Introduction
1Tous les États providence d’Europe sont confrontés à d’importants obstacles qui résultent à la fois de tendances économiques et sociales passées et de l’apparition de phénomènes nouveaux. Durant l’après-guerre, ils ont fait de nombreuses avancées, le recul significatif de la pauvreté des personnes âgées et l’extension de la couverture de l’assurance maladie à la majorité de la population figurent parmi les plus remarquables. Mais la forte augmentation des dépenses de protection sociale dans tous les pays européens a de nouveau suscité des débats sur l’équité et l’efficacité de ces dépenses. En outre, à partir des années soixante-dix, la transformation du contexte économique et social a entraîné l’apparition de nouveaux problèmes sociaux. Les taux d’emploi des femmes ont certes augmenté mais ceux des hommes, des jeunes et des travailleurs arrivant à dix ans de la retraite ont chuté. Dans la quasi-totalité des pays européens, le nombre de chômeurs et la durée du chômage ont fortement augmenté par rapport aux années soixante. Cette hausse s’est produite dans un contexte de récession sévère, mais, dans de nombreux pays, le chômage est resté obstinément élevé après le retour de la croissance et n’a pas retrouvé le niveau antérieur à la récession. De plus, il s’est concentré dans certaines catégories de la population et dans certaines régions, ce qui a fait naître des inquiétudes sur les risques d’exclusion sociale. Simultanément, le nombre de divorces et de familles monoparentales a augmenté, ce qui a entraîné une plus grande vulnérabilité économique des femmes et enfants concernés. Dans certains pays, les écarts de revenu entre les travailleurs situés aux deux extrémités de l’échelle des rémunérations se sont creusés, même si, à la même période, l’écart de salaire entre les sexes s’est réduit. Ces phénomènes se conjuguent pour mettre en péril certains aspects des systèmes de protection sociale actuels.
2Plus récemment, dans les années quatre-vingt-dix, la plupart des pays européens ont connu une croissance soutenue. Après le ralentissement du début de la décennie, la reprise est généralement allée de pair avec un recul du chômage entre 1995 et 2001, plus particulièrement en Espagne et aux Pays-Bas. Le taux d’emploi des personnes âgées de 15 à 64 ans a progressé dans la plupart des pays (à l’exception de l’Autriche), gagnant trois points de pourcentage en moyenne dans l’Europe des Quinze, contre seulement un point environ dans la zone OCDE. Mais la croissance économique étant plus faible depuis 2001, le taux de chômage a recommencé à augmenter dans certains pays, quoique à un rythme moins rapide qu’au début des années quatre-vingt-dix.
3Si l’on regarde maintenant vers l’avenir, tous les pays ont désormais pris la mesure du défi posé par les évolutions démographiques. L’espérance de vie s’est considérablement allongée dans tous les pays de l’Union européenne, comme en témoignent la baisse des taux de mortalité à tous les âges, la réduction nette de la mortalité infantile et l’augmentation des taux de survie aux âges élevés. Dans le même temps, les taux de fécondité ont chuté et sont désormais inférieurs au seuil de remplacement dans tous les pays européens. Selon les projections, les taux de dépendance démographique devraient enregistrer une hausse significative, passant de 24 % en 2000 à près de 50 % en 2050 dans l’ensemble de la zone OCDE. Ils devraient atteindre, voire dépasser, 60 % en Autriche, Italie et Espagne.
4Beaucoup de pays européens connaissent déjà un vieillissement significatif de leur population, en raison de la chute de la fécondité et de l’augmentation de l’espérance de vie. Les effets de ces tendances se feront surtout sentir au cours des deux à trois décennies à venir, lorsque la génération du baby-boom entrera dans la classe d’âge des 65 ans et plus. Cette période sera toutefois précédée par une augmentation de la part des personnes âgées dans la population active, qui sera lourde de conséquences pour la taille et la composition de cette dernière. En outre, la longévité continuant de s’accroître, les taux de dépendance démographique vont également continuer d’augmenter, même après le départ en retraite de l’ensemble de la génération du baby-boom, à moins que les taux de fécondité n’augmentent.
