1L’objectif de cette contribution est de fournir au lecteur une présentation succincte des règles légales et jurisprudentielles qui instituent et organisent les obligations à caractère alimentaire autant dans le champ du droit civil que dans celui du droit de la protection sociale. Ces règles sont présentées dans trois tableaux successifs, accompagnées de quelques explications : un premier tableau récapitule l’ensemble des obligations à caractère alimentaire telles qu’elles apparaissent dans le Code civil, un deuxième présente les textes relevant de la protection sociale et articulant obligation alimentaire et fourniture d’une prestation, un troisième précise à quelles obligations à caractère alimentaire renvoie chacune des prestations en cause. Sont données ensuite quelques précisions sur le régime de ces obligations à caractère alimentaire et sur l’ampleur du contentieux judiciaire qu’elles suscitent. Les difficultés relatives à l’articulation entre des règles civiles et des règles relevant du droit de la protection sociale sont plus spécialement évoquées.
2Mais avant de procéder à cette description, il a paru nécessaire de replacer la question des obligations alimentaires au sein de la problématique plus générale des solidarités familiales à laquelle elles se rattachent.
? Obligations alimentaires et solidarités familiales
3Le terme de « solidarité familiale » a été employé pour la première fois dans le champ politique en 1972 et dans le champ scientifique en 1976 par A. Pitrou, dans sa thèse. Son usage traduisait une remise en cause de la théorie fonctionnaliste de la famille qui prévoyait une diminution progressive de sa taille en même temps que de ses fonctions de socialisation et d’entraide et signait une évolution de la prise en considération de la famille dans les travaux scientifiques. À partir du constat du maintien des liens d’entraide au sens large dans la parenté, cette évolution permettait de passer de l’hypothèse de la substituabilité à celle de la complémentarité de la famille et de la protection sociale (Minonzio, 2002).
4Les définitions de la solidarité familiale diffèrent cependant selon les auteurs, depuis une conception étroite qui se limite à la seule entraide matérielle entre membres de la famille jusqu’à une conception large qui englobe l’ensemble des échanges qui peuvent avoir lieu dans la parenté. Par ailleurs, le recours à cette notion peut également renvoyer à un « programme politique » plutôt qu’aux constats de situations de fait, son usage mêlant ainsi des conceptions scientifiques, morales, politiques voire économiques qu’il n’est pas toujours facile de démêler.
5On retrouve ce même problème dans les travaux des juristes. La notion de « solidarité familiale » peut renvoyer à plusieurs ensembles de dispositifs juridiques : par exemple, mécanismes relatifs aux obligations alimentaires, mais aussi régimes matrimoniaux dans la mesure où le régime légal assure à une très grande majorité de conjoints le partage des biens acquis pendant le mariage au moment de sa dissolution. Il en est de même pour le droit des successions qui organise des priorités dans les successions ab intestat, privilégiant les enfants et le conjoint, et impose également une réserve à leur profit. On peut encore citer dans le domaine de la protection des majeurs, les textes imposant aux membres de la famille d’assumer les fonctions de tuteur ou encore le droit des obligations qui présume les parents civilement responsables des actes dommageables de leurs enfants mineurs.
Dans le domaine plus restreint et moins balisé de l’entraide familiale, on pourrait citer les normes légales ou jurisprudentielles qui, prenant acte de la nécessaire gratuité de cette entraide, au nom de la solidarité familiale, ne permettaient pas à celui des membres de la famille qui s’est occupé d’un parent malade d’obtenir une rémunération de cette activité. Le travail domestique intrafamilial, le plus souvent effectué par des femmes, est « par nature » gratuit. Cette conception des relations familiales et du rôle que peuvent y jouer les solidarités familiales a cependant évolué. Ainsi la Cour de cassation considère qu’un professionnel qui a fourni des soins à un membre de sa famille à l’égard duquel il est tenu à une obligation alimentaire peut être rémunéré, l’assurance maladie devant par conséquent accepter de rembourser ses honoraires (Ass. Plénière, 13 décembre 1991, Dr. Soc., 1992, 487). Dans le même sens, les sommes versées au titre de l’allocation personnalisée d’autonomie peuvent aujourd’hui être utilisées pour rémunérer un proche, y compris s’il est tenu à une obligation alimentaire à l’égard de la personne âgée dépendante aidée, à l’exception toutefois du conjoint ou du concubin.
Les règles du Code civil instituant des obligations alimentaires ou à caractère alimentaire
6Parmi ces différents dispositifs ayant un lien avec les solidarités familiales, se trouvent les règles du Code civil (C. civ.) instituant des obligations alimentaires ou à caractère alimentaire.
7Les premières relèvent des articles 205 et suivants qui organisent une obligation alimentaire réciproque entre ascendants et descendants sans limitation de degré et entre gendres ou belles-filles et beaux-parents.
8Les secondes concernent l’obligation d’entretien des parents à l’égard de leurs enfants mineurs ou jeunes majeurs et les obligations pécuniaires entre époux, pendant le mariage ou pendant la procédure de divorce. Les textes du Code civil relatifs aux obligations des parents à l’égard de leurs enfants mineurs ou jeunes majeurs ou entre époux ont évolué parallèlement aux évolutions de la famille nucléaire. Aujourd’hui, les relations enfants-parents sont toutes soumises aux mêmes textes, que les enfants soient nés d’un couple marié ou hors mariage, et le devoir de secours entre époux disparaît au moment du divorce, consacrant la dissolution du lien.
9En revanche, les articles 205 et suivants du Code civil relatifs aux obligations alimentaires entendues au sens strict ont peu évolué, si ce n’est pour introduire les conséquences des modifications relatives aux liens de famille. La loi du 3 janvier 1972 notamment, prévoyant que l’enfant naturel entre dans la famille de son auteur, disposait parallèlement que le juge pourra décharger le débiteur alimentaire de tout ou partie de sa dette lorsque le « créancier aura lui-même gravement manqué à ses obligations » (article 207 C. civ.).
