1Dans l’Union européenne, en 2002, une personne en âge de travailler sur six déclare avoir un problème de santé ou un handicap de longue durée. Les proportions sont sensiblement plus élevées au Royaume-Uni et aux Pays-Bas où plus d’une personne sur quatre se déclare handicapée (respectivement 27,2 % et 25,4 %) et en Suède où c’est le cas d’une personne sur cinq (19,9 %). En revanche, en Allemagne, en Espagne, la part de la population se considérant atteinte d’un handicap est nettement plus faible : 11,2 % et 8,7 %. Les écarts importants observés entre pays sont à mettre en partie au compte de représentations culturelles différentes du handicap mais semblent également liés au développement des dispositifs de prise en charge et à leur étendue (Dupré et Karjalainen, 2003).
2Un certain nombre d’orientations communes ont été impulsées par les organisations internationales. L’Union européenne considère le handicap comme un concept social et met l’accent sur les obstacles environnementaux. Elle entérine ainsi une évolution conceptuelle, d’une notion médicale du handicap à une notion sociale qui revient à définir le handicap non pas comme inhérent à la personne mais comme l’effet des obstacles que celle-ci rencontre en raison des difficultés d’accès dans son environnement. Une telle évolution conduit à mettre l’accent prioritairement sur la non-discrimination et sur l’accessibilité plutôt que sur la réparation, l’appareillage et la réadaptation.
3Il n’existe pas de définition unique du handicap en Europe. Même à l’intérieur d’un pays, plusieurs définitions coexistent en général, en fonction des prestations. Le handicap est une notion générique qui peut regrouper des populations très hétérogènes. Conduire une comparaison au niveau international n’est pas chose aisée. En effet, les populations concernées ne sont pas les mêmes et les pratiques sont largement influencées par le contexte culturel, social et économique spécifique à chaque pays. La représentation du handicap et la manière dont il est perçu par le public, les décideurs et les personnes handicapées elles-mêmes modifient le choix et la conception des politiques.
4De plus, les politiques en faveur des personnes handicapées sont largement imbriquées dans l’ensemble des politiques sociales menées au sein de chaque pays, qu’il s’agisse des politiques de santé, d’emploi, de lutte contre la pauvreté, du logement, mais aussi du transport et même des politiques fiscales. Il apparaît donc parfois difficile de les analyser de façon isolée. D’autant que de nombreux facteurs influent sur ces politiques, tels par exemple la démographie, les changements du marché du travail, l’évolution technologique, rendant plus difficile encore l’exercice de comparaison.
Dans cet article qui porte sur cinq pays, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède, nous nous attacherons aux grandes tendances et aux dynamiques qui marquent aujourd’hui les politiques en faveur des personnes handicapées : non-discrimination, évolution vers des « politiques d’activation », décentralisation, privatisation.
La non-discrimination comme fondement des politiques
5Après avoir été longtemps axée sur la reconnaissance et la protection des droits des personnes handicapées, la politique européenne s’oriente désormais vers le refus de toute discrimination.
6L’un des textes fondamentaux est constitué par l’article 13 du traité d’Amsterdam (1997) qui contient une clause explicite de non-discrimination, notamment en raison du handicap. Dans ce cadre, la directive du Conseil du 27 novembre 2000 portant « création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail », définit le concept de discrimination directe ou indirecte, précise la notion d’aménagements raisonnables sur le lieu de travail et fait porter à l’employeur la charge de la preuve de la non-discrimination. La directive laisse aux États membres le soin de déterminer les sanctions applicables en cas de violation de la loi. Ces derniers avaient jusqu’au 2 décembre 2003 pour se mettre en conformité avec cette directive.
7La Charte des droits fondamentaux protège de façon spécifique les droits des personnes handicapées et son inclusion proposée dans le futur traité de l’Union européenne constitue, à cet égard, une avancée importante. En effet, cette charte rend les droits politiques, économiques et civils indissociables des droits sociaux. L’article 26 reconnaît comme droit fondamental le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et la participation à la vie de la Communauté.
8Généralement, les dispositions interdisant toute discrimination en raison du handicap sont complétées par des mesures visant à rendre l’environnement accessible aux personnes handicapées. En effet, le concept de non-discrimination est étroitement lié au modèle social du handicap.
Un concept dont l’incidence varie sensiblement…
9L’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède, et récemment l’Espagne, ont tous adopté des lois de non-discrimination mais à des dates différentes.
10Ainsi, dès 1995, le Disability Discrimination Act (DDA) devient, au Royaume-Uni, l’un des fondements de sa politique en faveur des personnes handicapées, à l’instar du modèle américain. Le DDA retient comme définition « les personnes souffrant d’une déficience physique ou mentale qui a un effet substantiel à long terme sur ses possibilités à mener des activités normales de la vie quotidienne ». Cette définition a suscité de nombreuses interprétations compte tenu des difficultés à cerner certaines déficiences, en particulier mentales, à mesurer leur étendue (la loi utilisant le terme « substantielles »). De plus, la référence à des activités de la vie quotidienne qui excluait implicitement le champ du travail a limité son application.
11Les critiques contre ce texte portaient aussi sur le fait qu’il ne s’appliquait qu’aux entreprises de plus de vingt salariés et que certaines professions et certains handicaps ne relevaient pas de son champ d’application. La charge de la preuve était laissée à la personne discriminée. De fait, les tribunaux se sont montrés assez réticents pour reconnaître la discrimination : moins de 30 % des recours ont donné raison au plaignant handicapé [1].
12Dans l’esprit des législateurs britanniques, il ne s’agissait nullement de contraindre juridiquement les employeurs et encore moins de les sanctionner mais bien plutôt de les persuader d’adopter des « codes de bonne conduite » à l’égard des personnes atteintes de handicap. Selon Patricia Thornton et Neil Lunt (1995), l’objectif de la loi de 1995 était « moins de redresser le désavantage structurel de la population handicapée sur le marché du travail » que de « conduire les employeurs à reconnaître les capacités de cette population ».
13Il est intéressant de noter que cette loi qui se réfère à une définition médicale du handicap relève aussi du modèle social du handicap par la notion d’ajustement raisonnable du poste de travail par l’employeur.
14Depuis 2004, la loi a été étendue aux domaines exclus auparavant, la charge de la preuve a été modifiée pour tenir compte des critiques des experts mais aussi du texte de la directive européenne. Les pouvoirs de la Disability Rights Commission ont été également accrus afin de lui donner un rôle de médiateur.
