1Le programme américain Medicare a pleinement sa place dans le débat sur les défis auxquels sont confrontés les pays occidentaux en matière de réforme des systèmes de santé, et ce pour plusieurs raisons. Aux États-Unis, Medicare est, en lui-même, une réforme, en réalité la réforme la plus ambitieuse jamais engagée à ce jour. Il a également été le laboratoire et le terrain de lancement de réformes qui ont ensuite été appliquées au système de santé dans son ensemble (et même à certains systèmes de santé européens), s’est vu imposer des réformes par les décideurs économiques nationaux et est parfois évoqué comme base possible de l’improbable réforme baptisée couverture universelle abordable (« affordable universal coverage »). Ce rapide bilan laisse transparaître des paradoxes dans la nature et la philosophie du dispositif. Pour la gauche, Medicare est trop limité et n’est qu’une composante d’un système de couverture universelle qui ne demande qu’à s’étendre et à s’améliorer. Pour la droite, il est trop imposant, représentant l’incarnation plus qu’embryonnaire d’une médecine socialisée qui risque de devenir plus envahissante et plus menaçante si elle n’est pas étroitement contrôlée et encadrée. Quant au centre, il voit dans Medicare un laboratoire d’innovations et d’initiatives alimenté par son imposante présence financière au sein du système de santé américain dans son ensemble.
2Cet article s’organise en trois parties. Il commence par brosser un tableau du contexte dans lequel s’inscrit Medicare et des grandes caractéristiques du programme. Il dresse ensuite un rapide bilan des débats actuels concernant trois domaines de réforme : la rémunération des prestataires, la couverture et le financement. Enfin, il resitue Medicare dans le contexte du débat, qui refait surface en 2008 à l’approche des élections nationales, sur la réforme du système de santé américain dans son ensemble et fait ressortir certains liens entre les défis auxquels sont confrontés les États-Unis et ceux à relever par d’autres systèmes de santé.
Medicare : historique et caractéristiques
3Adopté en 1965 parallèlement à Medicaid, un programme spécifiquement destiné aux citoyens à bas revenus, Medicare était le condensé politique du modèle d’assurance-maladie national dont les réformateurs rêvaient depuis longtemps en vain. Il offrait une couverture maladie aux personnes âgées (et, par la suite, en 1972, aux invalides), couvrait les soins hospitaliers et médicaux, mais pas les médicaments délivrés en ambulatoire ni les soins de longue durée. La prise en charge des soins hospitaliers (partie A de Medicare) était financée par un système d’assurance sociale, en l’occurrence un fonds d’assurance hospitalisation (Hospital Insurance Trust Fund) inspiré du système de Sécurité sociale (créée en 1935), tandis que la prise en charge des frais médicaux (partie B de Medicare) était financée par des recettes fiscales et des primes versées par les bénéficiaires, ressources qui étaient confiées à un fonds, le Supplementary Medical Insurance Trust Fund. La partie C de Medicare a été créée pour régir la participation des plans de managed careet en 2003, une partie D a été instaurée pour couvrir les médicaments délivrés en ambulatoire.
4Concernant la rémunération des prestataires, Medicare s’est inspiré des principes appliqués dans le secteur privé (par Blue Cross et Blue Shield), principes singuliers, voire sans équivalent à l’échelle internationale. Les hôpitaux se sont vu garantir un paiement rétrospectif sur la base des coûts réellement engagés pour traiter les bénéficiaires de Medicare et les médecins une rémunération calculée en fonction des honoraires habituellement pratiqués dès lors qu’ils étaient jugés « raisonnables » à l’aune des normes locales (comme précisé ci-après, ces systèmes de rémunération ont été modifiés, en 1983 pour les hôpitaux et en 1989 pour les médecins). Ces dispositions généreuses et coûteuses avaient à la fois une finalité politique – contenir l’hostilité de la médecine organisée vis-à-vis de la place inédite et importante des fonds fédéraux dans le financement des soins de santé d’une partie de la population – et un objectif social – faire comprendre aux médecins et aux bénéficiaires, à travers cette harmonie financière entre les secteurs public et privé, que Medicare n’était ni un dispositif de protection sociale, ni un deuxième pilier du système de santé.
