1Contrairement aux juges de la plupart des pays industrialisés, les magistrats français ne disposent pas, officiellement du moins, de barème sur lequel s’appuyer pour calculer le montant de la pension alimentaire des enfants de parents divorcés ou séparés. Pourtant, comme cela a déjà été bien décrit dans la littérature (Sayn, 2002), la mise en œuvre d’un barème pourrait se justifier. Les motifs légitimant l’instauration d’un barème peuvent relever à la fois de l’équité et de l’efficacité (Bourreau-Dubois et alii, 2003). En effet, par construction, un barème assure l’équité entre enfants : à revenu donné et à structure familiale ou autres caractéristiques données, le montant de la pension alimentaire calculé sur barème sera en effet identique pour tous les enfants. Cet objectif d’équité se justifie dans la mesure où il a été montré que, confrontés à des affaires similaires, les magistrats pouvaient prendre des décisions différentes en matière de fixation de pensions alimentaires pour enfants (Bourreau-Dubois et alii, 2003). Par ailleurs, un barème serait source d’efficacité et ce, pour plusieurs raisons. D’une part, en favorisant la coopération entre les parties lors de la procédure de divorce, il devrait contribuer à accroître la probabilité de paiement de la pension. D’autre part, il permettrait d’éviter le gaspillage des ressources de la collectivité, premièrement, en automatisant la fixation et la révision des pensions par les magistrats et deuxièmement, en participant à la réduction des transferts sociaux de substitution – s’il augmentait réellement le taux d’effectivité du paiement des pensions –. Enfin, en bornant les décisions des juges, le barème éviterait la fixation de pensions dérisoires ne couvrant pas les besoins essentiels de l’enfant.
2Cependant, si l’on convient qu’un barème doit permettre de calculer un montant donné de pension alimentaire dans une situation donnée, la règle de calcul reste à poser. L’objectif de cet article est donc de proposer un barème raisonné, reposant sur le respect d’un certain nombre de critères simples relevant des principes d’efficacité et d’équité, puis de comparer les montants de pension alimentaire calculés grâce à ce barème et à partir d’une base de données réelles, avec les montants effectivement décidés par des magistrats. Ce faisant, il s’agira alors d’identifier et d’analyser dans quel cas les décisions des magistrats sont relativement convergentes avec celles qu’aurait données l’application du barème, ainsi que, dans quel cas au contraire, on observe un écart conséquent entre la décision réelle et le montant simulé sur barème. À la suite de cette analyse, des pistes de réflexions pour des recherches futures seront présentées en conclusion.
? Quels critères retenir pour construire un barème raisonné de pension alimentaire ?
3Notre propos est de mettre en évidence les principales dimensions qui sont à prendre en considération lorsque l’on conçoit un barème pour calculer des pensions alimentaires et ce, afin de dégager les règles générales de calcul d’un barème qui pourrait servir de référent pour les magistrats. Dans ce cadre, nous commencerons par présenter les paramètres qui doivent, selon nous, être posés pour construire un barème « de base » et, ensuite, nous envisagerons des modulations possibles de ces paramètres. Enfin, nous terminerons par une présentation synthétique des règles que nous avons retenues pour construire le barème qui est ensuite utilisé dans l’exercice de simulation.
Les paramètres constitutifs d’un barème de base
4Les règles de calcul constituant un barème de base doivent, tout d’abord, être en conformité avec le fondement juridique de la pension alimentaire [1]. Celui-ci réside dans l’obligation alimentaire des parents envers leurs enfants. Être parent implique de contribuer aux frais d’entretien et d’éducation de l’enfant, que le couple parental soit uni ou séparé. En cas de séparation, la pension alimentaire correspond à la part de ces frais prise en charge par le parent chez qui l’enfant ne réside pas à titre principal (parent non gardien).
5On pourrait cependant envisager des barèmes reposant sur d’autres fondements. Ainsi, pourrait-on considérer que l’enfant n’a pas à subir de perte de bien-être, entendu au sens de niveau de vie monétaire, du fait du divorce de ses parents ; dans ce cas, si le niveau de vie de l’enfant diminuait à la suite du divorce, le montant de la pension serait fixé de façon à maintenir le niveau de vie de l’enfant. Ou bien, on pourrait penser à un barème qui serait tel qu’il permettrait d’égaliser les pertes de niveau de vie consécutives au divorce entre leménage du parent gardien et celui du parent non gardien [2].
Établir une règle de calcul pour la fixation de la pension alimentaire conforme à son fondement juridique suppose au préalable de répondre à deux questions : quel est le coût d’entretien et d’éducation de l’enfant ? comment ce coût doit-il être réparti entre les parents ?
Évaluation du coût d’entretien et d’éducation de l’enfant
6L’évaluation du coût d’entretien et d’éducation de l’enfant pour lequel le montant de la pension doit être fixé conduit à poser deux questions principales : la première concerne l’évaluation du coût de l’enfant proprement dite et la seconde concerne la période de référence (avant ou après le divorce) qui doit être retenue pour calculer ce coût.
Quelle méthode retenir pour évaluer les coûts d’entretien et d’éducation de l’enfant ?
7Dans la littérature, deux types de méthodes sont évoqués : celles qui relèvent d’une logique de budget de l’enfant et celles qui reposent sur le concept de coût de l’enfant.
8Les frais d’entretien et d’éducation selon une approche en termes de budget peuvent être estimés à partir de l’évaluation du budget consacré à l’enfant, le budget étant entendu soit au sens de la somme des dépenses consacrées à l’entretien de l’enfant, soit au sens d’un bilan des recettes et des dépenses liées à l’enfant. Différentes méthodes de calcul peuvent être utilisées pour estimer ce budget : certaines s’appuient sur des évaluations budgétaires à partir d’enquêtes de consommation (méthode utilisée par les tribunaux suisses), d’autres sont basées sur la détermination d’un panier type de consommations (méthode Unaf) et d’autres encore sont fondées sur le calcul d’un budget au cas par cas (méthode préconisée, en France, par l’association Condition paternelle).
9Ce type d’évaluation basée sur le budget consacré à l’enfant peut conduire à des risques de sous-évaluation des frais d’entretien et d’éducation de l’enfant. Le premier risque est de ne pas prendre en compte l’existence, au sein du ménage, de biens collectifs ou semi-collectifs qui bénéficient à l’enfant comme au reste des membres du ménage. Le second risque est de ne pas prendre en compte des modifications que la présence d’un enfant fait subir à l’ensemble des dépenses, y compris celles des parents. En effet, ce que coûte un enfant ne recouvre pas seulement les dépenses qui lui sont directement consacrées. Cela inclut également les compressions de dépenses que sa présence induit, à revenu donné, sur certains postes du budget de la famille, comme l’équipement du logement, les vacances, etc.
10Pour pouvoir correctement intégrer l’existence de biens collectifs et demodifications de la structure de consommation liées à la présence de l’enfant, les économistes recourent au concept de coût de l’enfant que l’on peut définir de la façon suivante : il s’agit du revenu supplémentaire dont doit disposer une famille avec enfants pour avoir le même niveau de bien-être qu’une famille sans enfant. Cette définition fait l’objet d’un large consensus, mais la mesure du bien-être pose des problèmes tant théoriques que pratiques. Deux grands types de méthodes de mesure du bien-être et, conséquemment, du coût de l’enfant coexistent. Les premières, fondées sur l’utilisation de données d’enquêtes de consommation, reposent sur des modèles de consommation de type Prais-Houthakker ou Barten [3] et utilisent des indicateurs partiels de niveau de vie, comme la part du budget consacrée par le ménage à son alimentation ou le montant de ses dépenses en vêtements pour adultes. Ces méthodes sont qualifiées d’objectives en référence à la nature de l’information mobilisée pour les indicateurs partiels. Les secondes, qui ont été développées plus tardivement à partir du début des années soixante-dix, utilisent comme indicateur du bien-être d’un ménage sa réponse à une question d’appréciation (subjective) quant à son niveau de vie ; elles sont donc qualifiées de subjectives par opposition aux premières. Si l’on prend en compte les différents types de mesure, le coût moyen de l’enfant serait, en France, compris dans une fourchette allant de 20 % (estimations fournies par les méthodes subjectives) à 30 % (estimations fournies par les méthodes objectives) du revenu d’un couple sans enfant (Hourriez et Olier, 1997). Ces estimations correspondent à une valeur moyenne du coût relatif de l’enfant, moyenne très générale qui ne permet de tenir compte finement ni de l’âge de l’enfant, ni de son rang dans la fratrie, ni du niveau de revenu de ses parents. Or, des estimations plus fines montrent que le coût relatif de l’enfant peut varier selon ces paramètres.
