Introduction
1La schizophrénie est une pathologie mentale grave qui affecte environ 1 % de la population générale (APA, 1994). Malgré les progrès accomplis dans les traitements antipsychotiques, le handicap psychique sévère qui en résulte reste au premier plan et représente une des préoccupations majeures des cliniciens. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la schizophrénie représente la 8e cause d’incapacité chez les 15-44 ans, devant plusieurs affections médicales majeures, comme le cancer ou l’asthme. En Europe, 80 % des individus souffrant de schizophrénie sont sans emploi et la majorité est célibataires (Thornicroft et al., 2004). Pour ces raisons, l’étude du handicap psychique et de ses marqueurs (notamment ses corrélats cliniques : symptômes, profil cognitif) est actuellement considérée comme une priorité de recherche clinique pour améliorer le fonctionnement psychosocial des individus souffrant de schizophrénie.
2En tant que conséquence subjective directe de l’incapacité, la qualité de vie fait partie intégrante de la définition de la santé mentale et constitue un critère d’importance dans l’évaluation des besoins et des traitements (OMS, 2001). Selon des chiffres européens récents, les sujets souffrant de troubles psychotiques sont en moyenne moins satisfaits de leur vie que les individus exempts de pathologie mentale (Gaite et al., 2002 ; Thornicroft et al., 2004).
3On distingue habituellement deux types de qualité de vie (Quality Of Life : QOL). La QOL subjective se définit comme la satisfaction qu’a un sujet de sa propre vie, alors que la QOL objective fait référence aux conditions de vie, à la notion de participation et se base sur des indicateurs objectifs.
4Ces deux types de QOL sont donc évaluées de manière très différente, respectivement, par autoquestionnaire (i. e. rempli par le sujet lui-même) ou par hétéroquestionnaire (i. e. rempli par une tierce personne, le plus souvent un clinicien). Par conséquent, les évaluations objectives et subjectives de la QOL peuvent aboutir à des résultats divergents (Atkinson et al., 1997), notamment dépendant de la dimension considérée (e. g. relations sociales versus travail) (Sainfort et al., 1996). En outre, ils ne seraient pas associés aux mêmes facteurs : alors que les symptômes dépressifs et le fonctionnement cognitif seraient les meilleurs prédicteurs de la QOL subjective, les symptômes négatifs prédiraient quant à eux la QOL objective (Narvaez et al., 2008). Plus généralement, les points de vue du psychiatre et du patient sont très divergents concernant la conception de la QOL et de ce qui la détermine. La conception psychiatrique est centrée sur la maladie, les symptômes et les incapacités. Il semble que ce soit davantage les conditions et le style de vie qui importent pour le patient (Angermeyer et al., 2001).
5La QOL subjective est la plus à même de refléter le bien-être du sujet et sa propre perception du handicap psychique. Le simple fait de recueillir le point de vue du patient peut favoriser son implication dans la prise en charge et son adhésion au soin (Lehman, 1999). Récemment, il a été suggéré que des auto-évaluations standardisées du fonctionnement (QOL, besoins, sévérité des problèmes mentaux et alliance thérapeutique), effectuées de façon régulière, n’ont pas d’impact sur la perception subjective des problèmes, mais réduisent significativement la durée d’hospitalisation (Slade et al., 2006). De plus, la perception qu’a le sujet de lui-même et de son efficacité conditionne sa façon de se défendre face aux stresseurs environnementaux (Ventura et al., 2004). La QOL subjective a été reliée aux facteurs cognitifs, aux symptômes et aux facteurs émotionnels tels que la dépression (Wegener et al., 2005). Cependant, le poids de ces différents marqueurs varie selon les études (Bechdolf et al., 2003 ; Fujii et al., 2004) qui diffèrent toutes par les outils utilisés.
