CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1 Bruno est né en 1970, dans un village de l’ouest de la France, village qu’il n’a jamais quitté [1]. Il est né dans une famille traditionnelle et populaire. Son père était ouvrier dans une entreprise privée, sa mère femme au foyer. Bruno a cinq frères et sœurs, dont une grande partie habite toujours la région. Très attaché à sa famille, il l’est tout autant à son lieu de naissance. Après une formation professionnelle courte dans la plomberie, il est engagé en CDD ; il est victime à l’âge de 19 ans d’un accident de mobylette qui le laisse paraplégique. Depuis, il vit en fauteuil roulant et a cessé son travail.

2 L’accident est une véritable rupture dans son histoire de vie. Il estime que la vie était bonne avant, mauvaise depuis. Il regrette son travail, ses collègues, s’ennuie chez lui et se sent dévalorisé. Sa vie affective a également été affectée et il n’a jamais vécu en couple. Pourtant, il quitte le domicile parental après l’accident et vit d’une maigre pension dans un petit immeuble HLM, où il reçoit quotidiennement de l’aide pour la toilette, les repas, les courses, le ménage, les sorties et même pour les déplacements à l’intérieur du logement.

3 Bruno se définit comme personne handicapée, mais n’a pas et ne souhaite pas avoir de relations avec d’autres personnes handicapées. Cela fait quatorze ans qu’il vit en fauteuil, isolé, replié sur lui.

4 Bernard est né en 1948, dans une famille immigrée d’un village du nord de la France. Son père, ouvrier agricole, décède quand il a 9 ans. L’année de ses 26 ans, il quitte le domicile de sa mère, mais c’est aussi l’année où se déclare une sclérose en plaques (SEP). Ce sera la première période de sa vie jugée mauvaise par Bernard. De courte durée, cette mauvaise période finira un an plus tard, avec son mariage. Bernard aura deux enfants : une fille, toujours au lycée en 2003, et le fils aîné qui termine alors ses études supérieures. Les deux habitent toujours avec Bernard et sa femme, même si le fils, 27 ans, « habite aussi ailleurs ». Bernard est très lié à sa mère et le décès de celle-ci en 1979 – il a 31 ans – sera le début d’une deuxième période déclarée comme difficile.

5 La SEP étant une maladie à évolution lente, Bernard travaille jusqu’à l’âge de 53 ans (2001). Il aura évolué du statut de technicien à celui de cadre technique. C’est alors que commence la troisième mauvaise période de sa vie. Désormais, Bernard vit en fauteuil roulant, il reste le plus souvent confiné à la maison, ne lit pas, regarde la télévision et communique par ordinateur, car il occupe des responsabilités dans une association de personnes handicapées.

6 Malgré les limites d’activités et de mobilité, et le besoin d’aide humaine pour de nombreux gestes de la vie quotidienne, Bernard ne se dit pas handicapé. Il se dit malade. Son engagement dans une association de personnes handicapées démontre néanmoins une conscience de faire partie du groupe des personnes handicapées. Bernard dit ne pas avoir vécu de situations de discrimination, mais il parle des conséquences négatives du handicap sur sa vie professionnelle et sur sa façon de voir les choses.

7 Lin est née en 1968, en Asie. Elle a été adoptée dès la naissance par une femme seule, en France. Elle reconnaît sa mère adoptive comme la seule personne l’ayant élevée, mais elle a néanmoins rompu avec elle, suite à un placement en institution éducative, puis en famille d’accueil. À l’âge de 18 ans, elle commence à travailler comme employée dans la fonction publique et à 19 ans, Lin se marie, un mariage qu’elle appelle « forcé ». Avec ce premier mari, elle n’a pas d’enfant. Malgré la qualification de « mariage forcé », elle reste neuf ans avec son mari et estime qu’il s’agissait d’une « bonne » période. Le mariage est rompu en 1996. Elle se remarie en 1999 avec un collègue de travail. Lin cesse alors de travailler et a un petit garçon.

8 Entre-temps, la myopathie dont souffre Lin est devenue, selon sa déclaration, un problème de santé. Elle se déplace désormais en fauteuil roulant et a besoin d’une aide humaine pour plusieurs actes de la vie quotidienne. La cessation d’activité lui pèse à cause du manque de contacts. Lin se considère malade et handicapée. Elle participe à une association de personnes handicapées et se reconnaît dans cette identité de groupe. Elle ressent des situations de discrimination multiples : comme handicapée, mais aussi comme asiatique et à cause de son surpoids.

9 Bernadette est née en 1949 et a grandi auprès de son père après le décès de sa mère. Après une formation d’aide-soignante, elle travaille pendant quelques années. En 1969, elle se marie et arrête de travailler. Elle a deux garçons. Puis le couple divorce en 1984. Elle reste seule avec les enfants, dont l’aîné est toujours auprès d’elle en 2003. À l’âge de 50 ans, en 1999, Bernadette a un accident vasculaire cérébral. Depuis, elle vit en fauteuil roulant et dépend entièrement de son fils pour tous les gestes de la vie quotidienne.
La définition de soi comme personne handicapée est très affirmée chez Bernadette. L’identification communautaire, en revanche, est refusée. Les conséquences du handicap sur les différents aspects de la vie sont jugées négatives par Bernadette qui dit avoir connu différentes situations de discrimination en raison de son handicap.
Deux hommes, deux femmes. Ils ont en commun de vivre en fauteuil roulant. Tout le reste les sépare : l’origine du problème de santé, son évolution progressive ou abrupte, les vies de couple, les parcours professionnels, la définition subjective de leur identité et les contacts qu’ils peuvent avoir avec d’autres personnes handicapées. Au-delà de la diversité des situations, que peut-on dire des rapports entre état de santé et vie de couple ? Les constructions identitaires jouent-elles un rôle dans l’organisation de ces rapports ? Les développements qui suivent s’appuient sur les résultats de l’étude « Vie de couple, constructions identitaires » menée à partir de l’enquête de l’INSEE effectuée en 2003 « Histoire de vie – Constructions des identités » (cf. encadré 1).

Encadré 1

Les résultats de cet article proviennent de l’étude « Vie de couple – Construction identitaire », menée par les auteurs de l’article. L’enquête a un volet quantitatif et un volet qualitatif.
Le volet quantitatif exploite la base de données « Histoire de vie – Construction des identités » (INSEE, 2003), qui regroupe 8 403 histoires de vie représentatives de la population adulte vivant en France métropolitaine, en ménage ordinaire.
Le volet qualitatif est constitué de vingt-quatre entretiens semi-directifs avec des personnes vivant avec un problème de santé durable, moteur, physique ou sensoriel. Le volet qualitatif est développé dans l’encadré 2 et l’annexe.

Handicap, de qui s’agit-il ?

10 Handicapé, personne handicapée ou personne en situation de handicap ? Conformément à l’esprit de la nouvelle Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) de l’OMS [2], nous réservons le terme « handicap » aux situations dans lesquelles un problème de santé donne lieu à un désavantage social. Ainsi, ne pas être en couple est une situation de handicap si, et seulement si, un problème de santé en est la cause. Les questions auxquelles cette recherche tente de répondre sont donc : les personnes vivant avec un problème de santé durable et handicapant, vivent-elles moins souvent en couple que la population générale ? Et si c’est le cas, l’identification comme personne handicapée et le rapprochement avec les pairs ont-ils un effet positif sur l’accès à la vie de couple ?