15De façon paradoxale, le principe de non-discrimination a été adopté tardivement en Suède mais il était, en réalité, implicite à la politique d’intégration menée par les pouvoirs publics depuis une trentaine d’années. Ce n’est qu’en 1999 qu’une nouvelle loi interdit explicitement la discrimination en matière d’emploi, de salaire et de formation professionnelle des personnes handicapées ayant des incapacités fonctionnelles durables. Cette loi a été élargie en juillet 2003 et fait actuellement l’objet d’une évaluation. Des auteurs comme Dimitris Michailakis (2003) considèrent ce recours à la non-discrimination comme une régression néolibérale par rapport aux avancées réalisées dans ce pays. Le même auteur (Michailakis, 2000) critique aussi cette loi dans la mesure où la non-discrimination posée comme principe absolu aboutit, en fait, à des inégalités de traitement, l’employeur ayant intérêt à engager une personne sans incapacité qui, à qualification équivalente, lui paraîtra souvent plus autonome ou plus efficace dans un marché soumis à la concurrence.
16En Allemagne, la loi sur l’égalité des chances des personnes handicapées de 2002 ne porte que sur les personnes les plus sévèrement handicapées (50 % au moins d’incapacité), ce qui peut poser question quant à la transposition « correcte » de la directive européenne de 2000. La même question peut se poser pour la loi espagnole sur « l’égalité des chances, la non-discrimination et l’accessibilité universelle des personnes handicapées » adoptée en 2003 qui ne s’applique qu’aux personnes ayant une incapacité reconnue d’au moins 33 %. Il convient toutefois de préciser que la directive européenne ne contient aucune définition précise du handicap ce qui laisse toute latitude aux États pour déterminer le champ d’application du texte.
17Les Pays-Bas se sont mis également en conformité avec la directive européenne, en 2003, avec une loi spécifique sur l’égalité de traitement pour les personnes handicapées et malades chroniques. Les aménagements requis en matière de formation et d’emploi ne sont exigibles par la personne handicapée que s’ils ne sont pas « disproportionnés » par rapport aux moyens de l’entreprise. C’est à l’employeur de démontrer qu’il n’a pas agi en contradiction avec la loi.
… et à portée limitée
18On voit bien l’ambiguïté de toute politique de non-discrimination dans la mesure où il est assez difficile d’identifier ce qui relève ou non de l’« aménagement raisonnable ». Dans le Disability Discrimination Act anglaise de plus, la disposition relative à l’environnement favorable qui devrait permettre à la personne handicapée de concurrencer l’ensemble des travailleurs est applicable « dans la mesure du raisonnable ». Ce qui limite assez sensiblement la portée du texte. La logique de la loi serait d’arriver à une adaptation personnalisée pour chaque travailleur handicapé. Dans le même temps, regrettent certains experts (Thornton et Lunt, 1995), l’adaptation d’un poste à un type de handicap peut exclure de fait les personnes souffrant d’un autre handicap, générant ainsi une nouvelle discrimination indirecte malgré les intentions de l’employeur.
Les législations de non-discrimination ne rompent pas pour autant avec les dispositifs spécifiques en faveur des personnes handicapées, en particulier concernant le travail protégé. Deux types de conception des politiques du handicap ont longtemps coexisté et se sont superposés dans l’Union européenne. Dans certains pays comme le Royaume-Uni, la politique s’est fondée sur la législation antidiscrimination alors que d’autres pays, comme les Pays-Bas, l’Espagne, avaient plutôt privilégié des dispositifs d’assistance sociale. L’adoption généralisée de législation de non-discrimination, n’a pas encore modifié totalement ces différences entre États. Patricia Thornton [2] a raison de souligner, dans ce même numéro, que la volonté exprimée par certains pays de réduire le nombre de bénéficiaires de prestations d’invalidité les conduit souvent à développer de nouveaux programmes spécifiques malgré leur désir affiché de « mainstreaming » ; et bien que rien ne permette de prouver que ces programmes soient plus efficaces que le recours au droit commun.
Le passage de politiques « d’assistance » à des politiques « dites actives »
19À l’exception de l’Espagne, les politiques menées dans les quatre autres pays se sont orientées vers une restriction de l’accès aux pensions d’invalidité dont les dispositifs avaient été largement utilisés pour « maintenir » en inactivité les travailleurs les plus âgés ou ceux jugés difficilement insérables. Parallèlement les Pays-Bas, la Suède, l’Allemagne, l’Espagne et le Royaume-Uni ont mis en place de nombreuses dispositions incitatives à la formation et à l’emploi des personnes handicapées.
20Le nombre de bénéficiaires de l’invalidité dépend largement de l’accès aux autres programmes destinés aux personnes sans emploi (chômage, préretraites) ainsi que de leur générosité. Au Royaume-Uni, par exemple, le dispositif d’invalidité a été plus largement utilisé lorsque les conditions d’entrée dans les autres dispositifs ont été restreintes. La fusion des deux ministères Emploi et Sécurité sociale (Department of Work and Pension) souligne la volonté des pouvoirs publics de contrôler l’ensemble du système et de promouvoir l’insertion dans l’emploi avant toute attribution d’allocation. Cette fusion est également réalisée progressivement au niveau local avec la création des Jobcentreplus.
Une volonté de réduire le nombre de pensionnés d’invalidité
21Comme le souligne Christopher Prinz dans son rapport pour l’OCDE (OECD, 2003), globalement les quinze dernières années auront été « une période de forte expansion des mesures d’intégration dans l’emploi accompagnée d’une certaine contraction des transferts compensatoires » (cf. figure 1). C’est aux Pays-Bas que cette évolution a été la plus marquée. Philip de Jong [3] donne les principaux résultats des politiques récentes : ainsi, entre 1990 et 2000, le nombre d’arrêts maladie a chuté de 25 %, les dépenses relatives aux pensions d’invalidité ont baissé de 26 % et ne représentent plus que 2,5 % du PIB contre 3,4 % dix ans auparavant. Par ailleurs, entre 2001 et 2003, les taux d’entrée dans le dispositif d’invalidité sont tombés de 37 %. En septembre 2004, il restait toutefois 964 000 personnes bénéficiaires de prestations invalidité sur une population active d’un peu moins de 11 millions de personnes.
Évolution des politiques de compensation et d’intégration dans les pays de l’OCDE (1985-2000)

Évolution des politiques de compensation et d’intégration dans les pays de l’OCDE (1985-2000)
22Aux Pays-Bas, la générosité du dispositif d’invalidité, créé en 1966, avait conduit à un afflux de bénéficiaires, en raison de son utilisation par les employeurs pour écarter les salariés devenus moins productifs et du niveau moindre des prestations de chômage. Dès lors, toute la politique dans le domaine du handicap a pu se résumer, à compter de 1986, comme une longue « bataille contre le nombre » (Van Oorschot et Boos, 2000) de pensionnés d’invalidité. On assiste ainsi à une succession de législations qui visent toutes à restreindre l’accès aux prestations et à responsabiliser les employeurs.