6Il faut rappeler que les notions de handicap et de QOL sont classiquement mesurées par le biais d’entretiens cliniques et/ou de questionnaires, administrés ponctuellement, et en dehors du cadre usuel de vie (e. g. milieu clinique, laboratoire de recherche). Plus particulièrement, la méthode classique de mesure de la QOL subjective consiste à demander au sujet d’évaluer lui-même les conséquences néfastes des différents symptômes ainsi que sa satisfaction dans plusieurs domaines de la vie, à l’aide d’autoquestionnaires. L’approche par autoquestionnaire constitue un domaine de développement récent et d’inspiration directement clinique, puisque focalisée sur les dires du patient (Falissard, 2001). Dans la schizophrénie, la personne ne souffre pas seulement de ses symptômes, mais également du fait de ne pas pouvoir participer à des activités de loisirs ou professionnelles, avoir des amis ou une relation de couple. Ainsi, le soutien social perçu semble être un déterminant essentiel de la QOL (Bechdolf et al., 2003), qu’il provienne de la famille ou des amis (Thornicroft et al., 2004). La QOL est également associée à des besoins non satisfaits ayant trait notamment aux activités de la vie quotidienne et aux relations sociales (Thornicroft et al., 2004).
7Dans la littérature actuelle, il existe un débat autour de la question de la fiabilité des auto-évaluations dans les maladies mentales, que ce soit du fonctionnement quotidien ou de la QOL (Atkinson et al., 1997). Plusieurs auteurs émettent des doutes sur les capacités du sujet souffrant de schizophrénie à évaluer de manière adéquate sa QOL (Katschnig, 2000). En effet, les problèmes de conscience des troubles pourraient l’amener à mésestimer ses difficultés réelles. Ainsi, les évaluations objectives et subjectives de la QOL ne sont associées que chez les patients présentant une bonne conscience de leurs troubles (insight) (Doyle et al., 1999). Les difficultés cognitives, fréquemment rapportées dans la schizophrénie, pourraient également biaiser l’évaluation des sujets, en termes quantitatifs comme qualitatifs. Par exemple, la présence de troubles mnésiques, un des éléments majeurs du profil neuropsychologique des troubles schizophréniques (Aleman et al., 2002), peut entraîner des difficultés à se remémorer des scènes de la vie quotidienne sur plusieurs semaines et à sous-estimer ses difficultés par ce que l’on y est pas directement confronté. Cependant, il a été rapporté que la QOL subjective des patients ayant de faibles capacités mnésiques ne diffère pas de celle des autres patients (Aghababian et al., 2006). De même, des difficultés cognitives de plus haut rang (i. e. capacités métacognitives de jugement sur soi-même) pourraient conduire les sujets à évaluer de manière erronée leurs difficultés (Langevin et Le Gall, 1999). À l’heure actuelle, très peu d’études se sont intéressées à l’investigation détaillée des problèmes de la QOL directement en vie quotidienne.
Malgré un intérêt croissant dans la littérature actuelle sur la schizophrénie, l’étude de la QOL subjective et l’identification de ses marqueurs se heurte à des difficultés méthodologiques récurrentes. Ces difficultés méthodologiques apparaissent d’autant plus importantes que le cadre des évaluations classiques est différent de celui de la vie quotidienne et se base sur une méthode rétrospective. En effet, les caractéristiques de la schizophrénie peuvent conduire les individus à mésestimer les difficultés parce qu’ils n’y sont pas directement confrontés. Actuellement, la validité écologique des auto-évaluations classiques (i. e. validité des mesures dans le milieu usuel de vie, les conditions de vie réelles du sujet, c’est-à-dire en vie quotidienne) reste une question, et très peu de recherches ont été menées sur des échantillons français.
Encadré 1 : L’échantillonnage des expériences en vie quotidienne : une nouvelle méthode pour de nouvelles questions
Ces appareillages sont utilisés pour indiquer aux sujets les moments auxquels ils ont à fournir des informations spécifiques concernant leurs activités, leur environnement et toute autre information, à différents moments de la journée. ESM a été développée pour fournir des évaluations brèves, prospectives et compréhensives des expériences de vie quotidienne des individus.