Tableau 1

Personnes de 18 ans et plus, répartition selon l’état de santé

Tableau 1
Total (en milliers) Sans fauteuil Sans aide humaine Sans aide matérielle Sans limita-tions En fauteuil roulant 114 (n = 24) – 26 % (6) 0 % (0) 0 % (0) Au moins deux dépendances humaines 403 (n = 77) 86 % (n = 62) – 36 % (28) 8 % (4) Une dépendance humaine 825 (n = 190) 96 % (n = 187) – 69 % (141) 5 % 15 Dépendance matérielle 1 931 (n = 421) 94 % (n = 397) 73 % (323) – 16 % (53) Limitations 9 203 (n = 2 178) 99 % (n = 2 154) 88 % (1 930) 82 % (1 810) – Problème de santé 24 030 (n = 4 801) 100 % (n = 4 777) 95 % (n = 4 534) 92 % (n = 4 380) 62 % (n = 2 623) Population générale 45 036 (n = 8 403) 100 % (n = 8 379) 97 % (n = 8 136) 96 % (n = 7 982) 80 % (n = 6 225) Lecture : selon l’enquête, dans les ménages ordinaires de la France métropolitaine, 114 000 personnes de 18 ans et plus vivent en fauteuil (24 individus dans l’échantillon de l’enquête) dont 26 % (6 individus) n’ont pas besoin d’aide humaine. Source : Enquête « Histoire de vie – Construction des identités », INSEE, 2003.

Personnes de 18 ans et plus, répartition selon l’état de santé

11 Pour répondre à ces questions, nous considérerons toutes les personnes déclarant un problème de santé. Elles sont au nombre de 4 801 dans l’enquête « Histoire de vie », et représentent 53 % de la population française de 18 ans et plus. Cependant, tous les problèmes de santé ne sont pas de même importance. Parmi les 4 801 répondants avec un problème de santé, seuls 24 vivent en fauteuil roulant, représentant 0,25 % de la population de 18 ans et plus. Entre vivre en fauteuil et marcher avec une canne ou suivre un traitement anti-cholestérol, il y a toute une gradation dont le tableau 1 présente quelques échelons. Les échelons suivent un ordre de sévérité supposée décroissante, correspondant chaque fois à un cercle plus grand d’individus. La première colonne montre le nombre concerné dans la population française – vivant en ménage ordinaire, cette précision sera valable pour l’ensemble des résultats suivants – de 18 ans et plus. Les colonnes suivantes indiquent dans quelle mesure le cercle concerné est inclus dans les cercles suivants. Comme le montre le tableau, ce n’est que partiellement le cas. Ainsi, les personnes vivant en fauteuil roulant déclarent toutes avoir des limitations fonctionnelles et besoin d’une aide matérielle, mais 74 % seulement disent avoir également besoin d’une aide humaine pour accomplir les actes de la vie quotidienne.

La vie de couple au moment de l’enquête

12 Dans un premier temps, nous devons vérifier si les différentes situations de santé entraînent différentes fréquences de vie de couple au moment de l’enquête. Pour éviter les effets perturbateurs du sexe et de l’âge, nous présentons, à côté des taux bruts, les sexes séparés, exprimés en taux comparatifs « à structure par âge égale ».

13 Que l’on considère le taux brut ou le taux comparatif, on relève surtout la fréquence plus faible des personnes dépendant d’aide humaine. Moins d’une personne sur deux vit en couple, ce qui correspond, après correction pour l’âge, à moins 24 points par rapport à la population générale (moins 22 si la dépendance est apparue avant l’âge de 30 ans). On remarque également que les autres catégories ne connaissent qu’une faible baisse de la fréquence de vie de couple, celle-ci étant toujours supérieure à 90. On note, enfin, que la fréquence relative est surtout plus faible pour les hommes, les femmes atteignant des fréquences presque normales. Comme si le fait de vivre avec un problème de santé ou une limitation fonctionnelle n’affectait que les hommes en ce qui concerne leurs chances de vivre en couple.

14 À ceci, deux exceptions. Toutes deux concernent l’identité de personne handicapée : dans les deux populations « reconnues administrativement comme handicapées » et « se définissant elles-mêmes comme personnes handicapées », la prévalence relative de la vie de couple est plus faible parmi les femmes que parmi les hommes. Ceci n’indique pas obligatoirement un réel désavantage des femmes à situation de santé égale. Il s’agit plutôt de différentes pratiques de définition de soi et de demande de reconnaissance. Les femmes qui se disent, ou qui sont reconnues, comme handicapées ne sont pas toujours dans la même situation de santé que les hommes. Ainsi, 26 % des hommes reconnus administrativement comme handicapés ne déclarent ni dépendance d’aide humaine ou d’aide matérielle, ni limitations. Parmi les femmes, ce pourcentage est de 21 % seulement. À dépendance égale, les femmes seraient donc moins tentées de se définir ou de se faire reconnaître comme personnes handicapées.

Tableau 2

Personnes* vivant en couple au moment de l’enquête ; répartition selon l’état de santé

Tableau 2
Taux brut % Taux comparatif Femmes Hommes Ensemble Population générale 66 100 100 100 Personnes : – vivant en fauteuil 63 96 85 94 – dépendant toujours d’aide humaine pour au moins deux actes de la vie quotidienne 40 94 65 76 – dépendant toujours d’aide humaine pour un acte de la vie quotidienne 43 94 60 76 – dont la dépendance d’aide humaine est apparue avant 30 ans 44 111 34 78 – dépendant d’aide matérielle 61 101 94 98 – ayant au moins une limitation fonctionnelle 64 97 99 97 – étant reconnues comme handicapées – se considérant handicapées 64 84 92 91 61 89 93 92 * France métropolitaine ; 18 ans et plus. Lecture : selon l’enquête, le pourcentage des personnes en fauteuil vivant en couple est de 63 %, à comparer aux 66 % de la population générale ; à structure par âge égale, le taux de vie en couple est de 6 points inférieur au taux de la population générale, 4 pour les femmes, 15 pour les hommes. Source : enquête « Histoire de vie – Construction des identités », INSEE, 2003.

Personnes* vivant en couple au moment de l’enquête ; répartition selon l’état de santé

15 Une analyse croisée de la dépendance d’aide humaine avec différentes situations identitaires confirme l’hypothèse selon laquelle les hommes sont plus désavantagés que les femmes dans l’accès à la vie de couple (cf. tableau 3). La conclusion est la même qu’au tableau précédent : la fréquence relative de vie de couple des femmes est proche de la moyenne, celle des hommes est bien inférieure ; la réserve concernant l’autodéfinition et la reconnaissance administrative n’existe pas pour la population dépendant d’aide humaine.

Tableau 3

Taux comparatif de vie en couple au moment de l’enquête (population générale = 100) selon le contact avec les pairs, l’autodéfinition comme personne handicapée et selon la reconnaissance administrative du handicap*

Tableau 3
Ni contact régulier avec pairs, ni auto définition handicapée Pas de contact régulier avec pairs, mais se définissant personne handicapée Contact régulier avec pairs et auto définition handicapée Handicap non reconnu (COTOREP) Handicap reconnu (COTOREP) Hommes dépendant d’aide humaine 53 66 73 71 56 Femmes dépendant d’aide humaine 86 92 97 94 97 Total dépendant d’aide humaine 68 75 85 78 76 * France métropolitaine ; personnes de 18 ans et plus, dépendant d’aide humaine. Lecture : selon l’enquête, les hommes dépendant d’aide humaine, n’ayant pas de contact régulier avec des pairs en handicap et ne se définissant pas comme personne handicapée, vivent, à structure par âge égale, en couple pour seulement 53 % de la fréquence de la population générale. Source : Enquête « Histoire de vie – Construction des identités », INSEE, 2003.

