1L’allongement de la durée de vie qui résulte des progrès de la médecine et de l’amélioration du niveau et des conditions de vie a accru le nombre de personnes âgées [1] dont, pour certaines, l’état évolue vers une autonomie moindre nécessitant des soins accrus. C’est dans ce contexte que la question de la prise en charge institutionnelle des personnes âgées ou handicapées se pose, bien que le maintien à domicile soit privilégié, notamment par la législation (Kessler, 2001).
2Parallèlement, le mode de vie des Français a évolué et tend aujourd’hui à davantage de mobilité géographique couplée avec une généralisation du travail salarié à deux. Dans le même temps, le vieillissement de la population a modifié la rotation économique des patrimoines de telle sorte que l’équilibre entre les charges et les revenus des foyers est profondément différent : aujourd’hui, un couple peut avoir à sa charge aussi bien ses enfants que ses propres parents. À cela s’ajoute un éclatement de la cellule familiale qui peut perturber la spontanéité de l’aide apportée aux membres de la famille.
3Tous ces facteurs, conjoncturels ou non, rendent plus difficile la cohabitation des différentes générations. Cela peut expliquer qu’aujourd’hui l’obligation alimentaire s’exécute souvent en argent plutôt qu’en nature. Cette solidarité pécuniaire peut paraître moins naturelle aux familles au sens où elle ne correspond pas, pour elles, au reflet des devoirs traditionnels mais à une contrainte sociale qui peut notamment être exercée par un tiers au rapport alimentaire.
4Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 20 juillet 2001 [2], instaurant l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), la prise en charge des frais liés à la perte d’autonomie est assurée par la collectivité. Le droit au bénéfice de l’APA n’est soumis à aucune condition de ressources. Ainsi toute personne peut, quel que soit son niveau de revenus, en bénéficier. L’attribution de l’APA n’est, en outre, pas subordonnée à la mise en œuvre de l’obligation alimentaire (article L. 232-24 du Code de l’action sociale et des familles – CASF).
5L’objet de cette prestation est de financer le tarif de l’établissement afférent à la dépendance (c’est-à-dire les dépenses d’aide à la vie quotidienne correspondant au degré de perte d’autonomie de la personne) ; ce tarif étant diminué d’un ticket modérateur (article L. 232-8 du Code de l’action sociale et des familles). L’APA est en effet égale au montant des dépenses correspondant au degré de perte d’autonomie du demandeur, défini par le tarif de l’établissement afférent à la dépendance, diminué, le cas échéant de la participation du bénéficiaire (Borgetto et Lafore, 2002). Cette dernière varie en fonction du montant de ses ressources [3].
6À cela s’ajoutent les frais d’hébergement en établissement qui restent à la charge des bénéficiaires de cette prestation [4]. À défaut de ressources suffisantes du résidant, une aide sociale à l’hébergement peut lui être accordée. Mais en vertu du principe de subsidiarité de l’aide sociale, ses obligés alimentaires sont invités à indiquer l’aide qu’ils peuvent allouer au demandeur d’aide sociale et, le cas échéant, la preuve de leur incapacité à couvrir la totalité des frais (article L. 132-6 du Code de l’action sociale et des familles). En outre, la possibilité est donnée au représentant de l’État ou au président du conseil général d’agir en remboursement contre les débiteurs alimentaires pour tout ou partie des prestations versées (l’article L. 132-7 du Code de l’action sociale et de la famille), ceci afin de rendre effective la participation des obligés alimentaires.
7L’aide sociale peut ne pas être octroyée au résidant, soit parce qu’aucune demande n’a été faite soit parce qu’elle a été rejetée, ce qui signifie, dans cette dernière hypothèse, que la commission d’admission à l’aide sociale a estimé que la famille devait prendre en charge cette dépense ; les débiteurs alimentaires ayant des ressources suffisantes pour contribuer aux frais d’hébergement. À défaut d’exécution spontanée de l’obligation alimentaire, l’établissement public de santé bénéficie, pour récupérer les sommes déjà dépensées au titre de l’hébergement et non encore réglées, d’un recours spécifique contre les débiteurs alimentaires [5] qui met en jeu les règles civiles relatives aux obligations alimentaires. L’article L. 6145-11 du Code de la santé publique, dispose en effet que « les établissements publics de santé peuvent toujours exercer leurs recours, s’il y a lieu, contre les hospitalisés, contre leurs débiteurs et contre les personnes désignées par les articles 205, 206, 207 et 212 du Code civil. Ces recours relèvent de la compétence du juge aux affaires familiales ».
8Trois conditions sont requises pour l’exercice de ce recours : tout d’abord, l’établissement public de santé doit être titulaire d’une créance à l’égard du résidant au sens où des sommes ont déjà été engagées par les services hospitaliers pour la fourniture de soins et de services, dont font partie les soins de longue durée comportant un hébergement à des personnes n’ayant pas leur autonomie de vie et dont l’état nécessite une surveillance médicale constante et des traitements d’entretien (article L. 6111-2 du Code de la santé publique).
9Ensuite, pour pouvoir agir contre les débiteurs alimentaires doit être constaté un défaut de paiement de la dette hospitalière par le résidant mais aussi une absence de ressources personnelles suffisantes de ce dernier.
10Enfin, doit être relevée l’existence d’une obligation alimentaire au sens des articles 205, 206, 207 et 212 du Code civil. Le Code civil crée en effet une obligation alimentaire entre certains membres de la famille [6] ayant pour objet de fournir des aliments à une personne dans le besoin (ce qui est le cas lorsque la personne n’a pas les ressources suffisantes pour honorer la dette hospitalière). Ce devoir de solidarité familiale comprend les obligations entre ascendants et descendants (article 205 du Code civil), les obligations entre parents et alliés (article 206 du Code civil) et le devoir de secours (article 212 du Code civil). Les débiteurs alimentaires ainsi visés par le Code civil sont les ascendants du créancier d’aliment, ses descendants, ses gendres et belles-filles, ses beaux-pères et belles-mères, ainsi que son conjoint.
11Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 8 janvier 1993, ce contentieux est traité par le juge aux affaires familiales (JAF). Il est ainsi compétent pour déterminer l’existence et l’étendue de l’aide alimentaire familiale, conformément à l’article 208 du Code civil, qui pose le principe de la proportionnalité de l’aide aux besoins du créancier et aux ressources des débiteurs alimentaires. L’enjeu est d’importance car le recours au JAF évite aux débiteurs alimentaires le paiement de l’ensemble de la dette hospitalière tel qu’il est réclamé par les établissements publics de santé, parfois au moyen de titres exécutoires dont la validité est d’ailleurs contestée. L’émission d’états exécutoires consiste, pour l’organisme créancier, à dresser un état des sommes réclamées, à le revêtir de la formule exécutoire et à l’adresser au percepteur aux fins de recouvrement. Elle permet d’exécuter un ordre de paiement sans qu’il soit nécessaire d’obtenir une décision de justice exécutoire préalable. Cette pratique est condamnée par la Cour de cassation qui insiste sur la nécessité de saisir au préalable le JAF (Rebourg, 2005).
L’étude menée sur les recours exercés, devant les juridictions du Finistère, par des établissements publics de santé a permis de révéler l’inefficacité de ce recours (cf. encadré). Les résultats montrent un faible taux de recours exercés par les établissements publics de santé devant ces juridictions alors que le contentieux est important en valeur et d’une durée particulièrement longue [7]. L’analyse de ce recours, lié au régime des obligations alimentaires, conduit à se demander s’il est bien adapté au recouvrement des créances des établissements publics de santé et, plus précisément, à la récupération des frais d’hébergement. Cette interrogation prend toute sa valeur si l’on se réfère à l’article 72-9° de la loi no 2004-1343 de simplification du droit du 9 décembre 2004 [8] qui autorise le gouvernement à modifier par ordonnance la partie législative du Code de l’action sociale et des familles pour rapprocher les règles relatives à la fixation de l’obligation alimentaire dans les établissements sociaux et médico-sociaux avec celles applicables aux établissements publics de santé.
Encadré : Méthodologie
L’objectif de la recherche menée était d’étudier la manière dont les établissements publics de santé réagissent à l’égard des familles de leurs usagers et mettent en œuvre les obligations alimentaires lorsque des frais d’hospitalisation demeurent impayés et qu’un arriéré s’accumule.
Cette recherche a consisté à analyser les règles de droit applicables au recours exercé par les établissements publics de santé contre les débiteurs alimentaires ainsi que la jurisprudence des juridictions suprêmes (Cour de cassation, Conseil d’État, Tribunal des conflits) pour retracer, au préalable, le conflit de compétence entre les juridictions judiciaires et administratives et examiner la question de la validité des titres exécutoires émis contre un débiteur alimentaire.
Elle comporte également :
- une analyse quantitative et qualitative des recours exercés devant les juridictions du fond du département du Finistère (par une analyse de dossiers judiciaires des tribunaux de grande instance de Brest, de Quimper et de Morlaix sur la période de janvier 1998 à mars 2003). Sur la période étudiée qui est de six à sept ans selon les juridictions, on relève douze recours exercés sur l’ensemble des trois juridictions étudiées ;
- et une étude de la pratique des établissements publics de santé en la matière, par un examen des dossiers de recouvrement des frais hospitaliers des établissements de santé de Morlaix et de Quimperlé. Ces études ont été réalisées au moyen de grilles de lecture prédéterminées.
Une fois les données recueillies, des entretiens avec les professionnels (magistrats et responsables des services hospitaliers) ont porté sur les commentaires des résultats de la recherche.
12Des obstacles d’ordre juridique à l’exercice de cette action auxquels s’ajoutent des obstacles liés à la pratique des établissements limitent manifestement l’efficacité de l’action en recouvrement des établissements publics de santé contre les débiteurs alimentaires et tendent à transformer celle-ci en action en fixation pour l’avenir de la participation des obligés alimentaires aux frais d’hébergement.
? Les obstacles juridiques à l’efficacité de l’action en recouvrement des établissements publics de santé
13Ces obstacles tiennent à la fois des règles de fond applicables au litige et des règles procédurales qui l’encadrent.
Les obstacles liés aux règles de fond applicables au litige opposant les établissements publics de santé et les débiteurs alimentaires
14Le fondement juridique du recours exercé par les établissements publics de santé détermine un régime peu favorable à la récupération des arriérés dus au titre des frais d’hébergement, à travers notamment l’application rigoureuse de la règle « aliments ne s’arréragent pas ».
La nature de l’action accordée aux établissements publics de santé
15La première difficulté sur laquelle la jurisprudence a eu à se prononcer était de savoir si l’article L. 6145-11 du Code de la santé publique, autorisant les établissements de santé à exercer leur recours contre les obligés alimentaires visés aux articles 205 et suivants du Code civil, désignait ainsi les obligés alimentaires comme débiteurs de la créance hospitalière ou s’il se contentait d’autoriser les établissements à recouvrer contre les obligés alimentaires la créance alimentaire de la personne hospitalisée. Bien évidemment, l’étendue et le régime de l’obligation des débiteurs dépendent de cette analyse.
16La position de la Cour de cassation sur ce point est claire : les obligés alimentaires ne sont débiteurs que des aliments dus à la personne hébergée et non de la créance hospitalière. Comment fonder cette affirmation alors que les établissements publics de santé agissent en leur propre nom et à leur profit, et non pour le compte du résidant ? [9]
17La Cour de cassation justifie sa position en affirmant qu’il s’agit d’une « action directe exclusive de toute subrogation légale limitativement prévue par l’article 1251 du Code civil » [10]. Il ne s’agit donc pas d’une action que l’établissement public de santé exercerait, en tant que subrogé, dans les droits du créancier [11] mais d’une action directe en paiement.
