1 L’émergence de la notion de handicap psychique se situe au croisement de plusieurs ensembles de transformations sanitaires et sociales. Certaines d’entre elles concernent l’action en faveur des personnes handicapées en général, avec la structuration progressive depuis le milieu du XXe siècle d’un ensemble d’acteurs, d’idées, de techniques, d’institutions et de dispositions juridiques pour répondre aux difficultés spécifiques que ces personnes rencontrent dans leur intégration sociale. Ce mouvement renvoie à l’évolution de l’idée de citoyenneté et à une reformulation des politiques en direction des personnes handicapées en termes de compensation et d’adaptation (Ebersold, 1992 ; Castel, 1995).
2 Pour autant, il faut aussi remarquer que, dans cet ensemble, la singularisation d’un handicap « psychique », c’est-à-dire lié à des troubles psychiques, pose des problèmes spécifiques. Elle est en effet en contradiction avec une conception universaliste qui considère que le handicap doit être qualifié à partir de ses effets plutôt que de ses causes (Ravaud, 1999). De fait, l’émergence du handicap psychique est également liée à des reconfigurations de la lutte contre les maladies mentales et plus largement des politiques de santé mentale. L’idée que la maladie mentale a un retentissement social qui appelle une réponse spécifique marque profondément la pensée psychiatrique depuis la création de la discipline au début du XIXe siècle, même si elle a pris des formes diverses au cours de son histoire. En particulier, c’est au lendemain de la seconde guerre mondiale que les psychiatres entament une réflexion nouvelle sur les désavantages sociaux liés aux troubles psychiques. Celle-ci comporte alors deux éléments importants. D’une part, à défaut d’être guéris, les malades mentaux peuvent être réadaptés et garder ainsi une « valeur sociale ». D’autre part, parce que la maladie mentale affecte la personne dans sa globalité, le handicap qui en découle est une composante de la maladie, dont il ne peut être dissocié.
3 Les mondes du handicap et de la psychiatrie ont ainsi connu des développements parallèles, mais néanmoins distincts depuis les années 1950. L’un et l’autre ont été marqués par une réflexion sur les conséquences des pathologies sur la vie en société et par une croissance et une diversification des moyens pour aborder ce problème. Pour autant le handicap découlant de la maladie mentale n’est pas devenu une composante du handicap en général.
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Une raison essentielle en est la conception que les psychiatres ont eue de leur rôle dans la prise en charge de ce handicap. Précisément, si la réadaptation fait partie du traitement de la maladie, celle-ci peut-elle être réalisée en dehors du dispositif psychiatrique ? Peut-elle être le fait d’une intervention non psychiatrique, par exemple dans le cadre d’une politique du handicap ? Surtout, dans la mesure où la maladie atteint la personne dans ses capacités d’action et de jugement, jusqu’à quel point le malade peut-il être dégagé de la tutelle du médecin ? Et comment articuler les devoirs du malade aux droits de la personne handicapée ? Cette tension, présente dès l’immédiat après-guerre dans le travail des psychiatres, explique la rupture qui se produit au moment où le concept de handicap connaît une consécration avec la loi de 1975 : jusque-là favorables aux mesures en faveur des handicapés, les principales organisations psychiatriques adoptent brutalement une posture d’opposition au dispositif mis en place par la loi, posture qui marque encore une partie de la profession aujourd’hui (Castel, 1982 ; Chauvière, 2000 ; Henckes, 2007).
Cet article s’attache à retracer à la fois l’élaboration des idées sur la réadaptation sociale des malades mentaux et l’évolution des institutions face à cet enjeu, du lendemain de la guerre aux années 1980. Ce faisant, il met en avant une double dynamique d’entraînement : les idées sur la maladie et ses conséquences suscitent des projets d’institutions, dont l’évolution conduit à transformer à leur tour les idées. On abordera ces questions de façon chronologique. Dans un premier temps, on analysera l’émergence dans l’immédiat après-guerre de l’idée d’une réadaptation sociale entreprise au sein même de l’hôpital psychiatrique. On étudiera ensuite les projets successifs dans lesquels s’est incarnée la réadaptation sociale des malades mentaux jusqu’aux années 1970 : l’« assistance extra-hospitalière » du tournant des années 1950, la réadaptation professionnelle des années 1950 et 1960 et finalement le « secteur » des années 1960 et 1970. On analysera pour finir les transformations provoquées dans le domaine de la psychiatrie par la loi de 1975 sur le handicap, pour montrer qu’elle marque à la fois l’aboutissement d’un mouvement entamé depuis l’après-guerre et l’ouverture vers une conception nouvelle du handicap psychique.
Hôpital psychiatrique et réadaptation sociale
5 À travers l’idée que la personne souffrant de maladie mentale peut causer un trouble à l’ordre social, mais aussi que sa pathologie la met dans une situation d’infériorité qui impose que lui soit prêtée assistance, la loi fondatrice du dispositif psychiatrique moderne, la loi du 30 juin 1838, porte en germe les premiers éléments de la réflexion sur le handicap psychique qui se développera à la fin du XXe siècle.