Un enfant coûte d’autant plus cher qu’il est âgé. Cependant, on peut penser que la variation du coût de l’enfant en fonction de son âge n’est pas linéaire. En effet, si certaines dépenses s’accroissent avec l’âge, d’autres sont au contraire spécifiques aux enfants en bas âge (par exemple, les frais de garde des enfants, même s’il est vrai que ces dépenses ne concernent pas la majorité des familles ayant des enfants en bas âge). La relation entre l’âge et le coût de l’enfant pourrait donc être en forme de U. Cela étant, si cette relation en U semblait être vérifiée en France à la fin des années quatre-vingt, les estimations récentes menées par l’Insee semblent montrer que, aujourd’hui, le coût de l’enfant est relativement uniforme jusqu’au début de l’adolescence, mais qu’il augmente fortement à partir de 14 ans. Au total, selon les dernières estimations de l’Insee, le coût d’un enfant de moins de 14 ans représenterait 20 % du revenu d’un couple sans enfant et le coût d’un enfant de plus de 14 ans représenterait 33 % de ce même revenu (Hourriez et Olier, 1997). L’intuition commune suggère également que le deuxième enfant devrait coûter moins cher, en termes relatifs, que le premier et ce, parce qu’il peut par exemple partager la même chambre ou « hériter » d’un certain nombre de biens achetés pour le premier. En revanche, le troisième enfant coûterait plus cher que le second parce que son arrivée impliquerait, par exemple, l’acquisition d’une voiture plus grande ou d’un logement plus spacieux. Les estimations économétriques récentes confirment que le premier enfant coûte plus cher que les suivants (Olier, 1999). Cependant, si les travaux permettent de montrer que le coût relatif du premier né est légèrement plus élevé que le coût marginal des enfants de rang supérieur, ils ne fournissent pas d’estimation robuste du coût du deuxième et du troisième enfant. Enfin, en ce qui concerne le lien entre coût de l’enfant et revenu des parents, on pourrait penser que le coût relatif des enfants vivant dans des ménages à bas revenus est plus élevé que le coût relatif des enfants vivant dans des ménages situés en haut de la hiérarchie des revenus et ce, en raison notamment de la présence de coûts fixes. Cependant, d’après la littérature, il semble difficile de conclure franchement si, en France, le coût croît ou décroît avec le revenu (Hourriez et Olier, 1997) [4].
Quelle période de référence retenir ?
11Une fois que l’on a décidé de la méthode à retenir pour évaluer le coût d’entretien et d’éducation de l’enfant, il faut s’interroger sur la période de référence qui va servir à cette évaluation : faut-il retenir le coût de l’enfant avant le divorce ou celui de l’enfant après le divorce ? Cette question mérite d’être posée dans la mesure où, selon la période de référence retenue, le coût de l’enfant ne sera généralement pas le même.
12• La situation avant divorce
13Si l’on considère que c’est la situation avant divorce qui doit être retenue pour élaborer le barème, deux options peuvent alors être envisagées.
14– Premièrement, on peut vouloir maintenir le niveau des dépenses que les parents faisaient, avant de se séparer, pour l’enfant (première option). C’est ce type de logique qui gouverne les barèmes américains [5] ou le barème belge dit « méthode Renard ». Dans ce cas, le coût de l’enfant est calculé comme si l’enfant vivait encore avec ses deux parents. Techniquement, cela revient à calculer le coût de l’enfant en appliquant le coût relatif d’un enfant vivant avec deux parents aux ressources globales des deux ex-conjoints.
15Cependant, on peut faire observer que, en réalité, l’enfant vit, après la séparation, dans un ménage monoparental (en supposant que le parent gardien ne vive pas avec un nouveau conjoint). Or, certains travaux statistiques montrent que le coût relatif de l’enfant élevé dans une famille monoparentale est plus élevé que celui de l’enfant élevé dans une famille biparentale.
16Autrement dit, à revenu identique, une famille monoparentale doit engager des dépenses supplémentaires par rapport à une famille biparentale pour pouvoir assurer à l’enfant un niveau de consommation identique à celui que l’enfant aurait s’il vivait dans une famille biparentale, notamment en matière de logement qui est aujourd’hui le premier poste de dépense des ménages et qui pèse particulièrement lourd dans le budget des familles monoparentales (Olier, 1999) [6].
17– Fort de ce constat, on pourrait alors considérer, deuxièmement, que l’objectif visé n’est pas de maintenir le niveau de la contribution relative des parents, mais de chercher à maintenir le niveau de consommation de l’enfant (deuxième option). Si tel est l’objectif, le coût de l’enfant devrait alors être calculé en appliquant le coût relatif d’un enfant d’une famille monoparentale aux ressources globales des deux ex-conjoints.
18• La situation après divorce
19En revanche, si l’on estime que c’est la situation après divorce qui doit être retenue pour construire le barème, alors il s’agit du coût de l’enfant tel qu’il est effectivement supporté par le ménage monoparental dans lequel l’enfant réside [7]. En l’occurrence, le coût de l’enfant est alors obtenu en appliquant le coût relatif d’un enfant d’une famille monoparentale aux ressources du seul parent gardien (pension alimentaire comprise) si l’enfant vit uniquement chez le parent gardien, ou aux ressources respectives du parent gardien et du parent non gardien si l’hébergement est partagé entre les deux parents et ce, à proportion des temps respectifs d’hébergement.
Si l’on se reporte à la législation française en matière de pension alimentaire, on constate que le texte ne fait pas référence explicitement à une période de référence pour calculer les frais d’entretien et d’éducation de l’enfant. Cela étant, sa formulation laisse plutôt penser qu’il s’agit pour les parents de contribuer aux frais d’entretien et d’éducation actuels de l’enfant. Il pourrait alors sembler légitime de se référer au coût de l’enfant après divorce. Mais comme le texte reste très général, on pourrait également considérer qu’il fait référence à la deuxième option, option qui prend en compte la structure familiale actuelle de l’enfant mais qui tient compte de l’ensemble des ressources des deux parents.
La règle de partage du coût de l’enfant entre les parents
20La règle de partage devrait respecter un principe d’équité entre les parents. Ce principe d’équité peut être défini par référence à la notion de taux de contribution, chacun des parents contribuant au coût de l’enfant à proportion de la part que représentent ses ressources dans l’ensemble des ressources du couple parental. Cette règle est conforme au principe posé par la législation française, d’après lequel les parents contribuent à l’entretien de l’enfant selon leurs ressources respectives [8]. Une fois estimé le coût de l’enfant, le montant de la pension alimentaire est alors obtenu en multipliant ce coût par la part des ressources du parent non gardien. La contribution implicite du parent gardien s’en déduit par différence entre le coût de l’enfant et le montant de la pension alimentaire. Cette règle de partage conduit à ce que la contribution au coût de l’enfant représente pour chacun des parents une même proportion de ses ressources (avant pension alimentaire). Enfin, cette règle de partage peut être pondérée par un facteur prenant en compte le temps d’hébergement de l’enfant par chacun des deux parents. Autrement dit, le montant de la pension alimentaire payée par le parent non gardien correspond à la part du coût à sa charge de laquelle on déduit ce qu’il dépense déjà de fait lorsqu’il héberge l’enfant.
Les modulations possibles du barème de base
21Dans le paragraphe précédent, nous avons isolé les principaux critères devant être pris en considération dans l’élaboration d’un barème de base, à savoir les paramètres de calcul du coût de l’enfant et la règle de partage de ce coût entre les parents. Cela étant, d’autres paramètres peuvent être également intégrés dans l’élaboration des règles de calcul et de ce fait conduire à une modification du montant de la pension tel qu’il résulte du barème de base. Des modulations à la baisse comme à la hausse peuvent en effet être envisagées.
Des modulations à la baisse du montant de la pension alimentaire
22Il nous semble que le montant de la pension alimentaire, tel qu’il est calculé en appliquant les règles de calcul du barème de base, devrait, dans certains cas, être modulé à la baisse et ce, pour des motifs d’efficacité. Peut être, en effet, considéré comme efficace, un barème qui favorise, entre autre, le paiement des pensions par les parents non gardiens. Or, on peut avancer l’hypothèse selon laquelle des montants de pension alimentaire moins élevés devraient inciter les parents non gardiens à honorer leurs obligations alimentaires.
23Dans cette perspective, on pourrait envisager d’ajuster à la baisse la pension dès lors que le paiement de celle-ci conduit à une diminution sensible du niveau de vie du parent non gardien par rapport à celui dont il bénéficiait avant de divorcer [9]. La pension révisée à la baisse ne contribuant plus à dégrader fortement la situation financière du parent débiteur, on peut alors s’attendre à ce que le parent débiteur verse sans difficulté cette pension. Les justifications d’une telle modulation à la baisse peuvent cependant sembler contestables. En effet, elle conduit logiquement à une moins bonne couverture du coût de l’enfant et, surtout, elle conduit à considérer que l’intérêt du parent non gardien (limitation de sa perte de niveau de vie) est, en quelque sorte, prioritaire sur l’obligation alimentaire qui est la sienne vis-à-vis de son enfant.
