1Mettre en perspective les articles publiés dans la Revue française du Travail (RFT) puis dans la Revue française des Affaires sociales (RFAS) à propos de l’organisation administrative n’est pas un exercice simple. En effet de très nombreuses contributions pourraient être intégrées dans cette catégorie mais la dilution produite n’aurait alors que peu de valeur analytique. Les dépouillements quantitatifs proposés dans ce numéro accordent une place très importante à la notion d’« organisation administrative » mais celle-ci est alors synonyme à la fois d’institutions, d’action publique, de pouvoirs locaux, de corps d’inspections et d’études sur l’histoire des ministères sociaux. Ainsi, dans la présentation qui suit, une sélection plus stricte a été réalisée : les hôpitaux, la prison et la sécurité sociale (Valat, 2001) sont volontairement retenus hors du champ de l’étude.
2L’analyse peut se concentrer autour de deux séries de thèmes, régulièrement présents dans la revue et qui permettent de comprendre les approches successives des administrations de l’État providence telles qu’elles ont été proposées par la collection du périodique : les variations des structures administratives et les mouvements de réformes et de modernisation de l’État en y incluant la décentralisation. Ce regroupement thématique se justifie aussi par le fait que, sur ce sujet, on ne peut pas déceler de véritables ruptures chronologiques si ce n’est un phénomène plus général dans la revue : l’importance renforcée des travaux de recherches en sciences sociales à partir du début des années 1990 après une longue période où dominaient surtout les articles d’acteurs ou de témoins. L’importance du nombre de ces contributions explique ainsi que la revue soit restée assez déconnectée des débats internationaux qui ont marqué les années 1980 sur le nouveau management public. En dehors de quelques rares articles, la sociologie des organisations n’a également été que peu représentée. La liste des articles retenus montre surtout le poids important des dossiers spéciaux réalisés dans le cadre de commémorations, comme par exemple les anniversaires du ministère de la Santé et de la Sécurité sociale en 1980 ou de la création de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en 1987 puis en 1997.
3Cette étude prend un sens particulier aujourd’hui car les travaux historiques sur l’État et ses administrations se sont multipliés ces dernières années (Baruch et Duclert, 2000 ; Chatriot et Gosewinkel, 2006). Après des travaux pionniers à la fin des années 1980 (Rosanvallon, 1990), les livres de politistes, historiens et sociologues, français, anglais et américains principalement, permettent maintenant de mieux connaître l’histoire, les institutions et les acteurs de l’État providence en France. De plus, l’année 2006 voit la célébration (commémorative mais aussi scientifique avec le colloque international qui s’est tenu les 18 et 19 mai à Paris) du centenaire du ministère du Travail.
Légitimité et variations des structures administratives
4Travail, santé, population, ces trois éléments ont pu au cours de l’histoire du XXe siècle être associés ou séparés dans les intitulés ministériels. Le domaine des affaires sociales a en effet connu une variation de tutelle politique et une structuration administrative très instable. De nombreux articles ont présenté ces changements et tenté régulièrement de construire par les références au passé une légitimité pour une administration qui semble avoir souvent ressenti, du moins dans le discours de ses acteurs, un défaut de reconnaissance – l’exemple du corps d’inspection et de son traitement dans la revue allant dans ce sens.
Présenter et comprendre l’instabilité
5Albert Ziegler, l’influent secrétaire général de la RFAS, s’est beaucoup intéressé à l’histoire et à l’évolution des structures administratives des ministères sociaux. Outre un premier article de synthèse en 1971 (Bargeton et Ziegler, 1971), il consacre en 1980 un article important au sujet modestement intitulé « quelques étapes du passé » (Ziegler, 1980). Ziegler souligne d’entrée l’importance du lien entre santé et assistance « si tant est que la maladie va de pair avec la pauvreté. Cette sorte de symbiose demeure une constante de l’histoire du ministère, qui survit aux nombreuses redistributions des rôles ». L’auteur souligne en fait les évolutions des structures ministérielles durant l’entre-deux-guerres puis sous la IVe République avec, en particulier, le statut alors variable des questions de population. Il suit précisément, sur la période allant de 1969 à 1979, les changements d’appellation du ministère (« Santé et sécurité sociale », « Santé publique », « Santé et famille »…). L’article propose en annexe une chronologie de l’époque 1967-1978 récapitulant les actes relatifs à la santé publique et à la protection sociale.