23À partir de 2006, un nouveau seuil de 35 % d’incapacité se substitue au taux précédemment retenu de 15 % pour l’attribution de la principale allocation d’invalidité. La nouvelle loi sur l’invalidité, qui entrera en application à cette date, modifie la conception du handicap en mettant l’accent sur la capacité de travail résiduelle au lieu de la perte de revenu, retenue dans le dispositif antérieur. La loi fait une distinction nouvelle entre les personnes invalides dont la capacité de gain ne dépasse pas 20 % de leur dernier salaire, de façon permanente, qui toucheront une pension et les personnes qui ont perdu moins de 35 % de leur capacité de gain et pour lesquelles aucune allocation n’est prévue. Pour ces dernières, l’employeur devra trouver une solution de reclassement. En cas d’échec, l’assurance chômage prendra le relais. Pour les personnes dont la capacité de gain se situe entre 35 % et 80 % de leur revenu antérieur, des dispositions sont prévues pour les inciter à continuer à travailler : compléments de salaires pour la personne handicapée, exonération d’une partie de ses obligations en matière de cotisations pour l’employeur et, éventuellement, paiement de l’indemnité maladie en cas de rechute du salarié. La personne partiellement handicapée qui ne travaille pas ou a cessé de travailler peut avoir droit à un pourcentage du salaire minimum calculé en fonction de la gravité de son handicap. Enfin, un nouveau système d’assurance pour les accidents du travail, qui n’existait pas jusque-là, est créé.
24Toute cette nouvelle législation ne concerne pas les personnes âgées de 55 ans et plus, pour qui l’ancien dispositif (WAO), nettement plus intéressant, subsiste. Cette exception montre clairement la volonté du gouvernement de ne pas contraindre cette classe d’âge à retrouver un emploi.
25Le gouvernement néerlandais escompte de ces mesures, outre la remise au travail d’une partie de la population la plus jeune, une économie de 1,7 milliard d’euros [4].On peut s’attendre à un fort accroissement du travail à temps partiel parmi les personnes handicapées ou peu insérables dans l’emploi. Enfin, on peut se demander comme le fait Philip de Jong [5], si ces restrictions apportées dans les conditions d’attribution de pensions d’invalidité ne conduiront pas à un accroissement du nombre de bénéficiaires de l’assurance chômage.
En Allemagne, comme le souligne Viebrok Holger (2003), la distinction entre le risque invalidité et le risque chômage est difficile à établir car le concept d’invalidité inclut des critères relatifs à la situation du marché du travail. Deux décisions de la Cour fédérale sociale, en 1969 et en 1976, avaient imposé, dans l’interprétation de la législation, le concept de « situation concrète » considérant que lorsque les chances d’un salarié de retrouver un emploi étaient faibles, cette personne pouvait légitimement prétendre à une pension d’invalidité. À partir de 1984, diverses mesures sont prises pour restreindre l’accès aux prestations. Les périodes de travail nécessaires pour ouvrir droit à une pension sont augmentées, entraînant un afflux de demandes, avant l’entrée en application de ce texte, surtout de la part de femmes ayant peu cotisé. Dans les années quatre-vingt-dix, d’autres dispositions tendent à réduire le montant des prestations d’invalidité en cas de cumul avec d’autres prestations ou avec un revenu.
Nombre de pensionnés d’invalidité en Allemagne

Nombre de pensionnés d’invalidité en Allemagne
26La dernière réforme, en date de 2001, change les règles d’évaluation de l’incapacité qui n’est plus mesurée en fonction de l’ancienne activité mais par rapport à une aptitude théorique à travailler. Mais surtout cette réforme restreint fortement les règles d’accès à l’invalidité. La pension n’est plus attribuée qu’en cas d’incapacité définitive et pour une durée maximale de trois ans. Deux seuils sont prévus qui ouvrent droit à des montants de prestation différents ; les personnes qui ne peuvent travailler plus de trois heures par jour sont considérées comme totalement handicapées et reçoivent donc une pension à taux plein ; celles qui sont susceptibles de travailler de trois à six heures sont considérées comme partiellement handicapées et ont droit à une demi-pension. Les personnes capables de travailler plus de six heures par jour dans des conditions normales de travail ne peuvent être considérées comme invalides. En contrepartie de ces mesures restrictives, la pension pour incapacité de travail a été étendue aux travailleurs indépendants.
27Depuis 1984, le nombre de personnes titulaires de pensions d’invalidité a très fortement diminué en Allemagne, comme on peut le constater sur le graphique plus haut. Cependant, on peut se demander si les réformes qui ont affecté récemment le régime chômage, jointes à la suppression de la plupart des systèmes de préretraite ne risquent pas de conduire rapidement à une nouvelle croissance du nombre de bénéficiaires des prestations d’invalidité.
28En Suède, jusqu’en 1997, la pension retraite anticipée/invalidité a été utilisée comme dispositif de sortie du marché du travail pour les travailleurs âgés de 58 ans et trois mois au chômage. De plus, les personnes âgées de 60 ans parvenues en fin de droit de l’allocation chômage touchaient cette pension. La réforme du système de pension d’invalidité mise en place en janvier 2003 (Cohu, Lequet-Slama et Velche, 2003) dont le principal objectif était de réduire l’utilisation du dispositif pour sortie anticipée de la vie active n’a pas eu les résultats escomptés. Fin 2003, le nombre de personnes bénéficiaires des deux pensions d’invalidité est passé de 480 000 en décembre 2002 à 507 000. À ce chiffre, il convient d’ajouter les personnes touchant des indemnités maladie depuis plus d’un an, soit 135 000 personnes [6]. Globalement, cela signifie que 11,4 % de la population active est absente du marché du travail. Le fait le plus inquiétant est le rajeunissement de la population bénéficiaire de ces prestations.
