CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Depuis le XIXe siècle, la figure de « l’État social » (Castel, 1995) s’est progressivement imposée pour exprimer le rôle central de la puissance publique, et en premier lieu de l’État, dans l’organisation des solidarités et la régulation du social. Elle s’est appuyée, et ce plus particulièrement depuis 1945, sur « l’idée que la modernité se définit en matière de protection sociale par le recours aux techniques assurantielles » (Renard, 1995, p. 30). Parallèlement, la politique d’assistance sociale a été discréditée et qualifiée de désuète. Ainsi, s’est développée, non sans quelques bonnes raisons, la représentation d’un État au centre d’un système de protection sociale fonctionnant selon les mécanismes de l’assurance sociale obligatoire.

2Or, dans certains domaines comme celui de la protection sociale des personnes âgées, l’analyse gagne à élargir le regard en tenant compte du rôle joué par des acteurs et des dispositifs connexes qui, loin d’être marginaux et d’invalider la prépondérance étatique, participent au champ de l’intervention sociale. De ce point de vue, l’étude de l’action sociale des caisses de retraite françaises est riche d’enseignements. L’action sociale a cette particularité de se définir comme une intervention facultative et souvent extralégale, par opposition à l’aide sociale qui revêt un caractère obligatoire pour les autorités publiques (Borgetto et Lafore, 1996). Elle est de fait difficile à délimiter clairement et peu visible. Néanmoins, avec le développement de leurs prestations sociales, par exemple dans le financement des aides à domicile des personnes âgées, les caisses de retraite sont devenues des acteurs à part entière du champ gérontologique aux côtés d’intervenants traditionnels comme l’État et les collectivités locales. C’est donc le rôle qu’elles jouent dans la production du social à destination des personnes âgées que nous souhaitons interroger ici, en réfléchissant notamment aux rapports qu’elles entretiennent avec la puissance publique. L’une des questions qui se posent est justement de savoir si l’action sociale des caisses de retraite correspond à un moyen autonome de traitement de la pauvreté ou bien si elle s’ajuste aux politiques sociales de l’État, ce qui revient à préciser ses finalités et fonctions.

3Cette étude permet d’aborder la protection sociale sous un angle trop souvent négligé, à savoir par les dispositifs d’action non étatiques qui, tout en conservant leurs spécificités, tendent néanmoins à être des composantes essentielles des politiques publiques. Ces dispositifs constituent des outils d’intervention intermédiaires se cumulant aux prestations légales. Nous défendons l’idée selon laquelle les caisses de retraite concourent au fonctionnement des politiques sociales pour personnes âgées, les modalités de cette articulation variant néanmoins dans le temps. À ce titre, les transformations actuelles de la protection sociale (Daniel et Palier, 2001) interpellent directement les caisses de retraite qui, malgré leurs latitudes d’action, s’alignent sur de nouvelles normes et catégories d’intervention. Autrement dit, nous verrons que l’action publique en faveur des personnes âgées évolue en mobilisant des mécanismes extralégaux et complémentaires qui solidifient et nourrissent les objectifs publics affichés. C’est ainsi l’ambivalence des politiques sociales qui sera pointée, celles-ci procédant d’une combinaison de dispositifs variés. Comment comprendre la complémentarité entre l’action sociale et la protection sociale des personnes âgées alors que s’est institutionnalisé, depuis plusieurs décennies, un système de gestion socialisée des retraites et que se sont mises en place diverses aides légales ? Comment s’intègrent des interventions relevant de logiques et de techniques hétérogènes ?
Pour cela, nous nous appuierons sur une étude que nous avons menée sur les fonds d’action sociale (FAS) de différentes caisses de retraite, et plus particulièrement sur celui de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Cette recherche (cf. encadré) nous a amenés à replacer les FAS dans le cadre de l’évolution générale, sur plusieurs dizaines d’années, des politiques de la vieillesse et à examiner, par le biais d’entretiens avec des retraités bénéficiaires, les effets et usages de l’action sociale. Elle vise ainsi à explorer les caractéristiques de ces dispositifs et leurs conditions de mobilisation.

Encadré : Méthodologie

Le contenu de cet article se présente comme une réflexion empirique et théorique sur l’action sociale des caisses de retraite.
Les éléments empiriques sont issus d’une étude, commanditée par la Caisse des dépôts et consignations, visant à évaluer la portée des aides accordées par le Fonds d’action sociale (FAS) de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Dans ce but, à partir d’une sélection par des critères de genre, de revenu, de profession, de lieu (zone rurale/zone urbaine), de nombre d’aides reçues, nous avons réalisé près d’une centaine d’entretiens semi-directifs avec des bénéficiaires du FAS, puis avec des retraités ne recourant pas à ces aides. Nous avons, pour cela, délimité des sites d’enquête hétérogènes caractérisés notamment par des recours inégaux (en moyenne) au FAS au regard du nombre de retraités de la CNRACL résidant sur le territoire. L’étude qualitative avait pour objectif d’identifier les modes de construction des demandes, les usages des aides et de rendre compte des écarts entre les besoins exprimés par les retraités et les aides offertes par la caisse. Les résultats nous ont permis de dresser une typologie des demandeurs et de comprendre le rôle que jouaient les aides du FAS dans les ressources des ménages. Dans le cadre de ces travaux, nous nous sommes aussi entretenus avec des responsables de l’action sociale de plusieurs caisses de retraite.
Les éléments théoriques reposent sur une étude retraçant l’« historique » du FAS de la CNRACL – réalisée à partir de procès-verbaux, archives, rapports, études internes à la caisse –, sur une comparaison de l’action sociale de différentes caisses de retraite, et sur une revue de la littérature concernant les enjeux politiques et sociaux de la vieillesse. Cette recherche nous a permis de situer les mutations de l’action sociale des caisses de retraite dans les processus d’évolution de la protection sociale des personnes âgées.

4On se propose d’abord de revenir sur la complémentarité qui s’est établie entre l’action sociale et les mécanismes généraux de la protection sociale lors de la mise en place de la politique de la vieillesse. Nous nous interrogerons, dans un second temps, sur les effets de la recomposition actuelle des dispositifs d’action publique en matière d’offre et de positionnement des caisses de retraite dans le champ gérontologique.

? L’action sociale : un prolongement de la protection sociale ?

5Contrairement à la vision dominante, l’État n’est pas le seul acteur à intervenir dans le « social » pour personnes âgées. Il doit partager depuis longtemps ce domaine avec les collectivités locales (Daran, 1998), mais aussi avec les caisses de retraite qui se sont dotées de fonds d’action sociale, parfois au terme de négociations difficiles avec les ministères de tutelle [1]. Le FAS de la CNRACL a, par exemple, été créé le 21 juin 1978 après plusieurs années de pression des représentants syndicaux des retraités qui se sont heurtés à l’opposition du ministère de l’Économie. La gestion du vieillissement est ainsi devenue l’objet d’un encadrement multi-institutionnel et de flux financiers croissants de sorte que s’est constitué, parallèlement à la socialisation de la prise en charge des retraites, un système complexe et pluriel de dispositifs spécialisés dans le traitement des personnes âgées (Lenoir, 1979). L’action sociale des caisses de retraite a alors progressivement constitué un des enjeux de ce système. Facultative et extralégale, et par conséquent relativement floue, elle repose sur un prélèvement effectué sur les cotisations des actifs. Elle va prendre peu à peu des formes très diversifiées allant d’aides collectives (groupes de parole, maisons de retraite, hébergements en foyers, etc.) à différents types d’aides individuelles (aide ménagère, aides pour le chauffage, la santé, les vacances, les équipements ménagers, l’amélioration de l’habitat, prêts financiers, etc.).