6Dans ce même numéro commémoratif des soixante ans du ministère de la Santé, deux hauts fonctionnaires dressent un tableau des évolutions administratives. Dominique Ceccaldi et Michel Lucas intitulent leur article :
7« Santé et sécurité sociale. Un ministère en mouvement » (Ceccaldi et Lucas, 1980). L’article commence par un chapeau qui insiste sur « la fréquence des changements de structure et les “va-et-vient” d’attributions, métamorphoses plus souvent liées aux aléas des formations gouvernementales qu’à une nécessité biologique ». Affirmant qu’il « n’existe aucun organigramme parfait », les auteurs présentent l’évolution des directions centrales et des missions mais aussi les importants services extérieurs. La présentation par ces acteurs n’est pas angélique : « La fusion des services, au-delà de leur simple regroupement, la mise en place d’outils spécialisés, le brassage des personnels après l’unification des statuts s’opèrent progressivement avec le temps ». La stabilisation alors récente de l’administration de la Santé et de la Sécurité sociale amène Ceccaldi et Lucas à réaffirmer la spécificité de celle-ci et des hauts fonctionnaires qui choisissent cette carrière : « Est-il un autre exemple dans l’administration française d’un fonctionnaire qui doit pouvoir, selon son affectation du moment plus ou moins librement choisie, être capable d’assumer une pareille diversité de tâches : administration générale ; application de législations aussi abondantes que complexes, inspection des établissements, inspection des caisses, animation sociale, organisateur de services d’action directe, comme pour les enfants privés de soutien familial… Et d’être l’interlocuteur valable du directeur des services financiers départementaux aussi bien que du responsable d’établissement public ou privé, du médecin de santé publique que de l’assistante sociale chef ou de l’éducateur ? N’est-ce pas une gageure ? ».
8Ces contributions ont été renforcées par les recherches des politistes et sociologues qui, au début des années 2000, ont remis en perspective ce déroulement historique (Maclouf, 2001 ; Renard, 2001a et 2001b). Le politiste Didier Renard a particulièrement étudié la création du ministère du Travail et de la Prévoyance sociale en 1906 (Renard, 2001a). Il a montré, au-delà de la dimension symbolique de cette date, les reconfigurations politiques et administratives alors à l’œuvre, expliquant que deux autres réformes majeures sont à comprendre conjointement : la mise en place par Alexandre Millerand d’une structure administrative en charge des questions sociales au ministère du Commerce et de l’Industrie au tournant du siècle, puis en 1910 les conséquences de la réalisation pratique de la loi sur les retraites ouvrières et paysannes. Les organigrammes qu’il publie en annexe à l’article, montrent l’importance de ce jeu sur les tutelles politiques des différentes administrations en charge des questions sociales entre 1885 et 1906. Cette étude permet, en élargissant la chronologie traditionnelle de création du ministère, de mieux comprendre les évolutions des stratégies républicaines dans la prise en compte de la question sociale.