10Si les obligations alimentaires sont immédiatement associées aux solidarités familiales, le discours qui est construit à leur propos, renvoie souvent aux mêmes ambiguïtés : souvent, on constate une superposition des termes, une expression étant parfois employée pour l’autre. Techniquement, ces expressions renvoient pourtant à deux mondes distincts. Les obligations alimentaires représentent une toute petite part de l’ensemble que constituent les solidarités familiales, et une part beaucoup plus strictement définie ; l’obligation alimentaire constitue une obligation légale en vertu de laquelle une personne est tenue de fournir des moyens de subsistance à un parent ou un allié lorsque celui-ci est dans une situation de besoin. Elle constitue donc d’abord une vocation à recevoir des aliments, qui s’incarne le plus souvent sous la forme d’une pension, même si le Code civil prévoit la possibilité théorique d’exécuter l’obligation par l’accueil du créancier au domicile du débiteur d’aliments lorsqu’il est lui-même trop démuni (article 210 C. civ.), ou lorsque le débiteur est le père ou la mère du créancier (article 211 C. civ.). L’obligation alimentaire constitue donc une obligation civile juridiquement sanctionnée, ce qui n’est pas le cas de la solidarité familiale ; il n’y a pas superposition des deux notions : l’obligation alimentaire est une notion juridique alors que ni la solidarité familiale ni la famille, d’ailleurs, ne constituent des catégories juridiques. L’expression renvoie à une autre notion, non juridique : l’idée qu’aux liens de famille entendus au sens large sont associées des manifestations d’entraide, en nature ou en espèces.
11Il peut donc parfaitement exister une obligation alimentaire là où il n’y a pas de solidarités familiales, et des solidarités familiales là où il n’y a pas d’obligation alimentaire. Des solidarités familiales peuvent ainsi se développer en dehors de toute obligation alimentaire, notamment entre frères et sœurs. À l’inverse, le lien du mariage ou le lien de filiation crée une obligation à caractère alimentaire, quels que soient les liens de solidarité effectifs entre les personnes ainsi liées. S’agissant du lien parent-enfant en particulier, le parent au sens du droit de la filiation conserve son obligation quels que soient les événements qui affectent l’autorité parentale, à la suite d’une séparation des parents mais également lorsque l’enfant ne vit pas auprès de l’un de ses parents ou des deux, occupé(s) ailleurs ou défaillant(s), ou encore lorsque l’enfant en danger a fait l’objet d’une mesure d’assistance éducative (article 375-8 C. civ) ou est pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (L. 228-1 du Code de l’action sociale et de la famille). Il en est de même, théoriquement, en cas de retrait de l’autorité parentale (article 379 al. 2 C. civ.).
Il n’en reste pas moins qu’à propos des obligations alimentaires se mélangent aussi des conceptions politiques et morales, tant dans les discours qui se développent sur le sujet que dans les textes qui sont élaborés à leurs propos ou dans leurs modalités de mise en œuvre (Sayn, 1998, 2000). On retrouve ainsi, à propos de l’obligation alimentaire, les mêmes difficultés qu’à propos des solidarités familiales. Notons par exemple que la Cour de cassation admet que le débiteur alimentaire qui a assumé seul les besoins de son créancier, peut ensuite demander le remboursement de cette dépense aux autres débiteurs alimentaires dans la mesure où les sommes qu’il a payées excèdent sa part contributive, compte tenu des facultés respectives des parties. Cette solution est théoriquement contestable dans la mesure où il est traditionnellement admis que le débiteur n’a pu exécuter que sa propre dette, dont il ne saurait par conséquent demander le remboursement à d’autres. Elle est pourtant justifiée par l’idée qu’il faut « promouvoir la solidarité familiale » et partant la participation de tous à l’entretien de l’un d’eux (Lecuyer, 1997).
Les liens établis entre les textes relevant du Code civil et ceux qui relèvent de la protection sociale participent de cette superposition entre constats de situations de fait et conceptions morales, politiques voire économiques des solidarités familiales.
Le droit de la protection sociale et les obligations alimentaires ou à caractère alimentaire
12Le droit de la protection sociale peut mettre en place des modalités de distribution des prestations qui font appel aux solidarités familiales indépendamment de l’existence d’une obligation alimentaire, notamment en instaurant des prestations versées sous conditions de ressources lorsque ces ressources ne sont pas appréciées individuellement mais par foyer, indépendamment du lien alimentaire et du lien de famille (notion de personne à charge). Mais c’est seulement en se fondant sur les obligations alimentaires du Code civil que le droit de la protection sociale peut organiser des actions en paiement contre les obligés alimentaires des bénéficiaires de prestations ou encore refuser une prestation en raison d’une vocation alimentaire conçue comme première.
13Le droit anglais de la protection sociale ignore donc ce type de recours, dans la mesure où il ne connaît pas de vocation alimentaire en dehors de l’obligation réciproque entre époux et de l’obligation d’entretien des enfants mineurs. Mais le droit portugais, qui connaît des obligations alimentaires étendues, y compris entre frères et sœurs ou des oncles et tantes à l’égard de leurs neveux et nièces mineurs, n’organise pas pour autant un lien entre droit civil et protection sociale : le versement de prestations sociales n’autorise pas pour autant un recours contre les obligés alimentaires de leur bénéficiaire. C’est dire que le lien entre l’existence d’obligations alimentaires dans les rapports privés et les recours organisés au titre de la protection sociale n’est pas nécessaire et que l’on peut parfaitement conserver les unes et supprimer les autres, évitant ainsi de donner à l’obligation alimentaire un caractère obligatoire pour le créancier et non plus seulement pour le débiteur.
14Le principe de subsidiarité est généralement mobilisé pour fonder la mise en cause des obligés alimentaires d’un bénéficiaire d’une prestation sociale à l’occasion de la distribution de telle ou telle prestation sociale. L’idée qui le soutient, serait qu’il ne faut pas porter atteinte à la famille en assumant ses fonctions à sa place. Il signifie en tout cas que chacun a l’obligation d’abord de s’occuper de lui-même et ensuite de son entourage familial, la solidarité élargie (assurancielle, nationale, communautaire) ne devant intervenir qu’à titre subsidiaire, à défaut de ressources individuelles ou familiales suffisantes.
