? Introduction
1Depuis le début des années quatre-vingt-dix, de nombreux travaux quantitatifs ont mis en évidence le poids de la solidarité familiale entre générations, dont témoigne une pluralité de transferts, sous forme de dons ponctuels, donations, héritages, aides en temps et services, ou bien encore de corésidence. Ces transferts circulent à la fois dans les sens ascendant et descendant, contribuant largement à réduire les inégalités intergénérationnelles. Ce sont deux enquêtes réalisées en 1992, respectivement par l’Insee et par la Cnav, qui ont vraiment permis de caractériser les comportements de transferts des ménages en France.
2D’après l’enquête Insee « Actifs Financiers », environ 42 % des parents déclaraient avoir aidé au moins une fois leurs enfants vivant hors domicile, que ce soit par des aides ponctuelles (24,7 %), des aides au logement (13,3 %), des cautions (14,9 %) ou bien de prêts (14 %) (Arrondel etWolff, 1998). Si les versements d’argent correspondent surtout à de l’investissement dans le capital humain des enfants, les donations s’inscrivent dans une logique de transmission patrimoniale. Dans l’enquête Cnav « Trois générations », un panorama plus large prenant en compte l’ensemble des aides familiales indiquait que les versements d’argent descendaient les générations, tandis que les services allaient aussi bien en direction des parents âgés que des enfants adultes et révélait le rôle central dans ces flux d’échange, de la génération intermédiaire, baptisée alors « génération pivot » (Attias-Donfut, 1995, 1996). À un niveau plus agrégé, de Barry et alii (1996) ont évalué à plus de 100 milliards de francs les aides financières ponctuelles dans la population, 90 % de ces flux étant dirigés dans le sens descendant. D’autres travaux ont par ailleurs mis en évidence le poids des aides en temps (Prouteau et Wolff, 2003 ; Herpin et Déchaux, 2005).
3Tandis que les sociologues analysent les solidarités intergénérationnelles du point de vue de ce qu’elles révèlent du fonctionnement et de la structure des relations familiales (Debordeaux et Strobel, 2002), voire de l’émergence d’un « nouvel esprit de famille » (Attias-Donfut et alii, 2002), des normes de solidarités et des principes d’équité (Coenen-Huther et alii, 1994) ou encore de la constitution de « réseaux d’entourage » (Bonvalet et alii, 1999), les économistes ont surtout cherché à en comprendre les motivations. Parmi les raisons invoquées qui font que les parents viennent en aide à leurs enfants, deux principaux modèles de comportements ont été avancés (Laferrère et Wolff). En cas d’altruisme, les aides des parents ont pour objet de compenser les inégalités de niveaux de vie, à la fois entre les générations et entre les différents enfants (Becker, 1991). Dans le comportement basé sur l’échange, les aides versées s’inscrivent dans le cadre d’une réciprocité au sein de la famille [1].
4Si ces hypothèses théoriques ont fait l’objet de nombreuses études empiriques qui se sont efforcées de les tester, il ressort pour les comportements observés en France qu’ils sont assez peu compatibles avec les prédictions du modèle altruiste (Arrondel et Masson, 2005 ; Laferrère et Wolff, 2005) [2]. En dépit de ces travaux, il reste de larges zones inexplorées sur les conséquences de ces transferts familiaux pour ceux qui en bénéficient, ce qui est pour le moins surprenant. Par exemple, du point de vue de la politique publique, fiscale notamment, il importe de savoir quel usage est fait des sommes d’argent reçues. Si celles-ci viennent alimenter l’épargne des bénéficiaires, de manière totale ou partielle, alors les politiques qui visent à alléger les taxes sur les transmissions pour relancer la consommation ne sont pas efficaces. On peut trouver plusieurs autres exemples des conséquences économiques de ces transferts, qu’il serait important de prévoir du point de vue de la politique publique, mais qui restent ignorées.
5À notre connaissance, il n’y a pas à ce jour d’études en France portant sur l’impact des transferts familiaux sur leurs bénéficiaires. Cet article [3] cherche à remédier quelque peu à cette lacune, en traitant des conséquences de ces aides sur les choix immobiliers de leurs bénéficiaires, à partir des données de l’enquête « Actifs Financiers » 1992. Si cette source statistique peut, de prime abord, apparaître quelque peu ancienne, son usage se justifie par la description exhaustive des transferts financiers versés par les parents à leurs enfants. L’information contenue s’avère d’une qualité inégalée pour traiter la question d’intérêt.
6Compte tenu à la fois du manque de données françaises sur la question et de l’éventail des conséquences possibles des transferts en matière de logement, notre approche demeure exploratoire. Les données dont nous disposons ne nous permettent malheureusement pas d’appréhender dans toutes ses composantes les mécanismes sous-jacents, mais elles mettent clairement en évidence le bénéfice de la réception de transferts des parents à la fois sur l’accès à la propriété, sur la durée d’épargne nécessaire pour accéder à la propriété, et sur la valeur du logement [4]. Au regard de l’importance de l’immobilier dans le patrimoine des ménages, il apparaît fort probable que les aides financières et donations reçues facilitent l’accession à la propriété ou bien encore qu’elles permettent d’acheter un logement de taille plus grande.
La suite de cet article est organisée de la façon suivante. Tout d’abord, nous proposons une brève revue de la littérature sur les effets liés à la réception de transferts familiaux. Puis, nous présentons les données de l’enquête « Actifs Financiers » utilisées dans ce travail. Ensuite est décrit l’usage qui est fait des différents biens reçus lors des donations et des héritages. Enfin sont évalués par l’analyse économétrique, les bénéfices retirés de ces transferts sur la propriété du logement et sur les biens immobiliers achetés.
? L’incidence avérée des transferts sur le logement
7L’idée selon laquelle les ressources des parents influencent le niveau de vie et le bien-être des enfants, a nourri de nombreux courants de recherche sur la stratification sociale portant par exemple sur l’inégalité des chances (Boudon, 1973) ou la reproduction (Bourdieu, 1970), pour ne citer qu’eux parmi les plus emblématiques en France. Cette idée est aussi de longue date admise par les économistes.
