1Qu’est-ce qui permet à de jeunes adultes pris en charge pour des troubles mentaux divers – schizophrénie, troubles de l’humeur, troubles du comportement, anorexie, dépression... – d’accéder à l’autonomie ou, à l’inverse, contrecarre le processus d’émancipation [1] ? Serait-ce la maladie elle-même, sa gravité intrinsèque, son « cours naturel » ? Ou bien la qualité – précocité, modalités – de la prise en charge ? Ou bien encore les ressources économiques, culturelles, sociales dont disposent les jeunes et/ou leurs familles, les décisions qu’ils prennent ?
2Répondre d’emblée à ces questions suppose qu’il est possible de décider a priori ce que signifie, pour tout jeune, devenir adulte, voire quelles sont les étapes, pour un jeune « normal », de ce devenir. C’est également postuler qu’il existe un consensus social sur le contenu de l’autonomie à atteindre et que les jeunes intéressés, les personnes impliquées dans leur accompagnement et leur prise en charge, poursuivent un objectif commun : une situation d’avenir relativement stable et déterminable au sortir de la jeunesse.
3Ces postulats sont en partie le produit d’une époque qui érige l’autonomie en valeur cardinale de l’individu moderne, accompli. Ils sont logiquement reproduits dans les politiques publiques qui ont fait de l’autonomie un référentiel majeur, en particulier les politiques de la jeunesse et celles à destination des personnes handicapées. Ils sont activés par l’angoisse des familles qui, anticipant leur propre vieillissement et leur disparition, cherchent à s’assurer que leurs enfants sont – seront – capables de se « débrouiller sans eux ».
4Pourtant, que faut-il penser de cette jeune fille de 22 ans, diagnostiquée schizophrène, suivie en psychiatrie depuis une dizaine d’années, qui partage désormais un appartement loin de sa famille, avec son ami. Ni l’un ni l’autre ne travaillent, ils bénéficient de diverses aides financières, institutionnelles ou familiales. L’entourage et les professionnels la surveillent de près pour qu’elle « ne fasse pas de bêtises » et son ami lui établit tous les matins le planning des activités à accomplir. Est-elle autonome ?
5À l’opposé d’une vision de l’autonomie comme synonyme d’indépendance et situation stable et définitive accessible à un moment t de l’existence, l’autonomie est d’abord apparue dans la recherche en tant que processus d’ajustements permanents, de négociations, d’expérimentations entre les jeunes, leurs familles et les professionnels. En outre, les formes d’interdépendances dans lesquelles les jeunes adultes vont s’inscrire, voire dont ils vont se satisfaire, à un moment de leur vie, ne se comprennent que resituées dans une tension entre l’adhésion à la norme sociale de l’autonomie comme indépendance et l’histoire de leurs relations passées à la famille, aux institutions, aux professionnels.
Plutôt que de répondre d’emblée à la question de l’autonomisation, de décrire des obstacles, de montrer le rôle des ressources économiques, culturelles et sociales des parents dans la construction des parcours et la reconnaissance d’un handicap, nous nous interrogerons donc d’abord sur cette notion d’autonomie désormais centrale dans les politiques du handicap afin d’éviter d’ériger l’indépendance en norme. Ensuite nous examinerons successivement la question de la décohabitation et le rôle de l’insertion professionnelle dans l’accession à l’autonomie des jeunes adultes pris en charge pour des troubles mentaux.
Encadré méthodologique
• Les jeunes concernés ont des diagnostics de schizophrénie, psychose infantile, dépression, troubles du comportement, état limite, toxicomanie, anorexie ou sont sans diagnostic.
• Le suivi longitudinal a consisté en trois phases de recueil de données espacées d’un an entre 2005 et 2008. Les monographies ont été construites en croisant le discours des jeunes avec celui de personnes qui ont participé à la prise en charge : membres de la famille et/ou professionnels du sanitaire ou du social. Les jeunes ont été recrutés dans la ville de Toulouse auprès de deux secteurs infanto-juvéniles et un secteur adulte de psychiatrie, dans deux instituts thérapeutiques éducatifs et thérapeutiques (ITEP), un établissement et service d’aide par le travail (ESAT), un centre de soin aux toxicomanes et une association de familles et d’amis de malades psychiques.
• Quatre-vingt-douze entretiens ont été effectués et quarante entretiens complémentaires ont été menés auprès de parents, jeunes et professionnels.
• De plus, cent vingt-six dossiers médicaux de demande de reconnaissance du handicap pour troubles psychiques, concernant des jeunes de 18 à 25 ans, ont été consultés au sein d’une maison départementale des personnes handicapées (MDPH).
L’autonomie comme norme d’indépendance et référentiel des politiques publiques
6La post- ou la seconde modernité se caractérise pour de nombreux auteurs par un nouvel individualisme, un déclin des formes traditionnelles d’appartenance ; l’individu serait libéré des contraintes que faisaient peser sur lui la tradition et la communauté. Dans ce contexte social et culturel, il serait appelé à « s’inventer lui-même », à choisir son héritage, son identité, ses appartenances et sa morale, à se transformer en acteur de sa propre vie, en agent capable de changer sa situation. « L’individu est amené à construire son existence en ayant de moins en moins recours à des modèles imposés ou hérités et à s’orienter en fonction de choix laissés à son appréciation. La sécurité et la contrainte liées à la tradition cèdent la place à l’autodétermination et à l’incertitude, l’individu devient incertain à mesure que s’accroît le souci de soi » (Mossu, 2005, p. 32).