5Ces évolutions ont des implications majeures pour les systèmes de protection sociale (Union européenne, 2001). D’après les projections de l’OCDE – qui tiennent compte des effets des réformes qui ont été adoptées mais n’entrent que progressivement en application – les dépenses de retraite risquent d’augmenter de 3 à 4 points de PIB en moyenne d’ici à 2050 ; les dépenses de santé devraient progresser de 3 à 3,5 points et les dépenses de soins de longue durée d’un point de PIB. Les projections prévoient certes une diminution des dépenses d’éducation et de prestations familiales d’environ un point de PIB, mais cette baisse risque de ne pas se concrétiser en cas d’allongement de la durée des études, de hausse des dépenses de formation ou d’augmentation de l’aide allouée aux structures de garde d’enfants bénéficiant de subventions publiques (OCDE, 2005a).
6Dans ce contexte, on risque d’assister soit à une hausse du coût des dispositifs sociaux et, par conséquent, des cotisations et impôts nécessaires au financement des prestations, soit à une réduction des prestations, soit à une augmentation des déficits, soit à d’autres scénarios du même ordre. De surcroît, l’apparition de nouveaux défis ne signifie pas pour autant que les problèmes plus anciens aient tous été résolus. La transformation de la famille et du marché du travail a induit une augmentation de la pauvreté parmi les personnes en âge de travailler. Les défis posés par l’évolution de la démographie et du marché du travail ont donc conduit de nombreux pays européens à engager, à partir du début des années quatre-vingt-dix, des réformes de leurs systèmes de protection sociale.
7Dans cet article, nous brossons d’abord un panorama des défis à relever dans plusieurs pays d’Europe continentale (France, Allemagne, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas et Autriche) et d’Europe du Sud (Italie, Espagne, Portugal et Grèce). Dans un deuxième temps, nous examinons le contexte économique et social dans lequel s’inscrivent les réformes de l’État providence, en décrivant notamment les tendances et perspectives de la démographie et du marché du travail. Nous présentons ensuite l’évolution de la distribution et du montant des dépenses de protection sociale ainsi que des données relatives aux inégalités de revenu et à la pauvreté. La quatrième partie est consacrée aux réformes engagées dans le domaine des retraites, qui fait partie des secteurs où les réformes sont considérées comme indispensables. Nous concluons en faisant ressortir les similitudes et les différences entre les différents pays étudiés, à la fois en termes d’obstacles à surmonter et de réponses apportées.
Notre objectif est de donner une description de certaines caractéristiques des systèmes de protection sociale de ces dix pays, en partant de l’environnement dans lequel ils fonctionnent, puis en décrivant leur fonctionnement et enfin en évaluant les résultats des politiques sociales. Nous entendons donc fournir des informations générales qui pourront être confrontées à des analyses plus détaillées présentées dans des articles spécialisés ou traitant de sujets plus spécifiques.
La majeure partie de la littérature récente sur les États providence européens fait référence à la typologie des trois mondes de l’État providence définie par Esping-Andersen (1990) et enrichie ultérieurement – par exemple par Ferrera (1996) et Moreno (1997) –, qui distingue les États providence d’Europe du Sud de ceux des autres pays d’Europe continentale. Nous n’abordons pas directement cette question ici, même si les comparaisons qui suivent mettent en lumière les similitudes et différences entre les six pays d’Europe continentale et leurs quatre voisins sud-européens.
Contexte économique et démographique, situation de l’emploi
Contexte économique
8Le contexte économique de chacun des États providence européens diffère sur bien des points (cf. tableau 1). Ainsi, les pays d’Europe du Sud – en particulier la Grèce et le Portugal – ont un revenu national plus faible que ceux d’Europe continentale, qui affichent tous un PIB par habitant supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE, le Luxembourg arrivant en tête avec une bonne longueur d’avance (malgré un écart important entre le PIB par habitant et le PNB par habitant). Tous les pays européens, sauf l’Allemagne et l’Italie, ont enregistré une forte croissance réelle entre 1995 et 2000, mais depuis 2000, l’activité connaît un net ralentissement, sauf en Grèce et, dans une moindre mesure, en Espagne. La part du commerce extérieur dans le PIB est plus faible dans les pays d’Europe du Sud, qui enregistrent tous un déficit de leur balance des paiements courants, alors que tous les pays d’Europe continentale, à l’exception de l’Autriche, ont une balance courante excédentaire. Au cours de la période 1995-2003, tous les pays d’Europe continentale ont affiché des taux d’inflation assez similaires, les Pays-Bas se situant toutefois au-dessus de la moyenne ; tous les pays d’Europe du Sud, en particulier la Grèce, ont connu une inflation plus forte. La plupart des pays européens ont un budget déficitaire, exception faite de la Belgique, du Luxembourg et de l’Espagne ; en 2003, le déficit budgétaire a même dépassé 4 % du PIB en France et en Grèce. En termes d’endettement public, le Luxembourg fait figure d’exception ; il est en effet très peu endetté par rapport aux autres pays, qui affichent une dette comprise entre 60 % du PIB (Allemagne, Pays-Bas et Espagne) et plus de 100 % du PIB (Belgique, Grèce, Italie).