5Medicare était et reste un dispositif national, géré par le gouvernement fédéral et dans lequel les États ne jouent pas de rôle officiel. Le gouvernement passe toutefois des contrats avec des prestataires de services privés (essentiellement des plans d’assurance Blue Cross et Blue Shield) pour le traitement des factures et des paiements, – ce qui est une autre initiative destinée à rassurer les prestataires de soins, qui n’acceptent pas l’idée que des professionnels privés, libéraux, soient obligés d’avoir directement affaire à la machine administrative et à ses fonctionnaires.
La logique à laquelle obéissent les dispositions qui sont au cœur de Medicare est autant politique qu’analytique. Il a fallu du temps pour imposer une présence substantielle du secteur public dans le financement de la santé – les premiers débats sur la création d’une assurance-maladie nationale datent de l’époque de progrès que sont la fin du XIXe siècle et le début du XXe. Le dispositif a été conçu de manière à emporter l’approbation du Congrès malgré une forte opposition de l’American Medical Association, de membres influents des milieux d’affaires et des milieux conservateurs en général (en ce qui concerne les origines politiques et l’adoption de Medicare, cf. Marmor, 2000 ; Oberlander, 2003 ; Jacobs, 1993 et 2007 ; Feder, 1977 ; et Brown, 1996). Cette stratégie politique a fonctionné et le programme est resté en place. Toutefois, nombre de ses caractéristiques se sont révélées problématiques, ce qui a donné lieu à des débats sur de nombreux aspects, plus particulièrement sur la rémunération des prestataires, l’amélioration de la couverture des bénéficiaires et le moyen de renforcer de manière pérenne les bases financières du système (en ce qui concerne les défis posés par le programme en termes d’action publique, cf. Moon, 2006).
Débats actuels concernant trois domaines de réforme : la rémunération des prestataires, la couverture et le financement
La rémunération des prestataires
6Dès 1968 – tout juste trois ans après l’entrée en vigueur de Medicare – les autorités fédérales déploraient une « crise » du coût de la santé à laquelle, selon les opposants à Medicare, on ne pouvait que s’attendre avec un mode de rémunération qui offrait aux prestataires un « chèque en blanc » inflationniste. Trois stratégies de réforme ont alors été envisagées.
Le marché
7Dans un premier temps, le gouvernement fédéral a adopté et encouragé les réseaux de soins organisés (Health Maintenance Organizations, HMO), qui constituent le noyau de ce qui devait devenir le managed care, les considérant non pas comme une solution applicable à l’ensemble du système, mais plutôt comme un moyen d’introduire un élément d’efficience et de prévisibilité dans les dépenses de Medicare (Brown, 1983). Dans les faits, le résultat a été contraire aux attentes, puisque Medicare est toujours arrivé derrière les autres programmes du système de santé, y compris Medicaid, en termes d’affiliation aux HMO. Tous les gouvernements, de celui de Nixon à celui de George W. Bush, ont, sans grand succès, tenté d’améliorer la pénétration des HMO sur le marché de Medicare. Le taux de pénétration est passé de 12 % à 17 % des bénéficiaires environ après la décision du gouvernement d’améliorer les avantages liés à l’adhésion à une HMO pour les personnes âgées affiliées au dispositif « Medicare plus Choice », créé en 1997. Les assureurs ont alors compris que couvrir les personnes âgées était plus onéreux qu’ils ne l’avaient escompté et ont exercé des pressions sur le gouvernement fédéral pour obtenir une revalorisation des tarifs. Le refus de Washington a incité de nombreux plans à quitter le marché, si bien que beaucoup de personnes âgées ont réintégré le programme Medicare traditionnel ; en outre, les récits des médias sur la cupidité des acteurs du managed care ont alimenté une révolte contre ce mode d’organisation du système de soins, qui s’est généralisée à l’ensemble du pays. Le taux de pénétration étant retombé à 12 %, le gouvernement Bush et le Congrès républicain ont fait une nouvelle tentative : il a été décidé que la prestation de remboursement des médicaments délivrés sur ordonnance, créée par la loi de 2003 sur la modernisation de Medicare (Medicare Modernization Act), ne serait proposée que par des plans d’assurance privés en concurrence les uns avec les autres, ce qui, d’après les tenants du marché, devait inciter les