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Introduction

1 La régulation de la demande de soins non programmés suscite actuellement, dans la plupart des pays d’Europe, des réflexions, voire des réformes d’ampleur qui visent à prendre en compte les évolutions des modes d’exercice des médecins et à atténuer certains des dysfonctionnements des systèmes actuels de permanence des soins.

2 D’une part, la féminisation de la démographie médicale et ses conséquences sur le temps de travail, la désaffection des zones géographiques retirées peu attractives en termes de qualité et d’insertion professionnelle pour les conjoints, ou encore l’aspiration à une certaine liberté de choix en matière de participation aux contraintes de garde conduisent à remettre en cause le fonctionnement traditionnel de la permanence des soins. Celle-ci représente naturellement une part importante de l’activité des médecins et se trouve être l’une des pierres d’achoppement des négociations dans la mesure où son fonctionnement est largement conditionné par les modes de régulation et les caractéristiques de la démographie médicale.

3 D’autre part, la demande de soins non programmés tend à s’accroître, principalement en raison de facteurs démographiques et socioculturels, mais aussi épidémiologiques. Cette tendance renforce dans tous les pays le rôle des soins primaires de permanence comme point d’entrée dans le système de santé.

4 Plus précisément, la permanence des soins renvoie à l’organisation mise en place par les pouvoirs publics (et éventuellement les professionnels de santé) afin de répondre par des moyens structurés, adaptés et coordonnés aux demandes de soins non programmés par un patient, à savoir en période de fermeture des cabinets médicaux et des centres de soins primaires. Cette permanence doit être effective sur l’ensemble d’un territoire, bien que ses modalités d’organisation puissent dépendre des caractéristiques géographiques et démographiques de la région et de sa densité médicale et paramédicale. Elle peut prendre une forme aussi bien libre qu’être une figure imposée au corps médical [1]. Bien souvent, l’organisation de la permanence des soins est cogérée localement avec la profession médicale et implique un grand nombre d’offreurs de soins : professionnels de santé, centres de soins primaires, services d’urgence hospitaliers, services d’aide médicale urgente,…

5 L’efficacité de la permanence des soins peut être appréciée selon une double dimension : d’une part, la capacité à répondre dans les meilleurs délais par des soins de qualité aux demandes non programmées des patients ; d’autre part, la capacité à produire les services attendus en minimisant les coûts de production, qu’ils résultent directement du fonctionnement du système (paiements compensatoires des médecins, références ou recours abusifs aux soins secondaires et encombrement des urgences…) ou indirectement, en raison d’une absence de la continuité des soins et de partage des données relatives à l’histoire clinique du patient.

6 Par ailleurs, l’équité du système de permanence suppose une accessibilité aux soins primaires égale en tout point pour l’ensemble des usagers [2].

7 Enfin, et surtout, les enjeux de la permanence des soins primaires dépassent souvent les seuls objectifs d’efficacité et d’équité géographique d’accès aux soins, dans la mesure où il s’agit également d’un instrument potentiel de lutte contre les inégalités sociales de santé (Couffinhal et al., 2005).
Dans les pays européens, la permanence des soins est une organisation étroitement liée à l’architecture institutionnelle du système de santé. Les modes de régulation de la demande de soins non programmés sont donc assez spécifiques, même s’ils s’articulent autour de principes et d’objectifs communs. L’objet de cette contribution est de s’interroger sur une éventuelle convergence des modèles alternatifs de régulation de la demande dans quelques-uns des pays retenus : Allemagne, Espagne, France, Italie, Grande-Bretagne et Suède (cf. encadré 2). La première partie de l’article présente les modèles traditionnels de régulation de la demande de soins non programmés mis en place dans les pays et leurs éventuelles limites. La deuxième partie est consacrée aux nouvelles formes d’organisation de la permanence des soins et notamment à l’émergence probable d’un modèle commun, largement soutenu par les nouvelles technologies de l’information et de la communication et la capacité des systèmes de santé à concevoir de nouveaux rôles professionnels, à responsabiliser la demande de soins et à confronter régulièrement son fonctionnement à une évaluation économique [3].

Encadré 1 : Cette étude a été réalisée avec la collaboration de :

Ariadna Garcia Prado et Eunate Mayor, (université publique de Navarre, Espagne) :
David Heaney, (université d’Aberdeen, Écosse) ;
Björn Lindgren (université de Lund, Suède) ;
Sophia Schlette (Fondation Bertelsmann, Allemagne) ;
Paolo Tesdeschi et Davide Galli (université Bocconi de Milan, Italie).

De la régulation traditionnelle de la permanence des soins…

8 La régulation de la demande de soins non programmés représente en Europe un volet important des réformes récentes visant à améliorer le fonctionnement des systèmes de santé. L’équation entre l’efficacité de la permanence des soins et l’évolution de la démographie médicale peut être particulièrement difficile à résoudre dans les pays caractérisés par des inégalités territoriales de la densité de médecins : il convient non seulement de les inciter à s’installer dans les zones déficitaires (ou à y rester), mais encore de concevoir les dispositifs de permanence des soins ad hoc. Les formes actuelles d’organisation de la permanence des soins sont donc étroitement liées à la conception du rôle des médecins, qu’il s’agisse des études médicales (mode et secteur d’entrée sur le marché du travail), des modalités d’installation (libres ou contraignantes) ou encore de l’articulation éventuelle de l’offre des médecins de soins primaires et secondaires (notamment la présence ou non d’un médecin gate-keeper).
C’est pourquoi deux formes d’instruments de régulation peuvent être distinguées : d’une part, l’action en amont visant à inciter les offreurs de soins à s’installer dans les zones sous-desservies, ne concernant que les pays confrontés à une inégale répartition de leurs ressources en médecins [4] ; d’autre part, les instruments traditionnels d’organisation de la permanence des soins – soit alternativement une obligation, une incitation ou une délégation à participer à ces services.

Encadré 2 : Méthodologie

Le choix de ces pays a été motivé non seulement par la gradation assez représentative de leur organisation combinant plus ou moins l’assurance sociale et le service national de santé, mais encore par l’actualité de la réforme des soins primaires et de la permanence des soins.
Cette comparaison repose sur une méthode originale dans la mesure où, au delà de la collecte classique de données institutionnelles, une grande partie des données qualitatives a été obtenue à partir d’entretiens semidirectifs menés auprès d’une dizaine d’acteurs (professionnels de santé, financeurs et usagers) dans chacun des pays, mettant ainsi en lumière les articulations entre l’offre de soins en ville et à l’hôpital, les réticences éventuelles et les comportements des médecins, les modalités d’incitation (ou d’obligation) et les dispositifs spécifiques en place visant à assurer la permanence des soins primaires.
La comparaison internationale a donné lieu à un rapport d’étude pour la Direction de la Sécurité sociale (Ulmann, Hartmann, Rochaix et al., 2005), dont les principaux résultats sont ici présentés.

Les modèles traditionnels d’organisation de la permanence des soins

Cogestion entre offreurs de soins et assurance publique de la permanence des soins en Allemagne, en Espagne et en France et modèle des tours de garde

9 En Allemagne, en Espagne et en France, la permanence des soins est une prérogative des autorités régionales comprenant les corps autonomes régionaux de médecins de ville, voire locales comme cela est généralement stipulé dans le cadre réglementaire national. Les zones et tableaux de garde sont déterminés par les organisations professionnelles de médecins qui doivent garantir un accès permanent aux soins primaires pendant et en dehors des horaires normaux de pratique. De ce fait, tout médecin libéral relevant de l’assurance sociale en Allemagne (localement, l’association régionale de médecins, Kassenärztliche Vereinigung, KV) ou encore tout médecin employé sous le contrat de service public de base en Espagne, a une obligation de participer à l’offre de services de permanence des soins. En France, cette participation est désormais volontaire depuis 2005, le Conseil départemental de l’ordre des médecins (CDOM) organisant les gardes. Toutefois, le préfet a la possibilité de réquisitionner des médecins en cas d’incomplétude du tableau de garde.