Quelques statistiques économiques, pays d’Europe continentale et d’Europe du Sud, 2003

Quelques statistiques économiques, pays d’Europe continentale et d’Europe du Sud, 2003
9Les recettes fiscales totales représentent 33 à 46 % du PIB ; elles sont plus faibles dans les pays d’Europe du Sud que dans les pays d’Europe continentale, sauf en Italie (cf. tableau 2). Elles ont augmenté partout sauf aux Pays-Bas et cet accroissement a été particulièrement important en Grèce. La part des cotisations de Sécurité sociale dans les recettes fiscales totales varie de 25 % à 40 % et est nettement supérieure à la moyenne de la zone OCDE dans la plupart des pays d’Europe. Toutefois, aucune tendance commune ne se dégage depuis 1990. La part que représente la fiscalité de l’État (par rapport à la fiscalité locale et régionale ou aux cotisations de Sécurité sociale) varie considérablement d’un pays à l’autre, de 30 % en Allemagne à environ 65 % au Luxembourg, en Grèce et au Portugal. Le principal facteur expliquant ces différences est le caractère fédéral ou non des pays. Les coins fiscaux (Tax Wedges) – somme des impôts sur le revenu et des cotisations de Sécurité sociale en pourcentage du total des coûts salariaux – sont généralement plus élevés en Europe continentale qu’en Europe du Sud, exception faite de l’Italie ; en outre, ils ont eu tendance à augmenter davantage en Europe continentale.
Systèmes fiscaux, pays d’Europe continentale et d’Europe du Sud

Systèmes fiscaux, pays d’Europe continentale et d’Europe du Sud
Contexte démographique
10Depuis les années soixante-dix, les taux de fécondité ont chuté dans les dix pays considérés, mais le classement des pays a changé : alors que les taux de fécondité étaient dans les années soixante-dix plus élevés dans les pays d’Europe du Sud, en 1990 la situation s’était inversée. De surcroît, de 1990 à 2000, les taux de fécondité ont augmenté en Belgique, en France, au Luxembourg et aux Pays-Bas, mais ont continué à chuter dans les pays méditerranéens, ainsi qu’en Autriche et en Allemagne (cf. tableau 3). L’âge moyen à la naissance du premier enfant a reculé dans tous les pays sans que l’on puisse observer une corrélation évidente entre le recul de l’âge à la naissance et la baisse de la fécondité ; en France, au Luxembourg et aux Pays-Bas, l’âge à la naissance du premier enfant est plus élevé que dans les pays d’Europe du Sud, sauf l’Espagne. De plus, les taux de naissance chez les adolescentes sont plus élevés au Portugal, en Grèce, en Autriche et en Allemagne. Toutefois, les naissances hors mariage sont beaucoup plus fréquentes en Europe continentale qu’en Europe du Sud (en dehors du Portugal) ; elles représentent plus de 40 % de l’ensemble des naissances en France, contre seulement 4 % en Grèce.
Quelques statistiques sur la famille, pays d’Europe continentale et d’Europe du Sud

Quelques statistiques sur la famille, pays d’Europe continentale et d’Europe du Sud
11Les divorces sont beaucoup plus fréquents en Europe continentale qu’en Europe du Sud (à l’exception du Portugal) et, assez logiquement, les familles monoparentales sont également plus nombreuses ; en 2002-2003, elles représentaient de 3 à 4 % de l’ensemble des ménages avec enfants en Grèce, en Italie et en Espagne et de 12 à 14 % en Belgique, aux Pays-Bas et en France. La composition des ménages varie également selon les pays, les jeunes célibataires étant beaucoup plus nombreux à vivre chez leurs parents en Europe du Sud. De même, une plus forte proportion de femmes âgées seules (veuves, divorcées) vivent avec leurs enfants en Europe du Sud, même si, sur ce plan, le Luxembourg et l’Autriche se démarquent des autres pays d’Europe continentale.
