1Tous les États européens sont confrontés aujourd’hui au coût croissant des nouvelles thérapeutiques et des nouveaux médicaments et doivent trouver des solutions à des objectifs a priori antinomiques, à savoir garantir un accès équitable à des médicaments efficaces et sûrs et réguler la dépense pharmaceutique pour en permettre le financement à long terme.
2En Europe, quatre systèmes de régulation des prix du médicament peuvent être identifiés (De Mazières, 2004). En France, en Suède et en Belgique, les prix sont fixés ou négociés en fonction du bénéfice thérapeutique ; en Europe du sud, au Danemark, en Suisse et en France pour les produits les plus innovants, les prix sont fixés par référence aux prix d’autres pays ; en Allemagne, les prix sont libres mais le remboursement repose sur une base forfaitaire ; et enfin, au Royaume-Uni, les prix des nouveaux médicaments sont libres mais des baisses globales de prix sont négociées régulièrement dans le cadre du Pharmaceutical Price Regulation Scheme (PPRS).
3Le PPRS, principal instrument de régulation des dépenses pharmaceutiques, poursuit le double objectif de l’approvisionnement du NHS à moindre coût et la préservation d’une industrie puissante. Les prix des nouveaux médicaments sont fixés librement par les industriels, mais ils ne sont pris en charge par le NHS que si l’évaluation coût-efficacité du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) est favorable. Tous les cinq ans, une baisse globale des prix des médicaments de chaque laboratoire est négociée dans le cadre du PPRS entre les représentants de l’industrie pharmaceutique et l’État, mais les industriels gardent la liberté de fixer les prix de chacun de leurs produits à condition que la baisse globale décidée pour l’ensemble des produits du laboratoire soit atteinte. Le PPRS inclut aussi un volet de contrôle des profits, qui est en réalité très peu contraignant pour les industriels.
4L’industrie pharmaceutique est attachée à ce mode de régulation qui lui laisse une large liberté de fixation des prix, car les prix britanniques servent de référence directe ou indirecte dans la fixation des prix sur un tiers du marché mondial. Toutefois, l’Office for Fair Trading propose de réformer le PPRS car les prix ne reflètent pas bien la valeur ajoutée thérapeutique des produits, ce qui n’incite pas les industriels à investir en recherche et développement sur les molécules les plus innovantes.
Après avoir décrit brièvement le service national de santé anglais, le NHS, la première partie analyse le dispositif d’ensemble de la politique du médicament. La deuxième partie est plus spécifiquement consacrée à la régulation des dépenses pharmaceutiques au travers du Pharmaceutical Price Regulation Scheme, PPRS, et aux propositions récentes sur son éventuelle réforme.
Le contexte et le dispositif institutionnel de la politique du médicament
Le service national de santé anglais : les médecins généralistes pivots du système de soins
5Le système de santé britannique est fondé sur le principe d’universalité. Toute personne résidente est prise en charge pour ses soins par le service national de santé, le NHS, qui reste financé à plus de 80 % par l’impôt. L’utilisation de la grande majorité des services de santé est totalement gratuite pour l’usager ; une franchise est appliquée pour les dépenses pharmaceutiques et pour les tests de vision mais quasiment la moitié de la population (enfants, personnes âgées, bénéficiaires de minima sociaux) est exonérée de toute charge. Le budget du NHS est complètement contraint puisque son montant est arrêté chaque année par le Parlement.
6Les médecins généralistes sont les pivots du système de soins et un passage obligé pour le patient pour accéder aux soins spécialisés. L’usager ne peut, sauf urgence, se rendre à l’hôpital qu’après avoir consulté un médecin généraliste. Chaque personne est tenue de s’inscrire sur la liste d’un médecin généraliste de son choix pour une durée minimum d’un an. Quant aux médecins spécialistes, ils n’exercent qu’à l’hôpital et ont un statut salarié. Ces médecins ont toutefois la possibilité de travailler dans le secteur privé en étant rémunéré à l’acte. Les hôpitaux appartiennent en quasi-totalité au service national de santé public.
7Longtemps, le NHS a été sous-financé mais le gouvernement travailliste s’est attaché depuis 2000 à accroître sensiblement le montant du budget consacré à la santé.
8Trois grandes réformes ont transformé assez radicalement le service national de santé britannique :
- l’instauration du marché interne en 1991 ;
- la mise en place de réseaux intégrés de soins primaires en 1999, les Primary Care Trusts ;
- enfin, le Practise Base Commissionning, généralisé en mai 2007, qui redonne aux cabinets de médecins généralistes un budget indicatif global pour gérer et financer l’accès aux soins spécialisés et les prescriptions de leurs patients.
9Les Primary Care Trusts (PCT), échelon de base du service national de santé anglais, sont composés de médecins généralistes, d’infirmières, de représentants de services sociaux, de l’administration sanitaire. L’adhésion à un PCT est obligatoire pour l’ensemble des médecins généralistes. Chaque PCT reçoit une enveloppe budgétaire fixe, dont le montant est défini par le département de la Santé (DOH), pour financer l’ensemble des soins primaires, secondaires et tertiaires ainsi que les biens médicaux nécessaires à la population qu’ils desservent. Deux stratégies ont été mises en œuvre à partir de 2006, dans l’objectif d’améliorer la fonction d’achat au niveau local :
- le regroupement des PCT qui couvriront désormais environ 500 000 personnes (Primary Care Organisations, PCO) ;
- la délégation de la fonction d’achat des soins et de médicaments aux cabinets de médecins généralistes (practice based commissioning). Copiée sur une des mesures phares de la réforme Thatcher, à savoir les médecins généralistes fundholders, disposition supprimée par le gouvernement travailliste dès son accession au pouvoir, la nouvelle délégation d’achat de soins aux généralistes les rend comptables de toutes les conséquences de leurs décisions.
10Il est difficile d’évaluer l’impact du « practice based commissioning » sur les comportements de prescription des médecins généralistes dans la mesure où cette réforme n’a été généralisée qu’en mai 2007.
Le médicament dans le cadre du NHS
Sa prise en charge par le NHS
11Au Royaume-Uni, le département de Santé exerce un contrôle sur l’ensemble de la politique pharmaceutique. Il régule aussi bien la classification des produits, le remboursement, les activités de prescription, l’information que l’encadrement économique.
12La mise sur le marché d’un médicament est soumise à une autorisation d’une agence spécifique, Medicine and Healthcare Product Regulatory Agency (MHRA). La MHRA est financée par une redevance de l’industrie pharmaceutique. La procédure d’autorisation est relativement rapide (trois mois). L’agence répartit les produits en trois catégories : les médicaments distribués seulement sur prescription en pharmacie (prescription only medicines, POM), les médicaments disponibles uniquement en pharmacie mais qui ne nécessitent pas une prescription (pharmacy only medecines, P) et les produits qui peuvent être vendus dans le circuit ordinaire de distribution (general sales list medecines, GSL). La moitié seulement des produits sont vendus en pharmacie.
