1Historiquement, dans tous les pays développés, les politiques en faveur des personnes handicapées ont connu trois phases successives: l’institutionnalisation jusqu’aux années 1900, la médicalisation jusqu’aux années 1970 et enfin le modèle social et les droits civiques. L’influence des organismes internationaux a été déterminante dans l’évolution récente, notamment celle de l’ONU qui, en 1971 et 1975, a adopté des déclarations sur les droits des personnes handicapées et celle de l’OMS qui a introduit quelques éléments du modèle social dans la classification internationale du handicap en 1980.
2La loi ADA (Americans with Disabilities Act), adoptée en 1990, aux États-Unis, apparaît comme un modèle aux yeux de nombreux États en matière de non-discrimination des personnes handicapées. La Charte canadienne des droits et libertés adopte une approche différente en mettant en place un dispositif global de protection de tous les groupes considérés comme victimes de discrimination, en raison de leur race, leur origine nationale ou ethnique, leur couleur, leur religion, leur sexe, leur âge et, avec retard, les déficiences mentales ou physiques.
3Conduire une comparaison au niveau international des politiques en faveur des personnes handicapées n’est pas chose aisée. En effet, des définitions multiples du handicap, des dispositifs et des pratiques largement influencés par le contexte culturel, politique, social et économique spécifique du pays rendent la tâche difficile. La représentation du handicap et la manière dont il est perçu par le public, les multiples acteurs du système et les personnes handicapées elles-mêmes modifient la conception et les choix politiques. La difficulté est encore accentuée lorsqu’il s’agit d’États fédéraux comme le Canada et les États-Unis, où des divergences parfois importantes peuvent être constatées entre les niveaux territoriaux tant dans la définition des politiques que dans l’approche retenue.
4Cet article tente de mettre en regard les options politiques, les prestations et les mesures d’aide à l’emploi en faveur des personnes handicapées dans le contexte de deux modèles différents de fédéralisme.
Un État fédéral puissant aux États-Unis et des relations con?ictuelles au Canada entre gouvernement fédéral et Provinces
5Bien que les États-Unis et le Canada, États fédéraux, soient considérés comme proches sur le plan du modèle politique, dans la réalité les institutions politiques et sociales des deux pays diffèrent. Bruno Théret oppose le fédéralisme intra-étatique centralisé fiscalement des États-Unis au fédéralisme interétatique décentralisé fiscalement du Canada (Théret, 2002a).
6Le partage de compétences entre État fédéral et États fédérés ou Provinces apparaît fort dissemblable dans les deux pays. Aux États-Unis, les États disposent de pouvoirs qu’on pourrait qualifier de « résiduels » par rapport au gouvernement fédéral alors qu’au Canada, la situation est inverse. Cette caractéristique conduit le gouvernement fédéral canadien à inscrire constamment à son agenda politique des innovations sociales qui débordent de ses champs de compétence, afin d’assurer un rapport de forces avec les Provinces qui lui soit favorable en termes de légitimité vis-à-vis des citoyens. À cette fin, le niveau fédéral dispose du pouvoir de dépenser pour les intérêts supérieurs du pays, dans toutes les sphères politiques, envahissant ainsi les domaines habituellement de compétence provinciale, toujours selon Bruno Théret (2002b) qui en déduit que la fédération canadienne est plus propice à l’innovation que la fédération des États-Unis.
7La différence de compétence entre les deux gouvernements fédéraux est bien illustrée en matière de handicap. Aux États-Unis, il existe une politique fédérale forte structurée autour de la loi de non-discrimination ADA. Les mouvements de personnes handicapées ont joué un rôle moteur dans cette montée en puissance de l’État fédéral face aux États mais ces derniers ont également largement soutenu dans leur ensemble l’idée d’avoir une législation fédérale dans ce domaine. Relèvent également du niveau fédéral aux États-Unis toutes les prestations pour les personnes handicapées, les États pouvant accorder des avantages supplémentaires.
8Au Canada, le niveau fédéral a essentiellement un rôle de partenariat avec les Provinces et d’impulsion des politiques. Depuis février 1999, l’ententecadre sur l’Union sociale définit les rôles respectifs de la Fédération et des Provinces et leurs relations dans le domaine social. Les Provinces sont tenues de rendre compte à la Fédération et à l’Union sociale des programmes financés dans ce cadre. Le Québec a refusé de signer cette entente.
9Le niveau fédéral finance différents programmes pour les personnes handicapées, mais la mise en œuvre de ces programmes dépend des Provinces. Les ententes sur le marché du travail visant les personnes handicapées (voir ci-dessous) illustrent les difficultés des relations entre les deux niveaux de gouvernement. Les Provinces, en particulier le Québec, sont très soucieuses de leur indépendance dans les domaines qui leur ont été dévolus dès le départ par la Constitution, c’est-à-dire l’éducation, la santé, l’aide sociale et la formation professionnelle. Au cours des années 1990, le gouvernement fédéral canadien a procédé à de nombreuses coupes budgétaires dans le domaine social en raison de la crise économique, accentuant son retrait par rapport aux Provinces. Cette attitude a été désapprouvée globalement par les mouvements de personnes handicapées. En effet, ces derniers voient dans le gouvernement fédéral le niveau central symbolique, pour impulser et adopter une législation spécifique en faveur des personnes handicapées, en particulier dans le domaine de la non-discrimination.