Situation de l’emploi
12L’examen des tendances du marché du travail appelle un constat identique à celui qui vient d’être fait en matière de démographie et de composition des ménages : les pays d’Europe du Sud présentent certaines similitudes entre eux et se démarquent des pays d’Europe continentale (cf. tableau 4). Les taux d’emploi sont en principe plus élevés en Europe continentale qu’en Europe du Sud, mais le Portugal affiche un taux d’emploi supérieur à tous les autres pays en dehors des Pays-Bas, où le travail à temps partiel est particulièrement répandu. Les taux d’emploi ont progressé dans tous les pays entre 1990 et 2000, mais ils ont baissé dans les pays d’Europe continentale entre 2000 et 2004 ; au contraire, exception faite du Portugal, ils ont continué à augmenter dans les pays d’Europe du Sud, même si le niveau de départ était très bas. De 1990 à 2004, c’est aux Pays-Bas et en Espagne que le taux d’emploi total a enregistré la plus forte progression (respectivement 12 et 10 points), puis en Belgique (6 points), en Grèce et en Italie (environ 5 points).
Quelques tendances du marché du travail, 1990 à 2004 – Hommes et femmes – en pourcentages –

Quelques tendances du marché du travail, 1990 à 2004 – Hommes et femmes – en pourcentages –
13Le taux de chômage a augmenté dans les dix pays étudiés entre 1990 et 1995, généralement de manière significative, sauf aux Pays-Bas. Dans la deuxième moitié de la décennie, le chômage a reculé partout (sauf en Grèce ; de plus, en Autriche, la baisse a été modérée). Depuis 2000, le chômage est en hausse dans tous les pays d’Europe continentale et au Portugal, mais en baisse en Grèce, en Italie et en Espagne. La part du chômage de longue durée (douze mois de chômage ou plus) représente plus de 40 % du chômage total en France, au Portugal, en Belgique et en Italie, et plus de 50 % en Allemagne et en Grèce ; il représente entre 30 % et 40 % du chômage en Espagne et aux Pays-Bas, mais moins de 25 % en Autriche et au Luxembourg.
14L’emploi indépendant est également beaucoup plus répandu en Europe du Sud, bien que le niveau du travail non salarié de la Belgique se rapproche de celui de l’Espagne, pays d’Europe du Sud où il est le moins fréquent. La part du travail temporaire dans l’emploi total est particulièrement importante au Portugal et en Espagne et, à peu de chose près, aussi importante en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Grèce et en Italie. On peut en déduire que l’emploi non temporaire représente entre 75 et 90 % de l’emploi civil dans les pays d’Europe continentale, mais entre 50 et 60 % seulement en Grèce, au Portugal et en Espagne, et 65 % en Italie.
Les différences de taux d’emploi entre les pays tiennent pour beaucoup à la situation des femmes (cf. tableau 5). En général, les taux d’emploi des femmes sont nettement plus faibles en Europe du Sud – là encore, le Portugal fait exception à la règle, le taux d’emploi féminin étant nettement plus élevé qu’en France ou aux Pays-Bas –. Hormis les quelques pays (Autriche, Belgique, France et Portugal), où le taux d’emploi des femmes mères d’un enfant est plus élevé que celui des femmes sans enfants, le taux d’emploi est nettement plus faible parmi les femmes qui ont deux enfants ou plus et parmi celles qui ont un enfant de moins de 6 ans. Les femmes sont beaucoup moins nombreuses à travailler à temps partiel en Europe du Sud qu’en Europe continentale, sauf en Italie ; le travail à temps partiel est toutefois relativement peu fréquent en France. L’écart d’emploi entre les sexes (Gender Employment Gap) et l’écart d’emploi des mères (Maternal Employment Gap) – qui mesurent respectivement la différence de taux d’emploi entre les hommes et toutes les femmes et entre les hommes et les femmes qui ont des enfants – sont nettement plus importants en Europe du Sud (sauf au Portugal) qu’en Europe continentale (sauf au Luxembourg). Toutefois, dans les pays d’Europe du Sud, « l’écart d’emploi maternel » s’explique en grande partie par l’écart d’emploi entre les sexes. En d’autres termes, c’est le fait d’être une femme, plus que celui d’être une mère, qui explique la faiblesse du taux d’emploi féminin par rapport au taux d’emploi masculin.
