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La valeur sociale de l’expérience des personnes souffrant de troubles psychiques graves

1Comment les personnes vivant avec des troubles psychiques graves conçoivent-elles leur situation de handicap psychique ? Cet article [1] a pour objectif de repérer les savoirs locaux émergeants des discours de ces personnes, autour des dimensions de leur vie qui correspondent, au moins en partie, à celles que les politiques classifient comme des situations de handicap psychique. Ces éléments non encore consolidés de savoir local ressortent dans un contexte récent, la notion de handicap psychique n’ayant été énoncée de façon générale que dans le cadre de la loi de 2005 [2] et étant encore incomplètement appropriée par les acteurs de la psychiatrie.

2Que les personnes malades développent des savoirs profanes sur leur pathologie est connu depuis longtemps (Kleinman, 1980) (Strauss et Baszanger, 1991). Mais la reconnaissance politique de ce type de savoirs et de leur contribution à la production et à l’élaboration des connaissances scientifiques est plus récente et fait suite à leur consolidation par les associations de patients, par exemple contre le SIDA (Epstein, 1996), la myopathie (Rabehariso et Callon, 1999) ou encore les maladies rares (Dalgalarrondo, 2007). À l’étranger, les savoirs et savoir-faire à propos des « disabilities » ou handicaps (Chapireau, 2006) particulièrement en matières de troubles psychiques graves ont contribué aux politiques sanitaires, ainsi qu’à l’établissement de dispositifs innovateurs (Hopper, 2007 ; Jacobson, 2004 ; Stastny et Lehmann, 2007). En France, malgré l’attention portée aux droits (Caria, 2007) et au vécu des malades en psychiatrie (Velpry, 2008 ; Troisoeufs 2009) ou reconnus administrativement pour un handicap psychique (Vidal-Naquet, 2009) [3], les recherches sur leurs savoirs partagés sont presque inexistantes, à quelques exceptions près : pour la santé mentale des sans-abri (Girard et al., 2006) et l’autisme (Chamak, 2005 ; Chamak et al., 2008).
Nous analysons ici les notions émergeantes du retentissement de la maladie dans la vie quotidienne et d’autres phénomènes liés aux situations de handicap chez les personnes souffrant de troubles psychiques, en argumentant que, même sans être consolidées formellement, elles constituent les éléments d’un savoir. Les possibilités de cette émergence reposent en partie sur l’appropriation du terme classificatoire d’usager par ces personnes elles-mêmes. Jusqu’à récemment, l’« usager » en psychiatrie désignait quelqu’un de l’entourage du malade. C’est le cas, par exemple, dans les discours qui revendiquent l’inscription de l’adjectif « psychique » sur la liste qualifiant le handicap dans la loi 2005-102 (Blanc, 2002 ; Charzat, 2002). Aujourd’hui l’UNAFAM inclut le malade et sa famille sous le terme d’« usager ». Dans la mesure où les expériences vécues directement par la personne malade sont différentes de celles vécues indirectement par ses proches, il nous incombe de distinguer le « savoir patientique » du premier du savoir profane du second. Cet article utilisera le terme « usager » à la place de « patient » ou « malade » pour refléter ce changement.

Encadré 1 : Méthodologie

Cet article est basé sur les résultats d’entretiens collectifs regroupant cinq à douze participants. Chaque groupe fut homogénéisé par statut (p. ex. patients, infirmières, etc.), l’ensemble constituant un échantillonnage d’hétérogénéité, permettant de « sonder » la multiplicité des acteurs aux deux pôles de la psychiatrie : les services hospitaliers et les groupes d’entraide mutuelle (GEM). Nous reportons ici uniquement les résultats concernant les adhérents aux GEM et les patients en psychiatrie. La participation aux entretiens a suivi un principe de convenance, mais les quatre GEM choisis recouvrent les trois associations signataires de la convention d’élaboration des GEM [4].
Les procédures de consentement et de préservation de l’anonymat ont été suivies, et un bref questionnaire anonyme a permis de cerner les caractéristiques des sujets (voir encadré 2). Chaque entretien collectif a été enregistré et durait deux heures. Après transcription, les données ont été gérées par nVivo – logiciel qui permet le triage et la classification de matériaux non structurés –, puis codées formellement et analysées. Enfin, l’analyse des entretiens a été inspirée de l’analyse conversationnelle (CA), qui porte son attention aux tours de parole, à l’enchaînement des occurrences et aux processus collectifs de correction/réparation des propositions exprimées.

3Les résultats présentés ici sont basés sur deux séries d’entretiens collectifs (encadrés 1 et 2), tirés d’une recherche plus générale sur l’émergence de la notion de « handicap psychique » en psychiatrie [5]. La première a été réalisée avec des adhérents de Groupes d’entraide mutuelle (GEM), une nouvelle forme associative mise en place dans le cadre de la loi 2005-102 pour développer l’entraide des personnes concernées par des troubles psychiques. Au nombre de 302 en 2007, au moment de notre recherche (DGAS, 2008), les GEM ont pour objectif de compenser et de prévenir les effets du handicap psychique, en particulier l’isolement et la solitude. La deuxième série d’entretiens a été menée avec des patients hospitalisés dans les services psychiatriques de l’Assistance publique et de CHU. Dans la section suivante, nous montrons en quoi l’entretien collectif, notre outil principal, permet l’émergence d’éléments de savoirs intimes encore flous. Ensuite, nous identifions les principales dimensions du handicap psychique selon les usagers d’une part et comment elles se distinguent d’autres handicaps d’autre part. Enfin, nous montrons les effets paradoxaux et inattendus sur le handicap des mesures et dispositifs censés le compenser. En conclusion, nous commentons ces éléments en tant que base de savoir patientique.