10 En Espagne, la permanence des soins est garantie par une organisation spécifique à chaque Région autonome, ayant sa propre législation définie dans le cadre de la loi de cohésion et de qualité du NHS, et avec la participation des professionnels de la santé. Toute région doit être subdivisée en zones de santé (200 000 à 250 000 habitants), puis en zones de santé de base de 5 000 à 25 000 habitants, qui doivent comprendre un centre de soins primaires, en principe localisé de telle sorte à l’atteindre en moins de trente minutes. De ce fait, on observe une variabilité entre régions des mécanismes conçus pour organiser la permanence des soins en lien avec les services d’urgence hospitaliers, de même qu’une grande variabilité des niveaux de paiements horaires des heures de permanence (lorsque celles-ci ne sont pas comprises dans le contrat de travail, ce qui est un cas particulier), puisque certains modes de rémunération reposent sur un système de tranche horaire de garde tandis que d’autres sont définis sur un taux horaire. Dans le cas général, le médecin assurant ses fonctions dans le service public s’est engagé par contrat à assurer 50 heures de garde par mois, dont 12 durant le week-end. Dans les services de soins primaires de permanence sont accessibles l’offre médicale de soins en médecine familiale, pédiatrie, gynécologie et psychiatrie, ainsi que des services infirmiers. Les gardes sont obligatoires pour les médecins de soins primaires, mais, dans certains cas, elles peuvent être optionnelles. Tout médecin fonctionnaire (soit la quasi-totalité des médecins) doit en principe assurer un minimum de garde de 50 heures par mois, dont 12 durant le week-end.
Les modèles allemand et français sont assez similaires. En France, les périodes de garde sont relativement plus courtes qu’en Allemagne, en raison d’un temps de travail régulier hebdomadaire plus long (les médecins libéraux étant toutefois libres de fixer les horaires d’ouverture de leur cabinet), ces services pouvant indifféremment être assurés par des médecins généralistes ou des spécialistes et faisant généralement l’objet d’une rémunération forfaitaire. Il n’existe pas de système unique de permanence des soins, les adaptations régionales ad hoc tenant compte des besoins locaux, de la configuration géographique et, pour l’Allemagne, des lignes politiques définies par chaque État ainsi que de l’organisation antérieure à la réunification [5]. Plusieurs modèles peuvent être définis, ces modèles étant parfois superposés :

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  • le système conventionnel de garde : il s’agit d’un système de tours de garde, obligatoires en Allemagne et volontaires en France, le roulement ayant été fixé par un zonage concernant l’ensemble des médecins ambulatoires ;
  • les « maisons médicales de garde » françaises ou le « système urbain » allemand : des soins sont proposés dans certains points de première urgence en ville, les services étant soit offerts par des médecins libéraux dans le cadre de leur tour de garde, soit par des médecins hospitaliers en contrepartie de forfaits, soit enfin par des médecins employés exclusivement dans ces services ;
  • le service des urgences hospitalières (en accès direct).
L’indemnisation des gardes prend des formes variées en Allemagne selon les cadres adoptés par les Länder, et une forme complexe en France associant des paiements horaires pour les médecins régulateurs, des majorations pour les actes effectués, un paiement des astreintes selon un système de tranche horaire. Quel que soit le modèle prévalant en matière de permanence des soins, la procédure habituelle est la mise à disposition d’un numéro d’urgence joignable à toute heure et une offre de services allant du conseil téléphonique aux visites à domicile ou en cabinet, ou la mise en relation avec les urgences préhospitalières. En raison du caractère fragmentaire d’une telle organisation, on peut observer des dysfonctionnements du système de permanence en dépit d’une densité médicale relativement élevée par rapport aux standards européens et des distances d’accès aux hôpitaux assez réduites. Des difficultés sont également rencontrées en zone rurale, par les médecins généralistes pour lesquels le système des gardes représente une lourde charge de travail. Par ailleurs, un tel système est générateur de surcoûts (cf. infra).
Dans les cités importantes des trois pays, des médecins participent volontairement aux gardes – voire travaillent exclusivement dans ce cadre – et constituent une association à laquelle une partie de la permanence des soins est sous-traitée, cette association pouvant être privée (Allemagne, « SOS médecins » en France) ou publique (Espagne).

Gestion publique régionale de la permanence des soins en Suède et modèle du centre de soins primaires d’urgence régional

12 En Suède, la permanence des soins relève de la responsabilité du Conseil de comté exclusivement et les représentants des professions (tels que, par exemple, l’Association médicale suédoise), ne jouent pas de rôle dans la garantie de la permanence des soins. Les procédures sont fixées libement par chaque Conseil de comté en ce qui concerne la gestion des appels de patients et de l’utilisation des NTIC (Nouvelles Technologies de l’information et de la communication). L’organisation de la permanence des soins est toutefois contrainte par les règles professionnelles régissant l’activité des médecins, qui assurent officiellement une activité hebdomadaire de 40 heures par semaine. Toute activité assurée au-delà de 17 heures les jours de semaine est évaluée en heures supplémentaires et rémunérée selon un forfait horaire, mais on doit noter que les heures de garde assurées au centre de soins primaires sont strictement limitées. De plus, les visites à domicile sont rares. La population doit habituellement attendre l’ouverture du centre de soins primaires, s’adresser à un service d’urgence hospitalier ou s’adresser à un médecin du secteur privé (moyennant une dépense à sa charge). Tous les médecins employés par le secteur public dans les soins primaires (ainsi que les spécialistes) participent à la fourniture de services de permanence des soins, de manière obligatoire (pour les médecins du secteur privé – qui sont une minorité – tout dépend du contrat avec le Conseil de comté). Depuis quelques années, un maillage des soins a permis d’en assurer une meilleure coordination, notamment par l’introduction d’une hiérarchie dans le recours aux soins : centres de soins primaires, centres de soins primaires d’urgence (soins généralement offerts par des médecins généralistes, à raison d’une à deux gardes par mois), unités d’urgence hospitalières (soins de spécialistes). Chaque unité de soins primaires d’urgence dessert habituellement 10 à 15 centres de soins primaires. Le nombre de visites représente environ 8 % du total des visites aux soins primaires en 2004. Ce nombre a diminué au cours des dernières années dans tous les comtés de Suède, probablement en raison de l’institution des centres d’appels d’information sur la santé [6].

Délégation de la permanence des soins et modèle de la profession médicale dédiée en Italie

13 En Italie, l’autorité locale de santé doit garantir un accès permanent à des soins de médecin généraliste, la disponibilité des médicaments et du matériel nécessaire ; elle fournit également des cabinets, des équipements sanitaires et des voitures de service. L’organisation de la permanence des soins est définie dans chaque région par des lois et accords où les représentants des professions ont un rôle actif à jouer : services et tours de garde, norme en termes de force de travail et règles de substitution. Lors des heures régulières, les soins sont fournis par des médecins généralistes ; puis un relais est assuré par les médecins de permanence des soins (medici di continuità assistenziale) les nuits, week-ends et jours fériés, un service d’urgence permanent 24/24 (118), un service d’ambulances et les services hospitaliers d’urgence. S’ils le souhaitent, les médecins généralistes peuvent également être impliqués dans la permanence des soins : ils disposent alors de deux contrats distincts (dont un de 24 heures minimum hebdomadaires). Le médecin de permanence des soins est généralement payé sous la forme d’un forfait horaire selon une nomenclature régionale : le revenu brut annuel moyen est de l’ordre de 30 000 à 50 000 euros, soit un niveau relativement bas comparé aux médecins généralistes. Loin de la figure d’un médecin urgentiste, le médecin de permanence des soins italien ne bénéficie pas d’une grande reconnaissance et les postes ont un fort turn over : le médecin n’a pas suivi de formation spécifique, a un diplôme de médecin généraliste (voire de spécialiste) et exerce cette fonction durant cinq à huit ans après la fin des études avant de pouvoir s’installer. Lorsqu’il reçoit un appel en situation de permanence, le médecin suit des protocoles ; s’il rend visite au patient (ou l’inverse), il lui remet un feuillet qui devra être transmis au médecin traitant. Ses prescriptions sont valables pour une courte durée et nécessitent une confirmation auprès du médecin généraliste traitant. Dès réception de l’appel, le médecin de permanence des soins décide d’orienter le patient au point de première urgence, de lui rendre visite ou de lui délivrer des conseils par téléphone. Chaque cabinet de permanence des soins dispose d’un numéro de téléphone particulier et il n’existe pas de centre d’appels unique pour les cabinets du districts ou de l’autorité locale de santé, d’où la différence avec le système de première urgence qui dispose d’un centre d’appel (118).