6 Tout au long du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle l’institution psychiatrique est, profondément, une institution de resocialisation de la personne (Gauchet et Swain, 1980). Pour autant cette conception est encore très éloignée de ce qui constituera l’approche en termes de handicap. D’une part, l’action de resocialisation ne se prolonge pas une fois que la personne est sortie de l’asile. Rappelons que, jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’asile repose sur un modèle maladie/guérison d’autant plus prégnant que l’admission à l’asile ne se fait que sous le régime de l’internement. D’autre part, cette action de resocialisation repose sur une relation de tutelle morale exercée par le psychiatre sur ses patients. Elle traduit une vision de ces derniers comme des agents moralement diminués et, pour cette raison, en manque de citoyenneté (Castel, 1976). En ce sens, la maladie mentale est par nature un obstacle à toute forme de participation sociale. Si la maladie peut être traitée et si les personnes qui en souffrent doivent être assistées, ce n’est pas en termes de compensation d’un handicap qu’est pensé le secours qui leur est fourni.
7 À cet égard, c’est une innovation particulièrement significative qu’apporte le lendemain de la seconde guerre mondiale : l’hypothèse que les conséquences de la maladie mentale sur la participation sociale des malades, tout en restant intimement liées à la maladie elle-même, se situe sur un autre plan, celui de l’« adaptation » ou de la « réadaptation » de la personne. À partir des années 1940 et jusque dans les années 1970, ces deux notions inspirent en effet une réflexion nouvelle au croisement de la psychiatrie et du monde du handicap naissant (Stiker, 1982).
8 • L’adaptation est un concept important en médecine, dont l’un des intérêts majeurs est son caractère éminemment plastique. La notion peut, en effet, s’appliquer aux organes autant qu’aux personnes, dans le cadre d’une pensée évolutionniste autant que dans celui d’une réflexion proprement sociale. En psychiatrie, elle fait son entrée par la psychiatrie de l’enfant, qui se structure pendant et au lendemain de la guerre dans un monde plus vaste, celui de l’enfance inadaptée (Chauvière, 1980 ; Pinell et Zafiropoulos, 1978). De façon générale, l’inadaptation qualifie, dans ce domaine, des populations manifestant des troubles du caractère ou un déficit de l’intelligence qui les empêchent de mener une scolarité normale. À terme, ces populations constitueront une composante importante des bénéficiaires du dispositif du handicap tel qu’il se structurera dans les années 1970. En attendant, le processus conduit à la constitution de classifications, à la création de structures ou encore à la mise en place de réglementations sous l’impulsion d’un vaste ensemble de professionnels et de militants au croisement de la médecine, de la psychologie et de l’éducation, parmi lesquels certains psychiatres joueront un rôle important par la suite pour la psychiatrie adulte, comme Louis Le Guillant ou Georges Heuyer.
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Au lendemain de la guerre, en psychiatrie de l’adulte, la notion d’adaptation se situe, dans un premier temps au moins, à un niveau moins institutionnel et plus intellectuel. Elle est, en effet, au cœur des modèles dominants de la maladie mentale inspirés notamment par la doctrine de la hiérarchie des fonctions du neurologue anglais John Hughlings Jackson : la psychose est alors considérée comme une dissolution des centres supérieurs du cerveau, les derniers formés au cours de l’évolution humaine. Plus largement, la notion s’inscrit dans le cadre d’une pensée holiste qui cherche à saisir la maladie comme une affection de la personne dans sa totalité, dans le prolongement de courants qui ont profondément marqué la médecine des années 1930 (Weisz, 1998). Dans certaines formules, le psychiatre Henri Ey, l’une des principales figures pensantes de la psychiatrie française du lendemain de la guerre aux années 1970, suggère ainsi que la maladie mentale est une « pathologie de la relation ».
• Le malade mental doit donc être considéré comme une personne malade qui, à défaut d’être guérie, peut être amenée à un niveau d’adaptation optimal. Très naturellement, ces idées conduisent les psychiatres qui réfléchissent sur le dispositif psychiatrique à tenter de réorganiser celui-ci autour d’une fonction de réadaptation de la personne, en réaction à l’approche de « médecine d’organe » dominante en psychiatrie avant-guerre. Au milieu des années 1940, c’est à l’hôpital psychiatrique que sont mises en œuvre, en premier lieu, ces nouvelles orientations. Si celui-ci doit être le lieu des traitements physiques, tels que les traitements de choc qui ont été découverts à la fin des années 1930, il doit aussi proposer des psychothérapies et une gamme de traitements de réadaptation. Toute son organisation doit être dominée par la perspective de préparer le patient à sa sortie, et ce dès l’admission (Daumézon, 1956). Pour cela, les psychiatres proposent de développer une « technique », la psychothérapie collective, bientôt rebaptisée psychothérapie institutionnelle, visant à faire de l’hôpital dans son ensemble un instrument thérapeutique (Daumézon, 1948). Très rapidement, les autorités les suivent dans ce projet. À l’hôpital psychiatrique de Ville Évrard en région parisienne, par exemple, le psychiatre Paul Sivadon reçoit des crédits supplémentaires de la Caisse de sécurité sociale pour augmenter son personnel et rénover son service, qui devient le Centre de traitement et de réadaptation sociale (CTRS) de la Seine. Sivadon installe des salles d’ergothérapie, réorganise l’accueil des malades et de façon générale améliore les conditions de traitement (Sivadon, 1952). Deux autres services sont dotés de moyens similaires à Paris et dans l’Eure. Par ailleurs, le ministère de la Santé adhère à la vision globale de l’hôpital psychiatrique qui découle de ces perspectives, tant sur le plan architectural, avec le concept de l’« hôpital village », que sur le plan de son organisation intérieure, à travers une importante circulaire de 1952 sur le fonctionnement des hôpitaux psychiatriques.