Très générale, cette explication est pourtant écartée, par principe, dans tout le champ de la sécurité sociale, les prestations étant conçues comme la contrepartie des cotisations antérieures. Cette explication est en revanche communément admise pour le champ de l’aide sociale. Pourtant, on constate que la loi a mis en place des recours contre les obligés alimentaires dans le champ de la sécurité sociale et surtout que le recours aux obligés alimentaires dans le champ de l’aide sociale est écarté pour de nombreuses prestations (personnes handicapées, personnes âgées dépendantes notamment). Bien que le recours alimentaire reste le principe (articles 132-6 et 7 CASF), il ne constitue donc pas le ressort de fonctionnement de l’aide sociale ; la distinction aide sociale/assistance d’une part, sécurité sociale/assurance d’autre part et la mobilisation du principe de subsidiarité qui lui est attachée ne semble donc pas à même de fonder ces recours. La distinction aide sociale/sécurité sociale explique cependant les différences observées dans les modalités de mise en œuvre de ces recours : dans le champ de l’aide sociale, l’« autorité publique » a le pouvoir d’agir en établissement de la dette d’aliments en lieu et place du créancier alimentaire. Ce pouvoir est absent dans le champ de la sécurité sociale, dont les organismes peuvent seulement refuser le versement d’une prestation en l’absence d’action engagée par le créancier principal. Les modalités d’articulation entre obligation alimentaire et protection sociale s’en trouvent profondément modifiées.
? Récapitulatif des obligations alimentaires ou à caractère alimentaire du Code civil [1]
Les obligations alimentaires au sens strict
15Article 205 – Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin.
16Article 206 – Les gendres et belles-filles doivent également et dans les mêmes circonstances, des aliments à leur beau-père et belle-mère, mais cette obligation cesse lorsque celui des époux qui produisait l’affinité et les enfants issus de son union avec l’autre époux sont décédés.
17Article 207 – Les obligations résultant de ces dispositions sont réciproques (alinéa 2 : néanmoins, quand le créancier aura lui-même manqué gravement à ses obligations envers le débiteur, le juge pourra décharger celui-ci de tout ou partie de la dette alimentaire).
18Article 208 – Les aliments ne sont accordés que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame, et de la fortune de celui qui les doit […].
19Article 209 – Lorsque celui qui fournit ou celui qui reçoit des aliments est replacé dans un état tel, que l’un ne puisse plus en donner, ou que l’autre n’en ait plus besoin en tout ou partie, la décharge ou réduction peut en être demandée.
Les autres obligations à caractère alimentaire
L’obligation d’entretien des parents à l’égard de leurs enfants
20Article 203 – Les époux contractent ensemble, par le fait seul du mariage, l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants.
21Article 371-2 – Chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant.
22Cette obligation ne cesse pas de plein droit lorsque l’enfant est majeur.
23Article 373-2-2 – En cas de séparation entre les parents, ou entre ceux-ci et l’enfant, la contribution à son entretien et à son éducation prend la forme d’une pension alimentaire versée, selon le cas, par l’un des parents à l’autre, ou à la personne à laquelle l’enfant a été confié.
24Les modalités et les garanties de cette pension alimentaire sont fixées par la convention homologuée visée à l’article 373-2-7 ou, à défaut, par le juge.
25Cette pension peut en tout ou partie prendre la forme d’une prise en charge directe de frais exposés au profit de l’enfant.
26Elle peut être en tout ou partie servie sous forme d’un droit d’usage et d’habitation.
Article 373-2-5 – Le parent qui assume à titre principal la charge d’un enfant majeur qui ne peut lui-même subvenir à ses besoins peut demander à l’autre parent de lui verser une contribution à son entretien et à son éducation. Le juge peut décider ou les parents convenir que cette contribution sera versée en tout ou partie entre les mains de l’enfant.
Le cas particulier des subsides
27Article 342 – Tout enfant naturel dont la filiation paternelle n’est pas légalement établie, peut réclamer des subsides à celui qui a eu des relations avec sa mère pendant la période légale de la conception.
28L’action peut être exercée pendant toute la minorité de l’enfant ; celui-ci peut encore l’exercer dans les deux années qui suivent sa majorité si elle ne l’a pas été pendant sa minorité.
29L’action est recevable même si le père ou la mère était au temps de la conception, engagé dans les liens du mariage avec une autre personne, ou s’il existait entre eux un des empêchements à mariage réglés par les articles 161 à 164 du présent Code.
Les obligations pécuniaires entre époux et ex-époux
30• Pendant le mariage
31La contribution aux charges du mariage (article 214 C. civ) et le devoir de secours entre époux (article 212 du C. civ).
32Le devoir de secours entre époux : obligation est faite à chacun de fournir les subsides nécessaires au conjoint qui se trouve dans une situation de besoin (article 212 : les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance).
33La contribution aux charges du mariage : chacun des époux doit participer aux dépenses ayant pour objet le ménage et l’entretien des enfants (article 214 : si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives. Si l’un des époux ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par l’autre dans les formes prévues au Code de procédure civile).
34• Après une séparation de fait
35Maintien des droits et obligations liés au statut d’époux.
36• Après une séparation judiciairement sanctionnée (« séparation de corps »)
37Maintien et aménagement des droits et obligations liés au statut d’époux (article 303 : la séparation de corps laisse subsister le devoir de secours ; le jugement qui la prononce ou un jugement postérieur fixe la pension alimentaire qui est due à l’époux dans le besoin […]).
38Cette pension est soumise aux règles des obligations alimentaires. Toutefois, lorsque la consistance des biens de l’époux débiteur s’y prête, la pension alimentaire est remplacée, en tout ou partie, par la constitution d’un capital, selon les règles des articles 274 à 275-1, 277 et 281. Si ce capital devient insuffisant pour couvrir les besoins du créancier, celui-ci peut demander un complément sous forme de pension alimentaire.