Tableau 1

Cadre et pilotage de la permanence des soins

Tableau 1
Organisation contractuelle Niveau de régulation de la permanence des soins Financement de la permanence des soins Règles de fonctionnement Allemagne Cadre légal : Code social, adapté par les Länder, et notamment les associations régionales de médecins KV. Durée habituelle : 12 h les lundis, mardis et jeudis ; 18 h les mercredis, vendredis et le jour précédant un jour férié ; 24 h les samedis, dimanches et jours fériés. Le Länderausschuss: comité régional fixant les tableaux de garde pour chaque district. Variations importantes inter – et intra-Länder (forfaits hors budget, inclus dans le budget, fixes ou salaires, sous-traitance). Variation importante des dispositifs de permanence entre Länder. Coexistence de plusieurs systèmes plus ou moins coercitifs pour assurer la permanence des soins. Accès libre, copaiement possible. Espagne Cadre légal : loi de cohésion et de qualité du NHS, adaptée par les Régions autonomes. Durée habituelle : service régulier de 8 h à 15 h ; de 15 h à 20 h permanence ; à partir de 20 h permanence ou service hospitalier. La Région autonome, selon un découpage par zones de base (selon des critères de zonage bien définis). Salaire horaire défini pour les médecins de permanence (dans le contrat de travail spécifiant 50 h de garde mensuelles, ou par tranche horaire de garde, ou par taux horaire) et pour les infirmières de permanence (consultations téléphoniques). Variation importante des dispositifs de permanence. Entre Régions autonomes. Accès libre et gratuit ; copaiement envisagé. France Cadre légal : code de la Santé publique, appliqué nationalement. Durée habituelle : de 20 h à 8 h pour les nuits du lundi au vendredi et de 22 h à 8 h du jour suivant ouvré durant un week-end ou un jour férié. Le Département, par le biais du Conseil départemental de l’ordre des médecins, selon un découpage en secteurs. Paiement horaire pour les médecins libéraux régulateurs. Paiement des astreintes pour les médecins de permanence (par tranche horaire de garde), majorations spécifiques des actes. Service téléphonique, visites à domicile ou consultations. Accès régulé, copaiement possible. Italie Cadre légal : Accord national DPR, accords multi-niveaux entre les services publics (régions et ELS) et associations professionnelles et syndicats médicaux. Adaptation au niveau local. Durée habituelle : de 20 h à 8 h pour les nuits du lundi au vendredi et de 22 h à 8 h du jour suivant ouvré durant un week-end ou un jour férié. Le District, qui emploie des médecins de permanence des soins. Mode de rémunération spécifiquement conçu pour les médecins de permanence des soins. Permanence directe ou téléphonique, protocolisée. Continuité avec le MG (intervention ponctuelle). Accès libre et gratuit à l’un des points d’assistance. Royaume-Uni Cadre légal : Contrat General Medical Service, adapté au niveau régional. Durée habituelle : après 18 h 30 tous les jours de la semaine ; samedis, dimanches et jours fériés. Les Autorités de santé, responsables de la sécurisation de la permanence des soins. Liberté des GPs de s’engager dans un dispositif de permanence des soins. Salaire horaire. Services de consultation téléphonique pour l’essentiel. Continuité des soins avec transmission des informations au MG1 du patient. Accès régulé et gratuit. Suède Cadre légal : Acte des soins de santé suédois. Adaptation au niveau local. Pas de rôle actif de l’Association médicale suédoise. Durée habituelle : après 17 h tous les jours de la semaine ; 24 h samedis, dimanches et jours fériés. Le Conseil de comté, qui a la charge de la planification de la force de travail. Accord national : un service de garde de base est inclus dans la charge de travail (récupérable en heures régulières : 1 heure PS contre 2 heures de TR). Accord local : Salaire horaire pour heures supplémentaires assurées par les MG1. Gardes limitées au centre de soins primaires. Consultations téléphoniques. Accès régulé, copaiement possible. 1 MG : médecin généraliste

Cadre et pilotage de la permanence des soins

Gestion publique régionale et modèle de la délégation de service au Royaume-Uni

14 Depuis le début de l’année 2005 [7], les Autorités de santé ont la responsabilité de la conception, du recrutement et du fonctionnement des services de permanence des soins dont le cadre est donné par le récent contrat General Medical Services (GMS). Ce contrat donne aux médecins généralistes, pour la première fois, la possibilité de se désengager de la responsabilité de permanence des soins pour les patients inscrits sur leur liste. Dans les zones où les médecins choisissent cette option, les Autorités régionales de santé achètent les services de médecins généralistes saisonniers ou salariés à court/moyen terme afin d’assurer la permanence des soins à dépense donnée, mais étudient également la façon dont les modes de fourniture des soins peuvent évoluer sur le long terme. Par conséquent, bien plus que d’être contraints de fournir un service, les médecins généralistes sont incités à rester dans le dispositif de permanence des soins, en qualité de contractants de l’Autorité de santé. En Angleterre, certains médecins généralistes choisissent de rester dans le dispositif de la permanence des soins. En Écosse, en revanche, presque tous les médecins généralistes – excepté ceux des zones les plus reculées – ont choisi de se désengager de cette responsabilité. Les associations de permanence des soins de médecins généralistes cessent d’exister et les Autorités de santé développent des modèles alternatifs de soins. Actuellement, les schémas en Écosse consistent à proposer aux médecins généralistes entre 72 et 115 euros par heure pour assurer ces remplacements [8] et il est encore trop tôt pour apprécier le pouvoir incitatif de ces niveaux de rémunération.

15 Remarquons toutefois que les médecins généralistes bénéficient de niveaux de rémunération assez élevés pour assurer des services de permanence des soins dans les zones urbaines : entre 50 et 80 livres sterling par heure (soit entre 74 et 118 euros de l’heure). Les médecins généralistes salariés de permanence des soins, travaillant habituellement dans une coopérative, sont payés entre 80 000 et 100 000 livres sterling par an (soit entre 118 000 et 147 000 euros, contre 100 000 euros en moyenne pour les autres médecins généralistes). Ces remplacements sont appréhendés comme une « délégation de services » et elle a jusqu’à présent fonctionné dans les zones urbaines du Royaume-Uni.
Si ces différents formes traditionnelles d’organisation ont permis jusqu’à présent d’assurer la permanence des soins, il semble que ce ne soit plus toujours le cas, comme en France. En outre, ils n’assurent pas toujours la satisfaction des usagers et peuvent générer des surcoûts conséquents

Les limites des modèles traditionnels

Une instrumentalisation de la régulation physique peu probante

16 On ne peut appréhender le fonctionnement de la permanence des soins indépendamment de la localisation géographique des médecins. À ce titre, différents outils relatifs à la régulation physique des médecins sont mobilisés, soit pour les attirer dans les zones retirées (afin de réduire la pression pesant sur les médecins en place), soit pour les inciter à participer au dispositif de permanence des soins (moyennant, le plus souvent, des rémunérations avantageuses). Toutefois, la mobilisation d’outils de régulation physique pour mieux répartir les médecins sur le territoire et donc favoriser une organisation plus équitable de la permanence des soins entre offreurs au moins à court terme n’aboutit qu’à des résultats très mitigés en Allemagne, en France et au Royaume-Uni. En effet, l’efficacité des incitations financières et non financières visant à attirer les médecins généralistes dans les zones déficitaires est très limitée, notamment dans ces pays où le niveau de revenu des médecins est relativement élevé. Les arbitrages réalisés par les médecins entre la qualité de vie accessible en grande zone urbaine et les incitations financières ou en nature se font à l’évidence en faveur de celle-là. En dépit des avantages parfois concédés aux médecins en zones rurales, ils y renoncent donc ou n’acceptent qu’à court terme les délocalisations.

17 Si ces résultats ne dispensent évidemment pas de poursuivre l’objectif d’une plus grande équité géographique en matière d’offre de soins, ils doivent amener impérativement à repenser d’autres formes d’organisation de la permanence des soins, à défaut d’adopter une politique coercitive de localisation.

Une substituabilité des services médicaux sur la sellette

18 Les compétences des offreurs de soins en situation de permanence ne paraissent pas toujours adaptées pour améliorer la qualité des soins et l’efficience des dispositifs : ce constat résulte du modèle des tours de garde en Allemagne et en France où peuvent se substituer indifféremment généralistes et spécialistes ; il est également évoqué dans le cas de la situation italienne, où les médecins de permanence des soins sont confrontés à leur première expérience professionnelle d’exercice classique de la médecine générale. Dans les trois pays, la possible inadéquation des compétences des médecins, soit hautement spécialisés, soit insuffisamment expérimentés au sortir de la formation, peut déboucher sur une inadaptation des traitements au besoin et sur des références hospitalières excessives.

19 Plus globalement, tous les pays de l’étude sont confrontés soit au manque de personnel, soit au défaut de compétences (trop souvent ceux qui assurent la permanence sont de jeunes remplaçants), et donc à des moyens inadaptés pour assurer la permanence des soins. Dans certains pays, le statut de médecin de permanence à part entière a parfois été créé comme en Italie, ou est devenu de fait comme en Espagne, un moyen pour absorber les médecins qui n’ont pas été reçus aux concours publics donnant accès à un poste dans la fonction publique hospitalière ou en centre de soins. Dès lors, ces professionnels sont très mal perçus : jeunes, faible qualité, turnover important, peu d’investissement personnel. En tout cas, tous réclament plus de reconnaissance de l’activité de permanence avec des formations adaptées, une coordination avec les autres secteurs, des rémunérations et des statuts revalorisés.