Encadré 2 : Caractéristiques des participants

Les vingt-sept hommes et dix femmes participant aux entretiens collectifs étaient âgés de 24 à 71 ans, l’âge moyen se situant autour de 45 (GEMs) et 52 (hôpital). La majorité était célibataire, presque un quart divorcé (neuf sur trente-sept), deux mariés et un veuf, et seuls treize avec enfants. Presque tous vivaient seuls, la plupart en studio, appartement ou maison; les autres en chambres d’hôtel ou ailleurs.
La moitié a le baccalauréat (vingt sur trente-sept) ; et la moitié des bacheliers ont fait des études supérieures, y compris médecine (un) et grande école (deux). Un cinquième (huit) a un niveau inférieur au baccalauréat, cinq sont sans diplôme et quatre n’ont pas répondu à la question.
Les deux tiers des participants sont aujourd’hui sans activité. Parmi ceux qui travaillent, sept occupent un poste d’« employé » et deux sont dans la catégorie PCS « cadre et profession intellectuelle supérieure ». Les métiers incluent brocanteur, agent d’entretien, chercheur, main-d’œuvre de grande surface, ingénieur en biologie. Les emplois antérieurs à la maladie incluent serveuse, libraire, cameraman, gérante de chambres d’hôtes, ouvrier qualifié, informaticien, secrétaire de direction. Quelques jeunes adultes n’ont jamais travaillé.
Seuls deux participants n’avaient jamais été hospitalisés en psychiatrie ; la plupart ont connu plusieurs hospitalisations. Au moment de la recherche, presque tous ont été suivis par un service psychiatrique hospitalier, un CMP ou en libéral.
La philosophie des GEM insuffle l’idée que les adhérents sont reconnus dans ce lieu comme des personnes, et non comme des malades. En se renseignant sur le type de maladie dont souffrent les usagers interviewés, les résultats permettent de revoir l’idée répandue dans le champ de la santé mentale que les GEM n’accueilleraient que des personnes sans maladie grave. Sur les 30/37 réponses, deux tiers déclarent un trouble psychotique (trouble bipolaire, schizophrénie, « délire »…), un tiers (huit) déclare une dépression et les autres un trouble obsessionnel ou un trouble phobique.

L’entretien collectif comme site de savoirs sur le handicap

4Notre défi méthodologique a été de laisser émerger un thème sans imposer des catégories de sens préalables. L’interaction et le croisement de regards permis par l’entretien collectif – ou focus group (Morgan, 1997) – étaient facilités par l’acceptabilité de ce dispositif. Les discussions qu’il sollicite, ressemblent à l’entraide et aux rencontres que le GEM affiche comme objectifs [6] et au groupe de parole familier à certains usagers. Mais demeurait le risque de reproduire les définitions officielles du handicap psychique. Notre objectif, ancré dans l’anthropologie pragmatique, n’était pas d’évaluer la compréhension « correcte », mais d’appréhender des formes de vie et des logiques sous-jacentes de personnes que d’autres définissent tour à tour comme étant « en situation de handicap psychique » ou « handicapées psychiques ».

5Nous avons alors orienté les entretiens, par une entreprise délicate, en direction de l’environnement physique et social et des conditions de vie dans lesquelles sont vécus les retentissements de la maladie. La question générale – « parlez-nous de votre vie quotidienne » – qui débute l’entretien amène les usagers à parler, sans notre intervention, des difficultés en ce qui concerne les relations avec les autres (voir ci-dessous), la maladie et les conditions de vie. La mention spontanée du handicap permet d’aborder une comparaison entre celui-ci et la maladie et de le mettre en relation avec d’autres aspects de la vie quotidienne. À force d’approfondir, comparer et contester leurs récits, les usagers font ressortir des éléments qui deviennent les pièces d’un jeu de construction conceptuel. Certains éléments se retrouvent dans les modèles formels du handicap et du fonctionnement social (p. ex. le domaine du travail), d’autres pas (p. ex. le rapport au temps). L’entretien collectif devient alors une rencontre sociale à travers laquelle un savoir local se construit par bribes (Holstein et Gubrium, 2002).

6Les participants n’arrivent pas toujours à verbaliser complètement leurs idées ou à trouver les mots justes. Pourtant, il ne nous incombe pas, en tant qu’anthropologues, d’en réduire la cause au manque de discernement (insight) des malades par rapport à leur maladie. D’abord, le manque de discernement ne caractérise ni tous ceux qui souffrent de trouble psychique grave, ni tous les moments de la maladie chez un même individu. Ensuite, les outils anthropologiques et sociolinguistiques peuvent révéler le sens social des discours psychotiques (Lovell, 1997 ; Lovell, 2007 ; Ribeiro, 1994). Mais surtout, les discours imprécis quand le thème de départ est peu délimité est commun aux entretiens en général, chez le bien portant comme chez le malade. Parler et échanger dans ces situations produit un savoir ordinaire car les participants élaborent un véritable travail d’exploration, de débat et de compréhension mutuelle. Selon l’épistémologie perspectiviste du standpoint theory féministe (Devault, 2002), les blancs et les hésitations dans les échanges nous forcent à identifier les positionnements à partir desquels les usagers présentent leurs expériences. L’inarticulé équivaut alors à la tentative de traduire pour les autres (le chercheur et l’audience invisible réceptionnaire des résultats de la recherche) des expériences de l’activité quotidienne qui ne collent pas nécessairement aux catégories extérieures [7].

7Prenons à titre d’exemple, cet échange en entretien collectif où les participants évoquent, de façon imprécise, un certain nombre de thèmes que nous avons rencontrés dans plusieurs entretiens [8] :

8Usager 1 : « … quand vous rentrez dans l’hôpital, tout d’un coup vous vous sentez complètement différent. Alors que c’est faux, vous n’êtes pas différent, vous êtes comme les autres. »

9Usager 2 : « Je comprends ce que vous dites, mais je n’arrive pas à mettre des mots. »

10Usager 3 : « Chacun a ses maladies. »

11Usager 1 : « Je sais que lorsque je suis tombée malade, j’ai eu autour de moi des gens qui me disaient :“ pourquoi tu pleures ?”. On me rassurait, on me disait :“ t’inquiète pas, cela va passer”. Mais le problème, ce n’est pas le problème de la psychiatrie, c’est justement ce qui se passe après, ce qui se passe autour et tout cela »

12Usager 2 : « C’est le problème avec Maurice : qu’est-ce qui se passe après La Villa[9] ? »

13Usager 1 : « Non, pendant. Il faut voir ce qui se passe sur le présent. »

14Usager 4 : « Ma mère, elle m’a dit : “ tu es sortie de l’hôpital, et tu vas voir encore d’autres malades [au GEM]. Alors, tu ne vas pas t’en sortir, tu es toujours comme ça”. »

15La reconnaissance par les usagers de la difficulté à articuler leur expérience revient souvent dans des expressions comme « Je comprends ce que vous dites, mais je n’arrive pas à mettre des mots ». Elle communique en même temps l’expérience commune qui lie les usagers : le sentiment de dissimilitude radicale par rapport à ceux qui n’ont pas fait l’expérience de la maladie mentale, ou les « normaux ». Un double fil tisse alors la relation sociale de la maladie mentale : une affinité latérale entre ceux qui vivent des expériences d’anomalie (les « autres » dans le sens entendu par l’usager 1), une distance sociale entre les usagers et les habitants du monde des « normaux » (ceux que l’usager 4 n’arrivera jamais à fréquenter, aux dires de sa mère).