39• Pendant la procédure de divorce
40Article 255 : Le juge peut notamment : […]
413° Statuer sur les modalités de la résidence séparée des époux ;
424° Attribuer à l’un d’eux la jouissance du logement et du mobilier du ménage ou partager entre eux cette jouissance, en précisant son caractère gratuit ou non et, le cas échéant, en constatant l’accord des époux sur le montant d’une indemnité d’occupation ;
435° Ordonner la remise des vêtements et objets personnels ;
446° Fixer la pension alimentaire et la provision pour frais d’instance que l’un des époux devra verser à son conjoint, désigner celui ou ceux des époux qui devront assurer le règlement provisoire de tout ou partie des dettes ; […]
45• Après le divorce
46Disparition dans tous les cas de ces droits et obligations, prestation compensatoire (article 270 : le divorce met fin au devoir de secours entre époux.)
47L’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation a un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d’un capital dont le montant est fixé par le juge […].
? Récapitulatif des textes articulant prestations sociales et obligations à caractère alimentaire
Le Code de l’action sociale et de la famille
48Le Code de l’action sociale et de la famille (CASF) offre aux services d’aide sociale la possibilité tout d’abord de refuser une prestation en se fondant sur la vocation alimentaire du demandeur, ensuite d’agir en fixation de la dette alimentaire dans l’intérêt du créancier enfin d’agir en paiement de tout ou partie des prestations versées contre les débiteurs alimentaires.
49Article L. 132-6 – Les personnes tenues à l’obligation alimentaire instituée par les articles 205 et suivants du Code civil sont, à l’occasion de toute demande d’aide sociale, invitées à indiquer l’aide qu’elles peuvent allouer aux postulants et à apporter, le cas échéant, la preuve de leur impossibilité de couvrir la totalité des frais.
50Sous réserve d’une décision contraire du juge aux affaires familiales (JAF), sont de droit dispensés de fournir cette aide les enfants qui, après signalement de l’aide sociale à l’enfance, ont fait l’objet d’un retrait judiciaire de leur milieu familial durant une période de trente-six mois cumulés au cours des douze premières années de leur vie.
51Cette dispense s’étend aux descendants des enfants susvisés.
52La commission d’admission fixe, en tenant compte du montant de la participation éventuelle des personnes restant tenues à l’obligation alimentaire, la proportion de l’aide consentie par les collectivités publiques. La décision de la commission peut être révisée sur production par le bénéficiaire de l’aide sociale d’une décision judiciaire rejetant sa demande d’aliments ou limitant l’obligation alimentaire à une somme inférieure à celle qui avait été envisagée par l’organisme d’admission. La décision de la commission fait également l’objet d’une révision lorsque les débiteurs d’aliments ont été condamnés à verser des arrérages supérieurs à ceux qu’elle avait prévus.
Article L. 132-7 – En cas de carence de l’intéressé, le représentant de l’État ou le président du conseil général peut demander en son lieu et place à l’autorité judiciaire la fixation de la dette alimentaire et le versement de son montant, selon le cas, à l’État ou au département qui le reverse au bénéficiaire, augmenté le cas échéant de la quote-part de l’aide sociale.
Cette possibilité offerte aux services d’aide sociale reste le principe
53Elle est cependant écartée dans de nombreux cas, notamment s’agissant de l’allocation personnalisée d’autonomie ou des prestations prévues pour les personnes handicapées. Elle reste cependant d’actualité pour la prise en charge par l’aide sociale de tout ou partie des frais d’hébergement des personnes âgées en maison de retraite. Ajoutons qu’en l’absence de ressources suffisantes de la personne hébergée, les maisons de retraite au moins privées peuvent parfaitement passer une convention avec les proches de la personne hébergée pour assurer le financement de cet accueil, créant ainsi une obligation contractuelle indépendante de l’obligation alimentaire.
54• S’agissant de l’allocation personnalisée d’autonomie
55Article L. 232-24 – L’attribution de l’allocation personnalisée d’autonomie n’est pas subordonnée à la mise en œuvre de l’obligation alimentaire définie par les articles 205 à 211 du Code civil […].
56• S’agissant des prestations prévues pour les personnes handicapées
57Article L. 245-7 – L’attribution de la prestation de compensation n’est pas subordonnée à la mise en œuvre de l’obligation alimentaire définie par les articles 205 à 211 du Code civil […].
58Article L. 344-5 – Les frais d’hébergement et d’entretien des personnes handicapées accueillies […] sont à la charge :
591° À titre principal, de l’intéressé lui-même […] ;
2° Et, pour le surplus éventuel, de l’aide sociale sans qu’il soit tenu compte de la participation pouvant être demandée aux personnes tenues à l’obligation alimentaire à l’égard de l’intéressé […].
Cette possibilité offerte aux services d’aide sociale peut également faire l’objet d’aménagements
60• S’agissant de l’aide médicale de l’État
61Article L. 253-1 – Les prestations prises en charge par l’aide médicale de l’État peuvent être recouvrées auprès des personnes tenues à l’obligation alimentaire à l’égard des bénéficiaires de cette aide. Les demandeurs d’une admission au bénéfice de l’aide médicale de l’État sont informés du recouvrement possible auprès des personnes tenues à l’obligation alimentaire à leur égard des prestations prises en charge par l’aide médicale.
62Les dispositions de l’article L. 132-6 ne sont pas applicables.
63• S’agissant de l’aide sociale à l’enfance
64Article L. 228-1 – Le père, la mère et les ascendants d’un enfant pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance restent tenus envers lui des obligations prévues aux articles 203 à 211 du Code civil […].
65Article L. 228-2 – Sans préjudice des décisions judiciaires prises sur le fondement de l’article 40 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante et de l’article 375-8 du Code civil, une contribution peut être demandée à toute personne prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance ou, si elle est mineure, à ses débiteurs d’aliments. Cette contribution est fixée par le président du conseil général dans les conditions prévues par le règlement départemental d’aide sociale dans la limite d’un plafond fixé par voie réglementaire [décret no 87-961 du 25 novembre 1987].
66Cette contribution est au maximum égale à 50 % de la base mensuelle de calcul des prestations familiales, fixée à 361,37 euros au 1er janvier 2005 (article 1er, décret no 87-961 du 25 novembre 1987).