8Ce qui importe bien davantage est de comprendre par quels canaux s’opère cette transmission (Spilerman et Torche, 2005). Alors que les sociologues se sont plutôt attachés à montrer la médiation de l’école et du « capital culturel » des parents, les économistes se sont davantage centrés sur le poids de leur capital économique. Ce dernier peut du reste donner accès au premier, la richesse parentale ayant une incidence indirecte sur le niveau de vie des enfants, par le biais d’investissements en capital humain (Becker, 1991 ; Behrman et alii, 1995). Les parents peuvent aussi, bien entendu, contribuer directement à la richesse de leurs enfants en leur versant de l’argent.
9A priori, l’impact des transferts intergénérationnels devrait être d’autant plus important que ces versements d’argent sont utilisés pour acheter des biens conséquents. Si l’on prend le cas d’un jeune adulte, être aidé ne sera pas forcément très discriminant pour l’achat d’une voiture s’il gagne un minimum de revenus. En revanche, pour devenir propriétaire, cela peut avoir une très grande incidence au regard des sommes nécessaires pour acquérir un bien immobilier. Une telle opération exige d’ailleurs un apport personnel minimal qui peut résulter d’une accumulation patrimoniale personnelle et/ou de donations des parents. Il faut également prendre en compte le poids du contexte socio-économique. Ainsi, le soutien des parents n’aura pas le même impact dans un pays développé ou en développement, ou bien en fonction des contraintes qui peuvent peser sur l’accession à la propriété (état du marché immobilier, conditions de crédit, existence d’aides publiques).
10En témoignent les différences de génération en France dans la disponibilité de l’aide parentale et l’accession à la propriété, révélées dans l’enquête « Trois générations » mentionnée précédemment. Si devenir propriétaire doit beaucoup à l’aide parentale, pour toutes les générations, il y a aussi de fortes différences entre elles dans le volume de cette aide et son poids dans l’acquisition du patrimoine. Dans la « vieille » génération, née entre 1900 et 1925, qui comptait 55 % de propriétaires, 80 % de ces derniers avaient bénéficié d’un apport familial, sous quelque forme que ce soit (principalement par héritage, mais aussi sous différentes formes d’aide financière ou d’aide à la construction du logement) [5]. Parmi la génération pivot, née entre 1939 et 1943, dont 83 % étaient propriétaires, seuls 50 % d’entre eux avaient bénéficié d’une telle aide. C’est qu’ils ont bénéficié au cours de leur vie des mesures incitatives publiques à l’accession à la propriété, des facilités de crédit et aussi du fort taux d’inflation des années soixante. Enfin, les plus jeunes (nés pour la plupart entre 1960 et 1974), moins souvent propriétaires (26,5 %), l’ont été largement grâce à l’aide parentale (76 % des propriétaires). Ce taux paraît comparable à celui de leurs grands-parents, mais il y a une différence de taille : les parents des jeunes sont toujours en vie, la propriété doit peu à l’héritage et beaucoup aux transferts inter vivos. Les aides de la famille pour l’habitat ne se limitent pas à ceux qui achètent un logement, beaucoup de jeunes ont été aidés pour louer un appartement (34 % des locataires) ou en occupant un logement indépendant, mais appartenant aux parents (Attias-Donfut, 1995).
11L’étude la plus complète sur le sujet à ce jour est assurément celle de Engelhardt et Mayer (1998) pour les États-Unis. La source statistique utilisée, qui porte sur 1 144 personnes accédant pour la première fois à la propriété, pour les années 1988, 1990 et 1993, détaille la façon dont l’achat du logement a été financé.
Trois principaux constats en résultent :
- ceux qui ont reçu des transferts utilisent moins souvent leur propre épargne pour financer l’apport personnel (42,8 % au lieu de 96,9 %) ;
- les bénéficiaires ont un apport personnel plus élevé en proportion du prix du logement ;
- les individus aidés ont une durée d’épargne raccourcie pour constituer leur apport personnel (la réduction du temps d’épargne étant de 22,6 %).
13La qualité de ces données conduit Engelhardt et Mayer (1998) à une décomposition très fine de la façon dont est affectée la somme d’argent reçue. Pour une aide d’un montant égal à un dollar, 0,40 dollar vient réduire l’épargne nécessaire pour l’achat et 0,60 dollar vient accroître le montant de l’épargne personnelle. Sur cette somme de 0,60 dollar, 0,42 dollar donne lieu à une part plus élevée de l’apport personnel à prix du logement donné et 0,18 dollar permet d’acheter un logement dont le prix est plus élevé (la part de l’apport personnel étant fixée). Néanmoins, comme le soulignent les auteurs, certains avantages qui résultent des aides parentales sont difficiles à évaluer. Par exemple, le fait d’avoir disposé de fonds propres plus élevés lors de l’achat peut donner lieu pour les bénéficiaires à des conditions d’emprunt plus favorables.
14À partir de données italiennes collectées, en 1992, auprès de 8 200 ménages, Guiso et Jappelli (1999) cherchent à estimer l’effet des transferts familiaux reçus sur la période d’épargne requise pour devenir propriétaire de son logement. En Italie, environ le tiers des propriétaires déclarent avoir reçu une donation ou un héritage, et cette proportion s’élève à 50 % lorsqu’il s’agit de la détention de résidence secondaire. Sur un échantillon d’individus âgés de 25 à 50 ans, le temps d’épargne qui est défini comme l’âge à l’acquisition du logement moins l’âge au premier emploi est égal à 12,26 ans pour les propriétaires ayant été aidés, et à 14,4 ans pour ceux qui n’ont pas reçu de transfert. Toutes choses égales par ailleurs et une fois corrigée la censure imposée par les individus locataires, la réduction de la durée d’épargne avec la réception de transfert est de 2,1 ans. Un autre résultat porte sur la valeur du bien acheté. Là encore, l’impact des donations et des héritages reçus est très significatif, puisque chaque lire supplémentaire reçue permet d’augmenter le montant du logement de 0,7 lire [7].