Pour autant, ce projet recèle une ambiguïté. Celle-ci se manifeste pleinement au milieu des années 1950 : après quelques années d’enthousiasme, les psychiatres sont en effet gagnés par une forme de déception, liée à une croissance de la population hospitalisée (qui crée le sentiment d’être débordé par l’afflux des malades), mais également au constat des limites de l’action qui peut être menée dans les hôpitaux. Profondément, ce constat pose la question du sens de l’action de réadaptation en psychiatrie lorsqu’elle est menée à l’hôpital : si celle-ci conduit en effet à des individus bien adaptés à la vie hospitalière, il n’est pas évident qu’elle leur permette d’être simplement adaptés à la vie sociale.
L’assistance extra-hospitalière au tournant des années 1950 et ses ambiguïtés
10 Dès la fin des années 1940, c’est cette prise de conscience qui conduit certains psychiatres à engager une étape supplémentaire. À travers le travail sur ce qu’ils appellent l’« assistance extra-hospitalière », ils ouvrent un chantier nouveau : l’intervention sur le milieu de vie du patient.
11 L’idée d’une psychiatrie « extra-hospitalière » ne correspond pas simplement à la promotion d’une pratique psychiatrique en dehors des murs de l’hôpital. Celle-ci n’est du reste pas nouvelle : dès la fin du XIXe siècle, et de façon encore plus décisive dans l’entre-deux-guerres, les grandes villes ont vu se multiplier les spécialistes des maladies nerveuses et mentales opérant en cabinet, certaines pathologies comme l’hystérie ou la neurasthénie procurant l’essentiel de leur clientèle. À la fin des années 1940 c’est en réalité sur la nécessité d’une articulation entre la psychiatrie hospitalière et de ville qu’insistent les psychiatres. L’« extra-hospitalier » renvoie à l’idée d’une continuité des pratiques à l’hôpital psychiatrique et à l’extérieur, en particulier en direction des malades dont la pathologie nécessite des prises en charge diversifiées en fonction de l’évolution de leur pathologie.
12 Les psychiatres suggèrent ainsi que l’hôpital psychiatrique ne devrait représenter qu’un temps de la prise en charge, qui devrait débuter et se prolonger dans d’autres structures. Dans cette réflexion, deux éléments jouent un rôle important. D’une part, il s’agit de permettre une circulation plus aisée des malades et d’éviter qu’ils ne finissent leurs jours dans certaines institutions. D’autre part, l’intervention doit concerner le patient pris dans son milieu, voire le milieu lui-même. Dans cette perspective, se déploie un travail nouveau en direction d’une population d’individus que l’on identifie déjà par les termes de « handicapés » ou de « diminués psychiques ».
13 Ce travail se situe dans la lignée d’initiatives et de discussions sur « la convalescence des aliénés » à la fin du XIXe siècle, qui avaient conduit au premier essor de structures telles que les colonies familiales ou les sociétés de patronage. L’entre-deux-guerres a vu toutefois la réflexion se déplacer sensiblement sous l’influence d’un courant d’idées nouveau, l’hygiène sociale. Celle-ci privilégiait la prévention au détriment relatif de la postcure, ce qui, en psychiatrie, s’était traduit dans la création de dispositifs tels que le dispensaire ou le service libre, destinés à favoriser un accès précoce aux soins. Plusieurs expériences importantes sont lancées avant la guerre, à Nancy, en Seine-et-Marne, et en 1941 à Paris, avant que les dispensaires – à l’origine des centres médico-psychologiques que l’on connaît aujourd’hui – ne se généralisent à partir des années 1950. Par ailleurs, en insistant sur le facteur humain, l’hygiène sociale mettait également en valeur le rôle du niveau de vie voire des structures sociales dans la genèse des maladies (Murard et Zylberman, 1987). De ce point de vue, elle ouvrait sur une réflexion riche sur le milieu, qui allait s’épanouir dans l’après-guerre.