13Les prix des médicaments sont librement fixés par les laboratoires pharmaceutiques lors de leur mise sur le marché mais des négociations globales de prix, encadrées par le Pharmaceutical Pricing Regulation Scheme, PPRS, ont lieu tous les cinq ans par entreprise (voir ci-dessous).
14La décision de prise en charge financière par le NHS revient au secrétaire d’État à la Santé qui s’appuie sur des consultations menées auprès des différents acteurs : syndicat de l’industrie pharmaceutique, entreprises pharmaceutiques intéressées, associations de médecins et de pharmaciens, organisations de patients et le National Institute for Health and Clinical Excellence, (NICE) créé en 1999 et dont le rôle est d’évaluer les nouveaux produits et les nouvelles thérapeutiques sur le plan médico-économique. À la suite de ces consultations, le secrétariat à la Santé dresse deux listes de produits pharmaceutiques : une liste négative (Black List) pour les médicaments non financés par le NHS et une liste restrictive, la Grey List, pour les médicaments qui ne peuvent être prescrits que pour des indications et des catégories d’individus précises. Depuis 2002, le gouvernement est obligé d’accepter la prise en charge par le NHS des médicaments et traitements recommandés par le NICE. La formation de ces listes est conditionnée par six critères de coût/efficacité.
Les groupements de soins primaires locaux, les Primary Care Trusts (PCT), qui emploient des conseillers pharmaceutiques, établissent leurs propres listes de prise en charge qui peuvent être plus limitatives que celles établies au niveau central. Mais les PCT peuvent aussi décider d’accepter dans leur ressort géographique la prise en charge d’un médicament dans certains cas, même après un avis négatif du NICE, en puisant sur leurs ressources propres. (Cf. ci-dessous).
La prescription émane surtout du médecin généraliste
15Désormais, chaque cabinet de médecin généraliste se voit attribuer un budget global indicatif, par le PCT dont il dépend, qui inclut la totalité des dépenses liées à ses décisions de soins et de prescriptions.
16Les médecins généralistes (General practitionners, GPs) prescrivent plus de 90 % en volume (80 % en valeur) des médicaments pris en charge par le NHS et environ 98 % des prescriptions en ambulatoire, 0,8 % des prescriptions émanant des infirmières. Les prescriptions des GPs sont souvent initiées par les médecins spécialistes (un cinquième des ordonnances) qui renvoient les patients auprès de leur médecin traitant pour les médicaments afin de ne pas faire peser la charge financière sur les hôpitaux.
17Les médecins généralistes anglais prescrivent peu de nouveaux médicaments (17 % de la dépense en médicaments prescrits contre 27 % aux États-Unis et un peu plus de 23 % en France). La majorité des prescriptions (54 %) portent sur des produits déjà sur le marché depuis plus de cinq ans.
18Un rapport du National Audit Office de 2007 (National Audit Office, 2007) réalisé à partir d’une enquête sur 1 000 généralistes et sur les consultants pharmacie des PCT, montre une très grande variation du coût des prescriptions selon les PCT. Ainsi, la prescription de statine dans sa version bon marché varie de 28 % à 86 % selon les zones géographiques. Selon ce même rapport, des économies pourraient être réalisées sur l’achat de médicaments par le NHS. Le gaspillage en médicaments, bien que difficilement quantifiable, se monterait, selon leurs estimations, à environ 100 millions de livres par an au minimum.
19Chaque PCT établit, en principe, une liste recensant les médicaments qu’il décide de prendre en charge. Ces listes sont utilisées pratiquement par les médecins du PCT comme des listes positives (Nguyen-Kim et al., 2005). Mais selon un rapport du Comité de la santé du Parlement (House of Commons, 2005), la plupart des PCT n’ont pas mis en place ce système de liste géré par des conseillers spécialisés. De plus, les dépenses d’information sur les médicaments réalisées par le département de la Santé à destination des médecins ne peuvent être comparées au budget consacré par l’industrie pharmaceutique à la promotion et au marketing de leurs médicaments. Toujours selon ce même rapport, elles représenteraient à peu près 3 % de la dépense de l’industrie pharmaceutique pour le même objet.
20Les prescriptions se sont accrues en volume entre 2006 et 2007 de 4,7 %. La plus forte augmentation concerne les médicaments pour les maladies endocriniennes (+ 7,3 %) et les médicaments destinés aux maladies cardio-vasculaires (+ 7 %). Cette croissance est sans doute à relier aux recommandations du Quality Outcome Framework, initié par le département de la Santé, qui récompense les médecins généralistes qui prescrivent systématiquement certains médicaments pour des affections déterminées.
21Les médecins reçoivent des informations sur leurs prescriptions, comparées en moyenne nationale. Le Prescribing Analysis and Cost, PACT Dat, a été introduit en 1991. Outre les produits prescrits et leurs coûts, pondérés pour prendre en compte les besoins du patient, des données par malade sont également disponibles. Tout usager peut aller consulter sur le site du
Centre d’information sur la santé et les soins communautaires, les prescriptions faites par n’importe quel médecin généraliste.
Encadré : Les prescriptions de médicaments en soins primaires en 2006
• 77 % étaient prescrits pour six domaines thérapeutiques : maladies cardiovasculaires, système nerveux central, système endocrinien, maladies du système respiratoire, maladies gastro-intestinales et maladies infectieuses.
• 1,9 milliard (billion) de livres ont été dépensées pour les médicaments cardio-vasculaires.
• 98 % des prescriptions ont été établies par les GP, le reste provenant des infirmiers, pharmaciens et dentistes.
• Le coût moyen pour le NHS d’une prescription (un médicament) était de 11 livres en 2005.
• 14 prescriptions en moyenne par habitant mais 38 pour les plus de 60 ans.
• 88 % des médicaments prescrits étaient délivrés gratuitement pour le patient.
22Les médecins généralistes sont liés aux PCT par des contrats, les General Medical Services Contract, qui leur donnent des incitations financières à une prescription économe et au respect de la qualité des soins (Quality Outcome Framework – QOF), ces deux objectifs pouvant parfois être contradictoires. Le rapport du NAO (National Audit Office, 2007) constate, par exemple, que dans le cas des maladies cardio-vasculaires, les prescriptions de statine ont explosé pour répondre aux stipulations du QOF.
23Ces contrats ont permis de développer la prescription en DCI (dénomination commune internationale) et la diffusion des génériques. Leur évolution récente conduit toutefois à privilégier les incitations financières à la qualité des soins plutôt que celles visant à contenir les coûts de prescription.
