1Dresser un bilan de la Santé publique à travers soixante ans de publications de la revue dépend en premier lieu des limites que l’on fixe à ce domaine particulier du système de santé. S’il inclut tout ce qui en porte le nom ou toutes les activités sanitaires qui relèvent du domaine public, le champ couvert correspondant s’étendrait très largement. Dans un pays comme la France où l’État joue un rôle majeur dans la production, le financement et la distribution de biens de santé, rares sont les domaines où la santé en action n’est pas un objet public : l’hôpital, le médicament, les politiques de santé, même la médecine de ville contribuent par un ou plusieurs aspects à la santé du public. Le champ « santé publique » identifié par L. Pitti (2006) semble s’appuyer sur cette définition large et plutôt floue et c’est dans le champ « politiques de santé, prévention » que nous avons trouvé l’essentiel des références correspondant à la définition adoptée ici de la santé publique comme « l’ensemble des approches, actions et programmes visant à intervenir au niveau des populations afin de réduire l’incidence de maladies ou à prévenir leur apparition ». La santé publique se distingue de la santé curative individuelle par ses modes d’approches (épidémiologie et causalité), par ses méthodes d’intervention (l’action sur les facteurs de risque), ses objectifs (réduire l’incidence) et ses cibles (les publics à risque).
2Une fois cette acception précisée et prise comme référence, la santé publique se trouve réduite à quelques numéros et articles éparpillés ça et là. L’approche adoptée ici pour rendre compte de la place qu’elle tient dans la revue peut être formulée par la question suivante : la revue reflète-t-elle l’histoire récente de la santé publique en France ? Autrement dit, la revue témoigne-t-elle de l’évolution, voire des grands tournants, de la santé publique depuis soixante ans ? S’il n’est pas question d’en rendre compte d’un point de vue quantitatif, nous essaierons d’identifier les faits marquants et les grandes tendances observées à travers les thématiques abordées (numéros spéciaux), les préoccupations exprimées sur les sujets de santé publique abordés ainsi que parfois les profils (appartenance institutionnelle et disciplinaire) des auteurs.
La santé publique jusqu’au début des années quatre-vingt
3La première période qui va de l’après guerre au début des années quatre-vingt n’est pas riche en matière de publications portant sur la santé publique. Le numéro spécial consacré au 60e anniversaire du ministère de la Santé et de la Sécurité sociale (1920-1980) propose néanmoins une synthèse rétrospective qui porte sur cette première période. Un premier article (Ziegler, 1980) retrace les principales étapes de la santé publique à travers les formes institutionnelles qui lui sont données par les gouvernements successifs. Ainsi, c’est à partir de 1966 que cette notion apparaît sous un jour plus structuré et autour de deux grands programmes, la PMI et la santé scolaire. Il note que ce n’est qu’en 1972 que le ministère de la Santé publique et de la Sécurité sociale prendra le nom de ministère de la Santé publique, avant de revenir à la précédente appellation au cours de la même année, suivi d’un changement de 1974 à 1977 en ministère de la Santé, redevenu Santé et Sécurité sociale en 1977. Si l’essentiel de l’action est consacré à l’équipement sanitaire et surtout hospitalier, les quelques sujets de santé publique abordés, tels la toxicomanie (loi de 1970), l’alcoolisme et la mauvaise hygiène alimentaire restent, malgré leur actualité, traités de façon essentiellement réglementaire et organisationnelle.
4Deux autres articles de ce numéro spécial traitent plus spécifiquement de la santé publique : « Prévention et protection de la santé » (Dartigues, 1980) et « La sécurité sociale et la prévention des accidents du travail » (Martin, 1980). Le premier tente de faire le point, d’une part sur les « actions collectives de prévention » qui portent sur les risques représentés par les agressions de l’environnement ou les produits dangereux et sur l’éducation du public, d’autre part sur les « actions individuelles » qui évoluent des maladies épidémiques (vaccinations) vers le dépistage plus précoce des maladies chroniques à forte incidence. C’est à cette époque (fin des années soixante-dix) qu’un double changement conceptuel émerge : les causes de morbidité et mortalité se sont modifiées du fait du succès apparent de la lutte contre les maladies infectieuses (variole, tuberculose, poliomyélite) et contre la mortalité infantile, tandis qu’on tend à substituer aux actions systématiques et indifférenciées des actions plus sélectives et ciblées sur les facteurs de risque.
