1Depuis 1998, Claude Finkelstein porte la voix des patients en psychiatrie. La loi sur le handicap du 11 février 2005 reprend, sous l’appellation GEM (Groupe d’entraide mutuelle), l’idée de clubs de patients.
3Comment vous est venue l’idée de créer des clubs de patients?
4Claude Finkelstein : En 1998, j’ai visité en Angleterre un club house, le club Mosaïc. Il s’agit d’associations d’usagers atteints de troubles psychiques, comptant au maximum cent adhérents. Tout est dirigé par les usagers. Cela m’a fait rêver… Marie-Anne Montchamp, à l’époque secrétaire d’État en charge des Personnes handicapées, a réussi à mettre dans la loi du 11 février 2005, les Groupes d’entraide mutuelle tels que la FNApsy les rêvait…
5Quelle est la particularité d’un GEM?
6C. F. : Il est constitué uniquement de personnes souffrant de troubles psychiques, sans aucun personnel médical. C’est ça, la grande nouveauté. Le GEM se veut un espace de liberté, d’échanges et d’entraide entre pairs. Cela signifie que l’on s’aide et chaque entraide est prise différemment dans chaque groupe. Un GEM n’a rien à voir avec la thérapie de groupe. Il se crée, se forme, s’auto-accepte… en fonction des affinités de chaque usager. C’est deux, dix ou trente personnes fragiles qui se rencontrent régulièrement dans un lieu pour prendre un café, parler, garder le silence, partager une passion ou une activité, cuisiner pour le groupe, ne rien faire… C’est une raison de sortir de chez soi, surtout quand l’usager ne travaille pas. Dans ce type d’association, chaque personne peut être vraiment elle-même. Sans artifice. Elle peut être triste, joyeuse, méchante, gentille, active ou passive… Il n’y a pas de jugement parce qu’il n’y a pas de professionnels médicaux.
7Concrètement, comment ça fonctionne?
8C. F. : Le GEM est une association d’usagers qui reçoit une somme d’argent de l’État. Cet argent sert à louer un local et à payer des frais (rémunérations des animateurs, mobilier, charges et parfois des déplacements). Le local se situe souvent dans une ancienne boutique ou un café, c’est-à-dire qu’il a une vitrine ouverte sur l’extérieur. Pas question de se cacher du monde et de former un ghetto. Il s’agit, au contraire, de rester en contact avec la société. Chaque GEM est animé par un binôme rémunéré : un usager désigné par ses pairs et une personne, qui ne souffre pas de trouble psychique, sans être pour autant un professionnel médical ! Cette personne est souvent appelée la « maîtresse de maison », car elle gère la logistique et l’intendance (le café, la caisse, les démarches administratives…). Ce binôme, souvent un homme et une femme, permet de gérer certaines crises. En effet, un usager peut avoir un accès de panique devant un problème et la « maîtresse de maison » est là pour prendre le relais. Le GEM est un lieu qui ne ferme presque jamais car c’est le « cocon » des usagers, un cadre sécurisant, et ils doivent pouvoir venir s’y réfugier et se poser, quand ils le veulent. Chaque association compte environ quarante adhérents mais une vingtaine se retrouve régulièrement chaque jour. Quand une personne souhaite adhérer à un GEM, elle peut venir « à l’essai » pendant quelques semaines, avant de signer son adhésion. Elle peut aussi choisir d’adhérer à plusieurs GEM, c’est son choix et celui du groupe.
9Quel est le but d’un GEM?
10C. F. : Il vise la socialisation des personnes souffrant de troubles psychiques. Les adhérents viennent pour s’en sortir, éviter de rechuter et de retourner à l’hôpital. Dans le GEM, chaque usager avance individuellement. Il apprend ou réapprend à vivre, à retrouver des façons d’être avec les autres, faire des choix, manger et dormir à l’heure, ne plus être assisté, prendre la vie à bras-le-corps, adapter son travail… Prenons, par exemple, le cas d’un usager d’un GEM parisien qui ne travaillait pas et vivait avec sa mère. Cette dernière lui confectionnait des sandwichs quand il allait au GEM. Résultat : il mangeait tout seul dans son coin. Au bout d’un an environ, il a décidé de partager ses sandwichs avec les autres usagers du groupe. Mais je ne crois pas que sa mère soit au courant ! Je pense à d’autres « succès » comme, des usagers à Nice qui ont passé un accord avec la gérante d’un salon pour chiens situé à côté de leur local : ils gardent parfois les animaux et en retour, elle leur coupe les cheveux gratuitement ! C’est un bel exemple de socialisation et d’ouverture sur le monde extérieur. Comme exemple de responsabilisation, je peux citer le cas d’un GEM qui devait, exceptionnellement, fermer ses portes durant un jour car l’animateur usager, qui détient les clés, ne pouvait pas venir. Plusieurs usagers se sont déclarés responsables et ont demandé les clés, afin d’ouvrir les portes. Cette démarche volontaire est vraiment encourageante. Le GEM représente aussi un formidable lieu d’éducation thérapeutique. En effet, les usagers connaissent par cœur tous les traitements et les médicaments qui peuvent les aider. Ils s’échangent leurs expériences et leurs pratiques et certains arrivent ainsi à diminuer les doses de médicaments aux conséquences parfois néfastes. Parce que le relationnel et le contact sont des éléments essentiels dans la guérison de cette pathologie.
11Mesurez-vous les impacts précis des GEM?
C. F. : La FNApsy sait, officieusement, que les GEM sont utiles car nous n’avons plus d’appels téléphoniques nous prévenant de l’hospitalisation des usagers de nos GEM… tout simplement car ils ne retournent plus à l’hôpital ! C’est vraiment un signe très positif. En 2009, nous lançons une procédure d’auto-évaluation qui nous en dira un peu plus.
« Le GEM offre une incroyable bouffée d’espoir car il permet aux usagers d’être capables de vivre à côté, et non pas avec, des professionnels médicaux. »
Notes
-
[*]
Présidente de la Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie (FNApsy).
-
[1]
Entretien réalisé par Véronique Le Hen (TEXTUEL).