24À l’hôpital, les médicaments sont prescrits par les praticiens hospitaliers et délivrés gratuitement par la pharmacie de l’hôpital. Ils sont financés sur le budget de l’hôpital.
25Les pharmaciens ont obtenu le droit de prescrire, depuis 2006, dans l’objectif de faciliter l’accès aux soins et de diminuer la pression sur les médecins généralistes. Ce droit est toutefois conditionné à une autorisation du PCT. Ces derniers seront plus facilement enclins à l’accorder si le nombre de médecins généralistes dans leur ressort géographique est insuffisant ou en cas de manque dans certains services.
26Les infirmières, spécialement formées (Nurses independent prescribers), ont depuis 2006 le droit de prescrire tous les médicaments entrant dans le champ de leurs compétences, même les produits considérés comme dangereux (control drugs) que ne peuvent prescrire les pharmaciens. Les autres infirmières n’ont qu’un droit de prescription dérivé, sous la responsabilité d’un médecin.
Les prescriptions des pharmaciens et des infirmières relèvent d’un budget particulier.
La participation financière des patients est faible en raison des exemptions
27Les patients participent aux dépenses de médicaments en acquittant un ticket modérateur forfaitaire (prescription charge) par médicament prescrit de 6,85 livres (environ 10 euros) en 2007.
28Mais les exemptions sont très nombreuses [1] et on estime que près de 85 % des prescriptions seraient délivrées gratuitement. Le coût particulièrement élevé de ce forfait incite les Britanniques à pratiquer l’automédication. Celle-ci représenterait environ 30 % des dépenses totales de médicaments contre environ 15 % dans un pays comme la France. Le prix des médicaments OTC (Over the Counter) vendus directement au public sans prescription sont totalement libres et fixés par le détaillant.
29Les médicaments délivrés en cas d’hospitalisation sont exemptés de toute participation financière du patient.
Le NHS récupère une partie des marges obtenues par les pharmaciens
30La distribution du médicament est majoritairement réalisée par les pharmaciens. Les grandes surfaces peuvent avoir un rayon pharmaceutique. Certains cabinets de médecins, essentiellement en zone rurale, comprennent des pharmacies (dispensing general practitionners).
31Les pharmaciens peuvent acheter les médicaments directement auprès du laboratoire pharmaceutique ou par l’intermédiaire de grossistes ou encore recourir aux importations parallèles car les médicaments de marque sont souvent moins chers dans les autres pays européens.
32Les pharmaciens conventionnés avec le NHS reçoivent deux sortes de rémunération : une rémunération pour les services rendus et le remboursement du coût des médicaments qu’ils dispensent.
33Le NHS rembourse les pharmaciens pour les médicaments dispensés, au prix officiel des produits minoré d’une retenue représentant une partie des ristournes que les pharmaciens ont obtenues auprès des industriels ou des grossistes. Le pourcentage de cette retenue qui varie de 5,63 % à 11,50 %, diffère selon la taille de la pharmacie et le montant des ventes effectuées. Le NHS partage donc avec les pharmaciens, les bénéfices réalisés lors de leurs achats de produits. Pour les médicaments génériques, les pharmaciens sont remboursés par le NHS au prix fixé par le ministère de la Santé dans l’annexe M du tarif des médicaments. Dans le contrat avec les pharmaciens, renégocié chaque année, le montant global de l’enveloppe destinée aux pharmaciens est arrêté. Pour 2006-2007, il a été fixé à 1 922 millions de livres. Cette somme provient de trois sources : le Fonds central, un fonds provenant des PCT et la marge retenue aux pharmaciens.
34Depuis la nouvelle convention mise en place en 2005, les services des pharmaciens comportent trois volets les services essentiels, les services «avancés » (advanced services) et les services « étendus » (enhanced services). Tous les pharmaciens ne sont pas tenus d’offrir des services « avancés ». Les services dits « étendus » comprennent un certain nombre d’actes et de prescriptions comme, par exemple, des traitements pour aider les personnes à arrêter de fumer, la fourniture de soins palliatifs et certains soins aux personnes âgées, des ouvertures de la pharmacie en dehors des heures réglementaires… Ces services doivent s’intégrer dans le plan stratégique arrêté par le PCT.
35Des aides particulières sont apportées par les PCT aux petites pharmacies. Les pharmaciens n’ont pas de droit de substitution. Les généralistes prescrivent en DCI, en donnant le nom de la molécule plutôt que le nom d’une marque spécifique. 70 % des prescriptions des généralistes sont en DCI (appelé « generic prescribing ») en 2005 (10 % en France) contre seulement 40 % en 1995. Ainsi, s’il existe un générique, le pharmacien peut le délivrer, il n’a pas besoin du droit de substitution. Par le jeu des marges dont il béné-ficie, il est même incité à délivrer le générique le moins cher. Le développement des génériques s’est tout de même appuyé principalement sur les médecins généralistes au Royaume-Uni. D’autres pays comme la France se sont davantage appuyés sur les pharmaciens, dotés d’un droit de substitution. En 2005 en Angleterre (soit 80 % des dépenses de médicament du Royaume-Uni), la part des génériques dans la dépense a doublé en dix ans, passant de 12,9 % en 1995 à 26,4 %.
La plus importante source de financement des pharmacies provient de la distribution des médicaments pour le NHS qui représente 80 % des revenus d’une pharmacie moyenne (Office for Fair Trading, 2003).
Une évaluation médico-économique parfois contestée, le rôle du NICE
36Le National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) est un institut indépendant d’évaluation économique. Il n’intervient pas sur la mise sur le marché des médicaments mais ses évaluations pèsent fortement sur la prise en charge par le NHS des produits pharmaceutiques.
37Le NICE a trois missions :
- fournir des évaluations médico-économiques sur les médicaments et traitements nouveaux ou existants ;
- produire des recommandations cliniques pour des maladies spécifiques ;
- et faire des recommandations sur les procédures d’intervention (diagnostic ou traitement).
38Le NICE évalue le rapport coût/efficacité de nouveaux produits en rapportant son prix à l’efficacité thérapeutique calculée en « années de vie gagnées ajustées par la qualité » (Quality Adjusted Life Year, QALY). Le ratio QALY ne devrait pas dépasser le seuil de 20 000 à 30 000 livres par année de vie gagnée ajustée par la qualité. Ce seuil théorique n’a toutefois pas été explicitement reconnu par le NICE. Il n’a pas de fondement justi-fié (Appleby et al., 2007).