7Être adapté aujourd’hui signifierait devenir acteur autonome et responsable de sa trajectoire de vie. Revendiqué par les uns, le modèle s’impose pourtant à d’autres (Castel, Haroche, 2001) : l’autonomie serait devenue un devoir de l’individu, un devoir-être. La normativité de l’injonction à l’autonomie peut devenir source de souffrance, contrainte sociale et culturelle qui s’exerce aussi sur les jeunes atteints de troubles mentaux et leurs parents.
8En toute rigueur, l’autonomie ne s’oppose pas à l’indépendance mais à l’hétéronomie, entendue comme l’état de la volonté qui puise hors de soi, dans les règles sociales, le principe de son action. Être autonome, c’est se donner à soi-même sa propre loi, c’est ne pas être soumis à une loi étrangère. Mais cette définition n’est guère opératoire pour les sociologues. On peut dès lors avec R. Le Coadic lui préférer la suivante : « L’autonomie individuelle pourrait être conçue comme la faculté et la capacité concrète pour les individus d’effectuer les choix et de réaliser les actions qui leur importent, en s’appuyant sur leur autoréflexion, sans que des formes de manipulation, de tromperie ou de coercition viennent interférer dans leurs choix et leurs actions » (Le Coadic, 2006, p. 331).
9« L’autonomie socialement construite ne signifie aucunement « indépendance absolue », ou « liberté individuelle » face aux « contraintes sociales » (Lahire, 2005). Plutôt que d’envisager l’individu comme une monade, un être autosuffisant, on peut concevoir l’autonomie comme processus, mouvement incessant entre des formes de relations et d’autres, passages entre les inévitables dépendances présentes et le désir de les gérer au mieux, à son propre bénéfice. En ce sens, être autonome, c’est pouvoir exercer le choix de ses interdépendances, c’est la liberté relative de l’individu au sein d’un groupe, avec des autruis choisis.
10La centralité de l’autonomie est probante dans la loi de 2005 en faveur des personnes handicapées. Pour le handicap psychique, la dépendance est également devenue le critère permettant de déceler le handicap et de prétendre à un droit à compensation, avec le même risque de confusion autonomie / indépendance. Le rapport Charzat de 2002 [4] sur les personnes en situation de handicap se donnait ainsi pour objectif d’« explorer tout le champ de l’autonomie, de la participation sociale et de la qualité de vie : se loger, se nourrir, disposer de ressources, participer à des activités à valeur sociale (dont travailler, mais aussi participer à des actions collectives) ou personnelle (se cultiver, se divertir), lutter contre l’isolement ».
Le handicap psychique est ainsi défini en partie relativement à son contraire qui serait l’autonomie empêchée par des dépendances et des incapacités. Sans que l’on soit certain que l’autonomie en question ne corresponde pas à une absence de dépendances, c’est-à-dire une norme sociale potentiellement source de souffrances pour tous ceux qui ne peuvent y parvenir.
Devenir adulte et décohabitation
11Qu’en est-il de l’autonomie dans les politiques publiques de la jeunesse et que nous apprend la littérature sociologique sur le devenir adulte ? Que des jeunes soient autonomes ou s’autonomisent c’est-à-dire se donnent leurs propres règles, sans être pour autant indépendants – sans donc disposer des ressources notamment économiques pour se passer de l’aide des parents – est devenu sinon la norme au sens statistique, du moins chose courante. Au point que cette question constitue le « problème social » des jeunes adultes dans les politiques publiques de la jeunesse.
12Devenir adulte dépend de conditions objectives sociales et économiques. Ces conditions sont la résultante de choix politiques au sens d’un choix dans le partage des postes, des pouvoirs, des revenus entre générations. C’est aussi le résultat de politiques publiques : de la jeunesse, de l’accès au logement, de la formation… C’est encore le choix d’articuler selon certaines proportions le partage des charges et des responsabilités entre l’État et la famille. Avec François de Singly, on peut se demander si c’est à la politique familiale de prendre en charge les problèmes engendrés par les transformations du marché de l’emploi (1998) mais tout aussi bien si c’est à une politique du handicap de le faire. C’est toute la question de la définition des catégories ciblées et des frontières d’interventions potentiellement poreuses.
13Comme le note le rapport de la Commission nationale pour l’autonomie des jeunes (CNAJ) de 2002 ; « la France se distingue particulièrement au plan européen quant à sa politique en matière d’aides personnelles au logement […]. L’aide publique au logement a contribué largement à favoriser le processus d’autonomisation résidentielle des jeunes ». On peut y voir à la fois la réponse à une demande sociale et dans le même temps, une conception du devenir adulte, en fonction d’une définition normative de ce qu’est l’autonomie, de la manière dont doit se réaliser normalement l’accès à l’état d’adulte [5].
