1La recherche française sur le handicap est à l’heure actuelle très insuffisamment développée, en particulier en sciences humaines et sociales, comme le souligne le premier rapport de l’Observatoire national sur la formation, la recherche et l’innovation sur le handicap (ONFRIH) paru en 2008. La recherche sur le handicap psychique, quant à elle, en est encore à ses tout débuts.
2En effet, ce n’est que récemment, depuis la loi de 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », que ce handicap a obtenu une existence légale. Les manifestations des troubles psychiques dans la vie quotidienne sont désormais désignées usuellement par les termes de « handicap psychique », les altérations des fonctions psychiques étant inscrites explicitement pour la première fois dans la loi comme source de handicap, à côté des altérations des fonctions motrices, sensorielles, mentales et cognitives.
3De plus, ce handicap présente certaines spécificités qui rendent son analyse particulièrement difficile. Il touche la personne dans sa subjectivité et sa conscience. Il est difficile de distinguer les symptômes de la maladie – qui relèvent d’une approche psychiatrique – et ses conséquences sur la vie quotidienne – qui relèveraient d’une approche en termes de handicap et de compensation. Il peut faire l’objet d’un véritable déni de la part des personnes handicapées ou de leurs proches. Il peut être très variable chez une même personne dans la durée. Ces caractéristiques expliquent qu’on puisse parfois le décrire comme un handicap invisible. Enfin, le rôle de l’environnement, qui intervient dans la manifestation de tous les handicaps, peut être spectaculaire pour le handicap psychique.
4Par ailleurs, on sait que la population des personnes handicapées psychiques, même si elle ne peut encore être dénombrée avec précision, est importante : selon la dernière enquête de la DREES sur les demandeurs de l’Allocation aux adultes handicapés [1], elle en constitue le quart, les troubles psychiques représentant ainsi la seconde cause de demande. Parallèlement, le besoin de connaissance est très fort, aussi bien de la part des professionnels en charge de ce handicap, que des administrations (DDASS, DGAS, CNSA, MDPH…) et des proches de ces personnes.
5C’est pourquoi la MiRe a lancé dès 2005, un premier appel d’offres sur le handicap psychique, suivi d’un second en 2008 en partenariat avec la Caisse nationale pour l’autonomie (CNSA). Un des objectifs du dossier « handicap psychique et vie quotidienne » est de présenter une partie des recherches soutenues dans le cadre de ce premier appel d’offres, complétées par d’autres recherches récentes.
6Ce dossier donne, de plus, un aperçu des approches avec lesquelles la recherche doit être en interaction constante : des réflexions des associations de malades et de leurs familles (FNApsy et UNAFAM), des données statistiques (DREES), des études et des recherches actions lancées par la CNSA.
7Les contributions sont réparties en trois grandes parties : le handicap psychique et sa reconnaissance ; vivre à domicile avec un handicap psychique ; travailler avec un handicap psychique.
8Les formes du handicap psychique étant multiples, elles sont loin d’être toutes abordées. En particulier, une part importante des contributions traite de certaines formes très invalidantes du handicap psychique liées à la schizophrénie. Il existe d’autres formes de handicap psychique qui peuvent être aussi très invalidantes et qui sont en rapport, par exemple, avec les troubles bipolaires et les dépressions graves, les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) ou les traumatismes crâniens.
La sociologie et l’anthropologie sont les approches disciplinaires privilégiées (plus de la moitié des articles), la neuropsychologie cognitive, dont le point de vue est plus centré sur les capacités des personnes et leur remédiation, venant ensuite. De nombreuses disciplines, telles que les sciences politiques, les sciences de gestion, le droit, l’économie… ne sont pas représentées car à notre connaissance, la question du handicap psychique n’a été encore que très peu abordée par la recherche dans ces champs disciplinaires.
Le handicap psychique et sa reconnaissance
9La première partie du dossier traite de la reconnaissance du handicap psychique avec plusieurs angles d’approche.
10S. Milano, alors directeur de cabinet auprès de la Secrétaire d’État aux personnes handicapées, décrit l’historique de la question du handicap psychique à travers les lois sur le handicap, depuis la loi de 1975 qui « exclut le handicap psychique » jusqu’à sa reconnaissance dans la loi de 2005.
