1Les systèmes de pensions subissent toujours l’influence des changements sociaux. La croissance économique d’après-guerre dans les pays européens, en révélant les insuffisances du système de la pension publique pour remplacer le salaire et en incitant une partie de travailleurs à cotiser pour bénéficier d’une pension complémentaire privée, divisa la population entre ceux qui avaient le droit à une pension complémentaire et ceux qui ne l’avaient pas. Cette différence ressentie comme inacceptable, entraîna l’élargissement du système de pension obligatoire dans divers pays (par exemple en France en 1972, la généralisation du régime complémentaire, ou au Royaume-Uni en 1975, l’introduction d’un régime national de pension complémentaire, appelé SERPS – State Earnings-Related Pension Scheme).
2La structure démographique exerce une influence aussi grande sur le régime de pensions que la conjoncture économique. Le vieillissement de la population que subissent la plupart des pays européens depuis quelques décennies (voir tableau 1) entraîne des difficultés financières dans leurs régimes de pensions obligatoires par répartition. Confrontée à ce problème, la Suède a réalisé une réforme radicale en 1998, en transformant les régimes de base et complémentaire par répartition en un système « à cotisations définies notionnelles » géré par capitalisation « fictive » et complété par un régime de pensions minima. Par ailleurs, tout en maintenant les régimes en place, d’autres pays réduisent le niveau des prestations et/ou imposent des conditions plus rigides afin d’équilibrer le budget des régimes (ex. : Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie). De telles modifications dans les régimes obligatoires par répartition s’accompagnent souvent de l’institution et/ou de l’amélioration des règlements sur les régimes supplémentaires pour que ces derniers puissent se développer et compenser la diminution du rôle du régime obligatoire.
Proportion de la population âgée de 65 ans et plus dans quelques pays européens et au Japon

Proportion de la population âgée de 65 ans et plus dans quelques pays européens et au Japon
3De plus, avec l’orientation récente à vouloir prendre en compte la diversité des modes de vie et de travail, les pays européens tentent de garantir dans leurs systèmes de pensions, la justice sociale. Par exemple, la réforme de 2003 en France a incité les partenaires sociaux à négocier pour définir les métiers pénibles justifiant d’une cessation anticipée. Au Royaume-Uni, deux réformes ont été menées. D’une part, en 1999, on a introduit un nouveau choix de pension personnelle à cotisations définies, appelé « Stakeholder Pension », afin d’inciter les employés qui ont un salaire moyen ou élevé à « contract-out » c’est-à-dire sortir du régime de l’État pour entrer dans un régime privé. D’autre part, en 2000, on a rendu le régime complémentaire de l’État plus favorable pour ceux qui sont démunis de moyens d’épargner en prévision de leur vieillesse (ex. : les salariés les plus modestes, les handicapés, ceux qui s’occupent des personnes dépendantes).
4Au Japon, le système de pensions, comme ceux des pays européens, affronte aujourd’hui beaucoup de problèmes dont la plupart résultent des changements de la société nipponne : le vieillissement de la population (cf. tableau 1) qui s’accompagne de la baisse du nombre de naissances, la diversification des styles de vie, surtout dans la jeune génération, les évolutions du marché du travail, etc. Pour adapter le système de pensions à ces changements sociaux, plusieurs modifications ont été apportées depuis les années quatre-vingt-dix. Pourtant il reste encore des problèmes révélés par les changements sociaux, dont une partie est liée à des difficultés inhérentes au système lui-même. Par exemple, les prévisions pessimistes sur la continuité financière des régimes obligatoires, conduisent de plus en plus d’assurés à refuser de cotiser. Ce problème montre les défauts du mécanisme de perception de cotisations ainsi que les imperfections de la mise en œuvre de la solidarité par l’assurance sociale. C’est pourquoi des projets de réformes radicales ne cessent d’être proposés afin de sauver le système de pensions par la transformation de son cadre fondamental.
Cet article présentera tout d’abord les mécanismes et les caractéristiques du système de pensions japonais. Ensuite, les difficultés actuelles de ce système, dans un pays qui jouit de l’espérance de vie la plus longue du monde, seront analysées.
Comment s’est développé et fonctionne le système de pensions au Japon
5Comme la plupart des régimes de retraite des autres pays, le système actuel de pensions du Japon se présente sous forme de trois étages, comme le montre la figure 1 :
- les pensions de base ;
- les pensions complémentaires proportionnelles aux salaires ;
- et les pensions supplémentaires.
Les 3 étages du système de pensions

Les 3 étages du système de pensions
6Ces pensions se regroupent en deux systèmes : l’un, public, et l’autre, privé. Le premier comporte les pensions de base et les pensions complémentaires, et le deuxième concerne les pensions supplémentaires. La différence principale entre ces deux systèmes est que le système public est géré par l’État qui oblige les assurés à s’y affilier, alors que les systèmes privés de pensions supplémentaires sont institués et gérés par des accords libres entre les partenaires sociaux ou par des décisions unilatérales des employeurs.
Le système public de pensions
Son évolution
7Le système public japonais de pensions date de 1875, lorsque le premier régime de retraites fut créé pour les vétérans de la marine militaire. Dès lors, divers régimes furent introduits pour les autres vétérans et les fonctionnaires. En 1941, un régime de pensions fut créé pour les travailleurs salariés du secteur privé, à l’exception des marins qui étaient déjà couverts par un autre régime fondé en 1939. Ce régime des travailleurs salariés versait des pensions de retraite, de réversion et d’invalidité équivalentes à une partie du salaire perdu lors du départ à la retraite, à l’occasion du décès d’un soutien de famille ou de la survenance d’une invalidité.