9Bernard Friot, dans un article publié en 1996, présente aussi un ensemble d’organigrammes qui détaillent très justement les variations des services centraux depuis 1946 (Friot, 1996). L’analyse montre la multiplication des ministères et des secrétariats d’État après la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est pas moins de quatorze fonctions qui sont considérées dans les évolutions successives des structures ministérielles : action humanitaire, santé, famille, personnes âgées, handicapés, intégration-ville, travailleurs manuels et immigrés, rapatriés, sécurité sociale, travail, emploi, formation professionnelle, intéressement-participation et droits de la femme et emploi féminin. L’auteur conclut que « de 1946 à 1996 le champ de compétence des ministères sociaux demeure stable, mais ils se structurent d’une façon toujours plus complexe (on passe en moyenne de deux à sept ou huit ministères et de quatre à douze fonctions affichées) tandis que leur enjeu politique se déplace et grandit ». Il montre, dans cet article qui reste l’un des plus intéressants sur le sujet, que l’on assiste sous la Ve République à la fois à une affirmation et une technicisation de la fonction Santé alors que la fonction Travail est relativisée. B. Friot indique également comment la Sécurité sociale conserve une « fonction mitoyenne » entre Population et emploi.
10La contribution du sociologue Pierre Maclouf est plus programmatique. Dans la présentation de « jalons » pour l’histoire du ministère du Travail, il décrit à la fois l’« autonomisation du Travail dans les politiques sectorielles » et la place tenue par les « institutions du Travail dans l’État social » (Maclouf, 2001). Les instruments analytiques qu’il propose (étudier l’histoire du ministère sur trois plans : l’État comme élément d’institutionnalisation, comme ensemble administratif ou comme acteur sociopolitique) aident à mieux comprendre la complexité des évolutions administratives concernant le Travail et les Affaires sociales dans la France du XXe siècle.
Dans un numéro publié la même année et consacré aux administrations sanitaires et sociales, issu d’un colloque organisé à Paris en juin 2001, d’autres articles permettent de saisir la place de ces administrations dans le « champ du débat politique et social » (Burdillat, 2001). Dans la présentation de ce dossier l’hypothèse retenue lie analyse historique et situation contemporaine : « Il est tentant de se référer aux difficultés originelles de l’affirmation administrative aussi bien dans le domaine sanitaire que dans le domaine social pour expliquer les difficultés administratives contemporaines ». Dans le même temps, les différents contributeurs relativisent pour partie ce discours de la « faiblesse administrative ». Les analyses en termes de politiques publiques et de sociologie administrative étudient entre 1981 et 1997 le rôle d’une élite administrative se spécialisant sur les questions sociales (Genieys et Hassenteufel, 2001). Les conclusions des auteurs soulignent ici l’interaction forte entre acteurs politiques et acteurs administratifs. Le juriste et politiste Jacques Chevallier tirant les conclusions de ce dossier insiste sur la démarche de recherche et sur la réussite de la rencontre scientifique qui a consisté à « rompre avec le mythe d’une administration transparente et au service du politique » (Chevallier, 2001). Il montre en effet que tout en considérant toujours les images traditionnelles (administration faible, éclatée, concurrencée et sous influence), on peut analyser plus finement les enjeux d’utilisation des ressources bureaucratiques et les différences entre registres d’action. La publication des actes de ce colloque constitue à n’en pas douter l’une des réussites les plus importantes sur le plan scientifique et réflexif autour de l’administration des affaires sociales française.
L’esprit de l’ensemble de ces travaux se retrouve bien dans le titre d’un article de Lion Murard où, à propos de la santé publique, il parle d’une « matière administrative extraordinaire » (Murard, 2001). La revue s’est donc depuis près d’une décennie fait l’écho des travaux qui ont renouvelé notre connaissance des formes de l’État providence. De la naissance de l’Office du travail (Luciani, 1992) aux projets de la Libération (Steinhouse, 2001), les institutions du social ont fait l’objet de nombreuses enquêtes historiques comme pour le corps de l’Inspection du travail (Viet, 1994), le Musée social (Horne, 2004), le Conseil supérieur du travail (Ziegler, 1973), le Conseil national économique (Chatriot, 2002) ou l’Institut national d’études démographiques (Rosental, 2003). À chaque fois, le traitement d’objets précis a permis de mieux comprendre les difficultés et les réussites administratives de gestion de la question sociale dans la France du XXe siècle. Aux frontières entre histoire et science politique, les approches fondées sur l’analyse d’institutions se sont ainsi éloignées de simples monographies pour permettre au contraire de mieux voir l’ensemble du système de protection sociale français et ces moments d’inflexion.