67Parallèlement, lorsqu’un enfant est confié au service d’aide sociale à l’enfance, « les allocations familiales continuent d’être évaluées en tenant compte à la fois des enfants présents au foyer et du ou des enfants confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. La part des allocations familiales dues à la famille pour cet enfant est versée à ce service », sauf lorsque l’organisme débiteur décide, à la demande du président du conseil général ou de la juridiction, de maintenir le versement des allocations à la famille (article L. 521-2 CSS).
68La contribution demandée aux familles est articulée avec les modalités de versement des allocations familiales : « Lorsque la part des allocations familiales dues à la famille pour l’enfant confié au service de l’aide sociale à l’enfance est versée à ce service, son montant est déduit de la contribution que le service peut demander à la famille » (article 2 D. du 25 novembre 1987).
69Ces dispositions limitent le montant de la contribution susceptible d’être demandée aux parents, calculée indépendamment du montant de la dépense que représente la prise en charge de l’enfant par les services.
70• S’agissant du Revenu minimum d’insertion
71Article L. 262-35 – Le versement de l’allocation […] est subordonné à la condition que l’intéressé fasse valoir ses droits aux créances d’aliments qui lui sont dues au titre des obligations instituées par les articles 203, 212, 214, 255 et 342 du Code civil ainsi qu’à la prestation compensatoire due au titre de l’article 270 dudit code […].
72En principe, le revenu minimum d’insertion (RMI) est donc versé à titre d’avance et l’organisme payeur est subrogé dans les droits du bénéficiaire vis-à-vis de ses débiteurs alimentaires.
73Mais l’intéressé peut demander à être dispensé de cette obligation. C’est le président du conseil général qui statue sur cette demande « compte tenu de la situation du débiteur défaillant et après que l’intéressé, assisté le cas échéant de la personne de son choix, a été en mesure de faire connaître ses observations ». Le président du conseil général peut également « assortir sa décision d’une réduction de l’allocation de revenu minimum d’un montant au plus égal à celui de la créance alimentaire lorsqu’elle est fixée ou à celui de l’allocation de soutien familial » (soit 80,91 euros par mois et par enfant concerné au 1er janvier 2005).
Le texte prévoit que les organismes instructeurs assistent les demandeurs dans les démarches rendues nécessaires pour la réalisation de cette condition et que les organismes payeurs (qui versent à la fois le RMI et l’allocation de soutien familial) veillent à la mise en œuvre de ces obligations et doivent saisir le président du conseil général en cas de difficultés.
Le Code de la santé publique
74Article L. 6145-11 – Les établissements publics de santé peuvent toujours exercer leurs recours, s’il y a lieu, contre les hospitalisés, contre leurs débiteurs et contre les personnes désignées par les articles 205, 206, 207 et 212 du Code civil [2].
75Ces recours relèvent de la compétence du juge aux affaires familiales.
Le Code de la sécurité sociale : les prestations familiales
76Le caractère assuranciel de la sécurité sociale exclut en principe que le versement d’une prestation puisse être lié aux droits alimentaires d’un assuré. Il existe deux exceptions dans le champ des prestations familiales : l’allocation de soutien familial (ASF) dont l’un des objets est le versement d’une avance sur les pensions alimentaires non payées par un parent défaillant, l’allocation aux parents isolés (API) que cette possibilité rapproche encore d’une prestation d’aide sociale.
L’allocation de soutien familial
77• Première hypothèse
78Une pension alimentaire a été préalablement fixée en justice. Le débiteur est défaillant. L’allocation de soutien familial (ASF) est versée comme une avance sur une pension alimentaire fixée par décision de justice et non payée. Son paiement à la caisse d’allocations familiales (CAF) viendra en remboursement de l’ASF versée comme avance.
79Article L. 581-2 – Lorsque l’un au moins des parents se soustrait totalement au versement d’une créance alimentaire pour enfants fixée par décision de justice devenue exécutoire, l’allocation de soutien familial est versée à titre d’avance sur créance alimentaire.
80L’organisme débiteur des prestations familiales est subrogé dans les droits du créancier, dans la limite du montant de l’allocation de soutien familial ou de la créance d’aliments si celle-ci lui est inférieure.
81Lorsque l’un au moins des parents se soustrait partiellement au versement d’une créance alimentaire pour enfants fixée par décision de justice devenue exécutoire, il est versé à titre d’avance une allocation différentielle.
82Cette allocation différentielle complète le versement partiel effectué par le débiteur, à hauteur de la créance alimentaire susvisée, sans toutefois pouvoir excéder le montant de l’allocation de soutien familial.
83L’organisme débiteur de prestations familiales est subrogé dans les droits du créancier.
84• Deuxième hypothèse
85L’obligation alimentaire existe, mais elle n’a pas fait l’objet d’une demande en justice. Il n’existe donc pas de pension alimentaire préalablement fixée en justice qui ne serait pas versée. À défaut pour le demandeur de l’allocation d’agir en justice pour faire fixer une pension et permettre ainsi l’action en paiement de la CAF, l’ASF est refusée.
86Compte tenu de leur situation, les débiteurs peuvent cependant être qualifiés par la CAF de « hors d’état de faire face à leur obligation ». Cette qualification permet alors de verser la prestation. Elle résulte de l’application d’une circulaire qui fournit une liste limitative des situations concernées.
87• Troisième hypothèse
88Une pension alimentaire a été préalablement fixée en justice. Le débiteur est défaillant, mais le demandeur ne remplit pas les (autres) conditions pour bénéficier de l’ASF (condition d’isolement, notamment). Il peut bénéficier d’une aide au recouvrement des pensions alimentaires.
Article L. 581-6 – Le titulaire d’une créance alimentaire fixée par décision de justice devenue exécutoire en faveur de ses enfants mineurs, s’il ne remplit pas les conditions d’attribution de l’allocation de soutien familial et si une voie d’exécution engagée par ses soins n’a pas abouti, bénéficie, à sa demande, de l’aide des organismes débiteurs de prestations familiales pour le recouvrement des termes échus, dans la limite de deux années à compter de la demande de recouvrement, et des termes à échoir […].