16Le problème du retour au monde normal revient dans un deuxième entretien collectif, comme si cette conversation était le prolongement de la précédente :

17Usager 1 : « Je suis pas sûr que le GEM accueillera des [personnes sans maladies psychiques]. »

18Usager 2 : « Si. Si. Heu, n’importe qui peut, peut venir s’inscrire comme usager. »

19Usager 3 : « Non, c’est pas ça que je veux dire. C’est pas ça que je veux dire. C’est… c’est plutôt à nous de lancer des passerelles vers l’extérieur quoi. […] »

20Usager 4 : « Il y en a qui sont ici qui travaillent maintenant. »

21Usager 2 : « Mais oui, on va vers la normalité. » [Superposition de voix.]
Usager 2 : « On n’est pas obligé d’aller vers des gens normaux. On peut se rendre… normal à notre… niveau. »
Les usagers réagissent aux limites de l’« intérieur » de deux façons : soit en allant vers « l’extérieur », soit en s’adaptant à leur façon à la situation de handicap (« On peut se rendre… normal à notre… niveau. »). Soit ils s’intègrent par rapport à une normalité conventionnelle, soit ils construisent une normativité par rapport à leurs propres capacités. Au niveau de l’individu, ce deuxième cas engage une créativité vitale d’adaptation aux contraintes de la maladie, dans un élan en avant non conservateur (Canghuilhem, 1988). En termes de liens sociaux, le mouvement vers l’extérieur correspond au bridging (jeter des ponts vers la diversité), celui vers l’intérieur au binding (créer des liens de similarité) (Putnam, 2000) [10].

Au centre du handicap : les relations avec les autres

22Dans les entretiens collectifs, les références au « monde des normaux » révèlent l’aspect dominant de l’expérience du handicap psychique : les relations sociales. Celles-ci émergent par rapport à la sociabilité de tous les jours et par rapport au travail.

Le handicap est dans la relation à l’autre

23Tous les usagers évoquent les difficultés relationnelles par rapport à l’entourage amical, familial, professionnel, ou encore « la frange anonyme » de passants, commerçants et autres petites connaissances croisés dans le quotidien. Comme le constate un adhérent de GEM : « Les relations, c’est ça pour moi le handicap », ces relations n’englobant rien moins que le « genre humain ».

24La difficulté à établir des relations tantôt découle d’un manque de compétences initiales, avant la maladie, tantôt est conséquence de la maladie. Le premier cas de figure s’ancre dès l’enfance. Un jeune homme, scientifique de formation, compare les compétences sociales à « un recueil d’exercices en mathématiques où, soit vous savez résoudre les exercices, ça vous aide à vous entraîner ou à devenir meilleur, [soit] vous ne savez pas les résoudre, ça ne vous aide à rien du tout ». Comme d’autres, il sent qu’il n’y arrive pas ; éventuellement, il perd toute motivation.

25Comme certains usagers, il n’a jamais assimilé les bases les plus simples de la sociabilité, ne serait-ce que la façon d’entrer en contact avec les autres. Il prend du plaisir dans des activités isolées, comme l’entomologie ; pourtant il ne comprend pas ce que c’est que s’amuser en compagnie. D’autres usagers font état d’une incapacité psychologique à se laver, l’impossibilité de ressembler à « quelqu’un de normal » (cette femme qui souffre de schizophrénie, se réfère aux images publicitaires féminines) ou la « peur psychologique » ou « paranoïaque » qu’ils ont des autres.

26Pour ceux qui vivaient autrefois de façon quand même « normale », au fur et à mesure que des effets de la maladie s’installent, les amitiés, les relations de couples ou de famille se détériorent, parfois jusqu’à l’abandon. Quelques femmes se voient retirer leur enfant quand elles n’arrivent plus à gérer leur argent, ont constamment des sautes d’humeurs, des moments d’agressivité ou de délire, sont écrasées de fatigue. D’autres usagers, se trouvent isolés, comme cet homme : « Mes copains sont mariés, y en a qui sont décédés, je ne connais plus personne, comme je l’ai dit tout à l’heure quand il y a des personnes qui ont parlé de ça. Je connais personne, sinon j’aimerais aller me promener, mais seul ce n’est pas bon : où est-ce que vous allez, seul ? On marche, on voit les poubelles. Avec quelqu’un, c’est bien parce que l’on discute en marchant, on va prendre un pot. Voilà, moi j’aimerais. »

27En matière de relations avec les autres, les usagers sont conscients des paradoxes produits par des dispositifs comme le GEM. Voué à faire rentrer l’usager « dans la cité », le GEM reproduirait en fait les frontières entre lieux pour « personnes handicapées » et lieux ordinaires. Dispositif de resocialisation informelle (il ne contient aucun apport médical ou socio-éducatif) entre pairs (personnes en situation de handicap), le GEM reste néanmoins un lieu « spécial ». Dans les échanges, il est vécu comme un « dedans » protecteur par rapport à « l’extérieur normal », bien qu’il soit ouvert et situé dans un quartier résidentiel ou de centre-ville :

28Usager 1– « Dans la mesure où vous trouvez [ici dans le GEM] du réconfort, du contact avec les autres et tout, ben ça… ça va peut-être vous ralentir pour vous ouvrir à l’extérieur. Au monde dit normal, entre guillemets. Parce que des fois je me pose la question que c’est peut-être nous qui sommes normaux et que c’est le monde qui va de travers. C’est juste ça, c’est… c’est comment dire une… mes propos sont à mettre entre guillemets quoi. »

29Usager 2 – « C’est-à-dire, on est un peu dans une bulle protectrice hein. Faut bien dire ce qui est hein. Enfin… maintenant c’est ça mais, mais les relations avec l’extérieur normal, entre guillemets, ça se fait pas. »

30Usager 3 – « Hum Oui, et tu as la possibilité d’en sortir. »

31Usager 2 – « Oui mais, mentalement, je l’ai pas, je l’ai pas. »

32Usager 3 – « D’autres associations, c’est vrai qu’ils regroupent des personnes qui sont aussi, qui ont aussi des problèmes d’ordre psychique. »

33Usager 2 – « Oui, c’est ça, on reste entre malades psychiques. »