personnes âgées à adhérer aux réseaux de soins proposés par les compagnies privées (Managed Care Organization, MCO) pour l’ensemble de leur plan Medicare, désormais baptisé « Medicare Advantage » (Oliver, 2004 ; Oberlander, 2007). Il faut noter que le taux de pénétration a alors retrouvé le niveau qui prévalait à la fin des années quatre-vingt-dix. Les lignes de front idéologiques sont bien ancrées : les conservateurs sont hostiles au caractère public marqué de Medicare et souhaitent accélérer l’entrée de plans privés en concurrence les uns avec les autres. Les libéraux demeurent sceptiques face au managed care et aux stratégies concurrentielles en général et plus particulièrement pour les bénéficiaires âgés, coûteux et fragiles. L’avenir du managed caredans le programme Medicare dépend essentiellement de la manière dont le pouvoir sera partagé entre ces deux camps, à l’avenir.
La régulation
8Quinze ans après la création de Medicare, son coût a augmenté d’année en année, ce qui a conduit le gouvernement Reagan à appliquer de nouveaux mécanismes de discipline budgétaire à ces dépenses « incontrôlables ». En 1983, le gouvernement fédéral a remplacé le système de paiement rétrospectif des hôpitaux fondé sur les coûts réels par un système prospectif faisant appel à un barème basé sur les groupes homogènes de diagnostics (DRG) (Smith, 1992). En 1989, un nouveau type de barème, reposant sur une échelle mesurant les ressources mobilisées en les modulant selon le lieu d’exercice du praticien (Resource-based relative value scale, RBRVS), a remplacé le mode de rémunération des médecins qui reposait sur le paiement d’honoraires « habituels mais raisonnables » (Oliver T., 1993). Aujourd’hui, bon nombre d’observateurs prédisent que le système de remboursement des médicaments en vigueur depuis 2003 sera lui aussi soumis à un système de paiement prospectif le moment venu. Au passage, il convient de noter que, dans le cas du managed care, ces réformes des modes de rémunération ont d’abord été mises en œuvre dans le secteur public, au niveau de l’administration fédérale et dans le programme Medicare, et non dans le système de soins de santé privé reposant sur les employeurs (le système de santé de l’administration des anciens combattants ( Veterans Administration) constitue une autre innovation majeure d’origine publique) (Oliver A., 2007). À l’évidence, un élément important a échappé à ceux qui prétendent que les pouvoirs publics et l’administration sont, par nature, mal placés pour innover.
Le paiement à la performance
9Le paiement à la performance (P4P) est désormais la plus prisée des stratégies de réforme de la rémunération dans le cadre de Medicare. Cette approche comporte deux aspects. D’une part, les études montrant que bien souvent, les bénéficiaires ne reçoivent pas tous les soins dont ils ont besoin, elle prévoit que les médecins (ou les plans de santé) peuvent être rémunérés en fonction de référentiels et d’objectifs cliniques. D’autre part, les analystes estiment que Medicare devrait réduire voire supprimer la rémunération de manière plus radicale lorsque les performances sont mauvaises, par exemple en cas d’excès de soins, de gaspillage, de pratiques dangereuses ou autres défauts de qualité. Les responsables des Centers for Medicare and Medicaid Services ont récemment annoncé qu’ils cesseraient de payer aux hôpitaux les soins ayant comporté des erreurs médicales et pourraient, le moment venu, élaborer des mécanismes incitatifs visant directement à remédier à la mauvaise qualité des soins (pas seulement aux erreurs médicales en tant que telles). Dans le même temps, Medicare réalise dix essais de paiement à la performance, qui ont vocation à promouvoir et récompenser les améliorations en matière de communication des données, de performances cliniques des hôpitaux, de coordination entre les parties A et B du programme, d’utilisation des technologies de l’information en matière de santé, de sécurité des patients, de prise en charge globale de la pathologie (disease management), entre autres (Janus et Brown, 2007, p. 301-302). Globalement, les points de vue sur le système de paiement à la performance sont contrastés. Certains prétendent que payer pour améliorer la qualité des soins est un mécanisme incitatif qui procède du simple bon sens. D’autres s’étonnent que ce système soit plébiscité s’il est si mauvais (comme l’exprime sans ambages Bruce Vladeck, 2003).