39Les recommandations positives du NICE engagent le gouvernement et les PCT qui sont obligés d’accepter la prise en charge de nouveaux traitements et médicaments. En revanche, les PCT refusent, en principe, de financer les nouveaux produits qui ont fait l’objet d’une recommandation négative du NICE. Toutefois les pressions des associations de malades sont très fortes et un PCT peut décider d’accepter de financer dans certains cas, un médicament non approuvé par le NICE pour des raisons de coût/efficacité ou pas encore évalué par l’Institut. Un des exemples les plus significatifs est celui de l’Herceptine, un médicament qui n’était distribué par le NHS que pour les cas de cancers du sein déjà métastasés. Le laboratoire Roche ayant prouvé les résultats prometteurs de ce médicament dans le traitement précoce du cancer du sein HER2, la ministre de la Santé, sous la forte pression de l’opinion publique, a obligé les PCT à accepter sa prise en charge pour les cas précoces de cancer du sein sans attendre son évaluation par le NICE. Mais elle en a fait porter le coût sur les PCT. Cette décision illustre bien le fait que les autorités centrales du NHS aient pris rarement des décisions de rationnement des médicaments en renvoyant le poids de ses décisions implicites aux niveaux locaux.
40Un rapport de l’OMS de 2003 souligne la grande qualité des travaux et des méthodes du NICE. Toutefois, certaines critiques se font désormais jour quant à son fonctionnement. Ainsi, leurs évaluations seraient conduites trop tôt. Certains experts (Pharma-France, 2004) considèrent que l’existence du NICE n’aurait pas eu d’influence sur les inégalités géographiques d’accès aux traitements en fonction des PCT. Ces derniers auraient d’ailleurs eu tendance à mieux mettre en œuvre les recommandations restrictives du NICE que les positives
41Les recommandations du NICE font parfois l’objet de procédures d’appel par les laboratoires ou des associations d’usagers auprès de l’Institut luimême dans un premier temps, devant la justice ensuite si la recommandation n’est pas amendée. Ainsi, s’agissant des médicaments de lutte contre la maladie d’Alzheimer (donepezil ou Aricept, galantamine, rivastigmine, mematine) la décision prise par le NICE, en 2005, de n’accepter la prise en charge de ces médicaments que pour les personnes atteintes modérément par la maladie et non pas au stade précoce ou grave, décision confirmée ensuite en octobre 2006, a conduit le laboratoire pharmaceutique et l’association Alzheimer, à contester le bien-fondé de cette recommandation devant la Haute Cour de justice. L’arrêt rendu, en août 2007, donne majoritairement raison au NICE. Les personnes faiblement ou très sévèrement atteintes ne pourront pas bénéficier de ces traitements bien que ces produits soient prescrits à tous les stades de la maladie dans les autres pays européens.
42Une enquête parlementaire a été lancée pour analyser l’activité de l’Institut et ses méthodes d’évaluation. Un certain nombre d’acteurs ont déjà envoyé leur position à la Chambre des communes qui devrait rendre son rapport à l’automne 2007.
Au-delà des recommandations prises par le NICE, se pose plus largement la question de l’évaluation médico-économique. Peut-on fixer un seuil monétaire par année de vie de qualité gagnée pour une prise en charge socialisée des nouveaux traitements ? Quid, dès lors, du traitement des maladies orphelines qui peut difficilement entrer dans une logique de coût/efficacité ?
Une dépense pharmaceutique contenue et un marché pharmaceutique puissant
43Le total des dépenses publiques de médicaments, pris en charge par le NHS, s’est élevé, en 2005, à 17,4 milliards d’euros [2] dont environ 13 milliards pour les médicaments de marque et 4,4 milliards pour les génériques. Les trois quarts de ces coûts ont été générés en médecine de ville et un quart à l’hôpital. Le NHS est à l’origine de près de 90 % des ventes de médicaments sur ordonnance.
44La dépense totale pharmaceutique au Royaume-Uni reste faible, surtout par rapport à celle observée en France et en moyenne européenne. En 2004, les ventes aux officines par habitant (en prix fabricant hors taxe) s’établissaient ainsi à 284 euros en France, 244 euros en Allemagne, et seulement 202 euros au Royaume-Uni (Clerc et al., 2006). La croissance des dépenses pharmaceutiques a cependant été rapide ces dernières années. Malgré une légère baisse en 2005 consécutive à la baisse des prix des médicaments princeps dans le cadre du PPRS, la croissance annuelle moyenne de la dépense pharmaceutique entre 2000 et 2005 est estimée à 7,6 % au Royaume-Uni.
45Le coût plutôt élevé des médicaments de marque est compensé par les achats de médicaments génériques qui sont très importants. Ils représentaient près de 82 % des médicaments vendus sur ordonnance en 2006 et un peu plus du quart en valeur des ventes. À la suite d’une étude demandée à l’Oxford Economic Research, il a ainsi introduit en 2000, une réglementation fixant un prix maximum pour les médicaments génériques (Drug Tariff).
46Les importations parallèles sont importantes puisqu’on estime qu’elles représentent 10 % du marché (mission économique).
47L’industrie pharmaceutique est un des secteurs phares de l’économie britannique, « le joyau de la couronne ». Le Royaume-Uni est, en effet, le troisième exportateur mondial de produits pharmaceutiques et le leader européen en matière de recherche et développement, avec un budget estimé à plus de 4,8 milliards d’euros en 2004. Parmi les dix premières sociétés pharmaceutiques mondiales, deux sont britanniques. L’industrie pharmaceutique a généré un chiffre d’affaires supérieur à 25 milliards d’euros en 2005 et elle emploie directement 83 000 personnes dont 29 000 en R & D. Elle se situe au second rang mondial pour la découverte de molécules innovantes.
48Cette situation explique que le gouvernement britannique ait toujours protégé son industrie pharmaceutique et le plus souvent préféré réduire les coûts par des mesures restrictives touchant la demande plutôt que l’offre.
49Les intérêts mêlés du gouvernement et de l’industrie pharmaceutique au Royaume-Uni ont souvent été dénoncés. Ainsi, pour Macmillan et Turner les relations entre le gouvernement et l’industrie pharmaceutique en Grande-Bretagne s’apparentent à du « clientélisme pluraliste » où le pouvoir est hautement concentré au niveau de l’État mais dans la réalité peu efficient en raison du manque d’expertises et de ressources (Macmillan, Turner, 1987). Le gouvernement aurait, en réalité, choisi de faire confiance à l’industrie pour produire des médicaments innovants et sûrs, dans une relation de « mutuelle dépendance ». L’Association de l’industrie pharmaceutique britannique, l’APBI, est extrêmement influente et les liens entre les experts publics et l’industrie fortement dépendants selon Abraham et Lewis qui soulignent les intérêts économiques mêlés des deux parties avec des personnalités du monde de l’industrie qui n’hésiteraient pas à rejoindre l’administration un temps pour ensuite regagner l’industrie (Abraham, Lewis, 2000).