34En même temps, en faisant rentrer l’usager « dans la cité », ces lieux le mettent en situation d’affronter les relations avec les « normaux », au risque d’être de nouveau rejeté ou stigmatisé. Se met en place alors un cercle vicieux :

35Usager 1 – « On a beau proposer des activités, les [normaux] te disent : “oui, oui. Oui, oui”, et puis tout compte fait, c’est : “non, non”. Alors ils sont pas francs, je veux dire, au lieu de dire cash la chose. Ils disent, ils se mettent un peu des barrières, ils se mettent un peu… voilà, des coussins devant les yeux et puis ils disent : “oui, oui”, et puis on voit jamais rien quoi. »

36Usager 2 – « Non, je veux dire quelque chose, mais que… il faudrait pas que… comment dire ? Heu comme, comme vous disiez heu, heu, vous arrivez qu’à, qu’à fréquenter des handicapés heu psychiques… C’est ça? »

37Usager 1 – « Pour moi c’est ça. »
Car, devant les « normaux » il faut s’autocensurer : « Moi à l’extérieur, j’ai du mal à… fréquenter des gens hors psy comme ça. De fréquenter des gens qui sont en psy, j’ai l’impression que je serai moins jugé, que j’arrive à discuter avec eux… Et le problème, c’est que j’ai des, j’ai eu des connaissances et ça fait peur, probablement. Je ne vais pas [leur] raconter ce… ce que j’ai dit [ici]… je ne vais pas leur raconter que j’étais en chambre d’isolement, tout ça, et d’être, d’être allé à [l’hôpital psychiatrique], et d’être fragile psychologiquement. Eh ben heu, quelqu’un qui tient une famille, qui a un travail, un être classique, dans la norme, heu… eh ben… on n’est pas sur la même longueur d’onde. Donc c’est difficile de… de s’intégrer dans la société heu… telle qu’elle est, je veux dire heu… »
Le handicap est aussi dans la relation parce que le regard des autres « handicape ». Si un usager d’origine bourgeoise est protégé par son ancien statut d’avocat, d’autres usagers vivent des fortes tensions avec le voisinage et les commerçants. Les « normaux » les regardent « sous un œil critique », sachant qu’ils sortent d’un hôpital psychiatrique. Le voisinage ne supporte pas les signes de marginalité dans la façon de s’habiller, de mettre la musique forte toute la nuit… L’interaction entre usager et « normal » empêcherait alors la construction et le maintien de relations sociales « ordinaires ».

Le travail ordinaire, entre compensation et aggravation du handicap

38Le travail en milieu ordinaire constitue l’autre pôle des relations sociales. Il interpelle le handicap psychique à la fois positivement (par les compensations physique et psychologique et par le statut) et négativement (par l’aggravation de l’état de santé).

39En premier lieu, le travail ordinaire peut offrir une série de techniques d’amélioration des symptômes de la maladie. Il immerge les symptômes dans une occupation totale et atténue en ceci l’effet des atteintes cognitives et des états émotionnels. Les conditions de travail manuel – la répétition des gestes, la force physique et l’attention requises, le rythme soutenu (un nombre donné de tâches à accomplir dans un certain nombre d’heures) – contrent les symptômes pour certains. Par exemple, devoir se déplacer constamment canalise l’hyperactivité qui aurait été ressentie en restant sédentaire trop longtemps ; la nécessité de se concentrer réduit les pensées « à des broutilles », évitant ainsi les angoisses. Enfin, le travail remplace l’ennui, leitmotiv de la vie des usagers.

40Travailler apporte également des effets positifs indirects. Il permet à certains, selon les mots d’un usager, « une vie sociale comme il faut, je veux dire normale ». En même temps, il attire une reconnaissance sociale en conférant un statut d’actif, souvent préféré au statut de travailleur en milieu protégé et ayant droit aux allocations ou bénéficiaire d’une forme d’assistance. Cette reconnaissance permet alors d’éviter l’étiquette de handicapé.

41Cependant les mêmes conditions qui sont acceptables pour les « normaux » et positivement vécues par certains usagers, déclenchent chez d’autres, par leur rythme, des symptômes de maladie. Tout d’abord, le travail « en milieu normal » requiert un temps d’application et de production trop rapide pour certains qui souffrent de troubles psychiques ; soit la fatigue ainsi déclenchée empêche l’accomplissement des tâches, soit au contraire, le maintien du rythme et de la répétition se fait au prix du sentiment d’être « robotisés ». Ensuite, face à l’imprévisibilité et la fluctuation des expressions de la maladie, l’environnement et les conditions de travail posent un défi.

42Les usagers s’interrogent pour savoir si les conditions de travail d’aujourd’hui et les façons d’y réagir (la souffrance psychique, les suicides) font partie du lot « ordinaire » du travailleur lambda, ou uniquement de ceux qui sont en situation de handicap psychique. Ils reconnaissent que le milieu du travail ordinaire demande actuellement une attention au relationnel et une performativité soutenues, qui vont de pair avec la compétitivité. L’obligation de donner son « best of » tous les jours, qui crée « des tensions atroces », n’est-il pas insurmontable pour tout un chacun ? Pourtant, les usagers se demandent si le travail en milieu ordinaire ne cache pas les mêmes préjugés contre les « malades psychiques » qu’ils ressentent ailleurs dans leur quotidien. Dans cet entretien collectif, les usagers cherchent à répondre à ces questions, à séparer la part due à la dégradation des conditions de travail en général, et la part inhérente à la stigmatisation du handicap. Il s’agit ici d’un participant qui travaille tôt le matin au déballage et au stockage de caisses :

43Usager 1 – « Les patrons, ils surchargent les gens de travail. Bon on le vit encore plus mal, parce qu’on est malade quoi. »

44Animateur – « D’accord. Là, c’est vous qui le vivez encore plus mal parce que vous êtes malade. Est-ce que vous pensez que le patron, il sait que vous êtes malade ? »

45Usager 1 – « Bah oui, il le sait. »

46Usager 2 – « Et il vous traite pire qu’il traite les autres? »

47Usager 1 – « Bah moi je trouve qu’il est quand même plus dur avec moi quoi. »

48Usager 2 – « Il profite de ta faiblesse. »

49Usager 1 –« Il m’a fait remarquer par exemple, il y avait une étiquette qui était restée collée, ben… je suis arrivé à 6 h 00 du matin, bah il m’a engueulé comme du poisson pourri à 6 h 00 du matin. »

50Usager 3 – « Parce qu’il le sait que tu es à la COTOREP. Voilà! »

51La réponse reste en suspens.