14En France, on considère souvent qu’un jeune n’est adulte que lorsqu’il n’habite plus chez ses parents et qu’il travaille. « En France, l’apprentissage de l’autonomie est considéré comme un processus constitutif de l’accès à l’âge adulte. Les parents en font un objectif éducatif majeur. De leur côté, les jeunes considèrent que rester trop longtemps chez leurs parents constitue un handicap » (Gaviria, 2001). Les comparaisons européennes montrent l’hétérogénéité dans les conceptions légitimes du devenir adulte ainsi que celle des parcours.
15La sociologie de la jeunesse a acté – et analysé – les évolutions sociales les plus récentes. Après avoir décrit un « allongement de la jeunesse », c’està-dire un retardement des étapes de décohabitation, d’insertion professionnelle et de mise en couple, les auteurs mettent en exergue des changements qualitatifs. « Désormais progressives, discontinues et réversibles, ces étapes perdent de leur pouvoir de scansion collective des parcours » (Van de Velde, 2008). Les jeunes adultes multiplient les expériences sociales – émergence d’une « logique d’expérimentation » – dans les différentes sphères de l’activité sociale, dans l’emploi, la mise en couple, la décohabitation. « L’exemple de la décohabitation est particulièrement symptomatique de ces évolutions. De nombreux individus peuvent ainsi se dire adultes tout en vivant chez leurs parents. » L’exigence d’autonomie propre à l’état d’adulte est également découplée de l’indépendance financière.
16Ainsi l’autonomisation, entendue comme processus du devenir adulte, se réalise-t-elle dans une tension entre l’autonomie et l’hétéronomie, une oscillation entre le statut d’enfant et celui d’adulte (Cicchelli, 2001). Chez les jeunes, les représentations du devenir adulte se sont reportées « d’une indépendance matérielle à acquérir vers une autonomie à construire, un processus long et qui tend vers l’inachevé » (Van de Velde, 2008).
17La réversibilité des phénomènes qui conduisent les jeunes adultes à de multiples réajustements de leurs attachements ont été logiquement retrouvés chez les jeunes enquêtés : dans les décohabitations à l’essai, les tentatives d’indépendance financière, les sorties d’institution, les expériences d’insertion professionnelle.
18On objectera que les difficultés des jeunes atteints de troubles psychiques à s’autonomiser ne sont pas celles des autres jeunes. Ce faisant, on restreint implicitement la population concernée aux jeunes dont la pathologie est bien identifiée [6] et plus encore à celle considérée a priori comme la plus grave (en quels sens ?) c’est-à-dire la schizophrénie. Or tant le rapport Charzat préparatoire à la loi de 2005 que le rapport de 2004 sur « la prévention et la prise en charge des adolescents et jeunes adultes souffrant de troubles psychiatriques » (IGAS, 2004) incluaient une grande diversité de pathologies et de troubles susceptibles d’une politique publique de soutien : troubles anxieux, troubles du comportement alimentaire, autisme, troubles de l’humeur et schizophrénie, états limites, troubles de la personnalité, dépendances. Il paraît donc aujourd’hui difficile d’opposer une manière normale de devenir adulte, de décohabiter – quel que soit le sens que l’on donne à cette notion de normalité – à des difficultés que rencontreraient de manière typique les jeunes souffrant de troubles mentaux.
19Devenir adulte, est-ce décohabiter et se mettre en couple ? Ce n’est pas l’avis de Lucie :
« – Est-ce que vous vous sentez adulte maintenant?
– Depuis que j’ai quitté mon copain oui. Le jour où j’ai réussi à le quitter ça m’a fait du bien et là j’ai commencé à grandir ».
21Régis, 22 ans, est parti de chez ses parents à 16 ans, il a parcouru les routes dans toute la France, en camion, de technival en autres rassemblements. Au moment de l’entretien, il vient de connaître une première mise en couple, en appartement, qui a avorté. Dès ses premiers voyages, Régis a pris l’habitude, lorsqu’il n’avait plus d’argent ou avait besoin de souffler, de revenir passer quelques jours chez sa mère avec qui il n’avait pas définitivement rompu. Toutefois, à mesure qu’il s’ancre dans son traitement, qu’il consolide les relations avec les soignants, il se rapproche de sa mère.
22L’autonomie est d’autant moins l’indépendance par rapport aux parents que nombre de jeunes ont été séparés de leurs parents par une prise en charge institutionnelle, parfois très précoce – à l’âge de l’école primaire – ou ont rompu pendant l’adolescence ou les premières années de la majorité avec leurs parents. Pour certains, devenir autonome c’est dès lors se déprendre de l’institution et pouvoir renouer des liens avec la famille. Devenir adulte c’est créer une nouvelle distance avec les parents : « La semaine j’étais au foyer et le week-end chez mes parents, donc c’était foyer parents, foyer parents » (Laurent, 21 ans).
23Pour beaucoup de ces jeunes, on ne devient pas adulte en décohabitant c’est-à-dire en se séparant d’une famille constituée de deux parents dans laquelle on a grandi jusqu’à l’âge de la majorité. Il s’agit de décohabiter de l’internat, des institutions. Devenir autonome, c’est se déprendre de l’institution.