Les experts de l’Observatoire sur les systèmes de santé (Mossialos et al., 2004) soulignent pour leur part que « le rôle décisif et central de l’APBI et la nature même du PPRS reflètent… les objectifs du gouvernement britannique en matière de politique industrielle.»
La régulation des dépenses pharmaceutiques : The Pharmaceutical Price Regulation Scheme
50Dans la plupart des pays européens, dont la France, les prix des médicaments sont négociés au cas par cas entre les industriels et les pouvoirs publics en fonction des bénéfices thérapeutiques attendus du médicament ou par référence aux prix pratiqués dans d’autres pays. Au contraire, au Royaume-Uni, les industriels bénéficient de la liberté de fixation des prix des nouveaux médicaments, cette liberté étant encadrée par un contrôle ex post des pro-fits et par une négociation globale sur les prix ayant lieu tous les cinq ans entre l’industrie pharmaceutique et le ministère de la Santé.
51La régulation du prix du médicament au Royaume-Uni repose sur des négociations globales entre l’Association of the British Pharmaceutical Industry (ABPI) qui représente l’industrie pharmaceutique et le gouvernement (UK Health Department). L’accord conclu tous les cinq ans environ est connu sous le nom de Pharmaceutical Price Regulation Scheme, plus communément appelé PPRS. Le premier PPRS a été conclu en 1957, et le dernier en janvier 2005, s’est soldé par une baisse globale des prix des médicaments de 7 %. L’accord garantit à l’industrie pharmaceutique une stabilité et une visibilité à moyen terme dans ses relations avec le NHS qui crée un contexte favorable à l’investissement, et il permet au NHS d’obtenir des baisses de prix de médicament. Les objectifs du PPRS sont en effet multiples. Il s’agit pour le NHS d’acheter des médicaments sûrs et efficaces à des prix raisonnables, de promouvoir une industrie pharmaceutique forte et profitable capable d’investir dans la recherche et développement en molécules innovantes, et d’encourager une concurrence efficace au Royaume-Uni et dans les autres pays. Un des enjeux clés des négociations réside donc dans la préservation d’une industrie pharmaceutique britannique forte, tant en terme d’emplois que de recherche et développement. Ainsi, un quart des nouveaux médicaments dans le monde ont été développés au Royaume-Uni en 2004, contre la moitié aux États-Unis et seulement 6 % en France, alors que le marché britannique représente moins de 4 % des ventes mondiales de médicament (ABPI, 2005).
52Le mécanisme du PPRS est relativement complexe et les négociations peuvent être longues, mais globalement, il repose sur deux principes essentiels : le contrôle des profits et le contrôle des prix. Toutefois, malgré l’apparence d’économie administrée que semblent préfigurer ces deux principes, ils laissent dans leur application une large place aux mécanismes de marché. Plutôt qu’un système de régulation, le PPRS semble en effet être la formalisation du pouvoir de marché du NHS, qui, en tant qu’acheteur unique de médicaments sur le marché britannique, négocie des baisses de prix.
Le contrôle des prix
53Le contrôle des prix est l’élément clé du PPRS. Il concerne les médicaments princeps déjà sur le marché au moment de la négociation, mais exclut les médicaments génériques et les nouveaux médicaments, dont la fixation des prix est libre.
54Les industriels peuvent fixer librement les prix des nouveaux médicaments. Cela devrait permettre en théorie de rendre ces médicaments rapidement disponibles, alors que dans la plupart des pays européens cette disponibilité est retardée par les négociations entre industriels et pouvoirs publics au sujet du prix. Toutefois, tant que le NICE n’a pas examiné le rapport coûtefficacité du nouveau médicament, celui-ci n’est en général pas remboursé par le NHS, si bien que la diffusion des nouveaux médicaments n’est pas, en réalité, améliorée par leur libre fixation des prix. Au niveau local, les Primary Care Trust ont néanmoins la possibilité, sur leur budget, de rembourser ces nouveaux médicaments en attendant la décision du NICE. Cela conduit donc potentiellement à des inégalités d’accès aux nouveaux médicaments sur le territoire. Celles-ci sont toutefois limitées dans la mesure où les contraintes budgétaires conduisent généralement les PCT, sauf innovation vraiment majeure, à ne pas les prendre en charge. Au final, la diffusion de l’innovation dans le NHS britannique demeure assez lente au regard des standards internationaux.
55Malgré la liberté des prix, le laboratoire pharmaceutique doit fixer un prix tel que le rapport coût-efficacité mesuré par le NICE (cf. ci-dessus) conduise ce dernier à accepter la prise en charge du médicament par le NHS. En effet, un prix trop élevé peut conduire le NICE à refuser que ce médicament soit remboursé par le NHS, ce qui désolvabilise la demande et exclut de fait le médicament du marché. L’exemple de l’Exubera, première forme d’insuline inhalable par le patient au lieu d’être injectable et proposé par le laboratoire Pfizer a un prix trois fois plus élevé que l’insuline injectable, ce qui a donné lieu à une recommandation négative de NICE, est significatif à cet égard. Quand le prix d’un nouveau médicament est jugé trop élevé, il n’est pas possible de proposer un nouveau prix plus bas, la mise sur le marché des nouveaux médicaments ne se situe pas dans une logique de négociation avec le NICE.
56La fixation des prix des nouveaux médicaments au Royaume-Uni obéit aussi à une logique industrielle transnationale. En effet, les laboratoires pharmaceutiques, qui sont souvent de grandes entreprises multinationales, vendent leurs produits partout dans le monde, et souvent, notamment en Europe, les prix britanniques servent de référence pour fixer les prix des médicaments sur les différents marchés nationaux, soit directement (Japon, Canada, Mexique, Suisse, France, Belgique, Pays-Bas, Irlande, pays scandinaves), soit indirectement (Espagne, Italie, Pologne, Hongrie) via une référence aux prix des médicaments d’un pays tiers eux-mêmes fixés par référence directe aux prix britanniques. Ainsi, bien que le Royaume-Uni ne soit que le cinquième marché mondial et troisième marché européen du médicament avec moins de 4 % du marché mondial du médicament, son importance stratégique est proportionnellement plus forte pour les industriels. L’ensemble des pays prenant directement les prix britanniques comme référence représente environ un quart du marché mondial du médicament, et si l’on élargit le périmètre aux pays dont les prix font implicitement référence aux prix britanniques, cela représente au moins un tiers du marché mondial. L’industrie pharmaceutique est en conséquence très attachée au principe de libre fixation des prix des nouveaux médicaments autorisé par le PPRS.