La couverture
10La deuxième catégorie de réformes de Medicare concerne la couverture, en d’autres termes la question de savoir qui reçoit quoi. Quelque 44 millions d’Américains (37 millions de personnes âgées et 7 millions d’invalides) – soit environ 14 % de la population – sont couverts pour les soins hospitaliers, les soins médicaux et (désormais) la prise en charge des médicaments délivrés sur ordonnance. Environ 13 % des bénéficiaires (et plus de 25 % de ceux de plus de 80 ans) présentent à la fois un handicap cognitif et physique et les deux tiers souffrent de diverses maladies chroniques. Un tiers des bénéficiaires ont une acuité visuelle « au mieux moyenne » et 17 % ont un niveau d’instruction limité (NASI, 2003, p. 6).
Soins de longue durée
11Medicare couvre les séjours en maison de retraite médicalisée et les soins à domicile pendant une courte période après une hospitalisation. Ce caractère limité peut induire des coûts élevés pour les personnes âgées, qui, actuellement, y font face en souscrivant une assurance dépendance dans le secteur privé, en acquittant elles-mêmes le ticket modérateur ou en déduisant leurs dépenses médicales de leur revenu pour pouvoir prétendre à Medicaid (les personnes qui peuvent prétendre à la fois à Medicare et à Medicaid sont qualifiées de « Dual Eligibles »). Pendant des années, les artisans des réformes ont fait valoir que le gouvernement fédéral devrait assumer tout ou partie du coût des soins de longue durée ; toutefois, il n’est guère imaginable de faire supporter cette dépense supplémentaire à Medicare, que beaucoup jugent asphyxié par ses engagements actuels, sauf, peut-être, en utilisant un mécanisme de transfert de compétences entre le gouvernement fédéral et les États fédérés, c’est-à-dire en faisant passer des dépenses du domaine de la santé dans celui de l’aide sociale ; reste que toute proposition concrète de ce type donne instantanément lieu à controverse. Bien que leur coût s’annonce élevé à l’avenir, la question des maladies chroniques devrait continuer de faire partie des priorités en matière de politique de santé, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, du fait de l’augmentation du nombre de bénéficiaires de Medicare qui décèdent de maladies coûteuses – 6 % des bénéficiaires représentent 55 % des dépenses du programme (données de Kaiser citées dans Van de Water, 2007).
Médicaments
12L’innovation médicale donne constamment naissance à de nouveaux médicaments, souvent onéreux, bénéfiques aux personnes âgées, qui sont nombreuses à les prendre quotidiennement. Aujourd’hui, la situation est sur le point de s’améliorer, puisque près de quarante ans après l’instauration de Medicare, le gouvernement fédéral a, en 2003, ajouté une partie D qui couvre les médicaments délivrés en ambulatoire. Comme indiqué précédemment, cette décision correspondait d’une part à la volonté d’instaurer une couverture pour les dépenses de pharmacie et d’autre part à celle de « moderniser » Medicare. Les libéraux ont obtenu une amélioration substantielle des prestations proposées par le programme et les conservateurs ont réussi à intégrer à Medicare des plans privés en concurrence les uns avec les autres, ce dont ils espèrent des gains d’efficience élevés ; quant aux professionnels de l’assurance et du managed care, ils attendent un afflux de nouveaux adhérents dès lors que les bénéficiaires feront de leur plan de prise en charge des médicaments celui qui assurera la couverture de l’ensemble de leurs soins médicaux.
