CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La loi de 1990 sur les personnes handicapées (Americans with Disabilities Act, ADA), à laquelle est consacré cet article, est une loi de non-discrimination d’importance majeure. Ses implications en termes d’égalité des chances, de participation active ou de capacité d’action de l’individu, de dépendance humaine et d’équité de la distribution des ressources, de nature et de définition du handicap, d’opposition entre le modèle social et le modèle médical du handicap ont déjà été examinées de manière approfondie (Francis et Silvers, 2000). Par ailleurs, les politiques publiques ont fait l’objet d’une typologie qui distingue l’approche négative ou répressive, le « laissez-faire », l’approche parcellaire, l’approche maximaliste reposant sur une définition du handicap centrée sur les déficiences individuelles, et enfin l’approche fondée sur une définition sociale — ou approche basée sur les droits — qui reconnaît la responsabilité de la société dans le handicap (Drake, 1999). Dans cet article, nous analysons l’ADA du point de vue des politiques publiques mises en œuvre face aux situations de handicap, en d’autres termes des politiques qui partent du postulat que le handicap résulte d’une interaction entre l’individu et son environnement (Fougeyrollas, 1997). Lorsque l’action publique aborde le handicap sous cet angle, il reste une dichotomie majeure: l’État doit-il intervenir — selon le modèle dit « de protection sociale » — au niveau des handicapés et de leur environnement pour les placer en position de force dans leurs interactions avec leur environnement; ou doit-il — selon le modèle généralement dit « de non-discrimination », dans lequel la notion de discrimination est interprétée au sens large, recouvrant tous les obstacles liés à l’environnement individuel — agir sur l’environnement pour que ce dernier s’adapte mieux aux besoins des individus? Cette distinction est particulièrement pertinente dans le contexte actuel parce que l’ADA, en cours de réexamen (ADA Restoration Act, projet de loi de 2007), est une loi de non-discrimination, tandis que la loi française du 11 février 2005 pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » repose sur le modèle de protection sociale.

2Ces deux approches législatives soulèvent plusieurs questions: quels sont les facteurs qui amènent l’État à opter pour l’une ou l’autre d’entre elles? Quelles sont les conséquences de chacune d’elles pour les différentes catégories de personnes handicapées? Quel est le rapport entre chacune de ces deux approches et le paysage politique du pays? Dans cet article, nous examinons ces questions à l’aide d’une méthodologie historique: les faits sont étudiés de manière chronologique et resitués dans leur contexte politique et social, et les évolutions de la société ainsi que les changements de génération sont identifiés. L’exercice du pouvoir est analysé en termes de confrontation, de recherche du consensus par le compromis et de conduites communes, y compris lorsqu’elles ont pour cadre une même culture, le « gouvernement » au sens de Foucault (Tremain, 2005) ou l’hégémonie au sens de Gramsci (1971). Le concept de situation de handicap est analysé d’abord en termes d’opposition entre situation liée à l’environnement et approche individuelle (Winance, 2007) puis, sur la base de la distinction entre situation d’altérité (dans laquelle un individu est considéré comme « autre » et fait l’objet d’une discrimination), situation de déficience (dans laquelle un individu souffre d’une limitation de ses capacités fonctionnelles) et situation de handicap (dans laquelle un individu voit sa participation à la vie sociale entravée). La méthodologie utilisée repose également sur l’analyse qualitative, à savoir que les questions analysées et les variables émergent au fil de l’étude au lieu d’être définies a priori. Nous avons en outre utilisé des sources telles que textes de loi, dispositions réglementaires, comptes rendus d’audiences devant le Congrès et articles, cités dans le texte, contenant des données qui permettent d’évaluer la manière dont la loi est appliquée par les tribunaux et d’analyser ses conséquences en termes d’emploi.
Après une présentation du contexte dans lequel s’inscrit l’ADA aux États-Unis, nous décrivons la manière dont elle a été élaborée et adoptée ainsi que ses principales caractéristiques. La troisième partie est consacrée à l’analyse de son impact et est suivie d’une réflexion sur les enseignements qu’il est possible d’en tirer, dans les contextes américain et français.

Le contexte historique de l’ADA

Le contexte américain

3Les États-Unis se caractérisent par l’existence de plusieurs contradictions politiques, qui ont toutes joué un rôle dans l’évolution de l’ADA.

4La première, née en même temps que le pays, oppose les aspirations et l’ordre social. Ainsi, alors que la Déclaration d’indépendance affirme que tous les hommes sont créés égaux, elle date d’une époque où l’ordre social reposait sur l’esclavage. Cette opposition se retrouve entre la notion de droits de l’Homme et celle de droits de propriété, qui sont l’une comme l’autre consacrées par la Constitution. Dans les années qui ont suivi la naissance des États-Unis, les droits de propriété portaient essentiellement sur la terre dans le sud et l’ouest du pays, tandis qu’ils concernaient les richesses industrielles dans le nord. Aujourd’hui, ils sont associés au monde des affaires, et le conflit se situe entre les aspirations au changement et les intérêts des entreprises.

5La deuxième oppose la liberté individuelle et la solidarité. La culture américaine (et l’économie politique) valorise l’indépendance des individus ainsi que leur esprit d’entreprise et de compétition, mais réserve une place à la solidarité.

6Une troisième ligne de fracture est observée entre les branches de gouvernement. Les États-Unis en comptent trois: deux d’entre elles sont élues — le Congrès et le président — et la troisième est nommée — la Cour suprême et les juridictions d’appel. Les juges sont nommés à vie. À cela s’ajoutent des divisions entre le gouvernement fédéral et celui des États fédérés.
Ces contradictions fluctuent en fonction du paysage politique. L’histoire récente des États-Unis a été marquée par deux grands bouleversements politiques: un mouvement progressiste, dans les années 1960, et un mouvement conservateur ou réactionnaire, dans les années 1980. En règle générale, les années soixante ont été plus propices aux aspirations, à la solidarité et au renforcement du rôle du gouvernement fédéral, tandis que les années quatre-vingt ont favorisé les intérêts des entreprises, l’individualisme et le désengagement du gouvernement fédéral en matière de protection sociale et de services en faveur des plus démunis. Le contexte politique actuel reste marqué par le mouvement des années 1980.

Les textes législatifs précurseurs de l’ADA

7La loi de 1964 sur les droits civiques (Civil Rights Act) interdisait la discrimination sur la base de la race et de la nationalité dans les lieux publics. La forte opposition à laquelle s’est heurtée son adoption, essentiellement de la part de nombreux Démocrates du Sud, a affaibli la version finale, qui ne vise que les lieux publics tels que les hôtels et les restaurants et limite les mesures d’exécution aux injonctions.

8De nombreuses lois fédérales relatives au handicap ont été adoptées pendant et immédiatement après la période progressiste des années 1960. Elles ont apporté aux personnes handicapées un revenu minimum (le Supplemental Security Income, SSI), des services en matière de santé (Medicaid), d’éducation (Education for All Handicapped Children Act) et de réadaptation (National Rehabilitation Act).

9Le National Rehabilitation Act de 1973 contenait, dans son article 504, une clause qui a été déterminante à double titre pour l’ADA. D’une part, elle donnait une définition générale du handicap qui a, in fine, été reprise dans l’ADA. D’autre part, elle interdisait toute discrimination à l’encontre des personnes handicapées dans les lieux publics et privés recevant des fonds fédéraux. L’article 504 a franchi l’étape du Congrès très facilement, à une époque où l’attention des législateurs et de la nation tout entière était monopolisée par le scandale du Watergate. Néanmoins, sa portée n’a pas tardé à être reconnue et il a fallu attendre plus de quatre ans pour que les textes d’application soient publiés (cf. infra).

10Au cours des dix années qui ont suivi la promulgation de ces textes, la plupart des gouvernements des États fédérés ont adopté des mesures interdisant la discrimination à l’encontre des personnes handicapées (Colker, 2007).