18On définit l’action directe comme le « mécanisme en vertu duquel un créancier exerce, en son nom personnel et pour son seul profit, contre un tiers, débiteur de son débiteur, un droit qui correspond au droit de créance de son débiteur contre ce tiers » (Flour, Aubert, Flour, Savaux, 2001). C’est un droit propre au bénéfice du créancier qui lui permet d’exiger le paiement du débiteur de son débiteur. Autrement dit, c’est un mode de paiement préférentiel accordé à certains créanciers, qui échappent ainsi au concours des autres créanciers.
19Cette action directe est liée à une obligation alimentaire, ce qui conduit à se demander si les règles régissant ces dernières, trouvent à s’appliquer lorsque ce recours est exercé. À l’encontre de leur application, on fait valoir que ces règles régissent les rapports entre le créancier d’aliments et les débiteurs alimentaires. Or, l’établissement public de santé n’a pas la qualité de créancier d’aliments puisqu’il n’est pas subrogé dans les droits du créancier d’aliments. Insensible à cet argument, la Cour de cassation a déclaré que « cette action a pour fondement les dispositions du Code civil régissant la dette d’aliment » : il s’agit donc de la mise en œuvre de l’obligation alimentaire pesant sur les proches parents par un établissement public de santé à son profit. Selon la juridiction suprême, le caractère direct de l’action ne fait pas obstacle à l’application des règles du droit civil [12].
Si l’action directe consiste, pour le bénéficiaire, à exercer le droit de créance du débiteur principal (personne accueillie), l’action directe des établissements publics de santé a donc pour objet la dette alimentaire et non la dette du créancier alimentaire à l’égard de l’établissement. En conséquence, les règles relatives aux obligations alimentaires s’appliquent à l’action directe de l’établissement, que ce soit les conditions d’ouverture du droit aux aliments mais aussi les limites apportées à ce droit, notamment la règle « aliments ne s’arréragent pas ».
La règle « aliments ne s’arréragent pas »
20Cette maxime signifie que le créancier ne peut réclamer l’arriéré de sa créance alimentaire. L’idée est que les aliments sont destinés à subvenir aux besoins présents et futurs et non à rembourser les dépenses passées. Traditionnellement, on explique qu’elle repose sur une double présomption de renonciation ou d’absence de besoin du créancier [13] qui n’a pas réclamé son dû : si le paiement n’est pas réclamé, on présume que le créancier n’est pas dans le besoin ou qu’il a renoncé à l’aide alimentaire. En fait, cette règle est aussi conçue comme un moyen de protéger les débiteurs d’aliments contre l’accumulation d’un arriéré important à leur insu : elle manifeste un souci d’équilibre dans la prise en compte des intérêts respectifs du créancier et du débiteur d’aliments. La Cour de cassation rappelle fréquemment que cette maxime est applicable aux recours des établissements publics de santé [14].
La jurisprudence précise que, sauf renversement de la présomption, la règle « aliments ne s’arréragent pas » fait obstacle au paiement des sommes échues antérieurement à l’action en justice. Le point de départ de la dette alimentaire est donc fixé au jour de l’assignation en justice du débiteur alimentaire par l’établissement public de santé : les arrérages antérieurs à cette date ne seront pas récupérés par l’établissement comme l’atteste le contentieux devant les juridictions du Finistère sauf renversement de la présomption.
Application de la maxime devant les juridictions du fond du Finistère
21Devant les juridictions du Finistère, sur les douze recours effectués par un établissement public de santé, on constate que la règle « aliments ne s’arréragent pas » a été invoquée par la défense dans quatre d’entre eux, pour faire obstacle à la récupération des arriérés (cf. tableau ci-après). Dans ces quatre affaires, les débiteurs alimentaires sont tous représentés par un avocat. Ces quatre affaires font l’objet de solutions diverses : un désistement, une condamnation au paiement des arriérés, deux refus de paiement des arriérés.

22Dans le dossier où les débiteurs alimentaires sont condamnés au paiement des arriérés (TGI Quimper, 98/00886), les juges du fond ont estimé que la présomption de renonciation avait été renversée par l’établissement. Mais ce jugement a, ensuite, été infirmé par la cour d’appel de Rennes le 29 octobre 2001. Cette décision a eu une influence notable sur un autre recours, exercé postérieurement par le même établissement public de santé. L’application prévisible de la maxime par les juges du fond a, en effet, conduit la direction de l’établissement à prendre la décision de se désister de l’instance (TGI Quimper, 01/00680) alors même que le montant de l’arriéré était important. La dette alimentaire risquait de n’être fixée que postérieurement à l’assignation en justice ; or, la patiente avait quitté l’établissement à cette date.
23Dans les deux dossiers dans lesquels les débiteurs ne sont pas condamnés au paiement des arriérés, la maxime est appliquée par les juges du fond qui considèrent que l’établissement n’a pas renversé la présomption de renonciation (TGI Quimper, 01/01591) ou que « les débiteurs alimentaires ne sauraient être condamnés à payer une pension alimentaire au seul vu des frais d’hospitalisation restés impayés depuis près de dix ans à la date de l’assignation » (TGI Brest, 97/00202).
24En observant les sept autres décisions rendues, on constate que dans quatre d’entre elles, un arriéré est réclamé par le demandeur mais la maxime n’est pas invoquée par les défendeurs. Dans l’un des dossiers, où la défense est représentée par un avocat (TGI Quimper, 01/00988), l’argumentation est fondée sur l’indignité du créancier d’aliment (article 207 al. 2 du Code civil). Dans les trois autres dossiers, les défendeurs n’ont pas pris d’avocat, ce qui aboutit à deux condamnations au paiement des arriérés (TGI Brest, 98/01932 ; TGI Brest, 01/01712) et à un désistement suite à une transaction réalisée par l’établissement avec le débiteur alimentaire qui a accepté d’apurer totalement la situation (TGI Brest, 01/01925).