Taux comparatif de vie en couple au moment de l’enquête (population générale = 100) selon le contact avec les pairs, l’autodéfinition comme personne handicapée et selon la reconnaissance administrative du handicap*

16 Le tableau 3 permet également de voir l’effet du rapport subjectif que le sujet entretient avec le handicap : mesuré par la définition de soi comme personne handicapée et par le contact régulier que l’on déclare avoir avec des personnes qui sont dans le même cas, l’effet est positif pour les femmes comme pour les hommes. L’effet semble même important : de 53 on passe à 73 pour les hommes, de 86 à 97 pour les femmes. La reconnaissance administrative, en revanche, ne semble pas avoir d’effet univoque. Elle diminue la prévalence pour les hommes, elle l’augmente – faiblement – pour les femmes.

17 Nous constatons donc premièrement que les problèmes de santé, surtout s’ils entraînent une dépendance d’aide humaine, diminuent les probabilités de vivre en couple notamment pour les hommes ; deuxièmement, qu’à situation de santé égale, les chances de vivre en couple augmentent quand on se définit comme personne handicapée et qu’on entretient des rapports réguliers avec les pairs en handicap.

Encadré 2 : Complémentarité des enquêtes quantitative et qualitative

Ce travail teste l’hypothèse selon laquelle la vie de couple, pour une personne en situation de handicap qui vit avec une autre personne (en situation de handicap également ou « valide »), est significative d’un positionnement identitaire et d’une logique d’intégration particulière (logique d’assimilation dans le cas des couples mixtes, logique d’intégration dans le cas des couples de pairs en déficience).
L’enquête « Histoire de vie » (HdV) a été conçue pour analyser les différents types de liens sociaux qui permettent aux individus de s’intégrer dans la société française. Elle a été réalisée par l’INSEE au cours de l’hiver 2002-2003, auprès d’un échantillon de 8 403 individus représentatifs de la population âgée de 18 ans et plus, habitant en France métropolitaine. Trois populations sont surreprésentées dans l’échantillon (les personnes de moins de 60 ans gênées dans leur vie courante par un problème de santé ; les immigrés ; les personnes nées en France dont un parent est né à l’étranger).
Le questionnaire de cette enquête aborde les thèmes suivants : la situation familiale et professionnelle ; les origines sociales et géographiques ; les engagements éthiques, politiques, associatifs ; les pratiques culturelles ; l’état de santé. Sur chaque thème ont été recueillis des informations factuelles, des opinions et des sentiments.
Notre étude a fait une utilisation extensive du module de santé de l’enquête HdV. Or, les informations biographiques contenues dans ce module sont assez restreintes : il s’agit principalement de l’âge auquel les principaux problèmes de santé sont apparus. Dans le cas d’un accident ou d’un problème de santé apparu à la naissance, l’apparition de la déficience peut être supposée identique à celle des incapacités. Dans le cas d’une maladie évolutive, ce n’est pas le cas et l’enquête ne nous renseigne pas sur la date d’apparition de l’incapacité.
L’autre module employé dans notre étude est celui concernant le conjoint. Or, ici comme pour la santé, les informations biographiques sont rares. Elles ne concernent que le conjoint actuel. Et elles ne comportent aucune information sur l’état de santé du conjoint.
Nous avons donc complété l’analyse des données de l’enquête HdV par un travail qualitatif (cf. annexe). L’objectif de l’enquête qualitative n’était pas seulement d’« illustrer » les résultats quantitatifs par des exemples mais aussi d’amener de nouvelles connaissances non disponibles à partir de la seule enquête quantitative.
Dans cette perspective deux éléments majeurs venant des résultats de l’enquête quantitative ont été pris en compte : l’absence d’informations, dans les données de l’enquête quantitative, concernant le conjoint (et anciens éventuels conjoints) en termes de déficience et d’incapacités ; la différence forte repérée entre les groupes avec et sans déficience avant la mise en couple.
L’enquête qualitative a donc été conçue pour apporter des éléments de réponses aux questions suivantes : quelles trajectoires de vie et quels positionnements identitaires sont liés à différentes situations conjugales : célibat, vie de couple avec « valide » (avec déficience préalable), vie de couple avec « valide » (avec déficience postérieure), vie de couple avec pair en déficience ? À quelles formes de participation et d’intégration sociales préalables et actuelles ces différentes situations conjugales correspondentelles ? Certaines sont-elles plus satisfaisantes que d’autres pour les sujets ? Quel lien existe-t-il entre ces formes de vie conjugales et la génération des sujets ?

Séduire avec un problème de santé

18 La fréquence de vie de couple au moment de l’enquête résulte de deux probabilités antérieures : celle de se mettre en couple et celle de se séparer avant la date de l’enquête. Considérons d’abord la première probabilité : quelles chances a-t-on de se mettre en couple quand on vit avec un problème de santé ?

19

« Du jour où je me suis retrouvée en fauteuil – vous savez, j’ai quand même vécu 45 ans valide – alors, du jour où je me suis retrouvée en fauteuil, ma vie a changé mais net… J’ai vraiment vu dans les yeux des hommes, cette petite étincelle qu’il y avait quand je parlais avec des hommes, elle n’y était plus quoi. Et puis même des regards fuyants. C’était net, mais clair. Du jour au lendemain. Du jour où je me suis assise dans un fauteuil, c’était fini. ».
(Françoise, 54 ans, tétraplégique, en fauteuil électrique, amyotrophie spinale distale survenue à 45 ans – Divorcée, vit seule)

20 Françoise exprime la crainte de rester seule. La crainte est apparue en même temps que le problème de santé et, les entretiens nous l’apprennent, surtout à ce moment-là. Cette crainte peut sembler injustifiée au vu de la fréquence effective de vie de couple telle que nous l’avons mesurée plus haut. Le graphique 1 montre qu’elle n’est cependant pas sans fondement. Les courbes expriment la part des hommes et des femmes n’ayant jamais connu la vie de couple. Cette part diminue avec l’âge, naturellement, mais on voit que la présence d’un problème de santé, même dans sa définition la moins contraignante, intervient avec force.

21 L’effet est double. D’une part, le problème de santé retarde la mise en couple. Le retard se traduit par une probabilité plus faible à tous les âges. En moyenne, la probabilité baisse de 57 % dans le cas d’une ou plusieurs dépendances d’aide humaine, de 46 % dans le cas d’une limitation, de 25 % pour ceux et celles dépendant d’une aide matérielle [3]. D’autre part, le problème de santé augmente significativement la part de ceux et celles qui ne vivront jamais en couple. Le tableau 4 montre la part de solitaires définitifs selon l’état de santé.

22 Les difficultés de mise en couple pour ceux et celles vivant avec un problème de santé sont donc réelles et importantes. Elles touchent les hommes et les femmes à peu près dans les mêmes proportions et vont jusqu’à multiplier par dix la probabilité de rester solitaire. De nombreux écrits qualitatifs ont souligné ces difficultés [4], mais à notre connaissance, aucune estimation chiffrée n’était disponible jusqu’ici.

Graphique 1

Probabilité de n’avoir jamais connu de vie de couple selon l’âge et l’état de santé

Graphique 1

Probabilité de n’avoir jamais connu de vie de couple selon l’âge et l’état de santé

Lecture : 100 % des hommes ayant un problème de santé avant la première union n’ont jamais vécu en couple à l’âge de 15 ans, 23 % jusqu’à l’âge de 60 ans.
Source : enquête « Histoire de vie – Construction des identités ».
Tableau 4

Taux de vie en solitaire jusqu’à l’âge de 60 ans selon le sexe et la situation de santé avant la première union*

Tableau 4
Vie en solitaire jusqu’à l’âge de 60 ans Hommes Femmes % % Sans problème de santé 6 4 Avec problème de santé 22 25 Avec limitation fonctionnelle 30 33 Avec dépendance d’aide matérielle 23 15 Avec dépendance d’aide humaine 51 55 * France Métropolitaine ; personnes de 18 ans et plus étant dépendantes d’aide humaine. Lecture : selon l’enquête, les hommes avec un problème de santé avant la première union restent solitaires pour 22 % comparés aux 6 % pour les hommes sans problème de santé. Source : Enquête « Histoire de vie – Construction des identités », INSEE, 2003.