13La mise en place de la partie D est encore en chantier. Plus de la moitié des bénéficiaires du programme (22,5 millions de personnes en juin 2006) ont demandé leur affiliation à la nouvelle couverture, ce qui représente un allégement financier important. Toutefois, certains doutent que l’on ne puisse faire confiance aux plans privés pour se livrer une concurrence responsable. Ainsi, début 2008, deux grands plans contrôlaient à eux seuls 40 % du marché de la partie D et annonçaient une hausse substantielle de leurs primes (Zhang, 2007, D9). Le pouvoir politique de l’industrie pharmaceutique et l’hostilité des conservateurs à l’égard d’un renforcement de la réglementation fédérale ont conduit à l’adoption d’un engagement légal explicite à ce que le gouvernement fédéral n’utilise pas son pouvoir de négociation pour négocier le prix des médicaments à la baisse. Il convient de noter toutefois que les chercheurs qui s’intéressent à l’histoire de Medicare, font observer que de telles promesses ont déjà été faites et rompues par le passé. Ainsi, la loi de 1965 qui a créé Medicare comportait un engagement aux termes duquel le gouvernement fédéral promettait de ne pas interférer avec le système de délivrance des soins, ce qui n’a pas empêché le gouvernement Nixon de dénoncer ce principe cinq ans plus tard et de lancer les HMO comme solution concurrentielle. Suite à la mise en œuvre de la nouvelle loi, la part de Medicare dans les dépenses totales de médicaments a connu une forte hausse, passant de 2 % en 2005 à 22 % en 2006 (Kaiser Family Foundation, 2007), ce qui, implicitement, donne au gouvernement fédéral de nouveaux arguments qu’il pourrait décider d’exploiter. D’après certains observateurs, si l’équilibre des pouvoirs bascule au profit de la gauche et si les démocrates accèdent aux responsabilités à l’échelon fédéral, de nouvelles pressions s’exerceront au niveau fédéral sur le prix des médicaments et il faut s’attendre à un projet d’achat prospectif des médicaments ou autre projet de même nature.
Innovation
14Pour décider des médicaments, appareillages et actes à couvrir, Medicare évalue s’ils sont adaptés et efficaces. En revanche, les tentatives effectuées depuis vingt ans pour prendre en compte le critère coût-efficacité n’ont jusqu’à présent pas porté leurs fruits (Foote, 2002). De même, le processus décisionnel ne se résume pas à la procédure dite de couverture nationale d’une innovation (national coverage decisions). Bien que Medicare soit un programme fédéral, dans lequel les États ne jouent pas de rôle officiel, les opérations de contrôle (medical reviews) conduites par les administrateurs régionaux [2] introduisent des disparités et des inégalités dans la couverture, ce qui se traduit par des insuffisances en termes de transparence et d’obligation de rendre compte (MedPAC, 2003 ; Foote et al., 2005). À la différence des arguments concernant la couverture des soins de longue durée et des médicaments, qui sont débattus sur la place publique, les discussions relatives à la prise de décision en matière d’innovation médicale restent techniques et confidentielles.
Le financement
15Medicare représente un engagement financier colossal, probablement appelé à continuer d’augmenter. Reste à savoir à quel rythme il va croître et avec quels types de recettes il va être financé.
Assurance sociale
16La prise en charge des soins hospitaliers (partie A) de Medicare est financée par des cotisations sur les salaires (payroll tax). Depuis des années, les gestionnaires du système mettent en garde contre la faillite imminente du fonds d’assurance hospitalisation et la question de la « non-viabilité » de Medicare est désormais une idée généralement admise par le public, la presse et les décideurs économiques. Ces prédictions sont toutefois sujettes à caution : la viabilité du système dépend des taux de croissance et de productivité de l’économie, de l’utilisation des services de santé par les personnes âgées, de l’inflation des prix en général et des prix médicaux en particulier et d’autres variables difficiles à prévoir, en particulier à un horizon de vingt ans ou plus (Oberlander, 2003 ; White, 2007). De même, le gouvernement n’est pas impuissant. Comme le fait observer Van de Water (2007, p. 4), malgré une insolvabilité annoncée depuis trente-cinq ans, les « prestations ont toujours été versées parce que le Congrès a pris des mesures pour qu’elles le soient ». Le taux de cotisation est depuis longtemps fixé à 2,9 % (1,45 % pour les employeurs et les salariés), et pourrait être relevé, même si cette décision doit être très douloureuse sur le plan politique. De même, comme le montre l’expérience des systèmes de santé européens de type assurantiel, ce mode de financement est à la fois exposé à l’inversion du ratio de dépendance (diminution du nombre de travailleurs contribuant à un système qui prend en charge les soins de bénéficiaires de plus en plus nombreux) et incapable de trouver des formes « modernes » de recettes, telles que plus-values et revenus de l’immobilier. Les ressources de l’assurance sociale doivent, par conséquent, être complétées par des recettes fiscales.