14 Au début des années 1950, deux expériences importantes font ainsi avancer le travail sur ce point.
15 – La première, à Paris, est liée à l’initiative de Paul Sivadon qui, en marge de ses activités dans son service, crée une association pour venir en aide à ses patients à leur sortie de l’hôpital, l’« Elan retrouvé ». D’abord conçue comme un club d’anciens malades encadré par des professionnels, qui y assurent notamment des consultations, l’association ouvre en 1953 un foyer et en 1960 un hôpital de jour et jouera un rôle pionnier dans l’élaboration de structures de prise en charge à temps partiel à Paris.
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– La seconde est celle des Sociétés de Croix-Marines, liée à l’action d’un médecin de l’hôpital psychiatrique de Clermont-Ferrand, Pierre Doussinet, avec le soutien de notabilités locales. Le mouvement développe une formule d’« assistance tutélaire » sous la forme de foyers ou de clubs de postcure. D’abord régional, s’inspirant du modèle des ligues charitables, il prend une dimension nationale avec la création en 1952 d’une fédération rassemblant les comités locaux en leur fournissant un apport technique et un cadre politique. Comme l’« Élan retrouvé », les « Croix-Marines » se développent dans un cadre associatif en marge des hôpitaux psychiatriques en alliant à la création de structures une réflexion politique et sociale plus générale.
Les deux expériences partagent globalement une même vision du travail psychiatrique : le but des prises en charge est d’abord d’amener le patient à un niveau d’adaptation optimal, avant de le diriger vers le milieu qui corresponde à ce niveau d’adaptation. L’action du psychiatre comporte dès lors quatre volets :
- la réadaptation au milieu, qui repose sur l’aménagement des conditions de vie du patient, notamment en utilisant le placement familial, dans la lignée des expériences de la fin du XIXe siècle ;
- la réadaptation professionnelle, sur laquelle on reviendra dans la section suivante ;
- la surveillance médico-sociale, assurée par les dispensaires qui doivent être – aux yeux des psychiatres – non seulement des centres de consultation mais aussi une base arrière pour le contrôle du malade,
- la tutelle, enfin, sous la forme d’un mécanisme juridique visant à la supervision ou à la suppléance de la personne : elle constitue la dimension la plus caractéristique en effet de l’assistance extra-hospitalière. Sivadon justifie ainsi sa nécessité : « Contrairement aux autres déficients, ce n’est qu’exceptionnellement que les psychopathes demandent à être assistés, et s’ils réclament de la société quelque secours, c’est au bureau de chômage qu’ils s’adressent. […] Le psychopathe devrait rechercher un milieu plus simple, moins dense, un travail plus spécialisé, une tutelle morale plus ferme. Or nous le voyons spontanément secouer toute tutelle, perdre toute spécialisation professionnelle, rechercher l’existence citadine et en ville, se complaire dans les milieux les plus denses et les moins organisés. Rien d’utile ne peut donc être fait en sa faveur que par voie d’autorité, voire de contrainte. Oublier ce point essentiel, c’est, dans beaucoup de cas, aller à un échec. » (Sivadon, 1947.)
Si au tournant des années 1950 la réflexion sur l’extra-hospitalier correspond ainsi à un approfondissement du travail sur la réadaptation des malades mentaux à travers une prise en compte plus riche de la question du milieu, elle repose de manière essentielle sur un point : la réadaptation est avant tout proposée par le médecin. Elle est mise en œuvre dans une relation qui est fondamentalement une relation de tutelle. Elle n’est pas conçue comme un droit, mais comme un devoir du patient, une dimension de son rôle de malade, ou plus précisément comme un droit qui ne trouve sa réalisation que par l’entremise du médecin. C’est le mandat de la psychiatrie en tant que profession que de donner forme et sens à ce droit.
La réadaptation professionnelle au cœur du travail psychiatrique (1950-1960)
18 Sur le terrain, un aspect de l’assistance extra-hospitalière connaît un développement particulièrement significatif au cours des années 1950 et 1960 : la réadaptation professionnelle. Celle-ci apparaît en effet aux psychiatres comme un de leurs chantiers les plus prometteurs. À terme, en mettant en lumière certaines limites auxquelles se heurte leur projet lorsqu’il est mis en œuvre, elle jouera également un rôle important dans l’évolution des idées sur la réadaptation.
19 C’est aussi le domaine dans lequel les réalisations des psychiatres rejoignent le plus celles qui s’organisent autour du handicap. En 1957, la loi sur le reclassement professionnel des travailleurs handicapés marque une étape importante dans la structuration du monde du handicap (Blanc, 1995). Elle apparaît aux psychiatres comme une ressource prometteuse pour atteindre leurs objectifs (Le Guillant et Sivadon, 1957).