L’allocation de parent isolé
89Article L. 524-4 – Les organismes débiteurs de l’allocation de parent isolé sont subrogés de plein droit dans les droits de l’allocataire créancier d’aliments à l’égard du père ou de la mère débiteur d’aliments, à concurrence du montant de l’allocation de parent isolé effectivement versé, lorsque ledit allocataire est séparé ou abandonné.
90Ce texte fonde parfois un refus de versement de l’allocation de parent isolé dans la mesure où le demandeur n’agit pas en fixation judiciaire de la pension alimentaire.
? L’articulation des obligations alimentaires et à caractère alimentaire et des prestations sociales
91Selon les prestations, tout ou partie des obligations alimentaires ou à caractère alimentaire instituées par le Code civil peut être actionné. Le tableau ci-dessous indique les prestations sociales concernées pour chacune des obligations alimentaires ou à caractère alimentaire.

? Quelques précisions sur le régime des obligations à caractère alimentaire
Compétences décisionnelles et articulation des décisions
92Le juge aux affaires familiales (JAF) est seul compétent pour statuer sur les demandes principales concernant le principe et le montant des pensions de nature alimentaire (à l’exception négligeable, ici, des demandes de subsides). Mais ce principe ne suffit pas à résoudre l’ensemble des questions soulevées par la mise en œuvre des obligations alimentaires au titre des prestations sociales, et les solutions retenues sont peu satisfaisantes.
93Qu’il s’agisse des établissements publics de santé ou de l’aide sociale, la dette est constituée à l’égard d’une personne publique qui détient le pouvoir de créer ses propres titres exécutoires et d’en rechercher l’exécution directement contre ses débiteurs, sans passer par le juge (privilège du préalable). Ce pouvoir doit-il être maintenu lorsque le principe et le montant de la dette sont liés non seulement aux sommes dépensées en faveur du bénéficiaire, mais également aux sommes susceptibles d’être affectées aux obligés alimentaires au nom de leur obligation alimentaire ? Cette question a fait l’objet de nombreux arrêts, tant du Conseil d’État que de la Cour de cassation.
94S’agissant de l’action directe des établissements publics de santé, la Cour de cassation rappelle que les recours ainsi exercés « ressortissent, sans distinction, du juge judiciaire » (article L. 6145-11 CSP). Elle en déduit que le JAF est compétent pour fixer le montant de la dette alimentaire de chacun des débiteurs et pour paralyser les effets des titres exécutoires émis par un comptable public en recouvrement des frais exposés dans un tel établissement contre des obligés alimentaires du débiteur principal (Cass. civ. 1, 22 juin 1999, Bull. civ. 1, 1999, no 215 p. 139). Elle considère en outre et depuis peu que le trésorier principal doit, pour exercer son action directe contre un débiteur alimentaire, saisir au préalable la juridiction compétente de l’ordre judiciaire pour fixer la dette d’aliments dans son montant (Cass. civ. 1, 8 juin 2004, Bull. civ. 1, 2004, no 163, p. 137) (Rebourg, 2005).
95La voie du titre exécutoire est également utilisée pour l’aide sociale et elle place la aussi les débiteurs alimentaires dans la situation délicate de contester cette demande en obtenant une décision éventuellement plus favorable au JAF.
96De plus, si le juge de l’exécution saisi par un obligé alimentaire en annulation d’un commandement de payer émis par l’autorité publique à son rencontre est compétent pour apprécier les irrégularités de forme de ce commandement, il est en revanche incompétent pour apprécier d’éventuelles irrégularités de fond et notamment celles tenant au principe ou au montant de la dette alimentaire. Cette compétence relève du juge administratif. Le Conseil d’État considère que le tribunal administratif est compétent pour apprécier la validité d’un titre exécutoire émis par l’autorité publique contre l’obligé alimentaire d’un bénéficiaire de l’aide sociale. Ce tribunal peut constater la validité du titre sans attendre une réponse du juge judiciaire sur le terrain de l’obligation alimentaire dès lors qu’aucune difficulté n’est alléguée par le demandeur sur le principe ou le montant de la dette alimentaire.
La question se complique encore en matière d’aide sociale, où s’ajoutent les décisions des commissions d’admission à l’aide sociale. Cette commission attribue les aides demandées compte tenu des ressources des obligés alimentaires susceptibles d’être actionnés. Elle leur attribue par conséquent une dette « virtuelle » sur laquelle elle se fondera pour fixer le montant de l’aide sociale. Cette décision ne saurait fixer le montant individuel ou la date d’exigibilité de la dette alimentaire (CE, 16 juin 2004, publié au Lebon) ; elle ne s’impose pas au JAF, tandis que la décision du JAF sur ce point s’impose à la commission (CE, 11 avril 2005, no 264262 [3]). Mais cette décision peut cependant faire l’objet d’un recours, notamment sur le montant de l’aide attribuée. Ce recours est ouvert au demandeur comme à ses obligés alimentaires (article L. 134-3 CASF). Il doit être formé devant les commissions départementales et la commission centrale d’aide sociale (juridictions administratives d’exception) (articles L. 134-1 et s. CASF). Cette ligne procédurale double la ligne judiciaire et aboutit à des décisions relativement nombreuses de la Commission centrale ou du Conseil d’État qui constatent simplement leur incompétence pour statuer sur le principe ou sur le montant de la dette et renvoient les parties devant le JAF (par exemple, CE 1er décembre 2004, no 270384 et CE 16 juin 2004, préc.). Ces juridictions sont notamment incompétentes pour supprimer la réciprocité de l’obligation alimentaire et, considérant que le créancier a gravement manqué à ses obligations envers le débiteur, le décharger de tout ou partie de sa dette alimentaire (article 207 C. civ.). C’est d’ailleurs pour éviter la multiplication des demandes formées en ce sens devant le JAF afin de faire échec à une action de l’autorité publique que le CASF prévoit dorénavant que, « sous réserve d’une décision contraire du juge aux affaires familiales, sont de droit dispensés de fournir cette aide les enfants qui, après signalement de l’aide sociale à l’enfance, ont fait l’objet d’un retrait judiciaire de leur milieu familial durant une période de trente-six mois cumulés au cours des douze premières années de leur vie » (article L. 132-6 CASF).