57Quant aux médicaments génériques, qui représentent 83 % du volume de prescription des médecins et 26 % des dépenses de médicaments du NHS (OFT, 2007), leurs prix apparaissent plus bas qu’en France, la fixation des prix s’opérant grâce à des mécanismes de marché, sous l’effet de la concurrence entre les industriels génériqueurs. Les prix des génériques sont en outre soumis à un plafond.
58Pour tous les autres médicaments, c’est-à-dire les médicaments princeps déjà sur le marché, les négociations entre les industriels et le ministère de la Santé dans le cadre du PPRS conduisent à fixer une baisse générale des prix, qui s’est établie à 7 % dans le dernier PPRS, en janvier 2005. Lors des précédents PPRS, ces baisses étaient d’ampleur plus modeste (4,5 % en octobre 1999 et 2,5 % en octobre 1993). Le contrôle des prix s’établit au niveau de chaque laboratoire pharmaceutique, ils doivent tous appliquer la baisse des prix décidée. Cependant, ils bénéficient d’une certaine marge de manœuvre dans les modulations des prix de leurs médicaments. Chaque laboratoire doit appliquer cette baisse de 7 % à l’ensemble de sa gamme de médicaments rentrant dans le cadre du contrôle des prix du PPRS, mais garde la liberté pour chacun de ses médicaments de fixer un prix, du moment que globalement la baisse de 7 % est atteinte. Ainsi, il est possible pour un laboratoire de ne pas baisser le prix de certains produits et de compenser en appliquant une baisse plus forte à d’autres. Ce type de combinaison est plus facilement réalisable par les grands laboratoires, qui ont un large éventail de médicaments remboursés par le NHS, que par les petits laboratoires qui vivent sur quelques molécules. En outre, cette liberté permet aux laboratoires de choisir stratégiquement les médicaments sur lesquels vont se concentrer les baisses de prix, généralement les médicaments en déclin, pour maintenir les prix des médicaments dont les perspectives d’évolution sont les meilleures. En conséquence, le PPRS permet bien d’obtenir la baisse des prix visée la première année en médecine de ville sur les médicaments princeps, puis, sous l’effet de la déformation de la structure des médicaments existants et de l’apparition de nouveaux médicaments, les prix des princeps reprennent une tendance plutôt à la hausse jusqu’au PPRS suivant, cinq ans après. Les comparaisons internationales de prix de médicaments princeps publiées par le ministère de la Santé britannique montrent que grâce au PPRS 2005, les prix britanniques sont désormais comparables aux prix des autres pays européens, et sont deux fois plus bas que les prix des médicaments princeps aux États-Unis, alors qu’en 1999, les prix britanniques étaient les plus élevés en Europe. Ainsi, l’écart avec les prix français, historiquement plus bas, serait passé de 16 % à 4 % en six ans, cet écart pouvant toutefois s’agrandir dans les années à venir compte tenu du délai de cinq ans entre chaque PPRS.
L’effet du PPRS sur les prix des médicaments à l’hôpital est plus difficile à évaluer. En effet, le PPRS impose des baisses de prix « catalogues », mais les prix des médicaments à l’hôpital résultent d’une négociation entre les laboratoires et des regroupements d’hôpitaux acheteurs de médicaments, si bien que les transactions se font à des prix inférieurs aux prix « catalogues », en fonction des volumes achetés. À partir de l’étude des achats de médicaments de quelques regroupements d’hôpitaux, il semblerait que le PPRS 2005 n’ait généré aucune économie significative sur les achats de médicaments à l’hôpital (OFT, 2007).
Le contrôle des profits
59À côté du contrôle des prix, l’autre levier de régulation du PPRS est le contrôle des profits. L’industrie pharmaceutique et le ministère de la Santé se mettent d’accord sur un niveau de profit cible gagné par les laboratoires pharmaceutiques sur l’offre de médicaments princeps vendus au NHS. Il résulte d’un compromis entre incitation à l’innovation et souci d’optimiser l’utilisation des ressources du NHS. En pratique, des bandes de fluctuation autour de ce profit cible sont définies, et les laboratoires qui n’arrivent pas à atteindre la borne inférieure de profit ont la possibilité d’augmenter les prix de leurs médicaments princeps, alors que les laboratoires dont les profits dépassent la borne supérieure définissant le profit maximum autorisé, doivent reverser les profits excédentaires au NHS. En outre, la méthode de calcul des profits gagnés sur les médicaments princeps vendus au NHS nécessite de définir des règles complexes d’allocation de coûts, notamment de coûts de recherche et développement particulièrement difficiles à déterminer. Ces coûts représentent une part importante des coûts de l’industrie pharmaceutique et une part de ces investissements ne débouche pas sur la découverte de nouveaux médicaments. Ainsi, ces règles d’allocation de coût se révèlent être dans une certaine mesure, elles aussi, l’objet de négociations. Outre ces difficultés conceptuelles de règles de calculs des profits, l’internationalisation croissante de l’industrie pharmaceutique rend la mesure des profits plus incertaine, les laboratoires bénéficiant de marges de manœuvre pour transférer une partie des profits réalisés au Royaume-Uni vers des pays où les profits ne sont pas contrôlés. Les équipes du ministère de la Santé chargées de contrôler les profits, quoique très compétentes, ont des effectifs trop réduits pour assurer un contrôle systématique des profits de tous les laboratoires compte tenu de la complexité de ce travail.
60Ce contrôle des profits apparaît un peu anachronique dans un pays où l’économie de marché est la règle. En effet, garantir un certain niveau de profit à une entreprise, quel que soit son secteur d’activité, amoindrit les incitations à l’innovation et à la recherche de gains de productivité. Cette contradiction est cependant caractéristique du contraste entre l’industrie pharmaceutique britannique, fer de lance d’une économie dynamique dans un contexte de concurrence internationale grandissante, et le NHS souvent décrit par ses acteurs comme l’archétype de régulation administrative et dans lequel le principe de cost containment a longtemps été le critère de gestion prépondérant. Toutefois, au cours des dernières années, l’importance du contrôle des profits a été largement diminuée. Les règles d’allocation de coûts permettant de déterminer le calcul des profits ont évolué dans un sens favorable à l’industrie pharmaceutique, tendant à minorer les profits pris en compte, et la bande de fluctuation des profits a été élargie. Ainsi, dans le PPRS de 2005, les profits peuvent dépasser le profit cible de 40 % au maximum sans déclencher l’obligation de reversements au NHS. En contrepartie, les profits peuvent descendre jusqu’à 60 % du profit cible sans que le laboratoire ne soit autorisé à augmenter ses prix. Durant la période couverte par le précédent PPRS, entre 1999 et 2004, les reversements au NHS correspondant aux cas de dépassements du profit maximum autorisé ont été négligeables, représentant environ 0,01 % des ventes de médicaments princeps sur la période. Au final, même s’il pourrait en théorie être contraignant pour les petites entreprises très innovantes basées au Royaume-Uni qui n’ont pas la possibilité d’exporter leurs profits ailleurs, le contrôle des profits n’apparaît pas comme une contrainte pour la plupart des laboratoires pharmaceutiques.