Fiscalité
17Les parties B et D de Medicare sont en grande partie financées par des recettes fiscales, ce qui tient à distance le spectre de la « faillite » mais crée une agitation politique autour des hausses des prélèvements obligatoires (autres que les cotisations sociales). La part de l’impôt dans le financement global de Medicare risquant d’augmenter – selon une projection, elle passerait de 39,7 % des dépenses totales du programme en 2007 à 48,3 % en 2016 (Kaiser Family Foundation, 2007) – les conservateurs ont intégré à la loi de 2003 sur la modernisation de Medicare une disposition exigeant que des avertissements soient lancés et que des études soient effectuées si la part de la fiscalité dans le budget du programme approchait 45 %. Les libéraux ont critiqué cette mesure, dans laquelle ils voient une nouvelle tentative pour remettre en cause la légitimité (encore considérable) de Medicare et saper la confiance de la population dans le programme (Oberlander, 2007).
Participation des bénéficiaires
18Présenter Medicare comme une énorme machine publique excessivement généreuse envers des personnes âgées âpres au gain, comme le font ses détracteurs, relève de la caricature. Bon nombre des bénéficiaires du programme ne sont pas particulièrement aisés. 10 % d’entre eux disposent de revenus inférieurs au seuil de pauvreté, et 29 % de revenus inférieurs à 200 % du seuil de pauvreté ; en 2002, plus de la moitié des bénéficiaires avait un patrimoine inférieur ou égal à 20000 dollars. En moyenne, le dispositif couvre moins de la moitié (45 %) des frais médicaux des personnes âgées, même si l’on peut s’attendre à ce que la prise en charge des médicaments dans le cadre de la partie D vienne augmenter ce pourcentage. Les bénéficiaires plus aisés souscrivent souvent une assurance complémentaire. Les primes pour les parties B et D et les plafonds appliqués à la couverture de la partie A représentent un coût non négligeable ; en outre, contrairement à la majorité des plans souscrits par l’intermédiaire de l’employeur, Medicare ne plafonne pas les dépenses à la charge des patients (Kaiser Family Foundation, 2007). Cependant, alléger les charges des bénéficiaires supposerait d’alourdir celles qui pèsent sur les salaires et les revenus en général – un dilemme que Medicare partage à l’évidence avec de nombreux systèmes de santé européens.
Réforme du système : Medicare pour tous?