20 Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la réflexion des psychiatres sur le travail s’inscrit au croisement de plusieurs enjeux. Celui-ci est depuis le XIXe siècle une dimension importante de la vie à l’hôpital psychiatrique : le travail est un moyen d’occuper les malades chroniques en même temps qu’il a une dimension économique en permettant leur participation au budget de l’établissement. À partir de 1945, les psychiatres lui accordent des vertus nouvelles qui en font l’un des principaux outils de leur psychothérapie collective, anticipant sur l’ergothérapie des années 1960 et 1970 : le travail est à la fois le vecteur d’une dynamique interpersonnelle et, dans une perspective inspirée par l’anthropologie marxiste, l’expression de la créativité humaine. Ces perspectives vont de pair avec un intérêt nouveau pour le travail productif en usine qui marque le début de la psychopathologie du travail (Billiard, 2001). De façon générale, l’usine joue aux yeux des psychiatres le même rôle pour les adultes que l’école pour les enfants : comme l’école, l’usine apparaît comme à la fois une institution de socialisation – et à ce titre un des lieux clefs de l’intégration sociale –, et un lieu générant ses propres pathologies, où doit dès lors s’organiser une action de dépistage.
21 Dans ce cadre, plusieurs éléments caractérisent la réflexion psychiatrique sur la réadaptation professionnelle.
22 – En premier lieu les efforts se situent dans la perspective d’un retour à l’activité de personnes que la maladie a frappées à l’âge adulte ou à la sortie de l’adolescence et qu’un séjour le plus souvent long à l’hôpital ont éloignées du monde du travail et par là désocialisées. En d’autres termes, la réadaptation est pensée en termes de guérison, les rechutes étant des « ratés » du retour à la vie normale. Ce dont il s’agit, c’est de réhabituer d’anciens malades au monde du travail ou de les former à une activité professionnelle nouvelle, ainsi que de les orienter vers le milieu et l’activité qui leur conviendra le mieux. Dans un certain nombre d’expériences des années 1950 et 1960, les psychiatres ont recours aux services de conseillers du travail ou tentent d’organiser des « ateliers de réentraînement à l’effort » qui doivent reproduire aussi précisément que possible l’atmosphère des ateliers d’usine [1].
23 – Deuxièmement, le handicap lié à la maladie mentale est vu comme une incapacité à faire face au rythme de la vie sociale. La désocialisation résulte d’une perte de contact avec ce rythme, soit en raison de la pathologie, soit parce que ce rythme même s’est trouvé trop intense pour la personne. C’est à retrouver un rendement normal – ou proche de la normale – dans un milieu plus souple ou plus simple que visent les ateliers de réentraînement à l’effort. En ce sens ces efforts s’inscrivent dans la continuité de représentations héritées du XIXe siècle liant maladie mentale et fatigue (Rabinbach, 2004).
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– Le troisième élément est la dimension de l’échec. Une part importante des difficultés des personnes à trouver, ou retrouver, une position sociale tient à la honte d’être passé par la maladie mentale et par un séjour à l’hôpital. La maladie mentale comporte ainsi un élément supplémentaire par rapport à la plupart des affections de longue durée. Le réentraînement à l’effort doit également permettre au patient de retrouver une assurance dans un milieu protégé où il se sentira accepté.
Rapidement, toutefois, les choses s’avéreront plus complexes qu’envisagées initialement. Les handicaps des personnes souffrant de troubles mentaux se révèleront en réalité difficiles à compenser dans le travail : en particulier le fait d’abaisser les cadences apparaitra insuffisant.
La réponse de la sectorisation (1960-1970)
25 Dans le courant des années 1960, le travail des psychiatres sur la réadaptation connaît deux évolutions importantes.
26 – D’une part les débats sur l’assistance psychiatrique ont trouvé de nouvelles perspectives dans la politique de sectorisation, élaborée conjointement par les psychiatres et le ministère de la Santé à la fin des années 1950 et traduite par la circulaire ministérielle du 15 mars 1960 [2]. Le secteur apparaît comme un moyen de transformer l’hôpital psychiatrique en l’insérant dans un réseau institutionnel animé par une unique équipe pluridisciplinaire. Il réalise ainsi la coordination que les psychiatres appelaient de leurs vœux dans le cadre de la réflexion sur l’extra-hospitalier, tout en faisant évoluer son sens. Le secteur s’inscrit en effet dans le cadre de la planification sanitaire, là où l’extra-hospitalier était vu comme une politique d’assistance. Cette réorientation a en partie une dimension stratégique : face aux difficultés à faire aboutir une réforme de l’organisation de l’assistance psychiatrique par la loi, agir en s’appuyant sur le dispositif de la planification paraît garantir des résultats plus concrets sur le terrain. Mais elle traduit également une évolution plus profonde de la réflexion sur le mandat de la psychiatrie : elle dissocie la question de l’organisation du dispositif de prise en charge de celle de la tutelle sur les malades. Prolongeant ce mouvement, la réforme de la tutelle des incapables majeurs de 1968 aboutira à sortir en grande partie cette question du seul domaine psychiatrique. Cela ne signifie pas que la psychiatrie ne conçoive plus la direction de ses patients comme son rôle.
27 Toutefois elle ne le conçoit plus dans le cadre d’une tutelle juridique, mais sur un plan que les psychiatres décrivent comme plus directement d’ordre thérapeutique, inspirés notamment par la psychanalyse.