29Au Royaume-Uni, l’action des pouvoirs publics pour freiner les demandes de pensions d’invalidité a été essentiellement dissuasive jusqu’à aujourd’hui. Le Green Paper publié en 2002, indiquait que 700 000 personnes bénéficiaires de prestations d’invalidité souhaitaient (re)trouver un emploi mais craignaient de perdre ainsi leurs droits à des allocations. Des mesures de cumul partiel entre un emploi et une allocation ont donc été adoptées. Par ailleurs, de nouvelles dispositions rendent obligatoires l’entretien préalable, avec un conseiller spécialisé (Disability Employment Adviser) avant toute demande d’allocation. Cet entretien, intitulé Work Focused Interview, est centré comme son nom l’indique, sur le travail et a pour objectif d’étudier, la possibilité pour le demandeur d’occuper un emploi. En cas d’attribution d’une prestation, la personne bénéficiaire devra, en tout état de cause, avoir un entretien de suivi obligatoire tous les trois ans. Seules sont exemptées de ces formalités les personnes présentant un handicap très sévère. Enfin, une expérimentation est en cours sur six régions depuis avril 2003 pour inciter les employeurs à intervenir rapidement en cas de congés maladie de leurs salariés afin de prévenir le passage au régime d’invalidité. Une première évaluation de cette expérimentation a été réalisée en 2004 (Nice et Thornton, 2004).
En février 2005, le ministre de l’Emploi et de la Sécurité sociale (Work and Pension) s’est déclaré favorable à la suppression des pensions d’invalidité pour les personnes handicapées qui refuseraient de se soumettre à l’obligation d’entretien d’orientation.
Une convergence autour de l’objectif d’insertion dans l’emploi en milieu ordinaire
30Le thème du retour à l’emploi domine, depuis quelques années, la totalité des réformes récentes. De manière caractéristique, le recours à des politiques contraignantes pour réduire l’afflux de nouveaux ayants droit à la pension d’invalidité s’est accompagné aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Suède et en Allemagne d’efforts destinés à aider les personnes en invalidité à reprendre un emploi.
31Dans les cinq pays, en théorie, la préférence est donnée aujourd’hui à l’emploi en milieu ordinaire. Bien que, selon Patricia Thornton et Neil Lunt (1997), la moitié des quinze États membres de l’Union européenne aurait étendu le recours au travail protégé, notamment en Espagne et que le dernier rapport de l’OCDE (OECD, 2003) constate qu’il n’y a aucun signe de réduction du travail protégé.
32Au Royaume-Uni, depuis 1997, l’approche du gouvernement travailliste se fonde sur une démarche générale intitulée Welfare to Work, politique axée sur le passage de l’aide sociale au travail et dont l’instrument essentiel est constitué par les New Deals pour tous les groupes en difficulté. Pour les personnes handicapées, la participation à ce programme (New Deal for Disabled People) n’est pas encore obligatoire, contrairement aux autres programmes destinés aux jeunes, aux parents isolés et aux chômeurs de longue durée. Cette politique d’activation, qui va de pair avec une réduction de l’attractivité des prestations sociales de chômage et d’invalidité, est constituée de deux volets : un accompagnement à la recherche d’emploi, et la mise en place de conditions rendant la rémunération plus attractive que les allocations (Making work pay). En Grande-Bretagne, ce volet s’est accompagné de la création d’un salaire minimum (1999) et de l’instauration de crédits d’impôt (Working Tax Credit).
33Un peu plus de 120 000 personnes ont participé au programme New Deal pour les personnes handicapées depuis 2001 avec une majorité d’hommes assez forte (plus de 65 %). Parmi cette population, environ 55 000 auraient (re)trouvé un emploi. Les 35-49 ans sont la catégorie la plus nombreuse dans ce programme. En septembre 2004, 81 500 personnes handicapées bénéficient de ce programme qui a été prolongé jusqu’en mars 2006 [7].
34Aux Pays-Bas, la loi REA de 1998 met en place des incitations pour les employeurs par le biais de réductions de leurs cotisations, du financement du salaire de la personne handicapée nouvellement embauchée pendant une durée de six mois. Le salarié a droit à des aides à l’insertion (formation, placement à l’essai, allocation de réintégration) et même éventuellement à un budget personnalisé pour financer sa réinsertion. En 2001, 57 000 travailleurs salariés et 50 000 employeurs ont bénéficié de certaines dispositions de cette loi.
35En 2003, des mesures très contraignantes pour les chefs d’entreprise ont été adoptées. La loi WVP impose à l’employeur, à défaut d’un reclassement dans son entreprise, de proposer à ses employés malades une réinsertion dans une autre entreprise sous peine de sanctions.
36En Suède, une mesure similaire existe déjà : l’employeur qui a la charge financière des vingt et un premiers jours demaladie, a l’obligation d’examiner toutes les possibilités de réinsertion d’un employé qui aurait été malade quatre semaines ou six fois en douze mois.
37Par ailleurs, comme aux Pays-Bas, les employeurs reçoivent des aides financières qui couvrent leurs charges salariales, en partie ou en totalité, selon la sévérité du handicap de la personne employée.
En Espagne et en Allemagne également, des mesures de réductions de cotisations ont été mises en place, accompagnées d’octroi de subventions. Les employeurs allemands qui embauchent des personnes sévèrement handicapées (plus de 50 % d’incapacité), présentant des besoins d’aide spécifiques, peuvent obtenir 70 % de subventions salariales pendant trois ans et même pendant huit ans si elles sont âgées de plus de 50 ans. Le licenciement d’un travailleur handicapé est soumis à un accord préalable de l’administration. Pour les employeurs allemands, ce dispositif contraignant les empêcherait d’embaucher alors que les informations sur les recours semblent montrer que les demandes de licenciements sont le plus souvent approuvées par les autorités.
Quotas d’emploi et travail protégé
38L’adoption de législations de non-discrimination n’a pas aboli la suppression de mesures spécifiques destinées à favoriser les personnes handicapées. En matière d’emploi, il subsiste dans de nombreux pays européens, des quotas d’emploi imposés aux employeurs pour les travailleurs handicapés. Ces quotas sont différents d’un pays à l’autre tant sur le pourcentage (2 % en Espagne pour le secteur privé et 3 % pour le secteur public, 5 % en Allemagne) que sur le seuil d’assujettissement (entreprises de plus de vingt salariés en Allemagne, plus de cinquante salariés en Espagne). Aux Pays-Bas, les quotas sont des objectifs à atteindre volontairement. En Allemagne, l’obligation légale d’emploi des personnes handicapées ne s’applique qu’aux personnes ayant un degré de handicap supérieur à 50 %. Toutefois, les personnes dont le degré de handicap est compris entre 30 et 50 % peuvent demander à en bénéficier. Un salarié handicapé peut représenter de un à trois postes de travail dans le calcul du quota de l’entreprise, selon la gravité de son handicap.