Un mésusage du système de permanence des soins

20 Une information insuffisante auprès des patients quant au comportement à suivre en cas d’accès aux soins en situation de permanence peut les conduire naturellement à un mésusage du système de soins ou encore à le surutiliser s’il constitue un moyen de contourner les inconvénients de l’accès régulier aux soins (par exemple dans le cas des files d’attente), ce que peut encourager la gratuité des soins et l’absence de sanction (Espagne, Italie).

21 Les expériences étrangères démontrent largement le rôle que peut avoir l’information du patient dans son recours aux soins et donc dans le succès de la coordination ville/hôpital. A priori la connaissance du système de permanence des soins et de son accès est variable. Les problèmes de recours systématiques aux urgences hospitalières semblent moins importants au Royaume-Uni et en Suède où les populations sont un peu mieux informées et surtout plus responsabilisées dans l’ensemble.

Un système de permanence des soins à deux vitesses

22 Le recours à la sous-traitance des services de permanence – quand il est de nature privée auprès d’organismes à but lucratif – peut être considéré comme source d’inéquité entre les patients, surtout si les copaiements sont assez élevés (Allemagne, France), et parfois générateur de surcoûts (visites à domicile) pour le financeur. En Suède, un tel système a été ainsi abandonné en dépit de sa popularité en raison du caractère considéré comme superflu des visites à domicile de médecins généralistes privés (dans un système essentiellement public).

Une fragmentation des soins inefficace

23 La principale critique opposée aux organisations actuelles de la permanence des soins dans l’ensemble des pays est celle d’un défaut de coordination entre les soins ambulatoires et les soins hospitaliers, qui devraient idéalement fonctionner comme un système unique. L’absence de centralisation des appels et de coordination entre les différents offreurs de soins d’urgence conduit en effet à une grande fragmentation des soins et donc à une offre de services peu pertinente : la continuité des soins n’est pas nécessairement assurée. La plupart du temps, le médecin en charge de la permanence ne connaît pas le devenir du patient qu’il a traité ; le médecin traitant ne sait pas toujours que son patient a consulté les services de permanence. L’absence de coordination résulte essentiellement du défaut de partage de l’information.

24 Par ailleurs, en Allemagne et en France, la séparation forte entre médecine de ville libérale et secteur hospitalier ne facilite pas la coordination, pourtant essentielle entre soins ambulatoires et hospitaliers. En France, la sectorisation repose aujourd’hui encore implicitement sur l’idée selon laquelle les services de ces deux secteurs seraient substituables, alors même que cette conception apparaît largement dépassée dans des pays comme le Royaume-Uni ou la Suède, qui mettent en avant au contraire la complémentarité de tels services. Là encore, tout rapprochement (notamment par une harmonisation des modes de tarification, mais pas seulement) serait bénéfique à une conception plus globale et plus intégrée de la mission de permanence des soins.

Une dérive des coûts potentielle

25 Dans les pays où l’on a tenté de rendre attractive l’activité de permanence des soins auprès des professionnels de santé (Allemagne, France), une dérive des coûts est observable, liée à la juxtaposition de divers transferts monétaires à visée incitative. Outre l’absence de lisibilité de ces mesures, le rapport entre le coût et l’activité de permanence des soins révèle un coût de revient important notamment en « nuit profonde », c’est-à-dire sur la tranche horaire de minuit à 8 heures du matin. Ce problème d’efficience conduit à s’interroger sur la pertinence d’un traitement médical des soins, dans la mesure où un traitement hospitalier rémunéré sur la base d’une tarification à l’activité pourrait s’avérer bien moins coûteux pour le financeur de la permanence des soins.
De nouvelles formes d’organisation de la permanence des soins prennent le pas sur les modèles traditionnels, ces formes étant plus ou moins abouties selon les pays, qui ont plusieurs caractéristiques communes. L’évolution du système de permanence des soins est notamment soutenue par l’uniformisation des législations, des plateformes et du projet de carte e-santé européennes.

… aux nouvelles formes d’organisation de la permanence des soins

26 Au regard des expériences européennes, un modèle de permanence des soins présentant des caractéristiques proches semble se dessiner, qui pourrait permettre de mieux concilier les contraintes relatives à l’activité des médecins et les objectifs d’efficacité assignés au système d’offre de soins primaires. Ce modèle, fondé sur le fonctionnement d’un centre d’appels unique, repose sur la centralisation et le triage des appels en situation de permanence des soins, voire continûment. Si son développement semble plutôt avancé au Royaume-Uni et en Suède, il n’est encore qu’à l’état d’ébauche en Allemagne, en Espagne, en France et en Italie.

Gestion intégrée de la permanence des soins et modèle du centre d’appels unique

27 La création d’un centre d’appels unique couvrant des zones prédéterminées est une initiative qui tend à se développer en Europe. Son bon fonctionnement semble subordonné à la satisfaction de quatre principales conditions : la mise en place des instruments permettant d’assurer un partage de l’information relative aux données cliniques retraçant l’histoire médicale du patient et, ainsi, la continuité des soins ; un partage d’activité qui peut être mobilisé pour assurer le triage des patients ; une responsabilisation de la demande en amont prenant la forme d’une diffusion de l’information ; une évaluation régulière des services de permanence des soins.

Partage de l’information et continuité des soins

28 Le fonctionnement du modèle intégré de permanence des soins suppose tout d’abord une coordination aboutie des soins hospitaliers et des soins de ville, et notamment la gestion des relations entre les centres de soins primaires (ou groupes de médecins), les centres de soins primaires d’urgence (ou points d’assistance), les centres d’appels et les services hospitaliers des urgences. La continuité des soins est généralement encouragée à travers le recours au même médecin généraliste mais, dans le même temps, la période de permanence des soins ne peut pas, bien entendu, garantir la pérennité de cette relation. Cela dit, tous les pays s’accordent à affirmer leur volonté de partager les informations concernant le patient dans des équipes intégrées pour une meilleure continuité des soins. Ainsi, certains d’entre eux ont conçu des incitations à titre individuel et/ou collectif afin de favoriser la création de formes associatives diverses, monodisciplinaires ou pluridisciplinaires – notamment les cabinets de réseaux où l’information concernant l’histoire clinique des patients est partagée – susceptibles d’apporter des réponses structurelles à la permanence des soins et de conduire ainsi à une meilleure coordination entre soins primaires et soins secondaires (avec, en particulier, un désengorgement des urgences hospitalières).

29 Dans certains systèmes nationaux de santé, le médecin généraliste peut bénéficier d’un retour d’information en cas d’accès de son patient en dehors des horaires réguliers d’ouverture du cabinet. Au Royaume-Uni par exemple, le médecin généraliste du patient est généralement informé, par télécopie le lendemain matin, que son patient a reçu une visite à domicile, s’est rendu dans un centre ou a été admis à l’hôpital. Il est également informé de la sortie du patient de l’hôpital. Le support de cette coordination est l’ensemble des données du patient qui sont archivées et centralisées, de sorte que le médecin apprend ce qui a pu survenir au patient, et que les services sont informés des précédents contacts du patient dans le système de santé (et les motifs de ces contacts le cas échéant). Il y a donc une évolution pour rendre disponibles des enregistrements électroniques à l’attention de tous les services jouant un rôle dans la fourniture de soins. En Italie, afin d’améliorer la coordination de l’information entre les systèmes de fourniture des soins qui fonctionnent de manière indépendante, le projet de carte e-santé est actuellement expérimenté. Ce projet cherche à soutenir les formes associatives entre médecins généralistes et médecins de permanence des soins, et fait en sorte que ces derniers soient reliés à la population spécifique soignée par les mêmes médecins, dans une unité de soins primaires. En Espagne, quelques centres de santé primaires sont interconnectés avec l’hôpital et utilisent la télémédecine pour gérer les maladies chroniques. Un obstacle à la généralisation des outils NTIC est celui de la fiabilité des données transmises et de la couverture médicolégale pour la fourniture de soins à distance. En Allemagne, des expérimentations pilotes sont actuellement menées pour de nouveaux modes de fourniture des soins, largement financés par les pouvoirs publics afin de surmonter la grande fragmentation entre secteurs ambulatoire et hospitalier. La carte e-santé est prévue pour 2006, avec partage du dossier du patient et comme objectif la carte d’assurance santé européenne 2010. L’usage des plateformes intranet (de type doctor to doctor, d2d) est subordonné à la généralisation de l’accès haut débit dans les zones rurales et reculées. Pour la France, le Dossier médical personnel (DMP), instauré par la réforme d’août 2004 et prévu initialement pour une mise en place dès 2007, ne devrait finalement voir le jour qu’au cours de la prochaine décennie, compte tenu des retards de développement, de l’ampleur de la tâche à accomplir et des moyens limités mis à disposition.