28 – Ces évolutions prennent sens, d’autre part, dans le cadre d’une réflexion nouvelle sur la chronicité des maladies mentales. À travers le travail sur la psychothérapie collective, l’assistance extra-hospitalière ou la réadaptation professionnelle, les années d’après-guerre étaient marquées on l’a vu par une forme d’optimisme quant aux possibilités thérapeutiques face à la maladie mentale au long cours ou peut-être plus exactement face à la chronicisation des malades mentaux, vue comme une forme d’adaptation secondaire à leurs conditions de vie. Au début des années 1960, une découverte a changé la donne : celle des neuroleptiques et plus largement des chimiothérapies, qui obligent à repenser en profondeur le travail psychiatrique. Avec les médicaments, le traitement peut en effet devenir l’entretien d’un état stabilisé, ce qu’interdisaient les techniques thérapeutiques dont on disposait jusque-là, en particulier les techniques de choc. Mais du même coup, cela amène également à reconnaître que la maladie mentale appelle une réponse de très long cours qui ne se limite pas à la mise en œuvre d’une stratégie de réadaptation de court terme. La chronicité ne correspond pas uniquement à un enfoncement progressif des personnes dans la démence, mais s’inscrit dans une perspective nouvelle de gestion de la maladie. En 1958 le ministère lance ainsi une enquête sur la part des réadmissions à l’hôpital psychiatrique, conduisant à la reconnaissance d’un phénomène, l’importance des ré-hospitalisations dans les carrières de malades, qui en réalité a son origine à la fin des années 1940 (Archives du ministère de la Santé).
29 Sur un plan théorique, ces évolutions trouvent une traduction dans un rapport important que les psychiatres Louis Le Guillant, Lucien Bonnafé et Hubert Mignot donnent au congrès de psychiatrie de langue française de 1964, sur la chronicité (Le Guillant et al., 1964). Effort pour cerner la réalité nouvelle des maladies mentales au long cours, le rapport propose également une réflexion nouvelle sur le rôle du dispositif psychiatrique face à celle-ci. Ses auteurs caractérisent la chronicité à partir de deux idées principales. La première est la reconnaissance de l’expérience singulière que vivent les malades souffrant de pathologies chroniques, qui appelle du même coup que l’on aménage pour eux des conditions de vie qui tiennent compte de leur « invalidité ». Il ne s’agit donc pas de chercher à vaincre la chronicité, mais d’en prendre toute la mesure : « N’y a-t-il pas souvent, chez le malade ou dans ses milieux, au cœur même de la chronicité, des besoins, des résistances, etc., dans une certaine mesure spécifiques, auxquels doivent répondre des solutions adaptées, variées, originales ? » La seconde idée est l’insistance sur le fait que la chronicité ne correspond pas à un état, une dimension a priori de certaines pathologies, entièrement déterminés par leurs propriétés intrinsèques, mais qu’elle est un « pôle » de la maladie mentale en général, qui s’oppose à l’autre pôle qu’est l’acuité, et qu’en tant que telle elle est façonnée par de multiples facteurs, dont l’action psychiatrique.
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À travers cette réflexion, les psychiatres font un pas supplémentaire dans l’élaboration de leurs idées sur la réadaptation sociale en soulignant le caractère évolutif des besoins des personnes qui souffrent de maladie mentale, fonction à la fois de l’évolution de la maladie et de leurs événements de vie. Dans ces conditions, le but du travail psychiatrique est de rendre les malades capables d’une conduite personnelle : « une psychiatrie authentique ne peut se proposer pour fin d’exercer une “tutelle” sur les malades », suggèrent les auteurs, mais doit aboutir à leur « sevrage », en leur donnant autant que possible les moyens de mener une existence « normale » – ce terme étant utilisé entre guillemets dans le rapport. Le psychiatre quant à lui, doit accepter ses échecs et ne pas céder à la tentation de rejeter les patients chez qui ses efforts n’ont pas donné les résultats escomptés. De ce point de vue, la diversification des structures de prise en charge dans les secteurs doit permettre de « reprendre » le patient « chaque fois que son état permettra d’espérer qu’il peut en tirer bénéfice et ce à quelque période qu’il se trouve de sa maladie ».
Là se marque la continuité du projet des psychiatres et de leur vision des institutions. Mais, c’est là aussi que se situent les limites et les ambiguïtés du projet. Si le psychiatre n’a pas vocation à accompagner à vie son patient, jusqu’où peut-il aller ? À quel moment dans sa « carrière » de malade, une personne pourra-t-elle être dégagée de l’intervention psychiatrique ? Dans le rapport de 1964, c’est le psychiatre qui doit décider seul ce qu’il en est, c’est lui qui doit être sa propre limite. C’est cette réponse qui s’est rapidement révélée insatisfaisante et que les années 1970 sont venues remettre en cause.
Une nouvelle configuration (1970-1980)
31 Les années 1970 mettent les psychiatres dans une situation paradoxale. Après plusieurs années de latence, le secteur psychiatrique connaît enfin un développement réel tandis que se met en place le dispositif prévu par la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées de 1975. Ces évolutions marquent en apparence l’aboutissement des efforts des psychiatres et de leur travail sur la réadaptation de leurs malades. Mais elles ont également pour conséquence l’émergence de nouveaux acteurs dans les prises en charge. Cela ouvre sur une configuration nouvelle pour la prise en compte des handicaps découlant de la maladie mentale, dans laquelle les psychiatres doivent faire face à des visions potentiellement en contradiction avec les leurs.