Encadré 1 : chronologie de I’ADA

  • 1960-1968: gouvernements Kennedy et Johnson (centre-gauche)
    1964: Civil Rights Act (qui a servi de modéle pour la rédaction du Titre III de I’ADA).
  • 1968-1979: gouvernements Nixon, Ford et Carter (diverses tendances du centre); Congrés démocrate
    1973: National Rehabilitation Act, article 504 (qui a servi de modéle pour la rédaction du Titre I et dont la définition de la personne handicapée a été reprise dans I’ADA comme solution de compromis).
    1978: publication tardive des textes d’application de I’article 504, suite à un sit-in organisé par des étudiants handicapés de I’université de Californie.
  • 1981-1992: gouvernements Reagan et Bush pére (centre-droite)
    1984: le National Council of the Handicapped (NCH) institué par la Rehabilitation Act de 1973 au sein du ministére fédéral de I’Education devient un organisme fédéral indépendant sur décision du président Reagan.
    1986-1988: le NCH publie deux rapports (Toward Independence en 1986 et On the threshold of Independence en 1988).
    1988: le premier projet d’ADA (S-2345 et HR 4498), dont le contenu est trés proche des rapports du NCH, est présenté devant les deux chambres du Congrés.
    1989: premiére révision du projet d’ADA, avec d’importants compromis en faveur des entreprises.
    1990: adoption de I’ADA.
    1992: début de mise en œuvre de I’ADA. Publication des textes d’application fédéraux de 1992 à 1994.
  • 1993-2000: gouvernement Clinton (centre)
    1999: trois interprétations restrictives (du Titre 1) de I’ADA par la Cour suprême.
    1999: la Cour suprême rend I’arrêt Olmstead (sur le Titre II).
  • 2001-2008: gouvernement Bush fils (centre-droite)
    2004: le National Disability Council publie un rapport intitulé Righting the ADA.
    2007: la loi portant rénovation de I’ADA (ADA Restoration Act) est présentée devant le Congrés.
    2008: le ministére fédéral de la Justice s’oppose à I’ADA Restoration Act.
    25 juin 2008: I’ADA Restoration Act est approuvée à une large majorité par la Chambre des représentants.

Les mouvements de personnes handicapées aux États-Unis

11Le processus de désinstitutionalisation des personnes qui ont un handicap mental ou psychique s’est amorcé dans les années 1950, suite à des révélations sur les conditions de vie déplorables dans de nombreux établissements. À partir des années cinquante, les associations de défense de personnes souffrant de handicaps spécifiques et de leur famille se sont érigées en groupes de pression puissants, à l’échelon fédéral comme à celui des États fédérés. À l’époque, l’enjeu de cette mobilisation était le revenu, plus que les droits.

12Les années soixante-dix ont vu la naissance d’une nouvelle génération de groupes de défense. Les jeunes handicapés qui avaient grandi dans les années soixante, ont été à l’origine d’un mouvement de protestation contre les problèmes d’accessibilité des bâtiments et des transports et les difficultés d’accès à l’éducation et à l’emploi. Leur action se démarquait de celle des associations qui les avaient précédés, parce qu’elle portait sur les droits, concernait le handicap plus que les déficiences et prônait l’action directe et non violente. Ainsi, des étudiants handicapés de l’université de Californie, à Berkeley, ont été à l’initiative d’un événement qui a fait date: pour protester contre le fait que les textes d’application de l’article 504 n’étaient toujours pas publiés alors que quatre ans s’étaient écoulés depuis l’adoption de la loi, ils ont occupé un bâtiment et organisé un sit-in sur le campus; à l’issue de cette action, qui a duré deux semaines et a bénéficié d’une large couverture médiatique, les textes d’application ont été publiés. Cet épisode a démontré la puissance du mouvement des personnes handicapées. À peu près à la même époque, des associations de personnes handicapées se sont regroupées pour former une coalition unie, qui devait devenir le Consortium of Citizens with Disabilities, ou CCD.
Toutefois, parallèlement, une coalition constituée de chefs d’entreprise et de groupes de réflexion de droite préparait une offensive conservatrice musclée en réaction aux programmes mis en place dans les années soixante (Phillips, 1990). L’une des principales composantes de cette offensive visait l’aide sociale et les programmes destinés aux plus démunis. Après l’élection du président Reagan et d’un Congrès plus conservateur, en 1980, des mesures administratives sévères ont été prises pour durcir les conditions d’accès des personnes souffrant de troubles mentaux aux prestations et services (Jahiel, 2007) et pour déréglementer. L’article 504 lui-même a été menacé d’abrogation, mais une forte mobilisation du mouvement des personnes handicapées a empêché cette menace de se concrétiser et a abouti à l’annulation de mesures qui avaient réduit les droits de certains handicapés. Néanmoins, il est apparu clairement qu’aucun programme fédéral d’envergure en faveur des personnes handicapées ne serait adopté dans un avenir proche et que de nouvelles approches étaient nécessaires.

La genèse de l’ADA

13Les membres des groupes de défense à l’initiative de l’élaboration de l’ADA appartenaient à la génération qui avaient grandi dans les années 1960, et même si la majorité d’entre eux étaient aussi handicapés, ils étaient très différents sur deux points. Premièrement, il s’agissait de personnes d’âge moyen, qui avaient fait carrière dans le secteur juridique ou dans d’autres professions en lien avec le handicap; ils étaient plus aisés et avaient des liens avec le Parti républicain. Deuxièmement, ils étaient actifs au plus haut niveau de la politique fédérale. Leurs principaux avaient été nommés par le président Reagan, membres d’un Conseil national du handicap (National Council of the Handicapped ou NCH), par la suite rebaptisé National Council on Disability (Shapiro, 1994). Le NCH, qui comptait 15 membres, a publié deux rapports — Toward Independence (1986) et On the Threshold of Independence (1988) — et rédigé la première version de l’ADA.

Le parcours de l’ADA au Congrès

Le projet de loi de 1988

14La première version de l’ADA — celle de 1988 — a été présentée devant le Sénat par Lowell Weicker sous l’intitulé S-2345 et devant la Chambre des représentants par Tony Coelho sous l’intitulé HR-4498. Colker (2007) a décrit en détail le parcours de ce projet de loi au Congrès. Les deux textes ont bénéficié d’un soutien substantiel de la part des deux partis, qui avaient l’un et l’autre intérêt à montrer qu’ils agissaient en faveur des personnes handicapées, surtout après les réactions suscitées par les tentatives du gouvernement Reagan pour remettre en cause plusieurs avancées réalisées dans les années 1970; ces réactions avaient en effet démontré la force de l’électorat uni que constituaient les personnes handicapées. Ce projet de loi représentait aussi une solution salutaire pour sortir de la vague ininterrompue de lois adoptées dans les années 1970 pour donner des droits aux personnes handicapées. L’ADA apparaissait, du moins à première vue, comme une loi bienfaisante qui ne pouvait avoir que peu d’adversaires. En outre, beaucoup de membres des deux chambres étaient touchés par le handicap, soit directement, soit dans leur famille.

15Cette première version allait beaucoup plus loin que le texte final:

  • comme la version finale, elle visait un large éventail de déficiences, mais définissait le handicap de manière moins restrictive que l’article 504 et la version finale de l’ADA: « un individu [devait] démontrer qu’il faisait l’objet d’un traitement différent en raison d’un handicap physique ou psychique, d’une déficience perçue ou ayant existé »;
  • elle couvrait l’élimination des obstacles dans un plus grand nombre de domaines que la version finale: elle visait par exemple l’accès au logement (qui n’est pas spécifiquement évoqué dans la version finale de l’ADA) et de nombreuses aides à la communication (l’ADA ne couvre que les services de relais téléphonique pour les déficients auditifs);
  • les mesures prévues pour faire appliquer la loi étaient radicales:« toute personne qui estime qu’elle risque d’être victime de discrimination en raison de son handicap, en violation de la présente loi, est habilitée à introduire, directement ou par l’intermédiaire de son représentant, une action civile devant un tribunal des États-Unis pour obtenir une injonction, un dédommagement financier ou les deux » (la version finale de l’ADA prévoit des conditions restrictives à cet égard et ne prévoit pas de réparation financière en cas de violation du Titre III);
  • elle n’admettait pour les employeurs ou propriétaires qui ne respectaient pas la loi qu’un minimum de moyens de défense (la version finale de l’ADA prévoit des moyens de défense beaucoup plus solides contre les plaignants handicapés).
Dès le départ, il était évident que le projet de loi serait adopté sous une forme ou une autre; toutefois, très tôt, beaucoup de membres du Congrès se sont inquiétés des conséquences qu’il risquait d’avoir pour les entreprises. C’est pourquoi la version suivante du projet, présentée en mai 1989, avait considérablement évolué sur les quatre points énoncés ci-dessus. Après quelques autres changements de moindre importance, la version finale a vu le jour en juillet 1990.