Coopération entre professionnels de santé et partage d’activité

30 Une alternative à la recherche d’effectifs médicaux est de leur substituer des effectifs paramédicaux, soit pour un prédiagnostic, soit pour des examens techniques banals (tensiométrie par exemple), soit enfin pour des prescriptions circonscrites (comme les renouvellements d’ordonnance pour les maladies chroniques). S’agissant de cette délégation de tâches, elle semble assez avancée au Royaume-Uni et en Suède, que ce soit dans les centres d’appels avec triage ou en centre de soins. Cette alternative reste encore peu développée voir inexistante ailleurs (y compris en France). Sur un autre plan, il apparaît très intéressant de voir le décloisonnement entre le social et la santé opéré dans certaines régions espagnoles ou suédoises où des travailleurs sociaux pratiquent dans les centres de soins primaires avec les équipes de médecins, et infirmières (souvent pédiatres, parfois radiologues, gynécologues, dentistes, kinésithérapeutes…).

31 Le triage des patients peut, dans les pays où le modèle du gate-keeper prévaut, être déléguée à des infirmières spécialisées : en quelque sorte, en filtrant la demande, elles jouent un rôle de « gate-keeper du gate-keeper ». Lorsque ce rôle est dévolu à un professionnel de santé non médical, cela pose la question du partage d’activité, autrement dit de la délégation des tâches et des compétences. Cette question est généralement appréhendée comme une tendance de long terme induite par les différences de taux de salaire relatifs et des changements dans la technologie des soins. Selon certains experts, elle pose d’autant moins problème qu’elle intervient dans un contexte de salariat, supprimant tout aspect de concurrence pour les patients. Toutefois elle suppose également une formation solide pour les interlocuteurs téléphoniques afin que le triage soit réellement efficace et qu’il ne conduise pas à transférer trop d’appels au médecin. Une évolution des compétences des professionnels suppléant aux tâches médicales, par le biais d’une formation spécifique, est donc nécessaire. Le partage d’activité est ainsi assez formel au Royaume-Uni et en Suède avec la mise en place des systèmes de triage, et plus informelle dans les équipes de soins primaires espagnoles (principalement encouragée à travers les incitations par objectifs de groupe).

32 En Suède, le triage des patients est généralement effectué par le centre d’information sur la santé du Conseil de comté qui peut être joint à tout moment par téléphone et qui met en contact le patient avec des infirmières spécialement formées à cet effet. L’infirmière peut donner des conseils, prendre un rendez-vous avec le médecin de soins primaires pendant les horaires d’ouverture ou juger qu’une prise en charge en urgence est nécessaire. Le triage infirmier est considéré comme satisfaisant pour traiter les problèmes de santé mineurs ou assurer des contrôles de routine, notamment du fait de la forte spécialisation du personnel dans certaines pathologies chroniques (diabète, asthme, hypertension).

33 Au Royaume-Uni, les conseillères infirmières, qui ont au moins cinq ans d’expérience, dialoguent avec les appelants, réalisent une évaluation clinique des symptômes et les conseillent sur la meilleure attitude à adopter, voire les adressent au segment le plus approprié des soins. L’évaluation clinique par téléphone suppose une compétence hautement spécialisée et les infirmières suivent une formation intensive pour s’y préparer. Les tâches déléguées sont principalement observables entre le personnel médical et non médical, suivant en cela le modèle américain du développement du rôle de praticiens. Dans les services de permanence, les médecins sont remplacés autant que possible par des infirmiers et des paramédicaux. Auparavant, les appels étaient traités par les médecins, alors que cette situation est désormais exceptionnelle. Actuellement, des opérateurs téléphoniques prennent note des caractéristiques du patient tandis que des infirmières effectuent un triage et des consultations par téléphone. Le centre d’appel NHS 24 s’est engagé à investir dans l’enseignement, la formation et le développement actuel du personnel, ce qui est crucial pour assurer la fourniture d’un service national de qualité. L’ensemble du personnel de première ligne doit suivre un programme complet de formation conçu pour les guider dans l’organisation et les doter des compétences nécessaires pour assurer leur rôle [9].
Notons toutefois qu’une telle délégation de tâches n’est pas à l’ordre du jour dans les autres pays. En Italie, ce sont les médecins de permanence des soins qui assurent l’orientation des patients, et les médecins urgentistes ou les médecins de garde (pas nécessairement spécialisés) en Allemagne et en France.

Information et responsabilisation de la demande

34 L’amélioration de l’information mise à disposition des patients par le biais de campagnes d’information semble naturellement les conduire à une utilisation plus adaptée du système. En effet, la population ne connaît pas toujours le fonctionnement des services de permanence des soins, à l’exception d’une partie d’entre elle qui utilise régulièrement de tels services. En Espagne, plusieurs campagnes nationales et régionales ont été engagées afin de promouvoir une utilisation adéquate des services de permanence des soins en fonction du problème de santé. En Suède, le même objectif a donné lieu à la diffusion large d’un bottin local, de brochures, livrets d’information ainsi que l’accès à des services Internet.

35 Malgré l’information diffusée auprès des patients, les nombreux changements qui interviennent dans la plupart des pays récemment dans le fonctionnement des services de soins primaires brouillent l’information : par conséquent, les utilisateurs non réguliers méconnaissent souvent la procédure quand un problème survient. Par ailleurs, les campagnes d’information ne font pas toujours l’objet d’une approche coordonnée d’ensemble. Au Royaume-Uni, par exemple, si le Département de santé conçoit parfois des campagnes d’information générale, les autorités locales ou les services eux-mêmes ciblent toutefois un problème spécifique (par exemple, « assurez-vous d’avoir des prescriptions suffisantes pour couvrir la période festive »). Les hésitations quant à la mise en place d’une politique de communication plus active résultent parfois de l’ambiguïté sur la désirabilité de cette information auprès des patients : d’aucuns pensent qu’une telle politique pourrait stimuler la demande et encourager l’utilisation de ces services. De ce fait, le message transmis auprès du public peut parfois sembler confus [10].

36 Dans un service de santé où le premier point d’accès est gratuit, il y a peu de sanction portant sur l’utilisation inappropriée. La population sera traitée en toute circonstance, la seule sanction étant la désapprobation qui n’est généralement pas verbalisée par les professionnels de santé. En cas d’utilisation pendant la journée, les patients peuvent être renvoyés auprès de leur cabinet. Les services peuvent prendre des dispositions contre les patients qui sont agressifs et violents bien que dans certains cas le personnel (conducteur, réceptionniste, médecin ou infirmière) puisse être dans une situation vulnérable. On tente de limiter le recours direct (encore fréquent) aux urgences hospitalières par l’institution d’un ticket modérateur, par les listes d’attente concernant les problèmes peu urgents (auto-sélection par la gravité des cas) et par une éventuelle réorientation vers les soins primaires. On observe que les renvois de patients ont pu augmenter avec la généralisation de la tarification à la pathologie, qui réduit l’incitation à admettre des patients.

37 Avec l’augmentation de la fréquentation des services d’urgence (notamment hospitaliers), des incitations à ne pas recourir à l’hôpital systématiquement existent : copaiement en Italie et en Suède dans certaines régions si le patient n’a pas été adressé par un autre professionnel et que les soins s’avèrent non urgents ; renvoi de l’hôpital vers le centre de soins au Royaume-Uni, en Suède et en Espagne.
Quoi qu’il en soit, il semble bien que partout il y ait une demande pour une meilleure information, simple et un accès à un seul numéro. Le centre d’appels commun devrait d’ailleurs idéalement disposer de toutes les données de base sur les personnes pour éviter de perdre du temps dans la saisie d’information non médicales, ce qui nécessite au préalable une meilleure coordination des services et des moyens humains et informatiques suffisants pour créer et gérer un tel registre.

Évaluation régulière des services de permanence des soins

38 L’amélioration de l’offre de services de soins primaires suppose que les pouvoirs publics aient mis en place des moyens d’évaluation portant sur la qualité des soins, la réactivité et la sécurisation du service, l’accessibilité des services en tout lieu (appréciée, entre autres, par le patient), l’efficience des services et éventuellement l’impact des services de permanence des soins sur les autres services. Par ailleurs, il importe d’identifier quelles sont les barrières ou les facteurs de réussite de la mise en place de modèles intégrés. En Écosse, les Autorités de santé accréditent même les services de permanence des soins au regard d’un ensemble de standards de qualité. Les évaluations qui y sont menées prennent en compte un grand nombre de dimensions quantitatives, mais également procèdent à des enquêtes qualitatives menées auprès des médecins et des comités de santé locaux en zone rurale afin d’inférer les stratégies pertinentes pour l’évolution des dispositifs. En Suède, de nombreuses enquêtes de satisfaction sont menées auprès des patients et des centres d’appels. En France, des rapports de l’Igas établissent régulièrement un état des lieux national du fonctionnement de la permanence des soins.

