Le paradoxe des pays d’Europe du Sud : une forte concentration de la pauvreté, mais un dispositif de lutte contre la pauvreté fragmenté
1À la fin des années quatre-vingt, les pays d’Europe du Sud affichaient, avec l’Irlande, les taux de pauvreté les plus élevés de l’Union européenne. Pourtant, aucun des quatre pays d’Europe du Sud ne s’était doté d’un système universel, de revenu minimum de « dernier ressort », pour les plus défavorisés. Tous disposaient, à l’instar de la France avant la mise en place du revenu minimum d’insertion (RMI), de divers dispositifs de revenu minimum catégoriels (pour les personnes âgées démunies, les handicapés démunis et parfois pour les veuves et les orphelins). Mais ceux qui étaient pauvres sans pour autant entrer dans l’une de ces catégories ne pouvaient faire appel à aucune mesure de portée générale. Ils devaient se tourner, au mieux vers des dispositifs locaux, fonctionnant plus ou moins selon leurs propres règles, au pire vers des aides caritatives et souvent vers un mélange des deux (voir, par exemple Saraceno, 2002a). Dans ce contexte, il était tenu pour acquis que la solidarité familiale et, dans une moindre mesure, les organisations bénévoles et caritatives faisaient partie du « filet de sécurité » social informel. Toutefois, plus encore qu’en matière de solidarité familiale, des disparités existaient dans la répartition des organisations du tiers secteur, tant entre les quatre pays qu’au sein de chacun d’entre eux. Elles étaient souvent plus présentes et avaient plus de moyens dans les régions les moins défavorisées. En outre, elles étaient, par définition, libres de choisir leurs domaines d’intervention, les publics ciblés en priorité, d’instaurer le mode de relation qui leur convenait et de décider des obligations imposées aux bénéficiaires.
2En conséquence, nombre de ménages pauvres ne pouvaient pas prétendre aux prestations d’assistance sociale nationales parce qu’ils n’entraient pas dans le cadre étroit des conditions fixées par les dispositifs catégoriels en place (Marlier et Cohen-Solal, 2000 ; Matsaganis, Ferrera, Capucha et Moreno, 2003). Selon le lieu où ils vivaient, ils pouvaient éventuellement bénéficier de dispositifs d’assistance sociale locaux très inégalement répartis sur le territoire des différents pays. Toujours selon le lieu où ils résidaient et la catégorie sociale à laquelle ils appartenaient, ils pouvaient également être aidés par des associations caritatives. Selon les cas, les différents dispositifs se complétaient parfaitement ou non – et nombre de familles et individus pauvres passaient tout simplement à travers les mailles d’un filet de sécurité inadapté.
3Les raisons pour lesquelles les pays d’Europe du Sud ne s’étaient pas dotés d’un système universel de revenu minimum ont donné lieu à discussions. Ferrera (2005), avance trois éléments d’explication : le rôle de la solidarité familiale élargie, la place qu’occupe l’économie irrégulière et souterraine et les carences de l’appareil administratif, en particulier aux niveaux régional et local. Les deux premiers facteurs ont opéré du côté de la demande, tandis que le troisième a opéré du côté de l’offre. Il convient toutefois d’apporter des nuances à l’analyse de Ferrera. Premièrement, le rôle de la famille n’est peut-être pas tant une cause qu’une conséquence de l’insuffisance des autres formes de solidarité. Dans les pays méditerranéens, la solidarité familiale n’est pas seulement une norme culturelle commune : la loi la rend expressément obligatoire. En réalité, les citoyens des quatre pays européens sont ceux qui ont le plus « d’obligés alimentaires » – tant en termes de nombre, qu’en termes de durée – de tous les pays occidentaux. Deuxièmement, l’ampleur de l’économie irrégulière n’a pas seulement des incidences du côté de la demande (dans la mesure où elle procure des ressources financières). Elle joue un rôle tout aussi important du côté de l’offre, en ce qu’elle engendre et légitime les craintes selon lesquelles un dispositif de revenu minimum risquerait de profiter aux « faux pauvres », voire aux délinquants – dans le cas de l’économie souterraine criminelle qui sévit dans certaines régions, notamment en Italie, mais aussi en Grèce. Comme le souligne à juste titre Ferrera, ces craintes sont accentuées par l’insuffisance des moyens administratifs, précisément au niveau des institutions, des travailleurs sociaux et des fonctionnaires locaux qui devraient être en charge d’attribuer et de servir une prestation soumise à condition de ressources comme le revenu minimum. Enfin, deux autres facteurs ont beaucoup joué contre la mise en place d’un revenu minimum, du moins dans le cas de l’Italie : la concentration régionale de la pauvreté et l’opposition traditionnelle des syndicats, justifiée par la crainte que le revenu minimum ne soit utilisé comme un seuil de salaire minimum et ne se substitue à des mesures actives du marché du travail. La concentration régionale de la pauvreté a empêché qu’un soutien national se dégage en faveur de la création d’un revenu minimum. Mais elle a également été à l’origine d’interrogations sur les priorités que doit se fixer l’action publique lorsque la pauvreté concerne une communauté entière. Cette question a également longtemps préoccupé les syndicats, qui avançaient que l’action publique et les négociations politiques ne devraient pas être axées en priorité sur l’assistance sociale, mais sur l’emploi. Les dictatures qui ont continué de sévir bien après le début de ce qui, ailleurs, est considéré comme les Trente Glorieuses de l’État providence, expliquent sans doute en grande partie que les trois autres pays méditerranéens aient abordé les années quatre-vingt avec un État providence très rudimentaire, sauf dans le domaine des retraites et, dans une moindre mesure, des services de santé. Dans ces trois pays, en particulier en Espagne et au Portugal, les gouvernements démocratiques ont certes fait de gros efforts pour renforcer et moderniser leurs systèmes de protection sociale, mais se sont heurtés aux contraintes budgétaires imposées par la conjoncture économique et les réglementations internationales, y compris celles de l’Union européenne. Dans les quatre pays, le changement de discours politique et les réformes de modernisation adoptées dans la seconde moitié des années quatre-vingt et surtout dans les années quatre-vingt-dix ont eu pour principal moteur l’adhésion à l’Union européenne et les efforts réalisés pour respecter les critères imposés par le traité de Maastricht, puis l’Union économique et monétaire (UEM) (Guillén et al., 2003 ; Guillén et Matsaganis, 2000 ; Ferrera et Gualmini, 2004 ; Petmesidou et Mossialos, 2006). Dans ce contexte, après la recommandation du Conseil invitant les États membres à reconnaître aux citoyens un droit à des ressources garanties, et avant l’introduction de la Méthode ouverte de coordination (Moc) dans le domaine de la protection sociale et de la lutte contre la pauvreté, les hommes politiques et les décideurs ont commencé à s’intéresser aux stratégies de lutte contre la pauvreté. L’ensemble du système de protection sociale a alors été repensé, même si cela s’est fait à des degrés divers et n’a pas abouti à des résultats uniformes. Les retombées de l’adhésion à l’Union européenne ont été nettement moins évidentes – lorsqu’il y en a eu – sur les transferts en direction des familles.