24Compte tenu de cette critique, le barème pourrait alors surtout veiller à ce que le montant de la pension ne fasse pas tomber le parent non gardien dans une situation de pauvreté. En effet, si le montant de la pension, calculé par le barème de base, est tel que le « restant à vivre » du parent non gardien ne lui permette pas de subvenir à ses propres besoins, cela hypothèque fortement les chances que la pension soit payée [10]. Pour répondre à cet objectif de non-appauvrissement, on peut donc envisager que la pension alimentaire soit calculée après avoir pris soin de laisser un revenu minimum au parent non gardien. Cette logique est celle qui gouverne le barème américain dit « Melson Formula ». Dans ce barème, la pension alimentaire est calculée à partir du « reste à vivre » pour les parents, c’est-à-dire du revenu restant une fois défalqué le revenu minimum nécessaire pour assurer leur subsistance. D’autres formules peuvent être imaginées. On peut envisager un barème dans lequel, en deçà d’un certain niveau de revenu, le montant de la pension est laissé à la discrétion du magistrat. On peut également penser à un barème qui, en deçà d’un certain seuil de revenu, fixe un niveau de pension minimal, correspondant à une contribution symbolique du parent non gardien à l’entretien et à l’éducation de son enfant [11].
Pour les revenus du haut de la distribution, on peut également veiller à ce que les pensions alimentaires calculées par le barème ne soient pas trop élevées afin de ne pas désinciter, par un taux de contribution prohibitif, les parents non gardiens à verser ces pensions. Pour améliorer l’effectivité du paiement des pensions alimentaires par les débiteurs à hauts revenus, on peut envisager un barème dans lequel le coût relatif de l’enfant est décroissant avec le niveau de revenu des parents, comme c’est le cas dans un certain nombre d’États américains [12]. De plus, pour les très hauts revenus, qui n’apparaîtraient pas dans les grilles du barème, on peut imaginer que le barème fixe un montant de pension alimentaire plafond correspondant au montant de pension maximal proposé par le barème ; le juge aurait alors ensuite la liberté de dépasser ou non ce plafond.
Des modulations à la hausse du montant de la pension alimentaire
25La pension alimentaire peut être fixée à un niveau supérieur au montant indiqué par le barème de base en raison de frais exceptionnels. On trouve de telles dispositions dans différents barèmes étrangers, notamment aux États-Unis et au Canada [13]. Leur caractère exceptionnel fait que ces frais ne sont pas implicitement pris en compte dans l’évaluation du coût de l’enfant servant de base au barème. On songe ici, par exemple, à des frais très spécifiques résultant d’un handicap de l’enfant. En revanche, des frais tels que des dépenses de garde pour un jeune enfant sont implicitement pris en compte dans l’évaluation du coût d’un jeune enfant et ne devraient donc pas systématiquement justifier un accroissement de la pension. Si l’on introduit ce type de modulations à la hausse, il convient cependant de ne pas imposer au parent non gardien les conséquences de choix dispendieux faits par le seul parent gardien, c’est pour cela que ces types de modulations ne constituent généralement pas des paramètres du barème, mais sont laissés à l’appréciation des juges.
26La pension peut également être modulée à la hausse pour des raisons d’efficacité. Ainsi, symétriquement à la modulation à la baisse en vue d’éviter un appauvrissement du parent non gardien, on peut aussi envisager que la pension soit majorée afin d’être suffisamment élevée pour assurer un revenu minimum au ménage dans lequel vit l’enfant (si les ressources du parent non gardien le permettent, ce qui peut alors constituer une source de conflit d’objectif). Une telle solution peut être justifiée tant dans la perspective du bien-être de l’enfant que de la limitation des dépenses publiques (transferts sociaux couvrant le risque pauvreté).
À l’issue de cette discussion des différents critères devant être examinés pour construire un barème raisonné de pension alimentaire, nous résumons et formalisons les caractéristiques principales que devrait remplir, à notre sens, un barème.
Proposition d’un barème
27En prenant appui sur les éléments présentés dans les paragraphes précédents, il nous semble qu’un barème pourrait reposer sur les six propositions suivantes.
281) Un barème est un outil simple de manière à être lisible par les parties [14], il permet de calculer un montant de pension alimentaire « de base » applicable au plus grand nombre des situations courantes et il exclut donc les informations relevant du cas particulier, la prise en compte des particularités étant laissée à la négociation et/ou à l’appréciation du juge (par exemple, la prise en compte de dépenses très spécifiques d’éducation, de santé, de transport pour rendre visite à l’autre parent…).
292) Un barème s’appuie sur quelques informations objectives, réelles et vérifiables tenant à la situation économique de l’enfant, et non sur des informations hypothétiques (ce qui exclut a priori par exemple des calculs reposant sur « ce que serait le niveau de vie de l’enfant si les parents n’avaient pas divorcé »).
303) La situation économique de l’enfant est appréhendée par deux informations propres à l’enfant et une norme portant sur les enfants en général :
- les deux informations sont, d’une part, les revenus du ou des deux ménages dans le(s) quel(s) l’enfant vit et, d’autre part, le temps de résidence passée dans chacun des deux ménages ;
- la norme est le coût relatif d’un enfant tel que le stipule l’échelle d’équivalence retenue ; appliquée aux revenus des ménages, cette norme permet de calculer le coût qui doit ensuite être partagé entre les deux ex-conjoints [15] ; du point de vue du choix de l’échelle d’équivalence, nous proposons de tester trois variantes (cf. encadré).
Encadré méthodologique : Trois variantes de coût relatif de l’enfant
• La seconde variante, que nous dénommons « avec UC variant selon l’âge », a pour objectif de tenir compte de manière plus fine de l’âge des enfants (bien que les travaux de Hourriez et Olier montrent que seule la rupture à 14 ans est justifiée statistiquement). Faute d’une échelle d’équivalence de ce type pour la France, nous nous sommes inspiré des travaux de Renard (1985) qui sont à l’origine de la « méthode Renard » utilisée pour la fixation des pensions alimentaires en Belgique. Nous avons repris la progressivité des indices de coût relatif de l’enfant selon l’âge préconisée par Renard, mais nous avons calibré le jeu de coefficients de manière à ce que le coefficient moyen soit égal à 0,416 comme dans la première variante.
• La troisième variante, que nous dénommons « avec UC variant selon le revenu », a pour objectif de faire varier le coût relatif de l’enfant selon le revenu du ménage. À nouveau faute d’une telle échelle d’équivalence dans le cas de la France, nous nous sommes inspiré des travaux étrangers, américains en l’occurrence (cf. notamment Espenshade (1984) et Betson (1990)). Sur la base de plusieurs barèmes de pension alimentaire d’États américains ayant opté pour une dégressivité du coût relatif de l’enfant selon le revenu, nous avons calculé une moyenne de l’écart relatif entre le coût relatif de l’enfant appliqué aux plus bas revenus et celui appliqué aux plus hauts revenus, moyenne que nous avons ensuite appliquée à une distribution de revenus de familles avec enfant(s) françaises. Concrètement, nous avons tiré cette distribution de l’enquête Insee 2001 « Panel des ménages » pour en retenir les valeurs des limites de déciles (plus exactement les percentiles 5 %, 15 %, 25 %, etc.), nous avons ensuite attribué le coefficient de 0,416 à la classe médiane de revenus (45 % -55 %), puis nous avons modulé – à la hausse ou à la baisse – ce coefficient de part et d’autre de la classe médiane, décile par décile, de manière à reproduire in fine l’étendue relative moyenne observée dans les barèmes américains.
31Ainsi, la base de calcul de la pension alimentaire assure une équité entre les enfants : premièrement, à revenu donné et à structure familiale donnée, le coût pris en compte est le même pour tout enfant, et, deuxièmement, à un niveau de vie monétaire supérieur correspond un coût plus élevé ; on peut rétorquer que ce coût est théorique en l’absence d’information quant à la nature réelle des dépenses faites dans le ménage en faveur de l’enfant, mais cela relève de la sphère privée et ce n’est pas à la Justice de prendre en compte les goûts des parents, certains choisissant de dépenser beaucoup et d’autres moins pour leurs enfants (la norme permet donc de déterminer une sorte de coût moyen identique à tout enfant placé dans la même situation et ce, indépendamment des préférences individuelles [16]).
324) De ce coût, il convient de déduire la prise en charge par la collectivité (seul le coût privé devant être partagé entre les parents) : il s’agit ici de déduire essentiellement les allocations familiales parce qu’elles sont universelles ; il ne serait en revanche pas logique de déduire les prestations familiales sous condition de ressources ni même les suppléments « enfants » des minima sociaux, puisque, au contraire, c’est la pension alimentaire qui entre en ligne de compte dans le calcul de ces transferts et non l’inverse.