Vers un modèle européen du centre d’appels unique ?

39 Partout, des numéros d’urgence sont mis à disposition du public, mais les missions qui sont dévolues à ces centres d’appel et, surtout, les moyens qui leur sont octroyés sont très variables. Simples orientateurs en France, Allemagne, Espagne ou Italie, ces centres jouent un vrai rôle de filtretriage sur la base d’un premier diagnostic en Suède et au Royaume-Uni. On y observe un « double gatekeeping » avec le recours en toute première ligne à des infirmières spécialement formées pour effectuer un triage efficace des patients. L’expérience des différents pays en la matière a clairement montré que la coexistence d’un numéro de type « Samu » et d’un numéro d’association de permanence des soins doit impérativement s’accompagner d’une campagne d’information des patients. Dans les pays dans lesquels plusieurs numéros existent, des problèmes de compréhension des usagers apparaissent, comme c’est le cas au Royaume-Uni ou en Espagne. Cela laisse présager à la fois des avantages à attendre mais aussi des difficultés de mise en place d’un numéro unique Santé à l’échelle de Europe, actuellement en discussion.

40 Dans les zones du Royaume-Uni où les services de permanence des soins sont intégrés (NHS 24 en Écosse, NHS Direct en Angleterre dans les sites intégrés), il existe un numéro spécifique à contacter, mais bien souvent les patients téléphonent à leur médecin traitant, les appels étant soit automatiquement transférés soit traités par une messagerie vocale. Dans les zones urbaines, les coopératives de médecins généralistes ont été opérationnelles dès le milieu des années quatre-vingt-dix. Les patients de ces zones sont donc habitués à un service moins personnalisé. Dans les zones rurales, jusqu’à très récemment, les patients contactaient toujours leur propre médecin en dehors des heures ouvrables, et ont donc été confrontés à des changements récents importants dans la fourniture de leurs services. Les médecins généralistes travaillant dans les services de permanence des soins peuvent trier les appels (excepté dans les zones intégrées où ce service est rendu par des infirmières NHS 24/NHS Direct), effectuer des consultations par téléphone, des visites sur place, des visites à domicile. Ils peuvent parfois cumuler deux tâches quand ils sont d’astreinte téléphonique. Le centre de soins primaires d’urgence est habituellement placé dans le lieu géographique le plus pratique pour la population desservie et les patients s’y déplacent : généralement, le centre couvre une zone incluant un grand nombre de cabinets. Les médecins généralistes assurent des activités multiples plus fréquemment dans les zones rurales, dans la mesure où ils sont davantage impliqués dans les soins d’urgence de première ligne ou dans les problèmes de santé mentale.

Tableau 2

Les nouvelles formes et le nouveaux outils de la permanence des soins

Tableau 2
Responsabilisation des patients NTIC Partage d’activité Sous-traitance de la permanence des soins Coordination ville/hôpital Allemagne Clivage entre ex-Allemagne de l’Est et l’Ouest sur recours aux soins (recours aux urgences hospitalières plus fréquent dans les nouveaux Länder). Mésusage du système de permanence des soins. Pas de modèle unique en termes d’accès téléphonique à la permanence des soins. Développement d’une plate-forme intranet pour les offreurs de soins. Carte e-santé introduite en 2006. Triage médical. Occasionnelle (dans le cadre du modèle urbain de permanence des soins). Fragmentation des soins hospitaliers et ambulatoires. Expérimentations en cours. Espagne Campagnes de communication régulières impulsées par les Régions autonomes (affichages). Réorientation des patients s’étant rendus inutilement à l’hôpital sans appel préalable. Centre unique d’appels dans chaque Région autonome, organise la coordination des services sanitaires et non sanitaires (pompiers, police). Transmission de résultats par Internet entre offreurs de soins. Triage médical ou infirmier. Dans quelques Régions autonomes, sous-traitance des services de permanence au secteur privé. Expérimentations de systèmes d’interconnexion entre médecins de soins primaires et spécialistes. France Campagnes de communication ponctuelles. Mésusage du système de permanence des soins. Généralisation des services d’aide médicale urgente (Samu), centres uniques d’appels. Triage médical (régulation du Samu, pouvant être assuré par le centre d’appel d’une association de permanence des soins si interconnexion Samu). Occasionnelle (dans le cadre du modèle urbain de permanence des soins). Engorgement de la régulation des appels et insuffisante coordination ville-hôpital. Phase d’expérimentation. Italie Absence de campagne de communication. Mésusage du système de permanence des soins. Numéro de première urgence unique et numéros multiples de cabinets de permanence des soins. Triage médical (médecin de permanence des soins selon des guidelines). Non. Expérimentations multiples de systèmes de centralisation des appels. Royaume-Uni Campagnes de communication ponctuelles (affichage, spots radio). Transfert automatique des appels sur numéro centralisé. Réorientation des patients s’étant rendus inutilement à l’hôpital sans appel préalable. Permanences téléphoniques : NHS Direct en Angleterre – NHS 24 en Écosse Téléconsultations A & E. Triage infirmier : prédiagnostic, contrôle de routine, conseils pour problèmes de santé mineurs, orientation vers un médecin de permanence ou un service d’urgence. Infirmières spécialisées dans les maladies chroniques. Oui. Essentiellement à des coopératives de MG (délégation de services), notamment avant le nouveau contrat GMS. Centralisation des données relatives au parcours du patient : « traçabilité ». Suède Campagnes de communication : « pages bleues », pages Internet, livrets d’information pour contacter numéro de permanence. Ticket modérateur plus élevé en cas d’accès direct aux services hospitaliers et découragement par listes d’attente Réorientation dans les soins primaires si soins hospitaliers non nécessaires. Généralisation des centres d’appels d’information sur la santé, joignables en permanence (centralisé pour la moitié des comtés – objectif pour les autres). Contacts électroniques pour prise de rdv ou renouvellement ordonnances. Objectif à terme : interconnexion nationale. Triage infirmier : prédiagnostic, contrôle de routine, conseils pour problèmes de santé mineurs, orientation vers un médecin de permanence ou un service d’urgence. Infirmières spécialisées dans les maladies chroniques. Non. Mais expérience ponctuelle d’un système « SOS médecins » récemment supprimé. Intégration des soins : unités de soins primaires d’urgence accessibles en ville (MG) et unités d’urgence hospitalières (MG-MS).

Les nouvelles formes et le nouveaux outils de la permanence des soins

41 Pour la Suède, la généralisation des centres d’information sur la santé reposant sur le principe du triage des appels est considérée comme un objectif prioritaire dans les Conseils de comté : en effet, l’expérimentation du dispositif a permis d’éviter près de 16 % de recours aux soins, notamment à l’hôpital. Les évaluations aboutissent donc à démontrer une diminution conséquente des recours aux centres de soins primaires ou aux services d’urgence hospitaliers pendant les heures régulières ou en situation de permanence des soins (le patient restant toutefois libre de se rendre dans un centre d’urgence même s’il a été découragé par le centre d’appels et pouvant s’y rendre sans l’avoir consulté, ce qui représente seulement 3 % des patients). En conséquence, la Suède envisage de créer dans un proche avenir un centre d’appels unique d’information sur la santé par Conseil de comté qui serait interconnecté avec les différents offreurs de soins et dont le numéro serait identique en tout lieu (et joignable par voie électronique), comme premier point de contact du patient pour toute demande de soins non programmée.

42 En Allemagne, les services médicaux urgents sont intégrés avec d’autres types de service de secours, avec 360 centres de contrôle et de coordination ayant un numéro de téléphone uniforme et des critères d’orientation du patient. On ne constate pas encore une intégration complète de la chaîne des services d’urgence.