Questions de procédures
97Les règles de saisine du juge en matière alimentaire ont longtemps fait l’objet d’incertitude. Elles ont été harmonisées par le décret du 29 octobre 2004 portant réforme de la procédure en matière familiale. Dorénavant, le juge aux affaires familiales « est saisi dans les formes prévues pour les référés. Il peut également être saisi par requête remise ou adressée au greffe, conjointement ou par une partie seulement […] » (article 1137 NCPC [4]).
98Dans tous les cas, « les parties se défendent elles-mêmes ; elles ont la faculté de se faire assister ou représenter par un avocat » (article 1139 NCPC) et la procédure est orale, ce qui implique la comparution des parties ou de leur représentant à l’audience, même si des conclusions écrites ont été communiquées. Mais le décret limite le caractère possiblement dangereux du caractère oral de la procédure (article 1140 NCPC) : lorsque la demande est formée au titre des articles L. 6145-11 CSP ou L. 132-7 CASF, les parties conservent la faculté d’exposer leurs moyens par écrit tout en obtenant l’autorisation, lorsqu’ils l’ont fait, de ne pas se présenter à l’audience. Dans ce cas de figure, le demandeur mal informé ne pourra donc plus voir son absence à l’audience légalement interprétée comme une absence de demande alors même qu’il aurait fait valoir des demandes et arguments par écrit (article 1141 NCPC).
Le montant de la pension alimentaire
99Les « aliments » recouvrent a minima ce qui est nécessaire pour vivre, le gîte et le couvert. Cette indication ne permet pas de prévoir quel sera le montant de la pension fixé et cela pour plusieurs raisons. Le montant de la dette relève de l’appréciation souveraine du juge, qui doit l’évaluer non seulement en fonction des besoins du créancier mais également en fonction des ressources du débiteur, de sorte que le gîte et le couvert sont appréciés en fonction des niveaux de vie des parties. Certaines obligations à caractère alimentaire, comme l’obligation d’entretien des parents à l’égard de leurs enfants, sont plus exigeantes. Pour cette dernière, il s’agit aussi d’assurer l’éducation de l’enfant, également au regard des niveaux de vie des parties. Les recours des organismes sociaux contre les obligés alimentaires des bénéficiaires de prestations aboutissent au paiement de dépenses supplémentaires liées aux frais d’un hébergement dans une maison de retraite ou un établissement public de santé. Il ne va pas de soi que les frais d’hospitalisation soient de nature alimentaire. Et même si la nature de ces frais d’hébergement peut s’apparenter à une dépense alimentaire, les montants en cause sont sans commune mesure avec ceux en cause dans d’une relation privée. Certains services départementaux ont élaboré des barèmes [5] devant permettre aux commissions d’aide sociale d’uniformiser leur pratique sur un territoire donné, mais ces barèmes sont extrêmement difficiles à obtenir, y compris semble-t-il pour la Commission centrale d’aide sociale, et ils ne disent de toute façon rien des pratiques juridictionnelles. Par ailleurs, on reproche parfois tant aux commissions d’aide sociale qu’aux JAF d’apprécier le montant de la dette alimentaire essentiellement au regard de la dette constituée auprès de l’autorité publique et de chercher à en obtenir le paiement intégral, en perdant de vue les capacités contributives limitées du ou des débiteurs (Belorgey, 2000) [6].
« Aliments ne s’arréragent pas »
100Cet adage, appliqué aux seules obligations alimentaires (articles 205 s. C. civ.), signifie que le demandeur ne peut pas obtenir en justice une condamnation pour des périodes antérieures à la saisine du juge. L’application de cet adage ne soulève pas de difficulté lorsque le litige oppose deux personnes privées. Son application aux demandes formées par l’autorité publique est plus discutée. Elle n’en constitue pas moins pour la Cour de cassation le moyen de limiter le montant des sommes susceptibles d’être demandées aux débiteurs alimentaires lorsque la demande suit le versement d’une prestation en espèces (allocation d’aide sociale) ou en nature (frais hospitaliers).
101En effet, la Cour juge que l’action formée par les établissements publics de santé peut s’exercer seulement dans la limite de l’obligation alimentaire des débiteurs recherchés. Il en résulte que le principe selon lequel les aliments ne s’arréragent pas s’applique. Par conséquent, l’action est irrecevable après le décès du créancier d’aliments (Cass. civ. 1, 20 janvier 2004, Bull. civ. 1 2004, no 19, p. 15), y compris lorsque l’établissement avait au préalable pris soin d’informer les débiteurs recherchés de l’obligation qui leur incombait de contribuer au paiement des frais d’hébergement (Cass. civ. 1, 28 janvier 2003, no 125). De plus, la condamnation prononcée par le juge ne saurait concerner le paiement de sommes correspondantes à des périodes antérieures à la saisine du juge (Cass. civ. 1re, 28 juin 2005, no 1085).
Cette jurisprudence rapproche le régime de l’action directe fondée sur l’article L. 6145-11 CSP du régime de l’action subrogatoire fondée sur l’article 137-2 du CASF. La loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit autorise d’ailleurs le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour « rapprocher les règles relatives à la fixation de l’obligation alimentaire dans les établissements sociaux et médico-sociaux avec celles applicables aux établissements publics de santé » (article 72). Ce projet fait suite aux difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de ces textes. Reprenant un sujet déjà évoqué en 1990, le rapport 1996 de la Cour de cassation notait qu’elle demeurait « confrontée à des difficultés importantes en matière de recours exercés contre les débiteurs d’aliments par les services de l’aide sociale ou les hôpitaux et hospices, le système résultant de la combinaison des textes du Code de la santé publique et du Code de la famille et de l’aide sociale avec les principes du droit civil [étant] trop compliqué et [conduisant] à des résultats qui manquent de cohérence ». Le rapport de 2001 précisait simplement qu’un travail interministériel est mené sur ce sujet, de même que celui de 2002, avant que celui de 2003 note que l’accord des départements ministériels intéressés n’ayant pu être obtenu, aucune évolution n’était envisagée. La Cour maintenait sa suggestion de réforme. En 1999, le Conseil d’État a également produit un rapport proposant de réformer ces textes.
