Introduction
1Dans la plupart des pays où le versement d’allocations personnalisées aux personnes handicapées est déjà monnaie courante, comme par exemple au Royaume-Uni et dans les pays nordiques, l’instauration de ce nouveau genre de prestation sociale a été impulsée par un mouvement associatif vigoureux constitué, d’une part, d’associations de parents d’enfants présentant une déficience intellectuelle et, d’autre part, de groupements de personnes handicapées physiques inspirées par le mouvement de vie autonome, né aux États-Unis dans les années soixante (Maller, 1999). Leurs luttes se caractérisent par une opposition commune à la prise en charge institutionnelle et la revendication de réelles alternatives. Dénonçant par ailleurs l’insuffisance et le manque de flexibilité des services d’aide et de soins à domicile, le paternalisme de leurs personnels, l’absence de sensibilité aux besoins individuels et l’emprise limitée des usagers sur l’assistance apportée, ce mouvement militant préconise la substitution des services existants, entièrement sous l’emprise des gestionnaires et des intervenants, par la mise à disposition de moyens financiers publics suffisants pour permettre aux usagers d’organiser eux-mêmes des services plus près de leurs besoins assurant leur autonomie et leur pleine participation à la vie de la cité. Par conséquent, il s’agissait de créer une nouvelle prestation qui ne serait pas une allocation traditionnelle dont les bénéficiaires disposent librement mais un versement individualisé en contrepartie de l’aide humaine effectivement apportée.
2Cette « révolte des usagers » se situe à une époque où l’État providence était remis en question et où les idées néolibérales rencontraient un succès grandissant. Or, pour convaincre les décideurs politiques d’accéder à leur demande, les tenants de l’allocation personnalisée, appelée « individualized funding » aux États-Unis et « direct payments » au Royaume-Uni, citaient des recherches scientifiques prouvant que cette « prestation en nature, versée en espèces », pour reprendre le qualificatif employé dans la loi française pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février dernier [1], était plus efficace et plus avantageuse que la prise en charge institutionnelle ou à domicile traditionnelle. Cela explique en partie que leurs exigences aient pu recueillir l’adhésion de courants politiques opposés.
Nous nous proposons d’illustrer la diversité des options de mise en œuvre de l’allocation personnalisée en comparant les dispositifs instaurés dans quatre pays européens pour lesquels nous disposons de suffisamment d’informations, à savoir la Suède, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Belgique. Au regard de la relative nouveauté et de la complexité des dispositifs à comparer, nous avons estimé qu’une présentation transversale ne permettrait pas d’appréhender la spécificité de chaque régime. C’est pourquoi nous avons opté pour une présentation séquentielle des pays, plus fastidieuse certes, mais bien plus lisible. Notre attention se portera notamment sur les cadres institutionnels et normatifs, les modalités d’attribution et de financement de l’allocation, les caractéristiques des usagers et des aidants, le rôle des associations d’usagers, les données statistiques et l’évaluation critique du régime par les chercheurs, les instances de contrôle financier et d’inspection, les syndicats et les associations d’usagers. Pour finir, nous traçons les perspectives d’avenir du régime d’allocation personnalisé dans les pays concernés. Les présentations nationales sont précédées d’un tableau (cf. tableau 1) reprenant des données chiffrées [2] et quelques éléments clés de l’analyse comparée présentée dans la partie finale, dont le lecteur pourra se servir en guise de fil d’Ariane.
Les dispositifs d’allocation personnalisée (AP) pour les personnes handicapées en Suède, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Belgique (Flandre)

Les dispositifs d’allocation personnalisée (AP) pour les personnes handicapées en Suède, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Belgique (Flandre)
3Afin d’orienter la sélection des éléments à inclure dans la comparaison des dispositifs décrits, nous avons construit un idéal type (cf. encadré), au sens wébérien du terme, d’un système d’allocation personnalisée pour les personnes handicapées, prenant comme point de départ les revendications du mouvement de vie autonome.