En 2006, à la demande des associations de personnes handicapées, le gouvernement d’Ottawa a souhaité promouvoir une loi générale sur l’accessibilité qui lui semblait nécessaire afin de répondre aux normes internationales et aux insuffisances constatées dans certaines Provinces. Cette loi n’a toujours pas vu le jour en raison de l’opposition de certains gouvernements provinciaux. Cet exemple démontre bien les tensions entre le gouvernement fédéral et les Provinces. La politique en faveur des personnes handicapées s’est construite au Canada sur la base d’une réalité fédérale complexe où la fragmentation des politiques et l’intervention de la justice sont la règle.
La non-discrimination: d’une politique globale spécifique aux personnes handicapées aux États-Unis à une multiplicité de dispositifs généraux au Canada
10Aux États-Unis, la politique de non-discrimination est principalement structurée autour de l’Americans with Disabilities Act, ADA, adopté en 1990 [2]. Cette loi est l’aboutissement du mouvement pour les droits civils. Elle rend illégale toute discrimination envers les personnes handicapées et leur assure une protection similaire à celle prévue par le Civil Rights Act de 1964. Un certain nombre de principes contenus dans l’ADA étaient déjà inscrits dans leRehabilitation Act de 1973, qui portait sur l’emploi dans les administrations et les entreprises sous contrat fédéral.
11Au Canada, les principales lois de non-discrimination ne visent pas spécifiquement les personnes handicapées mais mettent en place un dispositif global de protection de groupes considérés comme susceptibles d’être victimes de discrimination. La Charte canadienne des droits et libertés, adoptée en 1982 et insérée dans la loi constitutionnelle, inscrit explicitement la déficience dans les motifs de discrimination. L’inclusion de la déficience mentale représentait également une importante évolution des lois canadiennes car avant l’adoption de la Charte, les Canadiens ayant ce type de déficience bénéficiaient d’une protection limitée. La Charte protège les personnes handicapées contre toute forme de discrimination, sans interdire pour autant les mesures de « discrimination positive ». La protection des personnes handicapées devient ainsi de compétence fédérale.
Dans les deux pays, les mouvements de personnes handicapées ont joué un rôle moteur. Aux États-Unis, ils ont milité pour l’adoption d’une loi fédérale spécifique. Au Canada, l’influence du COPOH (Coalition of provincial organizations of the Handicapped) et d’Independent Living a été fondamen-tale pour imposer l’introduction de la déficience parmi les causes de discrimination à proscrire dans la Charte, au même titre que la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe et l’âge.
Aux États-Unis, une « standardisation accrue » des politiques en faveur des personnes handicapées par la loi ADA
12L’objectif de la loi fédérale ADA, aux États-Unis, est d’éliminer toute discrimination envers les personnes handicapées en instaurant des obligations et des normes applicables dans tous les États fédérés en matière d’emploi, d’accès aux services publics, aux transports, aux télécommunications, et d’accessibilité pour tous les lieux recevant du public. En matière d’emploi, toutes les entreprises employant au moins quinze salariés, les administrations fédérales ou locales, les syndicats, les transports publics et tous les services et commerces recevant du public sont tenus d’appliquer cette loi.
13La loi américaine ADA a suscité de nombreux débats sur son champ d’application, compte tenu de la définition assez large de la déficience, reprise du Rehabilitation Act. En effet, elle s’applique aux personnes présentant une déficience physique et mentale qui « limite substantiellement une ou plusieurs activités majeures de la vie », aux personnes ayant présenté dans le passé une telle déficience et même aux personnes qui sont « regardées comme ayant une telle déficience ». Ce dernier point souligne l’importance du regard que l’employeur et la société portent sur la personne. Toutefois, cette dernière cause de discrimination est rarement acceptée par les tribunaux (Oakes, 2005). Des précisions ont été apportées quant aux différents concepts, de déficiences physiques ou mentales, de limites substantielles d’activités majeures de la vie…
14En matière d’emploi, les entreprises ont l’obligation de mettre en place un certain nombre d’aménagements « raisonnables » afin de supprimer toute barrière au travail pour les personnes handicapées. Toutefois, la loi précise que ces aménagements ne doivent pas faire peser une charge trop importante sur l’employeur (« Undue hardship »). De manière générale, une évaluation a montré que cette mesure n’entraînait pas des dépenses élevées pour l’employeur. Selon l’ Equal Employment Opportunity Commission(EEOC) (EPVA, 2006) seulement 22 % des salariés handicapés auraient besoin d’aménagements de leur lieu de travail et 70 % de ces aménagements ne coûteraient que 500 dollars par salarié. Néanmoins, les incertitudes dans la définition des aménagements à réaliser et de la notion de coûts excessifs ont conduit les employeurs à contester cette législation et à faire jouer leurs lobbies auprès des autorités gouvernementales et judiciaires.
15L’ADA a été amendé à plusieurs reprises et son application dépend de l’interprétation qu’en font les tribunaux et en dernier recours, la Cour suprême fédérale. Selon Stephen Percy, on assiste à une standardisation des politiques par le biais du recours à la justice. Les institutions judiciaires se révèlent, en effet, un acteur central dans le domaine de la politique en faveur des personnes handicapées aux États-Unis. Depuis le début des années 2000, ces dernières, sous l’impulsion de la Cour suprême, ont eu tendance à interpréter de façon restrictive en matière d’emploi, la notion de handicap. Un élément essentiel de cette jurisprudence est le refus de considérer comme handicapées les personnes qui bénéficient de traitements appropriés ou d’aides techniques qui réduisent l’effet des déficiences sur les activités de la vie quotidienne (mitigating measures). Surtout, la majorité des arrêts ont davantage porté sur la question de savoir si une personne était suffisamment handicapée pour avoir droit à la protection de la loi plutôt que de déterminer si elle avait fait l’objet d’une discrimination. Par ailleurs, les juges ont souvent rendu des décisions favorables aux employeurs afin de ne pas leur imposer des charges trop importantes qui risqueraient de mettre en péril leur entreprise. Selon l’Association américaine du barreau, plus de 97 % des jugements sur la base de l’ADA ont été rendus en faveur de l’employeur (NCD, 2007).