L’ADA, dans sa version de 1990

16L’ADA est composée d’une première partie contenant des définitions, et de cinq « titres » (le Titre I sur l’emploi, le Titre II sur les entités publiques, le Titre III sur les lieux privés recevant du public, le Titre IV sur les télécommunications et le Titre V, qui contient des dispositions diverses).

17La partie (2) (b) de la loi en énonce les objectifs de manière claire et univoque:

  • « établir une obligation nationale claire et exhaustive pour l’élimination de la discrimination à l’encontre des personnes handicapées;
  • fixer des normes claires, exigeantes et cohérentes pour faire respecter l’obligation de non-discrimination à l’égard des personnes handicapées;
  • garantir que le gouvernement fédéral joue un rôle central, au nom des personnes handicapées, pour faire respecter les règles établies par la présente loi;
  • invoquer le pouvoir du Congrès, notamment celui de faire appliquer le 14e amendement et de réglementer le commerce, pour lutter contre les discriminations dans les principaux domaines où les personnes handicapées y sont confrontées au quotidien ».
L’encadré 2 reproduit plusieurs définitions importantes contenues dans l’ADA. La première (qui figure dans la partie 3 de la loi) est la définition du handicap. Elle reprend celle qui figure dans l’article 504 de la Rehabilitation Act et couvre un champ très vaste en termes de types de déficiences et de circonstances dans lesquelles le handicap peut apparaître. Elle s’articule autour de trois éléments: avoir eu une déficience; être perçu comme ayant une déficience; avoir une déficience « qui limite substantiellement une ou plusieurs activités majeures de la vie ». Le dernier critère, qui détermine la reconnaissance de la qualité de handicapé, a été ajouté en réponse aux critiques selon lesquelles la loi risquait d’être abusivement invoquée par des personnes atteintes de déficiences mineures.

Encadré 2: Principales définitions contenues dans I’ADA

  • Handicap: le terme "handicap", appliqué à un individu, désigne:
    • Une déficience physique ou mentale qui limite substantiellement une ou plusieurs activités majeures de la vie de I’individu concerné;
    • le fait d’avoir présenté une telle déficience;
    • ou d’être perçu comme ayant une telle déficience.
  • L’expression « individu qualifié atteint d’un handicap » désigne un individu atteint d’un handicap qui, avec ou sans aménagements raisonnables, peut [selon le jugement de I’employeur] accomplir les fonctions essentielles attachées à un poste de travail (Titre I).
  • Constitue une « discrimination » le fait:
    • de faire obstacle ou d’appliquer un traitement différent à une personne sollicitant ou occupant un emploi ou encore de la ranger dans une catégorie particuliére en raison de son handicap, de telle sorte que ses perspectives ou sa situations professionnelles risquent d’en être négativement affectées;
    • d’être partie à un contrat ou autre type d’accord ou de relation ayant un effet discriminatoire à l’encontre d’une personne handicapée qualifiée sollicitant ou occupant un emploi dans une entité visée;
    • d’appliquer des normes, critères ou méthodes de gestion ayant pour effet d’opérer une discrimination sur la base du handicap ou de perpétuer la discrimination opérée par d’autres entités soumises aux mêmes règles administratives;
    • de refuser à un individu I’égalité d’accès à un emploi ou à des avantages parce qu’il a des relations avec une personne connue comme étant handicapée;
    • de ne pas réaliser d’aménagements raisonnables pour tenir compte des déficiences d’un individu qualifié atteint d’un handicap sollicitant ou occupant un emploi, sauf si I’entité visée peut démontrer que lesdits aménagements feraient peser une charge excessive sur I’activité de I’entreprise; ou de faire obstacle aux possibilités d’emploi d’un individu qualifié atteint d’un handicap sollicitant ou occupant un emploi, en raison de la nécessité d’effectuer des aménagements raisonnables;
    • d’exiger des qualifications, d’appliquer des normes ou d’utiliser des tests professionnels ou autres critères de sélection qui excluent ou tendent à exclure une personne handicapée ou une catégorie de personnes handicapées, sauf s’il est démontré que ces qualifications, normes et tests sont justifiés compte tenu de I’emploi en question et des besoins de I’entreprise;
    • de ne pas choisir et utiliser de tests professionnels d’une manière qui permettrait de garantir que, lorsqu’ils sont imposés à une personne sollicitant ou occupant un emploi et souffrant d’une déficience au niveau de ses capacités sensorielles, de manipulation ou d’élocution, les résultats de ces tests rendent compte des compétences et aptitudes qu’ils sont censés mesurer.
  • Le terme « aménagements raisonnables » désigne notamment:
    • le fait de rendre les installations existantes utilisées par les salariés faciles d’accés et d’utilisation pour les individus atteints d’un handicap et;
    • I’adaptation du poste de travail, le passage à temps partiel ou le réaménagement des horaires de travail, la réaffectation à un poste vacant, I’acquisition ou la transformation d’équipements ou d’appareils, I’adaptation ou la modification des examens ainsi que des supports et modalités de formation, la mise à disposition de lecteurs ou interprétes qualifiés et autres aménagements de mê nature en faveur de personnes atteintes d’un handicap.
  • Un aménagement entraîne une « charge excessive » (undue hardship) dès lors qu’il suppose des difficultés ou des dépenses importantes.
Les éléments à prendre en compte pour déterminer s’il y a « charge excessive » sont notamment: (i) la nature et le coût de l’aménagement nécessaire en vertu de la présente loi; (ii) les ressources financières globales de I’établissement censé offrir les aménagements raisonnables, le nombre de personnes qu’il emploie, les conséquences des aménagements sur les charges et les ressources et tout autre impact desdits aménagements sur le fonctionnement de l’établissement; (iii) les ressources financiéres globales de I’entité visée, I’ampleur globale de ses activiés par rapport au nombre de salariés; le nombre, le type et I’emplacement de ses établissements; et (iv) la nature des activités de I’entité visée.

18Le Titre I vise à lutter contre la discrimination professionnelle à l’encontre des personnes qualifiées avec un handicap, quel que soit l’emploi occupé:

  • en matière de recrutement, de promotion, de formation professionnelle et de rémunération;
  • et en ce qui concerne la non-réalisation des aménagements raisonnables nécessaires compte tenu des déficiences mentales et physiques reconnues ou le refus d’employer une personne parce que de tels aménagements sont nécessaires.
Il définit de manière précise et détaillée les entités et employeurs visés (les employeurs de moins de 15 salariés sont exclus du champ d’application de la loi) ainsi que les notions de personne handicapée, d’aménagements raisonnables et de charge excessive pour l’employeur (voir l’encadré 2).

19En ce qui concerne la procédure d’application du Titre I, les personnes handicapées qui s’estiment lésées doivent saisir la Commission pour l’égalité des chances dans l’emploi (Equal Employment Opportunity Commission, EEOC) pour discrimination afin de recevoir une lettre les autorisant à engager une action. Les actions peuvent également être engagées à l’initiative du ministre de la Justice.