L’IGAS est-elle un grand corps ?
11Les articles consacrés au corps d’inspection ont été nombreux dans la revue tant la question à la fois du fonctionnement et de la place tenue par ce corps est un révélateur des questions de légitimité des Affaires sociales dans l’État. Avant les textes sur l’IGAS qui vont servir ici de « fil rouge » même s’il existe d’autres corps d’inspection, la première contribution concerne le corps du contrôle général de la sécurité sociale (Anonyme, 1959). L’article commence par une interrogation sur la date de fondation du corps : 1910 avec la loi sur les retraites ouvrières et paysannes, 1928 et 1930 avec celles sur les assurances sociales, 1935 avec la régionalisation des assurances ou 1945 avec la Sécurité sociale. Il précise ensuite la question des premiers recrutements pour un corps de 32 membres dont deux médecins contrôleurs généraux. Le recrutement sur titres a permis de regrouper au départ un amiral, un général, un inspecteur général honoraire des PTT et un directeur honoraire des contributions directes de la Seine. Le concours spécifique puis l’ENA ont permis ensuite des recrutements réguliers, l’auteur, anonyme, de l’article expliquant à ce propos : « L’existence de la Section sociale a favorisé, jusqu’en 1959, la vocation d’excellents éléments préférant à une carrière sédentaire la vie particulièrement active et indépendantes des “itinérants”. » La présentation, pourtant enthousiaste, n’oublie pas cependant les limites de l’action des contrôleurs : « Il arrive que la voix du contrôleur général ne soit pas entendue ; mais, bien souvent, longtemps après ses conclusions, des réalisations répondent à des suggestions devenues en quelque sorte anonymes ».
12Au début des années 1980, Michel Laroque propose dans un article sa vision de l’IGAS créée en 1967. La contribution (Laroque, 1980) débute par la claire mention que « les opinions émises dans le présent article n’engagent que son auteur ». Elle propose d’abord un historique de longue durée de l’inspection : « de l’Ancien régime à la IIIe République ». La création de cette continuité historique tend, à l’instar des autres grands corps de l’État, à vouloir inscrire l’IGAS dans une longue histoire et à l’établir comme le précise le sous-titre de l’article en « nouveau grand corps de l’État ». Il faut signaler qu’au cours du colloque des trente ans de l’IGAS, Michel Laroque renouvelant sa démonstration s’est attirée une réponse vive d’un inspecteur général de l’administration (Le Gourierec, 1998) qui a expliqué que « la tentative de se rattacher à un corps beaucoup plus ancien [lui paraissait] constituer une sollicitation abusive de l’histoire administrative ». Défenseur de son propre corps, Louis Le Gourierec rappelait ainsi les conflits de légitimité internes à la haute fonction publique et le rôle tenu dans ceux-ci par les symboles trouvés dans la longue durée.
13Michel Laroque précise les conditions de création de l’IGAS par fusion des différents corps d’inspection dans le cadre du ministère des Affaires sociales. L’originalité de l’analyse ne réside en fait pas dans la présentation des « attributions classiques » d’un corps d’inspection mais dans deux points : le « rôle original de réflexion publique », qui s’exprime en particulier à travers le rapport annuel, et une situation qui malgré des « responsabilités croissantes » reste « précaire ». Les critiques de l’auteur sont ici vives et il dénonce l’absence de revalorisation, l’attente d’un nouveau statut « bloqué, malgré de multiples rédactions, par des résistances sociologiques et budgétaires ». Optimiste mais inquiet, Michel Laroque insiste sur les particularités du corps : « Service récent, aux origines anciennes, l’Inspection générale des affaires sociales a donc développé, à côté d’attributions classiques, un magistère original d’autocritique administrative publique qui pourrait être une des voies de démocratisation de l’État providence. Nouveau grand corps de l’administration française, son statut rend cependant son avenir précaire ».