Dans le développement qui suit, nous présentons brièvement les mesures adoptées dans chaque pays, en attachant une attention particulière à la voie suivie pour mettre en place des mesures concrètes afin d’atteindre certains objectifs précis, d’une part, et au cadre institutionnel qui a servi de contexte à la définition et à la mise en œuvre de ces mesures, d’autre part. Nous nous intéressons essentiellement aux transferts de revenu (à destination des pauvres et pour compenser le coût des enfants) et à l’équilibre entre transferts de revenus et services sociaux de prise en charge des enfants et des personnes âgées (social care services) [1]. Compte tenu de mes compétences linguistiques et de la littérature disponible, l’Italie et l’Espagne font l’objet d’une analyse plus approfondie que le Portugal et la Grèce.
Grèce : un système très fragmenté
Échec des tentatives d’introduction de la question du revenu minimum garanti dans le débat politique
4Le retour à la démocratie en 1974, puis l’adhésion à la Communauté européenne en 1980, ont marqué le début d’une période d’expansion de l’État providence grec, qui n’a toutefois pas perdu pour autant sa structure très catégorielle par profession. Du fait de la faiblesse du taux d’activité et du niveau élevé du chômage, ce système était non seulement très fragmenté, mais aussi inadapté pour répondre aux besoins des chômeurs et de ceux qui travaillent occasionnellement ou dans l’économie informelle. Ils étaient abandonnés à la seule solidarité familiale (Papadopoulos, 2006). Comme l’avance Matsaganis (2005), l’inefficacité de l’État providence grec ne s’explique pas par le fait que ses dépenses sociales sont inférieures à la moyenne de l’Union européenne, mais plutôt par une inadaptation de ses institutions. En réalité, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, la Grèce a rattrapé la moyenne de l’Union européenne en termes de dépenses totales de protection sociale. En revanche, l’efficacité redistributive est restée très faible, ce qui s’explique par la prépondérance des prestations (en particulier des pensions) contributives et catégorielles par rapport aux prestations couvrant des risques non assurables – comme la pauvreté, même lorsqu’elle est due à un déséquilibre entre la taille de la famille (en d’autres termes le nombre d’enfants) et son revenu disponible. Il existe certes un large éventail de prestations familiales, mais certaines d’entre elles sont contributives et catégorielles ou encore réservées aux familles nombreuses, si bien que leur effet redistributif est faible. Globalement, les pensions ont un impact bien plus important sur la pauvreté que toutes les autres prestations réunies. Les transferts en nature ne permettent pas de compenser cette inefficacité, les services sociaux n’en étant qu’à leurs balbutiements (Matsaganis, 2005, p. 45 ; voir également Petmesidou, 2006).
5Malgré l’inefficacité redistributive des dispositifs existants et leurs lacunes importantes vis-à-vis de la population défavorisée, la mise en place d’un dispositif de revenu minimum a été rejetée à plusieurs reprises, en faveur d’un renforcement du système catégoriel existant. La question a fait son entrée dans le débat public vers la fin des années quatre-vingt-dix, suite à des discussions au niveau de l’Union européenne et aux expérimentations lancées en Italie et au Portugal. Une proposition visant à instituer un système de ce type a même été présentée au Premier ministre en janvier 2000, mais a été rapidement été écartée, son coût étant jugé excessif, en particulier au regard des critères d’adhésion à l’Union économique et monétaire fixés par Maastricht. Dans le sillage des élections législatives de 2000, la question est revenue sur le devant de la scène (de même que les divisions politiques), mais aucune proposition concrète n’a pu dépasser le stade du débat public – très conflictuel – pour être présentée au Parlement. Le soutien ou l’opposition à la mise en place d’un tel dispositif dépasse les clivages des partis politiques, ce qui a pour effet de paralyser la prise de décision. Plusieurs facteurs concourent à expliquer ce phénomène. Le premier est le sentiment, largement partagé, qu’un système de revenu minimum garanti déséquilibrerait le budget au moment même où les ressources diminuent et où la gestion des finances publiques doit obéir à des règles plus strictes. Le deuxième est la peur de la fraude, dans un pays où le secteur informel est important et qui ne dispose pas des moyens suffisants pour effectuer les contrôles nécessaires. Même si, comme en Italie, le risque de fraude est peut-être exagéré par les adversaires du revenu minimum, il révèle un problème qui ne peut pas être occulté. Le troisième facteur est que, à la différence de ce qui s’est passé dans les autres pays sur lesquels porte notre étude, la mise en place éventuelle d’un revenu minimum n’a jamais été intégrée au débat politique sur la refonte du système de protection sociale dans son ensemble.
Combler les lacunes du « filet de sécurité » social au lieu de le réformer
6Dans la pratique, les décisions et initiatives prises, en améliorant les dispositifs catégoriels déjà en place ou en en créant de nouveaux selon la même logique, ont conforté l’approche fragmentaire de la Grèce vis-à-vis de la pauvreté. Le premier domaine d’intervention a été celui des prestations familiales. En 1997, l’allocation servie au titre du troisième enfant de moins de 3 ans et celle destinée aux familles de quatre enfants ou plus ont été majorées. Simultanément, un plafond de revenu a été introduit, avant d’être supprimé en 2002. En 2002, ces deux prestations étaient respectivement servies à 38 342 et 82 008 ménages, auxquels s’ajoutaient 34 440 bénéficiaires de l’allocation « pour enfant non protégé ». Le montant des deux premières allocations était de 149,51 et 141,03 euros, tandis que l’allocation pour « enfant non protégé » s’élevait à 44 euros. Les plafonds de ressources et les échelles d’équivalence implicites ont également été modifiés, sans logique évidente. Les prestations familiales contributives, variables en fonction du revenu jusqu’en 1998, sont devenues forfaitaires. Les forts écarts entre le montant des prestations servies aux salariés du secteur privé et celles versées aux fonctionnaires ont toutefois perduré, avec un rapport de 1 à 2. En d’autres termes, le système est resté très fragmenté.
7L’objectif stratégique du premier plan national pour l’inclusion sociale (2001-2003) était de « combler les lacunes du “filet de sécurité” social. À cette fin, de nouveaux services sociaux ont été créés pour favoriser le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes. D’autre part, en 2002, trois nouveaux dispositifs ont été institués : un système d’assistance chômage soumis à condition de ressources s’adressant aux travailleurs de plus de 45 ans et deux crédits d’impôt remboursables, l’un destiné aux familles à bas revenus ayant des enfants scolarisés de 6 à 16 ans, l’autre aux familles vivant dans des régions défavorisées. En 2001, deux nouvelles mesures avaient déjà été introduites : des allègements de charges sociales en faveur des bas salaires et une prestation destinée aux travailleurs à temps partiel. Le deuxième plan national pour l’inclusion sociale (2003-2005) réaffirmait, mais de manière plus explicite, que la mise en place d’un revenu minimum n’était pas souhaitable dans le contexte grec. Les arguments avancés étaient notamment l’incapacité de l’administration (malgré les progrès accomplis) à le gérer compte tenu de l’importance des risques de fraude et de l’économie souterraine. Pourtant, la lenteur avec laquelle les dispositifs adoptés en 2001 et 2002 sont montés en puissance prouve que l’approche ciblée et sélective n’est pas très efficace non plus. La prestation d’assistance chômage en est une illustration. Cette mesure associait plusieurs critères qui la rendaient quasi inapplicable : une limite d’âge inférieure (45 ans), une courte durée maximale (douze mois), un plafond de revenu trop bas (4 174 euros par an pour une famille de quatre personnes, majoré par la suite de 2 000 euros), une suppression totale des droits en cas de dépassement du plafond et l’absence de dispositions permettant d’exclure certains revenus de l’assiette du plafond. Alors que les projections évaluaient le nombre de bénéficiaires à 35 000, seuls 711 chômeurs ont finalement fait valoir leurs droits (Matsaganis, 2005). Le crédit d’impôt, sur lequel reposaient deux des nouveaux dispositifs, s’est également révélé un instrument inadéquat, notamment parce que par définition, il ne s’adresse pas aux personnes les plus défavorisées et n’est donc pas adapté à la lutte contre la pauvreté. De plus ces deux crédits d’impôt étaient catégoriels, ce qui a eu pour effet d’accentuer la fragmentation du système et d’aggraver les inégalités au sein de la population pauvre.