16Les États ont souvent adopté des législations plus favorables aux personnes handicapées que l’ADA, soit en incluant dans leurs lois des déficiences exclues du texte fédéral (Californie, Maine, New Jersey, New York, par exemple), soit en refusant de prendre en considération les effets des traitements et aides techniques (Californie, Maryland, Rhode Island…), soit encore en élargissant à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, les dispositions de l’ADA (Michigan).
17Aujourd’hui, le National Council of Disability ainsi que de nombreuses associations de personnes handicapées prône une « restauration » de l’ADA (National Council of Disability, 2008) selon les principes initialement adoptés par le Congrès et dont la portée a été réduite par l’interprétation de la Cour suprême qui aurait sapé les fondements mêmes de l’ADA. Des projets de loi ont donc été déposés en 2007 (Bill HR 3195) devant la Chambre des représentants et le Sénat (Bill S 1881) et sont toujours pendants à ce jour.
Toutefois, certains hommes politiques soulignent que la loi de non-discrimination américaine instaure des normes minimales qui s’imposent à l’ensemble du pays mais n’a pas vocation à être « l’alpha et l’oméga » de toute la politique en faveur des personnes handicapées (« to be all and end all »).
Encadré : Quelques données sur la situation des personnes handicapées aux États-Unis et au Canada
Aux États-Unis, le recensement de 2000, réalisé par le Census Bureau, chiffre à 33 millions le nombre de personnes de 16 à 64 ans qui souffriraient d’une incapacité physique ou mentale, soit 18,6 % de la population en âge de travailler (Waldrop, Stern, 2003). L’enquête American Community Survey (ACS), réalisée sur échantillon, enregistre pour 2006 des résultats plus faibles pour la même population: 22,8 millions de personnes de 16 à 64 ans souffriraient d’un handicap, soit 12,3 % de la population (Census Bureau, 2008). Cette enquête ne porte que sur les personnes vivant à domicile.
Au Canada, selon l’Enquête sur la participation et les limitations d’activité (EPLA) de 2006 (Statistique Canada, 2006), 4,4 millions de Canadiens vivant à domicile ont déclaré avoir une limitation d’activité, soit un taux d’incapacité de 14,3 % pour I’ensemble de la population et de 11,5 % pour les adultes de 15 à 64 ans. Le taux de prévalence augmente avec I’âge.
Dans les deux pays, les revenus moyens des personnes souffrant de limitations d’activité sont plus faibles que ceux des personnes non handicapées. Selon de 2006’ Disability Status Report (RRTCDDS, 2007), le revenu annuel médian des ménages de personnes handicapées en âge de travailler aux États-Unis repreésentait à peine plus de la moitié du revenu des ménages sans incapacité, de 36300 dollars pour les premiers à 65400 dollars pour les seconds. Au Canada, I’écart de revenus entre les deux catégories est moins élevé qu’aux États-Unis si I’on en croît I’enquête EPLA puisque le revenu médian des ménages comprenant une personne handicapée atteignait 64 % du revenu des ménages sans handicap en 2001, soit 37 900 dollars canadiens contre 59 000 dollars.
Par ailleurs, en raison du mouvement de désinstitutionalisation important dés les années 1970 dans les deux pays, la grande majorité des personnes handicapées vivent à domicile.
Au Canada, une fragmentation des politiques en faveur des personnes handicapées
18Au Canada, outre la Charte des droits et libertés, une série de textes généraux et non spécifiques aux personnes handicapées couvrent différents domaines civils et sociaux: emploi, logement, lieux publics… Ainsi, la loi canadienne sur les droits de la personne, s’applique aux personnes présentant une déficience physique ou mentale, actuelle ou passée et reconnaît la dépendance envers l’alcool ou la drogue. Cette définition a été interprétée de façon large en incluant comme dans l’ADA l’incapacité perçue. Les plaintes pour discrimination liée à l’incapacité, soumises à la Commission canadienne des droits de la personne ou aux instances provinciales identiques, qui jouent le rôle de médiateur, sont majoritaires par rapport aux plaintes fondées sur les autres formes de discrimination (près de la moitié des plaintes).
19La loi sur l’équité en matière d’emploi, a un champ d’application beaucoup plus étroit que celui de l’ADA puisqu’elle ne s’applique qu’au secteur public fédéral, aux entreprises de compétence fédérale employant plus de 100 personnes et aux employeurs de compétence provinciale qui bénéficient de contrats fédéraux importants. Elle ne concerne qu’un peu moins de deux millions de salariés. Des lois similaires, pouvant être plus favorables aux personnes handicapées et concernant des employeurs bénéficiant de contrats avec le gouvernement provincial, ont également été adoptées dans certaines Provinces. Comme dans l’ADA, le fait de refuser un emploi ne constitue pas un acte discriminatoire si l’employeur peut démontrer que la contrainte financière qui pèserait sur lui est excessive. L’objectif du dispositif mis en place dans ce cadre est d’assurer une représentation équitable de chacun des groupes à protéger (femmes, autochtones, personnes handicapées, personnes qui font partie de minorités visibles), en se fondant sur une comparaison des pourcentages de personnes handicapées dans la société et du nombre de travailleurs handicapés par catégories professionnelles disponibles pour l’emploi, c’est-à-dire travaillant ou à la recherche d’un emploi. Il s’agit de quotas cibles, non réellement imposés, mais à atteindre dans le cadre du plan d’équité en matière d’emploi de l’entreprise ou de l’administration, et nullement de quotas explicites comme en France, en Allemagne ou dans d’autres pays européens.