La diversité des points de vue exprimés dans le colloque du trentième anniversaire de l’IGAS publié en avril-juin 1998 dans la Revue française des affaires sociales montre que le corps d’inspection a certes affermi sa position dans l’appareil d’État mais reste encore dans une revendication de légitimité. Les discours officiels prononcés par les responsables politiques en clôture de ces manifestations scientifiques ont tendance à gommer ces doutes mais le témoignage des acteurs de terrain est assez net sur ce point. La spécificité du corps est sans cesse rappelée pour en souligner le réel potentiel, y compris dans l’accompagnement par exemple de la réforme de l’État (Silicani, 1998), l’un des grands thèmes structurant des discours sur l’organisation administrative depuis les années 1990, et aussi des transformations dues aux lois de décentralisation.
Réformes et modernisation de l’État
14L’organisation administrative est aussi présente dans la revue à travers la question de la modernisation de l’État. Les vagues de réforme et la question majeure de la décentralisation ont là encore provoqué de nombreux articles que ce soient ceux d’acteurs confrontés aux mises en pratique de ces décisions ou ceux de chercheurs analysant de manière rétrospective ou contemporaine des événements, le résultat de ces réalisations.
Accompagner, expliquer, ou analyser les mutations
15La confrontation du ministère des Affaires sociales à la thématique de la réforme de l’État est souvent traitée dans la RFAS mais d’ailleurs assez rarement comparée avec ce qui se joue au même moment dans d’autres ministères (Bezès, 2002). Le politiste Luc Rouban analyse, au début des années 1990, les rapports entre les « cadres supérieurs des administrations sociales et la politique de modernisation administrative » (Rouban, 1993). La question de la modernisation administrative est en fait l’occasion d’une étude sociographique après une enquête menée par questionnaires. Le tableau présenté restitue l’image de « cadres mécontents de leur carrière » et n’hésite pas à parler d’« introuvable modernisation ». L’analyste conclut ainsi qu’il « ne suffit pas de redéfinir les lignes hiérarchiques, de contractualiser, de déconcentrer et de rendre autonome la gestion des services. Il faut encore que cette déconcentration et que cette autonomie soient réellement recherchées ».
16À côté de cette analyse scientifique, des acteurs, comme Serge Vallemont, ancien président du Comité pour la réorganisation et la déconcentration des administrations, présente leur vision de la modernisation de l’État. Vallemont se propose de tirer « les leçons d’une expérience », celle qu’il a eue avec le ministère de l’Équipement (Vallemont, 1996). L’un des points les plus intéressants de cette contribution réside dans la volonté de présenter des éléments précis issus du « terrain » ; la conclusion portant sur une interrogation à propos de la « segmentation administrative actuelle de l’État local face à la nature des problèmes à régler et aux politiques à mettre en œuvre ».
17Parmi les réformes administratives présentées, on ne peut ici suivre l’ensemble des cas,mais il est intéressant de noter qu’elles le furent souvent par les figures majeures qui en étaient les promoteurs. Ainsi, par exemple, en 1946 c’est Henri Desoille lui-même (Buzzi, Devinck et Rosental, 2006) qui présente l’organisation de la médecine du travail en France en proposant d’ailleurs un organigramme détaillé des structures administratives mises en place (Desoille, 1946).