33Cependant, une fois pris en compte le montant de la pension alimentaire, si des transferts sociaux sous condition de ressources sont versés, ces derniers modifient les revenus de la famille et donc le calcul du coût de l’enfant. Comme la pension alimentaire est calculée à partir de ce coût, il conviendrait alors de la calculer compte tenu des transferts sociaux potentiels. Mais cela complexifie énormément le barème et assurément cela déroge au principe de simplicité avancé supra. Ne pas tenir compte ex ante de ces transferts sous conditions de ressources amène simplement à asseoir le calcul de la pension sur un coût réel avant intervention de l’aide sociale. Mais, comme nous introduisons une clause de revenu minimum (cf. infra), il nous semble que le principe de subsidiarité entre revenus privés et transferts publics sous condition de ressources est, au moins partiellement, respecté ; la seule critique qui demeure, selon nous, est que cette clause déroge, pour les enfants les plus défavorisés, au principe d’équité entre les parents (contribution proportionnelle aux ressources). Dans le même ordre d’idée, une autre question peut être posée : faut-il tenir compte de l’avantage fiscal attaché à l’enfant ? Pour notre part, nous pensons qu’il n’est pas cohérent de demander au barème de pension alimentaire de corriger l’iniquité fiscale due au mode de calcul du quotient familial, c’est-à-dire le fait que le parent non gardien ne profite pas du quotient familial, alors qu’il contribue « en nature » à l’entretien de l’enfant lorsque ce dernier vit chez lui. Seule la contribution « en espèces », c’est-à-dire la pension alimentaire, est prise en compte par le système fiscal, au titre des charges déductibles pour le débiteur et au titre des ressources imposables pour le créancier [17].
5) Le partage du coût entre les parents s’appuie sur un principe d’équité entre les parents, c’est-à-dire d’une proportionnalité par rapport aux revenus personnels [18] des deux parents compte tenu du partage du temps de garde de l’enfant par chacun des deux parents ; dans la plupart des cas, ce calcul de partage amène à ce que le parent non gardien verse une pension alimentaire en espèces, la participation de l’autre parent étant de fait (« en nature ») puisque l’enfant réside avec ce dernier à titre principal [19].
346) Enfin, selon un principe d’efficacité et d’incitation, il convient d’ajouter une clause complémentaire en deux parties :
- pour assurer le bien-être de l’enfant et pour limiter le recours à d’éventuelles aides de la collectivité (principe de subsidiarité selon lequel c’est d’abord aux parents d’assurer l’entretien de l’enfant), il convient de majorer la pension alimentaire (ou la somme des pensions alimentaires s’il y a plusieurs enfants) de manière à ce que le niveau de vie monétaire de(s) l’enfant(s) soit au moins égal à un minimum (par exemple le montant du RMI) [20] ;
- sous réserve que cette majoration n’ampute pas le niveau de vie monétaire du parent débiteur au point que lui-même se trouve dans une situation de pauvreté (revenu inférieur au RMI par exemple).
- soit en fixant arbitrairement un temps d’hébergement identique pour les deux parents dans le calcul du coût « fictif » privé de l’enfant, c’est-à-dire faire « comme si l’enfant vivait à mi-temps chez chacun de ses deux parents » et donc bénéficiait autant des revenus de l’un que de l’autre, tout en gardant la vraie valeur de la quotité de temps d’hébergement de l’enfant dans la règle de partage entre les deux parents (le débiteur n’ayant pas à payer la part qu’il finance déjà « en nature » en hébergeant l’enfant à temps partiel) ;
- soit en calculant le coût « fictif » privé de l’enfant « comme s’il vivait avec ses deux parents » (donc sur la base de la somme des revenus des deux parents, et en retenant la structure familiale initiale avant le divorce) ; l’idée sous-jacente étant alors que le débiteur doive maintenir son taux d’effort (financer le même coût d’entretien de l’enfant qu’auparavant), ce qui ne garantit pas pour autant que l’enfant bénéficie réellement du même niveau de dépenses d’entretien, car son coût réel dépend de la structure familiale dans laquelle il vit désormais, c’est-à-dire en famille monoparentale et non pas en famille biparentale comme avant le divorce.
Le lecteur trouvera, en annexe 1, une présentation formalisée de ces trois types de barèmes et, en annexe 2, une application numérique de ces barèmes qui illustre, pour un type de famille donné, les différences de montant de pension alimentaire selon le barème et selon les niveaux de revenu des deux parents.
? Quelle proximité entre les pensions alimentaires calculées sur barème et les pensions effectivement fixées par les juges ?
35Sur la base d’un ensemble de propositions relevant des principes économiques d’efficacité et d’équité, nous venons de formaliser trois barèmes « de base » permettant de calculer des pensions alimentaires pour enfant lors du divorce. Nous avons par ailleurs indiqué qu’en fondant ces barèmes sur la notion de coût de l’enfant, il était souhaitable de tester des variantes selon différentes échelles d’équivalence. Trois variantes seront testées ; ce sont donc au total neuf modes de calcul que nous simulons ci-dessous à partir de données réelles. Les montants de pensions alimentaires issus de ces barèmes seront alors comparés aux montants réels tels qu’ils ont été décidés par les juges lors de la procédure. Cette comparaison a pour objectif de départager les différents barèmes en particulier selon un critère de proximité. Lequel de ces neuf barèmes est le plus proche de la pratique des juges et en quoi demeure-t-il toutefois différent de cette dernière ? Si l’on cherche ainsi à discuter la pertinence d’un barème, construit ex nihilo sur la base d’un raisonnement uniquement économique, au regard de sa proximité avec la pratique, c’est parce que l’on peut penser – ce n’est qu’une hypothèse – qu’un barème économiquement justifié pourrait être d’autant mieux accepté par la profession s’il ne diverge pas trop de la pratique de cette dernière.
Source et méthodologie
36La source de données sur laquelle repose l’analyse a été constituée dans le cadre d’une recherche contractuelle pour le compte de la MiRe et de la Mission recherche « Droit et Justice » (Bourreau-Dubois et alii, 2003). Avec la collaboration du tribunal de grande instance de Mulhouse, nous avons eu accès à l’ensemble des dossiers de divorce de ce tribunal pour l’année 2000 (seuls ont été retenus ceux où il y avait des enfants pouvant donner lieu au versement d’une pension, et ont été exclus les affaires en révision). Au total, cette source administrative contient 399 affaires et 715 enfants. Tout un ensemble d’informations a été saisi systématiquement pour chacune des affaires. Pour les analyses ci-dessous, nous avons mobilisé les informations suivantes : le nombre et l’âge des enfants, les revenus personnels des deux parents (revenus du travail et revenus de remplacement pour chômage et retraite), l’identification du parent créditeur et du parent débiteur, les montants de la pension alimentaire pour enfant et de l’éventuelle prestation compensatoire décidés par le juge et, enfin, la décision du juge en matière d’hébergement des enfants. Compte tenu de l’existence de données manquantes sur ces variables et de quelques situations particulières que nous avons exclues (cf. infra), l’analyse porte finalement sur 321 affaires, soit 580 enfants ; il s’agit donc d’un échantillon de taille modeste.
37Plusieurs limites méthodologiques doivent être soulignées. Concernant les revenus personnels, il s’agit de revenus déclarés au juge ; la source n’est donc pas à l’abri d’éventuelles sous-déclarations, mais la procédure étant contradictoire, on peut penser que les sous-déclarations les plus flagrantes ont été corrigées suite à la contestation de la partie adverse. Il convient cependant de noter que les transferts sociaux, hors chômage et retraite, sont exclus de l’analyse car cette information est très lacunaire dans les dossiers ; nous avons cependant tenu compte des allocations familiales en les recalculant sur barème. Dans de très rares cas, le parent déclare vivre avec un nouveau conjoint ou avec ses parents ; nous n’avons cependant pas tenu compte de ces recompositions familiales car l’intérêt principal aurait été de prendre en ligne de compte les revenus de ces tiers, or les dossiers ne mentionnent pas ces revenus. Enfin, concernant les modalités d’hébergement, comme dans la quasi-totalité des cas c’est la situation « standard » qui a été retenue par le juge (enfant confié à la garde du parent non gardien un weekend sur deux et la moitié des vacances scolaires), nous avons exclu les rares autres situations (un cas d’hébergement chez un tiers et quelques cas où l’hébergement de la fratrie est partagé entre les deux parents) car elles ne pouvaient pas donner lieu à une exploitation statistique robuste du fait de la faiblesse des effectifs concernés.