Au niveau de la récupération des arriérés par l’établissement, la présence d’un avocat de la défense a donc une influence très importante sur la solution. Si la maxime « aliments ne s’arréragent pas » n’est pas invoquée par la défense, il sera difficile aux débiteurs alimentaires d’échapper au règlement des arriérés. Cette règle n’est pas d’ordre public : elle ne peut donc être appliquée d’office par le juge.
Les trois dernières décisions montrent l’existence d’un arriéré dans les faits, mais celui-ci ne fait l’objet d’aucune demande en récupération par l’établissement public de santé. Dans ces cas, le juge prononce une condamnation des débiteurs alimentaires pour l’avenir seulement (TGI Brest, 97/00781 ; TGI Brest, 98/02391 ; TGI Brest, 01/00736).
Un difficile renversement de la présomption de renonciation
25La règle « aliments ne s’arréragent pas » reposant sur une présomption simple d’absence de besoin ou de renonciation [15], le créancier d’aliments doit normalement, pour y échapper, prouver que l’accumulation d’arriérés ne s’explique ni par l’absence de besoin, ni par le fait qu’il aurait renoncé à réclamer son dû. Alors que la présomption d’absence de besoin s’apprécie en la personne du créancier d’aliments, la présomption de renonciation concerne, elle, l’établissement public et non la personne hébergée. Dès lors la justification principale de la règle « aliments ne s’arréragent pas » est bien de sanctionner celui qui, en situation d’agir, ne le fait pas et de protéger les débiteurs contre une réclamation tardive d’une somme importante.
26Afin de récupérer les sommes échues antérieurement à l’assignation en justice, l’établissement public de santé doit apporter la preuve d’éléments de fait attestant qu’il n’est pas resté inactif. Différents éléments sont ainsi invoqués par les établissements pour faire échec à la règle « aliments ne s’arréragent pas », sans souvent obtenir le résultat escompté.
27Il a ainsi été jugé qu’une demande d’aide sociale et diverses démarches amiables pour récupérer sa créance ne renversent pas la présomption dès lors que les assignations en justice avaient été établies postérieurement au décès de la créancière d’aliments [16].
28L’envoi d’un courrier en recommandé avec accusé de réception aux débiteurs alimentaires ne suffit pas, selon certains juges du fond, à mettre en échec la présomption de renonciation du créancier [17]. Dans un arrêt rendu par la Cour de cassation, le 14 janvier 2003, le pourvoi invoque une mise en demeure envoyée aux débiteurs alimentaires de la personne hospitalisée afin d’obtenir le paiement des frais d’hospitalisation (mise en demeure envoyée en 1994, soit un an avant l’assignation en justice), ce qui reste sans effet devant les juges d’appel, confortés par la Cour de cassation qui considère que la décision est légalement justifiée puisqu’elle a appliqué la maxime [18].
29Si l’on admet la validité des titres exécutoires, ces derniers, constituant une demande de paiement dans le cadre d’une action directe, devraient assurer l’immobilisation de la créance au profit de l’établissement de santé. Ils devraient, dès lors, faire échec à la règle « aliments ne s’arréragent pas ». Or, la Cour de cassation, dans une décision du 21 mai 1997, précise que « si l’administration dispose d’un recours par voie d’action directe, celui-ci est à la mesure de ce dont sont redevables les débiteurs d’aliments, lesquels sont fondés à opposer la règle selon laquelle les aliments ne s’arréragent pas, sans que le droit de l’administration d’émettre des états exécutoires ait une incidence sur les conditions d’existence de sa créance » (Lion, 1998 et Rebourg, 2005). Les titres exécutoires émis par l’administration ne permettent donc pas de faire échec à la maxime.
30En définitive, le renversement de la présomption de renonciation est très difficile, voire quasi impossible, tant pour l’établissement public de santé que pour le conseil général. L’état de la jurisprudence conduit à penser que cette présomption est devenue irréfragable, de telle sorte qu’elle constitue en réalité une véritable règle de fond : les aliments ne sont dus qu’à partir de l’assignation en justice. La position de la Cour de cassation s’explique, sans doute, par le souci de protéger les membres de la famille du résidant contre des réclamations des collectivités publiques et établissements publics de santé portant sur des sommes importantes et remontant à des périodes anciennes. Il s’agit d’éviter que des débiteurs alimentaires, de condition souvent modeste, ne soient écrasés sous le poids d’un arriéré.
On peut s’étonner de la rigueur extrême de la jurisprudence de la Cour de cassation qui pourrait aboutir à encourager la mauvaise foi de certains débiteurs d’aliments parfaitement informés de leurs obligations par les démarches nombreuses des établissements (Dagorne-Labbé, 1995). En fait, cette position a pour conséquence d’interdire aux établissements publics de santé de réclamer aux débiteurs alimentaires l’intégralité de leur dette, alors même que les proches ont les ressources suffisantes pour assurer cette prise en charge. Elle ferait donc fi, selon certains, du principe de subsidiarité de la solidarité nationale par rapport à la solidarité familiale (Peyrefitte, 1968). Au contraire, on peut observer que cette jurisprudence tend à inciter les établissements publics de santé et le conseil général à saisir plus rapidement le JAF, ce qui donne ainsi l’occasion aux débiteurs alimentaires de s’acquitter de leurs obligations afin que la solidarité nationale retrouve son caractère subsidiaire (Lion, 1998), sous la réserve non négligeable de l’encombrement des tribunaux judiciaires qu’une saisine systématique, à titre conservatoire, risque de susciter.