24Youssouf par exemple ne se limite pas à décrire sa dés institutionnalisation comme le moyen de son autonomisation. Il critique l’institutionnalisation et les dépendances qu’elle forge, l’incapacité dans laquelle elle laisse à faire face à la vie en société. Il lui reproche de ne pas préparer à la vie à l’extérieur : « Le plus difficile c’est qu’on est couvé. On voit la vie dans un institut médicalisé donc quand on sort de là, ça fait vraiment un choc… Je pense que c’est important de voir la vie telle qu’elle est à l’extérieur, de ne pas vivre enfermé dans un centre et de voir tous les jours les mêmes personnes parce que c’est ça, on ne voit pas les gens extérieurs. On les voit mais on est toujours avec des éducateurs. Au bout d’un moment quand on vous lâche, vous ne savez plus vous débrouiller » (Youssouf, 20 ans).
25Pour certains, la norme d’indépendance par rapport aux parents n’est pas intériorisée ou bien elle fait peur car elle implique de se retrouver seul, isolé. D’autres ne voient pas l’urgence de décohabiter, quand bien même ils auraient 25 ans ou plus.
« – Tu as le projet de trouver un appartement?
– Non, ça ne me tient pas forcément à cœur, au contraire, je n’ai pas forcément envie de vivre seul. Je suis en train d’y penser en fait de plus en plus puisque ça ne va pas tarder à arriver mais c’est vrai que vivre seul ça ne m’enchante pas quoi »
« – Vous songez à prendre un appartement?
– Pas encore non, pas encore. Là je suis à la maison avec les parents donc ça se passe bien, peut être euh je ne sais pas deux ans, trois ans… On verra »
Les jeunes adultes interrogés justifient la cohabitation parentale tardive d’une part par l’absence des conditions objectives permettant la décohabitation (surtout en lien avec l’activité professionnelle) et d’autre part par des facteurs moins tangibles comme le confort et la sécurité de la cellule familiale. En effet, dans un contexte de gestion collective de la maladie psychique, les relations de dépendance entre les parents et les jeunes adultes peuvent aller au-delà de celles qui seraient définies comme des relations de dépendance dites « normales » pendant l’enfance puisque perdure un travail collectif autour du soin et du care plus généralement, c’est-à-dire du bien-être global de la personne souffrante. Si le passage à l’âge adulte des jeunes souffrant d’une maladie psychique ne peut être différencié à bien des égards de celui de l’ensemble des jeunes, la décohabitation dans ce contexte doit néanmoins prendre en compte ces enjeux particuliers que partagent les membres d’une famille dans la gestion des difficultés découlant des troubles psychiques.« – Et toi au niveau du logement, est ce que tu as envie d’avoir un appartement autonome ou c’est pour plus tard?
– Ben c’est enfin c’est pour plus tard quoi, enfin je ne suis pas pressé, je reste plus longtemps chez mes parents pour les papiers, les factures et tout ça. Enfin je ne suis pas pressé de partir de chez moi quoi. Déjà je préfère attendre que je trouve un boulot quoi, que ça se passe bien quoi, passer mon permis… »
Devenir adulte et insertion professionnelle : une question identitaire et pas (seulement) d’indépendance financière
27Le taux de chômage des jeunes est en moyenne près du double du taux moyen, leur intégration dans un emploi stable passe souvent par une suite d’emplois de courte durée, ils sont mal pris en charge par l’assurance chômage. « Les évolutions sur les vingt dernières années de quelques indicateurs simples suggèrent que les conditions de l’insertion des jeunes se sont dégradées entre le début des années 1980 et la fin des années 1990. Une plus grande flexibilité n’a pas permis de limiter la progression du chômage des jeunes. Il est plus fréquent de débuter par un emploi temporaire, mais celui-ci débouche de moins en moins sur un emploi en CDI » (Givord, 2006) [7].
28Pour tous les jeunes rencontrés, qu’ils travaillent ou aient travaillé en milieu protégé ou ordinaire, l’emploi représente un objectif. Pas nécessairement pour des raisons financières d’ailleurs mais notablement pour des raisons identitaires, pour accéder à la normalité. Or le passage à l’âge adulte relève évidemment aussi d’une problématique identitaire. Potentiellement facteur d’insertion sociale et d’identité positive, l’emploi occasionne pourtant fréquemment de fortes angoisses, soumet les jeunes à un stress important et peut se révéler facteur de rechute.
Les difficultés du maintien dans l’emploi
29La question de l’insertion professionnelle est, du point de vue de la contrainte normative qu’elle représente, exemplaire. Les jeunes enquêtés déclarent moins une difficulté à trouver un emploi qu’à s’y maintenir. Ils décrivent des parcours dans lesquels alternent emplois, inactivité et reprise des soins de manière intensive.
30Vécues comme des échecs, les expériences interrompues d’emploi les interrogent sur leurs propres capacités mais également activent une peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas tenir le coup :
« C’est dans ma tête que ça pose problème parce que j’ai l’impression de ne pas être à la hauteur, j’ai peur de péter les plombs à nouveau à cause de la pression ou du manque de respect. »
« J’ai peur que ça se passe mal quoi, enfin voilà, ça me fait stresser. »
« Par difficultés je veux dire c’est au niveau relationnel, donc du coup de la confiance en soi, de l’équilibre de l’humeur. »
« Ça ne s’est pas bien passé avec les employés, je ne m’entendais pas bien avec eux et j’étais pas bien encore et j’avais un tel stress que j’ai eu très peur de retomber. »
32C’est dans le contexte des « tensions de la flexibilité » que les jeunes doivent s’insérer professionnellement et leur vulnérabilité s’en trouve accrue. Cette expérience du stress dû au travail, quasiment tous la partagent. Certains tiennent, d’autres non.