5Le second article portant sur les actions de la sécurité sociale en matière de prévention des accidents du travail souligne pour l’essentiel deux changements de nature institutionnelle : la transformation en 1968 de son bras armé, l’Institut national de sécurité (INS) en Institut national de recherche et de sécurité (INRS) financé à 98 % par le fonds de prévention et l’évolution en 1976 du système de tarification résolument plus incitatif en matière d’accidents du travail.
Le tournant des années quatre-vingt
6Le constat qui domine est la place ténue que tient la santé publique dans la revue, voire une quasi-absence en dehors de ces deux articles précités au cours de la période qui va de sa naissance au début des années quatre-vingt. Non seulement il n’a pas été possible d’identifier le moindre numéro spécial, mais de plus il n’existe pratiquement aucun article sur des grands problèmes de santé publique ou sur des programmes rendant visibles une mobilisation particulière. L’interprétation peut en être double.
7La première conclurait que ce domaine ne semble pas avoir été jusqu’à cette date un sujet d’intérêt pour les comités de rédactions qui se sont succédé depuis la création de la revue, dominée par les questions sociales et d’organisation de la santé (sécurité sociale, hôpital, accès aux soins, etc.). La seconde, plus profonde, soulignerait que cette absence ne ferait que refléter la faiblesse de la santé publique en France. Entre 1946 et 1980, elle n’a pratiquement pas de support institutionnel identifié, tant en termes de recherche (l’INSERM ne sera créée qu’en 1964 en remplacement de l’Institut national d’hygiène et la place accordée aux unités d’épidémiologie et de santé publique restera durablement limitée) que d’action dont l’essentiel est concentré sur les vaccinations et la périnatalité. Les maladies connues à forte incidence, comme les maladies cardio-vasculaires et le cancer ne sont qu’exceptionnellement abordées par leurs facteurs de risque (comme le tabagisme pourtant identifié comme facteur de risque de cancer depuis les années cinquante).
8L’unique sujet qui a droit à un numéro spécial (supplémentaire) en 1981 porte sur la drogue. Au-delà du caractère prémonitoire du numéro, celui-ci fait un point essentiellement institutionnel, général et descriptif des acteurs et actions qui lui sont dédiées avec une place importante accordée à l’information du public et à l’éducation sous toutes ses formes. Si les auteurs d’un des articles (Bergeret et Mamelet, 1981) concluent par un constat déjà désabusé sur l’impact plus que limité de ces deux modes d’action, on peut s’interroger sur l’absence d’article portant sur leur évaluation, lacune qui restera une constante au cours des deux décennies suivantes.
9Le grand tournant qui marque le renouveau de la santé publique en France a lieu au début des années quatre-vingt sous la pression conjointe de l’irruption de l’infection à VIH-Sida et de ses conséquences sanitaires et sociales sur les usagers de drogue. L’émergence, imprévue, d’une maladie infectieuse transmissible et directement liée à certains comportements, rapidement identifiés comme facteurs de risque, va réveiller tout un secteur de la santé en mettant en lumière sa fragilité face aux besoins de connaissance nécessaire pour guider l’action publique. Mais pour autant, il faudra attendre la fin de cette décennie pour que paraisse le premier numéro consacré au sida. Ce décalage s’explique par le temps (perdu) que mettront les autorités sanitaires et politiques du pays pour prendre au sérieux cette nouvelle maladie infectieuse d’allure épidémique en engageant un véritable plan d’action en 1989.
C’est sous la forme d’un numéro hors série (qui décidément signe la saillance d’un sujet de santé publique) que le sida fait son apparition dans la revue en octobre 1990 (« Les années Sida »). Consacrer une section à ce numéro hors série paru huit ans après le début de la pandémie est indispensable pour essayer de rendre compte de la place que va tenir cette pathologie dans la santé publique et surtout des changements de toutes sortes qui en découleront.
Sida et nouvelle santé publique
10Quand en 1990 paraît ce numéro de la revue, le sida est devenu le plus important problème de santé publique, au point d’occuper en France l’ensemble de l’espace consacré à ce secteur, à l’image de la plupart des pays démocratiques développés. La composition du numéro, les auteurs qui s’y expriment et la diversité des sujets abordés reflètent assez fidèlement la magnitude du séisme et la multiplicité des espaces atteints par l’onde de choc de cette infection transmissible par voie sexuelle, sanguine et materno-fœtale. Tout d’abord, l’espace politique : une préface du ministre de la Santé et de la Protection sociale (Claude Évin), des contributions de plusieurs membres de son cabinet (B. Varet, 1990 ; J.-P. Jean, 1990) témoignent, certes de l’engagement politique (constante retrouvée dans la plupart des pays concernés), mais surtout de la nature politique du problème. Le sida n’affecte pas seulement les corps, certains corps, mais l’ensemble du corps social dans la plupart de ses rouages essentiels et à travers la menace qu’il fait peser sur tous ceux qui se trouvent ou se considèrent exposés. Autrement dit, le sida est le premier problème de santé publique où de façon distincte et interdépendante deux publics se trouvent concernés : les malades d’une part, qu’ils soient infectés par le virus du VIH ou atteints de sida et, d’autre part, les personnes à risque qui, à travers certains comportements, ont des probabilités plus ou moins élevées de se contaminer.