39Actuellement, la plupart des pays qui recouraient traditionnellement au travail protégé souhaiteraient plutôt en restreindre l’accès. C’est le cas aux Pays-Bas où ce secteur est particulièrement développé. 95 000 personnes sont actuellement employées dans ce cadre dans plus de 250 établissements et avec des listes d’attente importantes [8]. Le souhait de l’actuel gouvernement est de remplacer progressivement une partie de ces postes par des emplois subventionnés en milieu ordinaire. Depuis 2005, le rôle des municipalités qui avaient auparavant la charge de l’évaluation et du placement en ateliers protégés a été transféré à une autorité indépendante. En Suède, l’entreprise Samhall qui employait environ 25 000 personnes est en cours de réforme. Seules les personnes les plus lourdement handicapées travailleront durablement dans cette entité. Pour les autres, Samhall ne sera qu’un passage transitoire vers l’emploi ordinaire. En Grande-Bretagne, traditionnellement, le travail protégé est moins développé que dans les autres pays européens car la politique en la matière s’est fondée sur une analyse des coûts qui démontrait que l’emploi accompagné (supported employment) était moins cher. Remploy emploie 5 500 personnes directement dans ses unités et permet à 3 500 personnes d’occuper des emplois subventionnés dans des entreprises ordinaires (Cohu, Lequet-Slama et Velche, 2003).
40En Allemagne, les ateliers protégés sont destinés à recevoir toutes les personnes souffrant d’une déficience. Ils sont répartis en deux secteurs, une section formation professionnelle et une section de travail productif. 202 000 personnes étaient employées en section de travail productif en 2003 dans un peu moins de 700 unités. Entre le travail protégé et le travail en milieu ordinaire, il existe des entreprises sociales qui offrent des emplois à des travailleurs handicapés, essentiellement des personnes atteintes de handicaps psychiques, au sein de structures de droit commun employant également des travailleurs valides. Ces entreprises de petite taille qui opèrent dans un contexte concurrentiel sont fortement subventionnées.
L’Espagne a renforcé ce secteur, en augmentant le nombre de salariés dans les centres spéciaux d’emploi, de 8 400 à 17 800 en quatre ans. L’existence d’un fort taux de chômage n’est sans doute pas étrangère à cette politique.
La décentralisation au cœur des débats
41Le rôle croissant des autorités locales dans la prise en charge des personnes handicapées est un élément important mais aussi une source de problèmes pour les politiques actuelles, notamment en Suède et en Espagne. En Allemagne, malgré la configuration fédérale, il existe un fort consensus dans l’opinion publique pour l’uniformisation des politiques et des prestations. Dans la plupart des pays européens, les collectivités locales jouent un rôle essentiel en matière d’organisation et de fourniture de services sociaux.
42L’État providence nordique n’est pas seulement un « État d’assurance sociale » mais aussi « un État de services sociaux » (Anttonen, 1990). Un trait caractéristique du modèle sociopolitique suédois est la gamme étendue de prestations de service social subventionnées par la collectivité, services assurés en majeure partie par les communes.
En Suède
43L’autonomie de décision accrue des municipalités aurait ouvert la voie, au niveau local, selon Joakim Palme (2002), à des changements de modèle dans le secteur des services sociaux, plus radicaux que dans les autres domaines.
44En effet, les années quatre-vingt-dix ont été marquées, dans ce pays, par l’accentuation du mouvement de décentralisation. La réforme Ädel de 1993 a transféré aux municipalités la prise en charge des personnes handicapées et son financement. La loi générale sur les services sociaux, qui est la loi de base pour les municipalités, ne contient pas, à quelques exceptions près, la description précise des services que chaque municipalité doit offrir à ses résidents. Cette loi oblige les municipalités à assurer aux personnes handicapées, la possibilité de vivre comme tout le monde dans des conditions « raisonnables ». Elles doivent faciliter leur participation de façon égalitaire et leur fournir l’aide dont elles ont besoin. La municipalité a donc une grande latitude pour mettre en œuvre les dispositions de la loi en fonction des conditions locales.
45L’enveloppe financière accordée par l’État a été dissociée du nombre des services fournis par les municipalités. Parallèlement, la tutelle étatique sur l’usage des crédits a été supprimée, donnant encore davantage de liberté aux municipalités.
46Cette évolution a engendré, selon Å Bergmark (2001), davantage de diversifications dans les réponses accordées aux personnes vulnérables. D’autant que, comme le souligne Finn Diderischsen (2000), ce transfert de charges s’étant opéré sans que les municipalités n’aient les capacités suffisantes pour y faire face, il a donc touché de plein fouet les personnes handicapées, mais sans doute dans une moindre mesure que les personnes âgées. En effet, la loi sur les services et le soutien à certaines personnes atteintes d’incapacités fonctionnelles (LSS), adoptée en 1993, a reconnu des droits sociaux précis aux plus sévèrement handicapées pour leur permettre de disposer « de bonnes conditions de vie ». Les autres personnes handicapées relèvent du dispositif de droit commun et les municipalités sont libres dans leur évaluation des services nécessaires.
47La charge financière de l’assistance reconnue par cette loi, grève si lourdement certains budgets municipaux que l’Association des communes suédoises estime qu’il est devenu impossible de garantir le même service aux personnes handicapées dans toutes les municipalités. D’importantes différences existeraient désormais entre municipalités en terme de coûts, de services, d’accessibilité [9]. Désormais, il vaudrait mieux parler de « municipalités providence » que « d’État providence » pour la Suède.
Le dernier rapport de l’Agence de protection sociale sur l’année 2003 considère qu’il serait intéressant de mieux identifier les conséquences des méthodes différentes de travail des autorités locales sur la politique en faveur des personnes handicapées. Les coûts municipaux pour les soins et l’assistance personnelle continuent de croître très fortement mais avec d’importantes variations entre municipalités dues pour Gun Britt Trydegård (2000), à des traditions culturelles et politiques diverses, et selon le rapport de l’Agence à des priorités locales différentes. Ainsi, le rapport critique sévèrement la tendance croissante de certaines municipalités à acheter des services fournis par d’autres municipalités dans le cadre de la LSS plutôt qu’à planifier ces activités elles-mêmes, ce qui éloigne les personnes handicapées de leur domicile ou les obligent à parcourir de longues distances. Plusieurs enquêtes auraient démontré l’inaptitude des municipalités à identifier les besoins et à développer en conséquence les services nécessaires (Socialstyrelsen, 2003).