Le calcul des pensions alimentaires sur barème s’effectue simplement par simulation en suivant à la lettre les formules présentées à l’annexe 1, auxquelles est ajoutée la clause de garantie de revenu minimum pour la famille du parent créditeur sous réserve d’un « reste à vivre » minimum pour le parent débiteur [23]. Il convient de préciser que c’est la somme des pensions alimentaires de la fratrie (lorsqu’il y a plusieurs enfants dans la famille) qui est calculée sur barème, puis divisée par le nombre d’enfants pour obtenir un montant de pension per capita, et non les montants individuels de chacun des enfants. Ce choix est motivé par le fait que, pour comparer les montants individuels simulés aux montants individuels décidés par les juges, il aurait fallu connaître systématiquement ces derniers montants, or dans nombre de dossiers seule la somme totale à payer par le débiteur est mentionnée et non les montants relatifs à chacun des enfants de la fratrie. Enfin, les choix méthodologiques quant aux trois variantes de coût relatif de l’enfant sont brièvement exposés dans l’encadré ci-dessous.
Commentaire
38Avant d’en venir à l’analyse des écarts entre les montants de pension calculés sur barème et les montants réels décidés par les juges, nous pouvons déduire du tableau 1 quelques commentaires généraux qui permettent, d’une part, d’illustrer les différents principes économiques que nous avons avancés et, d’autre part, de circonscrire le cœur de l’analyse comparative. Ce tableau ne rassemble que six des neuf simulations effectuées car plusieurs d’entre elles aboutissent à des résultats très proches. En particulier, quel que soit le barème, les variantes recourant soit à l’échelle d’équivalence de type Insee, soit à l’échelle d’équivalence variant avec l’âge de l’enfant, produisent grosso modo les mêmes montants de pension alimentaire, la deuxième variante étant seulement, en moyenne, très légèrement plus généreuse (l’écart est un peu plus net avec le barème « au coût fictif avant divorce ») et un peu défavorable aux fratries les plus jeunes. Devant cette faible incidence attribuable à la prise en compte détaillée de l’âge de l’enfant pour calculer le coût de l’enfant, il n’est donc pas utile de conserver cette variante pour mener l’analyse.
Montants moyens de pension alimentaire réels et simulés selon différents barèmes et selon différentes caractéristiques familiales (en euros par mois et par enfant)

Montants moyens de pension alimentaire réels et simulés selon différents barèmes et selon différentes caractéristiques familiales (en euros par mois et par enfant)
Analyse des distributions de montants de pension calculés sur barème
39Quel que soit le barème simulé, on observe tout d’abord que le montant de la pension alimentaire prend la forme d’une courbe en U selon le revenu du parent créditeur et ce, à la différence de la distribution des montants réels qui, elle, montre une quasi-indépendance à partir du deuxième quartile de revenu du parent gardien (la moyenne des pensions attribuées aux enfants de familles appartenant au premier quartile étant significativement plus basse) : les juges tiendraient peu compte des revenus du parent hébergeant l’enfant. Cette distribution en U illustre donc, d’une part, la clause de revenu minimum garanti pour les plus bas revenus et, d’autre part, le principe selon lequel le calcul du montant de la pension repose sur le coût de l’enfant, coût qui est calculé, en particulier pour le barème « au coût réel » et de façon moins directe pour les deux autres barèmes, proportionnellement aux revenus du parent gardien et donc qui croît avec ces derniers [24]. À nouveau quel que soit le barème, le montant de la pension alimentaire est croissant en fonction du revenu du parent débiteur. Ceci résulte de la combinaison de deux principes. La pension dépend, d’une part, d’un coût de l’enfant qui est calculé en tenant compte du revenu du parent débiteur (peu pour le barème au coût réel, mais de façon plus importante pour les deux autres barèmes) et, d’autre part, de la règle de partage entre les deux parents : plus le revenu du parent débiteur est élevé, plus la part que ce revenu dans le revenu total des deux parents a de chance d’être importante et donc plus le montant de la pension sera élevé (cf. à ce propos, dans le tableau 1, la croissance des montants moyens de pension en fonction de cette part). Par ailleurs, on note que l’écart de pension moyenne entre le premier quartile de revenu du parent non gardien et le deuxième quartile est plus fort qu’entre les autres quartiles (les pensions payées par les débiteurs du premier quartile sont nettement plus basses) ; cela illustre donc la clause d’efficacité selon laquelle il est souhaitable de laisser un « reste à vivre » aux débiteurs de manière à les inciter à effectivement payer la pension. Il est intéressant de souligner que ce résultat est encore plus prononcé pour les pensions réellement décidées par les juges : limiter les montants de pensions pour les parents débiteurs les moins fortunés serait donc bien un comportement courant des juges.
Concernant les différences de montants moyens de pension selon l’âge moyen de la fratrie, on observe à nouveau une courbe en U. Le fait que la pension soit plus élevée à partir de 14 ans retrace en partie le fait que les échelles d’équivalence retenues stipulent soit un nombre d’unités de consommation plus élevé à partir de cet âge, soit un coût relatif en fonction croissante de l’âge. En partie seulement, car on peut également avancer l’idée d’un effet de génération : plus les enfants sont âgés, plus les parents le sont également et donc plus ils sont avancés dans leur carrière professionnelle et donc accèdent à des revenus supérieurs (d’où un coût de l’enfant plus élevé). Le fait que les fratries les plus jeunes (moins de 6 ans) se voient attribuer, en moyenne, des pensions plus élevées que les fratries d’âge intermédiaire est en revanche plus surprenant (d’ailleurs ce résultat ne s’observe pas pour les pensions réelles), car ce fait stylisé n’est pas explicite dans les paramètres des barèmes simulés. Il faut donc rechercher une explication dans la structure des revenus selon l’âge moyen des fratries. Il se trouve en effet que les fratries les plus jeunes, à la différence des fratries d’âge intermédiaire, sont surreprésentées dans les deux premiers quartiles de revenu du parent gardien, dans le deuxième quartile de revenu du parent débiteur et dans le dernier quartile de la part du revenu du débiteur dans le revenu total ; donc, ces fratries sont plus susceptibles de bénéficier de la clause de revenu minimum. Quant au fait que les montants moyens de pension décroissent selon la taille de la fratrie, il est dû aux économies d’échelle implicitement incluses dans les échelles d’équivalence qui retiennent un nombre d’unités de consommation constant quel que soit le rang de l’enfant (à revenu donné, le coût de deux enfants est inférieur au double du coût d’un enfant). Mais ce qui est surprenant, c’est le fait que pour deux des barèmes, on observe des pensions alimentaires per capita en moyenne un peu supérieures pour les fratries de trois enfants comparativement aux montants moyens des fratries de deux enfants (ce n’est pas le cas pour les pensions réelles). L’explication tient à nouveau à la distribution des revenus : les fratries de trois enfants sont très fortement surreprésentées dans le premier quartile de revenu du parent gardien et dans le dernier quartile de part du revenu du parent non gardien, mais pas dans le premier quartile de revenu du parent non gardien ; les fratries de trois enfants peuvent donc pleinement profiter de la clause de revenu minimum garanti. Par comparaison, pour les fratries de quatre enfants ou plus [25], la situation est assez similaire sauf qu’elles sont surreprésentées dans le premier quartile de revenu du parent débiteur ; leur plus bas niveau de pension, en moyenne, s’expliquerait donc par le fait que ces très grandes fratries bénéficient peu de la clause de revenu minimum garanti, nonobstant les faibles revenus du parent gardien, parce qu’elle s’oppose à la clause de « reste à vivre » du débiteur (qui appartient très souvent au premier quartile de revenus).
Analyse des écarts entre les montants sur barème et les montants réels
40Quelle que soit l’échelle d’équivalence retenue, on note que le barème « au coût fictif àmi-temps » est assez systématiquement un peu plus généreux que le barème « au coût réel » (en moyenne d’un peu moins d’une dizaine d’euros par enfant et par mois), mais structurellement, c’est-à-dire selon les différents types de familles, il n’y a pas de grandes différences entre les deux barèmes. Le fait de plus tenir compte des revenus du parent débiteur (barème « au coût fictif à mi-temps ») joue simplement un peu plus favorablement, comme attendu, pour les enfants dont le parent débiteur a de hauts revenus et/ou a des revenus proportionnellement nettement plus élevés que le parent créditeur (les deux caractéristiques étant liées) ; l’impact positif est également un peu plus fort pour les enfants dont le parent créditeur a des revenus situés dans le deuxième quartile (pour le premier quartile, l’effet est limité du fait de la clause de revenu minimum, clause qui, dans le barème « au coût réel », « force » à tenir plus que proportionnellement compte des revenus du débiteur). Les perdants du barème « au coût fictif à mi-temps », relativement au barème « au coût réel », sont donc les enfants dont le parent gardien a de hauts revenus. Mais, là encore, l’incidence étant plutôt limitée, nous préférons laisser de côté l’un des deux barèmes pour centrer notre discussion sur un nombre restreint de simulations. Pour choisir lequel de ces deux barèmes à élire pour la comparaison des écarts, nous nous appuyons sur le degré de proximité avec les montants réels. À cet égard, les écarts moyens ou médians ne sont pas de bons indicateurs de proximité du fait de la compensation entre écarts positifs et écarts négatifs [26]. Mais le recours aux écarts en valeur absolue (moyens, ou médian pour limiter l’effet de quelques écarts très élevés) nous indique que le barème « au coût fictif à mi-temps » est plus proche des pratiques des juges que le barème « au coût réel » et ce, en particulier si l’on retient un coût relatif de l’enfant variant avec le revenu. C’est donc le premier de ces deux barèmes qui sera retenu pour l’analyse des écarts avec les pensions réelles. Nous retenons également le barème au « coût fictif avant divorce » dont l’écart absolu moyen est de même ampleur à celui relatif au barème « au coût fictif à mi-temps ».
