiaires des moyens convenables d’existence et en améliorant la prise en charge des plus démunis à travers le suivi et l’accompagnement personnalisé par un interlocuteur unique » (source : site du Premier ministre).
  • [5]
    Conseils généraux, préfectures, CAF, référents chargés du suivi des bénéficiaires, représentants de services ou de structures d’insertion professionnelle, etc.
  • [6]
    Ces outils sont présentés dans les annexes du rapport final du RSA (Comité d’évaluation des expérimentations, 2009).
  • [7]
    Le rapport d’évaluation présente de manière détaillée la méthode de calcul utilisée, ses alternatives, ainsi que leurs limites respectives.
  • [8]
    33 % parmi les personnes potentiellement éligibles au RSA, et 25 % parmi les personnes ayant commencé leur emploi après expérimentation.
  • [9]
    Le reste correspond aux personnes qui se sont mises à leur compte, ou suivent une formation professionnelle, ou sont sur d’autres types de contrat.
  • [10]
    Moins de travail de nuit, le soir et pendant les jours fériés dans les zones tests comparativement aux zones témoins.
  • [11]
    Le terme de souhait n’est peut-être pas opportun : il peut s’agir d’un choix sous contrainte en raison de l’absence de mode de garde.
  • [12]
    98 % des bénéficiaires du RSA au titre de l’API sont des femmes.
  • [13]
    Cas d’une mère de famille diplômée bloquée principalement par l’absence de structures de garde d’enfants.
  • [14]
    Faible niveau de formation, problèmes de santé.
  • [15]
    Dans les autres départements, les procédures de diagnostic sont restées les mêmes.
  • [16]
    Par différence avec l’accompagnement vers l’emploi.
  • [17]
    Peur de perdre certaines aides et droits connexes (Comité d’évaluation des expérimentations, 2009).
  • [18]
    Mais au moment de l’enquête, les relations de partenariat n’étaient pas encore formalisées au travers de conventions.
  • [19]
    Une autre difficulté résulte du fait que l’effet du RSA sur les revenus tient à sa pérennité. Or une comparaison sur une période d’expérimentation inférieure à un an de l’effet sur le taux de pauvreté de la permanence du RSA et de la prime forfaitaire limitée à un an dans le cadre du RMI sera forcément peu robuste. En outre, les conseils généraux n’ont pas tous choisi la même pente, si bien que l’effet du RSA expérimenté sur le taux de pauvreté peut varier d’un département à un autre.
  • [20]
    Jusqu’au point de sortie.
  • [21]
    L’évaluation de l’impact des programmes New Hope et Jobs First mis en place aux États-Unis, respectivement en 1994 et en 1996, s’est heurtée à la même limite : « Comme les différents traitements ont été donnés à tous les membres, on ne peut pas distinguer l’effet de l’incitation financière et celui de l’accompagnement » (Allègre, 2008, p. 28).
  • [22]
    Par construction, les expérimentations se situent au niveau de l’équilibre partiel et non de l’équilibre général.
  • [23]
    Le terme provient des expériences qui furent menées en 1924 et 1933 dans l’établissement d’Hawthorne de la Western Electric Company à Chicago.
  • [24]
    Sur le principe, rien ne les empêche d’améliorer le temps de travail des bénéficiaires tout en pesant sur l’évolution de leur salaire horaire, sachant que l’allocation RSA complétera des revenus du travail insuffisants.
  • [25]
    Ménages des deux premiers déciles de la distribution des niveaux de vie.
  • [26]
    Ainsi, dans une situation idéale, on aurait interrogé les 3 500 bénéficiaires à partir du questionnaire d’enquête, puis on aurait réinterrogé quelques-uns d’entre eux en face à face, dans une enquête qualitative. Dans l’expérimentation du RSA, les contraintes de calendrier ont obligé à mener en parallèle l’enquête quantitative et l’enquête qualitative auprès des bénéficiaires, sans que les enseignements de celle-ci puissent servir à la conception de celle-là. En outre, il a fallu composer avec les données du tableau de bord dont la qualité est décevante. Ce risque était, bien sûr, connu dès le départ par les concepteurs des outils. Mais une expérimentation, même imparfaite, a semblé préférable à l’exploitation de données non expérimentales. Sur les avantages et les inconvénients des expérimentations contrôlées et des données d’observation non expérimentales (cf. Fougère, 2000).
  • [27]
    Les outils d’évaluation ont été sollicités alors que les expérimentations n’avaient souvent débuté que depuis trois ou quatre mois. Il en a résulté que les données disponibles sont parfois incomplètes et souvent peu robustes statistiquement.
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Résumé