Quelques statistiques relatives à l’emploi des femmes, 2003-2004

Quelques statistiques relatives à l’emploi des femmes, 2003-2004
15Les caractéristiques de l’emploi varient également de manière significative selon les classes d’âge (cf. tableau 6), les « travailleurs âgés » – de 55 à 64 ans – se démarquant très nettement des autres. Globalement, c’est en Grèce, au Portugal, aux Pays-Bas et en Espagne que les taux d’emploi des hommes de 55 à 64 sont les plus élevés et en Autriche, en Belgique et au Luxembourg qu’ils sont les plus faibles. Toutefois, dans les pays d’Europe du Sud, les taux d’emploi de cette classe d’âge ont été orientés à la baisse durant les années quatre-vingt-dix, alors que les tendances sont plus contrastées dans les pays d’Europe continentale. Le taux d’emploi des jeunes (de 15 à 24 ans) varie également, de 21 % au Luxembourg à 66 % chez son voisin néerlandais. Il est inférieur à 30 % en Belgique, en France, en Grèce et en Italie et compris entre 30 % et 50 % au Portugal, en Allemagne et en Autriche (dans l’ordre croissant).
Taux d’emploi parmi les femmes et les hommes de 55 à 64 ans et les jeunes (15 à 24 ans), 1990 à 2004

Taux d’emploi parmi les femmes et les hommes de 55 à 64 ans et les jeunes (15 à 24 ans), 1990 à 2004
16La proportion de familles avec enfants dans lesquelles aucun adulte ne travaille est une préoccupation majeure pour les responsables politiques dans un certain nombre de pays de l’OCDE. Globalement, ce problème se pose avec plus d’acuité dans les pays anglophones, mais la situation des dix pays sur lesquels porte notre étude est très contrastée. Le non-emploi est beaucoup plus fréquent parmi les familles monoparentales que parmi les familles biparentales. Toutefois, les familles monoparentales ne représentant qu’une minorité des familles avec enfants, le taux d’emploi des familles biparentales peut varier considérablement. Le taux de non-emploi parmi les familles monoparentales varie de 17 % en Autriche et au Portugal à 40 % au moins en Belgique et aux Pays-Bas. De manière générale, le non-emploi parmi les familles monoparentales est orienté à la baisse depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, sauf en France ; en outre, en Allemagne et en Grèce, la baisse a été faible. Le taux de non-emploi parmi les familles biparentales est plus élevé en Belgique – où il atteint 7 % – que dans les autres pays ; il a augmenté en Belgique et est resté relativement stable en Allemagne et en Grèce.
Tendances et caractéristiques des dépenses sociales
17En 2001, les dépenses sociales brutes étaient comprises entre 19,6 % du PIB en Espagne et 28,5 % en France, contre une moyenne de 22,1 % dans la zone OCDE et de 24 % dans l’Europe des Quinze (cf. tableau 7). Sur une longue période, c’est en Grèce, au Portugal et en France que la hausse des dépenses a été la plus forte. L’augmentation la plus importante est intervenue dans les années quatre-vingt en Grèce et dans les années quatre-vingt-dix au Portugal. De 1995 à 2001, les dépenses ont baissé dans tous les pays d’Europe continentale, de manière significative aux Pays-Bas, mais limitée en Allemagne. En revanche, dans tous les pays d’Europe du Sud, elles ont continué leur progression après 1995.
Évolution des dépenses de protection sociale, pays d’Europe continentale et d’Europe du Sud, 1980 à 2001 (% du PIB)

Évolution des dépenses de protection sociale, pays d’Europe continentale et d’Europe du Sud, 1980 à 2001 (% du PIB)
18Les pays d’Europe du Sud consacrent une part plus importante de leurs dépenses sociales au financement des pensions : en 2001, les pensions de retraite, de survivant et d’invalidité ont représenté de 65 à 75 % des dépenses sociales (hors santé) dans les pays d’Europe continentale, contre plus de 80 % dans les pays d’Europe du Sud, et 88 % en Italie. De plus, dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE, une part importante des dépenses de santé concerne les personnes âgées – leur demande de soins étant plus forte – ainsi, le rapport entre les dépenses de santé des personnes de plus de 65 ans et celles des personnes de 25 à 29 ans est généralement supérieur à 2,5 pour 1. Dans les pays d’Europe du Sud, en raison de l’importance des dépenses sociales affectées aux pensions, celles destinées aux familles et aux chômeurs sont plus faibles. Si l’on divise les dépenses consacrées à la lutte contre le chômage (y compris les prestations et les politiques actives du marché du travail) par le taux de chômage, le ratio obtenu est supérieur à 0,25 dans tous les pays d’Europe continentale et au Portugal (à noter qu’il atteint 0,51 en Belgique et 1 aux Pays-Bas), alors qu’il n’est que de 0,05 en Grèce, 0,11 en Italie et 0,19 en Espagne.