32 À terme, cela préparera le terrain pour une nouvelle conceptualisation du handicap psychique. En attendant, dès la fin des années 1970, cela explique les tensions que suscite dans la psychiatrie la politique du handicap.
33 Cette dynamique recouvre plusieurs éléments.
34 • Le premier provient de l’évolution des dispositifs sous l’effet de la sectorisation à partir de la seconde moitié des années 1970. La période voit se multiplier les initiatives et les expériences. Or il apparaît rapidement que le secteur psychiatrique, lorsqu’il est effectivement mis en place, ne peut se faire sans l’intervention d’acteurs du champ associatif, qui disposent de davantage de souplesse pour rassembler des fonds et créer des structures innovantes. Au demeurant l’heure n’est plus à l’organisation centralisée des moyens et des structures, même si l’engagement de l État dans une politique d’encouragement aux partenariats public-privé n’a pas nécessairement le caractère idéologique qu’on lui prête souvent. En psychiatrie, ces orientations viennent du reste répondre à une demande des principales organisations représentatives de la profession elles-mêmes, qui voient le secteur comme un lieu de coordination des initiatives publiques et privées plutôt que comme une organisation formelle. C’est cet esprit qu’expriment les textes réglementaires publiés par le ministère de la Santé à partir de 1972, qui visent à créer des structures de coordination entre les acteurs ou à faciliter les moyens de financement plutôt qu’à imposer des normes d’équipement ou d’organisation [3].
35 • Le nécessité pour les professionnels de gérer les populations aves des lits en diminution dès la fin des années 1970 conduit au demeurant au renforcement de ces logiques d’ouverture au secteur privé. Si la France ne connaît pas un phénomène de dés institutionnalisation aussi brutal que les pays anglo-saxons, le placement des malades devient néanmoins une composante de plus en plus importante du travail psychiatrique. Et dans cette perspective ce sont les possibilités de mobilisation que contiennent des dossiers des patients autant que celles d’accueil qu’offrent des divers dispositifs sociaux et médico-sociaux environnant qu’il s’agit d’exploiter. Cela conduit à des collaborations plus ou moins formalisées et plus ou moins régulières avec des structures diversifiées, qui constituent des ressources mobilisées au cas par cas par les professionnels, voire les patients ou leurs familles. Autour des secteurs, émerge ainsi un tissu de structures institutionnelles variées, pour certaines gérées par les professionnels du secteur psychiatrique, pour d’autres animées par d’autres logiques, travaillant avec une présence médicale plus ou moins affirmée, dont certaines se structureront sous l’impulsion de mouvements tels que les Croix-Marines ou les mouvements d’usagers.
36 • D’autres éléments proviennent de la dynamique réformatrice globale qui animait la discipline depuis la fin de la seconde guerre mondiale. À l’égard de l’optimisme dans lequel travaillaient les psychiatres dans les années 1950 et 1960, les années 1970 conduisent manifestement à un recul. D’un côté, faire de la psychiatrie une médecine de la chronicité, visant à rompre avec l’habituation sociale à la condition des malades chroniques, apparaît un projet risqué. Quel que soit l’engagement des acteurs, les pratiques courent, en effet, toujours le risque de la routinisation et avec elle du retour de l’indifférence. D’un autre côté, les critiques de la psychiatrie de l’après 1968 ont conduit les psychiatres à une position plus prudente sur leurs moyens et leurs ambitions et de façon générale à un raidissement des esprits sur la question de la normalisation. Ces évolutions se traduisent notamment dans une série d’interrogations nouvelles au sein de la profession sur le sens de l’hospitalisation psychiatrique, marquées en particulier par la conscience que l’hospitalisation « active » et la réadaptation à tout prix ne sont probablement pas toujours souhaitables (Henckes, 2007). Ce faisant, elles conduisent également les psychiatres à reconnaître le rôle que peuvent jouer auprès d’eux d’autres acteurs non médicaux.
37 Sans doute ces différentes évolutions n’ont-elles atteint pleinement leurs effets que dans les années 1980. En 1975, la loi sur le handicap met néanmoins en place un cadre à l’intérieur duquel elles vont pouvoir acquérir un sens. C’est la raison des réactions de défiance qu’elle provoque parmi les psychiatres, qui engagent une critique du statut de personne handicapée : celui-ci revient pour eux à nier le caractère évolutif de la maladie et la subjectivité des personnes. De façon plus décisive, le dispositif a aussi une conséquence pratique pour le secteur. La loi hospitalière du 31 décembre 1970 et la loi de 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales, publiée le même jour que la loi d’orientation, aboutissent à une séparation des institutions du secteur sanitaire et du secteur médico-social. Or le secteur psychiatrique se trouve précisément à cheval sur les deux logiques, ne relevant ni tout à fait uniquement du champ sanitaire, ni du champ médico-social, puisqu’en principe les institutions sectorisées sont rattachées aux établissements hospitaliers. Cela posera des difficultés durables pour le financement de certaines structures. Plus largement, cependant, la politique du handicap apparaît en fin de compte comme une manière de penser en dehors du projet psychiatrique la question de l’adaptation sociale des personnes souffrant de troubles psychiques.