8Plus généralement, ces prestations soumises à condition de ressources étant dans leur majorité forfaitaires, c’est-à-dire d’un montant identique quel que soit l’écart entre le revenu du bénéficiaire et le plafond, elles sont plus favorables aux moins défavorisés qu’aux plus défavorisés, créant ainsi de nouvelles formes d’inégalités (Matsaganis, 2005, p. 65-69). De plus, malgré une augmentation globale du nombre de mesures et des dépenses, de nombreuses lacunes et inégalités subsistent : sont par exemple exclus de la couverture les chômeurs de longue durée qui ont épuisé leurs droits, les nouveaux arrivants sur le marché du travail qui n’ont encore jamais cotisé, les ménages à bas revenus qui ont moins de deux enfants ou les veuves qui n’ont pas de pension de retraite en droit propre. Même le seul groupe qui bénéficie d’un dispositif de revenu minimum (les personnes âgées défavorisées via la « pension sociale » ou la « pension de base agricole »), n’est pas totalement protégé de la pauvreté, le plafond de ressources (26 % du seuil de pauvreté) et le montant de la pension (156,13 euros par mois pour une personne seule, contre 377 euros pour la pension contributive minimum) étant beaucoup trop faibles.
Globalement, ni la stratégie d’activation, ni l’approche en faveur d’un « filet de sécurité » social universel n’ont véritablement joué un grand rôle dans le débat public et dans l’élaboration des politiques. Au contraire, la Grèce a préféré renforcer les dispositifs soumis à condition de ressources existants, fragmentés et catégoriels, les prestations familiales constituant toutefois une exception partielle à cette règle. Du fait de la modicité des prestations, de la subsistance de nombreuses lacunes dans le système et de la pénurie de services sociaux, la solidarité familiale (et, dans les cas extrêmes, les organisations caritatives) est toujours autant mise à contribution. Les services d’aide à domicile créés pour les personnes âgées dépendantes vivant seules et disposant de faibles ressources constituent la seule politique innovante, d’une part parce qu’ils permettent que l’assistance aux personnes âgées ne repose désormais plus uniquement sur la famille et, d’autre part, parce qu’ils supposent un regroupement des services et des intervenants. Cette approche, plébiscitée par les bénéficiaires, s’est également révélée créatrice d’emplois. Elle a récemment été étendue aux personnes plus jeunes souffrant de handicaps.
Les welfare mix dans un contexte de décentralisation des institutions : Italie et Espagne
9L’Italie et l’Espagne ont, l’une comme l’autre, commencé à réformer leur « filet de sécurité » social dans un contexte de décentralisation des institutions, ce qui a à la fois permis des innovations et compromis l’adoption de règles communes à l’ensemble du territoire.
Italie : décentralisation non régulée et marchandisation
Changement du discours sur les politiques sociales au milieu des années quatre-vingt-dix : entre théorie et pratique
10Jusqu’en 2000, il n’existait en Italie aucune loi nationale régissant le domaine complexe qu’est l’assistance sociale. En 1977, l’assistance sociale et les services sociaux ont été confiés aux gouvernements régionaux et locaux, mais il n’a pas été défini de règles, de priorités ou d’objectifs communs. Cette absence de cadre commun concernait non seulement les allocations, mais aussi les services sociaux. Les seules exceptions étaient le revenu minimum servi aux personnes inaptes au travail en raison de leur âge ou d’une invalidité et les services de santé. Le système de santé est devenu un service de santé universel, régi par une loi nationale, en 1978. Les transferts de revenu en faveur des personnes inaptes au travail (pension sociale et pension d’invalidité) avaient un fondement légal dans la Constitution, qui garantit à tout citoyen dans l’incapacité de travailler le droit à un revenu minimum, de même qu’elle reconnaît à ceux qui ont cotisé le droit de percevoir une pension de retraite convenable. Outre la pension sociale et la pension d’invalidité, existaient également, à l’échelon national, diverses prestations indirectes et catégorielles, vaguement subordonnées à des conditions de cotisation, s’adressant en particulier aux chômeurs de longue durée dans le sud du pays. Ces systèmes, qui associaient de manière confuse un objectif d’assistance sociale et des conditions de cotisation, et les manœuvres clientélistes ont, de facto, donné naissance à un mélange explosif fait de corruption généralisée et d’une insuffisance de protection de la population défavorisée (Negri et Saraceno, 1996). Ils ont également contribué à affaiblir les bases sociale et culturelle nécessaires pour qu’un consensus se dégage sur l’opportunité de mettre en place un dispositif de revenu minimum.
11L’absence de cadre commun dans le domaine de l’assistance sociale et des services sociaux a donné naissance à des systèmes de protection sociale locaux très disparates, non seulement entre les régions, mais aussi au sein d’une même région. Ces disparités ne s’expliquaient par tant par des écarts dans les caractéristiques démographiques ou dans les besoins de la population que par des différences de culture politique et administrative, notamment en termes d’interactions avec le tissu économique local et les divers acteurs économiques et sociaux. De ce point de vue, la déconcentration, la décentralisation et le fédéralisme local caractérisaient les politiques sociales italiennes avant que la réforme constitutionnelle de 2001 n’introduise expressément une dose de fédéralisme régional (Saraceno, 2003). De ce fait, la protection sociale n’était pas seulement disparate et fragmentée à l’échelon national : elle différait également d’un gouvernement local à l’autre, d’autant plus que ces gouvernements ne se sont pas tous dotés des mêmes moyens administratifs dans le domaine de la politique sociale.
12L’exemple des dispositifs de revenu minimum illustre particulièrement bien ce caractère disparate et fragmenté. Ainsi, une étude réalisée en 1996 pour la Commission italienne sur la pauvreté (Kazepov, 1996) a révélé qu’il y avait autant de dispositifs différents que de municipalités qui les avaient institués. En outre, dans nombre de régions – pour ne pas dire dans la plupart d’entre elles –, en particulier les plus pauvres, aucun dispositif de ce type n’avait été mis en place [2].
13Cette étude et la proposition faite dans son sillage par la Commission sur la pauvreté (Commissione di indagine sulla povertà, 1996) d’introduire, sur l’ensemble du territoire italien, un dispositif de revenu minimum comparable au revenu minimum d’insertion français, furent la première occasion d’introduire cette question dans le débat politique italien. Dans la proposition de la Commission, la création de ce dispositif allait de pair avec une réforme radicale du système de prestations familiales existant. Ainsi les prestations familiales, qui étaient (et sont toujours) servies sous condition de ressources et d’un montant dégressif en fonction du revenu, aux ménages de salariés disposant de faibles ressources (ce qui excluait une forte proportion de la population pauvre), seraient transformées en prestations universelles pour enfants, de manière à garantir une forme de revenu de base aux familles avec enfants.