20La loi sur l’équité en matière d’emploi définit de façon explicite l’incapacité par rapport à des désavantages réels ou perçus. Les personnes qui se désignent elles-mêmes comme handicapées selon cette loi, doivent se considérer comme désavantagées sur le plan de l’emploi ou estimer que leur employeur « considère » qu’elles sont désavantagées en raison de leur incapacité. Ce point est particulièrement intéressant dans la mesure où comme dans la loi ADA, il inclut la perception qu’a la personne du regard de l’autre. Si l’on en croit le Comité permanent du développement des ressources humaines et du statut des personnes handicapées, le lien entre incapacité et désavantage contenu dans la définition serait facteur de distorsion. En effet, de nombreux travailleurs handicapés ne se considéreraient pas comme des personnes désavantagées dans le domaine de l’emploi et ne se désigneraient donc pas comme personnes handicapées dans les enquêtes auprès des travailleurs. Elles seraient donc sous-représentées dans les données sur l’équité en matière d’emploi.
21Aux États-Unis, tant l’ADA que le Rehabilitation Act constituent pour les personnes handicapées une stratégie d’ensemble qui leur est spécifiquement réservée et qui vise à changer leur image et leurs conditions de vie. Tel n’est pas le cas au Canada. Cette situation explique que certains mouvements de personnes handicapées canadiens réclament une loi fédérale spécifique. Toutefois, force est de constater que les plaignants aux États-Unis qui demandent l’application de l’ADA sont dans la très grande majorité des cas, déboutés alors qu’au Canada, les personnes handicapées qui recourent à la justice en se fondant sur la Charte canadienne des droits et des libertés se voient le plus souvent reconnaître dans leurs droits.
Dans le domaine de l’accessibilité, la situation des personnes handicapées apparaît plus favorable aux États-Unis dans la mesure où les dispositions de l’ADA sont très explicites et s’imposent à tous. De gros efforts ont été réalisés par l’industrie de la construction pour se mettre en conformité avec les normes architecturales imposées par l’ADA. Une telle obligation n’existe pas au Canada. Les personnes handicapées qui se sentent discriminées au regard de l’accessibilité doivent recourir à la justice pour obtenir gain de cause (Oakes, 2005). Une loi générale s’imposerait.
Les prestations accordées aux personnes handicapées
22Aux États-Unis, les prestations concernant le handicap et l’invalidité sont principalement fédérales alors qu’au Canada, seule la pension d’invalidité dépend du niveau fédéral. Le Québec fait exception puisqu’il gère directement son propre régime d’assurance invalidité.
23Dans cette partie, nous ne traiterons que des dispositifs publics d’assurance. En effet, les assurances privées jouent un rôle non négligeable surtout pour la couverture de l’invalidité partielle, non prise en charge par les systèmes de prestations fédérales dans les deux pays. Au Canada, par exemple, les régimes d’assurance invalidité privés, essentiellement constitués de contrats collectifs, couvrent environ 8,5 millions de travailleurs et ont versé, en 2002, près de 5 milliards de dollars de prestations.
Un système de prestations essentiellement fédéral aux États-Unis
24Aux États-Unis, la Social Security Disability Insurance (SSDI) est une pension d’invalidité pour les personnes devenues handicapées qui ont travaillé et cotisé suffisamment [3] à la Sécurité sociale; le Supplemental Security Income(SSI) est un revenu minimum accordé aux personnes qui n’ont jamais travaillé ou insuffisamment pour recevoir la SSDI. Cette prestation est attribuée aux personnes handicapées et aux personnes âgées à faibles revenus. Les deux prestations sont gérées par l’administration de la sécurité sociale. Certains États accordent un complément à ce revenu minimum fédéral. Il existe, par ailleurs, des dispositifs fédéraux spécifiques pour les invalides de guerre, le Veterans’ Benefit, et pour les fonctionnaires. La couverture des accidents du travail est organisée au niveau des États.
25Initialement conçue en 1956 comme retraite anticipée pour les seuls travailleurs de plus de 50 ans devenus handicapés, la pension d’invalidité contributive, SSDI, a été élargie à l’ensemble des personnes en âge de travailler. En 2006, 8,4 millions de personnes dont 6,6 millions de travailleurs handicapés recevaient cette prestation. Seules les personnes qui présentent une incapacité totale et permanente de travailler pendant au moins un an et qui sont donc sévèrement handicapées, peuvent bénéficier de cette prestation. Le montant de la pension dépend du salaire antérieur. En 2006, les travailleurs handicapés bénéficiaires de la SSDI ont perçu en moyenne 943 dollars US (736 euros) (SSA, 2008a). La SSDI ouvre droit, après deux ans, à l’assurance-maladie fédérale Medicare, pour les personnes âgées ou handicapées. Un tel délai d’attente pose de réels problèmes dans un pays où la protection maladie n’est pas universelle et essentiellement liée à l’emploi.