6Alors qu’à partir des années cinquante l’aide sociale légale tend à se formaliser [2], les différentes caisses disposent dans le même temps, à mesure qu’augmentent la masse et le montant des cotisations, de marges de manœuvre qui leur permettent de contribuer à la protection des personnes âgées. Elles ont, en effet, constitué des espaces privilégiés de fabrication de prestations sociales, selon des mécanismes et des règles propres à chacune d’entre elles. Dans le cas de la CNRACL, l’offre sociale a été étroitement conditionnée par les cadres financiers et légaux imposés par les deux ministères de tutelle, ceux de l’Économie et des Affaires sociales. La latitude d’action relative laissée au FAS de la CNRACL est d’ailleurs l’objet de constantes négociations entre les différents membres du conseil d’administration (syndicats, employeurs, ministères). Ainsi les différences dans les modes de gestion et les particularités institutionnelles des caisses de retraite peuvent expliquer, en partie, les disparités dans leur offre d’aides pour personnes âgées. Les unes, comme la MSA(Mutualité sociale agricole [3]) grâce à son propre maillage territorial, ont développé une offre de services de proximité et valorisé des prestations collectives. D’autres, comme la CNRACL, marquée par la centralisation de son administration, ont davantage développé des aides individuelles sous la forme de transferts financiers : paiement d’une partie de la facture d’énergie ou de soins médicaux, des allocations vacances, des remboursements d’appareils ménagers, etc. Dans ce paysage, la CNAV (Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés [4]) occupe incontestablement une place à part, en raison du nombre élevé de ses ressortissants. Aussi s’est-elle principalement centrée sur l’aide ménagère, réduisant de fait la diversité de ses autres prestations. L’action sociale renvoie donc à des « besoins » très hétéroclites selon les espaces où elle se déploie. Néanmoins, elle correspond à un type spécifique de solidarité envers les personnes âgées qui, tout en s’organisant dans l’hétérogène et l’extralégal, s’est articulé pendant longtemps, et selon des modalités qu’il reste à décrire, aux principes et mécanismes de la protection sociale.

La place systémique de l’action sociale des caisses de retraites

7La mise en place de fonds d’action sociale dans les différentes caisses de retraite a généralement relevé du souci d’apporter une aide passagère à des pensionnés aux revenus modestes, ce qui explique que les prestations sociales offertes le soient sous condition de ressources. L’idée de départ était de faire des FAS des instruments sociaux limités (notamment au niveau budgétaire) et périmétrés. Mais, pour le cas qui nous intéresse plus particulièrement ici, l’action sociale de la CNRACL, il ressort que cette caisse n’a pas véritablement adopté de position clairement définie sur les populations visées par son action sociale. Certes, régulièrement est rappelée la nécessité de soutenir les retraités « en difficulté » (pouvant nécessiter des soutiens « exceptionnels ») [5]. Mais cette exigence est restée avant tout une position de principe, affichée à l’origine et dont les conséquences en terme de hiérarchisation des priorités vont s’avérer peu contraignantes. Ajoutons à cet égard que l’objectif de « mieux » cerner les bénéficiaires potentiels de l’action sociale s’est régulièrement heurté à la méfiance des syndicats, attachés à défendre les intérêts de l’ensemble des ressortissants et à revendiquer un alignement sur les prestations dont bénéficient les fonctionnaires d’État. Aussi la commission de l’action sociale de la CNRACL s’est-elle avant tout adressée à de vastes franges de retraités de la caisse plutôt qu’à des catégories précises de bénéficiaires. C’est pourquoi, en cette période de développement du FAS, les aides ont d’abord été définies en fonction des « besoins » pressentis des retraités (en s’appuyant parfois sur des études sociologiques) et non des caractéristiques de populations jugées prioritaires. Dans ce cas, la délimitation de barèmes de revenus dans la distribution des prestations doit être interprétée moins comme une tentative de ciblage des retraités que comme un souci de fixer des règles comptables pour éviter les débordements budgétaires. Pour situer cette logique de fonctionnement, il n’est pas inutile de rappeler le cadre dans lequel s’est développée l’action sociale des caisses.

8Dans le prolongement de la montée en puissance des retraites, les années soixante sont marquées par la transformation de la problématisation de la vieillesse formalisée par le fameux rapport Laroque (1962). Outre l’affirmation d’une nécessaire augmentation des pensions, celui-ci cherche à rompre avec une intervention à dominante assistantielle. Il vise à définir un nouveau mode de gestion de la vieillesse – symbolisé par l’énonciation d’« une politique de la vieillesse » – supposant notamment une approche plus préventive [6]. Aussi l’affichage d’orientations ambitieuses (maintien dans un milieu de vie, et plus particulièrement à domicile, et insertion sociale des personnes âgées) va-t-il ouvrir de nouveaux champs d’intervention sociale, relativement larges et qui nécessitaient des moyens importants. Les FAS ont alors pu s’y tailler une place, avec plus ou moins de résistance de la part de l’État. L’action sociale des caisses de retraite se trouve progressivement enrôlée dans une entreprise de restructuration du champ gérontologique et de la représentation de la vieillesse. Cette redéfinition des enjeux de l’intervention auprès des personnes âgées a en effet rencontré l’intérêt des caisses de retraite, et plus particulièrement des caisses complémentaires, attentives aux manières de conquérir de nouveaux ressortissants et de se positionner sur le marché de la vieillesse.

9Bénéficiant d’un rapport entre actifs et retraités particulièrement favorable [7] et d’une augmentation sensible des cotisations, la CNRACL a, par exemple, réévalué progressivement ses objectifs : d’aide à l’origine pour des situations exceptionnelles (prêts, secours), sa politique sociale est peu à peu envisagée comme un moyen de prévenir le vieillissement et de soutenir des personnes souhaitant rester à leur domicile grâce à des aides individualisées. Dans cette perspective, elle offre des services de plus en plus diversifiés concernant le domicile (travaux d’amélioration de l’habitat, chauffage, équipements), l’entretien du corps (santé, téléassistance), des activités extérieures (vacances, séjours d’enfants) ou encore l’accompagnement en institution (hébergement en établissement). Par conséquent, elle tend à se rapprocher des buts définis par les instances étatiques à partir des années 1960-1970. L’action sociale s’efforce de ne plus s’engager dans une seule visée « réparatrice », mais aussi préventive et promotionnelle en cohérence avec la politique du « troisième âge » (Ancelin, 1997, p. 25) [8]. Elle ne se réduit pas aux seuls indigents (pris en charge au demeurant par les dispositifs de l’aide légale obligatoire), mais se tourne, en adéquation avec la nouvelle représentation de la vieillesse, vers le groupe des « personnes âgées ». Ainsi, la logique qui a présidé à sa légitimation pendant de nombreuses années, consistait à s’adresser au plus grand nombre de retraités. En ce sens, elle ne s’apparente guère à une assistance catégorielle destinée à des populations particulières et strictement définies. Elle s’écarte manifestement de l’image désuète d’une solidarité inspirée par un seul souci caritatif pour reprendre à son compte une ambition plus globale concernant une masse plus importante de retraités.