20Le Titre II concerne la discrimination opérée, à l’encontre de personnes reconnues handicapées, par l’administration des États fédérés et les collectivités locales ainsi que les organismes et établissements qui en dépendent, en ce qui concerne l’accès à leurs services et programmes. Il énonce également précisément les obligations à respecter en matière de systèmes de transport. Le Titre II couvre la quasi-totalité des programmes ou activités, exception faite de l’éducation élémentaire et secondaire, qui est couverte par la loi relative à l’éducation pour les personnes handicapées (Individuals With Disabilities Education Act, IDEA) (Colker, 2007).
Les personnes handicapées qui s’estiment victimes de telles discriminations peuvent:

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  • déposer une plainte administrative auprès de l’organisme fédéral concerné ou du ministère fédéral de la Justice;
  • ou engager une action en justice devant un tribunal de première instance.
Les plaintes déposées auprès d’un organisme fédéral peuvent donner lieu à une injonction administrative, à un retrait des financements fédéraux ou à un renvoi de la plainte devant le ministère de la Justice. En cas d’action en justice, la partie qui l’emporte peut prétendre au remboursement des frais d’avocat et de procédure (Titre II, p. 45-47).
Le Titre III concerne la discrimination dans les lieux privés recevant du public et dresse une liste fermée des 12 types de lieux correspondant à cette définition. Il est interdit aux personnes qui possèdent, louent ou exploitent un lieu privé recevant du public d’opérer une discrimination à l’encontre d’un individu en raison de son handicap pour l’accès aux biens, services, installations et avantages proposés par ledit lieu. Il est ainsi spécifiquement interdit:

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  • d’empêcher un individu de bénéficier d’un bien, service ou avantage;
  • de réserver à un individu un bien, service ou avantage inférieur à celui offert aux autres individus;
  • de réserver à un individu un bien, service ou avantage différent de celui offert aux autres;
  • d’imposer des conditions d’accès aux biens, services et avantages qui excluent les personnes handicapées;
  • de ne pas procéder aux modifications nécessaires des politiques, pratiques ou procédures;
  • de ne pas éliminer les obstacles architecturaux, ainsi que ceux qui entravent la communication et l’accès aux moyens de transport ou, si une telle élimination est difficile à réaliser, de ne pas rendre les biens et avantages accessibles d’une autre manière.
Les personnes handicapées ont seulement la possibilité de solliciter une injonction aux termes de l’article 204a de la Civil Rights Act; par conséquent, l’application du Titre III repose essentiellement sur une base volontaire (Colker, 2007). Le ministre de la Justice peut engager une action civile devant un tribunal de première instance, qui peut accorder une réparation sous forme de dommages et intérêts et imposer une pénalité civile pouvant atteindre 50 000 dollars pour la première infraction et 100 000 dollars en cas de récidive, mais pas de dommages et intérêts exemplaires, allant au-delà de la réparation du préjudice subi.

23Le Titre IV exige que des services de relais téléphonique fonctionnent 24 heures sur 24 et interdit d’imposer aux déficients auditifs qui utilisent ces services des tarifs plus élevés que ceux appliqués aux services de communication vocale remplissant des fonctions équivalentes.
Le Titre V contient des dispositions importantes, par exemple concernant les rapports entre l’ADA et d’autres textes législatifs adoptés à l’échelon fédéral ou à celui des États fédérés (article 501), la non-immunité des États en cas de violation de l’ADA (article 502A), l’interdiction des représailles ou des mesures d’intimidation (article 503) et le remboursement des honoraires d’avocat et frais de procédures aux parties qui obtiennent gain de cause (article 505).

L’évaluation de l’ADA

24Cette évaluation est présentée selon le schéma classique, en trois parties: structure, procédure d’application et résultats.

Évaluation structurelle

25D’un point de vue structurel, l’ADA présente, en tant que loi, des forces et des faiblesses.

26Elle repose sur le modèle social du handicap, d’une part parce qu’elle insiste sur le rôle de la discrimination dans le handicap et définit précisément le concept de discrimination et, d’autre part, parce qu’elle fait du refus de modifier l’environnement physique et social pour l’adapter aux besoins des personnes handicapées une forme de discrimination qu’elle rend illégale. Cette caractéristique est une force, non seulement parce que l’ADA est ainsi en phase avec les connaissances et conceptions du moment, mais surtout parce qu’elle offre des moyens de surmonter le handicap.

27Autres points forts: l’ADA vise un large éventail de déficiences et donne du handicap une définition de nature à couvrir les nouvelles formes de handicap susceptibles d’apparaître à l’avenir. En outre, le texte de la loi et les manuels d’assistance technique (Technical Assistance manuals) ont valeur d’outils éducatifs sur le handicap.

28L’ADA consacre un « droit du handicap », plutôt qu’un « droit de l’Homme », ce qui signifie qu’un individu n’a droit à la protection de la loi que s’il est en mesure de prouver qu’il est handicapé. Si la partie adverse peut démontrer que le plaignant n’est pas handicapé au sens de la loi, la plainte est jugée infondée. Les défendeurs et leurs avocats ont déjà fait usage de divers moyens pour obtenir ce résultat. D’autre part, la loi ne précise pas quelle est la situation d’une personne dont les déficiences auraient été totalement corrigées par une aide technique ou un traitement et, bien que les rapports du Comité sur l’éducation et le travail de la Chambre des représentants (Committee on Education and Labor of the United States House of Representatives) affirment que l’intention du législateur était de les couvrir (Burgdorf, 2008), l’hypothèse d’une interprétation contraire ne peut être exclue. Il est apparu que ces caractéristiques constituaient des faiblesses de la loi, les avocats des défendeurs les ayant utilisées pour réduire la protection qu’elle offre aux handicapés.

29Le texte de la loi (et plus encore les manuels d’assistance technique) définissent très précisément les notions « d’aménagements raisonnables » et de « charge excessive » pour les employeurs, donnant ainsi de nombreuses armes aux deux camps en présence que sont les personnes handicapées d’une part et les entités publiques ou privées de l’autre. Cette précision pourrait être vue comme un point fort, puisqu’elle donne des arguments aux deux parties, mais en réalité, du point de vue des personnes handicapées, elle constitue un point faible dans le sens où elle donne trop de moyens de défense aux employeurs.

30Le critère, intégré à la définition du handicap, selon lequel la déficience doit limiter substantiellement les activités majeures de la vie a, certes, été perçu comme un point fort dans la mesure où il exclut les déficiences mineures, mais a aussi été utilisé pour priver de leurs droits certaines personnes souffrant de handicaps sévères et doit donc être considéré comme une faiblesse, comparativement à la définition qui figurait dans le projet de loi de 1988 (cf. supra), beaucoup plus axée sur la discrimination.

31Par ailleurs, les moyens d’application prévus par la loi sont relativement faibles, ce qui constitue également une insuffisance.
Enfin, la loi ne prévoit pas de dispositions relatives à l’évaluation de son impact et aux travaux de recherche sur les différentes mesures qu’elle contient. Il s’agit là d’une lacune majeure, qui empêche toute évaluation par des parties extérieures et ne fournit pas les données nécessaires, non seulement à l’évaluation, mais aussi à l’application et aux révisions éventuelles de la loi.

Évaluation de la procédure d’application

32L’application de la loi se fait par la voie d’une action judiciaire engagée par les personnes handicapées en qualité de plaignants. Cette procédure favorise les individus les plus aisés et les plus instruits, auxquels il est plus facile d’engager une action parce qu’ils disposent des moyens financiers, du temps et des connaissances nécessaires. Or, la majorité des personnes handicapées sont pauvres et susceptibles d’être dissuadées par les difficultés qu’implique une action judiciaire, si bien que la procédure ne leur est pas favorable. La procédure d’application de l’ADA est donc partiale, en défaveur des handicapés les plus pauvres et les moins instruits.