En Espagne
48Le système de répartition des compétences législatives est divisé en plusieurs blocs, les fonctions des communautés autonomes (régions) allant, selon les domaines, de la simple exécution d’une mission à l’adoption de législations spécifiques. Certaines compétences sont du ressort exclusif des communautés autonomes. La répartition des rôles est évolutive et les dix-sept communautés autonomes ont bénéficié progressivement, et à leur rythme, de transferts de compétences dans toute une série de domaines : éducation, santé, formation, aide sociale, justice… Comme le souligne Bruno Rémond (2003), « il résulte de ce dispositif que le nombre et le contenu des fonctions assumées par les communautés autonomes ne sont pas identiques d’une région à l’autre même si, au fil des ans, se dessine une tendance à l’harmonisation des compétences dans les différentes communautés ». Aujourd’hui 45 % des dépenses publiques sont assurées par les communautés autonomes, 40 % par l’État central et 15 % par les communes. L’État central conserve essentiellement la défense, la politique étrangère et la sécurité sociale.
49Dans le domaine social, la décentralisation des compétences implique que les lois cadres, votées par le Parlement national, doivent, pour être rendues applicables, être transposées par les communautés autonomes. Des disparités importantes existent entre régions [10] en fonction de leurs priorités politiques. Certaines régions comme la Catalogne, la Navarre jouent un rôle pilote en matière sociale. Ainsi, dans le domaine du handicap, la Catalogne est très active en matière d’emploi des personnes handicapées : accroissement des subventions directes pour l’adaptation du poste de travail, proposition d’accroître le quota d’emploi de 2 à 4 % dans les entreprises de plus de cinquante salariés, promotion de l’aide à la création d’entreprise…
50Au Pays basque, c’est dans la fonction publique que le quota d’emploi a été augmenté, de 2 % à 4 %. Pour atteindre cet objectif, 10 % des emplois nouveaux sont réservés spécifiquement aux personnes handicapées. Cette communauté autonome a, en outre, décidé de ne pas passer de contrats avec les entreprises de vingt-cinq salariés ou plus qui ne respectent pas le quota, et de favoriser les entreprises de moins de vingt-cinq salariés, qui ont embauché ou maintenu dans l’emploi des personnes handicapées.
Enrique Gil Calvo, trouve que la capacité d’initiative des administrations locales qui « répondent à la diversité territoriale, empruntant les bonnes idées des voisines et rivalisant entre elles, à la manière des entreprises privées, pour être attrayantes grâce à la qualité de leurs services » est stimulante mais regrette l’absence de coordination. Certaines associations s’inquiètent de cette évolution qui mène progressivement à dix-sept politiques différentes dans le domaine social et donc génère des inégalités.
En Allemagne
51L’État fédéral prévoit une large autonomie des Länder et leur accorde d’importants pouvoirs (Lechevalier, 2003).Mais il existe, en fait, assez peu de différences entre Länder sur les services offerts, à l’exception d’un écart global entre Länder de l’est et Länder de l’ouest. La raison de cette homogénéité est analysée par Gerhard Lehmbruch (2001) qui montre, en se fondant sur une perspective historique, que « le fédéralisme allemand se distingue des autres systèmes fédéraux par sa forte et remarquable aversion pour l’hétérogénéité des politiques et toute différence dans leur application et leurs conséquences. L’opinion publique allemande, serait de plus en plus hostile à toute disparité régionale et culturelle. Le fédéralisme allemand se caractériserait, selon cet auteur, par “une étrange combinaison de décentralisation de bureaucraties jointe à une substantielle harmonisation des politiques et une uniformisation très développée des procédures” ».
52Depuis le début des années quatre-vingt-dix, le rôle des pouvoirs publics locaux a considérablement évolué au sein de l’État providence allemand. Pour Frank Bönker et Hellmut Wollmann (2004), d’un côté, un grand nombre de réformes fédérales, dont l’introduction de l’assurance dépendance, ont « modifié le cadre de l’action locale ; de l’autre, les collectivités locales ont redéfini leur propre stratégie. La combinaison des réformes par le haut et par le bas a eu pour effet de faire considérablement évoluer les contours de l’État providence à l’échelle locale. »
L’assurance dépendance, cinquième pilier des assurances sociales, créée par la loi du 26 mai 1994, couvre la dépendance des personnes quel que soit leur âge et pas seulement les personnes âgées. Elle a entraîné un fort développement des services d’aide à la personne et a conduit à une perte de pouvoirs des collectivités locales sur la régulation des services d’aide à la personne. En effet, la loi place explicitement les associations caritatives et les prestataires commerciaux sur un pied d’égalité. Disposition tout à fait nouvelle en Allemagne où les associations offraient les services aux personnes, en accord avec les collectivités locales. Ces dernières ont désormais la responsabilité plus générale de garantir une infrastructure de services suffisante au niveau local. Pour certains auteurs, cette perte de compétences est allée de pair avec un « processus de démunicipalisation et de délocalisation des services d’aide » [11].
Au Royaume-Uni
53La mise en place, décidée par l’actuel gouvernement, de chambres parlementaires élues au suffrage universel direct en Écosse, au pays de Galles et en Irlande du nord pourrait conduire à la mise en place progressive de législations différenciées. D’ores et déjà, il existe une Commission pour l’application de la loi de non-discrimination (Disability Rights Commission) par pays.
54Une étude centrée sur le Pays de Galles s’inquiète des taux particulièrement élevés d’invalidité et d’inactivité des personnes handicapées dans cette région ainsi que de l’incidence particulièrement forte des problèmes mentaux comparés au reste de la Grande-Bretagne.
55Au niveau des services d’aide à la personne handicapée et du budget personnalisé, les autorités locales disposent d’une très grande autonomie tant dans l’organisation de l’aide que dans la détermination du montant de l’allocation éventuelle et sur la participation financière demandée à l’usager. Selon Lina Waterplas et Erik Samoy (2001), les restrictions budgétaires sont une source de tension importante entre les attentes des personnes handicapées et la disponibilité limitée d’assistance personnelle.
De grandes disparités locales existent entre les communes car elles mènent des politiques sociales assez différentes dans ce secteur. En effet, comme le souligne justement Claire Aubin (2003), la loi impose aux collectivités locales « une obligation de moyens mais ne fixe aucune obligation de résultat quant au niveau et à la qualité du package supposé y répondre » qui est laissé à la discrétion des autorités locales, en fonction des ressources dont elles disposent. La jurisprudence va dans ce sens puisqu’un arrêt de la Chambre des lords, reconnaît aux collectivités locales la faculté de ne pas fournir les services auxquels elles sont normalement tenues lorsqu’elles n’en ont pas les moyens. La liberté laissée aux communes se traduit donc par d’importantes inégalités territoriales, relevées en partie par un rapport de l’Audit Commission de 2002, en ce qui concerne la participation financière demandée aux usagers pour les services locaux. Celle-ci peut, en effet, varier à ressources et niveau de handicap égaux de 0 à 100 livres par semaine pour un même service selon la municipalité. L’insuffisante coopération entre les services de santé, relevant du NHS, et les services sociaux, dépendant des communes, accentue les disparités.