10En s’adressant à des franges importantes de ressortissants plutôt qu’en se centrant sur des catégories particulières, l’action sociale s’inscrit dans la perspective d’intégration sociale et de solidarité promue par le système national de gestion de la vieillesse. Elle est sollicitée pour pallier les « inégalités d’accès aux biens et protections nouvellement définies » (Bec, 1998). À ce titre, elle participe non pas d’une logique résiduelle, mais redistributive comme en témoigne son financement par un prélèvement effectué sur les cotisations sociales. L’action sociale s’est ainsi progressivement imposée comme un outil complémentaire de la protection des personnes âgées dans la mesure où elle participe à la concrétisation de ses orientations et notamment à la lutte pour l’insertion sociale. Elle est venue s’immiscer dans les interstices d’une politique de la vieillesse inachevée. En élevant la prévention du vieillissement et le maintien au domicile au rang d’objectifs de l’action publique, les autorités étatiques ont indirectement contribué à légitimer l’action des caisses de retraite et à l’associer aux politiques sociales.
Contrôlées par les autorités de tutelle, les caisses de retraite ont, dans cette logique, produit une offre conséquente de prestations sociales en réponse à la promotion de nouvelles normes de protection. De surcroît, certaines d’entre elles, comme la CNAV, se sont investies dans la mise en œuvre d’aides innovantes (amélioration de l’habitat, services de soins à domicile, garde à domicile) qui seront par la suite récupérées par l’État et généralisées. En effet, l’action des caisses de retraite ne consiste pas seulement à pallier des insuffisances ; elle a aussi parfois devancé la puissance publique. Plusieurs caisses n’ont pas hésité à développer des services de leur propre initiative en dehors des prestations généralement offertes. Elles se sont efforcées d’expérimenter de nouveaux services pour s’ajuster aux pratiques de retraités de plus en plus nombreux et aux attentes diversifiées.
C’est donc en partie par cette accumulation à la marge d’initiatives et de prestations que s’est construit le dispositif national de soutien aux personnes âgées caractéristique de l’État social. Hétérogène, ce dispositif tire son unité de la redéfinition de la représentation de la vieillesse et aussi de l’évolution des demandes objectives des retraités. Il serait dès lors trompeur de réduire le rôle des caisses de retraite à une assistance centrée sur les seules personnes âgées indigentes ou socialement démunies. Au regard de notre enquête, ses prestations ont gagné en extension tant sur le plan de l’offre proposée que des publics visés. L’action sociale est ainsi passée d’une logique de soutien passager à des retraités rencontrant des difficultés circonstanciées à un soutien durable à un ensemble plus large de ressortissants. Significativement, les guides d’information sur l’action sociale sont envoyés à l’occasion de tout départ à la retraite ; cette information n’est donc pas réservée à des personnes précisément identifiées.
Il n’en demeure pas moins que cette articulation fonctionnelle de l’action sociale à la politique de la vieillesse a conservé un caractère discret en raison de la force acquise par le mythe d’une protection sociale assurantielle. Autrement dit, elle n’est pas la conséquence d’une concertation explicitement planifiée, mais bien plus le résultat d’interventions interdépendantes mises en place selon des logiques propres à chaque institution (État et Sécurité sociale, collectivités locales, caisses de retraite). Le dispositif d’accompagnement du vieillissement recouvre ainsi un système d’intervention disparate, plus ou moins hiérarchisé, et doté d’une cohérence minimale sous l’effet d’une nouvelle problématisation hégémonique de la vieillesse.

La réception de l’action sociale des caisses par les retraités

11Loin de se focaliser sur le traitement caritatif de la pauvreté, l’action sociale des caisses de retraite est sollicitée pour améliorer, aux côtés des mécanismes de la protection sociale légale, les moyens de retraités insuffisamment dotés de ressources [9]. Par l’offre de toute une série d’aides, elle a notamment pour résultat de permettre à des ressortissants variés de prendre en charge et d’affronter des dépenses définies comme nécessaires au maintien à domicile et au « bien vieillir » (Guillemard, 1980 ; Boudreau et Laville, 1996).

12L’action sociale contribue, dans des proportions non négligeables, à fournir aux retraités les moyens nécessaires pour gérer des difficultés, mais aussi solvabiliser un certain nombre de dépenses. Signalons qu’en 2003 le budget affecté au FAS de la CNRACL s’élevait à 59,6 M € et concernait près de 48 000 bénéficiaires, soit environ 7,5 % des retraités de la caisse ; 55,5 % des ressources étaient affectées aux aides spécifiques (chauffage, santé, équipement ménager), c’est-à-dire des aides du quotidien couvrant, pour une grande partie, des charges permanentes [10]. Ainsi, on comprend que l’action sociale soit perçue par nombre de ses bénéficiaires comme un « treizième mois », un « petit plus » ou encore un moyen de « boucher les trous ». Plusieurs retraités interrogés ont ainsi insisté sur l’importance que représentent ces aides pour « combler les fins de mois » et « s’en sortir »[11]. Plus, comme on l’a dit, que de se centrer sur ceux que l’on ne pourrait d’ailleurs qualifier sans exagérer d’« exclus », l’action sociale vise pour l’essentiel à concourir à l’inclusion sociale des retraités qui, faute de revenus suffisants, ne parviennent pas à assumer des dépenses vécues comme incompressibles.

13On voit ainsi que l’action sociale vise moins à traiter directement la précarité qu’à l’éviter pour un certain nombre de personnes âgées. Dans ces conditions, les aides des FAS représentent bien pour leurs bénéficiaires un complément indispensable corrigeant les insuffisances du mode de gestion des retraites. Force est alors de convenir d’une inflexion de la nature initiale de l’action sociale. En effet, à l’origine, celle-ci, au caractère extralégal, n’a pas pour but de se substituer à l’aide sociale qui constitue une obligation à la charge des collectivités publiques pour faire face aux besoins de personnes dans l’impossibilité d’y pourvoir. Toutefois, en pratique, l’action sociale a perdu son caractère facultatif ou exceptionnel au point de créer, pour certains bénéficiaires, une relation de dépendance. Elle rejoint, en ce sens, une logique classique d’« institutionnalisation bureaucratique du social » consistant à prédéfinir les besoins en fonction des capacités de réponse et des normes institutionnelles incorporées par les caisses de retraite (Jobert, 1977). Elle assume une fonction proche de celle de l’aide sociale dans la réponse qu’elle apporte aux retraités qui, sans ces prestations, seraient privés de ressources substantielles pour tenter de se conformer au modèle de retraite dominant.

14Les sommes reçues au titre de l’action sociale sont utilisées comme des revenus supplémentaires susceptibles de faciliter l’accès à certains standards de consommation. Par là, des retraités peuvent solvabiliser des dépenses socialement liées au modèle de retraite qui, à partir des années soixante, a inscrit celle-ci dans une perspective de consommation (qu’elle prenne la forme d’une retraite-loisirs ou d’une retraite-famille (Guillemard, 1972)) [12]. Significativement, plusieurs retraités interrogés ont signalé user des aides offertes par les FAS comme un moyen de ne pas recourir à l’un des mécanismes de la société de consommation, à savoir le crédit. L’action sociale favorise l’appropriation, certes fragile, de normes sociales par des retraités aux revenus modestes.

15Autrement dit, l’action sociale peut aussi s’interpréter comme un dispositif servant à la diffusion et la réalisation de normes de protection et d’insertion sociales. Elle intervient certes pour alimenter et rendre possible l’objectif, affiché par les autorités publiques, de maintien à domicile. Mais, elle contribue de plus, à accroître les ressources de populations aux revenus insuffisants pour prétendre accéder aux standards légitimes du « troisième âge » et de la société de consommation (voyages, équipements ménagers, etc.). Elle vient ainsi combler et compenser, certes partiellement, les insuffisances d’un mode de gestion de la vieillesse contraint en grande partie par le niveau limité des ressources des retraités [13].