Encadré : Présentation de l’idéal type
- l’allocation personnalisée est une prestation sociale versée en espèces destinée à permettre aux bénéficiaires de se procurer les aides qu’ils nécessitent pour mener une vie autonome au même titre que le reste de la population. Elle compense tous leurs besoins, y compris ceux dans le domaine de l’intégration sociale ;
- l’allocation s’inscrit dans une perspective de compensation et non d’aide sociale. Elle constitue un droit universel qui n’est pas soumis à conditions de ressources et aucune contribution financière du bénéficiaire n’est demandée ;
- l’attribution et le niveau de l’allocation sont décidés au terme d’une évaluation individuelle des besoins du demandeur dans son cadre de vie habituel à laquelle celui-ci est étroitement associé ;
- l’allocataire, non institutionnalisé, est un consommateur averti, à même de connaître et d’exprimer ses propres besoins et d’opérer un choix judicieux parmi les prestataires de services susceptibles d’y répondre. Il est capable de former lui-même des aidants embauchés de gré à gré dont il détermine librement le lieu et les horaires de travail et les tâches. Il gère son budget et s’acquitte de toutes les formalités inhérentes au dispositif ;
- à condition d’affecter l’allocation au financement des services éligibles, le bénéficiaire dispose d’une entière liberté dans sa destination ;
- le choix des aidants n’est conditionné par aucune exigence en matière de qualifications professionnelles et l’allocataire, qui se charge lui-même de leur formation, est seul juge de la qualité de leur travail ;
- les aidants sont des subalternes au service du bénéficiaire dont les intérêts priment dans leur relation réciproque ;
- le contrôle externe de la part des autorités publiques se limite au strict minimum ;
- il existe un marché de l’assistance où règne une libre concurrence entre prestataires publics, subventionnés et privés. Les allocataires disposent d’une information exhaustive et transparente sur l’offre disponible et l’allocation personnalisée leur permet de trouver facilement un nombre suffisant d’aidants répondant à toutes leurs exigences.
4S’agissant d’un idéal type, les régimes d’allocation personnalisée existants ne peuvent que s’en écarter dans une mesure plus ou moins large, qui sera illustrée dans les présentations par pays et systématisée dans une analyse comparée. Nous n’examinerons pas certains dispositifs encore plus éloignés de l’idéal type, tels que l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) française ou l’assurance dépendance belge (zorgverzekering) ou allemande (Pflegeversicherung) qui peuvent coexister avec l’allocation personnalisée, comme le prouve le lancement récent d’expériences pilotes d’allocation personnalisée en Allemagne. En France, les principes de l’allocation personnalisée se retrouvent dans la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées qui attend sa mise en œuvre. Par ailleurs, nous limitons notre exposé au domaine des allocations destinées à l’indemnisation d’aides humaines aux personnes présentant des limitations fonctionnelles (personnes handicapées, malades chroniques et personnes âgées) en laissant volontairement de côté des développements analogues dans le domaine des aides techniques, de l’enseignement et du travail qui justifieraient chacun une analyse séparée. Signalons pour finir que nous avons préféré éviter le terme d’auxiliaire de vie pour ne pas créer de confusion avec la situation française où ce terme désigne un titre professionnel spécifique. Nous appellerons « aide humaine (rémunérée) », « aidant (rémunéré) » ou « assistant personnel » toute tierce personne embauchée au moyen d’une allocation personnalisée, indépendamment de ses qualifications ou de son titre professionnel. En pratique, il peut s’agir d’un père s’occupant de son enfant handicapé, d’une assistante sociale, d’un infirmier, d’un étudiant en droit, etc.
L’allocation personnalisée en Suède
5En Suède, le débat sur l’allocation personnalisée a été lancé au début des années quatre-vingt par un petit groupe de personnes handicapées inspirées par le mouvement de vie autonome américain. Elles s’insurgeaient contre la tutelle des services collectifs et revendiquaient le droit de disposer de moyens financiers suffisants pour organiser elles-mêmes des services mieux adaptés à leurs besoins individuels et plus respectueux de leur autonomie. Leur premier projet pilote, lancé en 1987 sous forme coopérative, se heurta à la vive opposition des services municipaux qui jugeaient ce type de prestation trop élitiste, de la gauche qui y voyait une forme de privatisation contraire à la tradition suédoise de l’État providence, des syndicats qui craignaient l’exploitation du personnel et des associations traditionnelles qui misaient sur l’extension du dispositif en place (Ratzka, 1986 ; Berg, 2003). Pendant longtemps, les personnes désireuses de gérer elles-mêmes les services qu’elles nécessitaient dépendaient entièrement de ressources privées ou du bon vouloir de leur municipalité. En effet, la loi sur les services sociaux (Socialtjänstelagen, SoL 1980 : 620) de 1982 n’imposait aux communes que l’obligation de leur garantir des conditions de vie raisonnables en leur fournissant, comme à tous les administrés, l’aide et l’assistance dont elles avaient besoin. Les services sociaux n’étaient pas obligés de financer l’autogestion de l’assistance et très peu le faisaient.