15Au Pays-Bas, Mulder et Smits (1999) soulignent l’effet des caractéristiques parentales sur la propriété du logement. Les parents qui sont indépendants ou qui possèdent au moins un logement ont davantage d’opportunités pour apporter des aides financières, et en pratique, les enfants issus de ces milieux favorisés sont plus souvent propriétaires de leur logement. Spilerman (2004) montre que l’effet de la richesse parentale a un impact plus large sur le niveau de vie des jeunes adultes.
L’exploitation de données israéliennes révèle que les transmissions parentales influencent non seulement la propriété du logement, mais aussi la détention d’une voiture, la poursuite d’éducation supérieure ou bien encore le niveau de vie subjectif. Les effets les plus massifs restent néanmoins observés pour le logement, sachant que le marché correspondant est très contraint en Israël. Ainsi, la probabilité d’être propriétaire de son logement augmente de 56 % lorsque les parents sont propriétaires d’un logement et de 143 % s’ils en ont deux, ces effets étant corrigés de l’incidence de la catégorie sociale des parents.
La situation est en revanche fort différente dans le cas du Chili, pays où la propriété du logement principal est assez peu dépendante de la distribution des revenus dans la population. Spilerman et Torche (2005) s’intéressent au temps d’attente donné par la différence entre l’âge à l’achat du logement et l’âge au mariage, et montrent que les ressources détenues par les parents n’ont pas réellement d’incidence. Cette absence d’effet vient certainement des politiques relatives au logement dans ce pays, destinées à assurer l’accession à la propriété au plus grand nombre. En ce qui concerne la valeur du logement détenu, il existe par contre une influence positive de la richesse parentale. Néanmoins, les effets en sont indirects, au travers de l’éducation transmise aux enfants et du revenu supérieur qui en découle. La comparaison avec la situation aux États-Unis ou en Italie montre en tout cas que le contexte institutionnel influence lui-même l’impact des transferts sur les conditions de logement des bénéficiaires.
? L’enquête « Actifs Financiers » réalisée en 1992
16Pour appréhender les éventuels effets de la richesse parentale, nous avons utilisé les données de l’enquête « Actifs Financiers », réalisée par l’Insee en 1992 auprès de 9 530 ménages [8]. Cette source statistique avait pour objet principal de caractériser la structure du patrimoine des ménages en France, mais elle comporte également une description exhaustive des traits socio-démographiques à la fois de l’enquêté et des principaux membres de la famille. Le recours à ces données, qui peuvent apparaître quelque peu anciennes, se justifie par les deux raisons suivantes.
17En premier lieu, les données renseignent sur plusieurs aspects du logement dans lequel résident chaque enquêté et son éventuel conjoint. Une première question porte sur le logement actuellement habité. Celui-ci peut être loué ou possédé et l’on sait, dans les deux cas, quelle est la surface du logement ou bien encore depuis quand l’enquêté vit dans ce logement. Pour les propriétaires, on connaît également la valeur actuelle du logement. La possession d’autres biens immobiliers, par exemple des résidences secondaires, est également recensée. Des questions complémentaires portent, pour ceux qui sont concernés, sur le processus d’acquisition du logement principal. L’enquête comprend des informations sur lemontant de l’apport personnel, la façon de financer le logement, ou bien encore l’impact de cet achat sur les autres consommations. Toutes ces données permettent d’étudier de manière fine les choix de logement des enquêtés.
18En second lieu, l’enquête comprend un descriptif exhaustif des transferts privés, qu’ils soient reçus des parents ou bien versés aux enfants hors domicile. Ces solidarités familiales peuvent prendre des formes plurielles, comme l’ont montré Arrondel et Wolff (1998) à partir de ces mêmes données. Sur les échanges informels, l’enquête enregistre quatre types d’aides : des aides financières ponctuelles, des aides au logement, des prêts d’argent, et enfin des cautions. Dans ces différents cas, seule l’existence d’une aide reçue ou versée est enregistrée, sans indication sur les montants de ces transferts ou bien encore sur les dates auxquelles ils sont intervenus. Par ailleurs, il y a également des questions sur les héritages et sur les donations reçues et versées. Pour ces transferts plus importants, on connaît le montant d’argent reçu, la composition des différents biens reçus, et surtout la date à laquelle ils ont eu lieu. Enfin, on dispose d’un descriptif très détaillé sur l’usage qui a été fait de la transmission principale reçue.
19Pour le problème qui nous intéresse, c’est la qualité de l’information fournie sur les transferts familiaux qui constitue l’avantage inestimable de cette source statistique. En effet, nous cherchons à savoir si la réception de transferts des parents influence ou non les stratégies d’acquisition de logement des bénéficiaires. Ceci nécessite donc de savoir exactement quand ces transferts sont reçus par rapport à l’achat d’un logement par exemple. Dans le cas contraire, les interprétations peuvent être fallacieuses. Par exemple, si l’on observe une corrélation positive entre les ménages propriétaires et le fait de recevoir des transferts, il est tout à fait possible que les ménages venant de milieux plus favorisés disposent de davantage de moyens pour accéder à la propriété et qu’ils bénéficient en plus de donations. Par contre, si la corrélation ne vaut que pour les transferts reçus avant l’achat du logement, on peut alors conclure à l’existence d’un effet de richesse parentale.
20Dans l’enquête « Actifs Financiers », on interroge une personne de référence et son éventuel conjoint à la fois sur leurs parents et sur leurs enfants, vivant au domicile parental ou bien dans un logement indépendant [9].
Pour ces derniers, on dispose de quelques caractéristiques pour chacun d’entre eux, par exemple le sexe, l’âge, le niveau de diplôme ou bien encore la profession, mais on ignore en revanche leurs conditions de vie ainsi que les biens qu’ils peuvent détenir. En conséquence, nous nous sommes intéressés à l’effet des transferts reçus des parents sur le logement de la personne de référence et de son conjoint.