Ces deux barèmes (« au coût fictif à mi-temps » et « au coût fictif avant divorce », et en retenant un coût relatif de l’enfant décroissant avec le revenu), se distinguent, du point de vue de la comparaison avec les montants réels, surtout en termes de niveau, l’un calculant des montants en moyenne légèrement inférieurs aux montants réels (-12 euros par mois et par enfant), l’autre des montants plus élevés (+59 euros). Mais cette différence ne signifie pas que le premier barème soit plus proche des décisions réelles de justice : les écarts absolus moyens des deux barèmes sont en effet du même ordre de grandeur (respectivement, 87 et 79) ; simplement, dans le cas du barème « au coût fictif à mi-temps », la compensation entre écarts positifs et écarts négatifs est plus importante car la répartition entre écarts négatifs et écarts positifs est plus équilibrée que dans le cas du barème « au coût fictif avant divorce » (40 % / 60 % versus 80 % / 20 %). En revanche, du point de vue des différences d’écart absolu moyen selon les types de familles, les deux barèmes aboutissent à une même conclusion : il n’y a guère de différences, c’est-à-dire que la proximité avec les montants réels n’est pas clairement plus élevée ou plus faible pour certains types de familles (caractérisées par les niveaux de revenus, le nombre d’enfants, etc.). Les graphiques 1 à 3 pour lesquels nous avons retenu – à titre d’exemple – les revenus des parents comme caractéristiques des familles, illustrent cette conclusion [27]. On s’aperçoit en effet que l’ampleur verticale des nuages de points varie peu de droite à gauche de l’axe horizontal. Deux particularités s’écartent cependant de cette conclusion assez générale. Premièrement, le test de différence de moyennes montre que l’écart absolu moyen est significativement plus élevé (plus faible proximité) pour les enfants dont le parent gardien a un revenu appartenant au premier quartile (ou les enfants du dernier quartile de part de revenu du parent non gardien, ces deux caractéristiques étant liées), et c’est particulièrement frappant pour les enfants dont le parent gardien a un revenu nul. Nous avons vu précédemment à propos des montants moyens de pension calculés sur barème que l’effet de la clause de revenu minimum jouait massivement, l’écart absolumoyen fortement positif traduit donc ce paramètre du barème et met en exergue le fait que les juges, dans la réalité, n’appliquent pas ce type de clause, clause que nous avons justifiée par un objectif d’efficacité (réduire les transferts sociaux tout en assurant un niveau de bien-être minimum aux enfants).
Différences de pension alimentaire (en euros par mois et par enfant) entre le montant réel et le montant simulé par le barème « fictif à mi-temps » avec UC variant selon le revenu, selon le revenu du parent gardien

Différences de pension alimentaire (en euros par mois et par enfant) entre le montant réel et le montant simulé par le barème « fictif à mi-temps » avec UC variant selon le revenu, selon le revenu du parent gardien
Différences de pension alimentaire (en euros par mois et par enfant) entre le montant réel et le montant simulé par le barème « fictif à mi-temps » avec UC variant selon le revenu, selon le revenu du parent non gardien

Différences de pension alimentaire (en euros par mois et par enfant) entre le montant réel et le montant simulé par le barème « fictif à mi-temps » avec UC variant selon le revenu, selon le revenu du parent non gardien
Différence de pension alimentaire (en euros par mois et par enfant) entre le montant réel et le montant simulé par le barème « fictif à mi-temps » avec UC variant selon le revenu, selon la part du revenu du parent non gardien

Différence de pension alimentaire (en euros par mois et par enfant) entre le montant réel et le montant simulé par le barème « fictif à mi-temps » avec UC variant selon le revenu, selon la part du revenu du parent non gardien
41La seconde particularité est statistiquement significative surtout pour le barème « au coût fictif àmi-temps » ; elle indique que l’écart absolu moyen est plus faible (plus grande proximité) pour les enfants dont le parent débiteur a de faibles revenus (premier quartile) ou, ce qui est lié, dont les revenus ne constituent qu’une faible part du revenu total des deux parents. Pour ces enfants, les barèmes simulés prévoient une limitation du montant de la pension à payer par le parent débiteur peu fortuné, limitation que nous avons justifiée à nouveau dans une perspective d’efficacité (incitation au paiement et limitation des transferts sociaux pour les parents débiteurs), la faiblesse de l’écart absolu moyen indiquerait donc que cette clause est également une pratique réelle des juges [28].
Mais globalement, si l’on met à part ces enfants dont le parent non gardien a de faibles ressources, il convient de reconnaître que l’écart entre le montant calculé sur barème et celui décidé par le juge est plutôt élevé (environ, selon le barème, 80 à 100 euros par enfant et par mois en moyenne, et même environ 120 euros pour les enfants dont le parent gardien a un revenu appartenant au premier quartile). Il n’est donc pas sûr que, malgré les justifications économiques que nous avons avancées, ce type de barèmes puisse recueillir un certain assentiment de la part des juges aux affaires familiales, tant l’adoption de tels barèmes les conduirait à devoir prendre des décisions assez différentes de leurs pratiques antérieures, à moins qu’une part importante de l’écart puisse s’expliquer par ce que nous avons volontairement laissé hors du barème « de base », à savoir la prise en compte, par négociation ou à la seule initiative du juge, de charges particulières ; notre source de données ne permet malheureusement pas de tester une telle hypothèse. Mais s’il fallait recommander un barème parmi les neuf que nous avons déclinés, le barème « au coût fictif à mi-temps » aurait notre préférence, parce que, d’une part, à la différence du barème « au coût fictif avant divorce » il déroge peu au principe selon lequel il convient d’asseoir le calcul sur le coût réel au moment de la procédure de divorce et, d’autre part, parce qu’il est l’un des barèmes les plus proches des pratiques réelles des juges.
? Conclusion
42Au terme de cette analyse de barèmes de pension alimentaire, il semble utile de mettre en avant des prolongements possibles pour de futures recherches. L’application de barèmes de pension alimentaire constituerait un changement important dans les procédures de divorce. Les conséquences de ce changement en termes d’effets incitatifs sur les comportements durant la procédure de divorce et après le divorce mériteraient donc d’être approfondies.
43Au moment du divorce, les règles applicables ont un effet sur la négociation entre les conjoints à propos des conséquences redistributives de leur séparation. Mnookin et Kornhauser (1979) montrent comment les couples qui divorcent négocient « à l’ombre du droit », et ces auteurs suggèrent que les procédures de divorce ont un effet important sur la probabilité de parvenir à une solution amiable. Dans le cas américain, leurs travaux mettent en évidence qu’une majorité de couples résout les questions redistributives à travers la négociation à l’ombre du droit plutôt qu’à travers l’attente de la décision du juge. Bien entendu, cette remarque ne signifie pas que le juge ne doive pas intervenir. En effet, la force exécutoire du jugement garantit souvent que les parties respecteront leurs engagements respectifs. La distinction entre le comportement des conjoints (coopératif ou non) et l’apport du juge (résolution des questions redistributives et force exécutoire du jugement) demeure donc essentielle. L’intervention du juge pour régler les problèmes de répartition entre les conjoints perd de sa force en cas de comportements coopératifs des deux conjoints ; la fixation d’une pension n’est pas nécessairement un acte contentieux, au contraire. On constate généralement que la pension fixée d’un commun accord par les parents sera mieux payée parce qu’elle a été volontairement acceptée ; il paraît donc souhaitable de valoriser les accords des parents. Ce qui importe alors, ce sont les effets de l’application de barèmes par les juges sur les comportements des conjoints. L’hypothèse la plus plausible est celle d’une incitation plus forte à coopérer, partant du constat que le barème offre une meilleure information et une plus grande prévisibilité quant au montant de la pension alimentaire. Cela signifie, d’une part, que les comportements stratégiques, source d’échec de la négociation, seront moins fréquents et, d’autre part, que la probabilité de parvenir à un accord dans un délai raisonnable sera plus élevée (Deffains, 1997). Reste à savoir si le barème doit être impératif ou indicatif. Les travaux théoriques de Deffains et alii (2005) montrent que les gains à la coopération sont d’autant plus importants que le pouvoir discrétionnaire du juge en matière de détermination de la pension est important. Ce résultat plaide donc en faveur de barèmes de pension indicatifs plutôt que des barèmes impératifs.