Au Pays-Bas
56Les municipalités ont en charge l’assistance sociale des personnes handicapées. De plus, un nouveau texte de loi sur la réforme de l’assistance sociale leur confie désormais la réinsertion des personnes qui bénéficient de prestations sociales. Parallèlement, le texte leur accorde une plus grande liberté dans leur action et dans la répartition de leur budget. L’objectif qui leur est assigné est d’accroître le retour à l’emploi régulier d’au moins un quart des bénéficiaires de programmes de réinsertion.
Privatisation et individualisation des aides
57Comme le remarque Francis Kessler [12], « l’articulation entre la charge collective et publique d’une part et la prise en charge privée collective ou individuelle, dans le but de décharger le secteur public des coûts de ces services est à nouveau à l’ordre du jour » en Europe.
58C’est aux Pays-Bas que le mouvement de privatisation s’est le plus développé. L’introduction d’opérateurs privés au sein des assurances maladie et invalidité ainsi que dans le dispositif de réinsertion des personnes handicapées constitue, en effet, un point fort de la politique néerlandaise.
59L’extension du mouvement de privatisation a, dans ce pays, des fondements idéologiques. Les employeurs ont, depuis juillet 2004, la charge des indemnités maladie de leurs salariés durant les deux premières années de leur absence. Dans le cadre de l’assurance invalidité, dès 1998, la loi PEMBA sur la différenciation des primes d’assurance et la régulation par le marché avait rendu les employeurs responsables de la prévention contre l’invalidité et de la réintégration des travailleurs invalides. Leurs cotisations à l’assurance invalidité (WAO) sont devenues proportionnelles à leurs risques propres. Les employeurs se sont vu également accorder le droit de sortir du régime public d’invalidité durant les cinq premières années et d’assumer directement la responsabilité financière de leurs employés ou de s’assurer pour ce risque auprès d’assurances privées.
60L’assurance invalidité publique pour les indépendants (WAZ) a été supprimée. Les professionnels libéraux et indépendants doivent désormais s’assurer contre ce risque auprès de compagnies d’assurance privées.
61Mais, c’est surtout dans le domaine de la réinsertion des personnes invalides que le mouvement de privatisation a été le plus fort. Des procédures dites de courtage ont été mises en place pour la réinsertion des travailleurs handicapés. Depuis 2001, la réadaptation et l’insertion dans l’emploi, financées sur fonds publics, ne relève plus de la responsabilité directe du service public de l’emploi. Ce dernier signe des contrats avec des entreprises privées, spécialisées dans le domaine, qui interviennent après une mise en concurrence sur les prestations qu’elles proposent. Dans ce cadre, un budget personnalisé peut être attribué directement aux personnes handicapées pour leur permettre d’acheter des prestations de formation, de conseil ou de placement afin d’accéder à un emploi.
62En Suède, la décentralisation a souvent été accompagnée d’une certaine privatisation dans le secteur des aides. Les années quatre-vingt-dix ont été marquées par l’introduction de mécanismes de marché dans le domaine de la protection sociale en général. Les personnes handicapées se sont associées au sein de coopératives pour acheter des services, sous l’influence du mouvement de vie autonome, dès 1987. Par ailleurs, les théories du New Public Management qui prône, entre autres, la séparation des fonctions entre acheteur et fournisseur, ont eu un impact certain en Suède. La plupart des municipalités ont séparé l’évaluation des besoins et le financement des services de leur prestation. Ainsi, elles ont eu tendance à utiliser la procédure de passation de marché mettant en concurrence acteurs publics et privés et introduit des modèles orientés vers le choix du consommateur. Le pourcentage de prestataires privés dans le secteur des aides individualisées est passé de 6 % à 12 % [13]. Toutefois, cette extension du privé est restée un phénomène essentiellement urbain. Les conséquences de ce mouvement en terme de qualité des services sont mal connues. Une étude réalisée sur l’année 1999 [14], montre que le prestataire le plus courant était la commune suivie par les coopératives d’usagers (14,5 %) tandis que 2,5 % des personnes handicapées choisissaient d’embaucher directement des assistants. Le rapport de l’Agence pour les affaires sociales constate, en 2003, une forte tendance au remplacement des services sociaux municipaux par des associations. Pour Gun-Britt Trydegård, « ce lien entre associations et services publics est nouveau en Suède, et semble refléter l’influence d’une tradition de protection sociale plus continentale. »
63Une autre forme de privatisation procède de l’accroissement de la participation financière des usagers aux services sociaux offerts par les municipalités. À tel point que des plafonnements ont été introduits en 2002 pour freiner ce mouvement. Les municipalités ne sont pas obligées, par ailleurs, d’offrir certains services aux personnes handicapées qui ont des ressources personnelles.
Au Royaume-Uni, la responsabilité du placement des pensionnés d’invalidité inscrits dans le programme de retour à l’emploi, New Deal, est confiée à des agences privées spécialisées. Par ailleurs, on note également, comme en Suède, une forte hausse des tarifs demandés aux usagers par certaines communes pour accéder aux services sociaux.
En Allemagne, selon Frank Bönker et Hellmut Wollmann (2004), le nombre des professionnels de l’aide à domicile a plus que doublé entre 1995 et 2003, de 6 000 à 12 700 environ en 2003 et le nombre d’employés dans l’aide à domicile ou en établissement est passé de 270 000 en 1996 à 665 000 en 2001. Ce développement des services d’aide à la personne s’est accompagné de transformations dans les structures de prestations de services. Depuis le milieu des années quatre-vingt, les associations caritatives ont eu tendance à perdre leur quasi-monopole en tant que prestataires non étatiques de services d’aide à la personne et les groupes d’entraide et les prestataires commerciaux ont gagné du terrain. Toujours selon ces auteurs, « dans les plus grandes villes, les prestataires commerciaux détiennent désormais aux alentours de 50 % » du marché des soins ambulatoires. La loi sur l’assurance dépendance place explicitement associations caritatives et prestataires commerciaux sur un pied d’égalité, ce qui est en rupture avec la tradition allemande. La coopération exclusive des collectivités locales avec les associations caritatives a été remplacée par « une gestion des contrats plus en adéquation avec les lois du marché avec un grand nombre de prestataires différents. »
Un accent particulier mis sur les personnes les plus lourdement handicapées
64En conclusion, il est intéressant de souligner que dans tous les pays, à l’exception de l’Espagne, l’accent a été mis ces dernières années sur les personnes les plus lourdement handicapées. En Suède, la crise économique qui touche le pays modifie, au cours des années quatre-vingt-dix, la conception universaliste de la protection sociale. Un choix délibéré est fait, celui « d’offrir beaucoup d’aides à un groupe ciblé constitué par les personnes qui ont les plus grands besoins » plutôt qu’offrir un faible niveau d’aides à une plus large population. Le rapport officiel sur la protection sociale conclut qu’une telle politique devrait recueillir l’assentiment de la majorité de la population. La réforme de l’assistance personnelle, qui témoigne d’une grande ambition, va dans ce sens. Son application a conduit à ce que beaucoup de personnes atteintes d’incapacités fonctionnelles se sont heurtées à l’évolution des services qui « tend à allouer à un nombre restreint de bénéficiaires une aide de plus en plus coûteuse » (Palme, 2002).