16Davantage que d’une césure, il nous faut donc parler d’une complémentarité entre l’action sociale et la protection sociale. Peut-être même pourrions nous avancer à titre d’hypothèse que les caisses de retraite ont contribué à ce que les objectifs sociaux véhiculés depuis les années soixante-dix par les autorités publiques nationales (maintien à domicile, insertion sociale, prévention du vieillissement) ne constituent pas finalement des normes inaccessibles. Elle fournit des ressources d’appoint pour des personnes âgées soucieuses d’accéder à des standards de vie dominants ou, en tout cas, de conserver une autonomie sociale. Elle constitue ainsi un sous-produit de l’action légale. Signalons que son rôle n’a guère été reconnu officiellement dès lors que s’est imposée une définition assurantielle de la solidarité depuis 1945. C’est en partie pourquoi sa place dans la protection sociale apparaît floue.
L’action sociale n’en revêt pas moins un rôle essentiel pour donner une substance à la solidarité à l’égard des personnes âgées. Son étude permet sinon de se défaire, du moins de relativiser la représentation dominante de la protection sociale fondée sur l’idée d’une substitution de l’assurance sociale à toute autre forme d’intervention. Elle invite notamment à s’intéresser aux dispositifs qui naissent et se développent aux frontières de la Sécurité sociale. Mais cette juxtaposition des prestations de l’action sociale va progressivement poser problème à mesure que les tensions financières tendent à s’exacerber et que, parallèlement, apparaissent les ambitions d’un recentrage des objectifs de la « politique de la vieillesse ».

? Vers une redéfinition « équitable » des priorités : un social en déclin ?

17Impliqués dans la protection sociale des personnes âgées, les FAS se trouvent de fait appelés à évoluer avec les inflexions significatives que celle-ci a connues ces dernières années (Daniel et Palier, 2001). L’action sociale doit notamment tenir compte des conséquences du vieillissement de la population et, notamment, de la perte d’autonomie d’un nombre croissant de personnes âgées. De la réorientation des enjeux publics et plus généralement des fondements de la solidarité, l’action sociale est encore une fois partie prenante, et ce de manière de plus en plus explicite. Comment s’articulent alors dans le cadre des nouvelles politiques de la vieillesse, les différentes prestations et techniques sociales ? Doit-on parler d’une nouvelle composition de l’architecture de la protection sociale ? Assiste-t-on à un retour à des logiques de fonctionnement anciennes contre lesquelles avait tenté de se construire la protection sociale au lendemain de la seconde guerre mondiale ?

Une action sociale pour « les plus démunis »

18Au fil des années, les FAS ont indéniablement connu une montée en puissance comme en témoigne la diversification des aides proposées. Mis en place pour soutenir des personnes en difficulté, ils se sont ouverts à de larges couches de populations aux besoins hétérogènes. Mais leurs aides font l’objet d’appropriations hétérogènes. Supposant une démarche individuelle et volontariste, elles répondent bien à des « demandeurs autonomes » aptes à élaborer par eux-mêmes les dossiers d’aides auxquelles ils peuvent prétendre et à ressentir la nécessité de ces prestations. À ce titre, les aides du FAS de la CNRACL ont, en pratique, principalement intéressé des retraités qui, grâce entre autres à leurs ressources sociales et organisationnelles, savent faire valoir leurs « droits à » bénéficier d’aides sociales. S’appuyant le plus souvent sur un contexte personnel favorable (jeunes retraités, vie en couple, liens familiaux et amicaux, carrières complètes, etc.), ces pensionnés se singularisent notamment par leur capacité à saisir l’information relative à l’offre existante d’aides sociales, amenant quelques-uns à « calculer » certaines dépenses (en matière d’habitat ou d’équipement par exemple) en fonction des prestations susceptibles d’être reçues. Développant de surcroît des pratiques en phase avec un modèle de retraite active, ils sont aussi ceux qui éprouvent le plus la nécessité de tirer parti des aides offertes pour assumer leurs aspirations. En somme, les aides à dominante individuelle semblent bien faites pour trouver un écho auprès de retraités prédisposés à se saisir de ces opportunités [14] :

  • « Vous savez, à partir du moment où vous prenez un peu de temps pour lire le guide, vous connaissez les aides. Je regarde les plafonds, ce dont on a besoin et puis c’est très facile. Quand on reçoit une aide comme ça, le moins que l’on puisse faire c’est quand même de s’intéresser un minimum à ce que l’on reçoit » (retraitée d’Ille-et-Vilaine) ; ou
  • « On est tombé en panne d’une machine à laver la vaisselle. La réparation, 1 800 francs… La machine avait 11 ans d’âge. Le réparateur me dit : ce que je mets, ça va tenir, le reste il ne me le promet pas. À partir de là, c’est un choix à nous. On n’a que 1 800 francs à faire réparer, par contre on avait une aide et on a acheté » (retraité, Pessac).
Plus généralement, les FAS ont dû faire face tout d’abord à une progression de leurs dépenses suite à la création continue de nouvelles prestations négociées au sein des conseils d’administration, ensuite à l’augmentation, en valeur absolue, des personnes âgées à faibles revenus dont la plupart pâtissent – notamment sous l’effet des mesures successives d’allongement de la durée de cotisation (Palier, 2003) – de carrières incomplètes et, enfin à un rapport actifs/retraités de moins en moins favorable lié au vieillissement de la population. De ce fait, à partir de la fin des années quatre-vingt-dix, les choix gestionnaires des FAS ont été amenés à s’infléchir. La première réaction a consisté à modifier les barèmes d’attribution des aides sociales afin de réguler la croissance des dossiers ; à la suite du resserrement des critères, le nombre des bénéficiaires du FAS de la CNRACL est passé de 66 000 en 2002 à 48 000 en 2003 [15]. Dans cette optique, le conseil d’administration du FAS de la CNRACL, soutenu au demeurant par les ministères de tutelle, a plaidé pour une réorientation de l’action sociale dans le sens d’une plus grande équité, terme qui vient se substituer à celui d’égalité caractéristique de la période précédente. Face au constat de l’inégale appropriation des aides et de l’existence de populations, souvent précarisées, écartées des circuits de l’action sociale, il met en avant l’objectif de se tourner en priorité vers « ceux qui en ont le plus besoin ». De même, les responsables du FAS pointent désormais le problème du non-recours aux prestations sociales par des retraités marginalisés dont la solution requiert une réorientation des modalités d’aide. Au regard de la restriction des budgets et de la maîtrise des dépenses, l’actualité de ce problème, tant éthique que gestionnaire, vient alors justifier un resserrement des objectifs [16]. Autrement dit, le discours sur l’équité est lié à une volonté des gestionnaires de redéfinir les finalités de l’action sociale dans le sens d’une orientation plus prononcée vers les besoins considérés « prioritaires ». En somme, ce serait par une identification des personnes « les plus en difficulté » et une focalisation des aides sur ces populations que l’action sociale devrait désormais tirer toute sa légitimité. Cette option permettrait de lutter contre le délitement du « lien social » ou bien encore d’assurer une solidarité « plus juste ».
La force du discours sur l’équité tient au consensus qu’il suscite. Rares sont en effet les membres des conseils d’administration des caisses qui s’affichent en opposition avec de tels objectifs. Ce discours devient désormais incontournable au regard, d’une part, des difficultés rencontrées par des retraités isolés et, d’autre part, des pressions budgétaires. Sans se prononcer sur le plan normatif, nous pouvons seulement noter qu’il condense une vision transformée de l’action sociale. Il amène à faire du « social » un champ d’intervention prioritaire pour des catégories particulières de populations, contrastant avec l’approche peu sélective adoptée durant plusieurs années (Bec, 1998). Il entraîne une redéfinition de la production de la solidarité autour de nouvelles cibles qui deviennent les objets de l’action sociale. Dans cette logique, celle-ci tend à s’articuler plus formellement avec les dispositifs de l’aide légale et ses mécanismes de définition des cibles de l’intervention sociale. Cette imbrication va notamment prendre forme dans le cadre des dispositifs définis ces dernières années autour de l’enjeu de la dépendance des personnes âgées.