44La procédure utilisée au moment du divorce peut également avoir des effets sur le comportement des conjoints après le divorce. Les recherches empiriques montrent généralement qu’une part importante des parents débiteurs ne respectent pas leurs obligations (Valetas, 1994 ; Festy, 1986 ; Institut for Research on Poverty, 2000). L’analyse des barèmes doit alors s’étendre à l’étude de l’effectivité du versement des pensions dues par les parents débiteurs et ce, d’autant plus qu’il est possible de faire l’hypothèse selon laquelle une corrélation existe entre le respect des obligations alimentaires et les contacts du parent non gardien avec ses enfants (Macoby et Mnookin, 1992). Dans l’explication de ces comportements, de nombreux facteurs doivent être pris en compte, mais, sachant que la procédure appliquée au moment du divorce a un impact sur la probabilité d’arrangement, elle est susceptible d’avoir un effet positif sur le versement effectif des pensions et, donc, sur le bien-être de l’enfant inhérent au maintien du lien parental avec le débiteur. En d’autres termes, les barèmes peuvent être « incitatifs à la coopération ».
D’autres travaux ont également permis de mettre en évidence le rôle des moyens du système juridique sur les comportements postérieurs à la décision de divorce. La sévérité des sanctions en cas de non-respect des obligations familiales, à commencer par le non-versement de la pension alimentaire, a notamment un effet significatif sur le comportement du parent non gardien. Chambers (1979) considère que le taux de versement des pensions augmente lorsque les pouvoirs publics disposent de moyens de recouvrement coercitifs (retenues sur salaires, intervention des administrations en charge de l’aide sociale…). L’analyse économique peut également être mobilisée pour expliquer ce résultat : le parent non gardien calculerait les coûts et les avantages du paiement de la pension au regard des différentes actions susceptibles d’être engagées contre lui. Ce type d’approche est utile pour aborder la question de savoir qui doit mettre en œuvre le barème puisque, lorsqu’un barème est instauré, le caractère automatique de l’opération de calcul de la pension conduit à s’interroger sur l’intérêt du recours à un magistrat. La réponse à cette interrogation suppose d’intégrer différents éléments, à commencer par les coûts de transaction et de collecte de l’information nécessaire à l’application du barème. À ce propos, on peut noter que certains pays ont fait le choix de « dé judiciariser » l’opération de fixation de la pension. C’est le cas de la Grande-Bretagne, qui, depuis 1991, a donné cette compétence à une commission administrative (la Child Support Agency), laquelle se réfère à un barème très précis. Or, un des arguments avancés en faveur d’un tel système réside dans le fait que l’administration aurait plus de facilités que les tribunaux à collecter l’information nécessaire au calcul des pensions par application d’un barème (revenu des parents, structure de la famille, allocations diverses perçues, capacités contributives…). Il est à ce propos intéressant de noter que les juges français, interrogés sur la réforme du droit de la famille et plus particulièrement sur l’éventualité de devoir appliquer des barèmes, se déclarent très majoritairement contre, arguant précisément du surcroît de travail que cela impliquerait pour eux dans la recherche de l’information (Munoz-Perez et Ancel, 2002). Indépendamment du débat entre pouvoir judiciaire et pouvoir administratif [29], cette contrainte de coût informationnel joue à l’évidence un rôle essentiel dans la mise en œuvre des barèmes puisqu’elle pose la question de l’impact de la « barèmisation » sur l’organisation de la justice.
Plus généralement, il serait utile de mener une analyse de la « barèmisation » dans un contexte de « (dé) judiciarisation » des procédures de divorce. En effet, il est possible d’identifier des tendances contradictoires. D’une part, le fait de recourir au barème devrait permettre une baisse du contentieux d’interprétation lié à l’évaluation personnalisée (i.e. une baisse des recours compte tenu de la plus grande prévisibilité escomptée). Mais, d’autre part, il devrait engendrer un accroissement des demandes de révision. La transparence du barème y pousse fortement et inéluctablement. Qui comprendrait qu’une pension n’est plus révisée si chacun peut facilement appliquer un barème et calculer une hausse ou une baisse de la pension ? Le problème est alors de savoir comment le juge va gérer ces évolutions et, dans quelle mesure la fixation judiciaire des pensions demeure souhaitable.
451 – Le barème « au coût réel » peut s’exprimer de la manière suivante.
46Avec ? la quotité relative de temps de résidence chez le parent gardien « g », (1 – ?) la quotité relative de temps de résidence chez le parent nongardien « ng », Rg les revenus du ménage du parent gardien, hors allocations familiales, Rng les revenus du ménage du parent non gardien, AF les allocations familiales perçues par le parent gardien, PA la pension alimentaire versée par le parent non gardien au parent gardien, A le coût relatif de l’enfant chez le parent gardien et B le coût relatif de l’enfant chez le parent non gardien, le coût privé (C) de l’enfant est égal à :

48Le coût à la charge du parent non gardien (Cng) est alors égal, selon le principe de proportionnalité en fonction des revenus des deux parents [30], à . Et la pension alimentaire à payer (PA) est égale à
, le débiteur ne payant que la part du coût à sa charge ne correspondant pas à ce qu’il dépense déjà de fait lorsqu’il héberge l’enfant.
49D’où, un barème « au coût réel » qui, avant prise en compte de la double clause de revenu minimum pour l’enfant et de reste à vivre pour le parent non gardien, peut s’exprimer par la formule suivante :

512 – Avec le barème fondé sur un coût de l’enfant « fictif » égal à ce que serait ce coût si l’enfant vivait à mi-temps avec chacun de ses deux parents (barème « au coût fictif à mi-temps »), le coût privé C est égal à

53et, si l’on applique la règle de proportionnalité selon les revenus respectifs des deux parents, le coût à la charge du parent non gardien Cng est alors égal à , et la pension alimentaire à payer PA est égale à
puisqu’il convient de soustraire ce que le parent non gardien débourse lorsqu’il a la garde de l’enfant.
54Le barème « au coût fictif à mi-temps » s’exprime donc suivant la formule suivante :

563 – Avec le barème fondé sur un coût de l’enfant « fictif » égal à ce qu’était ce coût avant le divorce (barème « au coût fictif avant divorce »), le coût privé C est égal à , avec D le coût relatif de l’enfant lorsqu’il vit avec deux parents ; le coût à la charge du parent non gardien Cng est alors égal à C
, et la pension alimentaire à payer PA est égale à
. Et donc, ce barème « au coût fictif avant divorce », s’exprime ainsi :

57Cas type correspondant à une famille de deux enfants – 7 ans et 15 ans – hébergés chez le parent non gardien un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires.



Notes
-
[*]
Cécile Bourreau-Dubois : maître de conférences de sciences économiques à l’université Nancy 2 et BETA-Nancy.
-
[**]
Bruno Jeandidier : chargé de recherche au CNRS, économiste à l’université Nancy 2 (BETA-Nancy).
-
[***]
Bruno Deffains : professeur de sciences économiques à l’université Nancy 2 et directeur du BETA-Nancy (FRE 2881).
-
[1]
« Chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant » (article 371-2).
-
[2]
Se reporter à Bourreau-Dubois et Jeandidier (2004) pour une estimation comparée de ces différents scénarios de barèmes et de leur impact sur le niveau de vie des ménages.
-
[3]
Pour une présentation formalisée et synthétique de ces modèles, voir notamment Glaude et Moutardier (1991) et Hourriez et Olier (1997).
-
[4]
Aux États-Unis, dans la majorité des États, le calcul des pensions alimentaires s’appuie sur l’hypothèse selon laquelle le coût relatif de l’enfant diminue avec le revenu des parents ; dans les autres États le barème retient un coût relatif indépendant du niveau de revenu des parents. Pour une présentation détaillée des barèmes américains, cf. Bourreau-Dubois et alii (2003).
-
[5]
La grande majorité des barèmes américains reposent sur la logique de l’Income Sharing, c’est-à-dire que l’enfant est censé continuer à recevoir la même proportion du revenu de ses parents que si ces derniers vivaient encore ensemble.