19Plusieurs études récentes de l’OCDE nous ont amenés à modifier notre appréciation de l’ampleur réelle des dépenses sociales (Adema et al., 1996 ; Adema, 2001 ; Adema et Ladaique, 2005). Il en ressort principalement que la prise en compte des prestations sociales servies par le secteur privé et de l’impact du système fiscal sur les dépenses sociales, tend à égaliser le niveau de l’effort social réalisé par les différents pays de l’OCDE. Globalement, les gouvernements peuvent utiliser le système fiscal pour agir sur les dépenses sociales au moyen de trois instruments fiscaux, dont l’impact varie d’un pays à l’autre et peut être considérable :
- La fiscalité directe (y compris les cotisations de sécurité sociale) sur les transferts en espèces : elle est supérieure ou égale à 2 points de PIB en Autriche, en Belgique et aux Pays-Bas mais légèrement inférieure en France, en Allemagne et en Espagne (Adema et Ladaique, 2005) ;
- La fiscalité indirecte sur les biens et services achetés par les bénéficiaires de prestations : elle est évaluée à plus de 2 % du PIB en Autriche, Belgique, Allemagne, France, Italie et aux Pays-Bas et est proche de ce niveau en Espagne ;
- Les allègements fiscaux à visée sociale (avantages fiscaux assimilables à des prestations en espèces et avantages fiscaux destinés à promouvoir le recours à des prestataires privés) : ils sont supérieurs ou égaux à 1 % du PIB en Allemagne et en France.
En ce qui concerne les effets des dépenses sociales sur les inégalités et la pauvreté, le tableau 8 présente l’évolution des inégalités de revenu marchand et de revenu disponible, et l’évolution de la différence entre les deux. L’inégalité de revenu marchand s’est aggravée en Belgique, en Allemagne, en Grèce et en Italie (de manière plus marquée en Allemagne et moins marquée en Italie) ; elle a reculé dans les autres pays mais ce recul est resté limité, sauf aux Pays-Bas et en Espagne. Les inégalités de revenu disponible se sont atténuées dans la plupart des pays étudiés entre le milieu des années 1990 et 2000, mais de manière modeste sauf en Espagne. Si l’on considère que la différence entre les inégalités de revenu marchand et de revenu disponible constitue une mesure de l’efficacité de l’État providence, cette efficacité est restée stable ou s’est légèrement améliorée dans la plupart des pays ; cette évolution est restée limitée, sauf en Allemagne. Aux Pays-Bas, la différence entre inégalités de revenus marchands et de revenu disponible a chuté, mais cette baisse s’explique par une diminution des inégalités de revenus marchands, si bien que globalement, les inégalités étaient plus faibles en 2000 qu’en 1995.
Tendances en matière d’inégalité de revenus, des années 1990 à 2000 et progressivité des transferts, 2000 – Coefficients de Gini

Tendances en matière d’inégalité de revenus, des années 1990 à 2000 et progressivité des transferts, 2000 – Coefficients de Gini
20La progressivité du système de prestations sociales varie aussi d’un pays à l’autre. Le tableau 8 présente également les coefficients de Gini pour l’ensemble des transferts sociaux et pour ceux versés aux personnes qui ont l’âge de la retraite ainsi que ceux destinés à l’ensemble de la population active. Il en ressort que le système de prestations sociales est plus progressif dans les pays d’Europe continentale que dans ceux d’Europe du Sud. Les Pays-Bas ont, de loin, le système le plus égalitaire de tous les pays étudiés, aussi bien pour les pensionnés que pour les personnes en âge de travailler. Dans tous les pays, le système est moins égalitaire en matière de pensions que de prestations servies à la population active. Exception faite des Pays-Bas, tous les pays d’Europe continentale et d’Europe du Sud ont des systèmes comparables du point de vue de la distribution des pensions. L’utilisation d’un autre indicateur de la progressivité du système de prestations sociales (prestations reçues par le décile le plus pauvre de la population rapportées à celles reçues par le décile le plus riche), montre qu’entre les années 1980 et 2000, les systèmes néerlandais (déjà très progressif) et grec (qui l’était très peu) sont devenus plus progressifs ; en revanche, les systèmes autrichien, italien et portugais sont devenus beaucoup moins progressifs, tandis que la progressivité est restée stable dans les autres pays, même si elle a connu des fluctuations. Globalement, la majorité des États providence continentaux redistribuent environ deux fois plus de richesses à la population défavorisée que les États providence d’Europe du Sud.