? L’usage des donations et héritages reçus
21L’enquête « Actifs Financiers » 1992 recense explicitement l’usage qui est effectué des biens reçus par les enquêtés dans le cadre des donations ou des héritages. Les transmissions peuvent inclure des biens immobiliers ou d’autres biens. Ces biens peuvent ensuite être soit conservés, soit revendus. Dans les deux cas, on sait l’usage qui en a été fait, qu’il s’agisse du bien lui-même ou du produit de la vente. Les résultats obtenus pour les transferts reçus par la personne de référence sont reportés dans le tableau 1. Pour les ménages bénéficiaires (3 310 observations), on constate tout d’abord que le logement est très souvent un élément constitutif de la transmission.
L’utilisation des transferts reçus sous forme de donation et d’héritage

L’utilisation des transferts reçus sous forme de donation et d’héritage
22Ainsi, 45,7 % des enquêtés ont reçu à cette occasion la résidence principale des parents, ce qui apparaît tout à fait considérable. Cela rejoint le constat mis en évidence par Laferrère (1991), soulignant que près d’une transmission sur deux comprend du logement. D’autres actifs immobiliers font partie des donations et héritages reçus, mais à un degré moindre. Il peut s’agir d’une résidence secondaire des parents (6 %), de l’immobilier de rapport destiné à la location (4,9 %), ou encore d’autres biens immobiliers (6,9 %). La part relativement plus faible de réception de ces biens vient de ce qu’ils étaient détenus par la minorité la plus favorisée parmi ceux qui ont transmis. Des terrains constructibles (9,4 %) ou d’autres terrains (35,6 %) composent aussi la transmission.
23Hors immobilier, les bénéficiaires ont reçu des titres (8 %), l’outil de travail (24,6 %) ou encore d’autres biens (40,5 %) [10].
La place particulière du logement et des biens immobiliers
24Le logement a clairement une place privilégiée dans ces transmissions patrimoniales, mais ceci est surtout lié à des effets de cohorte. Pour les plus vieilles générations, le logement était l’actif principal détenu par les ménages. Il n’est d’ailleurs pas certain que le poids de l’immobilier soit aussi grand pour les générations futures, les patrimoines actuels des « jeunes » ménages retraités étant beaucoup plus diversifiés qu’autrefois, avec davantage de produits financiers (en particulier des assurances vie).
25Dans l’usage qui est fait des différents biens, le logement reçu est très souvent conservé. La proportion de bénéficiaires ayant gardé la résidence principale des parents est ainsi égale à 72,2 %. Ceci n’est pas en soi un élément très surprenant. Le logement est un bien illiquide, et il peut conserver au-delà de sa valeur financière une valeur sentimentale et émotionnelle. On peut penser aux nombreux cas où l’héritier reçoit en héritage la maison où il a passé son enfance. Parmi ceux qui ont reçu un logement principal, plus d’un bénéficiaire sur deux a fait de ce logement sa résidence principale (56,7 %) et une résidence secondaire dans 12,2 % des cas, les autres usages (non explicités dans l’enquête) représentent 30 %.
26Pour les « autres » logements, il existe de fait une permanence dans l’usage initial du bien reçu. Par exemple, plus de 40 % des résidences secondaires reçues deviennent une résidence secondaire. Dans la mesure où la réception des donations et des héritages comporte une part d’aléatoire, les ménages utilisent leurs propres ressources pour le logement principal et, s’ils reçoivent d’autres logements, ils en conservent l’usage dans sa fonction initiale. C’est aussi le cas de l’immobilier de rapport qui, dans une très large majorité des cas, reste de l’immobilier de rapport. Par contre, les terrains constructibles sont dans un cas sur deux utilisés pour la construction d’une résidence principale. Enfin, l’outil de travail conserve son usage professionnel dans 80 % des cas.
Les autres biens
27Le poids de l’attachement au bien transmis s’observe nettement lorsque l’on compare la part de ce qui est conservé entre les titres financiers et les autres biens, principalement des meubles et des bijoux. Dans le premier cas, la liquidité des actifs financiers conduit très souvent à une revente de ces titres (la proportion est de 48,5 %). Dans le second cas, la valeur affective l’emporte et les biens sont très souvent conservés (la proportion est de 91,3 %).
28Qu’advient-il des sommes d’argent que retirent les bénéficiaires de la vente des biens hérités ? D’après le tableau 1, les sommes obtenues servent souvent à financer des projets immobiliers, surtout si les donations et les héritages reçus comprennent du logement. Ainsi, dans 41 % des cas, le produit de la vente d’une résidence principale sert à l’achat d’un nouveau bien immobilier. Cette proportion de 40 % s’observe pour les différentes ventes de biens immobiliers, que ce soit une résidence secondaire, de l’immobilier de rapport ou des terrains constructibles. Environ le tiers des titres financiers vendus servent à de l’achat immobilier, mais le taux n’est que de 17 % pour les autres biens. Les autres usages de l’argent, ce qui prend en compte des placements financiers, de l’achat de biens durables, des dépenses d’éducation des enfants ou encore le fait de voyager, représentent quand même plus de 50 % des situations où il y a cession des biens reçus [11].
29Au total, l’enquête « Actifs Financiers » 1992 montre que non seulement l’immobilier est un élément central dans les transmissions patrimoniales, mais ces donations et héritages reçus sont aussi destinés en priorité aux acquisitions immobilières, quelle qu’en soit la nature. Ce rôle particulier du logement transparaît d’ailleurs dans les réponses fournies par les enquêtés. Ceux-ci sont amenés à préciser si, parmi les biens qu’ils possèdent et avec le recul du temps, il y en a dont ils se sentent héritiers. La nature héritée du logement est celle qui est la plus souvent reportée. Sur la première réponse donnée par les 3 877 répondants, le logement est cité dans 44 % des cas. À un degré moindre, les meubles, bijoux et tableaux confèrent également aux bénéficiaires ce sentiment d’être héritiers.