52Toutefois, une différence générationnelle apparaît dans les façons de concevoir le rapport entre handicap et emploi. Quelqu’un note que les postes accessibles aux usagers aujourd’hui sont presque toujours en dessous de leur qualification. Des usagers plus jeunes souhaitent une formation ou un travail stimulants, tandis que les plus âgés rappellent l’époque où les malades mentaux acceptaient des emplois difficiles par nécessité, pour ne pas perdre leur « statut social ». Ainsi, un ancien ouvrier : « Des personnes qui faisaient des piqûres de neuroleptiques, qui travaillent dans les Postes, dans les chemins de fer, et c’est des gens qui étaient très malades… des gens qui ne faisaient pas des emplois protégés… Ils travaillaient parce qu’ils ne voulaient pas perdre leur condition sociale. »

53Pour lui, supporter le travail renvoie à une question de volonté, valeur aujourd’hui disparue. Un autre usager réplique que le handicap détruit la volonté du handicapé « mental » (par lequel il entend quelqu’un qui souffre de maladie mentale) : « …au niveau mental on n’arrive plus, on n’arrive plus, on n’arrive plus, c’est dans la tête. On ne peut plus, on ne peut plus, on ne peut plus. Moralement. On n’y arrive pas. On ne supporte pas moralement. Je veux dire, c’est une question de volonté, c’est cela que je veux dire. C’est question de volonté, c’est une question de volonté. »

54Si les jeunes mettent en avant l’attraction et l’épanouissement dans le travail – « il n’y a pas que des emplois où tu visses des boulons » – les plus âgés sont sceptiques. Quelqu’un soutient que seule la rémunération compte dans le travail. Et un autre réplique : « même pour 10 000 € par mois, je n’irais pas ». Aux protestations générales, il évoque la vulnérabilité des uns et des autres : « Combien de temps tu tiendrais? Combien de fois tu t’arrêterais? »
Ce rapport au travail ordinaire révèle une diversité de conceptions du handicap élaborées au travers de l’expérience de chaque personne. En même temps, il montre une conscience du monde du travail contemporain et une évolution dans les attentes des usagers.

Le handicap psychique, handicap invisible

55Au-delà des relations sociales, le handicap psychique relève d’une pluralité de notions ontologiques qui le distinguent de la normalité, comme des autres handicaps. Le handicap est présenté par les usagers comme inséparable à la fois de la maladie, du « mental », du « cognitif » et du « psychisme » ; il serait localisé dans « la tête ».

56Usager 1 – « Moi, c’est la rumination mentale qui me coupe des autres. Je rumine sans cesse. Je vis dans le passé… ou dans le futur donc j’ai peur. Je ne vis pas le moment présent. »

57Usager 2 – « Moi, c’est pareil pour moi. »

58Usager 1 – « Et ça, c’est la maladie psychique ? Le handicap psychique? C’est la même chose ? »

59Usager 3 – « Voilà, c’est ça. Oui, oui. Oui, oui. »

60En même temps, le handicap est à la fois comportement, émotion, souffrance qui se distinguent de l’expérience des normaux :

61Usager 4 – « Moi, j’entends, enfin tout à l’heure vous avez dit : “handicap psychique”, moi j’entends, que je sais pas si ça a un rapport avec un handicap psychique, je parle pour moi… C’est-à-dire, il y a des fois où, comme ça où j’ai des crises. Voilà. Je suis bien comme ça… je marche et j’ai une crise heu, des hurlements. Je suis capable de tout casser hein… C’est pour ça que… c’est, c’est des trucs qui me font peur… voilà, c’est des trucs qui me font peur. Ça vient subitement. Je sais pas, c’est incontrôlable… »

62Le handicap peut, au contraire, se situer sur un continuum avec la normalité. Par exemple, « l’ennui handicapant » se distingue par sa plus grande passivité et par l’incapacité à agir de « l’ennui normal ».

63Les entretiens collectifs mettent aussi en relation le handicap des participants avec d’autres types de handicap. L’image du fauteuil roulant pour un handicap physique devient emblématique de ce que, selon les usagers, le handicap psychique n’est jamais : visible et donc davantage reconnu par la société. Par exemple, les déficiences ou les incapacités liées au handicap psychique ne sont pas prises en compte dans l’adaptation au travail, comme l’explique un usager : « Il n’est pas physique [notre] handicap, il est mental. C’est pire. L’aveugle il peut travailler, mais [notre handicap] c’est une pression morale, ça. […] C’est la force mentale que l’on n’a pas. […]… un monsieur sans bras ou sans jambe, il peut aussi travailler, il y a des emplois pour ces gens-là, mais nous c’est mental, c’est la tête. »

64Pour montrer l’intensité de cette douleur psychique « invisible », un usager fait l’analogie des animaux piégés qui coupent leurs pattes pour s’échapper. À cet image, un autre ajoute celle d’un alpiniste coincé dans une corde et qui s’était amputé un membre pour survivre : « c’est la force du mental qui a travaillé sur le physique pour qu’il s’en sorte, quoi ». Ces images dramatiques servent à convaincre de la puissance et donc de l’extrême souffrance que peut engendrer la douleur psychique, et que les « normaux », n’ayant pas fait l’expérience, ne « voient » pas.

65Les membres de la famille sont souvent les premiers à ne pas « voir » le handicap psychique. Une femme hospitalisée plusieurs fois en psychiatrie et touchant aujourd’hui l’AAH n’est toujours pas reconnue par sa famille comme étant en situation de handicap car elle a « le raisonnement correct, normal ». Chez d’autres usagers, la méconnaissance familiale empêche le recours au soin. Dans le cercle d’amis, le handicap peut rester longtemps

66« un secret de Polichinelle ». Ou l’usager révèle son handicap, mais ses amis ne le croient pas. Par conséquent, il doit « fonctionner comme une personne normale », ce qu’il n’arrive pas à faire. Si les amis disparaissent peu à peu, dans de rares exceptions quelques-uns reconnaissent un handicap psychique, comme l’explique cet homme : « Une personne, heureusement, il y en a une seule qui a décelé, m’a dit : “ toi ton handicap, c’est un handicap intérieur”. C’est vrai que quand on me voit, on ne le voit pas ».