19À la veille des élections nationales de novembre 2008, 47 millions d’Américains sont dépourvus de couverture maladie, la réforme du système de santé est (une nouvelle fois) à l’ordre du jour, l’une des stratégies proposées étant celle d’un système à payeur unique, qui couvrirait l’ensemble de la population (« Medicare for All »). Le programme Medicare constitue la pierre angulaire de la politique sociale des États-Unis ; il a permis à des millions de citoyens de bénéficier de soins de meilleure qualité et de gagner en tranquillité d’esprit. En outre, ses frais de fonctionnement sont modiques (2 %) et la hausse annuelle des dépenses engagées pour couvrir ses fragiles bénéficiaires a été, en moyenne, légèrement inférieure (1 %) à celle affichée par le secteur de l’assurance privée. Toutefois, envisager une telle extension de Medicare ne va probablement pas sans poser de problèmes, comme le montre une rapide comparaison entre l’approche qui consiste à étendre Medicare à l’ensemble de la population (« Medicare for All ») et celle qui consiste à rendre Medicaid accessible à davantage de citoyens (« Medicaid for more »). Pour louable qu’il soit en théorie, un système de type « payeur unique » aurait pour conséquence de transférer des dépenses équivalant à quelque 8 % du PIB américain (plus de 1 000 milliards de dollars de dépenses de santé privées) vers le budget fédéral, une somme colossale qui susciterait l’inquiétude des conservateurs et peut-être d’une fraction non négligeable de la population. Comparativement, rendre Medicaid accessible à davantage de bénéficiaires est une stratégie plus « progressive » et par conséquent (a priori), perçue comme moins inquiétante. Lors de sa création, Medicare était un dispositif essentiellement destiné aux personnes âgées et il l’est resté depuis lors. Medicaid s’adressait aux bénéficiaires de l’aide sociale (welfare) mais a, au fil du temps, régulièrement accueilli de nouvelles catégories de bénéficiaires – femmes et enfants pauvres mais ne relevant pas de l’aide sociale, invalides, malades mentaux, personnes âgées pauvres, entre autres – et couvre aujourd’hui (avec le State Children’s Health Insurance Program, assurance médicale pour les enfants défavorisés) environ 60 millions d’Américains (sur Medicaid, cf. Smith et Moore, 2008 ; et Brown et Sparer, 2003). Malgré l’amélioration induite par la création de la partie D, Medicare offre moins de prestations que Medicaid et que les plans de santé souscrits par l’intermédiaire des employeurs. Les craintes suscitées par les risques de faillite du système et les contraintes liées à l’assurance sociale incitent à une augmentation de la part des recettes fiscales dans le financement, si bien que Medicare se rapproche du modèle de Medicaid, y compris en termes d’application de conditions de ressources. Enfin, comme il est probablement trop tard pour priver les États du caractère « national » du système, le programme Medicaid, qui repose sur un partage des compétences entre l’échelon fédéral et celui des États, offre peut-être une base plus solide qu’un système unitaire comme Medicare pour engager des réformes. Ces observations ne sont pas exhaustives mais sont suffisantes pour conclure que les décideurs américains seraient bien inspirés de réformer Medicare tel qu’il est (du moins pour l’instant), plutôt que de lui faire assumer d’ambitieux objectifs de couverture universelle.
Conclusion
20Parce que Medicare est un dispositif hors norme dans un système de santé non moins singulier, il est paradoxal et surprenant que sa réforme soulève des questions étonnamment proches de celles qui se posent dans d’autres pays occidentaux. Ainsi, pour maîtriser les coûts, ces pays expérimentent des solutions concurrentielles et tentent le managed care – la réforme qui a instauré le « médecin traitant », examinée par R. Rodwin et C. Le Pen (2004) et par M. Naiditch de l’Irdes (2008), en est un excellent exemple –, utilisent le système des DRG ou la rémunération à la performance. Ils sont aux prises avec des difficultés politiques et financières en ce qui concerne la couverture des soins de longue durée, des dépenses de pharmacie et des nouvelles technologies. La recherche d’un compromis stratégique et politique entre assurance sociale, impôt et participation des patients est également un sujet récurrent dans les discussions sur le financement des systèmes d’assurance-maladie nationaux. À l’évidence, les débats qui ont lieu aux États-Unis au sujet de Medicare ne sont que des variations sur des thématiques de politique de santé plus vastes. Par conséquent, d’autres pays pourraient tirer des enseignements des tensions et de l’agitation qui règnent aux États-Unis, tout comme les États-Unis auraient sans doute beaucoup à apprendre des pays européens, s’ils voulaient bien s’en donner la peine.
Notes
-
[1]
Professeur de politique et management de la santé à la Mailman School of Public Health de la Columbia University (New York, États-Unis).
-
[2]
Les programmes de « medical review » ont pour objectif de réduire le risque d’erreurs de paiement en repérant et en corrigeant les erreurs de facturation commises par les praticiens, qu’elles concernent les soins couverts ou la codification (ndlr).