En pratique, et contrairement à ce que la rigueur de la jurisprudence en matière de récupération d’arriérés pouvait laisser craindre, les établissements publics de santé ne recourent pas systématiquement au juge pour faire fixer et répartir pour l’avenir la dette alimentaire afin d’éviter, le cas échéant, l’accumulation d’un arriéré. Ce recours est davantage entendu par les établissements comme un recours en récupération qu’un recours en fixation pour l’avenir de la dette alimentaire, même si cette démarche est loin d’être quantitativement négligeable [19] et risque à l’avenir de s’amplifier. L’application rigoureuse de l’adage « aliments ne s’arréragent pas » n’entraîne pas une multiplication des actions, à titre conservatoire, par les établissements. Il semblerait plutôt que cette règle ait l’effet inverse et décourage les établissements d’agir en justice. De la même façon, les règles de procédure applicables à ces litiges ont pendant longtemps constitué un frein à l’exercice de cette action, ce qui ne devrait plus à l’avenir être le cas.
Les obstacles liés au régime procédural de l’action ouverte aux établissements publics de santé
31Les règles de procédure ordinaire en matière contentieuse, applicables devant le TGI, s’imposaient jusqu’à présent aux établissements publics de santé. En conséquence, la représentation des parties par avocat était obligatoire (article 751 du Nouveau Code de procédure civile). La saisine du JAF par un établissement public de santé ne pouvait se faire que par voie d’assignation et non par simple requête. Sur le plan pratique, les établissements publics de santé étaient soumis à une procédure entièrement écrite, par voie d’échange de conclusions entre avocats. Du fait de la complexité de ce contentieux, les conseils d’un avocat peuvent s’avérer utiles, voire nécessaires, pour les établissements désirant intenter une action. Néanmoins, on a constaté que ces exigences procédurales sont parfois un frein supplémentaire à la mise en œuvre de leur recours contre les obligés alimentaires devant le juge judiciaire, et laissent peu de place, semble-t-il, à la conciliation à l’audience. Le ministère d’avocat obligatoire, avec le coût qu’il engendre, constitue, a priori, un facteur d’hésitation.
32Ce régime procédural diffère manifestement de celui applicable aux actions exercées par les conseils généraux devant le JAF, sur le fondement de l’article L. 132-7 du Code de l’action sociale et des familles. Ces derniers ne sont pas obligés d’être représentés par un avocat, au motif que la procédure se déroulait antérieurement devant le tribunal d’instance, juridiction devant laquelle la représentation par ministère d’avocat n’est pas obligatoire. La saisine du JAF s’effectue, en outre, par simple requête. Cette procédure simplifiée facilite l’exercice des recours et constitue une explication à la volonté de certains établissements de voir le conseil général agir à leur place.
33Ces obstacles liés au régime procédural de l’action expliquent que le recours au JAF est considéré comme l’ultime recours après avoir mis en œuvre la procédure comptable de recouvrement et tenté à l’amiable de récupérer l’intégralité des frais d’hébergement auprès des débiteurs alimentaires. Cette longue hésitation peut coûter cher aux établissements du fait de l’application de la règle « aliments ne s’arréragent pas ».
34La réforme procédurale, entrée en vigueur postérieurement à notre enquête (décret réformant la procédure familiale du 29 octobre 2004, articles 1137 et s.), atténue les obstacles procéduraux à l’action en recouvrement des établissements. Le recours des établissements publics de santé est soumis à la procédure de droit commun applicable devant le JAF. Ainsi la saisine du JAF s’effectue par simple requête et la présence de l’avocat est facultative. Seule une disposition particulière est prévue et permet à toute partie, en cours d’instance, d’exposer ses moyens par lettre adressée au juge, à condition de justifier que la partie adverse en a eu connaissance avant l’audience, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. La partie qui use de cette faculté, peut ne pas se présenter à l’audience. Le jugement rendu dans ces conditions est contradictoire. Néanmoins, le juge a toujours la faculté d’ordonner que les parties se présentent devant lui (article 1141 Nouveau Code de procédure civile).
Cette réforme devrait donc lever les obstacles procéduraux à l’exercice de cette action et favoriser une saisine plus précoce du JAF par les établissements contrairement à la pratique constatée jusqu’alors qui conduit à l’accumulation d’arriérés très importants.
? Les obstacles liés à la pratique des établissements publics de santé
35Nous nous sommes interrogés d’une part sur la pratique des états exécutoires émis par l’administration, d’autre part sur les procédés amiables mis en œuvre par les établissements publics de santé confrontés à des problèmes de recouvrement de frais d’hébergement et, enfin, sur le rôle du conseil général.
La pratique des établissements publics de santé au travers de l’émission de titres exécutoires
36Si dans le cadre du recours des établissements publics de santé contre les débiteurs alimentaires, la question de la compétence juridictionnelle a fait l’objet d’un débat nourri, durant de nombreuses années (Serverin, 1997), elle est désormais réglée par la loi du 8 janvier 1993 : le principe et l’étendue de la dette alimentaire relèvent du juge aux affaires familiales. L’affirmation de la compétence judiciaire implique-t-elle pour autant une interdiction de la pratique des états exécutoires par ces établissements contre les débiteurs alimentaires ?
37On reproche souvent à l’administration ses tentatives d’intimidation par le biais des titres exécutoires. Pourtant, celle-ci bénéficie du privilège du préalable et c’est le remettre en cause que d’interdire la pratique des états exécutoires. Le recouvrement de créance, par voie de titre exécutoire, reconnu à l’administration peut de surcroît être paralysé par une simple opposition du débiteur. Il ne lui sera donc préjudiciable que dans l’hypothèse où il reste passif, ce qui pose la question de l’information des débiteurs sur leurs droits et obligations.