8Après la Seconde Guerre mondiale, cette coexistence de régimes (pour les salariés, les marins, les fonctionnaires et les militaires) demeure, mais ceux-ci se modifient progressivement. Par exemple, le régime de pensions pour les travailleurs salariés du secteur privé se transforma en un nouveau régime qui garantit une pension composée de deux parties, l’une de base et l’autre proportionnelle au salaire perdu, alors que l’ancien régime servait uniquement une pension proportionnelle. Dans les années 1950, le régime des fonctionnaires fut remplacé par de nouveaux régimes pour les fonctionnaires de l’État et pour les employés des sociétés publiques comme la Société nationale des chemins de fer japonais. À la même époque, des mutuelles obligatoires furent créées respectivement pour les professeurs des écoles privées et pour les travailleurs salariés dans les domaines de l’agriculture, des forêts et de la pêche.
9Tous ces régimes étaient réservés aux travailleurs salariés. Quant au reste de la population (ex. : les travailleurs indépendants, les femmes au foyer, les inactifs), il n’a bénéficié d’aucun régime légal jusqu’en 1959. Cette année-là, avec le mouvement pour la généralisation des pensions pour toute la nation, le régime « des Pensions nationales » fut introduit afin de couvrir les risques vieillesse, décès d’un soutien de famille et invalidité. Tous les Japonais de plus de 20 ans et de moins de 60 ans furent désormais obligés de s’y affilier, à l’exception des salariés déjà assurés par les autres régimes légaux de pensions, de leurs conjoints à charge et des étudiants. Aux conjoints des salariés et aux étudiants, fut ouvert cependant le droit de s’y affilier facultativement.
10Avec l’introduction du régime des Pensions nationales, chacun est couvert par l’un des huit régimes légaux organisés selon les professions.
11Cependant, depuis le début des années 1980, l’existence de régimes professionnels a amené quelques problèmes liés aux changements économiques et sociaux, notamment les différences de niveaux de prestations et de cotisations entre régimes ainsi que les difficultés financières du régime des Pensions nationales et de celui des cheminots. Cette situation a de nombreux points communs avec celle de la France des années 1970 lorsque l’évolution du marché du travail a entraîné des difficultés financières pour certains régimes de base de sécurité sociale obligatoires et a, par conséquent, produit des écarts graves au niveau des prestations entre régimes. Pour résoudre ces problèmes, la France a pris des mesures d’harmonisation et de compensation entre régimes obligatoires, sans changer la structure fondamentale du système de la Sécurité sociale.
12Par contre, au Japon, qui affrontait les problèmes presque identiques au système français, une réforme radicale a été apportée en 1985 dans le but de réduire le déséquilibre entre les régimes.
13Le régime des Pensions nationales s’est alors transformé en régime de base qui couvre tous les Japonais âgés de 20 ans et plus [1], tandis que les autres régimes pour les salariés ont été déplacés au deuxième étage (complémentaire). Le régime des Pensions nationales est donc traité comme un premier étage allouant la pension de base, les autres régimes pour les salariés allouant la pension complémentaire proportionnelle au salaire.
Bien que plusieurs autres changements aient été introduits depuis la réforme de 1985, cette structure du système public en deux étages superposés est encore effective aujourd’hui.
Le système public actuel
Le régime des Pensions nationales
14Le régime des Pensions nationales, qui sert les pensions de base au travers de la technique de l’assurance, couvre trois risques :
- la vieillesse ;
- le décès d’un soutien de famille ;
- et l’invalidité.
15Les assurés du régime sont tous les habitants du Japon – y compris les étrangers qui vivent au Japon – âgés de 20 ans au moins et de 60 ans au plus. Ils sont divisés en trois catégories (cf. tableau 2) :
- les travailleurs salariés qui sont affiliés également aux régimes complémentaires de pensions ;
- leurs conjoints à charge (pour la plupart, des femmes au foyer) ;
- tous les autres habitants du Japon âgés de 20 ans au moins et de 60 ans au plus (pour la plupart, des travailleurs indépendants, leurs conjoints qui ne sont pas salariés, des étudiants de plus de 20 ans et les inactifs). Cette troisième catégorie est appelée « assurés du premier alinéa », en raison de son inscription au premier alinéa de l’article 7-1 de la loi des Pensions nationales.
Les différentes catégories d’assurés du régime des Pensions nationales

Les différentes catégories d’assurés du régime des Pensions nationales
16Les autres catégories, travailleurs salariés et leurs conjoints à charge, sont appelées respectivement « assurés du deuxième alinéa » et « assurés du troisième alinéa » pour la même raison.
La structure de la population active au Japon (novembre 2006)

La structure de la population active au Japon (novembre 2006)
17Le régime des Pensions nationales alloue principalement trois pensions de base aux assurés ou à leurs survivants : les pensions de base de retraite, d’invalidité et de réversion.
18• Pour obtenir le droit à une pension de base de retraite, l’assuré de n’importe quelle catégorie (cf. tableau 2) doit justifier d’un âge de 65 ans et d’une durée de cotisation fixée à 25 ans et plus. Si la durée de cotisation est de plus de 40 ans, l’assuré peut bénéficier de la pension complète, soit 780 900 yens (environ 5 500 euros) par an. Le montant d’une pension est minoré en proportion de la durée de cotisation lorsque celle ci est inférieure à 40 ans.
19• L’assuré peut bénéficier de la pension de base d’invalidité, s’il justifie à la fois d’un handicap d’un certain niveau et d’une durée de cotisation de plus des deux tiers de sa durée totale d’assurance. Le montant d’une pension d’invalidité est le même que celui de la pension complète de retraite, mais il est majoré d’un quart en cas de handicap grave.