Obligation alimentaire et contribution à l’entretien de l’enfant
102La jurisprudence a fait de l’obligation alimentaire des parents à l’égard de leurs enfants mineurs et éventuellement jeunes majeurs une obligation spécifique, appelée obligation d’entretien, qui suit un régime distinct de celui de l’obligation alimentaire qui lie les enfants devenus adultes et leurs parents. Cette obligation d’entretien peut se prolonger au-delà de la minorité. Les effets d’une condamnation au versement d’une contribution pour un enfant mineur ne cessent donc pas de plein droit à la majorité de l’enfant et ce sera au débiteur de solliciter la suppression de l’obligation. Par ailleurs, le parent qui assume à titre principal la charge d’enfants majeurs peut demander à l’autre de lui verser une contribution, même s’il ne justifie pas vivre avec l’enfant. La contribution pourra être versée au parent comme à l’enfant majeur.
103L’obligation d’entretien continue à la majorité à condition que l’enfant poursuive des études, qu’il soit dans un état de santé déficient, voire qu’il cherche un premier emploi… Les circonstances de nature à justifier la continuation du devoir d’entretien peuvent être entendues plutôt largement par les juridictions, ce qui recule d’autant le passage de l’obligation d’entretien à l’obligation alimentaire pure et simple.
Cette extension du domaine de l’obligation d’entretien emporte plusieurs conséquences. L’obligation d’entretien a pour objectif l’entretien et l’éducation de l’enfant. Elle a donc un objet plus large que la seule réponse aux besoins « alimentaires ». Cette distinction n’emporte cependant pas nécessairement de différence sur le montant de la pension qui sera décidée par le juge, qui doit aussi se fonder sur les ressources du débiteur. D’autres conséquences sont plus remarquables : le juge ne peut pas dispenser de contribution le parent qui aurait proposé d’accueillir l’enfant à son domicile, comme il pourrait le faire pour une simple obligation alimentaire (article 211 C. civ.) ; le parent débiteur ne peut pas être déchargé de sa dette compte tenu de l’attitude de son enfant, comme ce serait possible pour une simple obligation alimentaire (article 207 al. 2 C. civ.) ; la contribution à l’entretien de l’enfant n’est pas soumise à l’adage « aliments ne s’arréragent pas » qui interdit de demander au juge la condamnation du débiteur au versement d’une pension qui correspondrait à une période antérieure à la saisine du juge ; enfin, les organismes sociaux peuvent obtenir une diminution du montant du RMI effectivement versé au parent qui assure la charge des enfants en se fondant sur la dette d’entretien de l’autre parent, alors qu’ils ne peuvent pas en faire autant en se fondant sur une dette simplement alimentaire.
L’ampleur de contentieux
104Bien que succincte, cette présentation serait incomplète sans un aperçu de l’ampleur de contentieux que suscite la mise en œuvre judiciaire de ces textes [7]. En 2002, le nombre total d’affaires nouvelles soumises aux JAF a été de 346 321. Une part très importante de l’activité des JAF consiste à fixer ou à modifier une pension alimentaire ou à caractère alimentaire, que ce soit dans le cadre des procédures de divorce ou d’après divorce, à l’occasion d’une demande relative aux enfants naturels ou d’une demande portant principalement sur l’obligation alimentaire. Parmi ces dernières, les demandes d’entretien des enfants majeurs constituent une faible part (1 509 en 2002), de même que les recours des tiers payeurs contre les débiteurs d’aliments (1 485 en 2004). La faiblesse de ses chiffres ne rend évidemment pas compte des versements opérés indépendamment de tout recours juridictionnel, pas plus que des versements opérés à la suite d’un titre de paiement créé par une autorité publique dans le cadre des articles L. 6145-11 du CSP et 137-2 du CASF. On peut seulement affirmer que les pratiques des services départementaux sont diverses, y compris dans le recours éventuel au juge. Les chiffres disponibles montrent que le nombre de demandes formées sur le fondement de ces deux textes est très variable d’une juridiction à l’autre sans que cette dispersion puisse s’expliquer par le volume général traité par ces juridictions. Par exemple, les tribunaux de grande instance de Marseille et Lyon ont reçu 25 et 39 demandes en 2004, tandis que ceux d’Auxerre et Chartes en recevaient respectivement 152 et 189 [8].
En guise de conclusion, rappelons que les obligations alimentaires telles qu’elles résultent du Code civil sont toujours facultatives pour leurs créanciers. Ils peuvent ne pas mobiliser les règles correspondantes. L’articulation du droit civil et du droit de la protection sociale leur donne un caractère obligatoire à leur égard. Pour ne prendre que ces exemples, le demandeur d’une allocation de soutien familial ou d’une aide sociale aux personnes âgées devra nécessairement agir ou laisser agir contre ses obligés alimentaires s’il veut pouvoir bénéficier de la prestation en cause. Cette transformation modifie la nature même des obligations alimentaires instituées par le Code civil.
Notes
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[*]
Chargée de recherche au CNRS/CERCRID – université Jean Monnet (Saint-Étienne).
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[1]
Pour une présentation d’ensemble des règles civiles relatives à l’obligation alimentaire, voir Gouttenoire (2000).
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[2]
Sur cette question voir également l’article de M. Rebourg dans le présent numéro (N.D.L.R.).
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[3]
Les arrêts cités seulement par leur date et leur numéro sont disponibles dans la base de jurisprudence de Lamyline Reflex (www.LamylineReflex.fr).
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[4]
NCPC : Nouveau Code de procédure civile.
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[5]
Pour l’analyse d’une recherche systématique du recours à la technique des barèmes dans les textes, voir Cadiet (2002).
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[6]
La chancellerie a d’ailleurs demandé l’étude d’un an de décisions rendues par les JAF en application des articles L. 6145-11 CSP et L. 132-7 CASF pour mieux connaître ce contentieux. Recherche en cours, CERCRID.
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[7]
Pour une présentation beaucoup plus complète, voir Ancel, Munoz-Perez (2002).
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[8]
Annuaire statistique de la Justice, 2004 et Répertoire général civil, DACS, cellule Études.