33Cette inégalité aurait pu être compensée si le ministère de la Justice et l’EEOC avaient joué plus activement leur rôle en matière de traitement des plaintes déposées par les personnes handicapées. Or, de 1992 à 2002, l’EEOC n’a engagé une action en justice que dans 491 des 187 503 affaires qui lui ont été soumises (Colker, 2007). Quant au ministère de la Justice, il ne dispose que de quelques dizaines d’avocats susceptibles d’intervenir dans des actions relatives à l’application du Titre III (Colker, 2007). La procédure d’application mise en œuvre par le gouvernement fédéral est donc faible.
Les textes d’application et les manuels d’assistance technique ont été rédigés et publiés dans les temps. Toutefois, la manière dont ils expliquent et illustrent la loi, privilégie certaines déficiences par rapport à d’autres. Les données présentées dans le tableau 1, qui ont été établies à partir des exemples fournis par le manuel d’assistance technique relatif à l’application du Titre III, concernent 54 exemples de déficience motrice, 19 exemples de déficience visuelle contre seulement 5 exemples de déficience intellectuelle et 2 exemples de déficience mentale. L’analyse des textes d’application et des manuels d’application relatifs au Titre II aboutit à des constatations similaires.

Tableau 1

Exemples de déficiences visées par le Titre III

Tableau 1
Nombre d’exemples cités dans le manuel d’assistance technique pour l’application* du Titre III (1993) Nombre d’aménagements réalisés par les prestataires de soins (1994-2003)** Handicap en général 32 Sans objet Déficience motrice 54 37 Déficience visuelle 19 2 Maladie chronique 14 Déficience auditive 12 65 Déficience intellectuelle 5 1 Toxicomanie 4 VIH 3 8 Infirmité motrice cérébrale 3 Handicap psychique 2 Troubles du langage 1 Défigurement 1 Épilepsie 0 Autisme 0 Total 150 114 * Données extraites du manuel d’assistance technique pour l’application du Titre III (ADA TITLE III TECHNICAL ASSISTANCE MANUAL, 1993), disponible à l’adresse http:// www. ada. gov/ taman3. html, consulté en dernier lieu le 23 juin 2008. ** Données extraites des éditions 1994 à 2003 des rapports d’évaluation du ministère de la Justice (Department of Justice Status Reports), reprises par REIS JP, BRESLIN ML, IEZZONI LI, KIRSCHNER RL (2004), It takes more than ramps to solve the crisis of health care for people with disabilities, Chicago: The Chicago rehabilitation Institute, p. 15.

Exemples de déficiences visées par le Titre III

Évaluation des résultats

Résultats des procédures judiciaires relatives à l’ADA

34Comme indiqué ci-dessus, l’ADA ne prévoit pas de procédure permettant de garder la trace des actions judiciaires auxquelles elle donne lieu et des décisions rendues. Ruth Coelker (2007) a dû dépouiller intégralement un grand nombre de sources pour recueillir des données. Les constatations ci-après sont basées sur les données qu’elle a collectées.
• Titre I: Le graphique 1 présente la procédure prévue par l’ADA pour déposer une plainte fondée sur le handicap. Les plaignants handicapés doivent saisir l’EEOC, qui procède à une première évaluation et tente de régler le litige par voie de transaction. En cas d’échec, ils peuvent engager euxmêmes une action devant un tribunal de première instance (dans certains cas, l’EEOC saisit le tribunal pour eux). Un juge examine l’affaire et rend un « jugement sommaire » (summary judgement), fondé sur les éléments de preuve qui lui semblent plaider incontestablement en faveur de l’une ou l’autre des parties. En l’absence de telles preuves, l’affaire doit être examinée par le tribunal en formation plénière ou dans le cadre d’un procès avec jury. Plaignants ou défendeurs peuvent interjeter appel de la décision et, dans de rares cas, se tourner, en dernier ressort, vers la Cour suprême.

Graphique 1

Procédure juridique prévue par le Titre 1 (cas d’un plaignant qui se déclare handicapé et affirme être victime de discrimination)

Graphique 1

Procédure juridique prévue par le Titre 1 (cas d’un plaignant qui se déclare handicapé et affirme être victime de discrimination)

35Les résultats sont présentés dans le tableau 2. La proportion d’affaires réglées par l’EEOC par voie de transaction n’est que de 13,2%. Bien que l’EEOC ait estimé que la plainte était fondée dans 11 932 des affaires dont elle a été saisie, elle n’a porté que 491 d’entre elles devant le tribunal; seules 6,7% des décisions ont été favorables aux plaignants (plus de la moitié de ces affaires ont été réglées par voie de transaction). Par conséquent, elle n’a pas agi comme un avocat efficace de la cause des handicapés, en particulier au niveau des jugements sommaires (seules 8,6% des décisions rendues étaient favorables aux plaignants). Les juridictions d’appel ont infirmé 21% des décisions contestées par les plaignants et 60% des décisions contestées par les défendeurs. En d’autres termes, les décisions rendues ont été nettement favorables aux employeurs à tous les échelons de l’appareil judiciaire.

Tableau 2

titre I — résultats des actions engagées*

Tableau 2
Échelon judiciaire Dates Nombre d’affaires Règlement par voie de transaction (en%) Verdict Favorable au plaignant (en%) Favorable au défendeur (en%) EEOC 1992-2002 167 503 24 828 (13,2%) Actions judiciaires engagées par 1’EEOC 1992-2002 491 261 (53,2%) 86 (6,7%) 111 (22,5%) Tribunal de premiére instance 1992-2000 40 552 5 400 (13,3%) Jugement sommaire 33 253 2 936 (8,6%) Formation plénière 7 297 2 404 (33,8%) Juridiction d’appel 1994-1999 Appel interjeté par le plaignant 675 91 (13,5%) Appel interjeté par le défendeur 45 28 (62,2%) * Données extraites de Cokler (2007), p. 74-84.

titre I — résultats des actions engagées*

36Le dernier échelon judiciaire est la Cour suprême. Les décisions qu’elle rend sont importantes, non seulement pour les quelques affaires qu’elles concernent, mais surtout parce qu’elles constituent une jurisprudence sur laquelle se fondent les tribunaux d’ordre inférieur. Depuis la fin des années 1990, la Cour suprême a interprété l’ADA de manière restrictive. Deux grands types de décisions ont eu une importance particulière:

37

  • celles relatives aux mesures d’atténuation du handicap (mitigating measures) (Hasday, 2004), en d’autres termes à la correction des déficiences par des médicaments ou autres moyens. En 1999, la Cour suprême a, dans trois affaires, considéré que des personnes dont les déficiences étaient corrigées, n’étaient pas handicapées au sens de l’ADA et a conclu qu’elle ne pouvait pas statuer sur leur cas puisque l’ADA ne confère des droits qu’aux personnes handicapées. Cette position crée un paradoxe, puisqu’elle signifie que les personnes qui souffrent de déficiences graves et peuvent bénéficier d’un traitement efficace deviennent aptes à travailler mais ne sont plus protégées contre la discrimination de la part des employeurs (Feldblum, 2007);
  • d’autre part, la Cour suprême a interprété de manière restrictive la notion de limitation substantielle d’une activité majeure de la vie, réduisant ainsi l’ampleur de la population protégée de la discrimination par l’ADA (Anderson, 2007); elle s’est notamment interrogée sur le point de savoir si le travail est une activité majeure de la vie, sur la validité des textes d’application fédéraux, a défini un critère strict au regard duquel appliquer la définition du handicap, a fixé sa propre norme concernant la durée de handicap requise pour que la loi soit applicable, etc. (Bergdorf, 2008)
• Titre II: l’arrêt Olmstead v. L.C., rendu en 1999, est un arrêt historique: tout en reconnaissant que le fait de réserver, sans justification, un traitement distinct à un individu à raison de son handicap constituait une discrimination, la Cour suprême a également considéré que, compte tenu des ressources dont il disposait, l’État avait un moyen de défense recevable contre cette accusation. En d’autres termes, tout en établissant un principe, l’arrêt Olmstead a fait droit aux moyens de défense invoqués par les États pour justifier le non-respect dudit principe.
La question de « l’immunité souveraine », c’est-à-dire la question de savoir dans quelle mesure le gouvernement fédéral peut (en vertu de l’ADA) exiger que les États ne portent pas atteinte aux droits des citoyens à l’égale protection des lois, a également une grande importance. Il s’agit là d’une question constitutionnelle complexe, potentiellement explosive (Colker, 2007).
• Titre III: les tribunaux peuvent être saisis par les personnes handicapées, en qualité de plaignants, ou par le ministère de la Justice. Le nombre d’affaires relatives au Titre III portées devant les tribunaux a été relativement faible par rapport au nombre d’affaires relatives au Titre II. Cette différence pourrait notamment s’expliquer par le fait que, dans le cas du Titre III, l’injonction constitue la seule réparation possible. Les règlements par voie de transaction ainsi que les décisions rendues en première instance et en appel ont été un peu plus favorables aux plaignants que dans le cas des affaires relatives au Titre I (Colker, 2007).