Les effets de la politique de lutte contre la dépendance

19À partir des années quatre-vingt, la question de la dépendance des personnes âgées s’est imposée comme un enjeu essentiel, suscitant une littérature de plus en plus volumineuse. La plupart des études ont pointé le développement des situations de perte d’autonomie à mesure qu’augmentent le nombre de retraités et l’espérance de vie. La politique de lutte contre la dépendance va alors dans le sens d’un mouvement général de catégorisation plus poussée de la vieillesse (Thomas, 1996). Les terminologies se multiplient (« quatrième âge », « grand âge », « dépendants »). Dans cette même perspective, on peut signaler la mise en place depuis 1997, au niveau national, d’une grille d’évaluation (AGGIR) servant à mesurer, selon une échelle graduée (du GIR 1 au GIR 6), les situations de dépendance et les besoins. Cet instrument participe bien d’une dynamique de différenciation des publics de la protection sociale en vue de recentrer l’action des pouvoirs publics. Il n’est pas inintéressant de remarquer que cette différenciation s’accompagne de la réaffirmation d’une approche « globale » des besoins dans le cadre de traitements personnalisés. L’objectif est d’introduire des « démarches qualité » consistant à élaborer en fonction des cas des plans d’action appropriés ne se limitant pas à la seule aide ménagère (Périnel, 1999). L’affinement de la connaissance et de l’évaluation des situations se conjuguent ainsi avec une distribution plus sélective des prestations sociales (Damon, 2002). Après avoir été dotée, au cours des années soixante et soixante-dix, d’objectifs sociaux ambitieux, la politique de la vieillesse se tourne désormais vers des populations jugées « prioritaires » (médicalement et physiologiquement notamment). L’extension du niveau d’intervention (globalité des plans d’aide) va de pair avec une réduction de son public. Cette réorientation politique s’éloigne de ce fait même du principe d’universalité des prestations sociales en donnant une nouvelle actualité à l’aide sociale. Dès lors – et c’est le second point qui nous intéresse ici –, les dispositifs de lutte contre la dépendance rejoignent une tendance dominante à la mise sous condition (de ressources le plus souvent) des prestations sociales. À la modulation des aides en fonction des revenus s’ajoute celle en fonction de l’état de santé de la personne. À travers cette double dynamique de l’État social (différenciation et mise sous condition), c’est à un déplacement du centre de gravité de la protection sociale pour personnes âgées que l’on assiste. Sur son versant dépendance, celle-ci prend désormais la forme d’une action particularisée, dont l’objectif est de prendre en charge de manière distincte de nouvelles catégories sociales jugées prioritaires (Bec, 1998). L’articulation, qui s’était constituée entre l’action sociale et la protection sociale, en subit alors des conséquences indirectes.

20Il faudra néanmoins attendre la fin des années quatre-vingt-dix pour voir apparaître une législation concernant les personnes dépendantes avec, dans un premier temps, la mise en place de la Prestation spécifique d’autonomie (loi du 24 janvier 1997), puis de l’Allocation personnalisée à l’autonomie (APA) (loi du 20 janvier 2001) et, plus récemment, de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) des personnes âgées et handicapées (loi du 30 juin 2004). Les dispositifs d’action censés y répondre ont été amplement commentés de telle sorte qu’il n’est guère utile ici d’y revenir longuement [17]. Il faut noter, toutefois, que ces lois n’ont pas eu pour effet de concevoir l’action contre la dépendance comme un cinquième risque de sécurité sociale – au côté de la maladie, des accidents de travail, de l’invalidité et de la vieillesse –, mais bien comme une aide sociale dispensée par les départements [18] et donc largement financée par l’impôt et en partie, depuis 2005, par une cotisation sur les salaires provenant de la suppression d’une journée de congé [19]. En revanche, cette législation a pour effet de donner une visibilité à l’action sociale en l’inscrivant dans la continuité des dispositifs d’aide légale. Les textes de loi – ceux créant l’APA et, par la suite, la CNSA – rendent obligatoire la participation des caisses de retraite au financement de la dépendance. Pour l’année 2003, cette contribution s’éleva à hauteur de 97 M €, soit 7,1 % du montant global du Fonds de financement de l’APA (1,39 milliard d’euros) [20].