Après cette première ouverture, le débat a été poursuivi de manière plus systématique (mais aussi selon des modalités un peu différentes) par la Commission Onofri. Nommée par le gouvernement de centre-gauche de Romano Prodi pour faire des propositions sur l’orientation de la réforme de l’État providence italien, elle a publié un rapport qui reste, jusqu’à aujourd’hui, le plus complet qui existe en la matière (Commissione per l’analisi delle compatibilita macroeconomiche della spesa sociale 1997). Il insiste notamment sur la nécessité pour le pays de se doter d’un cadre législatif national dans le domaine de l’assistance sociale, qui fasse la distinction entre les mesures contributives et les mesures d’assistance, dépasse la fragmentation catégorielle et crée un dispositif national de revenu minimum pour remplacer les systèmes catégoriels existants. Le rapport faisait également des propositions de règles d’évaluation des ressources, à appliquer à toutes les prestations soumises à condition de ressources pour l’ouverture ou le calcul des droits. Il préconisait notamment de prendre en compte, outre le revenu, le patrimoine et les actifs financiers, afin d’éviter la fraude et l’iniquité induite par l’évasion fiscale.
À la suite de divisions au sein de la majorité de centre-gauche et de l’opposition de l’extrême gauche aux principales mesures qu’il proposait pour réformer les retraites, le rapport Onofri a rapidement été relégué au rang de simple « étude ». Seules les propositions de révision de l’instrument d’évaluation des ressources ont été, en partie, appliquées. Un indicateur de niveau de vie (Indicatore della situazione economica, ISE) intégrant des règles d’évaluation des revenus et des actifs financiers ainsi qu’une échelle d’équivalence a été élaboré. La loi qui a institué cet indicateur a toutefois exclu de son champ d’application toutes les prestations nationales soumises à condition de ressources (pensions sociales, compléments de retraite versés avec les retraites contributives et prestations familiales). En d’autres termes, les principales prestations destinées à la population pauvre ont été exclues du champ d’application de l’ISE et ont continué d’être attribuées en fonction de critères d’évaluation des ressources et d’échelles d’équivalence différents (d’un dispositif à l’autre également). L’ISE a été appliqué aux participations demandées aux bénéficiaires de services sociaux, mais les régions et les communes pouvaient continuer à utiliser leurs propres critères. Il a été appliqué en particulier à deux prestations nationales créées en 1998 en faveur des familles à bas revenus : la prestation pour famille nombreuse (prestation mensuelle servie aux familles ayant trois enfants en bas âge et disposant de faibles ressources) et l’allocation de maternité (prestation forfaitaire servie aux jeunes mères disposant d’un revenu familial faible et ne remplissant pas les conditions d’ouverture des droits aux indemnités de maternité contributives). Ces deux prestations, notamment la première, ont été mises en place dans le contexte d’un débat sur la pauvreté des enfants, déclenché par un rapport de la Commission sur la pauvreté (Commissione di Indagine, 1998) dénonçant l’augmentation de la pauvreté parmi les familles ayant de jeunes enfants. Il n’en reste pas moins que l’instauration de ces mesures ne s’est pas faite conformément aux précédentes propositions de la Commission sur la pauvreté, ni à celles de la Commission Onofri : il n’y a en effet pas eu refonte de l’ensemble du système de protection sociale et de prestations familiales dans le sens de l’universalisme, mais création de deux nouvelles mesures catégorielles qui sont venues s’ajouter à celles déjà en place.
Mise en place expérimentale du revenu minimum d’insertion : une occasion manquée ?
14La même année, un dispositif de revenu minimum (RMI) national a néanmoins été lancé à titre expérimental pour une durée de deux ans, afin d’en tester la faisabilité administrative. Du moins, telle fut la raison officielle avancée pour justifier le caractère expérimental et la portée limitée du projet. En réalité, les fortes résistances suscitées par ce type de mesure, au sein même de la coalition gouvernementale et de la part des syndicats, ont également joué un rôle, peut-être plus important. Le RMI comportait un volet financier et un volet « activation » : les droits étaient non seulement soumis à condition de ressources, mais également à la participation à des programmes d’insertion. L’allocation en espèces était égale à la différence entre le montant maximum auquel la famille pouvait prétendre compte tenu de sa taille et le montant de ses ressources, calculées d’après son ISE. Un abattement de 20 % était pratiqué sur les revenus d’activité pour le calcul de cette allocation pour inciter les bénéficiaires à travailler.
15Pour des raisons politiques faciles à comprendre, ce projet pilote n’était pas réellement conçu comme tel, aucun effort n’ayant été fait pour qu’il permette de comparer les différents contextes démographiques, économiques et institutionnels. Parmi les 29 communes sélectionnées pour le lancement, les communes du Sud étaient surreprésentées (93 % du total des bénéficiaires), tandis qu’on ne trouvait que trois grandes villes (Catania, Naples et Gènes). De surcroît, les fonds alloués au projet pour ces trois grandes villes ne suffisaient pas à couvrir les besoins potentiels. Il a donc fallu effectuer une sélection parmi les ouvrants droit potentiels, ce qui était contraire à l’esprit universel du dispositif. Mais la principale faiblesse a résidé dans le fait que les communes ont été sélectionnées sans vérification préalable de leurs moyens administratifs, ni même de la faisabilité d’une telle approche qui, du fait qu’elle se limitait à l’échelon municipal, était particulièrement difficile à mettre en place, surtout pour les communes à la fois très petites et très pauvres. Le projet était piloté par le ministère des Affaires sociales via un groupe de travail ad hoc et évalué par un organisme indépendant.
16Le rapport d’évaluation du projet pilote (IRS et al., 2001 ; Saraceno, 2002b ; Sacchi et Bastagli, 2005) a mis en évidence des points forts, mais également des faiblesses.
17En ce qui concerne les aspects positifs, l’introduction de telles mesures non catégorielles, particulièrement dans les communes qui ne s’étaient pas dotées d’un dispositif d’aides de dernier ressort, même catégoriel, a pour la première fois permis aux plus défavorisés d’être aidés et d’avoir des droits. Ils étaient ainsi reconnus comme des citoyens, non comme des « clients » ou des objets de charité. Le RMI marquait donc une rupture avec une longue tradition d’indifférence, mais aussi d’arbitraire et de clientélisme. En outre, le volet « activation » a été à l’origine d’une mobilisation des acteurs sociaux et a favorisé un processus de coopération et d’apprentissage mutuel entre les institutions, non seulement au sein du secteur public mais aussi entre le secteur public et les organisations à but non lucratif, voire le secteur privé. Les syndicats ont été également impliqués, si bien que leur attitude négative vis-à-vis du dispositif s’est muée en une attitude positive. Le CGIL, en particulier, syndicat le plus proche de la gauche, est devenu l’un des plus farouches partisans du RMI. De manière générale, cette expérimentation a suscité un large débat et une réflexion non seulement dans les municipalités concernées, mais aussi dans les autres, incitant même certaines d’entre elles à réformer leurs propres dispositifs sur le modèle du RMI. La mesure a été – et est toujours – débattue au sein des organismes de service social et du tiers secteur.