« Le travail c’était très dur, c’est pour ça que j’ai pété les plombs. D’un certain côté je me dis que j’aurai pu tenir plus longtemps mais à un certain stade j’ai préféré me protéger en fait parce que voilà je rentrais le soir, je pleurais de surcharge quoi, d’énervement. »
« Oui, j’ai retravaillé en mi-temps thérapeutique et ça n’a pas marché. Je ne sais pas si c’était à cause de la pression ou le travail qui était trop dur je ne sais pas mais j’ai pété les plombs. »
« Personnellement j’ai eu du mal à gérer la pression, donc j’ai peut-être perçu une grosse pression alors qu’elle n’aurait pas dû être si grosse un truc comme ça, ça c’est très mal passé dans mon équipe, très mal. »
34Ce qu’expriment ici également les personnes interviewées, constitue un questionnement sur les conditions de travail et les capacités, comme la volonté, de les endurer. Finalement, elles s’interrogent sur le sens du travail et la reconnaissance qu’il est censé procurer, dans une perspective critique que l’on retrouve fréquemment chez les jeunes (Scher, 1999) :
« Je sais que ça arrive à pleins d’autres de craquer et que les autres le gèrent sans doute beaucoup mieux que moi parce que je pense que les gens ne sont pas tous heureux de faire ce qu’ils font. »
« Ici, je fais un peu tout, je fais de la manutention, je m’occupe du dépôt, je suis vendeur, je sers les clients, je m’occupe de la PAO, vite fait et des fois je m’occupe du secrétariat et on est que trois donc des fois il y a trois ou quatre choses en même temps à faire, c’est un peu speed, c’est ce côté-là speed qui me fatigue, qui me stresse, et le salaire, il ne correspond pas par rapport à ce que je fais, voilà bon parce que si le salaire suivait, je pourrais me dire, on va voir. »
« – Et au niveau de votre travail, est ce que vous avez des difficultés particulières ?
– Non, non pas de difficultés, non. Si… surtout le matin, sept heures tous les matins, tous les jours le même truc, c’est galère. Mais on gère, petit à petit. »
36Le marché de l’emploi et les nouvelles organisations du travail accroissent des difficultés communes à la majorité des jeunes adultes. Le milieu protégé représente pour des jeunes qui choisissent, ou sont obligés, de s’y maintenir une relative protection, quand bien même il ne paraît pas offrir suffisamment de perspectives d’avenir.
Les jeunes et le rapport à l’emploi
37Par delà ces tensions dues aux formes les plus récentes que prend l’insertion professionnelle – précarité, instabilité, transitions stage-emploi-chômage – qui constituent le contexte auquel se confrontent les jeunes ayant des troubles psychiques, l’analyse des dossiers déposés à la MDPH comme les monographies amènent à distinguer nettement deux profils de jeunes sous l’angle du rapport à l’emploi.
Les jeunes institutionnalisés très tôt
38Le premier profil concerne des jeunes institutionnalisés très tôt, en Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP), en Institut médico-éducatif (IME) voire, plus rarement, dans le secteur psychiatrique. Le passage par le Centre de formation par l’apprentissage spécialisé (CFAS) a souvent conclu des parcours de formation ayant abouti à des niveaux scolaires très faibles : niveau primaire, sixième, BEPC et des diplômes de CAP ou BEP. Point ici de « trajectoires brisées » (Bungener, 1995) par la maladie même si quelque chose a bien un jour débuté qui a donné lieu à une institutionnalisation, mais plutôt des carrières morales de malade au sens de Goffman [8], c’est-à-dire une institutionnalisation précoce, ce « moment crucial » qui a entraîné la modification que l’individu et les autres se faisaient de son identité et la socialisation centrée sur la maladie qui se réalise dans la fréquentation des institutions.
39Néanmoins, ces types de parcours ne constituent pas des carrières de handicap au sens de Goffman – l’institutionnalisation constituant pour cet auteur un moment crucial et de réaménagement du moi. Le parcours de Sébastien (22 ans) illustre de façon pertinente ce qui pourrait être « une carrière » de personne en situation de handicap psychique. D’abord parce qu’il a débuté une prise en charge psychiatrique dès l’enfance ce qui a amené une rupture scolaire précoce puis une orientation au début de l’âge adulte vers une institution médico-sociale d’aide par le travail.