65En Allemagne, la politique en matière de prise en charge du handicap a toujours été centrée sur les personnes les plus sévèrement handicapées dont l’incapacité est mesurée en fonction de leurs possibilités de travail. L’assurance dépendance n’accentue-t-elle pas cette répartition des aides en fonction du degré de handicap, les unes accordées légalement dans le cadre de l’assurance sociale, les autres laissées au bon vouloir des collectivités locales responsables de l’aide sociale.
66Aux Pays-Bas, toute la réforme de l’assurance invalidité que le gouvernement propose d’introduire en 2006, est fondée sur des dispositifs différents en fonction du niveau de handicap. Le système a été remodelé pour être centré sur la capacité au travail, à l’instar de ce qui est fait en Allemagne. Une division est opérée entre les plus sévèrement invalides de façon permanente, incapables de travailler qui ont droit à des prestations et les autres personnes handicapées qui elles doivent participer au marché du travail dans le cadre d’une politique d’activation.
67Le projet du ministre du Travail et de la Sécurité sociale du Royaume-Uni, annoncé en février 2005, distingue aussi clairement les personnes sévèrement handicapées des autres personnes moins atteintes. La prestation unique invalidité serait remplacée par deux prestations distinctes. Les personnes handicapées, dans leur majorité, pourront recevoir une prestation de réinsertion (Rehabilitation Support Allowance) équivalente au niveau de la prestation chômage basique accompagnée de prestations complémentaires si elles s’engagent dans un processus d’insertion à l’emploi. Les plus sévèrement handicapées recevront automatiquement des sommes supérieures à celles qu’elles reçoivent aujourd’hui grâce à la nouvelle prestation d’invalidité et de maladie (Disability and Sickness Allowance). Elles pourront aussi si elles le désirent demander un soutien pour obtenir un emploi.
68Cette tendance à deux politiques distinctes dans la plupart des pays, une politique d’allocations et d’aides très développée pour les personnes sévèrement handicapées et parallèlement une politique de recours aux dispositifs de droit commun pour les personnes susceptibles de s’intégrer au marché du travail pose le problème de la prise en charge des personnes qui se situent entre ces deux pôles.
69En Espagne, cette distinction entre les personnes sévèrement handicapées et les autresmoins atteintes, estmoins pertinente mais il existe une très forte différence entre les personnes qui ont travaillé et cotisé à l’assurance sociale et les personnes invalides qui n’ont jamais travaillé. Pour ces dernières, le taux d’incapacité requis pour obtenir des allocations est nettement supérieur (plus de 65 %) et le montant des aides est d’un niveau nettement plus faible.
Enfin, et pour conclure, il est intéressant de relever une nouvelle tendance qui se développe dans des pays à système de protection sociale ancien comme les Pays-Bas, la Suède, le Royaume-Uni, et qui pour certaines associations, signerait la fin du welfare, la tendance à faire porter la charge du soin et de l’aide à des personnes de la famille ; mais en contrepartie d’une rémunération à la différence de ce que l’on observe dans les pays du sud de l’Europe. Une politique qui permet cependant aux responsables de contenir la croissance des budgets sociaux dans des limites raisonnables et de faire face aux pénuries de main-d’œuvre parmi les aidants.
Notes
-
[*]
Sylvie Cohu et Diane Lequet-Slama : chargées de mission « dossiers internationaux » à la DREES, sous-direction « synthèses, études économiques et évaluation ».
Dominique Velche : chargé de recherche au CTNERHI. -
[1]
Lorsque les sources des données chiffrées ne sont pas précisées, elles sont issues de rapports d’experts réalisés dans le cadre de la recherche initiée par la DREES et menée conjointement avec le CTNERHI. L’équipe d’experts était composée de :MiguelAngelVerdugo et Borja Jordàn de Urries (Espagne), Edwin de Vos (Pays-Bas), Patricia Thornton (Royaume-Uni), Stig Larsson (Suède), Gherhard Igl et Felix Velte (Allemagne).
-
[2]
Voir dans ce numéro l’article de Thornton Patricia, « Special and Mainstream Services in Europe and the Case of United Kingdom ».
-
[3]
Intervention de Philip R. de Jong, « Que peut-on apprendre de l’expérience néerlandaise ? », colloque DREES-CTNERHI, Paris, 29 novembre 2004.
-
[4]
De Jong P., intervention au colloque DREES-CTNERHI, déjà citée.
-
[5]
Idem.
-
[6]
RFV (Swedish national Social Insurance Board), 2004, Stockholm Riksförsäkrangsverkt.
-
[7]
Department forWork and Pensions, DWP (2004), New Deal for Disabled People, Summary Statistics.
-
[8]
SZW, (2005), Ministère des Affaires sociales et de l’Emploi, « Participation ».
-
[9]
S’agissant des services à domicile pour les personnes âgées, Gun-Britt Trydegård a chiffré les variations locales. Ces écarts, qui se sont accrus dans les années quatre-vingt-dix avec la crise économique, iraient de un à quatre et tiendraient essentiellement à l’histoire et aux traditions de la localité plus qu’à des motifs financiers (Gun-Britt Trydegård, 2003).
-
[10]
Les informations qui suivent ont été données oralement aux auteurs, lors d’une mission d’études en Espagne.
-
[11]
Evers Adalbert, Sachsse Christoph, (2003), « Social Care Services for Children and Older people in Germany », in The young, the Old ans the State, Social Care Systems in Five Industrial Nations, Cheltenham, cités par Frank Bönker et Hellmut Wollmann, (2004).
-
[12]
Francis Kessler, Missoc Info 01/2004.
-
[13]
SocialStyrelsen, 2003.
-
[14]
SocialStyrelsen, 2000.