43 En France et en Espagne, un numéro unique visant à coordonner les urgences a été institué, où un opérateur téléphonique (généralement un médecin) détermine le type d’urgence, transférant l’appel au centre approprié pour la couvrir. Ces centres d’appels ont été créés de sorte que les soins primaires et les services hospitaliers fonctionnent comme un système unique. En Espagne, le centre d’appels 112 a été développé dans chacune des régions afin d’assurer la coordination des services sanitaires et non sanitaires (police, pompiers). Il peut encore s’agir d’un numéro unique différent selon les régions. En France, depuis 2003, le principe d’une régulation préalable des demandes de soins non programmés a été adopté et implique en principe un protocole qui classe l’appel selon trois critères de gravité (aide médicale urgente, consultation médicale dans la demi-journée, conseil). La permanence des soins et l’aide médicale urgente peuvent faire l’objet d’une régulation séparée, mais les deux centres de régulation sont interconnectés.
En Italie, on observe quelques expérimentations dans certaines zones pour mettre en place un centre d’appels unique concernant l’ensemble des médecins de permanence des soins afin de réaliser un triage des appels reçus et d’orienter le cas échéant l’appelant vers le médecin de permanence des soins le plus proche. Progressivement, les médecins de permanence des soins jouent le rôle de lien entre soins primaires et soins de première urgence, notamment depuis l’adoption de standards de qualité et d’une norme de densité d’un médecin de permanence des soins pour 5 000 habitants.

Encadré 3 : Le centre d’appels unique au Royaume-Uni : vers de nouveaux modèles

Chaque Autorité de santé est à un stade précoce de création de nouveaux modèles dont les principales caractéristiques sont :
  • la consultation par une infirmière en première ligne, qui prend note des informations du patient (dans certains cas, elle peut se rallier à un numéro unique de patient, ce qui diminue la charge des informations à collecter) ; lorsque l’infirmière est en relation avec le patient et assure une consultation, elle utilise un algorithme informatique qui oriente la décision de soins. Les différentes options que peut suggérer l’infirmière sont : des recommandations pour le patient à domicile, lui conseillant de rappeler en cas d’évolution de la situation ; la consultation d’un pharmacien ; la consultation du médecin généraliste soit en routine, soit en rendez-vous urgent ; le recours à d’autres services, sociaux ou non médicaux (mais ce cas est rare) ;
  • des services fournis par une équipe multidisciplinaire – impliquant peu de médecins (travaillant plus intensivement) mais plus d’infirmières, de personnel paramédical, de pharmaciens, et d’autres personnels d’encadrement ;
  • des services intégrés avec les services de soins secondaires ;
  • le développement des centres de soins primaires d’urgence (Primary Care Emergency centers, PCECs), situés dans les hôpitaux généraux, les hôpitaux communautaires ou les centres de santé selon le contexte local et géographique ;
  • la fourniture d’un type de services pour blessures et maladies mineures ;
  • l’intégration croissante de services tels que la santé mentale, la santé de l’enfant, les soins sociaux, la santé dentaire, etc ;
  • la planification des services ambulanciers pour développer du rôle des paramédicaux dans les services de permanence des soins ;
  • des visites à domicile toujours disponibles, mais réduites à la seule nécessité clinique et parfois effectuées par des professionnels de santé autres que le médecin, à l’aide de transports rénovés aux PCECs ;
  • des services fournis selon un ensemble de standards de qualité.
Ces caractéristiques clés constituent la trame des travaux actuels des Autorités de santé, qui souhaitent développer les services de permanence des soins non comme une activité annexe, mais intégrée dans une approche globale des soins non programmés 24 h/24 et 7 j/7. Ainsi conçue, la « permanence des soins GMS » ou « soins non programmés » suppose une standardisation des services de soins.

44 Cet état des lieux des évolutions observables dans chaque pays laisse à penser que les pays européens opèrent un choix commun quant au modèle de permanence des soins, au moins dans ses principes. Toutefois, il est encore bien trop tôt pour en établir des évaluations. Les évaluations qui ont été menées sur les formes les plus abouties au Royaume-Uni et en Suède ne permettent pas d’établir à ce stade et de façon définitive une amélioration du service rendu aux usagers, encore moins d’en tirer une comparaison compte tenu des situations de départ fort différentes. Un délai supplémentaire et des évaluations complémentaires seraient nécessaires pour juger de la réelle efficacité de ces nouveaux outils et modes d’organisation.

Conclusion

45 La permanence des soins s’inscrit dans un modèle largement partagé par les pays européens, à savoir une organisation locale de la permanence des soins dans un cadre légal défini au niveau national. En effet, les comparaisons internationales permettent d’observer que la responsabilité de la permanence des soins et de son organisation est la plupart du temps confiée aux pouvoirs publics locaux. Même lorsque ce sont les médecins qui s’occupaient à l’origine de la permanence, ces derniers ont progressivement été déchargés de cette prérogative au fil des réformes (parfois avec soulagement, comme c’est manifestement le cas au Royaume-Uni). Demeure cependant une hétérogénéité notable en matière d’implication des médecins entre des pays très décentralisés, comme l’Italie, comparés à l’Allemagne, où l’implication des médecins et de leurs associations reste importante, notamment dans la conception des dispositifs.

46 Si les principes généraux retenus dans les réformes de plusieurs pays européens relèvent bien d’un modèle commun aux six pays, il n’en demeure pas moins que des différences importantes subsistent dans sa déclinaison. Tous les pays du panel sont à des degrés divers régionalisés ou décentralisés, de telle sorte qu’ils cumulent à la fois les avantages mais aussi les inconvénients de ces formes d’organisation en matière de pilotage du système :

  • avantages : une plus grande souplesse, une capacité d’innovation, une meilleure connaissance de la réalité locale et donc une plus grande facilité pour la mise en œuvre de moyens en adéquation avec les besoins locaux ;
  • inconvénients : la très forte hétérogénéité dans les pays les plus régionalisés (Espagne, Italie et Suède) peut s’accompagner d’une certaine iniquité de traitement de la population, tant en termes d’accès, y compris à l’innovation qu’en termes financiers.
Les réformes actuelles consacrent le rôle des associations de permanence des soins non seulement comme lien avec les cabinets privés de médecins ou les médecins des centres primaires de santé, mais aussi comme une troisième structure traitée au même niveau que les autres intervenants de la permanence. Le mouvement de concentration des médecins dans des unités de soins primaires ou de permanence des soins spécialement créées est une tendance assez largement partagée par les pays de l’étude. On observe en effet que :
  • les pays dans lesquels des centres de soins primaires n’existaient pas ou peu les adoptent aujourd’hui de manière systématique, y compris en Allemagne (malgré le fait qu’ils sont encore souvent associés négativement au modèle de la polyclinique de l’ex-Allemagne de l’Est) et en France (malgré le faible engouement jusqu’à récemment pour la médecine de groupe, qui semble néanmoins être désormais plus attractive) ;
  • des centres de soins primaires d’urgence se développent aussi dans la plupart des pays de l’étude, souvent à proximité d’un hôpital (Espagne, Suède, Royaume-Uni, Italie…) pour désengorger les urgences. Il est intéressant de noter qu’en Suède le recours à ces structures a diminué avec la mise en place du service téléphonique régional d’urgence.
Or, comme le montre bien l’expérience étrangère, la permanence des soins est d’autant plus aisée à garantir que sont impliqués des groupements de médecins et, de manière plus large, de professionnels de santé [11].

47 Par ailleurs, en matière de coordination entre hôpital et centre de soins (ou médecins généralistes), la montée en puissance de moyens de communication modernes (carte e-santé ou intranet avec dossier patient…) est perçue, dans les pays étudiés, comme un réel moyen de développer la communication entre les producteurs de soins. La revendication d’une plus grande communication entre acteurs est cependant moins marquée au Royaume-Uni et en Suède, car la coopération ville-hôpital semble y être meilleure que dans d’autres pays. Paradoxalement, il est intéressant de noter que, contrairement à la France, les revendications de la population et des professionnels de santé en Espagne et en Suède sur ce sujet sont plus marquées pour les zones urbaines que rurales. Dans certains pays, la coordination entre hôpital et centres de soins, ou entre régions, voire pays, se développe déjà, comme en Espagne ou en Suède, grâce à la télémédecine, avec la télétransmission en radiologie, en dermatologie, en cardiologie. Globalement, l’utilité des NTIC est cependant essentiellement perçue via des systèmes intranet ou e-carte santé de dossier de patient ou de logiciels partagés sur l’orientation dans le système. Cette coordination ville-hôpital renforce la nécessité d’un partage d’une base de données cliniques concernant l’histoire du patient, et donc la généralisation des outils des NTIC ; or, on constate à cet égard un important décalage dans la mise en œuvre de la télémédecine entre les pays (voire entre les régions), à l’heure où les projets prennent une dimension européenne.