26Les personnes qui n’ont pas travaillé suffisamment pour bénéficier d’une pension d’invalidité et qui ont une incapacité reconnue depuis plus d’un an qui les empêche d’effectuer une activité professionnelle « substantiellement rémunératrice » (substantial gainful work), peuvent demander le Supplemental Security Income (SSI), revenu minimum fédéral. Le SSI est un revenu différentiel attribué aux personnes disposant de ressources inférieures à 2 000 dollars (environ 1 370 euros) en 2007 [4]. Les pensionnés SSDI ont droit à une allocation complémentaire du SSI si leurs revenus globaux sont inférieurs à ce niveau. 7,3 millions de personnes, dont deux tiers d’adultes handicapés, percevaient le SSI en janvier 2007. Le montant moyen de cette prestation s’élevait à 467 dollars (320 euros) pour une personne seule. Parmi les bénéficiaires, 2,3 millions recevaient un complément versé par les États de 157 dollars (108 euros) en moyenne (SSA, 2007). Les allocataires du SSI ont droit, en principe, à l’assurance-maladie Medicaid pour les personnes disposant de faibles revenus, assurance gérée par les États [5].
27Les revenus des personnes handicapées sont très dépendants des dispositifs d’indemnisation de la Sécurité sociale. En effet, les deux prestations représentent plus des trois quarts des ressources globales des bénéficiaires. Pour un peu plus d’un quart (28 %) des personnes titulaires de la pension SSDI, cette prestation représente la totalité de leurs revenus. Et près de la moitié des bénéficiaires du SSI n’ont aucune autre source de revenu.
28Les bénéficiaires de ces prestations ont désormais la possibilité de travailler dans une limite de 940 dollars par mois (cf. ci-dessous).
Au Canada, seule la pension d’invalidité, prestation contributive pour les personnes ayant travaillé, est gérée au niveau fédéral. Elle ne bénéficie qu’aux personnes présentant une incapacité totale de travailler. La rente du Régime de pensions du Canada (RPC) s’applique à toutes les Provinces sauf le Québec. Elle est financée par des cotisations. 302 300 personnes en bénéficiaient en 2006. La pension d’invalidité du Régime des rentes du Québec(RRQ) est une prestation provinciale, qui est calquée sur la prestation fédérale. 66 600 personnes environ touchaient cette pension en 2006. Le montant de pension varie de 405 dollars (305 euros) canadiens minimum à 1 053 dollars canadiens (793 euros) maximum, en fonction des revenus antérieurs de la personne. La valeur moyenne des pensions invalidité est cependant un peu inférieure au Québec (788 dollars canadiens soit 538 euros) que pour le reste du pays (858 dollars, soit 587 euros).
Valeur moyenne des prestations mensuelles handicap aux USA et au Canada en 2006 (en euros)

Valeur moyenne des prestations mensuelles handicap aux USA et au Canada en 2006 (en euros)
29Les personnes qui n’ont jamais travaillé ou insuffisamment pour avoir droit à une pension d’invalidité [6], n’ont droit qu’à l’aide sociale de leur Province. Il n’existe pas, comme aux États-Unis, de revenu minimum fédéral. Cette situation engendre de grandes disparités entre les Provinces. Les prestations d’aide sociale sont peu élevées globalement. Elles ne s’appliquent en général qu’aux personnes ayant une incapacité grave et prolongée qui les rend « inemployables ». L’aide sociale offre, dans certaines Provinces, un supplément aux bénéficiaires du programme d’invalidité du RPC.
30Comme aux États-Unis, la couverture des accidents du travail et des maladies professionnelles est gérée au niveau des Provinces.
Dans les deux pays, les revenus des personnes souffrant de déficiences sont inférieurs globalement aux revenus des personnes non handicapées (cf. encadré).
Des transferts entre les différents dispositifs sociaux
31Au Canada comme aux États-Unis, l’accroissement des demandes d’attribution des prestations d’invalidité apparaît fortement corrélé à la restriction des conditions d’éligibilité d’autres dispositifs comme le chômage, l’aide sociale.
32Aux États-Unis, le nombre de bénéficiaires des prestations d’invalidité a fortement augmenté depuis une trentaine d’années. Dès les années 1970, l’administration de la Sécurité sociale et le Congrès s’étaient alarmés du succès croissant de ce dispositif et de la sortie précoce du marché du travail de certaines catégories de travailleurs.
Évolution du nombre moyen annuel de nouveaux bénéficiaires de la SSDI et du SSI

Évolution du nombre moyen annuel de nouveaux bénéficiaires de la SSDI et du SSI
33Au début des années 1980, sous l’administration Reagan, les responsables inquiets de voir l’évolution croissante des bénéficiaires de la SSDI accusent les États de laxisme et imposent une révision des dossiers plus fréquente. 40 % des personnes dont le cas est réexaminé sont ainsi radiées. Intervenant en pleine récession économique, cette politique s’est heurtée à une vive opposition de l’opinion et des États. Dix-sept États ayant refusé de durcir les critères médicaux comme le souhaite le Congrès, celui-ci, en 1984, change d’approche, vote un assouplissement des critères d’éligibilité et restreint la possibilité pour l’administration de revoir systématiquement l’éligibilité aux deux prestations. La définition de l’invalidité est élargie et l’administration de la Sécurité sociale est tenue de prendre en compte l’avis du médecin traitant et d’accepter que plusieurs déficiences non sévères puissent constituer en elles-mêmes une invalidité au sens de la sécurité sociale (Autor, Duggan, 2003). Cet élargissement de la notion d’invalidité entraîne un accroissement immédiat du nombre de bénéficiaires des deux dispositifs. Le nombre d’allocataires du SSI double pratiquement entre 1982 et 1986 alors que sur la même période, le nombre d’allocataires de la SSDI s’accroît de 38 %.