67L’invisibilité du handicap va de pair avec l’interprétation des crises d’angoisses, replis sur soi, renfermements ou explosions de colère en termes de manque de volonté, dissimulations ou encore faiblesse : « Les volontaristes nous disent toujours “si on a de la volonté, on peut”, alors que ce n’est pas vrai. » Les « gens normaux » qui observent celui qui souffre de troubles psychiques renvoient aussi l’idée que la personne derrière le comportement est quelque part coupable, que sa conduite relève d’un problème de caractère, ou de déviance.
Ce dernier point est illustré par la distinction que font les usagers entre les « trisomiques » et les « handicapés physiques », d’une part, et les personnes souffrant de troubles psychiques, de l’autre. Les retentissements dans ces premiers types de handicap sont « objectifs », car ils se situent au-delà de la volonté de la personne ; tandis que le handicap psychique découle d’une pathologie identifiée par « les normaux » comme inséparable de la personne. Le « mental » de la « débilité mentale » serait localisable, visible et définissable. Le handicap mental serait conséquent à un état de « déficience intellectuelle », voire de « malformation du cerveau » ou de « problème de gènes » extérieurs à toute intentionnalité. Le handicap psychique dépendrait, au contraire, « de la personnalité de chacun », des émotions exprimées en réaction aux « mauvais passages… mauvais moments ». Les personnes caractérisées par ce handicap sont alors impliquées, comme agent, auteur, dans l’expression des troubles et de leur retentissement. Un homme résume cette naturalisation du handicap, intériorisée aussi par les usagers, qui permet d’enlever toute culpabilité à la personne en situation de handicap mental : « Nous [les handicapés psychiques], on n’a pas forcément des problèmes de gènes, et on est aussi un peu responsables de la situation dans laquelle on est maintenant… d’un peu de ce que l’on est devenu. »

Le handicap et ses doubles

68À côté de l’invisibilité du handicap psychique, les échanges entre les usagers font ressortir ce que nous nommerons un « handicap par substitution », ou « double » du handicap. Il s’agit des effets dérivés de la manière dont les personnes sont soignées ou traitées, et pris ensuite par les autres comme signes du handicap. De tels « doubles » ressortent des entretiens collectifs, l’un par rapport au médicament, l’autre par rapport au statut administratif de handicapé.

Le médicament, source de handicap iatrogène

69Si le médicament soulage les symptômes, les usagers considèrent qu’il produit à son tour des effets handicapants, avec des conséquences dans tous les domaines de la vie. L’effet secondaire le plus cité dans les entretiens collectifs, est celui de la fatigue. Elle empêche l’usager de se réveiller assez tôt pour se rendre au travail, de même qu’elle limite les heures pendant lesquelles il peut réellement travailler. Dans les travaux nécessitant de grands efforts physiques, l’effet du médicament rejoint l’épuisement dû aux gestes ou aux poids soulevés. Les médicaments procurent aussi des pertes de mémoire. Comme l’explique un usager, « à force de prendre des neuroleptiques, on a moins de mémoire… C’est un handicap ». Cette perte rend difficile la prise de responsabilités, en dépit d’une formation adéquate antérieure à la maladie. Elle complique aussi l’exécution des tâches. Par exemple, dans un travail manuel comme la menuiserie, la nécessité de se rappeler les mesures qu’on vient de prendre ou les gestes à répéter pose des problèmes quand le médicament produit une « mémoire morte ». La lecture, dans le travail d’employé, se heurte aux faiblesses de la mémoire qui font que la personne éprouve constamment le besoin de relire ce qu’elle vient juste de lire. Les médicaments peuvent aussi rendre la pensée confuse ou influencer le raisonnement au point que la réalisation des tâches les plus banales devient « un calvaire ».

70Sont évoqués aussi d’autres domaines de la vie affectés par les pertes de mémoire : le loisir ou les études, ou encore les relations avec les autres, quand l’usager se sent indifférent, sous l’effet des médicaments, « presque comme une machine quoi, un robot en chair et en os… ». Les hommes parlent aussi des effets secondaires au niveau sexuel, comme les difficultés d’érection ou le manque de libido.

71Nous suggérons que les effets du médicament, tels qu’ils ressortent de ces descriptions, constituent un handicap iatrogène, c’est-à-dire enraciné dans la thérapeutique elle-même. Cependant, loin de rejeter l’usage des médicaments, les usagers font état d’un dilemme. L’échange suivant fait partie d’une discussion sur la remédiation cognitive, pour revenir rapidement aux obstacles que présente le médicament dans l’utilisation de ces techniques pour « réapprendre à apprendre » :

72Usager 1 – « … Tu es complètement sonné par les médicaments, par expérience je sais, j’avais des traitements vraiment très lourds. Là, on est vraiment un légume, on est vraiment, heu, incapable de lire, incapable de se laver. »

73Usager 2 – « Moi ça m’est arrivé. »

74Usager 3 – « Moi, ça m’est arrivé plusieurs fois. »

75[…]

76Usager 1 – « C’est vrai que là par exemple, y a deux-trois ans, quand [je travaillais], heu, je n’avais pratiquement plus rien, je n’avais plus qu’un médicament. Est-ce que ça a été la bonne chose ? En fait, deux-trois mois après, je me suis retrouvé à Pré-Vert [hôpital psychiatrique]. »

77Usager 4 – « Souvent on prend des médicaments, on est abasourdi… »

78Usager 1 – « Eh oui, c’est ça. »

79Usager 4 – « Ou alors, si on prend rien et bien on replonge. Alors heu… »

80Usager 1 – « C’est là où le médecin, le médecin psychiatre doit être en plus très bon chimiste. […] Et donc… est-ce que les traitements nous handicapent ou est-ce qu’ils nous soignent? »

81Usager 2 – « Moi, je pense qu’ils sont mezzo mezzo. »
Ainsi font-ils état, par leur expérience vécue, du caractère dual du médicament – bénéfique et nocif, remède et poison. Cette observation rejoint l’expérience décrite dans les ethnographies de la psychiatrie ordinaire (Velpry, 2008). Il s’agit en même temps d’une dualité qui n’est en rien limitée aux seuls psychotropes (Dagognet, 1964).

Les effets paradoxaux du statut de handicapé psychique

82La reconnaissance sociale qu’apporte un travail hors milieu protégé est souvent mise en avant dans les entretiens collectifs. Pourtant, la plupart des usagers finissent par recevoir l’AAH, le dispositif mis en place pour subvenir financièrement aux besoins quotidiens de ceux dont les capacités à travailler sont réduites par un handicap, psychique ou autre.