Cette technique a été appliquée avec succès ces dernières années dans une large gamme de pathologies psychiatriques, telles que les troubles de la personnalité (Lœwenstein et al., 1987), l’anxiété et la dépression (Delespaul, de Vries, 1987 ; Swendsen, Compagnone, 2000) et l’abus de substance (Swendsen, Merikangas, 2000; Verdoux et al., 2003a). ESM a également été utilisée chez des sujets souffrant de schizophrénie ou vulnérables à la psychose (Myin-Germeys et al., 2002; Verdoux et al., 2003b; Husky et al., 2004). La faisabilité de la version électronique de cette technique, Electronic Momentary Assessment (EMA) a été récemment démontrée dans la schizophrénie (Kimhy et al., 2006; Granholm et al., 2007).
Objectif
8L’objectif de cette recherche est de décrire les difficultés dont les sujets souffrant de schizophrénie font l’expérience dans la vie quotidienne, en termes de QOL dans différents domaines : relations sociales, travail, autonomie, etc.
Méthode
Éthique
9Tous les participants devaient signer un formulaire de consentement éclairé pour participer à l’étude.
Sujets
10Deux groupes de sujets ont été constitués : un groupe « schizophrénie » et un groupe témoin.
11Le groupe « schizophrénie » répond aux critères d’inclusion suivants : présenter une schizophrénie ou un trouble schizoaffectif selon les critères du DSM-IV-TR (APA, 1994); être âgé de 18 à 60 ans ; être stable du point de vue clinique (se situer à distance de la crise psychotique aiguë, de la période de stabilisation des symptômes et du traitement pharmacologique).
12Les critères d’exclusion sont : suivre un protocole de traitement par électroconvulsivothérapie ou stimulation magnétique transcrânienne ; présenter des antécédents neurologiques (sur la vie, tel que traumatisme crânio-cérébral) ; présenter un épisode dépressif majeur ou de dépendance à l’alcool ou à une autre substance psycho-active selon les critères du DSM-IV-TR pendant le cours de l’étude.
13Le groupe témoin est constitué de sujets âgés de 18 à 60 ans, exempts de trouble mental selon les critères du DSM-IV-TR et répondant aux mêmes critères d’exclusion que le groupe schizophrénie.
Mesures
14Cette étude comporte deux phases d’évaluation : une phase d’évaluation en milieu clinique à l’inclusion et une phase d’évaluation en vie quotidienne (ESM).
Phase 1 : évaluations cliniques à l’inclusion
15L’évaluation neuropsychologique était assurée par un psychologue clinicien spécialisé en neuropsychologie ou un étudiant en 3e cycle de psychologie. Elle ciblait les domaines suivants, habituellement considérés comme déficitaire dans la littérature internationale sur la schizophrénie : mémoire verbale, mémoire de travail, flexibilité mentale, inhibition, vitesse de traitement. Une batterie de tests neuropsychologiques, similaires à ceux administrés dans les milieux cliniques, a été utilisée pour évaluer ces fonctions cognitives. Plusieurs sous-tests de l’Échelle d’intelligence de Wechsler pour adultes (Wechsler Adult Intelligence Scale, third version : WAIS-III, Wechsler, 2000) sont utilisés pour mesurer plus spécifiquement la vitesse de traitement des informations (Symboles) et la mémoire de travail (Séquence Lettres-Chiffres). L’intérêt de cette batterie est double : il s’agit d’un outil très couramment utilisé en clinique, tout en étant rigoureusement validé dans la population générale ainsi que dans la schizophrénie. Le test du RL/RI 16, adapté du Grober et Bushke (Van der Linden, 2004), fournit une mesure de la mémoire épisodique. Enfin, les processus exécutifs d’inhibition et de flexibilité mentale sont mesurés par le test de Stroop (1935), le Modified Card Sorting Test (Nelson, 1976) et le Trail Making Test (Reitan, Wolfson, 1985). L’ordre de passation des tests neuropsychologiques a été contrebalancé.