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Des années 1940 aux années 1970 s’est ainsi dégagée progressivement une intervention spécifique sur le handicap d’origine psychique, pensée à travers l’idée d’adaptation et mise en œuvre dans des dispositifs de plus en plus nombreux pour accompagner les personnes. Les psychiatres se sont préoccupés plus tôt que leurs confrères d’autres spécialités des conséquences de la maladie sur la vie sociale de leur patient. Ils ont tenté dès l’après-guerre d’adapter le milieu de vie des patients à leur maladie, d’abord dans le cadre d’un hôpital psychiatrique réformé puis au cours d’expériences extra-hospitalières, depuis l’hospitalisation de jour jusqu’au placement familial, et enfin par le biais de la coordination des institutions dans le secteur psychiatrique. Si les psychiatres ont été durant les années 1950 et 1960 les principaux acteurs de ce mouvement, c’est au moment où celui-ci a trouvé une concrétisation sur le terrain qu’il a fini par leur échapper lorsque d’autres acteurs s’en sont saisis. À partir des années 1980 la situation apparaît ainsi beaucoup plus ouverte qu’elle ne l’a jamais été pour le handicap psychique. Les problèmes des personnes atteintes de troubles mentaux peuvent trouver une solution auprès d’une vaste gamme d’acteurs, relevant de modes de financement diversifiés, correspondant en fin de compte à des trajectoires de maladies et des carrières de malades différentes dans le méandre des divers dispositifs sociaux et médico-sociaux (handicap, RMI, congé longue maladie…). C’est une prise de conscience des difficultés de l’animation de ce secteur complexe et foisonnant qui paraît être à l’origine du renouveau de la réflexion sur le handicap psychique à la fin des années 1990.
Paradoxalement, c’est l’avance de la psychiatrie – intellectuelle et institutionnelle – qui a empêché le handicap psychique de trouver pleinement sa place au sein de la nouvelle configuration mise en place autour du handicap dès 1975. En liant intimement handicap psychique et maladie mentale, en accompagnant les formes chroniques de la maladie par une politique sanitaire de la réadaptation sociale, elle a freiné l’émergence d’un champ du handicap psychique dont les politiques et les professionnels seraient autonomes vis-à-vis de la médecine psychiatrique. C’est sans doute également l’une des raisons pour lesquelles les professionnels de l’action sociale, qui n’éprouvent aucune réticence à prendre le relais des médecins dans le cadre de handicaps physiques, ne se sont pas engagés aussi massivement dans l’action en faveur des malades mentaux. Ce parcours invite ainsi dès à présent à interroger le rôle des acteurs et en particulier du corps médical dans la compensation du handicap psychique. Si le dispositif du handicap psychique peut effectivement trouver une cohérence dans le champ de la santé mentale, c’est à la condition que les psychiatres envisagent de façon renouvelée leur rôle face à la maladie dans les secteurs de psychiatrie. Réticence face à la maladie mentale et pouvoir social des psychiatres sur leurs malades ont peut-être partie liée, de sorte que le double combat des associations de malades et de familles de malades, contre la stigmatisation et pour le respect des droits des patients, ne peut aboutir sans une transformation du regard que la médecine psychiatrique porte sur ses patients.
Notes
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[*]
Sociologue, chercheur post-doctorant au CERMES.
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[1]
Voir en particulier l’expérience du treizième arrondissement en la matière (Henckes, 2005).
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[2]
Selon les termes de la circulaire du 15 mars 1960, la sectorisation « consiste essentiellement à diviser le département en un certain nombre de secteurs géographiques, à l’intérieur de chacun desquels la même équipe médico-sociale devra assurer pour tous les malades, hommes et femmes, la continuité indispensable entre le dépistage, le traitement sans hospitalisation quand il est possible, les soins avec hospitalisation et, enfin, la surveillance de postcure ». À la fois manière d’organiser et de penser le travail psychiatrique, la sectorisation a consisté en un découpage du territoire national en unités territoriales de 70 000 habitants environ – les secteurs – pour les affecter à un service hospitalier et à un groupe de structures extra-hospitalières diversifiées – hôpitaux de jour, dispensaire, foyers…
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[3]
Notamment la circulaire du 14 mars 1972 relative au règlement départemental de lutte contre les maladies mentales, l’alcoolisme et les toxicomanies, et celle du 9 mai 1974 relative à la mise en place de la sectorisation psychiatrique, ou encore les textes des années 1985-1986, notamment l’arrêté du 14 mars 1986 relatif aux équipements et services de lutte contre les maladies mentales comportant ou non des possibilités d’hébergement.