Par ailleurs, le rapport a identifié trois principaux points faibles :
- le premier était le manque criant de professionnalisme et les carences administratives dans nombre de municipalités, en particulier dans le sud du pays. Certaines municipalités ont recruté un travailleur social pour la première fois pour mettre en œuvre la mesure. Ces carences allaient souvent de pair avec un tiers secteur tout aussi défaillant ;
- deuxièmement, l’échelon municipal s’est fréquemment révélé un contexte géographique et social inadapté tant pour la gestion du volet financier que pour la mise en place des mesures d’activation. Bien souvent, les petites municipalités ne disposent ni du personnel, ni des ressources sociales nécessaires à la mise en place de ce type de mesures ;
- la troisième faiblesse tenait aux spécificités du contexte économique et social du Sud, région à très forte concentration de pauvreté. Les carences de l’administration, la criminalité et l’insuffisance du contrôle exercé par l’État en font le terreau de la fraude, de la pauvreté et du chômage. De ce fait, le RMI est devenu la seule source licite de revenu. Dans un tel contexte, les programmes d’insertion et de formation risquaient fort de se révéler inutiles s’il n’y avait pas d’emploi à la clé.
Le crédit d’impôt est devenu l’instrument de redistribution privilégié. Or, il est particulièrement inadapté pour redistribuer les richesses en faveur des plus démunis, non seulement parce que, par définition, il ne touche pas ceux qui disposent de ressources trop faibles pour être imposables mais aussi parce qu’en Italie, le système fiscal repose sur l’imposition individuelle et non sur l’imposition conjointe du ménage. Ainsi, les crédits d’impôt soumis à condition de ressources, tout comme les abattements fiscaux consentis au titre des enfants, peuvent être source d’inégalités supplémentaires.
Toutefois, contrairement à ce qui se passe en Grèce, l’opportunité et la faisabilité d’un filet de sécurité universel restent présentes dans le débat politique.
Les effets contradictoires de la réforme constitutionnelle du cadre institutionnel de l’État
19Alors que le RMI était en cours d’expérimentation, et peu de temps avant les élections législatives et l’alternance politique qui en a résulté, une loi-cadre nationale sur les services sociaux et l’assistance sociale a finalement été votée (loi 328/2000). Elle prévoyait un système complexe de répartition des compétences et du pouvoir entre les différents niveaux de gouvernement et entre le secteur public et le tiers secteur, offrant ainsi un environnement réglementaire clair au welfare mix italien. Elle était excessivement complexe et dense mais reposait sur cinq principes clairs :
- uniformité des règles sur l’ensemble du territoire italien, à définir sur la base de « niveaux essentiels d’assistance » ;
- décentralisation et coopération avec le tiers secteur ;
- universalisme ;
- rééquilibrage au profit des prestations en nature et des services, par rapport aux prestations en espèces ;
- sécurité du financement, via un « Fonds social national » comparable au Fonds national de santé, abondé annuellement.
20Mais le Parlement qui avait voté cette loi devait, peu de temps après, approuver une réforme constitutionnelle qui attribuait aux régions une compétence exclusive dans le domaine de l’assistance sociale et des services sociaux, privant ainsi la loi-cadre de toute base légale. À ce jour, la notion de « niveaux essentiels d’assistance » n’a toujours pas été définie et constitue une pomme de discorde entre le gouvernement national et les gouvernements régionaux, mais aussi entre les régions qui n’ont pas la même tradition (ni le même budget) dans ce domaine. L’absence de définition de ces « niveaux » laisse toute latitude au gouvernement pour intervenir dans le Fonds social national en dehors de toute négociation, tout en fermant la voie au lancement d’autres expérimentations dans le domaine du RMI. Une tentative a toutefois été faite (bien que ne bénéficiant d’aucun financement clair) dans le cadre de la loi de finances 2002, qui disposait que l’État cofinancerait un dispositif de revenu minimum « de dernier ressort » dans les régions prêtes à le mettre en place et à le financer partiellement. Certaines régions ont contesté cette disposition devant le tribunal constitutionnel et ont obtenu gain de cause, au motif que ce type de mesure ne s’inscrivait pas dans le cadre des « niveaux essentiels d’existence » (si tel avait été le cas, l’État aurait été contraint de la financer dans toutes les régions). En conséquence, accorder un financement à certaines régions, et pas à d’autres, aurait été en contradiction avec le principe de compétence exclusive des régions dans ce domaine. Ainsi, toute autre tentative de mise en place d’un revenu minimum au niveau national semble donc vouée à l’échec pour l’instant, d’autant plus que la dernière réforme constitutionnelle (octobre 2005) a renforcé l’autonomie des régions.
La fragmentation et le fédéralisme local, qui étaient, avant les deux réformes constitutionnelles, des caractéristiques de fait du système d’assistance sociale italien ont donc désormais un fondement solide dans la Constitution elle-même. C’est précisément ce fondement constitutionnel qui manque pour jeter les bases d’un cadre national commun. Même un nouveau gouvernement, avec une autre majorité, et même en faisant abstraction des contraintes budgétaires, aurait des difficultés à faire évoluer cette situation au niveau institutionnel. La seule voie – étroite – qui permettrait d’y parvenir serait de définir les « niveaux essentiels d’assistance ». Mais comme ils sont associés à une définition claire des responsabilités financières et font référence à des droits sociaux, ils risquent fort de rester très controversés et de finir sur la liste des mesures nationales existant déjà.
Renforcement du rôle du marché dans les services sociaux
21Quant à l’objectif d’aide à la famille, fixé par la loi-cadre 328/2000, il a surtout été interprété par le gouvernement Berlusconi comme une référence à l’aide qui, traditionnellement, est attendue de la solidarité familiale. Ceci apparaissait clairement dans le Livre blanc de 2003 sur la protection sociale (Libro bianco sul welfare), principal document publié par le gouvernement dans ce domaine. Le seul effort réalisé concerne l’accueil de la petite enfance (enfants de 0 à 2 ans), domaine dans lequel la couverture des besoins est encore faible (Saraceno, 2003). En 2000, seuls 7 % des besoins étaient couverts en moyenne (de 15 % dans de nombreuses régions du centre et du Nord à moins de 2 % dans le Sud), soit deux points de pourcentage de plus que huit ans plus tôt. Ces dernières années, des aides financières ont été mises en place pour inciter les entreprises à créer leurs propres services afin d’aider les mères actives à concilier vie familiale et professionnelle. Ces mesures ont entraîné une hausse du nombre de services d’accueil, en particulier dans les régions du Nord. Globalement, depuis quelques années, l’augmentation du nombre de structures d’accueil pour les enfants de 0 à 2 ans est surtout due au secteur privé. Le fait que les capacités d’accueil restent très insuffisantes alors que les femmes sont de plus en plus nombreuses à travailler, a ouvert de nouvelles perspectives à l’initiative privée. Ces services sont toutefois très onéreux. De surcroît, particulièrement dans le cas de la prise en charge des personnes âgées dépendantes mais aussi dans celui des travaux domestiques et de la garde des très jeunes enfants, le marché se développe plus dans le secteur informel que dans le secteur officiel, ces services étant fournis à domicile par des travailleurs immigrés, généralement des femmes, souvent dépourvus de toute protection sociale et de résidence légale. Il arrive que les ménages à bas revenus soient encouragés à se tourner vers le secteur privé par des aides publiques, sous forme de « bons » (care vouchers) octroyés par les autorités locales ou de déductions fiscales (voir aussi Da Roit et Sabbatinelli, 2005).