D’autres aspects importants dans la description de l’échantillon et de la QOL ont été considérés. Ainsi, la mesure du fonctionnement dans la communauté permet de situer le niveau d’incapacité selon une évaluation objective (Multnomah Community Ability Scale : MCAS; Barker et al., 1997). Les états émotionnels (anxiété, dépression), connus pour être en relation avec le fonctionnement cognitif et la QOL, ont été évalués grâce aux versions françaises de deux autoquestionnaires validés dans la population générale et auprès de diverses populations cliniques : le State-Trait Anxiety Inventory (STAI, Spielberger, 1983) et la Beck Depression Inventory (Beck et al., 1961).
Phase 2 : évaluations naturalistes en vie quotidienne (ESM)
16Après entraînement, un ordinateur de poche a été confié à chaque sujet pour sept jours, à raison de cinq évaluations par jour. Chaque entretien électronique comportait des questions sur le contexte et la QOL. Aux premier et troisième jours, les chercheurs appelaient les participants au téléphone, pour vérifier la bonne utilisation de l’appareil et répondre aux éventuelles questions.
17Les questions de l’échelle de qualité de vie – Lancashire Quality Of Life Profile : LQOLP – (Salome et al., 2000) ont été adaptées à la présentation informatisée et aux évaluations pluriquotidiennes ESM (méthode d’échantillonnage des expériences de vie, cf. encadré 1). La formulation originale des questions issues de la LQOLP n’a pas été modifiée dans la version informatisée. L’échelle visuelle analogique de la LQOLP a également été intégrée au programme.
18Les questions ont été organisées de manière hiérarchique, pour que ne soit évaluée que la QOL se rattachant au dernier évènement important ayant été identifié par le sujet. Par exemple, si le sujet identifie le dernier évènement survenu (depuis le dernier questionnaire) comme se rapportant aux amis, alors seules les questions de QOL en rapport avec les relations sociales seront posées. Cette méthode permet d’étudier l’impact des évènements quotidiens sur la QOL de manière plus directe, selon des cycles de vie courts.
Encadré 2 : L’évaluation de la qualité de vie subjective
Dans la présente étude, la QOL subjective a été évaluée à l’aide d’une partie de la Lancashire Quality of Life Profile (LQOLP), traduite et validée en français (Salome et al., 2004).
La LQOLP contient 94 items, et fournit une mesure de la QOL objective (hétéroévaluation) et de la QOL subjective (auto-évaluation) dans neuf domaines de la vie : travail, loisirs, religion, finances, mode de vie, loi et sécurité, relations familiales, relations sociales, santé.
Les mesures de la QOL objective sont basées sur des réponses catégorielles (« oui », « non », « ne sait pas ») et celles de la QOL subjective sur une échelle de satisfaction en sept points. Les questions sont formulées comme suit : « Quel est votre degré de satisfaction concernant votre vie en général (QOL globale) / Votre situation financière (QOL Finances)? »
La LQOLP présente ici l’avantage de posséder des qualités psychométriques satisfaisantes et d’avoir été traduite en plusieurs langues, autorisant la comparaison des résultats avec la littérature internationale de manière fiable.
Résultats
Description des groupes à l’inclusion
19L’échantillon final comporte quarante sujets dans le groupe « schizophrénie » et quarante-trois sujets dans le groupe témoin. Le tableau 1 présente les caractéristiques des sujets à l’inclusion. La grande majorité des sujets souffrant de schizophrénie vivent en milieu rural, et sont suivis de manière ambulatoire. Tous les patients sont considérés comme étant stables cliniquement et reçoivent un traitement pharmacologique. Le score de fonctionnement global du groupe schizophrénie est en moyenne de 50,27 à l’EGF (Écart-Type : ET=15,68, minimum=20, maximum=90). Le score de symptomatologie générale évalué par la PANSS est en moyenne de 53,15 (ET=15,44), la symptomatologie positive de 19,97 (ET=7,04) et la symptomatologie négative de 27,47 (ET=7,63). L’âge moyen de la première hospitalisation en psychiatrie est de 25,73 ans (ET=10,5).