Dans la suite de cette étude, nous cherchons à quantifier de façon plus précise l’impact de ces transferts reçus. Nous nous intéressons tout d’abord à l’effet des aides sur la propriété du logement principal ainsi que sur la propriété d’une résidence secondaire, et nous analysons ensuite la durée d’épargne nécessaire pour pouvoir acheter le logement principal.
? Une mesure de l’impact des transferts reçus
L’incidence des transferts sur la possession d’un logement
30Une première question porte sur l’incidence des transferts monétaires reçus sur le fait de posséder un ou plusieurs logements. A priori, on s’attend à retrouver dans l’analyse économétrique l’effet significatif des évidences présentées dans le tableau 1. Nous avons retenu pour l’analyse à la fois la probabilité de posséder un logement principal et celle de posséder une résidence secondaire. Ces deux décisions étant certainement corrélées, nous avons estimé des modèles Probit bivariés (Greene, 2003) [12].
31Les principaux facteurs explicatifs retenus sont l’âge (profil quadratique), le niveau de diplôme de la personne de référence (cinq modalités), sa catégorie sociale (six modalités), le niveau de revenu (profil quadratique), et des variables géographiques portant sur la région et sur la tranche d’unité urbaine où le logement principal se situe. Nous incluons également dans la régression plusieurs mesures indiquant les éventuels transferts familiaux reçus. Une première spécification retient trois variables qui indiquent respectivement le fait d’avoir reçu des aides en argent, des donations, et des héritages (tableau 2, spécification 1). Une seconde spécification prend en compte les montants des donations et héritages reçus, les sommes transmises sous forme d’aides étant inconnues (tableau 2, spécification 2). Les régressions ont été estimées sur l’échantillon des individus qui vivent en couple à la date de l’enquête, et dont la personne de référence (en l’occurrence l’homme) est âgée de 25 à 50 ans. Cette sélection sur les couples permet de prendre à la fois les transferts reçus par l’homme et ceux reçus par la femme [13].
Les déterminants de la propriété du logement

Les déterminants de la propriété du logement
32D’après les résultats du tableau 2, la possession du logement principal augmente avec l’âge, tout du moins jusqu’à 45 ans, âge auquel la probabilité commence à décroître. Si le niveau de diplôme apparaît sans incidence particulière, on observe que les agriculteurs sont beaucoup plus souvent propriétaires de leur logement, alors que les employés le sont moins souvent. La détention de son logement principal augmente avec le niveau de revenu du ménage. Les effets fortement négatifs observés pour la tranche urbaine traduisent simplement des effets de prix. Dans les grandes villes, les prix des logements sont beaucoup plus élevés et il est donc moins facile d’acheter un logement.
L’impact des différents types de transmission
33Toutes choses égales par ailleurs, les transferts ont bien un effet positif sur le fait de posséder son logement principal. Néanmoins, cela dépend du type de transmission considérée. Le fait de recevoir des aides financières n’influence pas l’acquisition de logements, sans doute parce que ces aides sont d’un montant trop faible. En revanche, avoir reçu des donations ou bien des héritages augmente fortement la probabilité d’être propriétaire, les coefficients pour ces deux variables étant significatifs au seuil de 1 %. La probabilité estimée d’être propriétaire, évaluée à partir des caractéristiques moyennes de l’échantillon, est égale à 65,7 points. Pour les enquêtés ayant reçu une donation, cette probabilité augmente de 14,4 points. Dans le cas d’un héritage reçu, la probabilité s’accroît de 6,2 points. Ces effets étant cumulatifs, ceux qui ont reçu à la fois une donation et un héritage ont donc une probabilité de détenir leur logement principal supérieure à 85 % (65,7 + 14,4 + 6,2).
Les résultats vont dans le même sens lorsque l’on prend en compte les sommes d’argent (non actualisées) qui sont reçues à cette occasion. Deux résultats sont alors obtenus. D’une part, à la fois les sommes reçues par donation et celles reçues par héritage jouent positivement, les effets étant significatifs au seuil de 1 %. D’autre part, l’impact des donations n’est pas significativement différent de celui des héritages [14]. Si l’on raisonne à partir des caractéristiques moyennes de l’échantillon, le fait d’augmenter la donation reçue de 100 000 francs accroît la probabilité de détenir son logement principal de 1,82 point et de 1,49 point pour une variation équivalente du montant d’héritage. Ces résultats montrent l’existence d’une corrélation significative entre les transferts privés qui sont reçus par les enquêtés et la propriété du logement.
Cette analyse où les transmissions reçues sont considérées comme exogènes ne permet toutefois pas de conclure à un lien causal entre la réception d’aides et la propriété. Il est en effet possible que les variables de transferts soient endogènes dans la régression, auquel cas les estimateurs ne seraient pas nécessairement significatifs après correction du biais d’endogénéité. Pour traiter ce problème, nous avons tout d’abord réestimé par un modèle Probit univarié la probabilité que l’enquêté possède son logement principal en fonction de l’ensemble des sommes reçues, à la fois donations et héritages. Ceci nous permet d’avoir un coefficient unique pour les montants des transferts reçus, supposés exogènes. Pour un montant exprimé en centaine de milliers de francs, le coefficient est alors égal à 0,046 et significatif à 1 % (tableau 3).
L’effet des transferts reçus sur la propriété du logement principal

L’effet des transferts reçus sur la propriété du logement principal
34Ensuite, pour corriger le biais d’endogénéité, nous avons procédé de la façon suivante. Dans une première étape, nous estimons par un modèle Tobit la somme d’argent qui a été reçue sous forme de donations et d’héritages [15]. Les facteurs explicatifs retenus sont la catégorie socioprofessionnelle des parents (celle du père de l’enquêté, celle du père du conjoint de l’enquêté), le niveau de vie des parents dans la jeunesse de l’enquêté, la propriété par les parents du logement principal ou d’autres logements dans la jeunesse de l’enquêté, et enfin le nombre de frères et sœurs. Les résultats de cette régression, non présentés, sont conformes aux attentes. Les sommes d’argent reçues augmentent lorsque les parents sont agriculteurs, indépendants, ou appartiennent à des professions supérieures, lorsqu’ils avaient du patrimoine immobilier dans la jeunesse de l’enquêté, tandis qu’elles diminuent sensiblement avec le nombre de collatéraux.