-
[6]
En effet, les liens matrimoniaux ne génèrent pas le même type d’économies d’échelle que les liens de filiation, en particulier sur les dépenses de logement. Les contraintes spécifiques aux familles monoparentales se traduisent également par un niveau de dépense relativement élevé pour l’éducation et les services domestiques : un foyer monoparental, à nombre d’enfants donné, a moins de ressources internes qu’un couple pour faire face à ses besoins par la production domestique, par exemple pour la garde des enfants en bas âge.
-
[7]
Cette approche est celle développée, par exemple, par Jacquot (2001).
-
[8]
Cette règle est également appliquée par les États américains qui relèvent du modèle dit de l’Income Shares (une variante du modèle plus général de l’Income Sharing). Parallèlement à ce modèle, existe le modèle du Percentage of Income (seconde variante de l’Income Sharing), dans lequel la pension représente un certain pourcentage du revenu du seul parent non gardien. Cependant, on peutmontrer (cf. Bourreau-Dubois et alii, 2003) que si le coût relatif de l’enfant ne varie pas en fonction du revenu des parents, on parvient, en fait, à la même règle de partage en retenant soit le modèle du Percentage of Income soit le modèle de l’Income Shares.
-
[9]
Sans aller jusqu’au maintien du niveau de vie du débiteur, on peut envisager que la pension soit ajustée à la baisse afin de ne réduire que de manière modérée son niveau de vie. Cette option nous a été suggérée, lors de notre enquête (Bourreau-Dubois et alii, 2003) par la réponse que nous a faite un juge aux affaires familiales qui indiquait que « la fixation de la pension alimentaire ne repos (ait) pas en réalité sur les besoins réels, le coût réel de l’enfant […], mais bien plus sur un postulat selon lequel les parents ont un droit à se séparer et à vivre de manière autonome : la pension est dès lors fixée de manière à laisser au parent non gardien suffisamment d’argent pour vivre seul et refaire sa vie. Cette approche rencontre l’adhésion de toutes les parties au procès y compris celle du parent créancier. Elle explique le caractère souvent dérisoire des montants des pensions alimentaires ».
-
[10]
Festy et Valetas (1987) montrent que le taux de règlement complet des pensions est nettement plus faible lorsque le montant de la pension est peu élevé, donc lorsque les revenus du débiteur sont faibles (30 % contre 60 % en moyenne).
-
[11]
Si l’on se situe dans le cadre de la législation française, un tel scénario doit être envisagé avec précaution compte tenu du mode d’attribution de l’allocation de soutien familial (ASF). En effet, si le montant minimum de la pension alimentaire est inférieur à l’ASF, alors l’enfant est exclu du bénéfice de l’ASF.
-
[12]
Ces barèmes s’appuient sur des travaux économétriques américains qui montrent qu’il existerait une relation décroissante entre le coût relatif de l’enfant et le revenu.
-
[13]
Au Canada, les « lignes directrices fédérales » prévoient qu’au montant de base de la pension peut s’ajouter un supplément pour dépenses exceptionnelles. Il doit s’agir de dépenses nécessaires au regard de l’intérêt de l’enfant et raisonnables par rapport aux ressources des époux et aux habitudes de la famille avant la séparation. Les dépenses spéciales comprennent les frais de garde, les primes d’assurance médicale ou dentaire relatives à l’enfant, les frais de soins de santé non pris en charge par l’assurance, les frais extraordinaires de scolarité ou d’activités parascolaires et les frais liés aux études supérieures.
-
[14]
Si l’on considère qu’un barème contribue à l’efficacité parce qu’il constitue, notamment, un vecteur d’information, sa simplicité devrait accroître son caractère informatif et donc son efficacité.
-
[15]
Notons qu’en prenant comme unité d’observation le ménage, et non le parent, on inclut de fait les revenus des éventuels nouveaux conjoints (familles recomposées) ; cela est justifié par la deuxième proposition : on s’appuie sur la situation réelle de l’enfant (certes le nouveau conjoint n’a pas légalement à contribuer à l’entretien de l’enfant, mais, de fait, en décidant de vivre sous le même toit que ce dernier, il y participe).
-
[16]
Se référer à une norme permet d’éviter les comportements stratégiques des parties, par exemple faire valoir des dépenses inconsidérées (au sens où, si le couple n’était pas séparé, il n’engagerait pas de telles dépenses) dans le seul but de faire payer plus le débiteur (ex. inscrire l’enfant dans une école d’enseignement supérieur privée très coûteuse ; accepter systématiquement toutes les demandes d’activité de loisir de l’enfant, quel que soit le coût, etc.).
-
[17]
Une présentation détaillée des arguments relatifs à la prise ou non en compte des ressources et des charges pour le calcul des pensions alimentaires est proposée dans Sayn (2002, chapitreV).
-
[18]
Il s’agit bien ici des revenus personnels et non des revenus du ménage car, à la différence du calcul du coût de l’enfant qui doit reposer sur l’ensemble des ressources du ménage, il n’y a pas d’argument solide qui permette de justifier l’inclusion des revenus d’un éventuel nouveau conjoint dans la règle de partage entre les deux parents.
-
[19]
Dans le cas où les enfants d’une même famille ne résident pas avec le même parent, on peut envisager un système de calcul de pension alimentaire nette (en soustrayant les deux créances croisées).
-
[20]
On peut critiquer cette référence à un niveau de vie au moins égal à celui procuré par le revenu minimum légal parce que, en demandant à la pension alimentaire de combler le poverty gap de l’enfant, on attribue de fait à la pension alimentaire un rôle de prestation compensatoire destinée au parent qui a la garde de l’enfant puisque, mécaniquement, en garantissant un certain niveau de vie à l’enfant on le garantit aussi à son parent gardien. Plutôt qu’une garantie de niveau de vie minimal, on pourrait alors garantir que la pension alimentaire soit au moins égale, par exemple, au supplément pour enfant existant dans le barème du RMI, mais ce faisant on ne garantirait plus un niveau de vie monétaire minimum à l’enfant, ce qui du point de vue de l’efficacité (bien-être de l’enfant et minimisation des coûts publics) est moins efficace.
-
[21]
Ce qui contrebalance partiellement ce paradoxe, c’est le fait que l’on introduise une clause de revenu minimum pour l’enfant.
-
[22]
Par exemple, quitter un emploi qui ne plaît pas sans être assuré d’en retrouver un autre est préjudiciable, au moins à court terme, au niveau de vie monétaire de l’enfant ; pour autant, l’obligation alimentaire inscrite dans le droit de la famille n’oblige pas le parent à compenser cette perte de niveau de vie.
-
[23]
Dans les deux cas, famille du parent créditeur ou parent débiteur, nous avons retenu le montant du RMI (selon la configuration familiale) comme critère de revenu minimum ou de « reste à vivre ».
-
[24]
On note cependant que pour le barème « au coût fictif avant divorce » et selon un coût relatif de l’enfant variant avec le revenu, les différences entre les moyennes relatives aux quartiles 2 à 4 ne sont pas significatives. Cela s’explique, d’une part, par le fait que dans ce barème, le coût de l’enfant dépend moins directement du revenu du parent gardien puisqu’il est calculé sur la base de la somme des revenus des deux parents et, d’autre part, par le fait que le coût relatif de l’enfant est décroissant avec le revenu.
-
[25]
L’analyse de ce type de fratries est fragile car elle repose sur des effectifs faibles (seize familles).
-
[26]
Notamment si l’on veut mener la comparaison avec le barème « au coût fictif avant divorce » qui, du fait de sa forte générosité, montre relativement peu d’écarts négatifs.
-
[27]
Nous ne reproduisons que les graphiques relatifs au barème « au coût fictif à mi-temps » car ceux relatifs au barème « au coût fictif avant divorce »montrent des allures très similaires, à un niveau simplement un peu décalé vers le haut.
-
[28]
La clause de « reste à vivre » joue également avec le barème « au coût fictif avant divorce », mais si la différence statistique n’est pas significative c’est parce que, parmi les parents débiteurs appartenant au premier quartile, certains n’en bénéficient pas car ils se situent dans la zone haute du quartile, et dans ce cas le montant de la pension issu du barème peut être sensiblement plus élevé que le montant réel car le barème repose sur un coût de l’enfant fonction des revenus des deux parents (et celui du parent gardien n’est pas nécessairement très faible) et un coût relatif de l’enfant assez élevé (puisque celui-ci est décroissant avec le revenu).
-
[29]
Se reporter à Sayn (2002, chapitre IV) pour une discussion sur qui, du juge ou de l’administration, doit fixer les pensions alimentaires pour enfants.
-
[30]
On considère ici que les revenus personnels de chacun des parents sont égaux aux revenus de leur ménage respectif ; en cas de famille recomposée, on pourrait faire la distinction entre les revenus du ménage qui permettent de calculer le coût privé de l’enfant et les seuls revenus des parents sur lesquels serait calculé le taux de partage (règle de proportionnalité).