Évaluation de l’impact de l’ADA sur l’emploi des personnes handicapées

38• Taux d’emploi: des données sur l’emploi des personnes handicapées avant et après l’entrée en vigueur de l’ADA, en 1992, ont été recueillies dans le cadre de diverses enquêtes, dont aucune n’est directement liée à la loi elle-même. Les deux principales sources d’information sur les ménages sont l’enquête nationale par entretien sur la santé (National Health Interview Survey, NHIS), qui cherche à déterminer s’il y a un handicap en interrogeant les répondants sur la limitation de leurs activités et la Current Population Survey (CPS), conduite auprès des ménages par le Bureau of the Census, qui comporte des questions sur les handicaps entravant ou empêchant l’exercice d’une activité professionnelle; la CPS retient ainsi une définition beaucoup plus restrictive du handicap que la NHIS, puisqu’elle exclut les individus atteints d’une déficience qui n’entrave pas l’exercice d’une activité professionnelle, si bien qu’ils ne sont pas pris en compte dans le calcul du taux d’emploi (ni au dénominateur, ni au numérateur). Cette différence explique que les deux enquêtes ne donnent pas les mêmes taux d’emploi pour les personnes handicapées. Dans les deux cas, le taux d’emploi des adultes non handicapés d’âge actif est d’environ 80%; d’après la NHIS, le taux d’emploi des personnes faisant état d’une limitation de leurs activités est d’environ 50% (soit un écart de 30 points); d’après la CPS, le taux d’emploi des personnes dont l’aptitude au travail est limitée est d’environ 25% (soit un écart d’environ 55 points) (Kaye, 2003).

39Une grande partie des données est disponible sous forme agrégée: le dénominateur regroupe donc l’ensemble des personnes considérées comme handicapées, si bien qu’il mélange des personnes souffrant de déficiences de degrés divers ainsi que des individus confrontés à des obstacles à l’emploi perçus ou réels autres que le handicap. Les résultats obtenus à partir de ces données sont donc discutables et doivent être interprétés avec prudence. Ils donnent toutefois de grandes tendances. Le tableau 3 présente les données relatives à l’emploi des personnes handicapées et non handicapées dans les années 1990. À la fin de la décennie, l’écart d’emploi entre travailleurs handicapés et non handicapés était resté élevé et s’était même creusé. Toutefois, lorsque seules les personnes qui peuvent travailler malgré une déficience limitant leur capacité de travail sont prises en compte, l’écart d’emploi s’améliore légèrement, passant de 26,9 à 24,5 points. En outre, l’examen du taux de chômage, qui concerne en principe la même sous-population, montre que l’écart de chômage entre les travailleurs handicapés et les autres a régressé, pour passer de 10,9 à 5,4 points. Toutefois, les travailleurs handicapés mettent plus de temps à trouver un emploi que les autres (tableau 3). Ces résultats montrent que, même si le taux d’emploi de la population handicapée dans son ensemble est resté très faible et l’écart d’emploi élevé, certains segments ont vu leur taux d’emploi s’améliorer légèrement après l’entrée en vigueur de l’ADA.

Tableau 3

Données relatives à l’emploi des personnes handicapées et non handicapées (en%)

Tableau 3
1994 1997 2000 Taux d’emploi (handicap tel que défini par la CPS)* Non-handicapés 76,6 78,9 79,9 Handicapés 24,0 25,5 24,5 Différence (écart d’emploi) 52,6 53,4 55,4 Taux d’emploi des personnes aptes au travail* Non-handicapés 79,3 81,9 83,2 Handicapés 50,4 58,0 58,7 Différence (écart d’emploi) 26,9 23,9 24,5 Taux de chômage* Handicapés 16,4 12,9 9,4 Non-handicapés 5,5 5,1 4,0 Différence 10,9 7,8 5,4 Semaines nécessaires pour trouver un emploi** Handicapés 3,1 2,9 2,4 Non-handicapés 1,8 1,5 1,0 Différence 1,3 1,4 1,4 Salaire horaire réel moyen (dollars)** Non-handicapés 8,3 8,2 8,8 Handicapés 6,8 7,0 7,3 Différence 1,5 1,2 1,5 * Données collectées dans le cadre de la CPS et citées par Kaye (2003). ** Données collectées dans le cadre de la CPS et citées par Hotchkiss (2003).

Données relatives à l’emploi des personnes handicapées et non handicapées (en%)

40• Salaires: Hotchkiss (2003) a étudié les salaires des travailleurs handicapés. Alors que le salaire horaire réel moyen des travailleurs non handicapés est passé de 8 dollars en 1981 à environ 9 dollars en 1997-2000 (en dollars de 1981), celui des travailleurs handicapés, qui était de 7 dollars en 1981, est resté stable jusqu’en 1990, avant de diminuer pour devenir inférieur à 7 dollars en 1990, puis de remonter jusqu’à 7,20 dollars en 1998-2000.

41• Autres facteurs: beaucoup de personnes handicapées aptes au travail se heurtent à d’autres obstacles, tels que l’absence de réseau susceptible de les mettre en contact avec des employeurs potentiels, le manque de formation adaptée, l’absence d’aménagements tenant compte de leurs besoins fonctionnels et la nécessité de faire face à d’autres obligations, par exemple de s’occuper de leurs enfants ou d’autres personnes à leur charge. En outre, il existe des liens complexes entre les lois sur la protection sociale, le handicap et l’emploi (Mashaw et al., 1996). L’emploi et la protection sociale sont, en quelque sorte, en concurrence de deux manières: d’une part, les emplois les plus mal rémunérés, qui sont souvent ceux auxquels les personnes handicapées ont accès, ne sont pas suffisamment motivants financièrement compte tenu de la réduction du Supplemental Security Income (SSI) [2], allocation de revenu minimum en faveur des personnes handicapées. L’autre forme de concurrence, plus importante, concerne les nombreuses personnes handicapées qui ont des dépenses médicales élevées: alors qu’elles sont couvertes par le programme d’assurance-maladie Medicaid tant qu’elles bénéficient du SSI, elles perdent cet avantage en acceptant un emploi mal rémunéré ou à temps partiel qui, bien souvent, ne donne pas accès aux prestations de santé. Bien que cet obstacle ait été en partie levé par la réforme législative de 1996 qui a établi une passerelle entre aide sociale et emploi, en 2000, cette forme de concurrence restait préoccupante. À l’avenir, il faudra que les chercheurs décomposent plus finement la population handicapée pour tenir compte de ces divers types d’obstacles.
Une étude par questionnaire menée par l’Urban Institute en 2001 et citée par Colker (2007) fournit quelques données sur ces autres obstacles. Les personnes handicapées qui ont répondu à l’enquête ont cité six grands obstacles au travail, qui, par ordre d’importance décroissant, sont les suivants:

  • isolement social, qui fait qu’il est plus difficile d’avoir connaissance des emplois disponibles;
  • responsabilités familiales (prise en charge des enfants);
  • absence de moyens de transport;
  • manque de formation;
  • peur de perdre des prestations sociales;
  • discrimination.