20• La pension de base de réversion est allouée à l’épouse, y compris la concubine, qui vit avec un ou plusieurs enfants de moins de 18 ans, ou à l’enfant célibataire de moins de 18 ans de l’assuré décédé. L’épouse ou l’enfant peut bénéficier de la pension de réversion si elle ou il se trouve à la charge de l’assuré lors de son décès. Il convient de souligner que l’époux de l’assurée n’a pas droit à la pension de réversion même s’il était à la charge de l’assurée décédée. Cette différence entre hommes et femmes résulte de l’évolution historique du régime des Pensions nationales. À l’origine, la pension de base de réversion était une pension pour veuve ayant des enfants à charge, instituée dans ce régime en raison du fait que la plupart des femmes étaient à la charge de leurs maris et avaient de la difficulté à s’insérer sur le marché du travail. Cette inégalité entre les sexes en matière de pension de réversion n’est donc pas si incompréhensible, mais avec l’évolution récente de la situation des femmes sur le marché du travail et des changements du style de vie des couples, cette absence de neutralité sexuelle est cependant susceptible d’être jugée inconstitutionnelle pour dérogation au principe de l’égalité devant la loi entre hommes et femmes (article 14 de la Constitution japonaise).
Le régime des Pensions nationales, géré par répartition, est financé par des cotisations de l’assuré et par subvention de l’État :
- tous les assurés du premier alinéa (cf. tableau 2) sont obligés de payer une cotisation fixée à 13 860 yens (environ 95 euros) par mois, qui augmentera de 280 yens (environ 2 euros) chaque année jusqu’à ce qu’elle atteigne 16 900 yens (environ 120 euros) par mois ;
- par contre, les autres assurés (les travailleurs salariés et leurs conjoints à charge) sont dispensés de cotiser à ce régime. À la place, les assureurs des régimes complémentaires pour les salariés versent des contributions équivalentes aux cotisations dont les assurés devraient se charger.
Les régimes complémentaires obligatoires pour les travailleurs salariés
22Le deuxième étage du système public se compose de plusieurs régimes complémentaires obligatoires pour les travailleurs salariés selon les professions exercées :
- le régime des travailleurs salariés des entreprises privées, c’est le principal régime du deuxième étage, il couvre environ 85 % des assurés de cet étage ;
- celui des fonctionnaires de l’État ;
- celui des fonctionnaires régionaux ;
- et enfin celui des professeurs des écoles privées.
23Le travailleur à temps partiel est obligé de s’y affilier lorsque son temps de travail par semaine dépasse les trois quarts de celui d’un travailleur à temps plein du même établissement.
24Les prestations de ce régime sont principalement les pensions de retraite, de réversion et d’invalidité qui sont proportionnelles aux salaires perdus de l’assuré ainsi qu’aux durées d’assurance.
25Pour obtenir la pension complémentaire de retraite, l’assuré doit justifier d’un âge de 65 ans et d’une durée de cotisation de 25 ans au régime de base des Pensions nationales. La pension de retraite est calculée selon la formule suivante :
26Pension annuelle = Salaire moyen mensuel de toute la durée d’assurance × 5,481/1 000 × Nombre de mois d’assurance.
27Les Japonais ont tendance à continuer de travailler au-delà de l’âge de 60 ans, mais l’âge d’ouverture du droit à la retraite de 65 ans est tardif par rapport à l’âge de mise à la retraite dans la plupart des entreprises japonaises, qui est fixé à 60 ans [2]. En fait, le régime complémentaire prévoit une mesure spéciale pour combler cette lacune. Tout en relevant l’âge de la retraite dans les régimes complémentaires de salariés de 60 à 65 ans pour l’aligner sur celui du régime des Pensions nationales, la réforme de 1985 afin d’éviter un changement radical d’âge de la retraite, a offert à l’assuré la possibilité d’obtenir une « pension spéciale » – quasi équivalente aux pensions de base et complémentaire – à partir de 60 ans et jusqu’à 65 ans. Cette « pension spéciale » peut éviter au retraité de vivre sans aucun revenu professionnel ou social entre 60 et 65 ans. Mais, même si cette « pension spéciale » est vraiment nécessaire aujourd’hui, les réformes récentes ont, en raison de la situation financière du régime (cf. tableau 4), décidé d’augmenter graduellement l’âge de cette pension de 60 à 65 ans pour finalement supprimer la pension spéciale en 2025.
L’équilibre financier annuel du système public de pensions du Japon en 2004 (en milliards de yens1)

L’équilibre financier annuel du système public de pensions du Japon en 2004 (en milliards de yens1)
28L’assuré peut obtenir une pension d’invalidité calculée selon la même formule que la pension de retraite, s’il remplit des conditions presque identiques aux conditions de la pension de base d’invalidité du régime des Pensions nationales.
29La pension de réversion peut être allouée au conjoint, à l’enfant, au parent, au petit-enfant, ou au grand-parent, qui étaient à la charge de l’assuré au moment du décès de celui-ci. La pension est équivalente aux trois quarts de la pension de retraite de l’assuré. La différence la plus importante entre cette pension et la pension de base de réversion du régime des Pensions nationales, c’est que le mari de l’assurée décédée n’est pas exclu de cette prestation. Toutefois, un mécanisme non neutre sexuellement est appliqué aussi dans cette pension complémentaire de réversion. La femme peut obtenir la pension de réversion à partir de n’importe quel âge, alors que l’homme n’a pas ce droit s’il a moins de 55 ans lors du décès de son épouse. De plus, la prestation n’est allouée à l’homme qu’à partir de 60 ans. La création de ce mécanisme s’expliquait par le besoin de protéger les femmes compte tenu de l’ancien modèle familial et de la difficulté pour elles de s’insérer sur le marché du travail, mais il est de moins en moins justifiable aujourd’hui alors que le statut des femmes sur le marché du travail se stabilise et que le style de vie des couples se diversifie.