11Cette reconnaissance officielle est le résultat d’une longue évolution de la psychiatrie que N. Henckès, s’appuyant sur une approche socio-historique, analyse à travers plusieurs expériences visant à venir en aide aux patients pour leur réadaptation sociale, dans et en dehors de l’hôpital, des années 1950 aux années 1980. Il décrit les ambiguïtés de ces aides qui ont conduit à mettre en évidence leurs limites lorsqu’elles impliquent uniquement la psychiatrie.
12La reconnaissance légale a laissé ouvert un vaste champ de questions qui vont de l’identification de ce handicap et de sa description à l’estimation de sa prévalence.
13M. Cuenot et P. Roussel analysent comment, pour certains, la notion de handicap psychique est fortement associée à des maladies psychiques, en particulier à des maladies graves (psychoses), alors que, pour d’autres, elle devrait en être indépendante. Ces auteurs font le point des classifications à partir desquelles le handicap psychique est le plus souvent désigné (CIM, CIH, CIF…) et des enquêtes à partir desquelles on peut appréhender la population des personnes handicapées psychiques.
14Un mode d’approche particulier, développé par J. S. Eideliman, consiste à s’appuyer non sur des indicateurs médicaux ou administratifs mais sur les déclarations des incapacités dans la vie quotidienne par les personnes elles-mêmes, ici dans le cadre de l’enquête Handicap Incapacités Dépendance (HID) conduite par l’INSEE en 1998-1999. Sa recherche révèle des situations particulières de handicap psychique, qui ne sont ni reconnues administrativement ni prises en charge médicalement, et qui font l’objet d’arrangements pratiques, pour reprendre le terme de l’auteur, effectués par la personne handicapée elle-même et par son entourage.
15Quels que soient les moyens utilisés pour appréhender le handicap psychique, il n’en reste pas moins que, même quand il est très important, ce handicap est par moments invisible à la fois aux yeux des personnes qui en souffrent et aux yeux de ceux qu’elles côtoient. Ce que B. Escaig analyse très bien et qui rend, parfois, si complexes sa reconnaissance en termes administratifs et sa description.
16La question de la reconnaissance du handicap psychique se complique encore du fait que les frontières entre les catégories de handicap psychique, cognitif et mental sont poreuses, en partie du fait de leur histoire, en partie parce qu’elles sont perçues et construites socialement. A. Béliard et J. S. Eideliman décrivent bien comment ces catégories peuvent être attribuées à une même personne selon les périodes, le contexte social et la situation dans lesquels se trouve cette personne à un moment donné. De plus, l’âge de la personne peut être un facteur déterminant, la catégorie de handicap mental étant le plus souvent attribuée à des enfants, la catégorie de handicap cognitif plutôt à des personnes âgées et celle de handicap psychique surtout à des personnes d’un âge intermédiaire.
Enfin, dans ce contexte de difficulté à percevoir et à désigner le handicap psychique, son évaluation reste un point crucial et encore problématique, pour lequel les professionnels en charge de la mise en place des aides sont très demandeurs de formation. Des solutions sont explorées, certaines sous le parrainage de la CNSA, en particulier l’approche d’évaluation globale présentée ici par J.-Y. Barreyre et C. Peintre et l’aide aux professionnels par des Équipes spécialisées Évaluation du handicap psychique (ESEHP) présentée par Y. Boulon et R. Gayton.
Vivre à domicile avec un handicap psychique
17La seconde partie du dossier s’intéresse à la vie à domicile des personnes handicapées psychiques, c’est-à-dire à leur vie quotidienne en milieu ordinaire, en dehors de l’hôpital. Elle s’appuie sur la description et l’analyse d’un certain nombre de moyens mis en œuvre pour les aider. Un des thèmes qui traverse plusieurs des contributions porte sur la question de leur autonomie.
18La remédiation cognitive, présentée par C. Passerieux et N. Bazin, est l’un de ces moyens dont les cibles sont les processus cognitifs sous-tendant les différentes fonctions psychologiques. Elle est orientée vers les capacités des personnes et leur amélioration dans la vie quotidienne. Les pistes développées actuellement pour améliorer l’efficacité de ces méthodes dans la vie quotidienne sont décrites, qu’il s’agisse des thérapies individualisées centrées sur les attentes et le projet de vie de chaque patient ou des thérapies orientées vers les compétences cognitives spécifiquement impliquées dans les relations sociales (cognition sociale).