Espagne : concurrence vertueuse entre citoyenneté régionale et citoyenneté sociale ?
Un welfare mix décentralisé
22La décentralisation des institutions et l’autonomie régionale ont été au cœur de la démocratie espagnole après la chute du régime franquiste (Moreno, 2001). À l’instar de ce qui devait se passer en Italie des années plus tard, l’assistance sociale, en particulier, est devenue une compétence exclusive des dix-sept Communautés autonomes (Communidades Autonomas). Compte tenu de la période à laquelle cela s’est produit et du contexte politique de l’époque, les Communautés autonomes virent dans l’amélioration des services sociaux et, plus tard, dans la mise en place de systèmes de revenu minimum, le moyen d’asseoir leur légitimité populaire et de garantir la cohésion sociale (Arriba et Moreno, 2005). L’autonomie régionale a donc impulsé des améliorations dans un secteur resté très rudimentaire sous le régime franquiste et a marqué le début d’une période d’innovations sur le plan de la politique sociale ; l’adhésion à l’Union européenne est venue conforter cette tendance.
Compte tenu des carences des services publics héritées du régime franquiste, le modèle adopté fut celui du welfare mix. Les organisations à but non lucratif ont donc été intégrées aux institutions offrant des services sociaux. Comme en Italie, nombre de ces organisations ont coopéré essentiellement avec les gouvernements régionaux et municipaux, dont elles recevaient – et reçoivent encore – bien souvent des subventions. Un ministère des Affaires sociales a été créé à l’échelon national, mais les tentatives d’adoption d’une loi nationale sur les services sociaux ont été mises en échec par l’opposition des régions. Le gouvernement central est compétent en matière de prestations contributives, d’une part, et de revenu minimum garanti pour les personnes âgées et handicapées, via le régime de pension, d’autre part. La loi sur les pensions de sécurité sociale non contributives, adoptée en 1990, a institué une prestation soumise à condition de ressources pour les personnes âgées et handicapées n’ayant pas, ou pas assez, cotisé. La même année, une allocation familiale soumise à condition de ressources a été créée pour les personnes disposant de (très) faibles ressources et ayant des enfants de moins de 18 ans ou des enfants handicapés. Contrairement aux allocations familiales italiennes, cette prestation vise toutes les familles à faibles ressources, sans condition de cotisation et quelle que soit l’origine de leur revenu. En revanche, comme en Italie, il n’existe pas de prestation familiale universelle en Espagne. Dans ce domaine, les mesures qui ont le plus un caractère universel sont :
- la définition d’un « minimum vital » exonéré d’impôt ; cette mesure a vocation à garantir une forme de revenu minimum aux ménages (imposables) en fonction de la taille de la famille ;
- des abattements fiscaux au titre des enfants à charge (jusqu’à 25 ans). Comme en Italie, ils ont été sensiblement augmentés en 2003 (Moreno et Salido, 2005). Bien que ces avantages soient des crédits d’impôt remboursables, ils présentent les mêmes limites que toute mesure fiscale en termes d’effets redistributifs, puisqu’ils ne concernent que les contribuables et sont sans incidence sur la situation des plus démunis.
Vers un partenariat négocié au sein du welfare mix : le pacte de Tolède
23En 1995 un rapport sur « l’analyse des problèmes structurels du système de sécurité sociale et des principales réformes nécessaires », a abouti à la signature du « pacte de Tolède » par l’ensemble des grands partis politiques et syndicats ; ce pacte fut ratifié par le Parlement et, par là même, transformé en loi. Ses dispositions étaient très proches de celles du rapport de la Commission Onofri, en Italie, préconisant notamment la séparation des prestations contributives et non contributives, ces dernières (système de santé, services sociaux et prestations d’assistance sociale soumises à condition de ressources) devant être financées par l’impôt. Il prévoyait également que les municipalités devaient offrir :
- des informations et des conseils dans le domaine des services sociaux ;
- des services sociaux et des services en matière de prise en charge de jour des personnes âgées et des personnes handicapées (qui, de ce fait, sont apparues plus « méritantes » que les enfants) ;
- des solutions d’hébergement pour les populations les plus démunies et les plus fragiles ;
- des services de prévention et d’insertion sociale.
L’expérience du pacte de Tolède et la coopération interinstitutionnelle à laquelle elle a abouti entre les trois niveaux de gouvernement ont servi de modèle pour poursuivre la coopération en l’absence de loi nationale sur l’assistance sociale. Au cours des années qui ont suivi, des accords ont été conclus dans divers domaines de la politique sociale. Bien que, à la différence du pacte de Tolède, ils n’aient pas servi de base à l’adoption d’une loi, ils se sont révélés efficaces, à la fois pour structurer le débat public et pour orienter les politiques au niveau régional (Moreno, 2001). Par la suite, cette expérience – avec ses forces mais aussi ses faiblesses – a également servi de cadre au débat sur les plans d’action pour l’inclusion sociale et à leur élaboration aux niveaux national et local. L’élaboration de ces plans a été l’occasion de partager des informations, d’échanger des points de vue et a permis que tous les intervenants concernés s’impliquent activement dans les débats. Toutefois, des divergences de vue, des conflits d’intérêts et des querelles de pouvoir ont empêché l’émergence d’idées et d’approches réellement nouvelles. Les deux plans nationaux d’action se sont donc réduits à des compilations des politiques et dispositifs existants (voir également Arriba et Moreno, 2005).
Dispositifs régionaux de revenu minimum d’insertion : apprentissage mutuel et différentiation
25Dans ce contexte de concurrence, de collaboration et d’apprentissage mutuel entre les régions et sous l’impulsion des recommandations de l’Union européenne, les régions ont commencé à mettre en place, au cours des années quatre-vingt-dix, des dispositifs de revenu minimum d’insertion (Rentas Minimas de Insertion) en faveur des familles à bas revenus [3].
26S’inspirant du revenu minimum d’insertion français, ils associaient une allocation de revenu minimum et un volet « activation ». La plupart des ONG et l’Église catholique (à travers l’organisation Caritas) ainsi que les syndicats ont soutenu ces projets dès le départ. Le premier dispositif a été mis en place au Pays basque, en 1989, et le dernier dans les îles Baléares, en 1995.
Bien que partageant les mêmes objectifs de départ et la même approche universaliste, les dispositifs mis en place diffèrent les uns des autres en termes de plafonds de ressources, d’échelles d’équivalence et de couverture ; ils ne reposent pas non plus sur les mêmes conceptions et pratiques en matière d’insertion et n’appliquent pas les mêmes méthodes pour obliger les bénéficiaires à respecter leurs obligations (Moreno et Arriba, 2005 ; Saraceno, 2002a). Ceci s’explique non seulement par des différences de ressources financières et de contexte politique, mais aussi par le fait que les différentes régions n’ont pas toutes les mêmes traditions et cultures professionnelles dans ce domaine et ne disposent pas des mêmes moyens administratifs. Laparra et Aguillar (1997) proposent de regrouper les dispositifs régionaux de revenu minimum en trois catégories :
- ceux dans lesquels le bénéfice de l’allocation est lié à l’insertion ;
- ceux dans lesquels l’insertion prend la forme d’un contrat de travail, de sorte que l’allocation s’apparente à une mesure de workfare ;
- ceux qui permettent de bénéficier d’une assistance sociale personnalisée, sur une base discrétionnaire.