Taux de vie en solitaire jusqu’à l’âge de 60 ans selon le sexe et la situation de santé avant la première union*

Apparences corporelles et isolement social

23 L’enquête par entretiens permet d’interpréter ces premiers résultats. Deux dimensions centrales reviennent de façon récurrente dans les discours sur les difficultés de la rencontre amoureuse et/ou sexuelle et leur résolution : celle du corps, et en particulier de son apparence, et celle de l’isolement social.

24 Qu’elles vivent aujourd’hui en couple ou non, les personnes qui à un moment donné de leur vie se sont trouvées célibataires avec des limitations liées à une déficience ou un problème de santé ont été confrontées au lien entre corps et dynamique d’attirance/rejet dans les relations sociales. La force des représentations sociales liant apparence corporelle et identité supposée [5], l’importance de l’apparence physique dans le choix du conjoint [6] sont des éléments de connaissance qui permettent de comprendre un double processus d’évitement : prise de distance vis-à-vis de la personne handicapée qui n’est pas envisagée comme partenaire sexuel ou amoureux possible, inhibition de la personne handicapée elle-même qui elle, non plus, ne se représente pas comme partenaire possible, reprenant ainsi à son compte les représentations collectives ou réduisant au silence, face au rejet ressenti, ses désirs et aspirations à la vie de couple. L’analyse des modalités de dépassement de ce cercle négatif montre ensuite que c’est bien le corps différent et ses représentations qui seront pris en compte par les personnes handicapées pour faciliter la mise en place de relations intimes (médiation par le verbe dans les petites annonces avant l’interaction de face à face corporel, choix de personnes, professionnelles ou autres, déjà « initiées » au corps handicapé).

25 En lien avec cette dimension corporelle, mais de façon distincte selon les types de déficience ou de pathologie, le problème de l’isolement, réel ou ressenti, est patent. Les personnes, présentant des déficiences motrices lourdes et générant une dépendance d’aide humaine évoquent un isolement géographique ou institutionnel qu’elles associent à l’idée de l’enfermement limitant fortement leurs possibilités de rencontres. Mais l’isolement est aussi sentiment, sensation d’extériorité, de distance avec les autres, et ce sont particulièrement ceux qui vivent en milieu ordinaire avec un handicap de communication (verbale ou non verbale) qui l’expriment [7].

Environnement parental et familial

26 Si la présence d’un problème de santé semble avoir une influence négative sur la durée du célibat et la mise en couple, d’autres facteurs tels que l’environnement parental et familial jouent-ils un rôle facilitant ? Comment les parents voient-ils la mise en couple de leurs enfants ? Ont-ils un jugement sur les choix de conjoints, notamment quand ceux-ci sont des pairs en handicap, ou quand leur enfant non handicapé choisit une personne handicapée ? Quelles sont les configurations qui autorisent le plus la rencontre, en particulier au regard des conditions de l’émancipation parentale ?

27 En effet, pour séduire, il faut déjà rencontrer. Comment faire quand la dépendance est trop importante pour se séparer facilement de la protection familiale et/ou du contrôle de l’institution ? [8]. On constate que naître avec une déficience a des conséquences immédiates sur la relation enfant-parents. Le face-à-face se transforme en une relation triangulaire où l’institution médicale forme un troisième pôle, qui prend d’autant plus de place que le handicap est important et que les parents sont en souffrance. Dans la majorité des témoignages, et même si le processus d’émancipation a parfois été plus tardif, de nombreux parents ont su donner les moyens de l’autonomie à leur enfant, y compris quand celui-ci est dépendant d’aide humaine. Dans certains cas, en revanche, la surprotection parentale a rendu le processus d’émancipation plus difficile et conflictuel. La personne déficiente doit alors mettre en place des stratégies complexes et parfois risquées pour se séparer de sa famille et s’autoriser ainsi à rencontrer d’autres jeunes. Dans d’autres cas encore, l’enfant a eu le sentiment d’avoir été « abandonné » à l’institution ou écartelé entre institution et famille, ce qui a rendu plus difficile l’accès à la participation sociale et au premier titre l’accès à la vie de couple. Mais il arrive aussi que la mise en institution, même douloureuse, participe à l’émancipation dans le sens où elle ouvre des possibilités de rencontre qui n’existeraient pas au sein de la famille.

28 Quand le problème de santé survient plus tard, voire à l’âge adulte, le lien avec la famille d’origine est immédiatement réactivé. La personne atteinte se voit alors non seulement diminuée dans ses capacités physiques, mais également infantilisée et confrontée au choix cornélien de la prise en charge institutionnelle ou de la prise en charge familiale. Le retour chez les parents et leur soutien matériel sont souvent acceptés a minima et le moins longtemps possible. L’une des stratégies de la ré-autonomisation est la mise en couple. Parfois avec « le premier venu ». Mais la durée des couples engagés par des personnes dépendantes est plus faible, comme nous le verrons plus loin. Une autre stratégie est de fonder une famille, de faire un enfant. Si la stratégie de la mise en couple précipitée est créatrice de conflits potentiels, notamment avec la belle-famille, la deuxième, faire un enfant, peut être l’occasion de se faire accepter par elle.

Environnement technologique

29 Au même titre que l’environnement humain, l’environnement technologique joue un rôle décisif dans la décision que prennent les personnes déficientes à fréquenter ou non d’autres personnes. Malgré les problèmes que leur pose parfois la technologie, les personnes interrogées affichent souvent un grand optimisme quant aux capacités de celle-ci à résoudre leurs problèmes d’intégration et de socialisation. La façon d’aborder la question de la technologie apparaît ainsi comme un bon indicateur des moyens dont disposent les personnes vivant avec un problème de santé pour séduire et se mettre en couple.

30 Selon le type de déficience, la perception des médias technologiques peut être très différente. Le téléphone est ainsi une aide précieuse pour les aveugles et les paraplégiques, mais induit un surcroît de difficultés chez les sourds. L’ordinateur et l’internet sont indiscutablement un vecteur de rencontre. De nombreuses communautés virtuelles se sont créées sur internet. Des communautés qui ne seraient pas possibles sans lui en raison des difficultés liées à la mobilité réduite mais aussi aux effectifs très faibles de la plupart de ces communautés. En outre, l’anonymat est plus facile à maintenir et la communication peut alors être plus directe. La voiture, adaptée ou non au handicap en fonction des stratégies de rencontres de valides ou de pairs, apparaît aussi comme un vecteur très important de socialisation et d’autonomie. Elle est devenue un exemple emblématique de la compensation du handicap, au point même de pouvoir être présentée, certes par maladresse, comme une consolation.

31 L’appareillage technique est un autre élément important qui structure l’image de soi des personnes handicapées. L’appareillage spécialisé est par définition un instrument de compensation. En même temps, il peut devenir inséparable de la personne ayant des limitations fonctionnelles, au point de la représenter toute entière : dans certains entretiens, un « fauteuil » est synonyme de « personne en fauteuil ». La visibilité envahissante de l’appareillage rend alors la personne invisible, ce qui est peu apprécié et peut rendre la rencontre impossible.