19L’élaboration de dispositifs visant à améliorer la vie des personnes handicapées psychiques doit bien sûr s’appuyer sur la connaissance de ce qui peut les gêner dans leur vie quotidienne. En se basant sur un mode d’observation original, en milieu ordinaire, de la qualité de vie subjective des personnes handicapées psychiques, A. Prouteau et al. montrent que leur principale préoccupation concerne la qualité des relations interpersonnelles et que leur qualité de vie subjective n’est pas toujours reliée à l’impact des événements quotidiens.
20Vivre hors institution et hors domicile parental est un projet central pour les jeunes adultes handicapés psychiques. Lorsqu’ils ont besoin d’un suivi psychiatrique (c’est le plus souvent le cas pour les troubles qui relèvent d’un diagnostic de psychose), L. Velpry analyse l’appartement thérapeutique, structure à la jonction du médical et du social, comme une ressource alliant autonomie et contrainte, qui implique de multiples négociations entre personnes handicapées et professionnels.
21A. Parron et F. Sicot abordent le problème de la conquête de l’autonomie, lors de leur passage à l’âge adulte, par des jeunes souffrant de troubles psychiques. Leurs parcours sont décrits à partir d’entretiens auprès de ces jeunes et de leur entourage familial et professionnel, qui permettent de poser les questions d’autonomie et d’indépendance ainsi que de mettre en évidence les liens entre insertion professionnelle et construction de l’identité.
22Une place privilégiée est donnée aux Groupes d’entraide mutuelle (GEM), structures récemment mises en place avec le soutien des pouvoirs publics.
23Après une présentation par M. Barrès de leur organisation et de leur structuration, A. M. Lovell et al. décrivent, à partir d’une enquête ethnographique auprès d’usagers de GEM, la façon dont ces structures façonnent leurs expériences quotidiennes, leur ouvrant le monde des relations sociales tout en leur faisant cruellement sentir le fossé qui sépare leur monde et celui des « normaux ».
Enfin, les usagers (C. Finkelstein, présidente de la FNApsy) et leurs familles (J. Canneva, président de l’Unafam), qui ont joué un grand rôle dans la création des GEM, donnent leurs points de vue sur ces structures.
Travailler avec un handicap psychique
24La troisième partie du dossier aborde la question du travail, question importante et paradoxale. D’un côté, avoir un emploi tient une place de tout premier plan dans les préoccupations des personnes handicapées psychiques, alors que, de l’autre, ces personnes rencontrent des difficultés spécifiques, constitutives de leur handicap, pour trouver et garder une activité professionnelle. En témoignent les données d’une enquête de la DREES en 2007 [2] montrant que 73 % des personnes souffrant de troubles psychiques qui demandent l’AAH sont inactives et 14 % au chômage.
25Le retentissement des troubles des processus cognitifs sur certaines composantes du travail est analysé par M.-N. Levaux et al., chez trente-neuf personnes schizophrènes en réinsertion professionnelle. Leur recherche met en évidence que ces troubles peuvent toucher certaines composantes impliquées dans le travail et en laisser d’autres intactes. C’est ainsi que les habiletés sociales, la qualité du travail et la présentation personnelle sont dépendantes de la mémoire épisodique verbale alors que les capacités de coopération, sont, elles, très liées à la mémoire de travail. Une rééducation personnalisée, ciblée sur les perturbations des processus cognitifs impliqués dans certaines composantes de travail, permet d’améliorer l’insertion professionnelle.
26Bien entendu, les processus cognitifs ne sont pas les seuls facteurs individuels impliqués dans l’insertion professionnelle des personnes handicapées psychiques. B. Pachoud insiste sur la multiplicité de ces facteurs en étudiant le retour à l’emploi, et montre l’importance de l’expérience subjective de la personne et de sa capacité à élaborer un projet existentiel personnel. Il met ainsi en avant une approche en termes de « réhabilitation sociale » qui prend en compte et s’appuie sur l’ensemble des capacités de la personne.