38Cette pratique présenterait pour l’administration l’avantage de la dispenser d’une saisie préalable du juge et placerait le débiteur alimentaire dans l’obligation de prendre l’initiative de l’opposition dans les délais impartis. En cas de recours exercé par un débiteur alimentaire à l’encontre d’un titre exécutoire, les juridictions administratives se sont, dans un premier temps, reconnues compétentes pour examiner la validité de ces titres et ainsi faciliter les démarches de recouvrement des établissements publics de santé. Dans une logique plus protectrice des débiteurs alimentaires, la juridiction judiciaire s’est, au contraire, attachée à écarter ces titres exécutoires. Le Conseil d’État (section du contentieux) [20] saisi d’une demande d’avis sur la question de la légalité du recours aux titres exécutoires, a considéré que c’est au juge judiciaire de se prononcer sur la possibilité, pour les établissements publics, d’émettre des titres exécutoires lorsqu’ils réclament le paiement aux débiteurs d’aliments.
39Après avoir nettement affirmé l’interdiction de la pratique des états exécutoires [21], la Cour de cassation a ensuite admis leur légalité de principe en relevant que, faute de contestation dans les délais, les titres doivent être exécutés [22]. Mais par la suite, sans poser le principe de leur interdiction, elle a réduit à néant les intérêts pratiques pour l’administration d’émettre de tels titres en considérant que les états exécutoires sont sans effet sur l’existence de la créance de l’établissement de santé et notamment ne peuvent faire obstacle à la règle « aliments ne s’arréragent pas » [23]. Elle empêche ainsi l’administration de récupérer les frais engagés, antérieurement à l’assignation en justice, en déclenchant des mesures d’exécution à défaut de contestation dans les délais.
40Dans une décision postérieure, la Cour de cassation affirmant la compétence judiciaire en matière d’action directe des établissements publics de santé ne se prononce pas, en revanche, sur la possibilité d’émettre des titres exécutoires [24]. Le JAF peut certes ordonner l’arrêt des poursuites fondées sur un état exécutoire émis par l’administration. Mais même si l’autorité judiciaire est seule compétente pour apprécier la conformité de la somme réclamée au montant de la dette alimentaire, cela ne signifie pas nécessairement la condamnation de la pratique des titres exécutoires indépendamment d’un contentieux (Serverin, 2000 ; contra Massip, 1999). En outre, ce n’est pas parce que les contestations quant à une dette de nature privée relèvent du juge judiciaire que la pratique des titres exécutoires doit forcément être interdite.
41La Cour de cassation semble pourtant déterminée à affirmer le contraire comme en atteste la décision rendue le 8 juin 2004 (Rebourg, 2005). Revenant à la position qu’elle tenait en 1987, elle écarte délibérément les titres exécutoires en affirmant la nécessité pour le Trésor public de saisir préalablement le JAF en fixation du montant de la dette alimentaire et en cassant l’arrêt d’appel qui avait admis leur validité. La Cour de cassation pose ainsi le principe qu’à défaut d’accord amiable, toute action d’un établissement public tendant à obtenir le paiement contre un débiteur alimentaire suppose un recours préalable au juge judiciaire pour fixer le montant de la dette alimentaire et se faire délivrer un titre exécutoire. Cette position devrait inciter les établissements à saisir rapidement le JAF.
42En pratique, la position de la Cour de cassation semble avoir eu pour effet de limiter l’émission d’états exécutoires contre les débiteurs alimentaires.
Mais la validité des titres exécutoires contre les débiteurs alimentaires, indépendamment d’un contentieux judiciaire, n’est toujours pas éclaircie.
La pratique des établissements publics de santé au travers de la procédure comptable et des modes amiables de recouvrement
43Les modalités de recouvrement mises en œuvre par le Trésor public expliquent, pour partie, le fait que les établissements publics de santé agissent tardivement devant le juge judiciaire, après que des arriérés importants se soient accumulés. En effet, cette procédure de recouvrement comptable est assez longue, de telle sorte que la décision d’agir devant le JAF est prise assez tard, la direction étant informée tardivement par la trésorerie. Or, le choix d’agir devant le JAF relève uniquement de la direction de l’établissement public de santé c’est-à-dire de son conseil d’administration. Cette décision n’intervient qu’en dernier lieu, après la mise en œuvre d’un processus de recouvrement amiable.
44En effet, lorsqu’une difficulté de paiement est relevée, les établissements réalisent des démarches auprès des débiteurs alimentaires pour arriver à un règlement amiable du litige. Ces démarches sont de trois types : des courriers adressés aux débiteurs alimentaires les informant du montant des arriérés, des appels téléphoniques pour leur rappeler leur obligation de contribuer aux frais d’hébergement, enfin, des entretiens. Ces différentes démarches attestent de la volonté des établissements de récupérer leur créance mais le problème reste qu’ils demandent aux débiteurs le remboursement de la totalité de la dette hospitalière. Les courriers des établissements montrent qu’ils réclament aux débiteurs alimentaires les sommes restant dues une fois les ressources du résidant déduites.
45Ces démarches classiques sont parfois insuffisantes. C’est pourquoi l’un des établissements étudiés a mis en place une nouvelle pratique : lorsqu’il reçoit une personne qui n’a pas suffisamment de ressources pour faire face aux frais hospitaliers en long séjour ou en maison de retraite, l’établissement adresse, dès l’admission du résident, un courrier à tous les obligés alimentaires (et non plus seulement à l’enfant sur place qui s’occupe de son parent âgé, l’enfant référent). Dans cette lettre, l’administration donne aux obligés des explications sur le coût de l’hébergement, en précisant ce qui reste à la charge de la famille. Elle informe les enfants sur les chances d’obtenir l’aide sociale. Enfin, l’établissement leur donne des indications sur l’obligation alimentaire et essaie de les convaincre de leur intérêt à s’entendre, en faisant des propositions de répartition financière.
46Ces démarches permettent aux établissements de « sonder le contexte familial ». En cas de conflit, il est même suggéré à l’un des enfants de saisir le JAF, en lui expliquant la simplicité de la procédure (l’assistance de l’avocat étant facultative).