32 L’accessibilité aux lieux apparaît comme une question clé pour la sociabilité des personnes avec limitations fonctionnelles. Elle est toujours vécue sur le mode négatif de l’inaccessibilité, que ce soit des logements, des lieux publics ou privés, des aménagements urbains. La question est toujours celle de l’autonomie et donc des possibilités de rencontre. L’inaccessibilité oblige à de gros efforts d’adaptation. La première adaptation est celle du logement. Son adaptation est vécue comme la condition première de l’autonomie et, à travers celle-ci, d’une vie de couple. Mais en dehors du logement, l’adaptation des lieux ne dépend plus de la personne elle-même, qui ne peut que s’adapter à l’accessibilité des lieux. Bien souvent, le résultat consiste à éviter les lieux peu accessibles, ce qui a bien évidemment des conséquences sur la sociabilité, que la personne soit en couple ou non.
Si les chances de commencer une vie de couple avec un problème de santé durable et handicapant sont singulièrement réduites, on peut faire une distinction entre retard et empêchement définitif. Le retard semble l’effet d’une dévalorisation corporelle, subie et parfois reprise par la personne elle-même, et le fruit d’un certain isolement social, fait d’exclusion scolaire, professionnelle, institutionnelle, mais aussi, parfois, d’enfermement familial. Face à cela, les stratégies d’intégration sociale, menées depuis les lois de 1975 et 2005, et le recours aux nouvelles technologies notamment informatiques pourraient s’avérer prometteurs. L’empêchement définitif, lui, est lié aux capacités d’autonomie de la personne. Peu importe le type de déficience, c’est la dépendance d’aide humaine qui constitue le principal frein à la mise en couple. Compenser la dépendance par le recours à une aide humaine professionnelle semble la condition pour se considérer et pour être considéré comme un partenaire potentiel.

Le choix du conjoint

Le choix du pair

33

« Mes premières histoires ont été avec des filles déficientes visuelles, ce qui ne me gênait pas non plus, même si c’est vrai que dans l’idéal, quand j’étais jeune je me disais qu’a priori je me voyais plus avec une fille non handicapée, mais bon, pourquoi ? Je sais pas exactement l’expliquer, quoi. […] Oui, parce que je me disais tout bêtement que statistiquement il y a beaucoup plus de filles non handicapées que de filles handicapées donc, ça fait beaucoup plus de choix quoi, je sais pas (rire), pourquoi on se mettrait forcément entre nous, le handicap est déjà assez difficile à vivre alors pourquoi être deux ? […] Je sais pas, on se dit déjà on n’y voit pas, on peut pas conduire par exemple. Alors si l’autre personne, c’est pareil, c’est difficile… C’est galère pour se déplacer déjà quoi. […] Mais c’est vrai quand même que, c’est quand même pas mal [un conjoint valide]… Et même au niveauOn s’apprend plus l’un à l’autre quoi, je sais pas, par exemple, mon amie, elle peut me lire des chosesMe décrire des paysages, moi je lui apprends le braille, on s’apporte pas mal, je trouve que c’est assezLa différence enrichit aussi quoi, quand les personnes sont ouvertes quoi. On fait pas mal d’activités ensemble, je sais pas… ».
(Romain, 32 ans, aveugle de naissance, vit avec une femme valide)

34 Comme Romain, beaucoup de personnes interviewées relatent le fait que leurs relations sexuelles et/ou amoureuses ont débuté par des relations avec des partenaires présentant le même type de déficience qu’elles-mêmes, même si l’idéal de conjoint est une personne valide. Désirer ou rêver d’un conjoint valide (ou espérer un conjoint moins déficient que soi) ne relève pas directement d’un positionnement identitaire personnel négatif à l’égard du handicap et du groupe de pairs, mais plutôt d’une aspiration à une autonomie du couple à construire. Ainsi le modèle de conjoint semble-t-il plus directement marqué par une conception du couple comme unité devant avoir une certaine autonomie fonctionnelle dans la vie quotidienne, que par des positionnements identitaires extrêmes qui excluraient la possibilité d’un conjoint handicapé a priori. Le conjoint handicapé n’est pas recherché dans le sens où l’unité que constituerait un tel couple est perçue comme cumulant les handicaps.

35 Les couples de personnes handicapées s’organisent sur une autre représentation du couple, dans laquelle la priorité est donnée à l’égalité, à l’équilibre dans la relation, à l’identique, à la proximité du vécu et des besoins. Le choix d’un conjoint pair en handicap est une façon d’annuler le handicap dans la vie personnelle et intime, c’est-à-dire le désavantage et le risque de déséquilibre relationnel, d’infériorisation, et de domination qui l’accompagne :

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« Si on parlait de personnes sourdes profondes gestuelles […] souvent on entend le discours de dire “moi, je préférerais trouver un conjoint sourd”. Parce que, c’est des gens qui savent qu’avec des entendants, ils seront pas sur un pied d’égalité quoi. Que ce soit sur la communication ou sur plein d’autres domaines et qui préfèrent trouver quelqu’un qui… Avec qui ils vont être plus en harmonie. […] C’est pour ça qu’on trouve souvent des couples sourds. C’est rare, hein, les sourds avec des entendants ».
(Charles, 32 ans, malentendant, évolution vers la surdité, marié avec une femme sourde)

37 La dimension fonctionnelle est également évoquée pour justifier le choix d’un conjoint « pair en handicap », avec qui la vie serait plus facile qu’avec un valide :

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« Notre état, nous, fait qu’on a toujours froid, quand vous vivez avec une personne qui est valide, il le supporterait pas. Et l’inverse aussi, la personne valide, en plus, elle impose un rythme, et vous, vous imposez aussi un rythme […] ben, (entre nous) le handicap, c’est pas une différence quoi. Je parle de différence pas forcément au sens péjoratif hein. Mais, forcément, on est… On est pareils quoi. Les problèmes, c’est les mêmes, les problèmes liés au corps quoi. Après, les autres, les problèmes, c’est pas les mêmes : on a chacun les nôtres, on a aussi nos problèmes de couple, on a des problèmes en commun ou des problèmes séparés, parce que on vit les choses différemment mais… Mais voilà quoi. Et le rythme, on a le même rythme ».
(Luc, 36 ans, tétraplégique depuis l’âge de 28 ans, vit en couple depuis sept ans avec une femme paraplégique)

39 Le choix du conjoint au regard de la catégorisation « handicapé/non handicapé » est médié par des représentations du couple et des relations différentes avec les « valides ». L’idéal du couple « mixte » est marqué par l’idée de la réduction des situations de handicap grâce à l’unité que constitue le couple. Le couple de pairs en handicap repose, lui, sur l’idée de l’annulation du handicap au sein du couple, par l’équivalence entre les conjoints.

Le choix du conjoint soignant

40 Quand sont évoqués les couples « mixtes » (au sens ici d’une personne handicapée/une personne sans handicap), la caractéristique de « soignant » du conjoint valide est souvent mentionnée dans les entretiens. Le modèle de « l’infirmière » revient de façon récurrente dans les discours au travers d’une figure double. C’est à la fois une représentation sociale et sexuée positive (les femmes « gardent » leur mari ou conjoint devenu handicapé, et s’en occupent, c’est leur côté « infirmière ») et une représentation sociale non sexuée et plus négative concernant les « nouveaux » conjoints de personnes handicapées (hommes ou femmes qui veulent « jouer les infirmiers » et qui instaurent des relations déséquilibrées).