6Tout change avec deux lois, votées en 1993 dans la foulée d’un rapport officiel (Ett samhälle för alla, Une société pour tous [SOU, 1992]) publié en 1989, faisant apparaître que le dispositif de prise en charge général laissait subsister des inégalités entre les personnes handicapées et valides. Pour remédier à cette situation, la loi sur le soutien et les services (LSS) à certaines personnes atteintes d’incapacités fonctionnelles (Lag [1993 : 387] om stöd och service för vissa funktionshindrade, LSS), rompt avec la tradition des lois cadres applicables à toute la société (Clevnert, Tengström, 2000) et détaille dix mesures spécifiques visant à assurer l’intégration sociale et professionnelle [3] de trois groupes de personnes ayant des difficultés importantes dans la vie quotidienne et nécessitant une assistance et une attention constante, à savoir les déficients mentaux et autistes, les déficients intellectuels significatifs et durables suite à un traumatisme crânien survenu à l’âge adulte et les grands handicapés physiques et psychiques. Il incombe aux communes de leur garantir de bonnes conditions de vie en leur apportant l’aide et le soutien qu’elles nécessitent tout en leur permettant d’avoir une réelle emprise sur la nature des services offerts.
Le droit à l’assistance personnelle
7Dans ce contexte, la mesure la plus innovante, faisant écho aux revendications du mouvement militant des handicapés, est le droit à l’assistance personnelle définie comme « un soutien individualisé, apporté par un nombre limité d’aidants aux personnes ayant besoin d’aide pour satisfaire des besoins essentiels comme l’hygiène personnelle, les repas, l’habillage, la communication ou nécessitant d’autres formes d’aide supposant une connaissance approfondie du handicap de la personne concernée ». Une aide peut également être apportée pour répondre à d’autres besoins personnels (faire le ménage, sortir de chez soi). L’assistance doit être disponible à toute heure et permettre à la personne aidée de mener une vie autonome. Par ailleurs, elle doit avoir une très grande emprise sur le choix des aidants, leurs horaires de travail et la nature de l’aide apportée. Le demandeur, dont les besoins sont évalués par le service social de la commune, se voit attribuer un nombre non plafonné d’heures d’assistance pouvant être servies en nature ou sous la forme d’une somme d’argent avec laquelle il peut acheter l’aide requise auprès du prestataire de son choix.
8Pour ne pas imposer de trop lourdes charges financières aux communes, ce dispositif a été complété par une deuxième loi spécifique, la LASS (Lag om assistansersättning), prévoyant une indemnisation de l’État pour les bénéficiaires non institutionnalisés [4] de la LSS, âgés de moins de 65 ans et nécessitant en moyenne plus de 20 heures d’assistance par semaine pour la satisfaction de leurs besoins essentiels. Cette « allocation d’assistance » est payée par le régime national d’assurance sociale dont les services locaux apprécient les besoins sur la base des principes directeurs de la LSS. Dans certaines communes, ils coopèrent avec leurs services sociaux, mais il y a parfois une grande méfiance mutuelle. L’appréciation des besoins prend en compte la situation familiale du demandeur et, s’il vit en ménage, les obligations qui figurent dans le Code du mariage (äktenskapsbalken). Toutefois, de nombreuses zones d’ombre subsistent.
9Bien que la loi n’établisse aucune distinction entre les bénéficiaires adultes et mineurs, les travaux préparatoires invoquaient le devoir parental, repris dans le Code de la famille (Föräldrarbalken), pour justifier l’application de critères d’éligibilité plus rigoureux pour ces derniers. Dans ses orientations générales à l’intention des caisses locales, l’Office national de la sécurité sociale avait estimé en pratique qu’un enfant devait avoir besoin d’au moins douze heures d’aide sur vingt-quatre et être plurihandicapé pour avoir droit à l’allocation d’assistance. Cette règle, qui a fait l’objet de plusieurs interpellations au Parlement, a toutefois été rejetée en appel et abolie par la suite. Les cours d’appel et la Cour administrative suprême (RFV, 2004a) ont jugé qu’il faut apprécier au cas par cas si l’attention et les soins requis vont au-delà de ce qui est usuel pour un enfant non handicapé du même âge. Par ailleurs, elles ont souligné que des prestations en espèces, comme l’allocation de soins pour enfant malade ou handicapé au foyer (vårdbidrag), n’influençaient en rien le droit à l’indemnisation de l’assistance personnelle.
10À remarquer que, depuis le premier novembre 1997, l’État n’assume plus que les heures d’assistance au-delà de vingt, tandis que les communes indemnisent les vingt premières heures. Par ailleurs, indépendamment du prestataire ou du régime de financement, c’est la commune qui doit garantir qu’il est satisfait aux besoins d’assistance de tous les bénéficiaires de la LSS, ce qui implique notamment qu’elle doit pourvoir au remplacement d’assistants malades, même pour les clients d’autres prestataires. Une autre mesure restrictive a été la suppression du droit à l’assistance personnelle à la garderie, à l’école ou dans un centre de jour depuis le 1er juillet 1996, sauf si l’état de santé ou les problèmes particuliers de l’usager, notamment de graves problèmes de communication, justifient son maintien.