Évaluation des mesures prises par les États fédérés en vertu du Titre II

42Il est très difficile d’évaluer l’impact de l’ADA parce que beaucoup d’États fédérés avaient déjà adopté et mis en œuvre leurs propres lois de non-discrimination avant 1990 ou peu après (Colker, 2007). Ainsi, c’est l’ADA qui a motivé l’arrêt Olmstead, à travers lequel la Cour suprême s’est clairement prononcée en faveur de la désinstitutionalisation. Toutefois, il y avait plusieurs décennies qu’un mouvement en faveur de l’intégration en milieu ouvert des personnes handicapées montait en puissance. Or, l’arrêt Olmstead a aussi donné aux États un argument pour s’opposer à la désinstitutionalisation, dès lors qu’elle a une incidence « substantielle » sur d’autres fonctions de l’État, et n’a pas été suivi d’une réelle accélération du processus de désinstitutionalisation.

Évaluation de l’impact du Titre III sur l’accès aux lieux recevant du public

43À ma connaissance, les études consacrées à cet aspect sont rares. Il ne fait aucun doute que d’importants aménagements ont été réalisés pour les personnes en fauteuil roulant et, dans une moindre mesure, pour les personnes avec des déficiences notamment visuelles ou auditives. Ces aménagements ont été favorisés par plusieurs facteurs, notamment l’intérêt que les établissements recevant du public pouvaient avoir à devenir accessibles pour des clients potentiels, le rôle joué par les disability industries dans la promotion de ces changements, la possibilité, pour les établissements, d’améliorer leur image en s’impliquant dans la lutte contre la discrimination et la peur des poursuites judiciaires, à l’échelon fédéral ou à celui des États fédérés. Contrairement à celles relatives à l’emploi, les mesures destinées à favoriser l’accessibilité varient selon les types d’établissements. Le développement qui suit concerne uniquement les études portant sur les établissements de soins. Il reste beaucoup de progrès à accomplir en ce qui concerne l’accès tant aux lieux de soins qu’aux programmes liés à la santé (Reis et al., 2004). Les rapports d’évaluation de l’ADA (ADA Status Reports) publiés par le ministère de la Justice d’avril 1994 à mars 2003 font état de 114 affaires de discrimination à l’encontre de personnes handicapées, réglées soit par la voie judiciaire, soit par un autre mécanisme de règlement des différends (Reis et al., 2004); la grande majorité d’entre elles concernait des déficiences auditives ou motrices (cf. tableau 1). Les aménagements réalisés dans les établissements de soins pour les rendre plus accessibles aux patients handicapés n’ont que rarement été motivés par des décisions de justice. Une étude portant sur 379 aménagements réalisés par des prestataires de soins du Massachusetts montre que les modifications ont été motivées dans 60% des cas par la volonté de respecter l’ADA, dans 40% des cas par la volonté de se conformer à la réglementation de l’État, dans 33% des cas par les recommandations des patients, dans 25% des cas par les questionnaires-guides de l’ADA [3] et dans 25% des cas par les organismes d’accréditation (Winters et al., 2004).

Conclusions et analyse de la loi dans le contexte français

Analyse de l’ADA dans le contexte des États-Unis

44Dans cette partie, nous revenons aux questions soulevées dans l’introduction et dans la partie sur la méthodologie.

Facteurs à l’origine de l’adoption de l’ADA

45Tout au long des années 1970, les États-Unis ont élaboré une politique du handicap fondée sur le modèle de la protection sociale. Vers la fin de cette période, l’accent a été mis sur l’intérêt économique que pouvait avoir la puissance publique à promouvoir l’égalité des chances plutôt que l’égalité de résultats (Roemer, 1988); l’opinion a alors été dominée par une attitude négative vis-à-vis de l’utilisation abusive de la protection sociale et des effets pervers de la protection que l’État accorde à la population pauvre, ce qui a contribué à l’élection d’un gouvernement de centre-droite en 1980. Ce gouvernement n’a pas continué à s’appuyer sur le « modèle de la protection sociale » et a même tenté de revenir en arrière, sans toutefois y parvenir. Lorsque des groupes de défense des personnes handicapées, dont les membres appartenaient à la classe moyenne qui constituait son électorat, se sont mobilisés autour de la question de l’accessibilité, le gouvernement a opté pour une loi de non-discrimination contenant des dispositions relatives à l’aménagement de l’environnement des personnes handicapées. La loi a ménagé des moyens de défense pour d’autres parties, en particulier les entreprises, à travers des compromis dans son texte même et à travers la manière dont elle est appliquée par les tribunaux. L’État a ainsi promu la cause de la lutte contre la discrimination des personnes handicapées, tout en laissant à une autre branche, en l’occurrence le pouvoir judiciaire, la responsabilité de faire appliquer la loi.

Conséquences de la loi pour différentes catégories de personnes handicapées

46L’abandon du modèle fondé sur la protection sociale au profit d’un modèle basé sur la non-discrimination a représenté un passage d’une politique de promotion de l’égalité de résultats à une politique de promotion de l’égalité des chances, dans le cadre de laquelle les individus ne perçoivent pas passivement des prestations mais sont acteurs de l’évolution de leur situation (Reich et Michailakis, 2005), notamment, dans le contexte de l’ADA, à travers la possibilité d’engager une action en justice s’ils s’estiment victimes de discrimination. Ce mécanisme donne un avantage aux personnes handicapées les plus aisées, les plus instruites et les plus offensives, qui ont les moyens et la motivation pour agir en justice. Elle est en revanche défavorable aux personnes pauvres, peu instruites et plus passives, qui, aux États-Unis, constituent la majorité de la population handicapée. Cet état de fait contribue à une inégalité de la protection garantie par la loi, au détriment de la deuxième catégorie de handicapés, ce qui pourrait constituer une forme de discrimination collective (par opposition la discrimination individuelle).
L’autre source d’inégalité est en rapport avec la nature des déficiences. Jusqu’à présent, les aménagements de l’environnement réalisés en vertu de l’ADA ont essentiellement concerné les déficiences motrices et visuelles, beaucoup moins les déficiences intellectuelles et mentales, ce qui pourrait également constituer une forme de discrimination collective (à l’encontre du groupe constitué des personnes atteintes de troubles mentaux).

Application de la loi

47En ce qui concerne l’application de la loi, les tribunaux ont eu une approche plutôt restrictive, rendant plus difficile la reconnaissance de la qualité de handicapé aux termes de l’ADA. Ils estiment prévenir ainsi toute utilisation abusive du système, en excluant les personnes qui ne souffrent pas d’un handicap majeur. Certains défenseurs des personnes handicapées considèrent en revanche que cette position privilégie les intérêts des entreprises et autres parties par rapport à ceux des personnes handicapées. Le conflit lié à l’interprétation restrictive des tribunaux en présence de mesures d’atténuation du handicap est plus facile à cerner lorsqu’il est analysé au regard des différentes définitions de la notion de situation de handicap. Les tribunaux se focalisent sur une situation de déficience, qui n’existe plus dès lors qu’elle est corrigée par des médicaments ou des aides techniques. Les défenseurs des personnes handicapées analysent le handicap en termes de situation d’altérité qui subsiste, que la déficience soit corrigée ou non: les intéressés conservent en effet leur étiquette de personnes handicapées et font, par conséquent, l’objet d’attitudes discriminatoires.