Au niveau financier, le régime complémentaire pour les salariés, géré par répartition avec un fonds de réserve, est financé principalement par les cotisations proportionnelles aux salaires de l’assuré. La cotisation, dont le taux est fixé à 14,288 %, est partagée entre l’assuré et l’employeur.
Les caractéristiques principales du système public japonais
30Le système public japonais se différencie des systèmes européens.
31• Premièrement, il existe au Japon un régime de base qui couvre tous les habitants, y compris les étrangers résidant régulièrement au Japon, afin de garantir un revenu minimum à l’assuré ou à son survivant à la retraite, en cas d’invalidité ou de décès. On peut donc dire que l’assuré s’affilie à ce régime de base en tant que « citoyen », et non en tant que « travailleur » comme les assurés des régimes légaux de base français. Autrement dit, selon l’expression utilisée par le professeur Borgetto (Borgetto, 2003), le régime de base japonais fonctionne par « la solidarité d’appartenance » tandis que les régimes de base français sont fondés sur « la solidarité de participation ». À cet égard, le système japonais présente une caractéristique commune avec le système anglais et les systèmes beveridgiens.
32• Deuxièmement, au niveau de la gestion également, le système public japonais, géré directement par l’État, suit le principe de Beveridge. Les partenaires sociaux ne participent donc pas à la gestion des régimes, à la différence des régimes français fonctionnant avec le principe de la gestion par les intéressés (la gestion « corporatiste » des assurances sociales (Palier, 2002, p. 84)).
33• Troisièmement, il existe une grande différence de niveau de prestation entre les salariés et les non-salariés car aucun régime complémentaire obligatoire ne couvre ces derniers. Cette différence est une des caractéristiques du système japonais, par rapport au système français dans lequel les régimes pour les travailleurs non salariés se rapprochent de plus en plus de ceux des salariés [3].
Afin de garantir aussi une pension complémentaire aux travailleurs indépendants, on propose la création d’un régime complémentaire obligatoire pour eux, comme en France, voire même la création d’un régime complémentaire commun à tous les travailleurs sur le modèle du système actuel suédois. L’un des obstacles les plus importants à cette unification des régimes de pensions concerne l’estimation des revenus exacts des travailleurs indépendants. Pour l’instant, cette réforme radicale n’est pas réalisable à cause de ce problème technique, mais il faut indiquer qu’au Japon, il n’y a pas de résistance à l’unification des régimes, à la différence de la France où l’intégration de tous les travailleurs au régime général n’a pas été réalisée à l’occasion de la mise en place de la Sécurité sociale à cause des pressions exercées par certains groupes professionnels qui voulaient rester indépendants et conserver les particularismes et les avantages de leurs propres systèmes d’avant-guerre (Palier, 2002, p. 108-113). L’absence de la résistance à l’unification peut s’expliquer par le fait, qu’au Japon, l’assurance sociale, gérée directement par l’État, n’est pas considérée comme un élément constitutif d’un statut particulier lié à une profession que négocient les partenaires sociaux (Palier, 2002, p. 115-116), mais comme une forme de la réalisation du « droit à la vie » que l’État garantit à toute la population japonaise (article 25 de la Constitution japonaise).
Le système privé de pensions
34Ces dernières années, avec le marasme que traverse l’économie japonaise et les évolutions du marché du travail, le système privé japonais de pensions a connu un développement remarquable, surtout à l’occasion de la réforme de 2001.
Avant la réforme de 2001 : les fonds de pension pour les travailleurs salariés
35Avant cette réforme, il existait déjà plusieurs formes de pensions supplémentaires :
- une partie des entreprises ont mis en place des fonds propres de prévoyance, qui étaient indépendants du régime obligatoire, afin de payer des allocations ou des pensions de retraite aux salariés de leur établissement ;
- par ailleurs, l’employeur avait la possibilité de créer un « fonds de pension », en faisant sortir du régime complémentaire obligatoire les travailleurs salariés des entreprises privées concernées. Ce mécanisme de « l’opt-out » ressemblait à celui du retrait de l’assurance nationale anglaise (« contract-out » de « State Second Pension ») : le fonds de pension [4] créé par l’employeur devait prendre en charge le paiement d’une partie de la pension de retraite proportionnelle allouée par le régime complémentaire obligatoire pour les salariés et, en plus, le paiement des majorations. Par conséquent, le fonds de pension remplaçait partiellement l’État pour le paiement de la pension complémentaire de retraite.
La réforme de 2001
36Cependant, l’environnement financier des fonds de pension a changé en raison de la dépression économique des années 1990. À cause de celle-ci, le taux d’intérêt était devenu inférieur au taux d’intérêt prévu (5,5 %), entraînant un manque grave de réserves financières pour beaucoup de fonds de pension. Par conséquent, si le fonds de pension n’était plus capable de financer les prestations fixées, c’est-à-dire les pensions complémentaires de retraite et les majorations, c’est l’entreprise elle-même qui devait compenser financièrement. Les obligations des fonds de pensions, surtout les paiements des pensions complémentaires de retraite, pesaient ainsi sur la gestion des entreprises pendant la dépression économique, alors que les pensions complémentaires avaient apporté des avantages aux entreprises pendant la prospérité économique à travers la mise en valeur des cotisations sociales attribuées aux fonds.