40Sébastien a fait l’épreuve de l’institutionnalisation précoce. S’en est suivi une « carrière » dans les institutions médico-sociales, de l’enfance à l’âge adulte. Cependant, cette trajectoire n’est lisse que d’apparence puisque le choix de son orientation professionnelle a fait l’objet de vives négociations à la sortie de l’ITEP. Si l’équipe pluridisciplinaire des professionnels visait une séparation familiale afin de mettre en œuvre son autonomie vis-à-vis de la cellule familiale au prix d’une prise en charge soutenue dans le milieu protégé, les parents, eux, projetaient la réalisation de l’autonomie de leur fils par un logement indépendant et par un travail en milieu ordinaire. Ainsi, l’orientation vers la filière protégée du travail a été marquée par des tensions entre des projets différents et elle a dû faire l’objet de justifications. La prise en charge précoce ne débouche donc pas forcément sur une carrière institutionnelle et un travail dans la filière spécialisée du handicap puisque des moments sont prévus pour renégocier le placement à l’occasion d’une sortie d’établissement ou tous les deux ans, par exemple, dans certains établissements. Les jeunes adultes sont donc, dans ce cas aussi, soumis à l’épreuve de la définition de leur projet de vie qu’ils confrontent lors de réunions d’équipe ou de commissions.
41Pour ceux qui sortent des dispositifs du handicap, l’insertion dans le milieu ordinaire représente une véritable bifurcation biographique et un enjeu identitaire fort. Il s’agit de passer d’une période de la vie où la maladie était le tout de la vie – où l’on vivait avec d’autres malades, loin des parents, de l’école ordinaire, en institution, entouré de professionnels du soin, à une maîtrise des conséquences de la maladie : elle doit devenir secondaire, un élément parasite à gérer pour intégrer la normalité. Ces jeunes évoquent « la vraie vie » à propos de la sortie des institutions et du travail ordinaire.
42Dans le discours des jeunes qui quittent les dispositifs du handicap à l’âge adulte pour rejoindre l’emploi ordinaire, le travail occupe une place centrale dans un processus de reconstruction d’un soi non handicapé. Les références, nombreuses, au travail pointent sa « difficulté », les « lourdes responsabilités » qu’il comporte, les injonctions à l’efficacité, non pour les critiquer mais comme autant de sources de fierté. De même peut-il être temporaire ou mal payé mais, « au moins [on] travaille ».
43Dans ce cas de figure, la reconnaissance du handicap par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) est vécue comme temporaire. C’est le cas de Christophe (21 ans) qui a passé plusieurs années en ITEP. À la sortie de l’établissement, il obtient un travail avec une Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Stable dans cet emploi, il ne demandera pas de renouvellement du statut de travailleur handicapé. : « J’avais la reconnaissance de travailleur handicapé. Ils me l’ont fait faire, pour le boulot. Ils le font faire à tout le monde. Je trouvais ça bien mais vu que ça dure que deux ans, moi je suis resté dans la même boîte, ça peut plus trop me servir ». Il explique ensuite qu’il ne souhaite pas le renouvellement de cette reconnaissance car il ne se considère pas handicapé : « Moralement moi, je ne serais pas fier si j’avais encore la reconnaissance de travailleur handicapé, moi personnellement je ne l’aurais jamais fait parce que moralement pour moi, je ne suis pas un handicapé. »
L’institutionnalisation précoce ne se poursuit donc pas forcément sur une institutionnalisation au début de l’âge adulte. Les jeunes peuvent souhaiter sortir des dispositifs spécialisés pour retrouver ceux du droit commun. Mais d’aucuns feront l’expérience du retour vers l’aide de la MDPH face à une succession d’échecs dans l’emploi ordinaire : « [À la sortie de l’ITEP], j’ai fait des stages à gauche à droite qui n’ont pas débouché et puis j’ai fait un stage en ESAT et puis voilà, je suis venu et ça fait deux ans que j’y suis. » (Yannick, 24 ans.)
Il semble que le dispositif actuel permette ces allers-retours mais l’on peut faire l’hypothèse de disparités locales et de freins à cette souplesse, liés à la quantité de dossiers à traiter par les professionnels des MDPH.
Les jeunes dont la pathologie est apparue ou a été reconnue tardivement
44Dans le rapport à l’emploi et à l’insertion professionnelle, le second profil est constitué de jeunes dont la pathologie est apparue ou a été reconnue tardivement et l’on trouve majoritairement ici des diagnostics d’états psychotiques. De ce fait, ces jeunes ont suivi une scolarité ordinaire et, pour bon nombre, ils ont entamé des études supérieures [9]. La maladie a produit chez eux une rupture dans la trajectoire scolaire ou professionnelle. La dimension insertion professionnelle du passage à l’âge adulte ne relève pas ici de la même problématique que précédemment puisque la question qui se pose est le maintien en milieu ordinaire et non la sortie du milieu spécialisé. En ce sens, pour une partie des jeunes et de leurs familles, nous sommes face à des stratégies d’évitement du recours aux reconnaissances de la MDPH et de retour à la normalité après ce qui est vécu de manière volontariste comme la parenthèse de la maladie. En outre, la question de l’insertion professionnelle donne lieu à des conflits d’interprétation importants au sein de la famille sur le sens du non-travail et de l’absence d’autonomisation sous cet angle.