18La part du public, des administrés, des patients (quel que soit le terme choisi – et le débat est bien sûr important –) est finalement restreinte dans la revue pour la réflexion sur la réforme de l’État alors qu’elle a pu être structurante dans d’autres domaines administratifs (Chatriot, Chessel et Hilton, 2004). Un cas particulier mérite cependant d’être cité, il s’agit d’un article publié en 1960 sur l’information du public dans les administrations sociales aux États-Unis (Anonyme, 1960). Cette contribution est en fait le produit de la mission sociale de productivité envoyée aux États-Unis en 1953 dans le cadre de cette série de missions voulant faire mieux connaître le modèle américain dans l’après Seconde Guerre mondiale. Le rôle des administrés apparaît cependant avec le traitement de nouvelles grandes questions comme celle du SIDA. Le numéro spécial consacré à ce thème accorde une large place aux réactions de l’administration dans le traitement de la maladie. Gabriel Bez souligne ainsi l’émergence de « l’usager-malade » qui s’organise et devient un « patient-partenaire » (Bez, 1990). Le rôle des associations est ici crucial et l’administration s’est adaptée à une nouvelle gestion de la maladie (Dalgalarrondo, 2004).
Parmi les éléments de réforme de l’État, il faut signaler que la revue a rendu compte régulièrement des travaux des organismes de recherche et en particulier de la mise en place de la MiRe (Mission recherche-expérimentation) du ministère des Affaires sociales et de la Solidarité nationale créée en décembre 1981 (Renard, 1984). Cette innovation s’inscrit alors dans un mouvement plus général d’intérêt de la part des administrations pour les travaux des chercheurs en sciences sociales (Bezès, Chauvière, Chevallier, Montricher et Ocqueteau, 2005).
La décentralisation
19La décentralisation et le rôle des acteurs locaux sont parmi les thèmes les plus traités dans la revue concernant les refontes de l’organisation administrative. La gestion du social a en effet très tôt concerné le niveau local. Les contributions publiées par la RFAS sont de ce point de vue, des éléments passionnants qui complètent bien les analyses générales publiées par les politistes et sociologues sur le sujet (Levy, 1999 ; Rosanvallon, 2004 ; Grémion, 2006).
20Comme pour les projets de réforme de l’État, les services locaux des affaires sociales ont souvent fait l’objet de contributions. L’échelon des directions régionales des affaires sanitaires et sociales – les DRASS – (Marrot, 1996), et la question de l’aide sociale (Revel, 1996) ont donné lieu à différents articles. En 1968, un administrateur civil, Philippe Marquant, dressait déjà le bilan des aspects régionaux de la politique d’équipement social après les décrets de mars 1964 relatifs à la réforme administrative sur le plan régional (Marquant, 1968). Amédée Thévenet fait le même travail de présentation en 1984 dans un article significativement intitulé « Pour comprendre la décentralisation de l’aide sociale » (Thévenet, 1984). Le début de l’article rappelle que si « la France a une longue tradition centralisatrice […] il n’en demeure pas moins que, dans ce pays unitaire, les collectivités locales existent en nombre et exercent un certain nombre de compétences reconnues par des grandes lois ». La revue publie en novembre 1996 les actes d’un colloque organisé en avril de la même année au Conseil économique et social et portant sur « Politiques sociales et territoires ». Le directeur de l’Administration générale précise dans son introduction que les questions en jeu avec les réformes territoriales créent une situation dans laquelle son « administration [est] “troublée” par [les] réformes » (Bertrand, 1996).
21Au cours des années 1990 et 2000, la revue publie des analyses de spécialistes de sciences sociales en particulier sur les questions locales, qui ont parfois une démarche réflexive sur l’utilité des travaux : « À quoi peuvent bien servir nos investigations pour les praticiens des services publiques, et en particulier ceux qui s’inscrivent dans le champ de l’intervention sociale ? C’est une question importante dans le cadre d’une revue comme la Revue française des Affaires sociales au carrefour de la recherche scientifique et de l’action publique. » (Camus, Corcuff et Lafaye, 1993). En 2004, la revue prend en compte l’ensemble des mutations et intitule l’un de ses dossiers « Acteurs locaux et décentralisation ». L’historien Vincent Viet insiste, en introduction, sur le fait que « la santé publique en France connaît un double mouvement de délégation (notamment à des agences nationales et institutions régionales) et de recentralisation (des décisions), alors que l’aide et l’action sociales connaîtraient un mouvement de décentralisation, non exclusif de formes de régulation par le centre » (Viet, 2004).