Changements dans la vie des personnes handicapées et conséquences de ces changements sur la portée de la loi

48Dans les dix années qui ont suivi son entrée en vigueur, l’ADA n’a eu que peu de succès tangibles à mettre à son actif. Les écarts d’emploi et de salaire n’ont pas diminué, et se sont même parfois creusés. Une loi de non-discrimination telle que l’ADA semble insuffisante pour éliminer les obstacles à l’accès à l’emploi des personnes handicapées, tels que l’isolement social et l’absence de contacts professionnels, l’insuffisance de la formation, le manque d’expérience professionnelle, la difficulté à concilier le travail avec d’autres obligations comme la prise en charge des enfants ou d’autres personnes et le fait que les possibilités d’emploi correspondent souvent à des postes mal rémunérés et peu attrayants.
La loi a peut-être eu des effets non tangibles, tels que la légitimation dans l’opinion du concept de handicap (par opposition à celui de déficience), de la lutte contre la discrimination exercée à l’encontre des personnes handicapées et de la nécessité de compenser le handicap en aménageant l’environnement en fonction des besoins des personnes qui en sont victimes. Beaucoup d’aménagements peu coûteux réalisés par les entreprises ont peut-être été motivés par la perspective de s’attacher la clientèle de quelques-unes des 43 millions de personnes handicapées

L’avenir dépend en grande partie de la couleur politique des prochains gouvernements

49Si le gouvernement suit la ligne conservatrice adoptée en 1980, il devrait, selon toute attente, permettre un renforcement limité de la législation issue de la loi de rénovation de l’ADA (ADA Restoration Act), et des programmes favorables aux personnes handicapées disposant de revenus relativement élevés, comme ceux destinés à promouvoir l’accession à la propriété. Or, pour satisfaire les besoins de la grande majorité des personnes handicapées, qui sont pauvres ou disposent de revenus faibles, il faudrait renouer avec des dispositifs aussi ambitieux que ceux adoptés dans les années 1970, dans les domaines suivants: aide au revenu, santé, soutien à l’acquisition et à l’utilisation d’aides techniques, services d’auxiliaires de vie, scolarité et formation professionnelle, assistance dans le domaine des responsabilités familiales, réinsertion professionnelle et aide pour faire face à d’autres besoins. Pour cela, il faudrait que le gouvernement et la majorité au Congrès soient de centre-gauche, que des associations représentatives d’un éventail plus large de handicaps se mobilisent et que des organisations de soutien aux handicapés regroupant des professionnels du secteur du handicap se forment (Albrecht, 1992).

Analyse de l’ADA dans le contexte français

50La France dispose d’un avantage naturel par rapport aux États-Unis. D’une part, la culture française est beaucoup plus orientée vers la solidarité. D’autre part, la politique en faveur des personnes handicapées a connu un développement continu, trois grandes lois, suivies de nombreux décrets, ayant été adoptées en 1975, 2002 et 2005. Le système administratif français est plus centralisé et plus intégré que le système américain, en particulier depuis que la loi du 11 février 2005 a chargé une caisse unique — la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) — de tous les aspects financiers du handicap, a institué un système uniforme de maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et a introduit une série très complète de mesures, assorties de sanctions, dans les domaines de l’éducation et de l’accessibilité de l’environnement (Didier-Courbin et Gilbert, 2005).

51Le mode français d’organisation et de gestion de la protection sociale est plus propice que l’ADA à la couverture des besoins de toutes les personnes en situation de handicap. Du fait qu’elle met l’accent sur l’égalité des chances et l’autonomie, la loi du 11 février 2005 se rapproche, dans l’esprit, de la philosophie qui est actuellement celle des États-Unis; toutefois, le système de protection sociale sur lequel elle repose lui donne une assise plus solide. Le système français est plus avancé que celui en place aux États-Unis (si l’on excepte certains endroits du pays) en ce qui concerne l’importance accordée aux aspirations des individus, aux besoins objectifs à satisfaire pour réaliser leur projet de vie ainsi qu’à la personnalisation des services en général.

52L’ADA partage peut-être avec la loi du 11 février 2005 une procédure d’application marquée par la persistance des habitudes administratives et professionnelles.
La législation française et la législation américaine ont plus de similitudes que de différences. Ainsi, en France comme aux États-Unis, des avancées considérables ont été accomplies depuis les années soixante-dix. De part et d’autre de l’Atlantique, des actions destinées à aménager l’environnement des personnes handicapées commencent à être mises en œuvre et on observe un mouvement dans le sens d’un renforcement de l’autonomie des personnes handicapées.

Quelques remarques pour conclure

53Si nous pouvions faire des suggestions concernant l’évolution de la législation dans les deux pays, nous proposerions de partir d’une conception plus complexe des situations de handicap que celle qui prévaut actuellement. Outre le fait que sa définition fait intervenir des facteurs liés à l’environnement et des facteurs individuels (Winance, 2007), le handicap comporte, comme souligné précédemment, trois dimensions, qui ont toutes une signification complexe:

  • la notion de « situation d’altérité » fait référence aux réactions de l’environnement vis-à-vis de la personne handicapée, considérée comme « autre »; elle se rapporte à des situations de discrimination au sens classique du terme, et concerne le degré de normalisation nécessaire ainsi que, en cas de refus de normalisation, la réaction de la société vis-à-vis de la personne handicapée, la question de savoir dans quelle mesure l’affiliation (Ebersold, 2007) est bénéfique ou préjudiciable et quelles doivent être les réactions de la société vis-à-vis de la personne handicapée lorsque l’affiliation est dommageable ou refusée par ladite personne;
  • la notion de « situation de déficience » fait référence à l’inadéquation entre un individu et l’environnement, qui empêche ou facilite son fonctionnement dans ledit environnement; le handicap est alors abordé sous l’angle de l’utilisation d’appareils électroniques ou autres aides techniques ainsi que du recours à des auxiliaires de vie et de l’aménagement de l’environnement physique ou social qui entrave ou facilite l’activité de la personne;
  • la notion de « situation de handicap », au sens étroit, fait référence à celles, parmi les interactions entre un individu et son environnement, qui ont des conséquences importantes tant sur le plan social, par exemple en matière d’emploi, d’éducation, de procréation, etc., que sur le plan personnel, par exemple en termes de bien-être, de sérénité, de conscience et d’estime de soi; selon cette conception, les aménagements de l’environnement doivent permettre une participation optimale plutôt que maximale à la vie sociale, par exemple à travers le développement de « environmental niches » (Willi, 1999).
À un moment ou à un autre, les réformes qui seront engagées devront tenir compte de toutes ces situations.

Notes

  • [1]
    Médecin chercheur, président de l’École libre des hautes études à New York (États-Unis).
  • [2]
    le SSI est un revenu minimum fédéral différentiel (voir dans ce numéro l’article « Les politiques en faveur des personnes handicapées aux États-Unis et au Canada » de Sylvie Cohu, Diane Lequet-Slama et Dominique Velche), ndlr.
  • [3]
    « The ADA Checklist for New Lodging Facilities » (ndlt).
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Résumé

L’Americans with Disabilities Act (ADA) est une loi fédérale contre la discrimination des personnes reconnues handicapées. Elle prescrit des changements de l’environnement pour le rendre accessible, pourvu qu’ils soient raisonnables et sans grandes difficultés pour les propriétaires et les gérants d’installations et ne modifient pas les fonctions essentielles des gouvernements. Elle vise à un équilibre entre les intérêts des personnes handicapées et des entreprises. Elle est appliquée par des tribunaux en réponse à des procès initiés par des personnes handicapées ou leurs représentants. Les décisions des tribunaux, y compris la Cour Suprême, ont été plus en faveur des intérêts des entreprises. L’entrée en vigueur de l’ADA a été suivie par des modifications architecturales et des améliorations dans les transports favorables aux personnes qui ont une mobilité réduite et à une croissance de télécommunications pour celles qui ont une déficience auditive. L’impact a été moindre pour celles qui ont des déficiences mentales ou psychiques. L’emploi de personnes handicapées n’a pas augmenté. Il est clair que l’ADA doit être complétée par des aides et des services pour les personnes handicapées et par la correction de leur inégalité socioé-conomique. Ces mesures dépendent en grande partie de l’orientation politique du gouvernement.

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René Jahiel [1]
Médecin chercheur, il réalise des études théoriques et qualitatives sur le handicap. Il a été professeur de médecine à la New York University. Il est président de l’École libre des hautes études à New York (États-Unis).
  • [1]
    Médecin chercheur, président de l’École libre des hautes études à New York (États-Unis).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/rfas.084.0137
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