En utilisant les estimateurs de cette régression, nous construisons alors la valeur prédite du montant total de transfert reçu pour chaque enquêté. Dans une seconde étape, cette valeur estimée est introduite comme facteur explicatif dans la régression. Les résultats de l’estimation mettent en évidence une relation de causalité entre la propriété de son logement et la valeur des transferts reçus (tableau 3). Le coefficient obtenu est alors égal à 0,068 (au lieu de 0,046 sous l’hypothèse d’exogénéité), ce qui montre que le fait de recevoir une somme d’argent plus importante de ses parents permet bien au bénéficiaire d’être plus facilement propriétaire de son logement.
Une analyse similaire peut être menée sur la possession par l’enquêté d’au moins une résidence secondaire (tableau 2). Nous discutons ici seulement de l’impact des transferts reçus, qui s’avère assez similaire à celui mis en évidence pour le logement principal. D’un côté, le fait d’avoir reçu une donation ou un héritage accroît très significativement la probabilité de posséder un logement secondaire. Les effets marginaux sont respectivement de 11,2 % et de 9,3 % pour les donations et pour les héritages, sachant que la probabilité moyenne estimée est de 11,5 %. Les sommes d’argent reçues, donations ou héritages, sont également pertinentes pour expliquer la variable dépendante. De l’autre, l’instrumentation confirme l’existence d’une relation causale entre les transferts et la possession d’autres biens immobiliers.
La durée de l’épargne avant l’achat du logement principal
35Une des limites de cette étude sur la propriété de logements à la date de l’enquête vient de ce que l’on ignore les effets temporels sous-jacents. Il est ainsi possible que la réception de transferts accélère le passage au statut de propriétaire (Spilerman, 2004). Par ailleurs, les questions exploitées précédemment ne permettent pas de savoir depuis quand l’enquêté possède (le cas échéant) les biens qu’il déclare. Or, les transferts peuvent avoir été reçus plusieurs années après l’achat. Pour remédier à ces insuffisances, nous proposons à présent une analyse similaire à celle de Guiso et Jappelli (1999), qui porte sur la durée d’épargne avant l’achat de son logement principal. Les données nous permettent de construire un indicateur de temps d’épargne similaire à celui des auteurs précédents, et nous restreignons l’analyse aux ménages dont le chef de famille est âgé de 25 à 45 ans.
36Le temps d’épargne est ici défini comme étant la différence entre l’âge au premier emploi et l’âge à l’achat du bien actuellement occupé pour les propriétaires. Pour les locataires, la durée d’épargne n’est par définition pas achevée, et celle-ci est alors déterminée par la différence entre la date de l’enquête et l’âge au premier emploi. Cette dernière variable correspond à une première activité rémunérée, qui exclut les petits boulots. Cette évaluation du temps d’épargne n’est toutefois pas sans soulever de difficultés. Par exemple, elle ignore l’incidence du travail et de l’épargne accumulée par l’éventuel conjoint. Une autre limite vient de ce que l’on ignore si le logement détenu actuellement est le premier possédé ou non. Il se peut alors que les aides aient servi à acheter un premier logement revendu ensuite, et dont le produit de la vente est réinvesti dans l’achat d’un nouveau logement de taille plus grande [16].
Le tableau 4 révèle comment le temps d’épargne varie selon le statut de propriétaire et l’éventuelle réception de donations ou d’héritages des parents avant d’occuper le logement actuel. Trois grands résultats sont alors mis en évidence. Pour les propriétaires, la réception de transferts ne modifie pas vraiment la durée d’épargne avant l’achat du logement, 11,50 ans sans transfert et 11,67 avec transferts. Une décomposition plus fine met toutefois en évidence l’impact différencié des donations et des héritages. Lorsque les ménages propriétaires ont reçu une donation, le temps d’épargne est réduit, de 11,59 à 11,24 ans. En revanche, pour les héritages, l’effet est totalement inversé. Le temps d’épargne s’allonge sensiblement avec la réception d’héritages, passant de 11,44 à 12,54 ans. Enfin, quelle que soit la nature du transfert retenu (donation ou héritage), on note que la valeur du logement habité est beaucoup plus importante lorsque les enquêtés ont bénéficié de transmissions de leurs parents avant la date de l’achat.
Transferts et temps d’épargne pour l’achat du logement

Transferts et temps d’épargne pour l’achat du logement
37Nous avons cherché à expliquer le temps d’épargne avant l’achat du logement en fonction des caractéristiques individuelles et des éventuelles réceptions de transferts. La prise en compte de variables relatives à la région de résidence ainsi qu’à la taille de la tranche urbaine permet de contrôler les conditions locales du marché immobilier. Idéalement, chacun des facteurs explicatifs devrait être mesuré à la date de l’achat du logement, ce qui n’est malheureusement pas possible dans la mesure où les données de l’enquête « Actifs Financiers » sont transversales. Certaines variables apparaissent toutefois permanentes, par exemple le diplôme ou bien encore le niveau social. Ceci semble moins clair pour la taille du ménage, mais l’on peut supposer que celle-ci correspond à la taille anticipée à la date de l’achat.
38Pour l’estimation, nous avons retenu un modèle de Cox à hasard proportionnel, où les individus locataires correspondent à des observations censurées [17]. Les coefficients reportés dans le tableau 5 correspondent aux ratios de hasard : un coefficient supérieur à l’unité indique donc que l’effet du facteur explicatif correspondant accroît le hasard relatif, c’est-à-dire qu’il a un effet réducteur sur le temps d’épargne nécessaire pour l’achat du bien immobilier.