41 Ce modèle de « l’infirmière », qui fait aussi office, en miroir, de contremodèle, est important à prendre en compte, car il habite les discours et les conceptions des « relations de couple » et de la « vie de couple ». Il est l’une des médiations permettant de comprendre les difficiles articulations et nuances à mettre en place pour construire une relation de couple quand on est en situation de handicap, les résistances et les peurs de déséquilibre relationnel, et l’importance accordée par les plus expérimentés à la séparation des rôles, des tâches, des territoires, des missions.

Faire durer la vie de couple

42 Dans les situations où un problème de santé existe déjà avant la mise en couple, quelle est la durée probable d’une vie de couple ?

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« Et puis donc on s’est installés ensemble puis là bon ça a été dur quoi. […] J’ai heu… Ouais, je sais pas, ça a été dur parce que après… mais ça a été dur heu, la vie de couple quoi. Parce que c’est la vie de couple qui est dure c’est pas… le fauteuil il intervenait c’est sûr mais… ça a toujours été un peu accessoire quand même hein ? ».
(Betty, 36 ans, paraplégique depuis l’âge de 17 ans, en fauteuil roulant, mariée, deux enfants)

Graphique 2

Survie des unions engagées avec un problème de santé déjà existant, comparée à la survie des unions de tous et de toutes*

Graphique 2

Survie des unions engagées avec un problème de santé déjà existant, comparée à la survie des unions de tous et de toutes*

* Fin d’union par décès exclue.
Lecture : 75 % des hommes s’engageant dans une union avec une dépendance matérielle ne se sépareront jamais, contre 67 % des hommes dans la population générale.
Source : Enquête « Histoire de vie – Construction des identités », INSEE, 2003.

44

« Parce que je m’en rendais pas compte, parce que souvent, les petits copains veulent… Veulent eux-mêmes s’occuper de toi, quoi. Ils ont du mal à comprendre qu’une autre personne puisse intervenir pour les besoins quotidiens, quoi. Mais… Mais en fait, c’est une relation complètement faussée parce que… Parce que tu te retrouves forcément… Enfin, moi, je me suis retrouvée forcément en relation… Enfin, en position d’infériorité. Tu peux pas, par exemple, t’affirmer complètement, tu peux pas… Tu peux pas dire… “Tu me fais chier, j’en ai marre de ça ou de ça”. Et puis, deux minutes après, lui dire “tiens, tu peux m’emmener aux toilettes” (rire)… »
(Myriam, 45 ans, en fauteuil roulant électrique, divorcée, en couple non cohabitant avec un homme valide).

45 Betty et Myriam témoignent des difficiles débuts de la vie de couple avec un problème physique ou moteur. Les difficultés semblent mal anticipées. La dépendance crée des tensions inhabituelles et difficiles à prendre en compte, car elle concerne l’égalité entre les conjoints. Le graphique 2 compare la part des couples toujours unis, selon la durée et l’état de santé au moment de la mise en couple. En trait gras apparaissent les durées pour la population générale, selon le sexe de la personne interrogée. On voit qu’hommes et femmes s’accordent assez bien sur la durée des unions, dont deux sur trois ne rompent jamais.

46 Les autres courbes représentent les personnes avec (au moins) une limitation fonctionnelle ou dépendant d’une aide matérielle. Les personnes engageant une union avec une dépendance d’aide humaine ne sont pas suffisamment nombreuses dans l’enquête pour être étudiées de cette façon. On constate une réduction de la durée de l’union pour les femmes avec limitations fonctionnelles ou dépendant d’aide matérielle, mais cette réduction est très limitée, les unions définitives atteignent toujours la proportion de 65 %. Pour les hommes, on ne constate aucune réduction significative.

47 En conclusion, si les problèmes de santé réduisent significativement la probabilité de s’engager dans une union, ils ne réduisent pas, ou très peu, la durée des unions engagées de cette manière.

Quand le problème de santé survient pendant la vie de couple

48 Il est à rappeler qu’une minorité seulement des couples vivant avec un problème de santé s’est constituée avec le problème de santé déjà présent. En 2003, 3,4 millions de femmes (17 %) et 4 millions d’hommes (23 %) de 18 ans et plus déclarent avoir été dans ce cas de figure. Les couples pour lesquels le problème de santé est apparu au cours de la vie de couple sont à peu près deux fois plus nombreux. En 2003, 6,5 millions d’hommes (37 %) et 7,6 millions de femmes (38 %) de 18 ans et plus connaissent ou ont connu cette situation. Si l’enquête HdV montre une fréquence plus élevée, elle montre également que l’apparition du problème de santé ne raccourcit pas la durée de l’union. Lorsque le problème de santé est apparu au cours de la vie de couple, seuls 18 % des couples finissent par se séparer. Ceci est conforme aux estimations des enquêtes précédentes [9]. Comparée aux 30 % de couples de la population générale, la probabilité de séparation semble plus faible dans le cas de l’apparition d’un problème de santé. Celui-ci aurait donc un effet protecteur. Mais la comparaison est biaisée. En effet, le problème de santé arrive le plus souvent après une certaine durée de vie de couple et la probabilité de séparation diminue avec la durée de l’union. Il s’agit donc de comparer les couples avec apparition d’un problème de santé avec des couples de même ancienneté. C’est ce que propose le tableau 5, qui compare les couples formés avant l’âge de 30 ans, restant ensemble au moins cinq ans et pour lesquels le problème de santé, s’il apparaît, se déclare au cours des cinq premières années de l’union. De ces couples, nous avons calculé la durée moyenne jusqu’à la séparation ou jusqu’à la date de l’enquête.

Tableau 5

Durée moyenne (en 2003) des unions commencées avant l’âge de 30 ans et ayant duré au moins cinq ans*

Tableau 5
Durée de l’union Génération née en Hommes Femmes Ensemble Sans problème de santé Avec problème de santé Sans problème de santé Avec problème de santé Sans problème de santé Avec problème de santé 1925-1934 39,2 47,9 35,6 41,0 36,8 43,4 1935-1944 29,0 37,9 28,5 33,9 28,7 36,0 1945-1954 24,7 25,9 24,8 24,7 24,8 25,4 1955-1964 17,2 17,5 18,5 16,3 17,9 16,9 1965-1974 10,0 11,2 11,1 10,2 10,6 10,7 1975-1984 7,7 6,4 7,2 6,6 7,4 6,5 * Selon l’année de naissance, le sexe et l’apparition d’un problème de santé pendant les cinq premières années de l’union ; France métropolitaine ; personnes de 18 ans et plus. Lecture : selon l’enquête, les unions des hommes sans problème de santé, nés en 1925-1934, qui se sont mis en couple avant l’âge de 30 ans et dont l’union a duré au moins cinq ans, ont, en 2003, duré en moyenne 39,2 ans. Quand un problème de santé est apparu dans les cinq ans suivant le début de l’union, la durée moyenne est de 47,9 ans. Source : Enquête « Histoire de vie – Construction des identités », INSEE, 2003.

Durée moyenne (en 2003) des unions commencées avant l’âge de 30 ans et ayant duré au moins cinq ans*

49 On voit un effet protecteur pour les générations nées avant 1945. Ensuite, l’effet semble disparaître. La coupure de 1945 correspond à une mise en couple avant ou après « 1968 ». Il est à noter, toutefois, que si l’effet protecteur disparaît, signe possible de la fin de l’esprit de sacrifice dans le couple, on ne voit pas pour autant apparaître une réduction de la durée des couples suite à l’apparition du problème de santé.

Le rôle de l’identité de personne handicapée

50 Le tableau 3 (supra) a montré qu’à situation de santé égale, la définition de soi comme personne handicapée et le contact régulier avec des pairs en handicap augmentent la probabilité d’être en couple. Des témoignages ont montré comment le contact avec les pairs constitue une ouverture au monde et une occasion de rencontres sur la base d’une identité acceptée de personne handicapée. Toutefois, tous ne sont pas égaux devant le problème de l’(auto-) identification comme personne handicapée.