83Que l’accès au travail soit difficile dans la conjoncture économique actuelle est accepté par beaucoup d’usagers. Mais ils rappellent aussi en quoi le fait de recevoir l’AAH et le statut de handicapé qui en découle, mettent l’usager dans une situation d’inégalité par rapport aux autres chercheurs d’emploi. En fait, l’AAH participe à l’élaboration du handicap psychique.

84Les usagers constatent que l’acquisition de l’AAH limite la gamme des possibilités d’emploi pour les allocataires. Elle « ferme beaucoup de portes », au niveau des formations aussi bien que des emplois, les possibilités de droit commun accessibles par l’ANPE ne l’étant pas aux détenteurs de l’AAH. En outre, les emplois en milieu protégé s’accompagnent de faibles revenus et sont souvent limités par rapport à la demande.

85Mais l’accès aux emplois n’est pas le seul critère pris en considération lors des entretiens collectifs. Il y a aussi la distinction entre le statut social dérivé de l’AAH et celui du RMI. L’AAH est plus intéressante au niveau financier, certains usagers rappellent qu’elle est censée les protéger alors que dans les faits ceux qui en bénéficient sont traités comme des invalides. Le statut de handicapé de l’AAH est moins valorisant que la position de RMIste [11] : « Comment dire, moralement, ce n’est pas, du point de vue de la société, [avoir l’AAH] c’est dégradant, c’est mal vu. Limite, être RMIste c’est mieux.

86Même sortir de prison c’est encore mieux qu’être invalide. On est mieux considéré quand on sort de prison que lorsque l’on sort de psychiatrie. »

87Les usagers mettent en avant en revanche, la grande pression qui est mise sur les bénéficiaires du RMI aujourd’hui pour qu’ils trouvent un emploi. L’insertion par le travail n’est pourtant pas toujours vécue comme étant de l’ordre du possible, étant donné l’imprévisibilité de la maladie. Dans ce sens aussi, l’AAH reste l’alternative la plus propice – non sans poser problème.

88Car l’AAH devient alors une « étiquette » portée par la personne en situation de handicap psychique, qui entre dans les interactions du processus de stigmatisation. Les usagers, nous l’avons vu, remarquent que leur handicap ne se voit pas. En revanche, la mention de l’AAH sur un CV matérialise le handicap psychique ; son statut de bénéficiaire de l’AAH prend la place de ce qui ne se voit pas. La perception que l’employeur détient, grâce à sa connaissance du statut de bénéficiaire de l’AAH du demandeur d’emploi, peut créer une spirale d’interactions qui amplifie les discriminations. Plusieurs participants aux entretiens collectifs témoignent de leurs expériences dans ce sens :

89Usager 1 – « De toute façon ils [les employeurs] n’ont pas besoin de savoir [ce qu’on est] ; dès qu’il y a l’AAH, c’est automatiquement handicap psychique, il n’y a même pas besoin de regarder »

90Usager 2 – « C’est l’étiquette, l’AAH, c’est fini, pour les employeurs tout ça, dans n’importe quel travail, ils voient tout de suite. L’AAH, c’est même pas la peine, pour le CV ce n’est même pas la peine. »

91Ce statut fait sentir ses effets au-delà du monde du travail et des dispositifs pour le handicap. Les plus jeunes, en particulier, se trouvent en situation de justifier leur situation d’inactif : « Voilà, par exemple, je rencontre un mec ou une fille. […]. “Qu’est-ce que tu fais ?” Je dis : “je touche l’AAH”. Je passe pour un con. »

92Le stigmate véhiculé par le statut de bénéficiaire de l’AAH est redoublé par le stigmate des dispositifs de travail protégé. À plusieurs reprises les participants aux entretiens collectifs ont mis en évidence les conséquences « handicapantes » de ces dispositifs de compensation du handicap. Le Centre d’aide par le travail (CAT) [12], qui devrait permettre aux individus de se réinsérer dans le monde actif par des travaux protégés et adaptés à leur trouble, est vécu comme particulièrement stigmatisant, car fréquenté par des « déficients mentaux » de qui les usagers tiennent à se distinguer. Des usagers refusent l’AAH ou ses centres spécialisés, pour ne pas être limités à un système parallèle au monde ordinaire. Mais la plupart ne considèrent pas ces choix comme réalistes.

Conclusion

93Nous avons fait le pari de nous détacher de toute définition préalable du handicap psychique, y compris des catégories administratives. En visant les échanges entre usagers comme unité d’analyse, au lieu des énoncés individuels, nous avons pu discerner des notions multiples, complexes et parfois contradictoires du handicap psychique. L’entretien collectif fonctionne alors comme une sorte d’arène quasi publique dans laquelle les représentations, réflexions et prises de positions se confrontent, se débattent et s’élaborent, produisant ainsi des éléments de savoirs « patientiques ».

94Bien que le handicap psychique ne soit pas précisément défini par les usagers, les relations, temporalisées, entre les retentissements de la maladie, l’environnement physique, les domaines de la vie quotidienne et surtout les relations sociales, ressortent clairement. Et paradoxalement, dans les dispositifs de santé mentale voués à l’inclusion ou l’intégration sociale, les usagers se sentent « handicapés » par la division entre cet « intérieur » et l’« extérieur » du monde des « normaux », dans lequel leur handicap demeure invisible.

95Les politiques relatives au handicap psychique pourraient bénéficier de la diversité des points de vue des personnes les plus concernées : les sujets atteints de troubles psychiques graves. Ces usagers doivent nécessairement être présents dans les instances où la catégorie d’usager était jusqu’alors confinée aux proches du malade. Comme pour les maladies somatiques, les expériences individuelles partagées à partir de groupes, formalisés ou pas, devraient être recueillies et synthétisées dans des récits collectifs, pour servir de base d’informations aux usagers, aux professionnels et aux politiques, à côté des innovations venant des domaines médico-social et psychiatrique. L’enjeu reste d’éviter qu’à travers les processus de reconnaissance, le handicap psychique ne fabrique des formes de handicap par substitution, ou « doubles », qui renforcent les préjugés contre les mêmes catégories dont il s’agit de se distinguer. Les « savoirs patientiques », tirés de l’expérience vécue des personnes souffrant de troubles psychiques graves, aident à saisir le fait que la reconnaissance du handicap psychique peut produire, en contradiction avec son objectif initial, un effet stigmatisant et marginalisant pour les personnes reconnues administrativement et socialement comme telles.