47Il s’agit bien là d’une démarche amiable destinée à prévenir le risque d’un contentieux futur, qu’on pourrait qualifier de préliminaire de conciliation. Il est important de relever que l’établissement public de santé agit immédiatement, c’est-à-dire dès l’admission du résidant, sans attendre l’examen du dossier par la commission cantonale d’aide sociale car l’instruction d’un dossier d’aide sociale prend un certain temps.
Le rôle du conseil général du Finistère
48La détermination du rôle du conseil général s’est effectuée d’une part, à partir d’une analyse des décisions rendues par le JAF, sur saisine du conseil général en matière d’aide sociale afin de jauger le contentieux propre à l’aide sociale mais aussi de savoir s’il existe des liens entre les recours exercés par les établissements publics de santé et ceux exercés par le conseil général au titre de l’aide sociale. L’idée de départ était de vérifier si, ayant fait l’avance des frais, le conseil général se substitue aux établissements publics de santé en agissant dans l’intérêt de la collectivité, sur le fondement de l’article L. 132-7 du Code de l’action sociale et des familles pour récupérer les sommes déjà versées à ces établissements. Nous n’avons pas constaté une telle pratique dans le département du Finistère, sur la période considérée. En revanche, on a pu se demander si certaines actions n’étaient pas exercées par le conseil général à la place des établissements publics de santé ?
49Lorsque la personne est hébergée dans un établissement public de santé, la question se pose de savoir à qui, de l’établissement ou du conseil général, doit incomber le soin de faire fixer par le JAF la contribution des obligés alimentaires dès lors qu’un arriéré commence à s’accumuler.
50Jusqu’à une date récente, le conseil général agissait, « à la place des établissements », spontanément ou à la demande de ces derniers. Il se « substituait » aux établissements, ainsi qu’à l’UDAF, « pour rendre service ». Cette « substitution » intervenait fréquemment en cas de rejet de la demande d’aide sociale justifié par le refus des débiteurs alimentaires de fournir leurs ressources. Ce rejet plaçait les établissements face à l’accumulation d’un arriéré si les débiteurs alimentaires n’avaient pas de ressources suffisantes pour régler les frais d’hébergement. On rencontre, ainsi, dans les décisions analysées, un certain nombre de recours exercés par le conseil général, suite à un refus d’aide sociale, concernant des personnes hébergées en établissement public [25].
51Alors que le conseil général a pendant longtemps exercé sans réticence l’action que lui accorde l’article L. 132-7 CASF, il a aujourd’hui une position beaucoup plus réservée [26]. Il estime qu’il revient aux établissements de santé de faire fixer eux-mêmes la contribution des obligés en utilisant le recours que leur ouvre le Code de la santé publique y compris pour couvrir les frais d’hébergement futurs, car les établissements de santé sont informés les premiers de l’accumulation d’un arriéré.
52Cette politique du conseil général, tout à fait légitime s’agissant de la récupération des frais déjà engagés par les établissements (arriérés) puisque les établissements disposent théoriquement (cf. « aliments ne s’arréragent pas ») des moyens d’agir eux-mêmes, pose problème en ce qui concerne la fixation de la participation des obligés alimentaires pour les frais d’hébergement à venir. Elle est sans doute à l’origine du développement des actions des établissements de santé pour la prise en charge des frais futurs : ils exercent l’action préventive que le conseil général refuse désormais d’exercer lorsque la personne est hébergée dans un établissement public de santé [27]. Mais la situation est paradoxale car les établissements publics de santé n’ont pas, contrairement au conseil général, qualité pour faire fixer la dette alimentaire à la place du créancier en cas de carence de celui-ci. En cas de refus d’aide sociale ou d’octroi d’une aide partielle seulement, le conseil général est autorisé à agir au nom et pour le compte du créancier inactif (article L. 132-7 du Code l’aide sociale et des familles). Cette dérogation ne vise que le seul conseil général et ne peut donc concerner les établissements publics de santé qui ne sont autorisés à faire fixer la dette alimentaire que pour le recouvrement de leurs créances, par la voie de l’action directe de l’article L. 6145-11 du Code de la santé publique. Les établissements ne peuvent agir qu’en leur propre nom et à leur profit, dans le cadre de cette action. Or, le recours prévu par ce texte ne semble pas avoir été conçu pour permettre la fixation de la participation de la famille à des frais d’hébergement à venir et la qualification d’action directe retenue par la Cour de cassation ne devrait pas autoriser les établissements à faire statuer le juge alors que leur créance n’est ni actuelle, ni même certaine. Certes l’action directe présente un aspect conservatoire, de telle sorte que la demande en paiement peut être adressée alors que la créance du bénéficiaire n’est pas encore liquide, ni même, selon certains, exigible. Cependant, il est nécessaire que cette créance existe et soit certaine, ce qui n’est pas le cas de la créance hospitalière pour des frais d’hébergement à venir : la situation de la personne hébergée n’étant pas contractuelle, la cause de la naissance de cette créance est la prestation de service qui, tant qu’elle n’est pas réalisée, reste future et incertaine [28]. S’agissant de frais non encore engagés, la recevabilité de l’action de l’hôpital en fixation de la dette alimentaire est donc tout à fait douteuse et la condamnation des débiteurs alimentaires à lui verser les aliments pour couvrir des frais d’hébergement futurs est, dès lors, mal fondée.