Caractéristiques des sujets à l’inclusion

Caractéristiques des sujets à l’inclusion
20– Les groupes « schizophrénie » et témoin ne diffèrent pas du point de vue de l’âge moyen ni du sexe.
21– En revanche, le niveau d’étude moyen du groupe « schizophrénie » est inférieur à celui du groupe témoin (X2=39,38, p<0,001).
22– Les deux groupes sont également significativement différents quant à leur niveau d’anxiété actuel (STAI-A : t=-2,54 ; p=0,013), habituel (STAI-B : t=-3,61 ; p<0,001), et de dépression (t=-5,96 ; p<0,001). Ainsi, les sujets du groupe « schizophrénie » sont en moyenne plus déprimés et plus anxieux.
23– Enfin, les résultats à la MCAS montrent que le groupe « schizophrénie » a en moyenne une incapacité légère puisque le score obtenu se situe entre 63 et 85 (Barker, Barron, 1997).
24Le tableau 2 résume les performances cognitives des deux groupes de sujets mesurées à l’inclusion.
Performances cognitives des groupes à l’inclusion

Performances cognitives des groupes à l’inclusion
25Du point de vue neuropsychologique, la comparaison des moyennes entre le groupe « schizophrénie » et le groupe témoin montre que les sujets souffrant de schizophrénie ont des performances moindres :
- en mémoire déclarative (test RL/RI 16 : total des rappels libres : t= 4,80 ; p<0,001),
- en flexibilité mentale (TMT : temps de réponse à la partie B – temps de réponse à la partie A : t=-4,22 ; p<0,001) (Modified Card Sorting Test : nombre d’erreurs : t=-4,95 ; p<0,001),
- en inhibition (Test de Stroop : temps « interférence » – temps « dénomination » : t=-5,86 ; p<0,001), en vitesse de traitement (Symboles de la WAIS-III : t=8,44 ; p<0,001),
- et enfin en mémoire de travail (Séquences Lettres-Chiffres de la WAIS-III : t=5,27 ; p<0,001).
Description des données ESM en vie quotidienne
26Sur les quarante-cinq sujets souffrant de schizophrénie inclus dans l’étude, seuls cinq n’ont pas ou très peu répondu aux questionnaires électroniques, rendant leurs évaluations inexploitables. L’échantillon a fourni 2 206 observations valides sur 2 995 programmées, soit un taux de réponse de 85 %. Seules les réponses fournies dans un délai maximum de 20 minutes suivant le signal ont été prises en compte. La durée moyenne des entretiens électroniques était de 1 minute et 27 secondes (ET=1 m, 17 sec).
27Pour appréhender l’importance de chacune des dimensions de la qualité de vie dans la schizophrénie, les données ESM en vie quotidienne ont été considérées sur l’intégralité de la semaine d’évaluation. Pour chacune des neuf dimensions de QOL explorées dans cette étude, le nombre d’évènements s’y rattachant dans la vie quotidienne a été calculé pour chaque groupe de l’échantillon (figure 1).
Nombre d’évènements par type et par groupe sur une semaine

Nombre d’évènements par type et par groupe sur une semaine
28Pour explorer les différences de fréquence de chaque type d’évènement de la vie quotidienne selon les groupes, des analyses de khi-deux ont été conduites (tableau 3).
Comparaison des fréquences de type d’évènement de la vie quotidienne par groupe

Comparaison des fréquences de type d’évènement de la vie quotidienne par groupe
29Globalement, à l’instar des sujets témoins, les évènements les plus fréquemment rapportés par les sujets souffrant de schizophrénie correspondent à la famille, aux loisirs, au travail et aux relations sociales.
30Les analyses de khi-deux montrent cependant que le domaine de la santé apparaît comme étant plus fréquemment rapporté chez les sujets du groupe « schizophrénie », alors que le groupe témoin est davantage confronté aux domaines des finances et du logement (conditions de vie).