Notes

  • [*]
    Anne M. Lovell : anthropologue de la santé, directrice de recherche à l’INSERM au Centre de recherche Psychotropes, ** Santé mentale, Société (CESAMES – INSERM U611 – CNRS UMR 8136-Université Paris-Descartes).
  • [**]
    Aurélien Troisoeufs : doctorant en anthropologie de la psychiatrie, membre du CESAMES.
  • [***]
    Marion Mora : psychologue de la santé à l’INSERM, U912 (SE4S), Marseille, à l’Université d’Aix-Marseille (IRD, UMR-S912) et à l’ORS PACA.
  • [1]
    Les auteurs remercient chaleureusement toutes les personnes qui ont participé aux entretiens collectifs, ainsi que les chefs de service, les psychiatres et les responsables des GEMs qui nous ont permis de réaliser nos entretiens dans leurs services et associations. Merci à Sabou Gomis pour ses transcriptions des entretiens, et à Chantal Mougin pour ses relectures. Alain Ehrenberg et Samuel Bordreuil ont apporté des commentaires bien utiles au manuscrit, et Sandra Aubisson aux premières phases du projet.
  • [2]
    « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »
  • [3]
    À la différence de notre recherche, celle-ci choisit sa population par rapport à la définition préalable et administrative de handicapé psychique.
  • [4]
    L’Union nationale des associations de familles et d’amis de malades psychiques (UNAFAM) ; la Fédération d’aide à la santé mentale – Croix-Marine (FASM) et la Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie (FNApsy).
  • [5]
    Définitions et enjeux du handicap psychique et de ses notions connexes : une approche pragmatique, recherche qui a été financée dans le cadre du programme de recherche de la Mire (Mission Recherche de la DREES) sur le handicap psychique (appel d’offre 2005) : Convention de recherche n° 05/126 du 02 septembre 2005, A. Lovell, responsable scientifique.
  • [6]
    Circulaire DGAS/3B n° 2005-418 du 29 août 2005 relative aux modalités de conventionnement et de financement des groupes d’entraide mutuelle pour personnes souffrant de troubles psychiques.
  • [7]
    Voir aussi Callon et Rahebisaroa (1999), sur les silences et l’inarticulé qui suggèrent la possibilité d’une éthique individuelle et située, dans le cas d’un individu porteur du gène pour la myopathie mais s’écartant des positions communément affichées par les associations de malades.
  • [8]
    Dans un souci d’anonymat, le nom des lieux et des sujets présents dans l’article ne reflètent aucunement leur véritable identité.
  • [9]
    En référence au Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) fréquenté par plusieurs adhérents au GEM.
  • [10]
    Je remercie Alain Ehrenberg pour cette remarque. La valeur des relations avec l’extérieur ou l’intérieur dépend des sujets en mouvement. Par exemple, le bridging permet aux plus précaires de s’en sortir, tandis que le binding assure aux élites la reproduction de leur monde (Lovell, A. M. 1992).
  • [11]
    Bien que l’AAH, au montant maximum de 621,27 € en 2007, était plus important que le revenu minimum d’insertion (RMI) de l’époque, à 440,86 € pour un foyer composé d’une seule personne. Le RMI est aujourd’hui remplacé par le revenu de solidarité active (RSA), ou 454,63 €, pour un foyer composé d’une seule personne, contre un AAH de 669,96 €.
  • [12]
    Au moment de notre enquête, les CAT étaient déjà remplacés par les Établissements et services d’aides par le travail (ESAT). Les usagers continuaient à se référer au CAT.
Français

Résumé

En France, malgré le mouvement des associations de malades, les personnes ayant des troubles mentaux graves n’ont pas encore consolidé un savoir partagé de leur condition. Cet article se démarque des définitions officielles, bien qu’encore instables, du handicap psychique, afin de montrer que l’échange d’expériences de ces personnes peut néanmoins produire les éléments d’un savoir ordinaire, que l’on qualifie de « patientique », et qui recouvre des situations où l’interaction de la maladie et du contexte et de la vie quotidienne se ressent. Des entretiens collectifs avec des membres de Groupes d’entraide mutuelle (GEM) et des patients hospitalisés nous ont permis de relever – grâce aux principes perspectivistes et d’analyse de conversation modifiée – des aspects centraux de l’expérience partagée de ces usagers, à la fois effets et sources de handicap. Ils font émerger par ailleurs la qualité invisible du handicap psychique comme obstacle au retour vers le monde des « normaux ». Enfin, les effets dérivés des soins, des relations, et des prises en charge administratives, rapportés par les interviewés, constituent une sorte de double, ou handicap de substitution, comme le « handicap iatrogène » lié à la médication. Le savoir patientique aide ainsi à identifier le risque de reproduire ce contre quoi la reconnaissance du handicap psychique a été mise en place, à savoir la stigmatisation et la marginalisation.

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Anne M. Lovell [*]
Anthropologue de la santé, directrice de recherche à l’INSERM, au CESAMES (INSERM U611 – CNRS UMR 8136-Université Paris-Descartes). Elle travaille sur l’anthropologie du médicament, les transformations dans le domaine de la santé mentale et de la psychiatre et les séquelles des catastrophes collectives.
  • [*]
    Anne M. Lovell : anthropologue de la santé, directrice de recherche à l’INSERM au Centre de recherche Psychotropes, ** Santé mentale, Société (CESAMES – INSERM U611 – CNRS UMR 8136-Université Paris-Descartes).
Aurélien Troisoeufs [**]
Doctorant en anthropologie de la psychiatrie, membre du laboratoire CESAMES (Centre de recherche Psychotropes, Santé mentale, Société), INSERM U 611, CNRS UMR 8136, université de Paris-V. Ses travaux portent sur l’anthropologie des associations d’usagers de la psychiatrie et les Groupes d’entraide mutuelle (GEM).
  • [**]
    Aurélien Troisoeufs : doctorant en anthropologie de la psychiatrie, membre du CESAMES.
Marion Mora [***]
Psychologue de la santé affiliée à l’INSERM, U912 (SE4S) de Marseille, à l’université Aix-Marseille (IRD, UMR-S912), et à l’ORS-PACA. Actuellement, elle coordonne des projets de recherche en sciences sociales sur les maladies transmissibles (Infection à VIH / VHC).
  • [***]
    Marion Mora : psychologue de la santé à l’INSERM, U912 (SE4S), Marseille, à l’Université d’Aix-Marseille (IRD, UMR-S912) et à l’ORS PACA.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
https://doi.org/10.3917/rfas.091.0209
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