37Ainsi, beaucoup d’entreprises gérant des fonds de pension ont-elles commencé à vouloir transférer à l’État la charge du paiement des pensions complémentaires de retraite. Face à cette demande, le gouvernement a créé, à l’occasion de la réforme de 2001, un nouveau régime de pensions supplémentaires à prestations définies qui complète simplement les pensions de base et complémentaires. Offrant la possibilité aux fonds de pension de se transformer et d’entrer dans ce régime, la réforme a permis pratiquement aux entreprises de rendre à l’État la charge du paiement des pensions complémentaires de retraite.
38La réforme de 2001 a également introduit un autre régime de pensions supplémentaires : le régime à cotisations définies. Cette innovation est due à deux raisons. La première est la dépression économique japonaise des années 1990 qui a entraîné un manque de réserves des fonds de pensions à prestations définies et obligé les entreprises à compenser leurs insuffisances afin de garantir des pensions prévues. Les employeurs ont donc réclamé la création d’un régime de pensions supplémentaires à cotisations définies dans lequel il n’est pas nécessaire de garantir les prestations fixées. La seconde est liée au marché du travail. Dans un régime à cotisations définies, les résultats des cotisations ou primes sont « portables » entre entreprises, car un compte de pensions est fait pour chacun. Le régime de pensions à cotisations définies s’adapte donc mieux aux mouvements des travailleurs entre établissements. Dans ce régime, chaque affilié dirige en effet la mise en valeur des primes et assume une responsabilité du résultat de sa mise en valeur. C’est l’une des caractéristiques spécifiques les plus importantes du régime à cotisations définies par rapport au régime à prestations définies. Tout travailleur a le droit de s’affilier individuellement à ce régime s’il n’est pas assuré par les autres régimes supplémentaires. Ce régime peut donc garantir une pension complémentaire à un travailleur indépendant qui n’a qu’une pension de base dans le système public.
Le nombre d’affiliés de ces deux nouveaux régimes de pension supplémentaire créés par la réforme de 2001 augmente assez vite pour que le total de leurs affiliés dépasse le nombre des affiliés des fonds de pensions en 2004 [5].
Les problèmes actuels du système japonais de pensions
39Le système japonais de pensions est aujourd’hui confronté à différents changements sociaux. Les changements les plus significatifs concernent le vieillissement de la population et la diversification des styles de vie et des modes de travail. La dernière réforme de 2004 a eu pour but d’adapter le système de pensions à ces changements.
Le vieillissement de la population
40Le vieillissement de la population est une caractéristique commune à presque tous les pays évolués, mais sa vitesse est plus grande au Japon, comme le montre le tableau 1. De plus, on prévoit qu’au Japon la proportion de la population âgée de 65 ans et plus ne cessera pas d’augmenter pour atteindre à 35,7 % en 2050 (selon une donnée de 2005 présentée par le Bureau de la statistique du ministère des Affaires générales du Japon), contre 29,2 % en France (selon une donnée de 2001 présentée par l’Insee). Il va sans dire que c’est l’accroissement de l’espérance de vie [6] et la baisse du nombre de naissances [7] qui entraînent le vieillissement de la population.
Le vieillissement menace la continuité des régimes
41Ce vieillissement pèse sur les régimes de pensions par répartition dans lesquels les actifs supportent les prestations des retraités.
42Au Japon, le rapport cotisants-retraités diminue progressivement comme en France. Il est passé de 7,7 cotisants pour 1 retraité en 1975 à 3,3 pour 1 en 2005 et ne sera plus que de 1,9 pour 1 en 2025 (selon une donnée présentée par le ministère de la Santé et du Travail). Un tel déséquilibre entre cotisants et retraités conduirait soit à une augmentation forte des cotisations qui dépasseraient la capacité des cotisants à payer, soit à une baisse considérable des prestations jusqu’à ce qu’elles soient presque rendues sans objet. Le vieillissement de la population menace donc la continuité des régimes par répartition.
43Confronté à un tel problème de la continuité des régimes, le gouvernement japonais a pris quelques mesures dans le régime des Pensions nationales et le régime complémentaire pour les travailleurs salariés dans la réforme de 2004 :
- premièrement, il a plafonné les cotisations de certains niveaux, compte tenu de la capacité de cotisation de chacun, tout en garantissant des prestations équivalentes à au moins 50 % des salaires perdus ;
- deuxièmement, il a introduit une nouvelle façon d’indexer les prestations, appelée « l’indexation de la macroéconomie », afin de maîtriser les prestations en fonction de la baisse du nombre de cotisants et de l’augmentation de l’espérance de vie.
Le régime des Pensions nationales et le refus de cotiser des « assurés du premier alinéa »
44La question de la continuité des régimes provoque un autre problème grave ; celui de la crise de confiance pour les régimes de pensions, surtout chez les jeunes.
45Que faut-il entendre par crise de confiance ? Elle désigne la situation dans laquelle le cotisant pense que, même s’il a un droit à une pension dans quelques dizaines d’années, il ne pourra pas « récupérer » toutes les cotisations déjà payées à cause des difficultés financières des régimes, ou, au pire, qu’il ne récupérera rien parce que les régimes de pensions ne dureront pas jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 65 ans. Cette méfiance répandue vis-à-vis du système de pensions, incite beaucoup d’assurés à ne pas payer de cotisations bien qu’ils y soient en principe obligés. Ce refus de cotiser se voit principalement chez « les assurés du premier alinéa » [8] du régime des Pensions nationales, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas salariés, car leurs cotisations ne sont pas prélevées sur leurs revenus, à la différence des travailleurs salariés. Par conséquent, « les assurés du premier alinéa » choisissent – de fait – entre cotiser ou non bien que cette option n’existe pas en droit.