La pauvreté est nettement plus élevée en Europe du Sud, où elle concerne 12 à 15 % de la population, contre 5 à 10 % en Europe continentale (cf. tableau 9). Les taux de pauvreté des personnes âgées et des enfants sont nettement plus élevés dans les pays d’Europe du Sud. Le taux de pauvreté total a augmenté en Autriche et en Allemagne entre le milieu des années 1990 et 2000, tandis qu’il est resté stable ou a légèrement reculé dans les autres pays. La pauvreté des personnes âgées a décru dans presque tous les pays étudiés, sauf au Luxembourg où elle a légèrement augmenté et en Espagne où elle a augmenté de manière significative. Le taux de pauvreté des enfants est resté stable ou a baissé dans la plupart des pays, sauf en Allemagne où il a légèrement augmenté, et en Autriche où il s’est fortement accru. À noter également que dans tous les pays sauf en Autriche, en Italie, au Luxembourg et aux Pays-Bas, le taux de pauvreté des ménages dont le chef de famille a l’âge de la retraite reste plus élevé que celui des enfants.
Pauvreté, années 1990 et 2000 environ – Taux de pauvreté – Pourcentage

Pauvreté, années 1990 et 2000 environ – Taux de pauvreté – Pourcentage
Caractéristiques et réformes des systèmes de retraite
21Il n’est pas possible, dans l’espace qui m’est imparti, de présenter une description détaillée des systèmes de protection sociale de dix pays. Il est tout aussi difficile de rendre pleinement compte de toutes les réformes de la protection sociale engagées au cours de la dernière décennie. Ainsi, l’étude réalisée en 1998 par l’OCDE (Kalisch, Aman et Buchele, 1998) comporte plus de 200 pages de tableaux et de graphiques ; des études plus récentes portant sur les mesures adoptées en réponse au vieillissement de la population sont encore plus volumineuses. Les rapports compilés dans le cadre du International Reform Monitor de la Fondation Bertelsmann font plus de soixante pages par édition et sont publiés deux fois par an. Compte tenu du nombre de réformes et d’études qui leur sont consacrées, la présentation qui suit, ne peut que donner un aperçu des approches adoptées.
22Les tableaux 10 et 11 présentent les principaux paramètres des systèmes de retraite, en tenant compte de toutes les réformes mises en œuvre ou annoncées. Les pays d’Europe continentale – exception faite des Pays-Bas – et les pays d’Europe du Sud ont des systèmes de retraite comparables, d’inspiration bismarckienne, caractérisés par l’existence d’un lien étroit entre cotisations et prestations. L’âge légal normal de la retraite est de 65 ans dans tous les pays, sauf en France où il est de 60 ans et en Autriche où les femmes peuvent prendre leur retraite plus tôt. L’âge de départ en retraite anticipée varie de 55 à 63 ans. Tous les pays ont opté pour un calcul des droits sur la base des salaires perçus pendant l’ensemble de la vie active, ou s’orientent vers ce mode de calcul ; la Grèce et l’Espagne font toutefois exception à cette règle, les droits étant calculés en fonction du salaire final. Le montant des pensions servies par le premier pilier varie considérablement d’un pays à l’autre (cf. tableau 11), le Luxembourg, le Portugal et la Grèce étant les pays où elles sont les plus élevées, en termes relatifs. Les taux d’acquisition des droits dans le deuxième pilier sont plus élevés dans tous les pays d’Europe du Sud ; en outre, les plafonds sont également plus élevés en Grèce et en Italie qu’en Autriche, Belgique, France ou Allemagne.
Paramètres des systèmes de retraite, pays de l’OCDE, 2005

Paramètres des systèmes de retraite, pays de l’OCDE, 2005
Principaux paramètres des retraites

Principaux paramètres des retraites
23Les dix pays étudiés ont tous engagé d’importantes réformes de leurs systèmes de retraite (cf. annexe). Certains pays ont réduit le montant des pensions, augmenté la durée de cotisation ou de travail requise pour obtenir une pension, allongé la période utilisée pour calculer le salaire de référence. D’autres ont renforcé le lien entre le montant de la pension et la carrière accomplie par l’assuré. Au contraire, certains pays ont augmenté le niveau des droits pour garantir l’adéquation des pensions de base. Dans la majorité des pays, l’âge légal de la retraite a été relevé tant pour les hommes que pour les femmes et a souvent été porté au même niveau, ou à un niveau proche, pour les femmes que pour les hommes. Ces diverses mesures sont allées de pair avec un resserrement des conditions d’accès aux pensions anticipées et avec des mécanismes destinés à inciter les assurés à travailler plus longtemps.