45L’idée du surgissement dans un quotidien normal est bien exprimée par la formule de plusieurs jeunes, formule que ceux du précédent profil n’utilisent guère : « on est tombé malade ». La maladie est un moment à passer, un désagrément qui vient interrompre le cours normal de la vie. Rencontré à l’hôpital lors du premier entretien et questionné sur le fait de savoir s’il avait des projets, Éric répond : « Oui, bien sûr, sortir d’ici. Travailler. »
46La maladie et les soins sont également conçus comme une perturbation qui vient déranger le cours normal de la vie, ou un mal nécessaire auquel il faut se rallier par raison : « Je suis habitué à travailler, j’avais un travail et puis d’un coup tac, je ne fais plus rien. Je suis un peu à cran, c’est normal ! »
47Ces jeunes parlent de la maladie comme de quelque chose qui ne les concerne pas totalement, ne modifie pas leur intégrité mais s’y surajoute temporairement. La maladie a interrompu le cours ordinaire de la vie plutôt qu’elle ne l’ait transformé. Ainsi les études et les activités habituelles sont-elles mises entre parenthèses et la fin des crises est-elle l’occasion de tenter de reprendre ce qui n’a été qu’interrompu. Reprendre ce qu’on faisait avant ou les études interrompues est un leitmotiv.
48Cependant, la manifestation des troubles peut perturber durablement la reprise de la formation ou l’accès à l’emploi. La maladie est redéfinie dans sa gravité et son irréversibilité : « J’ai découvert que j’avais des problèmes de bipolarité et donc j’ai réellement percuté depuis décembre là que j’étais malade à vie. »
49Les jeunes doivent alors redéfinir leur orientation professionnelle et l’ensemble de leur projet de vie. C’est à ce moment que les prestations compensatrices associées au statut de personne handicapé sont envisagées, en ultime recours. Ils opèrent alors un changement identitaire, ils construisent un « soi malade », mis en cohérence dans leur biographie. Après avoir octroyé une place à la maladie psychique dans leur parcours et leur identité, c’est le stigmate du handicap attaché au dispositif MDPH qu’ils doivent accepter.
50Le parcours d’Éloïse (22 ans) permet d’illustrer ce temps nécessaire au « devenir malade » puis à l’acceptation de son caractère durable.
51Après avoir suivi obtenu un bac S qui lui permet d’entamer des études universitaires, Éloïse tente trois années consécutives le concours d’orthophoniste puis abandonne ses études. Elle dit commencer à souffrir de ce qu’elle nomme une « dépression nerveuse » et après un court séjour dans un hôpital de jour, elle se fait hospitaliser à plusieurs reprises dans une clinique psychiatrique pour une durée d’un an et demi. Côté formation et emploi, elle tente un CAP puis enchaîne les CDD. Côté maladie, elle est confrontée à un diagnostic de troubles bipolaires qu’elle rejette – considérant qu’elle « est guérie » – et à une proposition de reconnaissance de situation de handicap qu’elle repousse également. Suite à des rechutes et plusieurs échecs professionnels, elle se dit lors d’un troisième entretien « incapable de reprendre une activité ». Elle a initié à ce moment des démarches auprès de la MDPH pour obtenir une reconnaissance de travailleur handicapé. Elle se reconnaît non seulement malade mais parle de « nous, les malades psychiques » et souhaite que le handicap psychique soit « reconnu par la société ». Comme pour d’autres jeunes de ce profil et leurs familles, la revendication d’une reconnaissance sociale de la catégorie de « handicap psychique » est une condition du recours aux dispositifs qu’elle permet.
52Cependant, c’est également au sein de la famille que le sens à donner aux difficultés d’autonomisation se négocie. L’accord sur le sens à donner aux difficultés à devenir adulte est un processus long, parfois conflictuel [10] et qui ne s’effectue pas au même rythme chez l’ensemble des membres de la famille.
53Si Éloïse reconnaît qu’il lui a fallu du temps pour accepter sa maladie, elle explique que, pour ses parents « ça a été problématique parce que eux ils ne l’acceptent pas. Ils me disaient “c’est pas grave quoi, ça va passer, ce n’est pas grave” ».
54D’autres jeunes expliquent :
« Au départ, ils ne m’ont pas cru [que j’étais malade], enfin mon père surtout, il croyait que j’étais feignasse, il ne comprenait pas que c’était au-dessus de mes forces et que je ne faisais plus rien et ma mère, elle ne m’a pas cru, elle croit que ce n’est pas une maladie que j’ai » (Patrick, 21 ans). « En troisième, j’ai fait ma première tentative de suicide, ma mère a pris ma dépression au sérieux. Et mon père il disait que je faisais du cinéma de toute façon, que j’étais une comédienne »
C’est, en conséquence, en tenant compte de ce contexte identitaire, familial qu’il faut comprendre à la fois la trajectoire d’entrée dans l’emploi, le rapport au travail et le recours aux dispositifs ordinaires d’aide à l’insertion professionnelle des jeunes versus aux dispositifs spécifiques de la MDPH récapitulés dans le tableau ci-après :« Ma mère elle savait très bien au fond d’elle, enfin elle se doutait que je faisais une anorexie mais comme tout bon médecin peut-être, ils ont été obligés de chercher d’abord la cause physiologique »
Tableau : Ensemble des dispositifs traversés par les jeunes adultes interrogés

Tableau : Ensemble des dispositifs traversés par les jeunes adultes interrogés
Conclusion
56L’expérience des troubles psychiques chez les jeunes adultes se traduit par la traversée de plusieurs dispositifs appartenant à des champs d’intervention différents. Le recours à ces dispositifs dépend d’une part de l’âge d’entrée dans la maladie et la prise en charge et, d’autre part, de la temporalité de l’acceptation de la maladie et de ses conséquences propres à chaque jeune et à sa famille. L’institutionnalisation précoce ne se poursuit pas (plus ?) nécessairement dans des prises en charge englobantes et spécifiques. Les jeunes peuvent traverser successivement et momentanément les dispositifs ordinaires et spécifiques, en faire l’expérience à différents moments de leurs parcours et pour construire des projets d’autonomie variables. Des sorties d’établissement et des orientations vers des dispositifs spécialisés ou de droit commun sont possibles et sont négociées lors de moments précis à la fois entre professionnels et familles mais également progressivement au sein même de la famille entre les jeunes et leurs parents.