51 Naître avec une déficience ou être atteint à la naissance permet, d’une part, d’éviter une rupture biographique et identitaire, d’autre part, de construire une image de soi en incluant d’emblée la déficience. Deux éléments de contexte compliquent toutefois cette situation a priori plus favorable.

52 Tout d’abord, la mise au monde d’un enfant avec déficience constitue bien une rupture biographique, non pas pour l’enfant, mais pour les parents. Une rupture qui provoque des sentiments de souffrance et de culpabilité. De la capacité parentale à dépasser ces sentiments dépend la construction identitaire de l’enfant. Le déni parental est ressenti par l’enfant en construction comme une honte, parfois comme un abandon ou encore comme une surprotection étouffante. La présence de frères et sœurs peut alors offrir l’ouverture nécessaire vers l’extérieur et le réel. En revanche, les parents qui surmontent la douleur et font face à la déficience, et les témoignages sont nombreux, deviennent des véritables alliés de leur enfant face aux institutions médicale et scolaire, et des soutiens pour son intégration sociale.

53 Le deuxième élément particulier est celui de l’adolescence, quand se réveille le désir sexuel. Les difficultés ordinaires de cet âge, difficultés d’image de soi face au sexe désiré, sont amplifiées par la déficience. Les hommes sont plus nombreux que les femmes à témoigner de cette adolescence particulièrement difficile. Ils témoignent de solitude ou, plus encore, de rejet de la part du sexe désiré. Comme si l’image de soi, construite dans l’environnement protégé de la famille, et bien souvent au-delà, dans le groupe de pairs de même sexe, n’arrivait pas à se transformer en image de soi comme être désirable. En tout cas, pas aussi vite que pour l’enfant ordinaire. Les femmes, elles, ne témoignent pas de la même difficulté. Elles se sentent davantage rejetées par le groupe des pairs que par les garçons. La transformation en être désirable ne pose pas les mêmes difficultés, même si, derrière le rejet par les pairs, on devine la compétition de séductibilité et les mêmes doutes d’image de soi.

54 Quand la déficience n’est pas néonatale mais apparue au cours de la vie, elle constitue une réelle rupture biographique et demande une reconstruction de l’image de soi. Les témoignages sont unanimes. Nous avons distingué trois mécanismes dans le travail de reconstruction : le déni, la mise de côté de la déficience, et sa remise au centre.

55 Le déni correspond au maintien de l’image de soi et exprime par là une grande force psychologique. Il s’appuie également, le plus souvent, sur l’environnement médical et familial, où la récupération et la rééducation sont les valeurs centrales.

56 La mise de côté de la déficience est la première phase de la réorganisation du quotidien et de l’image de soi. Elle consiste à s’appuyer le plus possible sur ce qui n’a pas changé. Dans de nombreux cas, cette première réorganisation voit le lien au médical se relâcher et celui au conjoint se renforcer si la personne est en couple. La reprise des projets de vie, et notamment celui de créer ou d’agrandir la famille, solidifie cette étape et l’ancre dans la continuité.
La remise au centre de la déficience ne semble pas une étape aussi incontournable que les deux précédentes. Le plus souvent, elle survient à des moments de crises qui peuvent être liées au couple, à la vie professionnelle ou à la santé. Il s’agit d’une réactivation de la reconstruction identitaire, où la personne semble redistribuer les cartes plus en faveur des ruptures. C’est le moment d’une nouvelle acceptation de l’identité de personne handicapée, qui ouvre au rapprochement avec l’autre handicapé.

Conclusion

57 Nous avons constaté et pu mesurer certains éléments de la vie de couple de ceux et celles qui vivent avec un problème de santé. Si la fréquence de vie de couple à un moment donné dans le temps est proche de la fréquence dans la population générale, notamment pour les femmes, cet état de fait résulte de deux mécanismes contraires.

58 D’un côté, il existe une forte réduction de la probabilité de commencer une union quand on vit avec une déficience, notamment quand celle-ci entraîne une dépendance d’aide humaine. Dans ce cas, la probabilité de rester définitivement solitaire est multipliée par dix. Dans ce cas aussi, l’(auto-) identification comme personne handicapée et le contact avec des pairs en handicap semblent favoriser la mise en couple.

59 En revanche, il existe un effet protecteur contre la séparation quand un problème de santé apparaît au cours d’une vie de couple. Cet effet a pu être démontré dans les générations les plus anciennes, il semble avoir disparu dans les générations plus jeunes. Toutefois, l’effet protecteur ne signifie pas que la qualité de la vie de couple soit maintenue.
D’une manière générale, le maintien dans le temps d’une vie de couple, lorsque l’un des conjoints est porteur d’une déficience, est souvent lié, dans les discours, à une gestion raisonnée et acquise par l’expérience du déséquilibre relationnel qui peut s’instaurer et s’aggraver dans le sens d’une dépendance toujours plus grande. Pour la personne concernée, il s’agit alors de trouver et de revendiquer les moyens nécessaires pour éviter ce processus, c’est-à-dire pour maintenir sa part d’autonomie fonctionnelle individuelle dans le couple. Ceci semble particulièrement vrai pour les personnes dépendant d’une aide humaine, et spécifiquement d’une prise en charge corporelle (toilette, nourriture, etc.). À ce titre, la revendication du maintien à l’identique des aides à la personne indépendamment de la situation conjugale signe une volonté d’échapper à une évolution problématique de la relation de couple, créée par la dépendance fonctionnelle non ou mal compensée.

Annexe

Protocole de l’enquête qualitative : des « histoires de vie de couple »

Perspective théorique et choix de l’outil

60 Notre travail se situe dans une perspective interactionniste. Dans cette perspective réfléchir sur la relation entre vie de couple, qualité de vie et intégration sociale conduit à envisager également la question des modalités de construction de la vie de couple. Il s’agissait donc de prendre en compte à la fois la trajectoire et l’histoire individuelle de chacun pour comprendre la dynamique du processus individuel d’intégration sociale, et l’interaction même, au sens de la rencontre pour tenter d’expliquer comment cette rencontre peut se faire « malgré le problème de santé » (Bozon M., 1991, 1990, 1988).

61 La volonté d’appréhender la vie de couple dans une perspective dynamique, et de la resituer dans les trajectoires de vie des sujets, nous a conduit à opter pour l’outil « histoire de vie ». Nous avons également retenu la possibilité de recueillir des « histoires de vie de couple » au sens de Jean-Paul Kaufmann. En effet, la perspective choisie impliquait la possibilité de travailler à partir de discours de personnes en situation de handicap mais aussi à partir de celui de personnes valides vivant en couple avec des personnes handicapées, et de couples comprenant une ou deux personnes présentant des déficiences.

Définition de la population

62 En raison de l’objet d’étude nous avons exclu les personnes de moins de 30 ans et celles de plus de 60 ans et, devant la difficulté d’englober l’extrême diversité des situations de handicap, nous avons décidé de ne pas retenir de personnes présentant des déficiences intellectuelles ou des troubles psychiques.

63 Hormis ces choix de départ, nous ne nous sommes pas préoccupés a priori des déficiences (type de déficience, gravité de la déficience). Notre critère de définition de la population est référé à un indicateur d’incapacités fonctionnelles, plutôt que de déficience. Nous avons choisi de ne retenir que des personnes qui, dans la vie quotidienne la plus banale, sont affectées par une déficience qui va nécessiter des adaptations, des apprentissages et des aides spécifiques (matérielles et/ou humaines).

