1Rédactrice en chef de la Revue française des Affaires sociales de 1986 à 1991, Marie-José Bernardot est aujourd’hui chef du bureau action et synthèses territoriales à la Direction générale de l’action sociale. Retour sur une expérience et des méthodes de travail quelque peu différentes.
2• Comment êtes-vous arrivée au poste de rédactrice en chef de la Revue française des Affaires sociales ?
3Au départ, j’étais journaliste puis, je suis rentrée au ministère de façon un peu atypique en 1982. En effet, j’étais conseiller technique au cabinet d’Edmond Hervé, alors ministre délégué à la Santé, au début sur les questions de communication et de relations avec la presse. En 1986, il m’a été proposé de devenir chef de bureau des publications périodiques au sein de la division des publications et de la documentation alors rattachée à la DAGPB [1]. J’étais responsable de trois revues : la Revue française des Affaires sociales, Échanges Santé Social (une revue professionnelle destinée aux DRASS et aux DDASS [2]) et Les Cahiers de Jurisprudence administrative qui publiaient les décisions les plus significatives sur les deux secteurs santé-protection sociale et travail-emploi.
4• Comment la Revue française des Affaires sociales se positionnait-elle à cette époque ?
5Il existait cinq numéros par an, dont un numéro spécial. Sa spécificité était de se positionner sur les deux champs de la santé-social et travail-emploi. C’était un choix que de préserver cet espace de réflexion commun aux deux secteurs des ministères sociaux, dont l’organisation est par ailleurs très cloisonnée avec peu de perméabilité et de passerelles entre les fonctionnaires. Je m’efforçais de veiller à l’équilibre entre ces deux domaines en terme d’articles et de numéros spéciaux. Les numéros spéciaux étaient plutôt orientés vers des problématiques encore d’actualité aujourd’hui : les 15/25 ans, pères et paternité, les années Sida… C’était déjà une revue prestigieuse qui intéressait beaucoup les chercheurs et les étudiants. Elle avait environ 2 000 abonnés payants en France et à l’étranger.
6J’étais aussi très vigilante sur l’équilibre entre les auteurs : des chercheurs et des universitaires mais aussi des fonctionnaires. Ces fonctionnaires étaient souvent à des postes de responsabilité importante mais voulaient conserver leur capacité de réflexion par rapport à leurs actions quotidiennes. Le fait d’écrire pour la Revue française des Affaires sociales leur donnait cette possibilité de recul.
7• Comment se passait le choix des articles ?
8Quand je suis arrivée à ce poste, c’était le rédacteur en chef qui décidait seul du choix des articles. J’ai tenu à impliquer le comité de rédaction dans cette mission. D’autant plus que je n’étais, bien sûr, pas spécialiste dans tous les domaines. Le comité étant composé à la fois de représentants des différentes directions des ministères et de chercheurs, il y avait toujours des experts dans chaque secteur. Petite anecdote : Denis Kessler, futur vice-président du Medef, faisait partie du comité de rédaction ! Beaucoup d’articles nous arrivaient spontanément et nous les relisions tous, afin de décider si nous les publierions. J’essayais de regrouper des articles autour d’un thème pour construire une sorte de dossier « phare » dans le numéro. Sans pour autant faire de chaque numéro un numéro thématique.
9• Vous souvenez-vous de numéros en particulier ?
10Les numéros spéciaux ont été marquants parce qu’ils demandaient un gros travail en amont. Il fallait rechercher des auteurs et collecter les articles. C’était stressant car il y avait toujours la crainte de ne pas arriver à respecter les délais. Mais, c’était aussi passionnant. Je me souviens du numéro sur pères et paternité en 1987 : j’ai effectué beaucoup de recherches en lien avec l’Institut de la famille et de l’enfance. Celui sur l’Europe et la dimension sociale était aussi très intéressant à coordonner.
11• À ce moment, il n’y avait pas encore d’ordinateurs, ni internet… Comment fonctionniez-vous ?
12Les textes étaient généralement dactylographiés par les auteurs qui nous les transmettaient par fax ou par courrier. Nous devions les photocopier, afin de les communiquer aux membres du comité de rédaction intéressés. Les membres du comité de rédaction relisaient les articles et la secrétaire de rédaction vérifiait l’ensemble des textes avant de les envoyer à l’Imprimerie nationale où nous nous rendions pour relire les épreuves. La partie relecture pouvait être longue parce que les chercheurs ont parfois tendance à employer du vocabulaire pour initiés, trop codé ou trop technique. Or, je tenais à ce que la revue reste lisible par des lecteurs non « spécialistes » d’un sujet. J’essayais d’éviter le jargon, qu’il soit scientifique ou administratif.
13• En résumé, quelles ont été les principales étapes de la revue durant ces six années ?
14Tout d’abord, le comité de rédaction a bénéficié de nouvelles personnalités qui ont donné une impulsion nouvelle à la revue. Puis, j’ai développé les dossiers thématiques afin d’être plus attractifs. Ensuite, le « look » de la revue a changé, notamment la couverture dont le visuel a été modernisé : nous avons retenu un dégradé bleu/violet. Enfin, nous avons changé de diffuseur : de La Documentation française à Masson [3]. Ce dernier nous paraissait plus dynamique en terme de politique commerciale, notamment dans les librairies. Je veillais aussi à publier des encarts publicitaires dans Le Monde pour développer les ventes de la revue et nous échangions nos sommaires avec d’autres revues de réflexion telles la revue Autrement ou la Revue française de sociologie. J’étais alors attentive au fait de développer le nombre d’abonnés payants.
• Personnellement, que retenez-vous de cette expérience ?
Elle m’a permis de faire appel à certaines compétences acquises dans mon expérience antérieure de journaliste. J’ai aussi découvert, pour la première fois de l’intérieur, à travers la revue, le fonctionnement de l’administration sociale avec son manque de moyens, ses rigidités mais aussi, des agents extrêmement professionnels, compétents et motivés, comme Annie Fougère, secrétaire de rédaction des Cahiers de jurisprudence et Aimée Toulgoat qui a appris, « sur le tas » le métier de secrétaire de rédaction. In fine, c’était une expérience enrichissante, ne serait-ce que pour la vision très vaste sur les différents champs d’actions des ministères et les relations permanentes avec les auteurs venus d’univers très diversifiés.