Comme en Italie, ces disparités géographiques se retrouvent aussi au niveau de l’offre de services sociaux et de la couverture des besoins, en particulier pour les enfants de moins de 3 ans et les personnes âgées dépendantes. Les politiques destinées à garantir l’égalité des chances entre hommes et femmes et celles visant à leur permettre de concilier vie familiale et professionnelle font partie de l’agenda politique depuis la chute du régime franquiste ; l’approche adoptée – celle du welfare mix – a favorisé la prise d’initiative par le secteur privé et le tiers secteur dans le domaine des services sociaux. Néanmoins, l’offre reste très insuffisante et le recours à la solidarité familiale (ou, plutôt, aux « superwomen » et aux grands-mères, voir : Tobio, 2001 ; Moreno et Salido, 2005) reste souvent la norme. L’autre solution consiste à faire appel à des employés de maison rémunérés, qui sont de plus en plus fréquemment des femmes immigrées sans couverture sociale.
Le nouveau gouvernement socialiste (PSOE) a présenté son programme dans ce domaine. Il n’en reste pas moins que toute intervention de l’État dans un secteur qui relève de la compétence exclusive des régions est de nature à créer de nouveaux conflits et à nécessiter des négociations.
Portugal : une décentralisation centralisée
La pauvreté : une priorité des politiques sociales dans le pays le plus pauvre de l’Europe des Quinze
28L’histoire du Portugal, qui n’est devenu un pays démocratique et un membre de l’Union européenne que tardivement, a été qualifiée de « success story » de l’Europe du Sud (Ferrera, 2005), non seulement parce qu’il a mis en place un dispositif de revenu minimum mais aussi en raison du rôle actif qu’il a joué pendant sa présidence de l’Union européenne et de l’habileté avec laquelle ses gouvernements ont su utiliser les instruments communautaires pour réformer leurs politiques. Ceci a eu lieu dans un contexte de profonde mutation de la société portugaise, tant en termes démographiques que du point de vue du mode de vie des familles. Comme l’Italie et l’Espagne avant lui, le Portugal a vu le nombre de familles élargies et de ménages multiples diminuer, les jeunes couples fondant leur propre foyer et les personnes âgées se mettant à vivre seules. Ce phénomène a, dans une certaine mesure, affaibli une tradition de partage des revenus entre les générations, qui avait été un moyen de faire face au manque de ressources et à la pénurie de services, dans un pays qui, à la différence des autres pays méditerranéens, affiche un taux d’activité des femmes relativement élevé depuis un certain temps. Bien que la prise en charge par la famille reste le mode dominant de garde des enfants et d’assistance aux personnes âgées dépendantes, l’éloignement géographique rend la situation plus difficile ; de plus en plus souvent, les mères actives sont obligées, ou choisissent, de faire appel à une aide extérieure (Torres et al., 2001). L’offre de services d’accueil des enfants de moins de 3 ans est totalement inadaptée aux besoins (environ 20 %), même si la situation est plus favorable qu’en Italie. Les services d’assistance aux personnes âgées sont également insuffisants. Comme en Italie et en Espagne, la prise en charge auparavant assurée gratuitement par la famille est remplacée par le recours à des employés de maison travaillant dans le secteur privé, souvent dans le secteur informel. L’absence de système universel pour aider les familles à faire face aux frais liés aux enfants vient s’ajouter à la pénurie de services. Les allocations familiales, contributives et non contributives, sont octroyées selon des règles très proches de celles appliquées en Italie. La couverture est donc limitée et les droits sont ouverts sous condition de ressources, sans pour autant que tous les enfants pauvres en bénéficient.
29Suite à l’adhésion à l’Union européenne en 1986, les politiques destinées à lutter contre la pauvreté et à favoriser l’insertion sociale ont pris de plus en plus en d’importance dans un pays qui était, et reste, le plus pauvre de la « vieille Union européenne ». La participation du Portugal au deuxième programme européen de lutte contre la pauvreté a favorisé la mise au point de projets ciblant des publics spécifiques (en d’autres termes, catégoriels) et s’inscrivant dans une perspective d’activation. Ces projets avaient une dimension collective et entendaient favoriser la participation et la coopération de divers acteurs. Les ONG, surtout d’obédience religieuse (comme la Misericordia), occupaient une place très importante. Dans certaines villes, comme Lisbonne, ces organisations étaient en réalité chargées de la mise en œuvre des dispositifs d’assistance sociale financés par l’État (voir également Bonny et Bosco, 2002). Ces projets ont été l’occasion de former une nouvelle génération de travailleurs sociaux et de décideurs locaux (dans le secteur public et dans le tiers secteur) avec une expertise en matière de coopération et d’action avec différents acteurs, et centrés sur les politiques actives plutôt que sur les mesures strictement palliatives ou de « dernier ressort ». Ce sont ces décideurs et ces travailleurs sociaux qui ont été en charge des politiques lancées au milieu des années quatre-vingt-dix.
30Le premier résultat de cette expérience a été le lancement, en 1995, du programme national contre la pauvreté, qui reposait sur des actions communautaires destinées à promouvoir le développement local, tant en milieu urbain qu’en milieu rural. Deux comités régionaux avaient été institués pour approuver et financer les projets locaux nés d’un partenariat entre des acteurs publics et privés (ONG et organisations à but lucratif) et pour en assurer le suivi. Ces projets pouvaient par exemple prévoir la création de services locaux, l’organisation de formations, la mise en place d’aides à la création de petites entreprises et des actions de renouvellement rural et urbain. Comme ils avaient une portée limitée et du fait de la dispersion géographique, leur incidence à long terme sur le tissu économique local a été relativement faible (Capucha, Bomba, Fernandes et Matos, 2005).
Le programme intitulé « Réseau social pour le développement local » était plus ambitieux en termes d’effets à long terme. Il avait vocation à permettre, au niveau local, un processus de planification sociale coopératif s’appuyant sur la recherche, afin de tisser des réseaux locaux impliquant les différents intervenants sociaux concernés. Mis en place à titre expérimental dans 41 municipalités pilotes en 2000, cet instrument, qui reposait sur une approche pluraliste de la protection sociale (welfare mix) avait été adopté par plus de la moitié des municipalités portugaises en 2003.
Alors que le « Réseau social » est un instrument méthodologique plus qu’un outil d’intervention direct, l’initiative baptisée « Marché social de l’emploi » vise à permettre aux plus démunis de disposer de ressources via un système d’emplois aidés par l’État. Ces emplois peuvent être soit temporaires et constituer un tremplin vers le marché du travail, soit définitifs, pour ceux qui ne sont pas aptes à travailler sur le marché du travail normal. Cette stratégie est également articulée autour des trois axes que sont la décentralisation, le partenariat pluridisciplinaire et l’activation. L’évaluation de cette politique a suscité des controverses, notamment en ce qui concerne l’efficacité du volet « activation ».