11L’innovation institutionnelle portée par le plan national de lutte contre le sida (1989) ne fait que refléter le besoin d’innovation que le sida met en évidence et qui va constituer l’enjeu politique irriguant l’ensemble des domaines concernés : le système de soins, la lutte contre la drogue, le droit et la législation, l’éthique et bien sûr la montée en première ligne de l’ensemble des acteurs de la santé publique (épidémiologistes, chercheurs en sciences de l’homme et de la société, économistes, etc.). Tous ces secteurs sont abordés dans ce numéro de la revue où malgré une dominante institutionnelle (propre à la revue) commencent à émerger des questions de recherche et des problématiques qui anticipent les défis à venir.
12Le renouveau de la santé publique n’est pas qu’institutionnel et programmatique, mais se traduit par la place centrale que prend d’emblée la lutte contre les discriminations et plus largement ce qui, à travers le respect des droits de l’homme, va devenir la référence éthique de la lutte contre le sida. La question du dépistage est posée à travers les différentes formes qu’elle pourrait prendre, faisant de cet acte biomédical le point de bascule politique entre les défenseurs d’une santé publique respectueuse des droits individuels et les tenants d’un dépistage orienté ou coercitif. C’est à travers cette polémique durable que les concepts de risque, de groupe à risque et de comportement à risque vont connaître une popularité jusqu’ici limitée à un petit cercle de spécialistes. Le public français découvre le risque à travers sa forme à la fois la plus effrayante et totalement nouvelle.
13Probablement, pour la première fois la revue s’ouvre à une description factuelle de l’épidémie par des chercheurs épidémiologistes (Laporte, 1990 ; Brunet, 1990 et Pillonel, 1990). Les rares articles du numéro qui portent sur la prévention (Serrand et Thiaudière, 1990 ; Jayle et al., 1990) essaient d’avancer des questions et des interrogations jusqu’ici inaudibles telles, la pertinence des formes d’information, le dosage entre information du public générale, ciblée ou de proximité, les difficultés de passer de la connaissance du risque aux changements de comportements, etc. Un article (D’Aubigny et al., 1990) rend compte de la méconnaissance et du besoin de connaissance des comportements sexuels, surtout des jeunes, de l’usage du préservatif, bref du besoin de fonder les programmes publics de prévention sur des connaissances à la fois larges (attitudes, croyances, sentiments) et directement déterminantes dans leurs impacts sur les comportements.
Seul un secteur reste étrangement absent : les contaminations post-transfusionnelles par le VIH et plus largement la question des conséquences iatrogènes (pourtant connues à cette date) de l’usage thérapeutique de produits humains. Certes, le sujet ne s’est pas encore installé dans l’arène médiatique et judiciaire, mais sa nature potentiellement polémique ne suffit pas à expliquer un tel silence qui contraste avec l’impact qu’aura ce problème sur tous les changements de notre système sanitaire au cours des années 1990 et 2000.
Naissance et croissance de la sécurité sanitaire
14Il faudra attendre 1996 pour trouver les premiers articles sur le risque et la sécurité sanitaire. Entre-temps, le séisme du sang contaminé aura laissé des traces profondes sous forme de multiples réglementations qui, à partir de 1992 vont tenter de répondre à ce nouveau besoin de sécurité sanitaire directement lié à l’exercice de la responsabilité politique. Deux premiers numéros rendent compte de ces bouleversements, l’un en 1996 (« Santé, responsabilité et décision : les enjeux du risque »), l’autre en décembre 1997 (« La sécurité sanitaire : enjeux et questions »). Si une telle profusion sur un sujet de santé publique contraste avec le quasi-désert qui dominait jusqu’au milieu des années quatre-vingt, elle peut se justifier par un double phénomène qui vient s’ajouter à l’actualité du drame du sang contaminé : un premier d’effet de rattrapage sur le concept de risque qui va se populariser et s’installer durablement dans le paysage sanitaire, tant professionnel que profane ; le second de nouveauté teinté de controverse autour du concept émergent de sécurité sanitaire.