Le RSA a été expérimenté dans trente-trois départements, pour la plupart entre novembre 2007 et mai 2008. Avec le recul qui permet de s’appuyer sur l’ensemble des informations aujourd’hui disponibles, il est possible d’établir un bilan d’ensemble des résultats des expérimentations et d’apprécier le processus d’expérimentation. En renforçant les coopérations entre les différents acteurs de l’insertion, l’expérimentation a produit un effet bénéfique en termes de gouvernance. Elle a aussi amélioré la connaissance du comportement des acteurs et des obstacles à l’emploi auxquels se heurtent les bénéficiaires. L’expérimentation semble donc avoir préparé le terrain pour la mise en œuvre du RSA généralisé. Toutefois, l’expérimentation n’a pas permis d’avoir des données robustes sur les effets du RSA sur le retour à l’emploi et surtout sur les déterminants des effets observés : accompagnement renforcé et/ou réorienté sur la dimension professionnelle ? Incitation financière ? Nouvelles aides spécifiquement dédiées à la reprise d’emploi accordées aux bénéficiaires ? L’expérimentation n’a pas permis non plus d’évaluer l’évolution des taux de pauvreté. Ces limites sont en partie dues à la nécessité d’une expérimentation plus longue pour en apprécier les effets.

  1. Introduction
  2. Les résultats des expérimentations au regard des objectifs du RSA
    1. Le RSA et l’objectif de retour à l’emploi
      1. L’effet du RSA sur l’entrée et le maintien dans l’emploi est contrasté selon les types de bénéficiaires
      2. La durée de travail est plus courte pour les bénéficiaires du RSA mais pour des emplois plus proches du domicile et des horaires plus classiques
      3. Une interrogation des départements : le RSA peut-il amener vers l’emploi les bénéficiaires qui en sont le plus éloignés ?
    2. L’impact de l’aide financière apportée par le RSA
      1. L’impact du RSA joue-t-il sur le salaire de réserve des bénéficiaires ?
      2. L’effet incitatif du bonus financier doit toutefois être relativisé
    3. L’accompagnement vers et dans l’emploi des bénéficiaires dans le cadre du RSA
      1. Un investissement en apparence fort des départements
      2. Les moyens financiers consacrés à l’accompagnement : un point d’interrogation
      3. Les bénéficiaires attendent beaucoup de l’accompagnement
    4. L’information des bénéficiaires : un élément dont dépend la réussite du RSA
      1. Les départements ont diversement investi dans l’information des bénéficiaires
      2. Les modalités du RSA sont diversement comprises par les bénéficiaires
      3. L’information des entreprises : les départements hésitent
    5. RSA, droits connexes et aides facultatives
      1. Aides facultatives existantes et aides spécifiques nouvelles : des choix départementaux différents
      2. Quelle articulation entre les différentes aides ?
  3. Quel bilan peut-on dresser de l’expérimentation du RSA ?
    1. Les impacts positifs de l’expérimentation du RSA
      1. Un renforcement des partenariats
      2. La mise à l’épreuve de la faisabilité technique
      3. La mise en œuvre d’outils d’évaluation
    2. Les difficultés qu’a rencontrées le dispositif expérimental
      1. Une expérimentation qui n’est que « quasi contrôlée »
      2. L’existence de clauses de sauvegarde perturbe l’évaluation des effets du RSA
      3. La difficulté de déterminer les causes des entrées dans l’emploi
    3. Les incertitudes inhérentes au passage d’une expérimentation à un dispositif généralisé
      1. Un effet incitatif du RSA à échelle réduite ne garantit pas nécessairement un même effet au niveau national
      2. « L’effet Hawthorne »
      3. Les autres enseignements des expérimentations étrangères
  4. Comment prendre en compte les questions identifiées lors du processus expérimental dans l’évaluation qui se poursuit ?
    1. Le RSA, un dispositif agissant sur l’offre de travail
    2. Le RSA peut-il améliorer durablement l’accès à l’emploi ?
    3. Le RSA et les formes de l’accompagnement
    4. Le RSA et la lutte contre la pauvreté
  5. Conclusion

Bibliographie

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Bénédicte Galtier [*]
Maître de conférences à l’université Paris-Est et collaboratrice extérieure à la DREES. Ses domaines de recherche portent sur l’emploi, la pauvreté, la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.
  • [*]
    Maître de conférences à l’université Paris-Est.
Mis en ligne sur Cairn.info le 12/07/2010
https://doi.org/10.3917/rfas.101.0281
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