31De manière intéressante, les évènements concernant la religion sont comparativement plus fréquents dans le groupe schizophrénie, ce qui pourrait être mis en relation avec des préoccupations spirituelles découlant de leur situation particulière ou à l’extrême avec certains symptômes positifs comme les idées délirantes.
32Cependant, si certains évènements sont plus fréquents que d’autres, ils pourraient avoir des impacts différents sur les sujets selon leur groupe. Pour chaque type d’évènement identifié par le sujet, le questionnaire électronique comporte une évaluation de la sévérité de l’impact subjectif de cet évènement, de 1 (pas du tout négatif) à 7 (extrêmement négatif). Une deuxième série d’analyses porte sur l’association entre l’impact d’un évènement et le score de QOL (satisfaction) correspondant. Les résultats montrent que l’impact d’un évènement et la dimension de la QOL correspondante ne sont pas toujours associés, et le sont d’autant moins fréquemment dans le groupe schizophrénie.
Qualité de vie subjective : évaluation en vie quotidienne
33Le tableau 4 résume les scores de QOL subjective par domaine pour chacun des groupes, obtenus à partir des entretiens informatisés en vie quotidienne (cf. encadré 1).
Qualité de vie subjective en vie quotidienne

Qualité de vie subjective en vie quotidienne
34Des analyses de comparaison de moyennes ont été conduites pour examiner les différences de QOL subjective entre les deux groupes.
35Les sujets du groupe « schizophrénie » sont en moyenne moins satisfaits de leur vie en général (t=14,69 ; p<0.001), de leurs relations familiales (t=10,11 ; p<0.001), et de leurs relations sociales (t=11,20 ; p<0.001).
36Ils sont en revanche plus satisfaits dans la dimension du travail (t=-3,72 ; p<0.001) et de la sécurité (t=-2,16 ; p<0.05).
Discussion
37Les résultats révèlent un handicap psychique significatif chez les sujets souffrant de schizophrénie inclus dans cette étude. Tout d’abord, les indicateurs objectifs, évalués par les cliniciens, montrent que le handicap se situe à plusieurs niveaux. Les sujets souffrant de schizophrénie souffrent en effet de difficultés cognitives, qui peuvent être considérées comme des déficiences, d’ores et déjà connues pour entraîner des limitations d’activités (Prouteau et al., 2005 ; Prouteau, Doron, 2008). À un niveau plus complexe, ils connaissent également des limitations d’activité et des restrictions de participation qui touchent plusieurs dimensions de leur vie au sein de la communauté.
38Cette étude permet en outre, de décrire avec précision les difficultés dont les individus atteints de schizophrénie font l’expérience dans leur vie quotidienne. Les personnes souffrant de schizophrénie ont une QOL subjective moindre que les sujets témoins. Selon l’évaluation en vie quotidienne, les sujets souffrant de schizophrénie sont, en moyenne, d’« insatisfaits » à « partagés » quant à leur QOL globale (i. e. satisfaction sur leur vie en général), alors que les sujets témoins exempts de pathologie mentale se situent entre « partagés » et « satisfaits ».
39La description détaillée des évènements jugés significatifs sur une semaine révèle plusieurs points importants. D’abord la fréquence relative des évènements dans la vie quotidienne diffère chez les personnes souffrant de schizophrénie. Même si l’on retrouve le même profil que chez les sujets sains (dans l’ordre décroissant de fréquence, les évènements les plus significatifs concernent : Famille, Loisirs, Travail, Relations sociales), les évènements qui concernent la santé occupent la première place. Dans ce dernier domaine, la QOL subjective est reliée à l’impact des évènements quotidiens, mais ne diffère pas de celle des sujets témoins. En revanche, les deux domaines où la QOL subjective est significativement moindre dans la schizophrénie concernent les relations interpersonnelles : la famille et les relations sociales. Or, il faut noter que ce sont aussi les évènements parmi les plus fréquents dans la vie quotidienne. Ces résultats montrent que la santé et les relations personnelles sont les domaines les plus préoccupants pour les sujets souffrant de schizophrénie, que ce soit en termes d’intensité ou de fréquence dans la vie quotidienne. Ces résultats soulignent également la nécessité de relativiser les scores de QOL par rapport à la fréquence des évènements en vie quotidienne. De manière surprenante, dans le domaine du travail, les sujets souffrant de schizophrénie ont une meilleure QOL subjective que les sujets témoins. Ce résultat suggère que l’inactivité professionnelle ne constitue pas un domaine majeur d’insatisfaction quotidienne pour les personnes souffrant de schizophrénie. Enfin, les évènements qui concernent les finances et le logement préoccupent moins souvent les sujets souffrant de schizophrénie. La QOL subjective rapportée dans ces domaines ne diffère pas de celle des sujets exempts de pathologie.