21Les effets de cette complémentarité accrue entre l’action sociale et la protection sociale ne se mesurent pas seulement en termes financiers. L’action sociale des caisses de retraite est désormais interpellée pour prendre en charge, par le biais de l’aide ménagère, les populations au seuil des dispositifs nationaux de lutte contre la dépendance. Il leur revient de répondre à de larges couches de population non prises en charge par une aide sociale devenue plus sélective. L’aide ménagère à domicile financée par les FAS des caisses est dès lors amenée à compléter les mécanismes publics en s’orientant vers les personnes « faiblement » ou « moyennement » dépendantes qui n’entrent pas dans les critères de l’APA. L’action sociale vient par conséquent combler un gap entre des dispositifs d’aide individualisés et les mécanismes généraux de l’assurance sociale. C’est bien dans cet entre-deux, aux contours incertains, qu’est désormais appelée à se situer explicitement l’intervention des dispositifs complémentaires de la protection sociale. Acteurs incontournables du social, les départements ont été chargés de la mise en œuvre de l’APA en se centrant plus particulièrement sur les situations de grande dépendance (Sanchez, 2001). De ce fait, ils n’hésitent pas à reporter vers les caisses de retraite certaines demandes d’aide émanant de personnes ne disposant pas nécessairement de ressources et capacités suffisantes pour vivre en totale autonomie. Dans plusieurs caisses, on a en effet constaté un afflux de demandes d’aide ménagère de la part de personnes âgées classées en GIR 5 et 6 (correspondant à des situations de faible et non-dépendance, soit quasiment douze millions de personnes) et qui ne s’étaient pas manifestées jusque-là.
Les dispositifs de lutte contre la dépendance ont, semble-t-il, révélé des besoins qui sont apparus supérieurs aux moyens initialement prévus. Dans ce contexte, les FAS des caisses de retraite tendent à devenir des instruments, parmi d’autres, au service des autorités publiques qui disposent de surcroît d’un poids prépondérant au sein de leurs conseils d’administration, pour garantir une continuité dans la prise en charge des diverses situations de dépendance. Les caisses sont notamment amenées à signer des conventions avec les départements afin d’organiser le transfert de personnes entre les dispositifs de l’APA et de l’aide ménagère, mais aussi afin de participer à l’évaluation des situations de dépendance. À l’évidence, elles sont bien impliquées dans la mise enœuvre de la nouvelle politique de la vieillesse. À ce titre, la lutte contre la dépendance pousse les caisses de retraite à redéfinir leur action en explorant ou approfondissant de nouveaux territoires d’intervention. Si celles-ci visent de plus en plus à établir des priorités parmi leur public potentiel, désormais elles cherchent aussi à orienter une partie de leur action sociale vers la prévention de la dépendance en développant des services spécifiques (aides pour les déplacements, portage de repas à domicile, hébergement temporaire…). C’est par exemple le choix fait explicitement par la CNAV qui inscrit ses prestations dans une logique similaire à celle de l’APA en proposant des plans d’aide globaux pour les personnes âgées considérées comme autonomes ou faiblement dépendantes (GIR 5 et 6), mais qui peuvent nécessiter des soutiens spécifiques en rapport avec des besoins liés à l’âge ou la santé (Périnel, 1999). D’autres caisses de retraite (dont la CNRACL) ont engagé des réflexions afin de se positionner dans l’offre de services aux personnes en perte d’autonomie. Mettant en avant ce nouvel enjeu, elles tentent notamment de restructurer leur action sociale en limitant le poids des aides individualisées et en proposant, en contrepartie, une offre spécifique pour les personnes en difficulté, et notamment en situation de dépendance.
Cette contribution des caisses de retraite aux politiques sociales de la vieillesse, à travers le cas de la lutte contre la dépendance, n’est pas nouvelle. Néanmoins, force est de repérer ici une inflexion significative des termes de cette articulation. L’action sociale s’institutionnalise de plus en plus dans la continuité de l’aide sociale. Elle tend à devenir le relais de dispositifs sociaux en quête de nouvelles ressources pour prendre en charge des personnes aux marges des critères et barèmes nationaux. Certes, l’action sociale n’apporte pas d’aide directe aux bénéficiaires de l’APA, mais elle prolonge l’action des pouvoirs publics en agissant là où s’arrête l’aide sociale. En ce sens, elle peut être vue comme participant d’une dynamique de recomposition de l’action publique qui sollicite davantage la complémentarité entre les acteurs publics et para publics de la protection sociale. Dès lors, l’idée d’une autonomie des caisses de retraite est à relativiser. Au contraire, par les FAS des caisses de retraite, les pouvoirs publics disposent de marges adaptatives qui leur permettent de déléguer à d’autres acteurs, et selon d’autres modalités, certaines dépenses sociales. Cette complémentarité est toutefois masquée par une complexification des mécanismes de la protection sociale des personnes âgées, reposant désormais sur des niveaux qui se juxtaposent, voire se chevauchent : les unes, frappées à divers degrés d’incapacité, relèvent d’une aide sociale garantie par la puissance publique ; d’autres, aux ressources limitées, doivent se tourner vers des prestations connexes offertes par les caisses de retraite ; et, enfin, la grande majorité s’en tient aux mécanismes assurantiels auxquels peuvent parfois s’ajouter des couvertures complémentaires privées. On s’éloigne de plus en plus de la figure d’un mécanisme intégrateur pour se diriger vers des dispositifs « particularisants », mais néanmoins interdépendants. Dans ce cadre, en s’ancrant dans le système de protection sociale, l’action sociale perd en partie son caractère facultatif et discrétionnaire. Elle est alors contrainte de fonctionner de manière plus coordonnée avec les politiques publiques.

Le positionnement fragile des caisses de retraite

22Aujourd’hui, les caisses de retraite s’interrogent sur leur rôle fonctionnel. Elles voient le champ de leur action sociale conditionné par les nouveaux dispositifs d’action publique avec lesquels elles doivent s’articuler. Elles ont désormais à s’engager dans des négociations avec des acteurs publics et à s’impliquer dans des champs d’action plus polycentriques et territorialisés. L’un de leurs enjeux est donc de se positionner dans ces jeux comme des acteurs partenaires et de stabiliser leurs relations avec les institutions responsables des politiques de la vieillesse. Il s’agit de s’insérer dans les politiques locales de promotion des personnes âgées. Ainsi dans les caisses de retraite, la nécessité d’établir des « coopérations » pour une action plus « collective » et mieux « coordonnée » est souvent évoquée. Précisons qu’il ne s’agit là que de questionnements apparus récemment. C’est pourquoi nous avancerons ici prudemment dans la réflexion.

23Le domaine de la politique de la vieillesse n’a pas échappé à quelques tendances dominantes bien connues des spécialistes de l’analyse des politiques publiques. Il se caractérise notamment par une diversification des intervenants (institutions publiques, associations, caisses de retraite, secteur privé, professionnels, etc.). Pour certains analystes, ce polycentrisme s’est renforcé avec la décentralisation d’autant plus qu’aucun acteur n’apparaît en mesure de structurer le champ gérontologique (Argoud, 1998). De ce point de vue, « l’acte II » de la décentralisation vise une clarification en renforçant le rôle de coordination des départements en matière de politique sociale (Lafore, 2004). De surcroît, il semble bien que la mise en place des nouveaux dispositifs de lutte contre la dépendance participe d’une logique pluraliste de l’action publique. Caractéristiques des politiques qualifiées de constitutives par P. Duran et J.-C. Thœnig, ceux-ci se traduisent par des négociations territorialisées sur le contenu des plans d’aide, contrastant singulièrement avec la définition verticale et nationale des risques par la Sécurité sociale (Duran et Thœnig, 1996). À ce titre, le dispositif de l’APA sous-tend l’idée d’une approche globale des besoins passant par une mutualisation des moyens et une collaboration des différents protagonistes du champ gérontologique. Il en appelle à la mise en place de « partenariats locaux » entre les différents intervenants. Les départements sont, par exemple, invités à développer des conventions avec les organismes de Sécurité sociale et les caisses de retraite. Dès lors, les modalités concrètes prises par les politiques de la vieillesse deviennent étroitement conditionnées par les relations existant localement entre ces acteurs et, de fait, par les habitudes du travail coopératif (Le Bihan et al., 2000 ; Frinault, 2002).

24Ces nouveaux dispositifs d’aide publique constituent assurément un challenge pour l’action sociale des caisses de retraite. Ils poussent celles-ci à participer localement à la définition des plans d’aide, voire à l’évaluation des besoins des personnes âgées dépendantes, et à l’orientation des populations vers les prestations adéquates. Ils leur ouvrent des espaces de négociation avec les protagonistes institutionnels. Ils les invitent à repenser leur action sociale afin de s’inscrire dans la continuité des plans d’aide de l’APA en développant des aides moins individualisées et des services de proximité (transport des personnes, soutien à domicile, etc.). En participant à la lutte contre la dépendance, l’action sociale est donc appelée à ajuster ses prestations aux nouvelles normes de définition des besoins et des aides. Dans ce contexte, les caisses de retraite sont bien au cœur des recompositions de l’action publique. On comprend alors que leur enjeu soit de s’imposer comme des acteurs à part entière dans le champ gérontologique afin de ne pas seulement subir en bout de chaîne les effets de ces politiques. Comment s’articuler avec les dispositifs d’aide publique ? Comment définir une posture de coopération ? Aussi n’est-il pas anodin de remarquer que de nombreuses caisses de retraite ont engagé, à la suite de la mise en place de l’APA, des études sur leur action sociale. L’objectif est de se doter d’une stratégie non seulement pour redonner une cohérence à un ensemble de prestations sociales qui se sont souvent accumulées plutôt qu’intégrées, mais aussi pour se faire reconnaître comme un partenaire de l’action publique.