27I. Voléry se place, elle, du point de vue des structures d’insertion professionnelle et de leurs salariés. Elle montre que les caractéristiques politico-institutionnelles et idéologiques du secteur de l’insertion professionnelle, tout comme les politiques de l’emploi, influencent la façon dont ces salariés désignent le handicap psychique et élaborent les réponses à apporter. Elle insiste aussi sur les conséquences de la fragmentation des structures d’insertion professionnelle, entre les services de droit commun et le secteur réservé aux personnes handicapées où prolifèrent des associations ayant élaboré sur le handicap psychique des expertises sociopsychologiques très variées. À partir de deux dimensions, le jugement que ces professionnels de l’insertion portent sur les postes offerts aux travailleurs handicapés et la façon dont ils conçoivent leur travail d’accompagnement, elle propose quatre configurations professionnelles qui façonnent les réponses proposées.
Enfin, C. Le Roy-Hatala se situe dans le monde de l’entreprise. Elle montre que, tout en étant encore peu familières avec le handicap psychique, certaines entreprises se sont engagées dans un processus d’élaboration de politiques de maintien dans l’emploi et de mise en place de dispositifs d’aide pour les personnes présentant ce type de handicap. Elle analyse, dans cinq grandes entreprises, les liens entre ces dispositifs d’aide et la structure, la culture et le mode de gestion de chaque entreprise, qui expliquent la diversité de ces dispositifs.
Des pistes pour l’action et la recherche
28Au terme de ce parcours, qui pose des jalons et ouvre des perspectives, il est plus aisé de dessiner la carte des manques en matière de recherches sur le handicap psychique, que d’indiquer des pistes pour l’action publique.
29Du côté de la recherche, d’abord, la définition même d’une population de personnes handicapées psychiques, cible d’une politique publique qui reste largement à inventer, reste elle aussi à construire. Les personnes souffrant de troubles psychiques entraînant de graves difficultés dans la vie quotidienne ne sont pas toutes des adultes schizophrènes. La diversité des handicaps psychiques, en termes de maladies mais aussi en termes d’âge, reste très insuffisamment explorée. Entre les données statistiques déclaratives, qui repèrent tout trouble psychique, voire même toute difficulté existentielle que le profane peut attribuer à un problème psychique, et les données cliniques qui, elles, ne concernent presque que la schizophrénie, toute la variété des situations possibles, plus ou moins handicapantes au quotidien, reste à explorer. Il faut donc encourager la production à l’échelle nationale de données administratives sur les personnes handicapées bénéficiant de dispositifs de compensation, d’insertion ou de placement en institution, en fonction de leur type de handicap.
30Au-delà, les questions, liées entre elles mais distinctes, des déterminants du recours aux soins et de l’accès à la reconnaissance administrative, restent mal connues. On l’a dit, les malades psychiques présentent des caractéristiques spécifiques. Ils ne souhaitent pas toujours être soignés ni bénéficier du statut spécifique de personne handicapée. Il peut s’agir de ce que les psychiatres et les psychologues appellent le déni. Il peut s’agir d’un symptôme de leur maladie. Mais il peut aussi s’agir d’une méfiance ordinaire, vis-à-vis tant des capacités thérapeutiques de la psychiatrie, que de la stigmatisation potentielle qui reste attachée à la folie. L’attitude des tiers, en particulier les travailleurs sociaux mais aussi les bailleurs ou les employeurs potentiels, vis-à-vis des handicapés psychiques reste un continent encore peu exploré.
31L’expérience quotidienne des personnes handicapées psychiques est, elle aussi, très mal connue. Ici c’est moins de données statistiques que nous manquons que d’enquêtes ethnographiques attentives au point de vue des personnes concernées, qu’elles soient ou non soignées ou reconnues. Certaines d’entre elles s’accommodent de leurs troubles en mettant en place, souvent avec l’aide de leurs proches, ce que J. S. Eideliman nomme ici des arrangements pratiques. Ces arrangements peuvent aller jusqu’à une forme d’hyper-adaptation de certains malades psychiques aux contraintes du système productif capitaliste contemporain : c’est du moins la thèse que défend l’anthropologue américaine Emily Martin à propos des liens entre troubles bipolaires et exigence de productivité créative dans la culture américaine aujourd’hui, comme le rappelle A. Béliard dans son compte rendu de récents travaux ethnographiques.