L’effet des transferts reçus sur la durée d’épargne

L’effet des transferts reçus sur la durée d’épargne
39Vivre en couple réduit fortement le taux d’épargne, ce qui s’explique selon toute vraisemblance par l’épargne supplémentaire apportée par le conjoint. On observe aussi des durées d’épargne plus courtes lorsque la taille du ménage est grande, mais l’interprétation est alors plus délicate. Il se peut que les couples propriétaires aient ensuite davantage d’enfants. La régression met en évidence en effet positif du diplôme. Les enquêtés les plus diplômés peuvent consacrer une part plus importante de leurs ressources à l’épargne, ce qui réduit mécaniquement le temps nécessaire pour accumuler. Les agriculteurs se caractérisent par des durées d’épargne moins longues, et le revenu mesuré à la date de l’enquête réduit aussi le temps d’épargne. Enfin, les variables relatives à la zone urbaine montrent le poids du marché immobilier. Dans les grandes villes, il faut épargner beaucoup plus longtemps pour pouvoir acheter un logement.
Pour mesurer la réception de transferts avant l’achat du logement, nous avons tout d’abord construit une variable qui regroupe les réceptions de donations et d’héritages. Les résultats n’apparaissent alors guère convaincants : on observe un temps d’épargne un peu plus faible, mais cet effet n’est absolument pas significatif. Au regard des évidences descriptives précédentes, nous avons donc séparé les donations des héritages. Lorsque l’on introduit ces deux facteurs explicatifs, les résultats sont fort différents. D’un côté, avoir reçu une donation diminue la période d’accumulation avant l’achat du logement (tableau 5). À l’inverse, pour les héritages, ceux-ci donnent lieu à un temps d’épargne plus long. Il y a donc des motivations opposées selon que l’on considère des aides inter vivos ou bien des transferts post mortem.
Les différences observées tiennent sans doute au fait que les héritages ne sont pas toujours des transferts volontaires, le moment du décès n’étant pas choisi. Ceux-ci peuvent correspondre par exemple à un surcroît d’épargne accumulé, qui aurait été consommé par les parents si ceux-ci avaient vécu plus longtemps (il s’agit alors de transferts accidentels). Par opposition, les donations sont a priori directement reliées au sort des bénéficiaires. Une autre explication peut résulter d’effets d’attente. Les enquêtés ayant des parents très âgés peuvent anticiper un héritage dans un horizon assez proche, et de là conditionner l’achat d’un logement immobilier à la réception du legs. Une vision moins manichéenne est liée à l’environnement dans lequel s’effectue la fin de vie des parents âgés. Avec les soucis engendrés par l’échéance de la mort, la période n’est pas forcément propice pour la réalisation d’un projet immobilier.
La taille du logement acquis
40Nous avons, pour finir, regardé l’effet sur la taille du logement des aides parentales. Si les ménages peuvent réduire leur propre épargne et acheter de façon plus précoce, ils peuvent aussi faire le choix de se tourner vers des logements de plus grande taille. Nous avons donc estimé la valeur du logement possédé en fonction des caractéristiques de l’enquêté et des transferts reçus le cas échéant. Par construction, les locataires sont de nouveau des observations censurées, la valeur du logement qu’ils possèdent étant nulle. La spécification retenue est donc un modèle Tobit [18].
41Les résultats obtenus sont indiqués dans le tableau 6, et nous discutons ici seulement de l’impact des transferts intergénérationnels reçus des ascendants. Les données mettent en évidence un très fort effet positif des donations reçues sur la valeur du logement possédé. La réception d’héritages exerce également une incidence positive et significative au seuil de 1 %, mais l’effet est plus de deux fois plus faible. L’enquête « Actifs Financiers » permet surtout de quantifier cet impact bénéfique des transferts reçus. Concrètement, chaque franc supplémentaire reçu accroît la valeur du logement en la possession de l’enquêté de 0,36 franc lorsqu’il s’agit de la réception d’une donation, et de 0,31 franc s’il s’agit de celle d’un héritage. La comparaison des effets relatifs à la durée d’épargne et à la valeur du logement laisse à penser que l’incidence des transmissions parentales s’effectue surtout par des effets sur le type de logement acquis.
L’effet des transferts sur la valeur de la résidence principale possédée

L’effet des transferts sur la valeur de la résidence principale possédée
42Ces résultats obtenus pour la France s’avèrent en tout cas assez semblables à ceux obtenus à partir de données italiennes. Dans ce dernier pays, Guiso et Jappelli (2002) montrent que chaque lire de transfert supplémentaire accroît la valeur du logement de 0,7 lire et que l’effet des transferts parentaux s’opère principalement par une valeur plus grande du logement et non par une réduction forte de la durée d’épargne. Comme le soulignent ces auteurs, il est possible que les parents conditionnent les transferts qu’ils versent à leurs enfants aux comportements de ces derniers. Les parents préfèrent sans aucun doute voir leurs enfants d’abord accumuler, puis leur venir ensuite en aide en fonction de leurs besoins, plutôt que de leur verser très jeunes des transferts conséquents qui viendraient sans aucun doute réduire leur accumulation initiale.
? Conclusion
43La solidarité intergénérationnelle joue un rôle tout à fait fondamental dans la sphère familiale, et les transferts financiers viennent le plus souvent compenser les inégalités de niveaux de vie qui peuvent exister entre les générations. Si de nombreuses études, aussi bien sociologiques qu’économiques, ont mis en évidence le poids de ces transferts familiaux à la fois dans les pays développés et moins développés, on sait en revanche très peu de chose sur l’impact de ces aides pour les bénéficiaires.
44Nous avons ici cherché à combler cette lacune en montrant l’incidence des donations et des héritages reçus sur les choix immobiliers des bénéficiaires. L’exploitation de l’enquête « Actifs Financiers » 1992 révèle le poids du logement et de la propriété dans la transmission familiale, le logement constituant le principal des biens transmis et aussi le plus important usage des transmissions reçues : la forte relation entre le lien et le bien s’accomplit d’abord dans le logement. Celui-ci cristallise le lien de filiation, qui à son tour oriente les stratégies patrimoniales et résidentielles des jeunes ménages. Sous ce résultat global, qui rejoint d’autres travaux sur la famille et le logement (Bonvalet et alii, 1999), plusieurs aspects des conséquences des transferts intergénérationnels sont apparus.