34L’augmentation des bénéficiaires du SSI apparaît aussi directement corrélée à la réforme de l’aide sociale [7]. En effet, cette réforme a eu des conséquences importantes puisqu’elle a conduit à une réduction de 58 % des bénéficiaires de l’aide sociale entre 1996 et 2002 (Nadel, Wamhoff, Wiseman, 2003). À partir des années 1990, dans le contexte de la réforme de l’Aid to Families with Dependant Children (AFDC) dont la généralisation se profile (1996), certains États poussent les allocataires de cette prestation d’aide sociale à demander à bénéficier du SSI. C’est ainsi que dans les premières années quatre-vingt-dix, le nombre de bénéficiaires augmente de 35 % et même de 470 % pour les personnes souffrant d’alcoolisme ou d’addiction aux drogues. En 1996, les conditions d’éligibilité du SSI sont donc de nouveau restreintes pour exclure cette dernière catégorie de personnes. Le nombre d’allocataires ne cesse cependant pas de croître à un rythme soutenu (Autor, Duggan, 2002). En effet, les prestations de remplacement pour les personnes handicapées sont devenues financièrement plus attractives ces dernières années que le travail non qualifié, dans la mesure où elles sont indexées sur le salaire moyen, ce qui n’est pas le cas pour ce type d’emplois.
35Le General Accountability Office (GAO) avait estimé dans plusieurs études que les programmes SSDI et SSI ne mettaient pas suffisamment l’accent sur les incitations de retour à l’emploi. Selon cet Office, si 1 % seulement des bénéficiaires de l’une de ces allocations reprenait un travail, les économies réalisées atteindraient environ 2,9 milliards de dollars pour la Sécurité sociale. Afin de corriger les effets les plus désincitatifs du dispositif, le Congrès américain a adopté en décembre 1999, à l’initiative de l’administration Clinton, le Ticket to Work and Work Incentives Improvements Act, le TWWIIA (cf. ci-dessous).
Au Canada également, le lien entre prestations d’invalidité, situation économique et évolution du marché du travail apparaît clairement (cf. figure 3).
Évolution du nombre moyen annuel de nouveaux bénéficiaires des pensions d’invalidité du RPC et de la RRQ

Évolution du nombre moyen annuel de nouveaux bénéficiaires des pensions d’invalidité du RPC et de la RRQ
36En effet, le nombre de cas d’invalidité s’est accru entre 1984 et 1995 reflétant la récession économique du début des années 1980. La croissance observée à partir de 1989, est attribuable en partie aux changements législatifs de 1987 réduisant les exigences en matière de cotisations et également la loi de 1992 qui assouplit encore les critères d’admissibilité. Mais les changements législatifs ne sont pas les seuls facteurs à l’origine de la forte croissance du nombre de pensions. La dégradation du marché du travail a conduit au chômage les salariés les plus âgés qui ont été dirigés vers le RPC tant par les programmes d’aide sociale provinciaux que par les compagnies d’assurance. La baisse observée à partir de 1994 reflète les nouvelles lignes directrices de l’évaluation médicale.
Au Québec, les effets de la récession économique et du chômage sont moins clairement lisibles.
Les politiques d’activation
37Dans les deux pays, il est très difficile d’évaluer le pourcentage de personnes handicapées qui ont un emploi. Les taux d’emploi des personnes handicapées diffèrent sensiblement selon les enquêtes en fonction des définitions du handicap adoptées et des populations enquêtées.
38Aux États-Unis, selon le recensement de 2000, six personnes sur dix ayant déclaré une incapacité disent travailler, contre huit personnes sur dix pour la population sans incapacité. Le taux d’emploi des hommes est supérieur à celui des femmes. Le Disability Status Report de 2006 (RRTCDDS, 2007) réalisé par Cornell University est beaucoup plus pessimiste quant à la situation des personnes handicapées face à l’emploi: 37,7 % des personnes handicapées travailleraient dont 22,4 % seulement à temps plein, le pourcentage de la population sans incapacité employée étant lui très proche de celui du recensement.
39Au Canada, le taux d’emploi des personnes handicapées varie plus faiblement selon les différentes enquêtes, de 41,8 % à 45,6 % (EPLA 2001/Enquête sur la dynamique du travail et du revenu 2004) (Gouvernement du Canada, 2005) contre un peu moins de 80 % pour les personnes sans handicap. Les personnes handicapées travailleraient moins souvent à temps partiel que les personnes n’ayant pas d’incapacité (18,4 % contre 21 %) (RHDS Canada, 2006), contrairement à la plupart des pays.
Aux États-Unis, ainsi que nous l’avons déjà indiqué, l’ADA ne crée pas d’obligation d’emploi mais protège les personnes handicapées pour l’accès à l’emploi et le maintien dans leur emploi.
Ticket to work, un programme de réinsertion dans l’emploi inefficace aux États-Unis
40Un des principaux programmes pour aider les personnes handicapées à (re)prendre un emploi est le programme Ticket to work, mis en place en 1999 et relancé en 2005. Ce programme géré par la Sécurité sociale crée des incitations à travailler pour les personnes handicapées bénéficiaires des prestations d’invalidité SSDI ainsi que les prestations SSI. Les résultats de ce programme restent très inférieurs aux attentes des responsables, principalement en raison de la définition même de l’admissibilité à la pension d’invalidité qui impose d’être incapable de travailler pendant plus de douze mois et d’avoir un handicap sévère. Ce message contradictoire est renforcé par la crainte des personnes handicapées de perdre leurs droits à l’assurance santé, Medicare ou Medicaid, en accédant à un emploi, d’autant que les délais d’acquisition de ce droit sont particulièrement longs (deux ans).