15La revue va ainsi faire écho aux multiples interrogations, débats et polémiques qui resteront durablement attachés à l’un et à l’autre des termes. Qu’est-ce que le risque (Veltcheff, 1996) ? Qui en détermine la réalité ? Comment se conjuguent risque et vulnérabilité (Chanial et al., 1996) ? Quelles en sont les conséquences dans le système de soins (Grenier, 1996 et Bertrand, 1996) ? Quels publics viser une fois le risque identifié (Setbon, 1996), etc. ? Sur la sécurité sanitaire, l’ambiguïté domine : fait-elle partie de la santé publique ? Quels sont ses mécanismes et ses objectifs ? Annonce-t-elle le retour en force de la police sanitaire (Tabuteau, 1996). Le numéro de 1997 fait ainsi le point sur ce qu’elle est et sur la place qu’elle devrait tenir dans le système de santé, mais aussi sur ses formes concrètes que sont les vigilances, récemment institutionnalisées (Deloménie et Flahault, 1997) et les différents problèmes qui entrent dans le champ de la sécurité sanitaire : infections nosocomiales, qualité des soins, etc.
Malgré une certaine confusion justifiée par les difficultés à intégrer des objectifs génériques, des formes organisationnelles et des contenus scientifiques et opérationnels différents, la sécurité sanitaire va progressivement affirmer ses contours et s’ancrer durablement dans le paysage sanitaire français. Tant et si bien qu’un autre numéro de la revue lui sera en grande partie consacré en mars 1999 : les pouvoirs publics et la sécurité sanitaire. Alors que les dimensions réglementaires et institutionnelles avaient largement dominé dans le numéro de 1997, une plus grande place est ici accordée à la fois aux questions de fond portées par des chercheurs. Ce n’est probablement pas un hasard si deux d’entre eux, l’un dans le numéro de 1997 (Dab, 1997), l’autre dans ce dernier (Abenhaïm, 1999) s’y expriment comme des chercheurs spécialistes du sujet et occuperont tour à tour le poste de directeur général de la Santé. La sécurité sanitaire va devenir la préoccupation centrale de l’administration sanitaire française dont le fonctionnement et les changements se feront au rythme des crises (sanitaires) successives : maladie de la vache folle, amiante, SRAS, canicule, légionellose, etc. Le paradoxe, maintes fois souligné par certains, est que l’attention portée à ces risques relevant de la sécurité des produits à usage humain s’avère souvent inversement proportionnelle à la réalité de l’incidence de leurs effets sanitaires, laissant planer un doute quant à son efficience. C’est probablement ce qui la différencie de la santé publique, telle que définie en introduction : la sécurité sanitaire représente un devoir de nature régalien et la protection qu’elle implique s’affirme comme un droit à la fois global, permanent et sans distinction de niveau de vulnérabilité ou d’exposition au risque. La sécurité (sanitaire) se jouant en amont du risque, elle perd son référentiel rétrospectif (les effets adverses observés) pour se tourner résolument en direction des dangers dont l’identification suffira à rendre opérationnel le nouveau référentiel représenté par le principe de précaution. Son bras armé, les agences de sécurité sanitaire, vont progressivement occuper un vaste territoire, celui qui va du danger au risque à travers leur évaluation.
Expertise, politiques de santé et démocratie sanitaire
16L’attention portée au risque et à la sécurité sanitaire au cours de la décennie 1992-2002 n’a pas été sans s’accompagner d’un certain renouveau général de la santé publique, tant en termes de promotion de ses méthodes d’investigation que de volontarisme dans ses programmes d’action. Longtemps délaissé ou réduit à une incantation, le terme de « priorité de santé publique » émerge à nouveau, associé à celui de « politique de santé » sans la combinaison desquels le système de santé resterait prisonnier de conjonctures et de ses actions un simple produit de groupes de pression influents. Mais en même temps, la construction de priorités (sur quels problèmes mettre les ressources ?) et de politiques de santé (par quelles formes d’action les traduire ?) qui sont fondées sur la connaissance et sur l’expertise est confrontée à deux écueils bien connus : l’acceptabilité sociale et l’appropriation ou l’adhérence du public à ces choix. Le sida a ouvert la voie de la participation des malades et des groupes à risque, installant de façon irréversible, sinon la démocratie sanitaire elle-même, du moins la reconnaissance de son besoin et la recherche des formes capables de lui donner vie. C’est le thème du numéro (spécial) d’avril-juin 2000 (« La démocratie sanitaire ») qui, une fois n’est pas coutume, se fait l’écho en temps réel des premières tentatives de forum démocratiques sur les questions de santé publique.