64 La situation conjugale, le sexe, l’âge d’apparition de la déficience et l’âge sont les critères de diversité majeurs retenus. Cela donne l’organisation théorique ci-dessous, dans laquelle nous avons défini le « couple » comme « vivant actuellement en couple [cohabitation] et ce depuis un an au moins » (en référence à l’enquête quantitative).
Les critères de diversité secondaires sont les suivants : type de déficience (auditive, visuelle, motrice ou physique) ; niveau des incapacités (besoin d’aide humaine ou non) ; capital culturel et économique (en référence aux résultats de l’enquête HID), qui soulignent les inégalités sociales dans le processus d’institutionnalisation et de production du handicap (Mormiche et Boissonnat, 2003).

Tableau Catégories pour la constitution de l’échantillon de l’enquête qualitative

tableau im8
Célibataires Couples « mixtes », déficience préalable à la mise en couple Couples « mixtes », déficience apparue après mise en couple Couples de personnes présentant toutes deux des déficiences Âge et sexe H 30-39 ans H 30-39 ans H 30-39 ans H 30-39 ans F 30-39 ans F 30-39 ans F 30-39 ans F 30-39 ans H 40-59 ans H 40-59 ans H 40-59 ans H 40-59 ans F 40-59 ans F 40-59 ans F 40-59 ans F 40-59 ans

Tableau Catégories pour la constitution de l’échantillon de l’enquête qualitative

Prise de contact, modalités de recueil et d’analyse des données

65 Les prises de contact se sont faites via les associations de personnes handicapées mais aussi hors de celles-ci (annonces journaux et internet, ou information en service hospitalier) pour éviter un biais qui serait de ne rencontrer que des personnes adhérentes et engagées dans des associations. En effet, au regard de notre problématique, cette situation sous-entend un rapport particulier au groupe de pairs, et nous ne voulions pas limiter notre travail aux personnes impliquées, voire militantes, dans les associations.

66 Le recueil des histoires de vie de couple s’est fait à partir d’un guide d’entretien de type semi-directif et a été complété par le recueil d’éléments formels au travers d’une fiche de renseignements.

67 Tous les entretiens ont été enregistrés et retranscrits intégralement, puis ont fait l’objet d’une analyse thématique transversale.

68 Nous avons recueilli, retranscrit et analysé 24 entretiens relatifs aux histoires de vie de 23 personnes présentant des déficiences et des incapacités dans la vie quotidienne.

Notes

  • [*]
    Maks Banens et Rommel Mendès-Leite : maîtres de conférences à l’université de Lyon 2.
    Anne Marcellini et Nathalie Le Roux : maîtres de conférences à l’université de Montpellier 1. Laurent Sébastien Fournier : maître de conférences à l’université de Nantes.
    Léo Thiers-Vidal : doctorant en sociologie – Laboratoire Triangle de l’ENS, Lyon.
  • [1]
    Les prénoms sont fictifs et les lieux anonymisés. Les autres informations – âge, profession, situation familiale et de santé – sont laissées inchangées.
  • [2]
    OMS, (2001), Classement international du fonctionnement, du handicap et de la santé, Genève.
  • [3]
    Estimations obtenues par une régression de Cox.
  • [4]
    Voir, parmi d’autres, Mercier M. (dir.), (2004), L’identité handicapée, Namur, Presses universitaires de Namur.
  • [5]
    Marcellini, (2007).
  • [6]
    Bozon, (1991).
  • [7]
    Ainsi, on peut considérer que certains infirmes moteurs cérébraux, touchés dans leurs capacités d’élocution, sont dans une situation de handicap que l’on peut rapprocher de celle des sourds non ou « mal » parlant, dans le sens où ils présentent les uns et les autres un handicap de communication verbale qui peut limiter fortement leur participation sociale active, et qui peut aller jusqu’à leur étiquetage comme « débiles ». De même, les déficients visuels évoquent des difficultés importantes dans les rencontres, dans lesquelles la perturbation de la communication non verbale est centrale.
  • [8]
    De Colomby P. et Giami A., (2001), ont démontré l’influence déterminante de la vie en institution sur les relations sociosexuelles.
  • [9]
    Voir, parmi d’autres : Perrigot M. et alii, (1994), « Handicap et vie de couple » ; Codine P. (dir.), La réinsertion socioprofessionnelle des personnes handicapées, Paris, Masson, p. 137-144.
Français

Résumé

L’article étudie l’accès à la vie de couple des personnes vivant en situation de handicap, tel qu’il ressort de l’enquête « Histoire de vie – Construction des identités » (INSEE, 2003) et de vingt-cinq entretiens semi-directifs. Les résultats quantitatifs dessinent un portrait contrasté : forte diminution des chances de s’engager dans une vie de couple quand on vit avec un problème de santé nécessitant une aide humaine, mais un bon maintien des couples lorsque le problème de santé apparaît en cours d’union, maintien même au-delà de la moyenne, notamment pour les générations nées avant 1945. Au total, la population en situation de handicap vit presque autant en couple que la population générale. L’enquête a aussi fait apparaître le rôle de la (re)construction identitaire comme personne handicapée : l’auto-identification comme telle et l’intégration dans le milieu du handicap augmentent la probabilité d’être en couple. Les entretiens ont permis de comprendre que l’autonomie, aussi et surtout à l’intérieur du couple, est la première condition de son existence et de son maintien. Elle repose sur une compensation, matérielle ou financière, qui permet à l’individu de s’affirmer aussi bien face à ses parents qu’à son conjoint.

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Maks Banens
Maître de conférences en démographie à l’université Lyon 2, il est membre du laboratoire Mobilité et dynamiques des sociétés. Il étudie les problématiques du couple, de la famille et du handicap.
Anne Marcellini
Maître de conférences (HDR) à l’université Montpellier 1. Elle dirige l’équipe de recherche « Santé, éducation et situations de handicap », et s’intéresse principalement aux processus de ségrégation et d’intégration sociale dans le cadre d’une approche articulant sociologie du sport, du corps, du handicap et de la santé.
Nathalie Le Roux
Maître de conférences à l’université Montpellier 1 (UFR-STAPS) et membre de l’équipe de recherche « Santé éducation et situations de handicap ». Elle s’intéresse essentiellement à la dynamique de l’emploi dans les secteurs du sport et de l’économie sociale, à l’insertion professionnelle des diplômés et aux relations entre le travail et la vie de couple.
Laurent Sébastien Fournier
Ethnologue, maître de conférences à l’université de Nantes, membre du Centre nantais de sociologie. Ses travaux portent, entre autres, sur l’anthropologie des usages sociaux et culturels du corps.
Rommel Mendès-Leite
Sociologue et anthropologue, maître de conférences aux départements de psychologie sociale et de formation en situation professionnelle de l’université Lyon 2. Membre du groupe de recherches en psychologie sociale, il s’intéresse aux questions liées à la santé, aux genres et sexualités, aux émotions et sentiments ainsi qu’aux nouvelles formes de conjugalité et de parentalité.
Léo Thiers-Vidal [*]
Doctorant en sociologie au sein du laboratoire Triangle de l’ENS – Lyon.
  • [*]
    Maks Banens et Rommel Mendès-Leite : maîtres de conférences à l’université de Lyon 2.
    Anne Marcellini et Nathalie Le Roux : maîtres de conférences à l’université de Montpellier 1. Laurent Sébastien Fournier : maître de conférences à l’université de Nantes.
    Léo Thiers-Vidal : doctorant en sociologie – Laboratoire Triangle de l’ENS, Lyon.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
https://doi.org/10.3917/rfas.072.0057
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