46En 2004, selon l’Agence des assurances sociales du Japon, 36,4 % des assurés « du premier alinéa » ne cotisent pas (sont exclus de ce chiffre, ceux qui sont légalement exonérés de cotisations en raison de leur situation financière). La crise de confiance pour les régimes de pensions motive le non-paiement des cotisations chez une partie importante d’entre eux, bien que la première raison soit la difficulté financière du foyer. Face à cette situation, nommée « le régime creux » ou « l’absence d’assurés », le gouvernement a renforcé le pouvoir administratif de recouvrement forcé, en 2004.
47Ce problème de refus de cotiser d’une partie des assurés pose une question juridiquement très importante et fondamentale : quelles sont les raisons qui permettent d’obliger quelqu’un à payer des cotisations ? ou, comment justifier vis-à-vis de la liberté individuelle, l’obligation de cotiser ? En effet, une grande partie des assurés qui « choisissent » de ne pas payer prétendent qu’ils assument eux-mêmes le risque d’avoir peu de moyens après leurs retraites.
48Il y a plusieurs arguments contre cette opinion. D’abord, d’un point de vue « paternaliste », l’obligation de cotiser est justifiée par la nécessité de parer au risque invalidité que la plupart de gens sont peu enclins à estimer. Par ailleurs, chacun a un « devoir de provision » pour éviter de dépendre de l’impôt au travers de l’assistance publique même après avoir atteint l’âge de retraite. L’obligation de cotiser est donc justifiée si le paiement des cotisations est considéré comme l’accomplissement de ce devoir de provision. Mais, même si cette explication est bonne, il reste encore une autre question à envisager : pour quelles raisons peut-on forcer quelqu’un à se solidariser avec les autres au travers de la redistribution des cotisations ? La théorie du « devoir de provision » ne peut pas justifier l’obligation de cotiser pour ceux qui accomplissent personnellement ce devoir. C’est la question à laquelle il faudrait faire face.
La diversification des styles de vie et des modes de travail
49À l’époque où les régimes japonais de pensions ont été créés, les styles de vie de chacun et les modes de travail n’étaient pas aussi variés qu’aujourd’hui : l’homme travaillait dans une entreprise jusqu’à sa retraite, et la femme cessait de travailler lors de son mariage. Mais, avec la diversification des modes de vie et de travail, différents problèmes apparaissent dans les régimes de pensions en raison du manque de neutralité vis-à-vis de cette diversité.
Le problème des « assurés du troisième alinéa » – essentiellement des femmes – dans le régime des Pensions nationales
50« Les assurés du troisième alinéa » du régime des Pensions nationales (cf. tableau 2) sont ceux qui se trouvent à la charge de leur conjoint salarié. Ils sont considérés comme à charge à la fois si leur revenu annuel est inférieur à 1,3 million de yens (environ 9 200 euros) et si leur temps de travail n’atteint pas trois quarts du temps plein (voir la figure 2). « Les assurés du troisième alinéa » sont donc principalement des mères de famille. La caractéristique la plus importante de ce type d’assurés est qu’ils peuvent obtenir le droit à la pension de base sans payer aucune cotisation ni dans le régime des Pensions nationales ni dans le régime complémentaire pour les travailleurs salariés. C’est une partie des cotisations payées par l’ensemble des travailleurs salariés qui finance les prestations pour « les assurés du troisième alinéa ».
Les conditions pour être assuré du « 3e alinéa » du régime des Pensions nationales

Les conditions pour être assuré du « 3e alinéa » du régime des Pensions nationales
51Ce mécanisme a été introduit à l’occasion d’une réforme de 1985 afin de garantir un droit à pension de base à ceux qui ne pratiquaient aucune activité professionnelle, principalement les mères de famille. En effet, avant 1985, les mères de famille qui n’avaient pas été obligatoirement assurées par un régime de pensions risquaient de devenir pauvres du fait de l’absence de droits propres à pension après divorce ou après être devenues handicapées. Confronté à cette situation grave des mères de famille divorcées et handicapées, le gouvernement a décidé de les affilier obligatoirement au régime des Pensions nationales et, en même temps, de ne pas leur faire payer de cotisations compte tenu de leurs capacités de cotiser et du coût de la perception de leurs cotisations.
52L’existence de cette catégorie d’assurés cause quelques difficultés.
53• Premièrement, les travailleurs salariés à temps plein considèrent comme incompréhensible et inégalitaire, le fait que les assurés aient des obligations différentes selon la catégorie à laquelle ils appartiennent, alors qu’eux sont obligés de verser des cotisations dont une partie est utilisée pour payer les pensions des « assurés du troisième alinéa ». La progression du travail féminin à temps plein a révélé un mécontentement chez les femmes salariées. Beaucoup d’entre elles n’arrivent pas à comprendre pour quelles raisons elles doivent distribuer une partie de leurs cotisations aux autres femmes qui sont elles inactives. Des divergences existent aussi entre les hommes mariés dont les femmes sont au foyer et ceux qui sont célibataires. En effet, si on compare la situation d’un homme marié dont la femme reste au foyer et celle d’un homme célibataire, qui gagnent tous les deux le même salaire et, par conséquent, qui paient la même cotisation, on constate que l’homme marié et sa femme peuvent obtenir une pension de base pour chacun et une pension complémentaire, alors que l’homme célibataire ne peut bénéficier, outre une pension complémentaire, que d’une seule pension de base pour lui-même. Aussi, ce mécanisme de cotisation est difficile à justifier au niveau théorique et certains experts soulignent l’obscurité des raisons d’une telle redistribution (Motozawa, 1998).