32La place de l’entourage, pourtant cruciale, reste une grande inconnue, comme dans la plupart des recherches sur le handicap. L’angle d’attaque choisi pour ce dossier était la vie quotidienne en milieu ordinaire. C’est pourquoi nous avons délibérément laissé de côté non seulement l’expérience des malades hospitalisés, mais aussi les situations politiquement très visibles, mais plus exceptionnelles, des personnes handicapées psychiques qui se trouvent en prison ou à la rue. S’attacher aux personnes qui, malgré leurs troubles, réussissent l’exploit de vivre chez elles, c’est essayer de comprendre quelles ressources humaines, sociales et économiques, leur ont permis d’éviter les différentes formes de mise à l’écart dont elles font l’objet plus souvent que d’autres. L’entourage familial en tout premier lieu, mais aussi l’entourage amical et professionnel, constitue sans doute l’essentiel de ces ressources, mais les recherches manquent pour comprendre la nature de cette aide, informelle et professionnelle, les compétences mises en œuvre, les conditions dans lesquelles elle est efficace et respectueuse. C’est ici à la fois d’enquêtes ethnographiques et d’enquêtes statistiques dont nous avons besoin.
33Enfin, les recherches sur le rapport au travail des personnes handicapées psychiques restent trop rares. La troisième partie de ce dossier permet de faire émerger une question cruciale : dans quelles conditions le travail est-il bénéfique aux personnes handicapées psychiques, à la fois comme emploi statutaire, et comme activité qui peut être, selon les cas, thérapeutique ou destructrice ? Sans réponse à cette question, il est difficile à la puissance publique de réfléchir sur les moyens à mettre en œuvre pour peser à la fois sur l’accès à l’emploi et sur les conditions de travail des personnes reconnues comme handicapées psychiques.
34Du côté de l’action publique, en effet, deux grandes priorités semblent se dégager de ce dossier : l’accès au logement, l’accès au travail et à la vie sociale, deux des priorités mises en avant par certaines associations de malades et de leurs familles depuis plusieurs années. Dans les deux cas, l’état de la recherche apporte encore peu d’informations sur les aménagements, les accompagnements ou les compensations nécessaires pour assurer ces accès aux personnes handicapées psychiques, non plus que sur les limites au-delà ou en deçà desquelles le milieu ordinaire – fût-il aménagé – comporte trop de dangers pour rester un objectif à atteindre.
35Il faut cependant remarquer que ces deux priorités sont liées au fait que le statut de handicap psychique est attribué majoritairement à des adultes. Un logement et un travail définissent aujourd’hui, d’un point de vue politique, l’accès à l’autonomie personnelle, une norme sociale confondue avec l’individualisme civique et qui ne tient pas compte des formes les plus ordinaires de l’interdépendance : l’existence de ménages et de maisonnées où plusieurs individus peuvent provisoirement cohabiter et faire budget commun.
Apparaît alors une troisième priorité, commune aux personnes adultes handicapées psychiques, aux enfants présentant un handicap mental, et aux vieillards présentant un handicap cognitif : les financements de l’accompagnement, impliquant l’accès à des compléments de revenus ou à des compensations monétaires liés au surcoût de la prise en charge, familiale et professionnelle, nécessaire au maintien en milieu ordinaire.
C’est donc le détour par ces deux dernières populations mieux prises en charge, pour l’instant, par l’action publique, qui aide à rendre visibles les coûts de la prise en charge des personnes handicapées psychiques en milieu ordinaire. Et c’est à cette condition que la reconnaissance du handicap psychique, qui intervient dans un contexte de dés hospitalisation des malades, ne s’accompagnera pas d’un transfert des coûts sur l’entourage et d’une baisse de l’effort consenti par la collectivité nationale en direction de ces populations spécifiques.
Notes
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[*]
Jacqueline Delbecq : directeur honoraire de recherche de l’Inserm, responsable du programme Handicap psychique de la Mission Recherche de la Drees.
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[**]
Florence Weber : professeur de sociologie et d’anthropologie sociale à l’École normale supérieure, chercheur au centre Maurice Halbwachs (ENS-EHESS-CNRS) et chercheur associé au Centre d’études de l’emploi.
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[1]
« Les demandeurs de l’AAH », Études et Résultats, n° 640, juin 2008.
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[2]
Cf. la fiche « Les personnes souffrant d’un handicap psychique : Allocation aux adultes handicapés et emploi Données de cadrage » dans le présent dossier.