41Afin d’atténuer les effets dissuasifs de ces dispositions, l’administration de la sécurité sociale a adopté récemment de nouvelles mesures. Les bénéficiaires de la pension d’invalidité (SSDI) qui décident de reprendre un emploi gardent la totalité de leurs prestations durant la période d’essai ainsi que leurs droits à Medicare. Passée cette période, les pensionnés peuvent conserver durant 36 mois la SSDI si leurs gains ne dépassent pas 940 dollars (603 euros) par mois (ou 1 570 dollars (1 006 euros) pour les personnes aveugles). Si leur pension est suspendue en raison d’un niveau trop élevé de salaire, ils continuent à bénéficier gratuitement de la partie A (prise en charge de l’hospitalisation) de Medicare pendant une durée de 93 mois après la fin de leur période d’essai. Pour les personnes allocataires du revenu minimum SSI, leur situation diffère selon les États. Si elles accèdent à un emploi, elles peuvent continuer à percevoir l’allocation jusqu’à un niveau de revenu global fixé par chaque État pour l’attribution du SSI. En cas de suspension de l’allocation, la couverture d’assurance-maladie Medicaid est maintenue en fonction des seuils de revenu fixés par chaque État (SSA, 2008c).
Sur plus de 12 millions de Ticket envoyés avant mars 2007 par l’administration de la Sécurité sociale afin d’inciter les pensionnés à entrer dans un programme d’insertion à l’emploi, 144 000 personnes seulement se sont inscrites dans ce programme. Sur ces 144 000, à peine 0,01 % des personnes ont réellement intégré le marché du travail (Autor, Duggan, 2007). Le peu de succès de cette procédure s’explique aisément dans la mesure où les personnes ont dû prouver préalablement par tous les moyens leur incapacité totale à travailler afin d’obtenir la prestation d’invalidité dont les délais d’obtention sont particulièrement longs (Sutter, 2008) et nécessitent souvent de nombreux recours (SSA, 2007b).
Au Canada, des ententes entre État fédéral et Provinces
42Au Canada, la loi sur l’équité en matière d’emploi ainsi que les lois similaires adoptées dans chaque Province participent à la politique visant à favoriser l’accès à l’emploi des personnes handicapées. Cependant ces lois ne concernent que les entreprises travaillant au niveau fédéral ou sous contrat avec la Fédération (cf. supra). Si l’on se réfère aux résultats de l’enquête EPLA 2001, sur environ un million de salariés des entreprises concernées par la loi sur l’équité d’emploi, seulement 3,1 % sont handicapés. De même, de 1987 à 2004, l’emploi des personnes handicapées dans le secteur privé sous réglementation fédérale stagne autour de 2 % alors qu’environ 5 % de personnes handicapées auraient les qualifications nécessaires et chercheraient à travailler (RHDS Canada, 2006).
43Des ententes relatives au marché du travail sont signées entre les Provinces et l’État fédéral. L’État fédéral partage le coût de ces programmes avec les Provinces, mais ces dernières restent libres de leurs priorités, de leurs choix et de leurs approches. Des évaluations de cette politique sont en cours, dans trois Provinces: le Manitoba, la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard.
44Ces ententes ont donné lieu à deux programmes successifs. L’aide à l’employabilité des personnes handicapées, l’AEPH (1997-2003), se voulait un processus global de modernisation des politiques concernant les personnes handicapées. Il a été l’une des premières initiatives intergouvernementales de la période de renouvellement des politiques sociales. Le Québec n’a pas participé à ce programme. Dans ce programme, la contribution du gouvernement fédéral est limitée à un montant fixe et non à un pourcentage des coûts engagés par les Provinces. L’objectif affiché est d’insérer les personnes handicapées sur le marché du travail ordinaire et non en ateliers protégés. Depuis 2003, le nouveau programme, l’Entente sur le marché du travail visant les personnes handicapées, EMTPH, impose au gouvernement fédéral d’assumer la moitié des coûts engagés par les Provinces dans leurs programmes et services œuvrant dans ce cadre. Le financement total du gouvernement du Canada atteint 223 millions de dollars par année.
45Les Provinces sont obligées de soumettre à l’autorité fédérale un plan annuel qui identifie leurs priorités d’intervention, la description de leurs programmes et la liste des indicateurs. Ces plans ne peuvent être modifiés par le gouvernement fédéral. Pour certains experts (Graefe, Levesque, 2006), « la lecture des ententes-cadres multilatérales ainsi que les ententes bilatérales démontrent la capacité du gouvernement central de s’assurer d’une certaine intégration pancanadienne des objectifs et des grands principes des programmes d’employabilité pour personnes handicapées ». En effet, les objectifs retenus sont les mêmes dans toutes les ententes et les Provinces s’accordent sur les priorités. Seuls le Québec et les Territoires restent à l’écart de ce cadre multilatéral, ce qui ne les empêche pas de souscrire aux principes généraux communs.