54• Deuxièmement, l’existence de cette catégorie d’assurés freine l’évolution du travail des femmes, car les employées à temps partiel sont souvent amenées à limiter leur temps de travail pour que leurs salaires et temps de travail ne dépassent pas les limites à partir desquelles il y a obligation de cotiser (le salaire annuel de 1,3 million yens et le temps de travail de trois quarts du temps plein).
• Troisièmement, les conditions fixées pour être « assurés du troisième alinéa » – et qui dépendent du revenu annuel et du temps de travail –, produisent un déséquilibre ou une inégalité de traitement entre les salariés à temps plein et ceux à temps partiel en ce qui concerne le niveau des pensions. En effet, les salariés à temps plein bénéficient, outre une pension de base, d’une pension proportionnelle au salaire en tant qu’assurés du régime complémentaire obligatoire, tandis que les salariés à temps partiel (moins de trois quarts de temps) n’ont qu’un droit à une pension de base. Avec la diversification des modes de travail, une demande commence à émerger dans le domaine des pensions : la neutralité du choix professionnel et le bénéfice pour les salariés à temps partiel d’un droit équivalent à celui des salariés à temps plein.
À l’occasion de la réforme de 2004, le gouvernement japonais a essayé de revoir à la baisse les exigences de niveau de revenu et de temps de travail pour affilier davantage de salariés à temps partiel au régime complémentaire des travailleurs salariés (Tsuda, 2005). Une telle modification ne s’est cependant pas réalisée, en raison de la pression exercée par les industries dans lesquelles les travailleurs à temps partiel constituent une partie importante de la main-d’œuvre. Les problèmes de « l’assuré du troisième alinéa » restent donc en suspens.
Le cumul d’activité et d’une pension et le respect du choix individuel
55Aujourd’hui, beaucoup de retraités japonais veulent continuer à travailler. D’après un sondage mené par le ministère de la Santé et du Travail en 2000, environ 66,5 % des hommes et 41,5 % des femmes entre 60 et 64 ans sont encore actifs et, de plus, le pourcentage des actifs parmi ceux qui bénéficient d’une pension est de 58,6 % chez les hommes et de 36,1 % chez les femmes. Parmi les inactifs, 55 % des hommes ont la volonté de travailler et 34,6 % des femmes. Par ailleurs, le gouvernement japonais mène une politique favorisant le travail des personnes âgées, non seulement pour maintenir les forces économiques et sociales malgré le vieillissement de la population, mais aussi pour développer les possibilités de vivre de ses revenus d’activités jusqu’à l’âge de 65 ans eu égard au relèvement de l’âge de retraite dans le régime complémentaire jusqu’à cet âge (cf. supra).
56Il reste néanmoins quelques facteurs qui empêchent les personnes âgées de continuer à travailler. Certes, c’est au niveau du marché du travail que se trouvent les entraves les plus grandes, mais le système de pensions, lui aussi, exerce une influence non négligeable sur le choix de l’individu entre travail et retraite.
57D’un côté, le relèvement de l’âge de retraite oblige très souvent les assurés à continuer à travailler ; de l’autre, il arrive que certains mécanismes dans un régime de pension les incitent à prendre leurs retraites au lieu de continuer à travailler. Il s’agit principalement des règles sur le cumul pension-salaire, comme en France.
58Ainsi dans le régime complémentaire pour les travailleurs salariés des entreprises privées, le cumul pension-salaire est partiellement limité : grosso modo, si la somme totale de la pension et du salaire d’un retraité âgé de moins de 70 ans dépasse un certain plafond, la pension est diminuée d’une somme équivalente à la moitié de la différence entre ce plafond et cette somme totale. Cette limitation de cumul a été introduite en raison des difficultés financières du régime et en vue d’assurer une certaine égalité avec les jeunes travailleurs vivant seulement de leurs salaires.
59En 2004, ce mécanisme de limitation du cumul, considéré comme un obstacle au travail des retraités, a été modifié pour les moins de 65 ans afin que le régime soit plus neutre vis-à-vis du travail. Cette modification serait censée avoir un effet favorable sur le libre choix de l’individu entre le travail et la retraite, auquel on commence à accorder de l’importance depuis quelques années au Japon, comme en France. Pourtant, en même temps, la réforme japonaise de 2004 a limité à nouveau le cumul pour les plus de 70 ans compte tenu de l’équité entre générations. Par conséquent, le cumul est désormais limité pour tous les retraités du régime complémentaire des salariés.
60La limitation du cumul est efficace pour équilibrer financièrement le régime. Elle se justifie pour les retraités de moins de 65 ans car le paiement de la pension pour les moins de 65 ans est une mesure exceptionnelle destinée à éviter les conséquences du changement radical de l’âge de retraite. Néanmoins, la limitation du cumul pour les plus de 65 ans ayant les véritables droits à pension semble contraire à un caractère essentiel de l’assurance sociale. En effet, théoriquement, l’assurance sociale alloue sans aucune condition de ressources des prestations aux assurés, à la différence de l’assistance publique. Il est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de retraités dont les pensions sont limitées parce qu’ils gagnent des revenus d’activités, mais la généralisation de la limitation du cumul, réalisée par la réforme de 2004, pourrait porter atteinte à la signification même de l’assurance sociale (Iwamura, 2005).
En plus de la modification de la limitation du cumul, la réforme de 2004 a permis aux assurés de différer la liquidation de pension après 65 ans afin de garantir un choix plus libre de l’individu entre le travail et la retraite. Cette orientation politique paraît presque identique à un des buts de la réforme de 2003 en France qui a créé une « surcote ».