En définitive, l’avenir du recours prévu à l’article L. 6145-11 du Code de la santé publique semble plutôt incertain. L’examen de la jurisprudence, tant locale que de la Cour de cassation, a montré la sévérité avec laquelle la règle « aliments ne s’arréragent pas » est appliquée lorsqu’elle est invoquée par les débiteurs alimentaires et combien il est difficile pour les établissements de renverser la présomption de renonciation du créancier qui en est le fondement. En conséquence, les arriérés ne peuvent, bien souvent, être recouvrés entre les mains des débiteurs alimentaires : le régime de l’obligation alimentaire y fait obstacle. On assiste, de ce fait, à une évolution des objectifs de l’action des établissements publics de santé : à défaut de pouvoir récupérer les arriérés, ceux-ci sont incités à faire fixer pour l’avenir la prise en charge des frais par la famille de la personne hospitalisée. Or, cette demande semble dépourvue de tout fondement juridique. On aboutit donc à une impasse : les établissements ne peuvent, la plupart du temps et sauf indulgence des juges du fond, récupérer les arriérés en raison de la règle « aliments ne s’arréragent pas ». En toute rigueur, ils ne devraient pas, non plus, être autorisés à agir pour obtenir une prise en charge par les obligés alimentaires des frais futurs, le recours de l’article L. 6145-11 du Code de la santé publique n’étant pas conçu en ce sens. En définitive se pose la question du maintien de la référence à l’obligation alimentaire dans le cadre de cette action.
Notes
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[*]
Maître de conférences de droit privé à l’université de Bretagne occidentale, responsable du Centre de recherche en droit privé (EA 3881).
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[1]
« Le nombre de personnes âgées de 75 ans ou plus, passera, entre 1995 et 2010, de 3,5 millions à 5,5 millions » (Aliaga et Neiss, 1999).
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[2]
Loi no 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’allocation personnalisée d’autonomie entrée en vigueur le 1er janvier 2002 : JO, 21 juillet 2001, p. 11737. Voir également la loi no 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, JO, 1er juillet 2004, p. 11944, cf. Devers, (2004).
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[3]
Décrets no 2001-1084 du 20 novembre 2001.
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[4]
Pour y subvenir, ils peuvent bénéficier de l’allocation logement social.
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[5]
Ce recours n’est octroyé qu’aux seuls établissements publics de santé et non aux établissements privés. La jurisprudence a eu l’occasion d’affirmer à ce sujet que « le fait qu’un établissement privé soit habilité à assurer l’hébergement de personnes âgées ne l’autorise pas à exercer un recours réservé aux seuls organismes publics » :Cass. civ. 1re, 5 mai 1993 :Massip, (1993).
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[6]
À distinguer de l’obligation d’entretien de l’article 203 du Code civil non visée par l’article L. 6145-11 CSP.
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[7]
En elle-même, la longueur de la procédure judiciaire, d’une durée moyenne de 8,6 mois, n’est pas excessive. En revanche, la durée moyenne de résolution du litige s’élève à 41,3 mois, soit près de trois ans et demi. La longueur de ce contentieux est due, notamment, à la procédure de recouvrement mise en œuvre par les établissements.
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[8]
JO du 10 décembre 2004.
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[9]
L’action ne constitue donc pas une action de substitution, à la différence de celle des conseils généraux, ni une action oblique, qui ne pourrait, en tout état de cause, être mise en œuvre puisque l’obligation alimentaire est une obligation à caractère personnel.
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[10]
Cass. civ. 2e, 21 février 1963, D. 1963, p. 386.
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[11]
L’établissement public n’ayant pas acquitté une dette à la place du créancier d’aliment, il ne peut lui être subrogé.
-
[12]
Cass. civ. 1re, 1er décembre 1987, JCP 1988, II, 20952, rapport Sargos.
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[13]
Cass. civ. 1re 24 octobre 1951, D. 1952, p. 577, note Ponsard.
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[14]
Voir récemment : Cass. civ. 1re, 14 janvier 2003, D. 2003, Comm. p. 2265, note Y. Dagore-Labbe, JCP 2004, II, 10040, p. 505, note F. Guerchoun ; Cass. civ. 1re, 20 janvier 2004, JCP 2004, II, 10043, note J. Casey, Dr. fam., mai 2004, no 73, p. 23, obs. P. Murat.
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[15]
Cass. civ. 1re, 28 janvier 1963, Gaz. Pal., 1963, 1, 420.
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[16]
Cass. civ. 1re, 19 décembre 1995, Defrénois, 1996, 989, obs. J. Massip, JCP 1997, II, 22769, note Dagorne-Labbe.
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[17]
CA Lyon, 12 septembre 2000, Juris-Data no 139534.
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[18]
JCP 2003, I, 148, p. 1258, obs. P. Berthet.
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[19]
Sur les douze affaires analysées portées devant les tribunaux de grande instance du Finistère et concernant des recours d’établissements publics de santé, six concernent des demandes de fixation des pensions alimentaires pour couvrir les frais d’hébergement à venir.
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[20]
CE avis 28 juillet 1995, Kilou, RFDAdm. 1996, p. 386 et s, concl. Maugue.
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[21]
Cass. civ. 1re, 1er décembre 1987, JCP 1988, II, 20952, rapport Sargos.
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[22]
Cass. civ. 1re, 22 avril 1997, pourvoi no 95-13 797.
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[23]
Cass. civ. 1re, 21 mai 1997, Petites Affiches, 7 octobre 1998, no 120, p. 26, note N. Lion.
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[24]
Cass. civ. 1re, 22 juin 1999, D. 2000, jurisp. p. 146, note J. Massip, RTDCiv. 1999, obs. J. Hauser, p. 829.
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[25]
TGI Brest, 99/01192, 99/00016, 98/02396, 98/015058 ; TGI Quimper, 98/00037, 99/01364, 00/00998, 00/01399, 01/02492, 03/00293 ; TGI Morlaix, 99/01009.
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[26]
Ce changement de pratique serait dû, semble-t-il, à des changements de personnels au sein du service concerné.
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[27]
Ou placée sous tutelle.
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[28]
Il s’agit d’une situation très différente de celle qui résulterait d’un contrat d’hébergement dans lequel la dette naît du contrat lui-même et non de la prestation de service.