Les limites du PPRS : les prix des médicaments relèvent d ’une stratégie industrielle et ne re ?ètent pas l ’apport thérapeutique
61Un rapport de l’Office for Fair Trading (OFT), organisme public non gouvernemental dont la mission est de vérifier le bon fonctionnement des marchés dans l’intérêt des consommateurs, a été remis au gouvernement en février 2007. Il souligne les limites du PPRS, dont les principes n’ont pas évolué depuis cinquante ans et fait des propositions de réforme.
62Leur principale critique concerne un manque de cohérence entre les prix des médicaments et leur valeur ajoutée thérapeutique. La liberté des laboratoires pharmaceutiques de fixer librement les prix des nouveaux médicaments, puis, une fois ces médicaments acceptés par le NICE, la possibilité permise par le PPRS de moduler stratégiquement les prix de chacun tant que la baisse globale correspond à l’accord convenu, conduisent à ce que les prix ne reflètent pas, ou ne reflètent plus au bout d’un certain nombre d’ajustements, la valeur thérapeutique des médicaments. Ainsi, certains médicaments aux effets similaires peuvent avoir des écarts de prix signi-ficatifs. Or, la demande est assez peu sensible aux prix des médicaments prescrits dans la mesure où les multiples exemptions du forfait par boîte de médicament (« prescription charge ») conduisent à ce que seulement 5 % du montant des médicaments prescrits soient à la charge des ménages. Dans le même temps, et de manière un peu surprenante compte tenu de la logique de régulation locale des PCT qui devrait induire une certaine pression sur les médecins généralistes pour limiter les dépenses, une enquête auprès de 1 000 médecins généralistes (NAO) a mis en évidence leur connaissance très approximative des prix des médicaments les plus prescrits au Royaume-Uni. Cette relative méconnaissance est certainement liée à l’évolution des contrats liant les médecins généralistes aux PCT (General Medical Services contract). Ils tendent à privilégier les incitations financières à atteindre un certain niveau de qualité des soins, alors que les incitations financières à contenir les coûts de prescription, quoique toujours présentes, revêtent aujourd’hui moins d’importance. Ces deux types d’incitations jouent en sens contraire sur l’intérêt des médecins généralistes à bien connaître les prix des médicaments qu’ils prescrivent, et l’évolution récente de ces contrats a dilué la sensibilité aux prix des prescripteurs. En conséquence, des médicaments trop chers, compte tenu de l’existence de médicaments aux effets similaires moins chers, continuent à être prescrits par les médecins et achetés par les patients.
63Ainsi, malgré un système qui donne en principe les incitations adéquates à une prescription économe, il y aurait des gaspillages, évalués par l’OFT à environ 6 % des dépenses de médicaments princeps. Cette estimation ne concerne cependant que les médicaments pour lesquels il est possible d’identifier des médicaments moins chers ayant des effets similaires. Ces gaspillages seraient imputables, pour partie, aux médecins généralistes, qui pourraient avoir une prescription ayant un meilleur rapport coût-efficacité, surtout dans un contexte de plafonnement budgétaire où les prescripteurs doivent faire des choix. Mais même dans un système hypothétique où tous les médecins généralistes connaissent parfaitement tous les prix des médicaments, ce qui est loin d’être le cas, et optimisent en conséquence leurs prescriptions, le fait que les prix relatifs ne reflètent pas des différences de valeur ajoutée thérapeutique conduit au final à une allocation non optimale des ressources. Cela entraîne une prescription trop importante de médicaments aux prix surévalués compte tenu de leur valeur ajoutée thérapeutique.
64Dans un contexte de régulation globale du système de soins où chaque PCT est soumis à un plafond budgétaire, ces gaspillages ne peuvent pas, par défi-nition, entraîner de dépenses supplémentaires, mais ils induisent donc une utilisation inefficace des ressources du NHS. Ainsi, si les PCT dépensent trop sur les médicaments existants, ils doivent alors faire des choix budgétaires les conduisant par exemple à limiter l’accès aux nouveaux médicaments ou à réduire leur budget hospitalier sur une période donnée. Ces arbitrages peuvent conduire à des choix douloureux pour les patients du système de santé britannique. Ainsi, récemment, le NICE a refusé la prise en charge par le NHS de nouveaux traitements contre le cancer en invoquant parmi d’autres raisons un prix excessif. Les principes du PPRS conduisent à accorder une prime aux médicaments déjà pris en charge par le NHS par rapport aux nouveaux médicaments, candidats à la prise en charge.
Les prix des médicaments orientent les décisions d’investissement des laboratoires pharmaceutiques. Ces investissements obéissent à une stratégie industrielle ayant pour objectif de maximiser l’espérance de profits futurs afin de valoriser au mieux l’entreprise pour les actionnaires. En conséquence, le PPRS conduisant à ce que les prix ne reflètent pas bien la valeur ajoutée thérapeutique des médicaments, il y a un risque que les choix d’investissements ne se portent pas sur les médicaments les plus bénéfiques pour la société. Compte tenu de l’importance de la recherche et développement britannique dans le monde et surtout de l’influence des prix britanniques sur la fixation des prix dans les autres pays, une réforme du PPRS incitant les entreprises de l’industrie du médicament à privilégier les investissements sur les molécules à forte valeur ajoutée thérapeutique apparaît souhaitable pour le bien-être des consommateurs.
Les propositions de réforme de l’Office for Fair Trading
65Face à ce constat, l’OFT propose dans son rapport une réforme radicale du PPRS. Elle vise à supprimer le contrôle des profits, devenu inopérant dans les faits et pouvant freiner l’innovation des petits laboratoires, et surtout à remplacer le contrôle actuel des prix par un mécanisme de fixation basé sur des évaluations coût-bénéfice. Ces évaluations seraient renouvelables, permettant d’ajuster les prix des médicaments en comparant leurs apports thérapeutiques.