48 La diversification des modes d’organisation de la permanence des soins dans chaque pays (du fait de la décentralisation) a pour conséquence des difficultés majeures d’évaluation des dispositifs, dont on n’a généralement qu’une présentation partielle. Cette difficulté d’évaluer l’efficacité de systèmes selon un référentiel standard est souvent due au défaut d’informations qualitatives et quantitatives, compte tenu de la fragmentation plus ou moins grande de l’organisation de la permanence des soins. Dès lors que des ressources sont utilisées pour financer la constitution d’équipes intégrées visant à assurer une permanence des soins plus efficace, la question de la réallocation des ressources entre services hospitaliers et services ambulatoires se pose également. Aussi, il apparaît essentiel de s’assurer de l’efficacité des systèmes de permanence selon un modèle d’évaluation de référence (équité de l’accès, réactivité des dispositifs, qualité des soins fournis). La conception d’un référentiel de bonnes pratiques en matière de régulation et d’opération, ainsi que de dispositifs de contrôles peut certainement permettre de contourner ces obstacles à l’évaluation standard et épisodique des performances des organiations de la permanence des soins locales et régionales.
Pour la France, l’un des jalons du nouveau système de permanence des soins a été posé par le décret du 7 avril 2005. Cette réforme est intervenue à la suite de plusieurs rapports qui ont abordé soit directement la question de la permanence des soins (Mission de concertation pour la médecine de ville, 2001 ; Descours, 2003), soit indirectement en s’interrogeant sur les aspects géographiques (Polton, 2000 ; Credes-Msa-Urcam, 2002), son évolution prospective (Commissariat général du Plan, 2005) ou encore sur le fonctionnement du système de santé durant la canicule (Igas, 2003). Toutefois, l’évaluation qui en est faite dans le récent rapport de l’Igas (2006) montre que de nombreuses consolidations du dispositif doivent être apportées rapidement afin d’enrayer les dysfonctionnements importants de l’organisation actuelle, qui mettent en cause sa fiabilité et son efficience. Parmi ses recommandations, l’Igas préconise notamment que, « dans l’intérêt de la qualité de la régulation comme dans celui de la clarté de l’information des usagers, la solution d’un numéro unique d’appel est à retenir ».

Notes

  • [*]
    Laurence Hartmann : maître de conférences à l’Université de Lille 2, Service d’épidémiologie régional, et Institut d’économie publique (France).
    Philippe Ulmann : maître de conférences à la chaire d’économie et gestion des services de santé du Conservatoire national des arts et métiers à Paris (France).
    Lise Rochaix : professeure à l’Université de la Méditerranée, membre du collège de la Haute Autorité de santé. Présidente de la commission Évaluation des stratégies de santé (France).
  • [1]
    La permanence des soins n’est pas pour autant synonyme de continuité des soins, qui est généralement une obligation imposée par les règles de déontologie médicale.
  • [2]
    La double déclinaison de l’efficacité renvoie aux concepts d’efficacité allocative (sous-tendant la capacité à satisfaire la demande) et d’efficacité productive (supposant l’efficience des services de soins). L’équité du système de permanence est définie par la notion d’équité horizontale (ou encore, le traitement égal des égaux).
  • [3]
    Les nombreuses références utilisées dans le rapport Ulmann, Hartmann et Rochaix, DSS (2005) ne sont pas reprises ici par souci de lisibilité.
  • [4]
    Cet aspect n’est pas abordé dans le cadre de cet article.
  • [5]
    La confusion est encore renforcée par les appellations différentes des systèmes de permanence des soins.
  • [6]
    Les quatre tâches principales d’une unité de soins primaires d’urgence sont les visites à l’unité (les enfants représentant une large proportion comparés aux visites au centre de soins primaires aux heures régulières), les visites à domicile pour les personnes âgées, l’information sur la santé (s’il n’y a pas de centre d’appels d’information sur la santé ou s’il est fermé), la réalisation des certificats de décès et autres certificats urgents.
  • [7]
    Auparavant, les médecins généralistes avaient la responsabilité de la permanence des soins, qu’ils pouvaient déléguer à d’autres mandataires et qu’ils tentaient d’organiser collectivement pour couvrir les remplacements des uns par les autres. Il était en effet possible de se désengager des soins de permanence selon la forme d’organisation à laquelle le médecin généraliste pouvait appartenir. Par exemple, un médecin généraliste appartenant à une grande coopérative urbaine pouvait donner le revenu des visites d’appels de nuit à la coopérative ou payer une souscription à la coopérative (organisation à but non lucratif gérée par les médecins généralistes locaux). La souscription pouvait être alors redistribuée aux médecins assurant des remplacements en roulement. En conséquence, il était possible de payer pour éviter de travailler en dehors des heures habituelles de pratique. Il était aussi possible de prendre plus de remplacements pour avoir des revenus plus élevés. La coopérative était susceptible de changer les taux de souscription et le prix des remplacements (plus hauts en cas de remplacements non attractifs) afin d’équilibrer l’offre et la demande et la plupart des cabinets souhaitaient récupérer leurs contributions. Les évaluations menées en Écosse montrent que le coût du fonctionnement des coopératives de médecins représente environ le double de celui des roulements et des services délégués, de même que le coût s’élève quand l’effectif de population couverte augmente.
  • [8]
    Le partage actuel plus marqué entre le travail de jour et les services de permanence des soins garantit plus facilement le respect des directives sur le temps de travail (impliquant un repos le jour suivant la garde nocturne des médecins). Cependant, les médecins généralistes dans les zones reculées seront toujours de garde tous les week-ends.
  • [9]
    Les infirmières suivent une formation de sept semaines en cours du soir. Cette formation comprend les qualités d’un esprit critique, l’expérience de vie, le guide clinique, la comptabilité et le droit, le management de la performance, la téléphonie, le logiciel d’aide à la décision, les algorithmes, la communication dans le cadre de la consultation, la gestion des appels au sujet des enfants, la protection de l’enfant, la santé mentale, la pharmacie, la ménopause, le diabète.
  • [10]
    Lors de l’évaluation du service NHS 24 au bout de neuf mois de fonctionnement, les patients ayant utilisé le service ont reçu un questionnaire. Sur les 356 patients qui ont répondu, 64 % d’entre eux connaissaient l’existence de NHS 24. Parmi les 266 personnes (75 %) de l’enquête qui ont dû avoir recours aux services de permanence des soins : 18 % ont téléphoné au numéro NHS 24, 70 % ont téléphoné à leur propre numéro d’urgence de MG et ont été réorientés et 13 % ont téléphoné à l’ancien numéro de la coopérative et ont été réorientés. Pourtant, ils étaient 87 % à déclarer que l’accès aux services du NHS 24 était facile.
  • [11]
    Bien que cette dimension dépasse le cadre de cette étude, on peut donc poser à tout le moins l’hypothèse selon laquelle toute incitation à la pratique de groupe en France aura des effets bénéfiques sur la mise en œuvre d’une gestion efficace de la permanence des soins.
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Résumé

La régulation de la demande de soins non programmés suscite actuellement, dans la plupart des pays d’Europe, des réflexions, voire des réformes d’ampleur qui visent à prendre en compte les évolutions des modes d’exercice des médecins et à atténuer certains des dysfonctionnements des systèmes actuels de permanence des soins. L’objet de cette contribution est de s’interroger sur une éventuelle convergence des modèles alternatifs de régulation de la demande dans quelques-uns des pays retenus. L’article présente, d’une part, les caractéristiques et les limites des modèles traditionnels d’organisation de la permanence des soins et, d’autre part, les nouvelles formes de régulation de la demande de soins non programmés. Un modèle commun semble ainsi se dessiner, sous la forme d’un centre unique d’appels ; l’émergence de ce modèle est non seulement soutenue par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, mais aussi par la capacité des systèmes de santé à concevoir de nouveaux rôles professionnels, à responsabiliser la demande de soins et à confronter régulièrement son fonctionnement à une évaluation économique.

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Laurence Hartmann
Docteur en économie, maître de conférence à l’université de Lille 2 (France), Service d’épidémiologie régional (faculté de médecine), et Institut d’économie publique (Idep).
Philippe Ulmann
Docteur en économie, maître de conférences à la chaire d’économie et gestion des services de santé du Conservatoire national des arts et métiers à Paris (France) ; il est également secrétaire général du Collège des économistes de la santé.
Lise Rochaix [*]
Professeure agrégée des universités en sciences économiques à l’université de la Méditerranée (France), elle est détachée comme membre du collège de la Haute Autorité de santé. Elle est présidente de la commission Évaluation des stratégies de santé (E2S).
  • [*]
    Laurence Hartmann : maître de conférences à l’Université de Lille 2, Service d’épidémiologie régional, et Institut d’économie publique (France).
    Philippe Ulmann : maître de conférences à la chaire d’économie et gestion des services de santé du Conservatoire national des arts et métiers à Paris (France).
    Lise Rochaix : professeure à l’Université de la Méditerranée, membre du collège de la Haute Autorité de santé. Présidente de la commission Évaluation des stratégies de santé (France).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
https://doi.org/10.3917/rfas.062.0091
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