45Les comportements résidentiels de ceux qui ont bénéficié d’aides, de donations ou d’héritages s’écartent significativement des comportements de ceux qui n’ont pas été aidés. Nos résultats confirment ce que l’on pouvait prévoir intuitivement, à savoir que les donations et héritages reçus des parents permettent d’être plus facilement propriétaire de son logement et de disposer d’un bien immobilier d’une plus grande valeur. Ils suggèrent aussi que le cycle de vie familial en est modifié, puisque la réception de transferts réduit le temps d’attente pour l’achat du logement. Ils soulignent aussi les différences de calendrier familial quand la transmission est post mortem ou in vivo, les effets étant plus sensibles dans ce dernier cas. Il reste à approfondir les conséquences en chaîne de cette amélioration du bien-être des ménages ainsi aidés, sur l’ensemble de leur situation non seulement économique, mais aussi sociale et culturelle, pour prendre toute la mesure de l’influence parentale. Celle-ci ne passe pas seulement par le milieu et le capital humain des parents, mais elle s’exerce aussi à travers des effets massifs liés à la transmission du patrimoine parental.
Notes
-
[*]
François-Charles Wolff : professeur à l’université de Nantes et membre du Laboratoire d’économie de Nantes, chercheur associé à la direction des recherches de la Caisse nationale d’assurance vieillesse et à l’Institut national des études démographiques.
-
[**]
Claudine Attias-Donfut : directrice des recherches à la Caisse nationale d’assurance vieillesse.
-
[1]
Celle-ci peut être directe si les parents « achètent » l’attention de leurs enfants (Cox, 1987), ou bien indirecte lorsque par exemple le don reçu des parents ne leur est pas rendu directement par leurs enfants, mais est transféré aux petits-enfants ou encore quand celui qui rend n’est pas celui qui a reçu. Dans ce modèle, les transferts mettent en jeu trois générations, la contrepartie à un transfert versé étant effectuée par une tierce génération (Arrondel et Masson, 2005 ; Jellal et Wolff, 2000).
-
[2]
Wolff (2000) montre notamment que les enfants reçoivent davantage d’argent lorsqu’ils sont riches, ce qui contredit a priori l’existence d’un altruisme parental. Il faut par ailleurs souligner que les modèles s’avèrent délicats à tester, surtout si l’on admet que ces motivations coexistent au sein de groupes différents de la population.
-
[3]
Nous tenons à remercier Seymour Spilerman et Eduardo Fajnzylber pour leurs différentes remarques et suggestions. Cette recherche a également bénéficié de commentaires lors de présentations au séminaire du Puca (Paris, décembre 2004), au Center for the Study of Wealth and Inequality (New York, avril 2005) et au CEPAL (Santiago, Chili, juillet 2005).
-
[4]
Parmi les conséquences possibles, les aides peuvent permettre l’accession à la propriété, l’achat d’une résidence secondaire, influencer la date d’entrée dans le statut de propriétaire, réduire le montant emprunté, diminuer la durée d’épargne initiale pour constituer un apport personnel, ou bien jouer sur taille du logement acheté.
-
[5]
Ce taux relativement faible tient en partie aux donations déjà effectuées, l’enquête mettant en évidence une « décapitalisation » à la vieillesse, au profit des enfants.
-
[6]
Le lien entre transferts intergénérationnels et contraintes de liquidité est étudié plus en détail par Cox et Jappelli (1990) et par Guiso et Jappelli (1991).
-
[7]
Ceci signifie donc que l’effet en terme de réduction d’épargne est assez faible, autour de 0,3 lire.
-
[8]
Les données de l’enquête « Actifs Financiers » ont été mises à disposition par le centre Quételet.
-
[9]
Pour un aperçu des transferts reçus et versés dans cette enquête, se reporter à Arrondel et Wolff (1998).
-
[10]
Pour l’outil de travail, il peut s’agir d’une exploitation agricole, d’un commerce, d’une étude d’un cabinet ou bien encore d’un bureau.
-
[11]
Cette proportion est même de 80 % lorsqu’il s’agit de la vente des autres biens.
-
[12]
Cette spécification permet de préciser toutes choses égales par ailleurs quels sont les déterminants qui influencent deux décisions jointes (détention du logement principal, détention de la résidence secondaire). Le modèle bivarié retenu dans notre analyse ne correspond pas à un modèle de sélection. Les ménages peuvent faire le choix de ne pas posséder leur logement principal (ils préfèrent alors le louer), mais d’acquérir une résidence secondaire.
-
[13]
Les résultats obtenus ne sont pas différents si l’on inclut les personnes qui vivent seules et qui ne peuvent être aidées que par leurs propres parents.
-
[14]
La statistique obtenue pour le test de Wald associé à cette hypothèse est égale à 0,11 (pour un degré de liberté).
-
[15]
Le modèle Tobit renseigne sur les déterminants d’une variable à expliquer qui peut prendre soit pour valeur 0, soit des valeurs continues. Dans notre problème, de nombreux ménages ne reçoivent pas d’argent de leurs parents, auquel cas la valeur du transfert reçu est nulle.
-
[16]
Cette possibilité vient donc biaiser les calculs du temps d’épargne nécessaire pour acheter un bien immobilier, qui devrait a priori être plus court si l’on avait l’information sur le premier logement acheté.
-
[17]
Cette spécification correspond à un modèle de durée, qui permet d’analyser des processus de sortie d’un état donné. Concrètement, il s’agit d’estimer les chances qu’un enquêté quitte l’état d’intérêt (la non-possession de son logement) à un instant donné, sachant qu’il était dans cet état jusqu’à l’instant précédent.
-
[18]
Il n’apparaît en effet guère possible d’estimer un modèle de sélection pour estimer la valeur du logement, en l’absence de conditions d’exclusions pertinentes. Il faudrait en effet trouver une variable influençant seulement le choix d’être propriétaire ou locataire et non la valeur du logement.