66En pratique, une première option de réforme n’inclurait que des évaluations ex post (ex post value-based pricing), et ne modifierait pas le fonctionnement actuel concernant l’introduction de nouveaux médicaments. Ainsi, la liberté initiale de fixation des prix serait préservée, le NHS remboursant le médicament sous réserve de l’évaluation coût-bénéfice du NICE. Ensuite plusieurs évaluations seraient réalisées dans le temps, en fonction d’événements majeurs pouvant modifier le rapport coût-bénéfice du médicament, comme par exemple l’apparition d’un nouveau médicament traitant les mêmes pathologies, la fin de protection du brevet d’un médicament comparable, ou à la suite d’une nouvelle information clinique. Ces évaluations qui seraient, elles aussi, conduites par le NICE, fixeraient un prix plafond du médicament, compte tenu de ses apports cliniques par rapport à un médicament comparable. Ce prix plafond pourrait dépendre des volumes, par exemple pour les médicaments permettant de soigner une population bien identifiée (par exemple les diabétiques). Les médicaments dont les brevets arrivent à expiration devraient dans ce contexte être remboursés 25 % plus chers que les génériques pour maintenir l’incitation à la prescription de génériques afin de préserver les incitations des génériqueurs à rentrer sur le marché. L’opportunité et le calendrier de ces nouvelles évaluations pourraient être négociés entre l’industrie pharmaceutique et le gouvernement dans un schéma de type PPRS.
67Une deuxième option de réforme (ex ante value-based pricing) consisterait à ajouter à la première option une analyse coût-bénéfice ex ante, qui serait sommaire et sur la base des données disponibles transmises par le laboratoire pharmaceutique. Cette évaluation permettrait de fixer un prix maximum, les laboratoires perdraient ainsi leur liberté actuelle de fixation des prix initiaux. Dans les cas où les données seraient insuffisantes pour établir rapidement une évaluation, afin de ne pas ralentir l’introduction sur le marché de nouveaux médicaments, un contrat basé sur un apport clinique supposé permettant de partager les risques entre le laboratoire pharmaceutique et le NHS serait établi. Dans ce contrat, des compensations financières seraient prévues entre le NHS et le laboratoire dans les cas où l’apport thérapeutique se révélerait au final nettement supérieur ou inférieur à l’anticipation initiale et donc le prix initial trop bas (le NHS paierait le laboratoire) ou trop haut (le laboratoire paierait le NHS).
La première option (ex post) est la plus proche du PPRS existant. Elle préserve en effet la liberté de fixation des prix lors de l’introduction des nouveaux médicaments, à laquelle l’industrie pharmaceutique est très attachée compte tenu de l’importance stratégique des prix britanniques. La deuxième option (ex ante) risquerait de retarder l’introduction des nouveaux médicaments sur le marché, en raison d’une possible dérive du processus vers des négociations longues entre le gouvernement et les industriels, comme cela se passe dans la plupart des pays. Toutefois, si l’introduction sur le marché des nouveaux médicaments est aujourd’hui très rapide, leur diffusion est assez lente, ce qui relativise les inconvénients d’une introduction potentiellement retardée.
Conclusion
68Aujourd’hui, le PPRS se caractérise par la libre fixation des prix des nouveaux médicaments et par des négociations globales tous les cinq ans entre le gouvernement et l’industrie pharmaceutique sur les prix. Ces négociations formalisent le pouvoir de marché du NHS, qui peut imposer des baisses de prix. Ces baisses de prix ne doivent toutefois pas pénaliser l’industrie britannique, et elles portent sur l’ensemble de la gamme de médicaments, les laboratoires pouvant choisir stratégiquement de moduler tous leurs prix, tant que la baisse globale est atteinte. En conséquence, les prix des médicaments obéissent à des logiques industrielles et des différences de prix ne reflètent pas nécessairement des différences de valeur ajoutée thérapeutique.
69Les dépenses de médicaments sont faibles au Royaume-Uni par rapport aux autres grands pays européens et particulièrement par rapport à la France, en raison du plafonnement des budgets des PCT qui conduisent in fine les médecins généralistes à modérer leurs prescriptions pour respecter la contrainte budgétaire. Mais les prix relatifs des médicaments n’étant pas en lien avec des considérations d’efficacité thérapeutique, l’allocation des ressources n’est pas optimale et certains médicaments coûtent trop chers au NHS. La dépense totale de soins étant plafonnée, cela conduit à ce que certains médicaments plus efficaces soient sous-consommés, et cela contraint les PCT à retarder la prise en charge de nouveaux médicaments ou à réduire les dépenses consacrées à d’autres postes, comme l’hôpital.
70La proposition de l’OFT en 2007 [3] de réformer le PPRS en liant le prix des médicaments à leur valeur ajoutée thérapeutique par rapport à d’autres médicaments comparables, grâce à des évaluations coût-efficacité renouvelées dans le temps permettrait de mieux allouer les ressources du NHS et d’inciter les laboratoires pharmaceutiques à mieux orienter leurs investissements en recherche et développement vers des médicaments plus bénéfiques pour la société, cela suppose que les évaluations médico-économiques du NICE soient plus transparentes et mieux fondées scientifiquement afin de faire l’objet d’un consensus d’experts plus large. L’enquête parlementaire en cours sur le NICE montre la volonté politique d’aboutir dans ce domaine.
71Ces propositions de l’OFT conduiraient à modifier les règles de fixation des prix des médicaments au Royaume-Uni, qui sont inchangées depuis plus de cinquante ans. Les laboratoires pharmaceutiques sont a priori réticents au changement de règles leur ayant permis de connaître une croissance rentable. Ils sont surtout attachés à la liberté de fixation des prix des nouveaux médicaments, qui leur permet d’influencer les prix d’un tiers du marché mondial, les prix britanniques servant de référence dans de nombreux pays.
72Ce rapport fait aujourd’hui débat au Royaume-Uni, et les ministères de la Santé et de l’Industrie ont déclaré en août 2007 qu’une réforme du PPRS pourrait profiter aux consommateurs et aux compagnies innovantes, mais sur le fond, rien n’a encore été formellement décidé. Le PPRS 2005 ayant été conclu pour une durée de cinq ans, toute réforme éventuelle ne serait applicable qu’à partir de 2010.
Compte tenu de l’importance de l’industrie pharmaceutique britannique et de l’influence des prix britanniques dans le monde, l’enjeu de cette réflexion va bien au-delà des frontières du Royaume-Uni.
Notes
-
[*]
Sylvie Cohu et Diane Lequet-Slama : chargées de mission sur les dossiers internationaux à la DREES.
Denis Raynaud : chef du bureau des dépenses de santé et des relations avec l’assurance maladie à la DREES. -
[1]
Les enfants de moins de 16 ans, les étudiants de moins de 19 ans, les personnes âgées, les béné-ficiaires de minima sociaux, les personnes souffrant de maladies chroniques référencées.
-
[2]
Évaluation réalisée par l’Office for Fair Trading. La distribution du médicament étant gratuite au sein du NHS, à l’exception d’un forfait, il convient donc de déterminer les montants acquittés en médecine de ville et à l’hôpital.
-
[3]
Rapport cité plus haut, février 2007.