22Robert Lafore dans son article montre l’importance prise par l’échelon départemental et il parle même d’un « département providence », une « forme de “mastodonte” administratif local au poids sans égal ». Il souligne les difficiles questions du « territoire pertinent » et surtout celles des ressources et desmoyens mis en œuvre actuellement (Lafore, 2004). Deuxmembres de l’IGAS insistent dans ce numéro sur l’« évolution nécessaire » de l’organisation des services territoriaux de l’État dans le domaine sanitaire et social (Du Mesnil du Buisson et Jeandet-Mengual, 2004). Enfin, l’analyse de l’action publique locale permet aussi une présentation de la « participation des usagers », « objet de polémiques » (Loncle et Rouyer, 2004).
23La recomposition des administrations entre rôle du local et poids des logiques privées amène un sociologue à s’interroger sur l’évolution du métier des directeurs d’hôpitaux, l’article est même sous-titré : « des entrepreneurs locaux du service public hospitalier ? » (Schweyer, 2001). Il faut signaler que sur cette thématique de la décentralisation est également publié un des rares articles comparatifs concernant l’organisation administrative. Dominique Polton analyse ainsi l’expérience britannique de décentralisation du système de santé (Polton, 1984). C’est indéniablement une piste à explorer, de même que l’échelle de l’Union européenne qui n’a pas été réfléchie en lien avec les structures administratives et les modes de régulation.
24* * *
25Pour conclure cette brève étude, trois éléments semblent à noter. Le premier précise que le poids des analyses des sciences sociales est en nette hausse ces dernières années dans l’approche du thème de l’organisation administrative. Les discours d’acteurs sont encore présents mais de plus en plus réduits à des textes trop brefs, et parfois un peu convenus. Dans cette logique, la RFAS pourrait accorder une place plus importante à des témoignages plus personnels et plus réflexifs. Le deuxième point marquant est le caractère continu depuis la création de la revue de l’interrogation sur les structures administratives en charge des questions sociales. Contrairement à d’autres départements ministériels, les Affaires sociales sont toujours en partie instables, mêlant des coupures historiques (Travail/Santé) avec des enjeux institutionnels (le contrôle de la Sécurité sociale) sur fond de légitimité en débat par rapport aux autres grands corps de l’État et ministères de tradition régalienne. Les études publiées au cours du début des années 2000 redonnent la profondeur temporelle à ces questions et montrent que l’apparente nouveauté de certaines réformes de structure occulte trop une histoire précise dont les héritages jouent un rôle certain. Certains aspects de l’histoire des ministères ont été encore trop peu considérés. Ainsi, on peut souhaiter que compte tenu de la multiplication des études sur ces questions des dossiers soient consacrés à la période de la Seconde Guerre mondiale.
Sur les questions d’organisation administrative, on peut constater que les comparaisons internationales n’ont pas été assez nombreuses. Ce défaut d’ouverture sur l’étranger est doublement regrettable. Les grands historiens et politistes spécialistes des questions de Welfare n’ont été que peu présents dans la revue alors qu’ils sont souvent de bons connaisseurs de l’évolution française (Pedersen, 1993 ; Nord, 1994 ; Dutton, 2002). Ensuite, dans le cadre des réflexions sur les réorganisations administratives, le management public et la réforme de l’État, des comparaisons avec les expériences d’autres pays apporteraient sans doute des éléments permettant de relativiser et de mieux comprendre l’évolution des institutions françaises.
Sujet difficile par sa nature même, les variations de structure de l’administration des affaires sociales posent cependant beaucoup de questions : celle du rapport de l’administratif et du politique, celle de l’échelle d’intervention des politiques publiques, celle du fonctionnement des institutions ou bien encore celle de l’efficacité de l’action publique. À n’en pas douter des sujets d’avenir pour la revue.