Le revenu minimum portugais : les limites potentielles du dispositif
31Enfin, en 1996, un dispositif de revenu minimum a été mis en place à titre expérimental avant d’être généralisé, en 1997, à l’ensemble du territoire, devenant ainsi l’une des mesures phare de la présidence portugaise de l’Union européenne. Inspiré du RMI français, il comporte une allocation de revenu minimum et un volet insertion sociale, basé sur un contrat entre le bénéficiaire et la collectivité. L’allocation de base est égale au montant de la pension sociale, soit 37 % du salaire minimum. Elle est donc très sélective et, de fait, ne permet pas réellement de sortir de la pauvreté. Les pensionnés âgés constituent en réalité la plus grande part des pauvres au Portugal. En outre, du fait de sa forte sélectivité, le dispositif n’est ciblé que sur les individus et les ménages vivant dans des conditions d’extrême pauvreté, cumulant souvent les handicaps et, par conséquent, moins susceptibles de tirer parti des mesures d’activation. Dans le meilleur des cas, ils finissent par travailler dans le cadre du « Marché social de l’emploi ».
32Le RMI qui, à ses débuts, bénéficiait d’un soutien politique et populaire fort, fait l’objet de certaines critiques depuis quelques années, portant notamment sur le fait que certains bénéficiaires pourraient l’obtenir en fraudant (ce qui est également l’une des principales critiques des adversaires du revenu minimum en Grèce et en Italie). Pourtant, les évaluations du dispositif ne corroborent pas ces soupçons (Capucha, Bomba, Fernandes et Matos, 2005). En revanche, elles abondent dans le sens des critiques sur la qualité et l’efficacité des programmes d’insertion et, globalement, sur les capacités administratives des organismes locaux en charge de l’application. Toutefois, comme cela a déjà été signalé et comme le montre la recherche comparative, les difficultés rencontrées au niveau de l’insertion tiennent autant aux caractéristiques des bénéficiaires qu’à la qualité des programmes (voir par exemple Gustaffson, Muller, Negri et Voges, 2002). De plus, à l’instar de ce qui a été observé lors de la mise en place expérimentale du revenu minimum dans le sud de l’Italie, dans les régions pauvres, le RMI risque de devenir la seule source de revenu licite (Ferrera, 2005), ce qui entraînerait une saturation du système. Il n’en reste pas moins que ce dispositif est désormais une composante stable du système de protection sociale portugais et n’a pas été remis en cause, même par le changement de gouvernement.
Points communs et différences entre les welfare mix des pays d’Europe du Sud au début des années 2000
33Les évolutions décrites dans cet article révèlent que, si ces quatre pays présentent toujours des caractéristiques communes, un certain nombre de différences apparaissent. Les systèmes de protection sociale, qui continuent de s’adresser en priorité aux personnes qui travaillent régulièrement, restent essentiellement caractérisés par leur nature catégorielle et fragmentée. Le welfare mix repose toujours en grande partie sur la solidarité familiale d’une part et sur les actions et les initiatives des ONG d’autre part. Toutefois, l’intervention des ONG n’est plus implicite. Ainsi, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, en particulier, ont de plus en plus un partenariat encadré et reconnu officiellement, avec les ONG dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques sociales, favorisant ainsi leur réorganisation, voire, dans certains cas, leur développement. L’intégration officielle des ONG au welfare mix permet une augmentation de l’offre de services qui, en leur absence, serait très insuffisante, notamment en faveur des groupes sociaux les plus vulnérables. Elles sont également une ressource précieuse pour la mise en œuvre de stratégies d’activation. Néanmoins, cette intégration est également source de disparités géographiques, aussi bien dans les pays décentralisés comme l’Espagne et l’Italie que dans les pays plus centralisés, comme la Grèce et le Portugal.
34Les services sociaux, en particulier les services de garde des très jeunes enfants et d’assistance aux personnes âgées dépendantes, suscitent de plus en plus d’attention et d’interventions. La couverture des besoins n’en reste pas moins partielle et la famille continue d’occuper une place importante dans ce domaine. Toutefois, de plus en plus de familles – et en particulier de femmes – transfèrent la charge du care vers du travail rémunéré en se tournant vers le marché pour acheter des services. Dans tous ces pays, l’augmentation du nombre de structures d’accueil privées (crèches, maisons de retraite) et le recours à des employées immigrées constituent la réponse aux carences qui apparaissent du fait du vieillissement de la population et de l’augmentation de l’activité des femmes (Da Roit et Sabbatinelli, 2005). De ce point de vue, les régimes de protection sociale des pays méditerranéens semblent évoluer vers un modèle dans lequel le marché joue un rôle croissant dans l’offre de services à la personne, qu’il s’agisse du marché social, au sein duquel opèrent les ONG, ou du marché privé, souvent déréglementé. Dans l’un et l’autre cas, les familles doivent assumer tout ou partie des coûts, même si la qualité n’est pas satisfaisante.
35Au-delà de ces points communs, un certain nombre de différences apparaissent. La première concerne les modes de décentralisation. Bien que n’ayant pas suivi le même chemin, l’Espagne et l’Italie illustrent les risques inhérents à la territorialisation des droits sociaux, du fait que la majorité des politiques sociales, en particulier celles sur les services en faveur des enfants et des personnes âgées et sur le revenu minimum en faveur des plus démunis, relèvent de la compétence des autorités régionales ou locales et sans qu’un cadre et un financement communs aient été définis.
36La deuxième différence tient à l’existence ou non d’un dispositif de revenu minimum en faveur de la population défavorisée. Seuls le Portugal et certaines Communidades Autonomas espagnoles se sont dotés de ce dispositif, l’Italie, la Grèce et de nombreuses régions espagnoles en étant encore dépourvues. En Grèce et en Italie notamment, sa mise en place reste un thème très controversé du débat politique en raison des risques de fraude induits par l’importance de l’économie informelle. En Italie, la forte concentration géographique de la pauvreté est un obstacle politique supplémentaire à son instauration et affaiblit sa légitimité. Dans le même temps, l’expérience portugaise démontre les risques qu’il y a à adopter des stratégies de lutte contre la pauvreté qui ne sont pas (ou ne peuvent pas être) intégrées à des politiques de développement plus larges.
La troisième différence concerne le degré avec lequel la marchandisation des services sociaux est encouragée, non seulement par une augmentation de la demande à laquelle le secteur public ne répond pas, mais aussi par les politiques publiques elles-mêmes. C’est l’Italie qui semble être allée le plus loin dans cette direction, via un système – aussi fragmenté soit-il – d’aide à la garde d’enfants et de déductions fiscales.
Notes
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[*]
Professeure de sociologie à l’université de Turin (Italie), directrice du Centre interdisciplinaire d’études et de recherches sur le genre et les femmes (CIRSDe).
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[1]
Les liens entre ces services sociaux et la conciliation de la vie professionnelle et familiale ne sont pas abordés dans cet article car ils sont traités dans le présent numéro par J.C. Gornick et M.K. Meyers d’une part et M.J. Gonzales d’autre part.
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[2]
Voir également la partie sur l’Italie dans l’étude comparative présentée dans Saraceno, (2002).
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[3]
Sur cette question voir également dans le numéro 3-2005 de la Revue française des Affaires sociales l’article d’E. Cayado « Les pouvoirs publics et la lutte contre l’exclusion professionnelle : l’exemple espagnol de distribution territoriale des compétences » (N.D.L.R.).
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[4]
Voir également Bonny et Bosco (2002) et Gustaffson, Muller, Negri et Voges (2002), pour une comparaison des dispositifs catalan et basque et de leurs résultats.