1• Éléments biographiques
2Extrait du Dictionnaire biographique, mouvement ouvrier, mouvement social, tome II, période 1940-1968, publié sous la direction de Claude Pennetier, Jean-Pierre Besse, Paul Boulland, Michel Dreyfus (et al.), Paris, Les Éditions de l’Atelier/Les Éditions ouvrières.
3« L’avènement du nazisme et la passivité des sociaux-démocrates allemands l’avaient amené à adhérer aux Jeunesses communistes en 1933. […] Entre 1933 et 1936, Charles Bettelheim, responsable d’une cellule de jeunesse aux Langues-O, s’est beaucoup investi politiquement, notamment à l’Union fédérale des étudiants. Confiant dans le modèle soviétique qui symbolisait à ses yeux la jeunesse, la classe ouvrière, la prospérité et la paix face à un monde occidental en proie à une crise économique sans précédent, il partit, de sa propre initiative, pour Moscou en juillet 1936. L’URSS, où il fut tour à tour traducteur et journaliste, lui laissa cependant une impression mitigée : bien que convaincu que l’Union soviétique était le pays du socialisme, il n’en fut pas moins choqué par le culte de la personnalité de Staline, les inégalités sociales et les procès politiques. Les conférences qu’il tint à son retour furent sanctionnées par une suspension du PCF en juillet 1937 pour “état d’esprit antisoviétique” et propos ayant “une portée antiparti”. La publication de sa thèse de doctorat en 1939 – une description critique des méthodes bureaucratiques de planification adoptées en URSS –, lui valut la sympathie de militants trotskistes de la Vérité […]. Collaborateur de l’Institut de recherches économiques et sociales, Charles Bettelheim fut mobilisé en octobre 1939, mais réformé […]. Il entama alors une brève carrière universitaire comme chargé de cours à la faculté de droit de Caen (novembre 1939-septembre 1940). La législation xénophobe du régime de Vichy le priva cependant de son statut de fonctionnaire. […] Il rejoignit le Centre d’information interprofessionnelle, organisme créé en 1941 chargé de faire la liaison entre les comités d’organisation mis en place par le régime de Vichy, pour lequel il rédigea un rapport sur l’économie française. […] À la Libération, il entra, grâce à l’intervention d’Olga Raffalovich, ancienne résistante, au ministère du Travail, où il créa, avec Jacques Charrière, le Centre de recherches sociales et des relations internationales (décembre 1944). Les bonnes relations qu’il entretenait avec ses ministres de tutelle (Alexandre Parodi puis Ambroise Croizat) lui permirent de réaliser de nombreuses missions à l’étranger, notamment aux États-Unis, en tant que correspondant du gouvernement français auprès du Bureau international du travail. Durant cette période, Charles Bettelheim entreprit des recherches sur la planification socialiste, dont il entendait, à l’encontre des économistes libéraux, prouver scientifiquement la viabilité. Il renoua aussi avec le militantisme, hors des partis politiques […] en participant aux activités de la commission économique de la CGT et à la fondation de la Revue internationale (1945) […]. L’épuration anticommuniste menée au ministère du Travail par le socialiste Daniel Mayer l’obligea à quitter ses fonctions en mars 1948. Il obtint alors un poste au CNRS avant d’entrer à l’EPHE comme directeur d’études. […] Charles Bettelheim se consacra, dans le prolongement de ses activités au ministère, à l’étude des problèmes de l’emploi et du chômage […]. Il fonda en février 1950 son propre laboratoire, le Groupe d’études des problèmes de planification, ancêtre de l’actuel Centre d’études des modes d’industrialisation (EHESS) ».
4François Denord et Xavier Zunigo
5• Extrait des mémoires de Charles Bettelheim (non publiées) : « Troisième partie : Libération et nouveaux horizons 1944-1948 ».
6« La première activité qui s’ouvre à moi au lendemain de la Libération est celle de directeur d’un nouveau Centre de recherche au ministère du Travail. La création de ce centre est due à une initiative d’Olga Raffalovich qui a suggéré à Alexandre Parodi – le nouveau ministre du Travail – de créer un tel organisme et de me confier le soin de le mettre sur pied et de le développer.
7Dès ma prise de fonction à la tête du Centre, j’obtiens la nomination à mon côté de Jacques Charrière […].
8Les tâches assumées par le Centre se diversifient rapidement : mise sur pied d’une équipe chargée de réaliser des enquêtes socio-économiques ; création d’un service de statistiques du travail ; publication d’une revue d’information et de réflexion (la Revue française du Travail) ; développement des contacts internationaux dans les domaines précédents, notamment avec le Bureau international du travail (BIT) ; je participe d’ailleurs aux activités de ce dernier, en particulier au niveau de son conseil d’administration. Le rôle international joué par le Centre se concrétise en juin 1945, au moment où est formée la délégation française à la première réunion, depuis la Libération, du conseil d’administration du BIT. Je fais partie de cette délégation, comme directeur du Centre ; à ce titre, je dois me rendre à Québec où le conseil se réunit en juin. La délégation française comprend notamment Léon Jouhaux, alors secrétaire général de la CGT et Justin Godart, ancien ministre du Travail […].
9Au début de 1946, je propose à Ambroise Croizat – qui a remplacé Alexandre Parodi à la tête du ministère – de retourner pour trois mois aux États-Unis afin d’effectuer cette enquête [1] […]. Cette visite aux États-Unis se situe en un moment particulièrement propice à l’observation de la vie des syndicats. Le pays traverse une période de larges luttes sociales […]. Ce vaste mouvement revendicatif a commencé en septembre 1945, à la fin de la guerre dans le Pacifique. Ce sont là les luttes ouvrières les plus amples que les États-Unis aient jamais connues : les travailleurs sont exaspérés par l’intensification du travail et par les hausses des prix que la guerre a entraînées ; ils veulent une sérieuse révision des conditions de production et que celles-ci soient inscrites dans de nouvelles conventions collectives […]. Il se vérifie, qu’en dépit de son esprit combatif réel, la grande grève en cours et les syndicats américains n’ont pas d’autre horizon que le système capitaliste ; de plus l’organisation des syndicats est calquée de près sur celle – pyramidale – des entreprises. La classe ouvrière américaine est ainsi assujettie à des structures qui tendent à se conforter : celle des entreprises et celle des syndicats. Un tel assujettissement ne me paraît pouvoir être brisé que par la création d’organisations nouvelles, émanant des travailleurs eux-mêmes mais rien ne laisse prévoir un mouvement prochain dans ce sens. Je suis ainsi conduit à m’interroger sur la portée d’une certaine vision “marxiste” qui postule un lien entre le développement de l’industrie et celui d’une action ouvrière autonome. Au cours de ce séjour aux États-Unis, nous avons aussi l’occasion de constater le haut degré d’industrialisation de certains secteurs de l’agriculture et de l’élevage américains et le niveau élevé de leurs rendements. Dans ces secteurs, je n’entrevois pas non plus l’amorce d’un mouvement social réellement novateur […] ».
Notes
-
[1]
Cf. l’article de J.-P. Le Crom dans ce numéro : « Les États-Unis sont le pays qui fait l’objet du plus grand nombre d’articles (13) devant l’URSS (7), la Grande-Bretagne (6), l’Allemagne (4), […]. Cette volonté s’affirme aussi dans l’existence d’une rubrique régulière consacrée à l’activité sociale à l’étranger. Les États-Unis y font l’objet de 27 articles, la Grande-Bretagne 20, le Canada et l’URSS 10 ». (NDLR).