Il n’y a pas de différences significatives entre les pays d’Europe continentale et ceux d’Europe du Sud en ce qui concerne le type de réformes privilégié, ce qui s’explique peut-être par la similitude de leurs systèmes. La Grèce est le pays qui est allé le moins loin sur la voie de la réforme, se contentant de relever l’âge légal de la retraite, qui plus est de manière très progressive. En revanche, l’Italie est allée plus loin mais, là aussi, le nouveau système n’entrera en vigueur qu’au terme d’une longue période de transition. La mise en œuvre des réformes est au contraire plus rapide en Belgique, Allemagne et au Portugal, tandis qu’elle est progressive et très étalée dans le temps en Autriche.
Conclusion
24Cet article amis en lumière un certain nombre de points communs et de différences entre les États providence d’Europe continentale et d’Europe du Sud. Il ressort d’abord de cette comparaison que les indicateurs examinés ne corroborent pas tous l’idée selon laquelle chacune de ces deux familles est homogène. Ainsi, le Portugal se démarque manifestement des autres pays méditerranéens pour certains indicateurs, comme le taux de fécondité et le taux d’emploi féminin, tandis que la Belgique et l’Autriche se rapprochent des pays d’Europe du Sud dans d’autres domaines. De même, l’État providence néerlandais se distingue clairement des autres pays d’Europe continentale sur certains points.
25Il n’en reste pas moins possible d’identifier des traits communs au sein de ces deux familles.
26Pour les pays d’Europe du Sud, ces similitudes sont notamment les suivantes :
- malgré l’amélioration de la situation de l’emploi ces dernières années, les pays d’Europe du Sud affichent toujours des taux d’emploi nettement inférieurs à ceux des pays d’Europe continentale, en particulier en ce qui concerne l’emploi des femmes. En outre, l’écart d’emploi entre les mères et les pères est plus important en Europe du Sud ; cette différence est néanmoins en majeure partie imputable au niveau plus faible de l’emploi féminin en général ;
- le travail indépendant est plus répandu en Europe du Sud. Le travail temporaire y est également beaucoup plus fréquent. Par conséquent, l’emploi permanent représente une part nettement plus importante de l’emploi total en Europe continentale ;
- en revanche, le taux d’emploi des travailleurs âgés de sexe masculin (plus de 50 ans) tend à être plus élevé en Europe du Sud ;
- globalement, la fécondité a ralenti plus nettement en Europe du Sud. Il s’ensuit que le processus du vieillissement de la population y est plus avancé et va progresser plus rapidement dans les dix à vingt années à venir ;
- les ménages multigénérationnels sont plus nombreux et les familles monoparentales moins nombreuses en Europe du Sud qu’en Europe continentale ;
- certains pays d’Europe du Sud ont une dette publique plus élevée ; dans ces pays, les recettes fiscales sont généralement plus faibles également ;
- les dépenses sociales sont moins élevées en Europe du Sud, mais elles ont continué à s’accroître ces dernières années, alors qu’elles ont baissé en Europe continentale ;
- en Europe du Sud, une part importante des dépenses est consacrée aux pensions, tandis que les aides en faveur des chômeurs et des familles sont plus limitées. L’aide sociale est également plus réduite ;
- les systèmes de prestations sociales sont moins progressifs en Europe du Sud ; toutefois, les différences sont moins marquées en ce qui concerne les pensions que les prestations destinées à la population active ;
- les inégalités de revenu et la pauvreté sont plus élevées en Europe du Sud. Toutefois, aucune tendance claire ne se dégage dans ces deux domaines depuis le milieu des années quatre-vingt-dix ;
- les régimes de retraite des pays d’Europe du Sud et d’Europe continentale présentent des similitudes, puisqu’ils sont tous – à l’exception du système néerlandais – de type bismarckien. La comparaison des réformes engagées fait ressortir des différences, mais elles concernent plus le calendrier que la nature de ces réformes.
Réformes des systèmes de retraite dans quelques pays de l’OCDE