17Dans ce numéro de la revue, la démocratie sanitaire est abordée à partir de plusieurs entrées. Tout d’abord, par celle des priorités de santé publique que les successifs Hauts Comités de la santé publique ont érigées depuis 1994 en ardents objectifs. Deux articles lui sont consacrés : l’un pour rendre compte du processus d’implication et de participation du public (« Conférences nationale et régionales de santé, États généraux de la santé ») qui représente une première tentative de validation et de critique des choix élaborés sur la base d’expertises (Collin, 2000). Si, conformément aux textes, le dialogue entre experts, professionnels et usagers du système de santé a bien eu lieu, l’auteur s’interroge sur le flou qui entoure son produit final : fonction consultative, voire forum d’information ou/et fonction exécutive ? Peu d’éléments permettent encore à ce jour de trancher. Le second article (Garros, 2000) pose frontalement la question des finalités de la démocratie sanitaire : les priorités de santé publique, concept mal défini en France, peuvent-elles être une coproduction entre experts et profanes ou bien l’objectif de la démocratie sanitaire en action n’est-il que de renforcer la transparence des choix établis sur certains critères (experts) afin d’en faciliter l’appropriation par le public ? La loi de santé publique de 2004 qui concrétisera formellement la programmation des priorités n’apportera pas de réponse à cette question, faute d’avoir clairement fixé les ambitions et les limites de ces consultations.
L’information des usagers est la seconde entrée (Letourmy et Naiditch, 2000, d’une part, Moujmid-Fardjaoui et Carrère, 2000, d’autre part), même si là il s’agit plus de l’information des patients, tant en termes d’activité et de performance des établissements ou des professionnels de santé, qu’en matière de décision médicale éclairée. Troisième entrée, celle présentée d’un côté par H. Khodoss (Khodoss, 2000) sur la nécessité de transcrire sur un plan législatif les « nouveaux droits des malades », réflexion qui prépare la loi du 4 mars 2002 du même nom, et celle de R. Chabrol qui remet au cœur de la démocratie sanitaire la question de l’évaluation des pratiques et des politiques de santé. À juste titre nous semble-t-il, tant la nécessité d’évaluation représente la clé sans laquelle, information codécision et participation ne restent que des dispositifs atrophiés et rhétoriques, incapables d’éclairer les usagers-citoyens sur les sujets qui concernent leur santé.
Conclusions
18Bien que la RFAS ne soit pas une revue de santé publique et que ce champ ne semble pas faire partie de son territoire fondateur, ce sujet s’est imposé comme indissociable des autres questions et enjeux strictement sociaux. À travers un rapide survol de soixante ans de publications, la revue a, en fait, globalement reflété, à la fois la place de la santé publique en France et les grands problèmes auxquels elle a dû faire face aux étapes de sa (re)naissance ou de sa croissance. En s’affirmant comme l’objet de choix et de responsabilité politique, la santé publique est devenue un enjeu social de premier plan auquel s’est ouverte la revue.
19La seconde évolution dont rend compte ce survol, porte sur les approches selon lesquelles la santé publique a été abordée au cours de ces soixante années. La première période (1945-1985) en illustre une approche strictement institutionnelle : les instruments administratifs et les découpages territoriaux semblent plus préoccupants que les analyses de problème de santé publique et les contenus des programmes. On peut y voir une marque de jeunesse ou on peut l’interpréter comme une absence d’identité, source de confusion et de faiblesse, tant de la santé publique que de sa présence dans la revue. La seconde période (1985-2006), qui est celle de la montée en puissance de la santé publique en réaction à des événements auxquels elle n’était pas préparée, s’affirme comme plus soucieuse des questions soulevées, des contenus et des finalités de l’action en santé publique. La revue en a été le témoin attentif, sinon fidèle.
Le dernier point de conclusion est que la revue, en s’ouvrant à la santé publique, à la logique de ses méthodes et de ses objectifs, a ouvert ses colonnes à un nouveau public de chercheurs, d’enseignants et de responsables de programme qui a renouvelé celui, traditionnel, de ses auteurs institutionnels. On pourrait n’y voir là qu’un simple souci de cohérence, mais cette ouverture est aussi, sans aucun doute, l’expression d’un profond changement.