Conclusion
61L’un des problèmes du régime des Pensions nationales japonais est d’impliquer des gens incapables de cotiser, alors même que c’est au travers des cotisations que le régime fait fonctionner une redistribution qui correspond théoriquement à l’idée de « la solidarité nationale » ou « la solidarité par l’impôt ». Certes, ce mécanisme paradoxal est l’une des particularités du système japonais de pensions, mais il pourrait être considéré comme une cause profonde du problème de « l’assuré du troisième alinéa ». Par ailleurs, c’est cette ambiguïté de la redistribution dans le régime de base qui pourrait entraîner la crise de confiance dans le régime et empêcher les assurés de reconnaître la justification de l’obligation de cotiser. Pour résoudre ces problèmes, séparer la solidarité nationale de l’assurance sociale pourrait être un choix à faire, comme l’a fait la France en 1993 en créant le Fonds de solidarité vieillesse financé par la CSG.
62En ce qui concerne le régime complémentaire, les modifications introduites par la réforme de 2004 pour garantir la neutralité vis-à-vis du travail et le choix de l’individu impliquent le réexamen de la notion de « risque vieillesse ». À ce propos, une analyse développée sur le système français par un sociologue français (Gaullier, 1999) pourrait s’appliquer aussi au système japonais : juste après la Seconde Guerre mondiale, « la retraite » était considérée comme la coïncidence entre trois points : la fin de la vie professionnelle, l’incapacité liée à l’âge et l’obtention d’une pension. Cela veut dire que chez la plupart de gens la « vieillesse » professionnelle, la « vieillesse » physique et la « vieillesse » sociale arrivaient exactement en même temps, soit à l’âge de retraite fixé (60 ans dans l’ancien régime japonais pour les salariés avant la réforme de 1985). Autrement dit, la « vieillesse » professionnelle et la « vieillesse » physique arrivant quasi simultanément étaient considérées comme risque social, et, par conséquent, il était nécessaire d’introduire un régime de pensions garantissant un revenu de remplacement dès la réalisation de ce risque.
63Avec le prolongement de l’espérance de vie et l’évolution des possibilités de travailler après l’âge de 60 ans, l’arrivée du risque « vieillesse physique » se décale vers 65 ans ou plus et celle du risque « vieillesse professionnelle » se diversifie pour chaque personne selon le choix de l’individu. En d’autres termes, les risques vieillesse physique et professionnelle peuvent se réaliser plutôt dans « une zone » qu’à un moment précis. Ainsi est-ce le moment « choisi » par chacun comme âge de la retraite dans cette « zone grise » qui serait considéré comme le moment de la réalisation de ce risque. Si cette analyse est juste, on peut dire que le risque vieillesse serait en train de se transformer de quelque chose d’« éventuel » en quelque chose « à choisir individuellement » (Dupeyroux, 2003). La réforme japonaise de 2004 garantissant la neutralité vis-à-vis du travail et le choix de l’individu pourrait impliquer ce changement de la notion du « risque vieillesse ».
Notes
-
[*]
Maître de conférences à la faculté de droit de l’université de Tohoku (Japon).
-
[1]
Après avoir ratifié la Convention relative au statut des réfugiés en 1981, la condition de nationalité pour l’assuré du régime des Pensions nationales fut supprimée la même année. Désormais, le régime des Pensions nationales s’applique aussi aux étrangers résidant au Japon.
-
[2]
« La loi relative à la stabilisation de l’emploi des personnes âgées » interdit aux employeurs de fixer l’âge de la mise à la retraite à moins de 60 ans. Malgré des mesures pour la poursuite de l’activité professionnelle au-delà de 60 ans encouragées par cette loi, seulement 30 % environ des entreprises garantissent des postes jusqu’à 65 ans à tous les salariés souhaitant continuer à travailler (Ministère de la Santé et du Travail, Kousei roudou hakusho (Livre blanc annuel de la santé et du travail), 2004, p. 199).
-
[3]
En France, la réforme des retraites en 2003 a introduit des régimes complémentaires obligatoires pour les travailleurs indépendants afin de réduire les inégalités des niveaux de pensions entre les travailleurs salariés et les travailleurs indépendants.
-
[4]
Il est géré par les représentants de l’employeur et des participants. Il est financé par une partie de cotisation du régime obligatoire et les primes payées par l’employeur et les salariés.
-
[5]
Selon un sondage fait en 2006 par l’Association des fonds de pensions qui s’occupe de l’administration des régimes supplémentaires (http://www.pfa.or.jp/top/toukei/pdf/genkyo.pdf), les nombres des affiliés de chaque forme des régimes supplémentaires sont les suivants :
– 5,3 millions de personnes pour les fonds de pensions ;
– 3,8 millions pour le nouveau régime supplémentaire à prestations définies ;
– et 2 millions dont 65 000 travailleurs indépendants, pour le nouveau régime supplémentaire à cotisations définies. -
[6]
L’espérance de vie au Japon est de 78,6 ans pour les hommes et 85,6 ans pour les femmes en 2004, contre respectivement 59,6 ans et 63 ans en 1950 (selon une donnée présentée par le ministère de la Santé et du Travail) ; en France, elle est de 76,8 ans pour les hommes et 83,8 ans pour les femmes en 2004, contre respectivement 63,4 ans et 69,2 ans en 1950 (Insee).
-
[7]
Au Japon, l’indicateur conjoncturel de fécondité par femme qui était de 2,14 à l’époque du baby-boom (en 1973), a chuté en 2005 au plus bas, 1,25 (source : le ministère de la Santé et du Travail).
-
[8]
Qui représentent 22 millions d’assurés (cf. tableau 2).