25Dans cette perspective, on peut signaler la tentative de la CNAV de peser sur le secteur de l’aide ménagère et plus généralement de l’aide de proximité en œuvrant au développement d’une offre de services uniformisée, en qualité et en coût, sur l’ensemble du territoire (Périnel, 1999). L’objectif est de contrôler la qualité des prestations offertes aux personnes âgées. Plus encore, une grande partie des responsables des FAS des caisses de retraite plaident pour un renforcement des coopérations à travers l’activation des centres locaux d’information et de coordination (CLIC) [21]. Par là, ils essaient d’adopter une posture volontariste dans les politiques sociales. Il s’agit de participer à la modernisation de l’aide aux personnes âgées en organisant à proximité une mise en réseau des informations et ressources des différents protagonistes du champ gérontologique. Loin d’être véritablement originale, cette exigence, que l’on retrouve dès l’origine de la politique de la vieillesse (Guisset et Puijalon, 2002), révèle un souci d’harmoniser des prestations sociales souvent hétéroclites. Appelées à participer aux nouvelles actions publiques, les caisses de retraite doivent s’orienter vers des services coûteux et délicats et dont la mise en œuvre excède bien souvent les capacités de chacune d’entre elles. C’est pourquoi elles s’efforcent de se positionner par la valorisation du registre de la coordination.

26D’aucuns, avec un certain optimisme, verront sans doute là une approche renouvelée, plus intégrée et plus coopérative, de la politique et des moyens gérontologiques remettant à plat les relations entre les institutions publiques et leurs partenaires. Mais force est ici d’être plus prudent dans l’interprétation d’initiatives balbutiantes qui restent fortement conditionnées par le soutien financier, décroissant au demeurant, que leur apportent les pouvoirs publics (Inserm, 2002). En outre, les normes restent encore largement déterminées par l’État. C’est dire si l’évolution de l’action sociale est difficilement compréhensible en dehors de ses rapports aux dispositifs d’action publique qui tendent à structurer, en retour, la nature et les modalités des prestations. Enfin, il faut signaler les risques d’une analyse trop généralisante. En effet, les capacités d’action des caisses de retraite sont loin d’être homogènes. Entre le régime général de la CNAV et d’autres caisses, l’écart est souvent important. Ces acteurs disposent de ressources hétérogènes qui conditionnent leur pouvoir d’influence. Peu décentralisée, et ne pouvant pas s’appuyer sur des relais locaux ni sur des équipes locales de travailleurs sociaux (à la différence par exemple de la Mutualité sociale agricole), la CNRACL a davantage été contrainte à la réorientation de son action sociale qu’à l’initiative de celle-ci. De même, le poids de la CNAV en termes de ressortissants explique en partie sa plus grande capacité à entrer dans des négociations avec les autorités publiques. Autrement dit, ce serait une erreur de parler d’un jeu équilibré entre protagonistes du champ gérontologique. Au cœur certes des politiques de la vieillesse, les caisses de retraite sont encore loin de fixer leurs propres orientations sociales indépendamment des autorités publiques.
* * *
En guise de conclusion, il est important de revenir sur le processus d’inscription de l’action sociale des caisses de retraite dans la protection sociale des personnes âgées. En offrant toute une palette de prestations, les caisses ont contribué à permettre à des franges de retraités de participer, dans certaines limites, à un mouvement d’intégration sociale. C’est bien pourquoi il est possible de considérer que cette action sociale représente l’une des marges adaptatives de « l’État social ». C’est en tout cas dans les interstices d’une politique sociale inachevée qu’elle a œuvré. En s’intégrant progressivement – bien qu’implicitement (dans la mesure où elle reste de nature extralégale et facultative) – au système de protection sociale, elle est venue compléter des politiques de la vieillesse marquées, depuis l’origine, par des objectifs ambitieux. Plus généralement, elle a accompagné leur évolution. Dès lors, dans un contexte de maîtrise des dépenses et de restructuration des politiques sociales, elle a suivi la pente dominante consistant à rétrécir le champ de l’intervention sociale autour de nouvelles priorités. Concomitamment aux dispositifs d’action publique, l’action sociale cherche désormais, au nom d’un principe d’équité, à se centrer sur les personnes âgées les plus en difficulté. Aussi l’enjeu réside-t-il dans la délimitation de ces populations, ce qui explique le soin apporté à préciser l’évaluation des besoins. Reste que, dans ce recentrage, l’action sociale ne fait bien souvent que compenser partiellement la réduction des prestations légales. Par exemple, les aides santé offertes par certains FAS n’ont plus véritablement pour effet d’accroître les ressources disponibles de leurs bénéficiaires, mais avant tout de pallier les effets d’une diminution des dépenses non remboursées par la Sécurité sociale ni prises en charge totalement par d’éventuelles mutuelles. Dans le contexte de restriction de l’accès à l’APA, une autre tendance pointe : l’action sociale des caisses de retraite apparaît comme une réponse possible pour des populations écartées des aides sociales et qui n’ont pas eu les moyens suffisants pour s’offrir une couverture complémentaire (comme les assurances prévoyance). En voyant le champ de ses bénéficiaires se rétrécir, elle tend à s’institutionnaliser comme un registre incontournable de la protection sociale. De là se met en place une architecture plus segmentée de la protection sociale entérinant une division entre différents types de prestations.
L’évolution de l’action sociale est bien le révélateur d’une recomposition de la protection sociale qui s’opère tant au centre qu’aux marges du système légal, notamment pour les populations précarisées ou susceptibles de l’être. Sans renoncer véritablement à leur rôle directeur, les institutions publiques délèguent ou laissent à des acteurs périphériques le financement et la gestion de pans importants de la protection sociale des personnes âgées. Force est de constater une imbrication de plus en plus étroite de l’aide et de l’action sociales dont les frontières se brouillent. Si l’État « post-providence » prend progressivement ses distances avec le principe d’universalité des prestations pour une action centrée sur les situations « urgentes », l’action sociale tend à perdre, en retour, son autonomie et à devoir s’articuler au plus près des politiques publiques de la vieillesse. C’est donc bien d’une reconfiguration de la solidarité, tant dans ses principes que dans ses modalités, dont il est question.