46Le principe de financement partagé par moitié entre le niveau fédéral et les Provinces pose problème tant aux Provinces riches qu’à celles moins bien nanties. L’Ontario, par exemple, ayant déjà mis en œuvre toute une panoplie de programmes d’emploi pour les personnes handicapées souhaiterait disposer d’un transfert global inconditionnel plutôt que de devoir mettre 70 millions de dollars (somme égale à la participation fédérale) dans les programmes de l’entente. D’autres États moins bien lotis financièrement, comme le Nouveau Brunswick, ont du mal à abonder leur part au niveau attendu par le gouvernement fédéral (6 millions de dollars) (Gouvernement du Canada, 2005). C’est la raison pour laquelle les Provinces les moins riches utilisent ces fonds à d’autres fins: santé mentale, dépendance…
47Comme nous l’avons souligné au cours de cet article, une des différences importantes entre les États-Unis et le Canada concernant les politiques destinées aux personnes handicapées, est le rôle attribué au niveau fédéral. Aux États-Unis, tant la loi fédérale ADA que le Rehabilitation Act structurent toute la politique de non-discrimination. De même relève du gouvernement fédéral, la plus grande partie des prestations accordées aux personnes handicapées. Au Canada, en revanche, les Provinces se sont vues déléguer l’ensemble des pouvoirs dans les secteurs sociaux et restent assez méfiantes quant aux empiétements éventuels de l’État fédéral sur leur domaine de compétences, le Québec étant pour sa part farouchement hostile à toute implication du pouvoir fédéral en matière sociale. Les différences de politiques entre les Provinces canadiennes apparaissent donc plus sensibles que celles observées entre les États fédérés aux États-Unis dans ce domaine, et en particulier s’agissant du handicap. Pour Sherri Torjman (2001), le Canada n’a pas « un système global et intégré pour satisfaire les besoins des personnes handicapées ». La politique en faveur des personnes handicapées interviendrait, selon lui, à travers une réalité fédérale complexe où la diversité d’interprétation des juridictions, le recoupement et le chevauchement des dispositifs ainsi que la fragmentation des politiques seraient la loi commune.
48Une autre différence fondamentale entre les deux pays a trait à l’assurance-maladie. Aux États-Unis, le parcours long et difficile des personnes handicapées pour obtenir une prestation invalidité qui ouvre droit à une assurance-maladie est un facteur de blocage important pour développer des politiques d’activation et plus globalement pour aider ces personnes à sortir de la pauvreté. En revanche, au Canada, la couverture maladie est obligatoirement publique et les services sont fournis par un service national de santé dans toutes les Provinces.
49Des convergences apparaissent néanmoins entre les deux pays. Les associations de personnes handicapées ont ainsi joué un rôle fondamental de lobbying, en particulier au niveau fédéral, pour l’adoption de lois majeures et l’évolution de politiques en faveur des personnes handicapées sur le modèle des droits civiques. Elles sont particulièrement attentives désormais à imposer une certaine harmonisation des situations des personnes handicapées sur l’ensemble du territoire. Une autre convergence à relever concerne la difficulté à mettre en œuvre des politiques efficaces d’activation dans des pays où l’incapacité partielle n’est pas reconnue.
50Enfin, il convient de souligner dans les deux pays l’importance croissante de l’appareil judiciaire dans l’interprétation des lois de non-discrimination, principalement aux États-Unis et, dans une moindre mesure, au Canada. Dans ce dernier, les accords à l’amiable et les ententes entre Provinces et État fédéral semblent encore la règle.
À ce propos, il convient de s’interroger sur les effets provoqués par un système fondé sur la jurisprudence où les tribunaux peuvent infléchir sensiblement les objectifs politiques des gouvernements et altérer ainsi l’efficience attendue des principes affichés par les législateurs.
En effet, les résultats de la mise en œuvre des politiques d’anti-discrimination dans les deux pays sont sensiblement différents, puisqu’au Canada les plaignants se voient reconnaître majoritairement leurs droits alors qu’aux États-Unis ils sont, dans la plupart des cas, déboutés.
Notes
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[1]
Sylvie Cohu et Diane Lequet-Slama: chargées de mission sur les dossiers internationaux à la DREES.
Dominique Velche: chargé de recherche au CTNERHI (Paris, France). -
[2]
Cf. l’article dans ce numéro de R. Jahiel « Évaluation de l’Americans with Disabilities Act ».
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[3]
Il faut avoir cotisé au moins l’équivalent de deux trimestres par an dans les années précédant l’apparition du handicap. En règle générale, il faut 40 trimestres dont 20 au moins dans les dix dernières années d’activité et au moins un par année après l’âge de 21 ans. Des règles moins contraignantes sont appliquées aux plus jeunes et aux aveugles. La prestation doit être payée au bout de six mois après l’apparition du handicap.
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[4]
En 2006, 16,5 % des personnes handicapées en âge de travailler recevaient le SSI (RRTCDDS, 2007).
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[5]
La plupart des États utilisent les mêmes règles d’attribution pour Medicaid que celles utilisées par l’administration fédérale de la Sécurité sociale (SSA) pour l’attribution du SSI, mais onze États (Connecticut, Hawaï, Illinois, Indiana, Minnesota, Missouri, New Hampshire, North Dakota, Ohio, Oklahoma et Virginie) ont adopté d’autres critères (SSA, 2008b).
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[6]
Pour obtenir la pension d’invalidité, un travailleur doit présenter une incapacité physique ou mentale à la fois grave et prolongée et avoir assez cotisé (c’est-à-dire avoir eu un revenu annuel d’au moins 3 500 dollars) au RPC (ou à la RRQ) durant au moins quatre des six dernières années précédant immédiatement l’invalidité ou avoir cumulé un minimum de 25 ans de cotisations au RPC (ou RRQ) et avoir cotisé pendant trois des six dernières années (Service Canada, 2008).
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[7]
Cf. dans ce même numéro, les articles de Gary Burtless, « Évaluation de la réforme du Welfare aux États-Unis », et Christel Gilles, « Réformes du Welfare et croissance aux États-Unis: quels résultats? Un survey de littérature américaine ».