57Bien qu’il soit possible de distinguer des parcours typiques, la reconstitution et l’analyse de processus d’autonomisation montre une forte individualisation des parcours malgré la prégnance de la norme d’indépendance et, pour ce faire, des usages diversifiés des institutions et des dispositifs.
58L’autonomie des jeunes adultes souffrant de troubles psychiques ne se fait pas en dehors de ces dispositifs. Les institutions sanitaires ou médico-sociales, au même titre que l’institution familiale, deviennent des cadres où s’acquiert l’autonomie par les voies de l’accompagnement et du « coping ». On apprend à faire face à la maladie, à s’adapter aux fluctuations d’un « soi » qu’on doit apprendre à gérer face à un environnement lui-même mouvant. De l’institution totale au sens de Goffman (1968) en tant que contrainte surplombant la personne malade, les dispositifs encadrants sont devenus des espaces où plane « l’esprit social de l’autonomie » (Ehrenberg, 2009). Désormais, avec le projet de vie entre autres, le sens de la règle institutionnelle s’exprime dans l’intimité. En traversant différents dispositifs, avec des continuités ou des bifurcations, les jeunes adultes sont soumis à un travail de mise en cohérence identitaire.
Notes
-
[*]
Audrey Parron : doctorante en sociologie, université de Toulouse-2, LISST.
-
[**]
François Sicot : professeur de sociologie, université de Toulouse-2, LISST.
-
[1]
Tous nos remerciements au Pr J.-P. Raynaud, pédopsychiatre, pour les échanges fructueux autour de cette recherche.
-
[2]
Cette recherche a été financée dans le cadre du programme de recherche de la Mire (Mission Recherche de la DREES) sur le handicap psychique (appel d’offres 2005).
-
[3]
Les jeunes adultes étaient informés de la méthode et savaient que d’autres entretiens étaient menés auprès de leurs parents et de professionnels ayant participé à leur prise en charge. Tous les noms des jeunes adultes dont les propos ou les histoires sont rapportés dans le présent article ont été changés.
-
[4]
Avec le Livre blanc des partenaires de santé mentale paru en juin 2001, le rapport Charzat a largement contribué à la légitimation de la notion de handicap psychique et sa présence dans la loi du 11 février 2005.
-
[5]
Voir aussi Lefresne, 2005.
-
[6]
On sait pourtant la réticence et/ou la difficulté des pédopsychiatres à poser un diagnostic pour une population par définition en pleine évolution psychique. Les institutions de soins et médico-sociales accueillent une grande part de jeunes sans diagnostic bien défini.
-
[7]
Il est désormais acquis dans les définitions officielles et les classifications que « l’état de fonctionnement et de handicap d’une personne est le résultat de l’interaction dynamique entre son problème de santé […] et les facteurs contextuels comprenant à la fois des facteurs personnels et les facteurs environnementaux » (OMS, 2001). Si le chômage massif et structurel des jeunes était considéré comme un de ces facteurs environnementaux, ce ne serait plus une politique du handicap qu’il faudrait mener mais bien plus globalement repenser la politique sociale et économique en ses fondements. Pour l’UNAFAM d’ailleurs, « la question du handicap psychique doit être inscrite dans la perspective plus générale du traitement institutionnel de l’inactivité professionnelle ».
-
[8]
Modifications du système de représentations par lesquelles l’individu prend conscience de lui-même et appréhende les autres (Goffman, 1968, p. 180).
-
[9]
Pour ceux qui sont entrés dans les dispositifs du handicap, le niveau scolaire trouvé dans les dossiers se situe entre le BEP, le CAP et la seconde année d’université.
-
[10]
On aura compris que ce n’est pas la seule identité des jeunes qui est en cause mais, à travers eux, celle de la famille. Entre handicap et maladie, il existe une hiérarchie du stigmate propre à chaque famille et en son sein entre les membres, hiérarchie susceptible d’évolutions au cours du temps. Il faut insister sur la distinction qu’il convient d’opérer entre le point de vue des parents et le point de vue de leurs enfants car cette question est au cœur de tout devenir adulte. Chacun des membres de la famille soupèse l’intérêt, le bénéfice secondaire – et le coût – identitaire – d’une reconnaissance de handicap. On remarquera en ce sens également l’insistance avec laquelle l’UNAFAM tient à différencier le handicap mental et le handicap psychique et à souligner l’intelligence de leurs enfants malades.