Notes

  • [*]
    Stéphane Cadiou, docteur en science politique, rattaché au CERVL – Pouvoir, action publique, territoire à l’Institut d’études politiques de Bordeaux.
  • [**]
    Bernard Gagnon, docteur en philosophie politique ; professeur en éthique à l’université du Québec à Rimouski. (Canada).
  • [1]
    Avec l’émergence de FAS dans les caisses de retraite, d’aucuns craignaient notamment de voir se développer une nouvelle forme d’assistance caritative contrairement à la tendance générale qui, depuis 1945, devait consacrer la solidarité assurantielle.
  • [2]
    Ainsi le décret du 29 novembre 1953 transforme l’assistance publique en aide sociale. De même, peut-on noter qu’à partir de 1962 l’aide ménagère devient une prestation sociale légale à la charge des départements pour les personnes âgées bénéficiaires du Fonds national de solidarité.
  • [3]
    Qui gère l’assurance vieillesse du régime agricole.
  • [4]
    Qui gère l’assurance vieillesse du régime général.
  • [5]
    L’article 1er du règlement fondateur du FAS de la CNRACL stipule que « le Fonds d’action sociale a pour but […] de servir :
    • des prestations et aides à caractère social identiques à celles qui sont prévues pour les fonctionnaires retraités de l’État ;
    • des aides et secours exceptionnels à caractère individuel motivés par des difficultés financières, des événements imprévus ou des circonstances particulières ».
  • [6]
    Comme le souligne Anne-Marie Guillemard, « en annonçant les grandes lignes d’une véritable prophylaxie préventive du vieillissement, le rapport Laroque définit les principes généraux d’un nouveau mode de gestion de la vieillesse, en contradiction avec la logique d’assistance qui prévalait encore » (Guillemard, 1980, p. 36).
  • [7]
    En 2003, le rapport démographique était de 2,5 cotisants pour un retraité à la CNRACL. Toutefois, comme pour la majorité des régimes de retraite, il décroît d’année en année ; il était de 3,59 en 1990.
  • [8]
    Sur la catégorie du « troisième âge », cf. Lenoir, 1979.
  • [9]
    En 2001, 9,5 % des retraités de la CNRACL bénéficiaient d’une ou de plusieurs aides du FAS, ce pourcentage est monté à 10 % en 2002 et est redescendu à 7,5 % en 2003, suite à un resserrement des barèmes. De même, plus de la moitié des 656 000 retraités de la CNRACL avaient, en 2001, une pension mensuelle comprise entre 915 et 1 524 euros, et seuls 11 % des ressortissants touchaient une pension supérieure à 1 524 euros. La faiblesse des pensions s’explique en grande partie par les durées de cotisation, souvent limitées pour les catégories sociales les plus dominées (et en premier lieu pour les femmes). À titre d’exemple, notons que 45 % des personnels de catégories C sont partis à la retraite en 2001 avec seulement 60 à 99 trimestres validés.
  • [10]
    Mentionnons également qu’environ 28 % de ce budget concerne les aides ménagères. À titre de comparaison, en 2003, le budget de l’action sociale de la CNAV s’élevait à 285 M €, dont 200,5 M € consacrés aux seules aides ménagères qui concernent un peu plus de 300 000 bénéficiaires.
  • [11]
    Autrement dit, les retraités tendent à intégrer ces aides sociales dans leurs ressources pour faire face non seulement aux aléas, mais aussi aux dépenses régulières « du quotidien ».
  • [12]
    On sait que cette représentation sociale de la retraite comme période de consommation a été au fondement d’un développement du marché des loisirs et services pour personnes âgées, ayant pour effet de construire l’image du retraité actif. Reste que parmi les couches populaires, la retraite est encore largement envisagée comme une période de repos donnant lieu bien souvent à un repli sur le domicile. Sur les conduites de retraité, voir aussi Murard, 2003, p. 77-98 ; R. Hoggart, 1970, p. 68.
  • [13]
    En dépit d’une indéniable progression du montant des ressources des retraités (et en premier lieu de leurs pensions) subsistent de grandes disparités révélant toujours l’existence de vastes couches de retraités aux revenus faibles, voire très faibles. Sur ce point, cf. Coëffic, 2000. Cette faiblesse des ressources constitue une dimension saillante dans le cas de la CNRACL en raison de la forte proportion de femmes (71 % des pensionnés) qui, on le sait, tendent à avoir des carrières plus courtes et à bénéficier de salaires plus faibles que les hommes.
  • [14]
    Ajoutons que dans notre travail de catégorisation, nous avons été amenés à distinguer ces demandeurs autonomes et routiniers de deux autres situations types : les demandeurs fragiles, ayant un rapport erratique avec les institutions sociales, et les (non-) demandeurs marginaux qui ne bénéficient pas, pour diverses raisons, des aides auxquelles ils pourraient légitimement avoir accès.
  • [15]
    Pour la même période, le budget du FAS de la CNRACL est passé de 86,3 M € en 2002 (le montant dépassait alors les prévisions établies à 75,7 M €) à 59,6 M € en 2003.
  • [16]
    Le non-recours aux prestations est resté un phénomène longtemps méconnu (ou occulté) des administrations et des chercheurs. Il renvoie aux personnes « éligibles » aux aides sociales, mais qui ne formulent pas de demande. Ce n’est que récemment,malgré quelques textes isolés, que cette question est apparue comme un enjeu de gestion. On se reportera notamment aux travaux menés par la CNAF (Caisse nationale des allocations familiales, 1996). Lire aussi : Catrice-Lorey, 1976.
  • [17]
    Pour un aperçu sur cette littérature, cf. Martin, 1998 et 2003 ; Borgetto et Lafore, 1996 ; Kessler, 1995.
  • [18]
    Sur les raisons qui ont milité en faveur de cette option, cf. T. Frinault, 2003 et Attias-Donfut, 1992. Il est prévu que « dans les prochaines années, les dépenses en direction des personnes âgées seront constituées à plus de 80 % par l’APA. Celle-ci représentera environ 20 % du total des dépenses nettes d’action sociale départementale et constituera une part importante de leur évolution », Lettre ODAS, « Allocation personnalisée d’autonomie : premiers bilans et premières perspectives », 2003, p. 6.
  • [19]
    La CNSA devrait recueillir deux milliards d’euros en 2005 ; elle consacrera 1,2 milliard aux personnes âgées et 800 000 aux personnes handicapées. Les recettes proviendront principalement d’une cotisation de 0,3 % assise sur la masse salariale que le gouvernement entend récolter par la suppression d’une journée de congé.
  • [20]
    La loi sur l’APA et, à sa suite, celle sur la CNSA déterminent le montant de la participation des caisses de retraite en relation aux sommes consacrées par chacune d’entre elles aux dépenses d’aide ménagère à domicile au bénéfice des personnes âgées dépendantes pour l’année 2000, soit avant l’instauration de l’allocation personnalisée d’autonomie. Pour les FAS des caisses de retraite, cette participation se traduit de façon disparate. Ainsi la CNAV, avec une contribution de 38 M € au FFAPA, assume à elle seule près de 40 % de la part des caisses de retraite – cela représente 13,5 % de ses dépenses en action sociale – alors que la CNRACL ne verse que 0,03 % du montant total de son action sociale au FFAPA, soit une somme équivalent à 178 000 €.
  • [21]
    Définis dans la loi de juillet 2001 relative à l’APA, les CLIC ont depuis fait l’objet de circulaires visant à organiser des expérimentations à l’échelle de bassins de vie.
Français

Résumé

Les politiques sociales connaissent de profondes restructurations qui affectent tant les interventions de l’État que les prestations sociales offertes par d’autres institutions. Dans ce cadre, cet article se concentre sur l’évolution de l’action sociale des caisses de retraite en examinant son rôle dans le système de gestion de la vieillesse. En proposant aux retraités toute une série d’aides plus ou moins innovantes, l’action sociale répond aux ambitions généralistes de la politique nationale de la vieillesse mise en place depuis les années soixante-dix. Elle participe à l’intégration sociale des retraités et constitue de fait un complément aux transferts assurantiels. Néanmoins, elle est aujourd’hui prise dans une dynamique de redéfinition de ses priorités en se ciblant avant tout sur les populations les plus démunies. Cette évolution permet de s’interroger sur les transformations de la protection sociale et notamment sur les tensions entre l’universalité des prestations sociales et l’assistance aux plus défavorisés.

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Stéphane Cadiou [*]
Docteur en science politique, il est rattaché au CERVL – Pouvoir, Action publique, Territoire – à l’Institut d’études politiques de Bordeaux. Il a consacré ses travaux à l’expertise dans le gouvernement des villes, et a publié plusieurs ouvrages et articles sur la politique de la ville.
  • [*]
    Stéphane Cadiou, docteur en science politique, rattaché au CERVL – Pouvoir, action publique, territoire à l’Institut d’études politiques de Bordeaux.
Bernard Gagnon [**]
Docteur en philosophie politique. Après avoir été enseignant/chercheur invité au Centre de recherche et d’étude sur le Canada en sciences sociales de l’Institut d’études politiques de Bordeaux, il est actuellement professeur en éthique à l’université du Québec à Rimouski. Il est l’auteur d’un ouvrage sur la philosophie morale et politique de Charles Taylor.
  • [**]
    Bernard Gagnon, docteur en philosophie politique ; professeur en éthique à l’université du Québec à Rimouski. (Canada).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
https://doi.org/10.3917/rfas.053.0007
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