40La troisième série de résultats montre que l’évaluation de la QOL subjective dans le groupe « schizophrénie » n’est que rarement reliée à l’impact des évènements quotidiens, alors que c’est souvent le cas dans le groupe témoin. Il faut, de plus, souligner que les corrélations significatives sont très majoritairement négatives, ce qui signifie que plus l’impact d’un événement est négatif, plus la QOL qui s’y rattache est faible. Dans ce cas, la QOL subjective des individus dans un domaine est cohérente avec l’impact des évènements correspondants en vie quotidienne. Enfin, il existe une corrélation positive, relevée dans le domaine de la famille, pour le groupe « schizophrénie ». Cette corrélation signe, là encore, le décalage de la QOL subjective avec l’impact des évènements en vie quotidienne. Un retour sur la notion de QOL subjective pourrait éclairer ce décalage : en effet, si l’on considère que la satisfaction qu’a un sujet concernant sa vie est relativement stable, elle ne sera guère influencée par les évènements de vie quotidiens. En revanche, le bien être subjectif, qui reflète la qualité du vécu à un moment précis, y sera davantage sujet.
Cette étude comporte plusieurs limites. Premièrement, l’échantillon sélectionné possède des caractéristiques particulières, ce qui limite la généralisabilité des résultats. Notamment, le fait d’être stable cliniquement, et de vivre dans un milieu rural ne concerne pas tous les sujets souffrant de schizophrénie. De plus, l’influence potentielle du traitement pharmacologique n’a pas été contrôlée. Néanmoins, il faut entendre la présente recherche comme une tentative de description du handicap psychique dans des conditions réelles de prise en charge, telles qu’elles sont vécues par les individus au jour le jour.
Conclusion
41Ces résultats confirment et précisent les données de la littérature concernant la sévérité du handicap psychique dans la schizophrénie. Ce dernier intervient à plusieurs niveaux : au niveau du fonctionnement cognitif et affectif, au niveau du fonctionnement dans la communauté, et au niveau subjectif tel que le montrent les évaluations en vie quotidienne. Ainsi, les données obtenues en vie quotidienne placent la santé au premier rang des préoccupations les plus fréquentes. Elles mettent surtout en exergue l’insatisfaction majeure que représentent les relations interpersonnelles, qui apparaissent comme un domaine où les sujets expérimentent de manière particulièrement négative le handicap psychique, et ce de manière fréquente dans leur vie quotidienne. Cette étude souligne la complémentarité des mesures de fréquence et d’intensité pour investiguer le handicap psychique du point de vue subjectif et mieux cerner les difficultés dont les individus font réellement l’expérience au jour le jour.
Notes
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[*]
Antoinette Prouteau : neuropsychologue, maître de conférences en psychologie à l’Université de Bordeaux, Laboratoire de Psychologie « Santé et qualité de vie », EA 4139.
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[**]
Olivier Grondin : psychologue clinicien, maître de conférences en psychologie à l’Université de Bordeaux, Laboratoire de Psychologie « Santé et qualité de vie », EA 4139.
-
[***]
Joël Swendsen : psychologue, directeur de recherche au CNRS UMR 5231 – Université de Bordeaux.
-
[1]
Cet article est issu d’une recherche financée dans le cadre du programme de recherche de la Mire (Mission Recherche de la DREES) sur le handicap psychique (appel d’offres 2005).