L’attribution de l’allocation d’assistance n’est pas soumise à conditions de ressources et aucune participation financière n’est exigée du bénéficiaire qui reçoit l’argent sur son compte en banque, sauf s’il demande expressément qu’il soit payé au prestataire de son choix. La loi n’impose aucune restriction à la destination de l’allocation si ce n’est qu’elle ne peut pas couvrir les traitements médicaux et la réadaptation qui relèvent de la loi sur les soins de santé (hälso – och sjukvårdslagen) et sont du ressort des conseils régionaux. Les assistants personnels sont toutefois habilités à dispenser les soins que le médecin délègue d’ordinaire au patient ou à ses proches (pansements, nourriture par sonde, etc.). Le bénéficiaire est également libre de décider quelle part de l’allocation il veut consacrer aux différents postes de son budget (la rémunération des assistants, les frais administratifs, les déplacements des assistants, etc.). Les justificatifs requis se limitent à l’envoi d’un simple relevé mensuel des heures de travail effectuées par les assistants, soit aux services municipaux, soit aux services de la sécurité sociale. Depuis fin 1997, le montant des allocations est d’ailleurs calculé sur la base d’un tarif horaire forfaitaire, fixé chaque année par le gouvernement, indépendamment des frais réels engagés par les allocataires. En 2005, ce montant est de 212 couronnes suédoises, soit 23,37 euros. Dans certains cas particuliers, par exemple lorsque l’usager nécessite l’aide d’assistants ayant une formation spécifique, l’Office national de la sécurité sociale peut relever le tarif horaire d’un maximum de 12 %.
Les prestataires
11Les bénéficiaires sont entièrement libres dans le choix du prestataire. Ils peuvent recourir à l’embauche de gré à gré, s’adresser à une association, une entreprise commerciale ou une coopérative d’usagers, ou encore faire appel aux services municipaux. Depuis le 1er février 1995 toutefois, les membres du ménage doivent obligatoirement être embauchés par le biais d’un employeur externe, entre autres pour des raisons fiscales. Dans le même temps, il a été stipulé que les personnes embauchées de gré à gré ne pouvaient pas travailler plus de 52 heures par semaine. En novembre 2004, il n’y avait que 3 % de particuliers employeurs parmi les allocataires, tandis qu’environ 62 % faisaient appel à la commune, 12 % à une coopérative et 23 % à un autre prestataire. La part de marché des communes a diminué d’un peu plus de 6 % depuis la mise en place du régime en 1994 et, depuis 2000, celle des coopératives a régressé de 2 % au profit d’autres prestataires, en majeure partie des entreprises privées (RFV, 2005). Un petit nombre d’allocataires combinent plusieurs de ces possibilités.
12L’implication intense des associations de personnes handicapées à tous les stades de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique de prise en charge, qui est caractéristique en Suède, marque également le domaine de l’assistance personnelle. Les bénéficiaires ont créé un groupement d’intérêt (Intressegruppen för Assistansberättigade, IFA) qui accorde un label de qualité aux prestataires privés. Par ailleurs, certains usagers ont fondé des coopératives affiliées au mouvement de vie autonome. Les plus grandes sont la STIL, qui regroupe quelque 240 usagers ayant plus de 1 500 assistants et la JAG, fondée en 1992, qui compte 260 adhérents polyhandicapés, faisant appel aux services de quelque 2 000 assistants. En tant qu’association d’usagers, la coopérative assume la responsabilité patronale à l’égard des assistants et les tâches administratives y afférentes, tandis que les usagers, si la nature de leur déficience le permet, choisissent, forment et supervisent eux-mêmes leurs assistants. Dans le cas contraire, ce rôle est rempli par une personne de soutien choisie en accord avec le tuteur légal et la personne handicapée. L’usager peut ouvrir un compte auprès de sa coopérative sur lequel il verse les sommes destinées à la rémunération de ses assistants, aux charges sociales et aux frais de gestion de la coopérative soit, comme c’est le cas pour la JAG, faire verser directement son allocation à la coopérative (Clevnert, Tengstrom, 2000). En outre, la coopérative offre une formation aux nouveaux allocataires, elle représente les usagers dans les négociations collectives et défend leurs intérêts.
Le dispositif légal ne posant aucune exigence en matière de qualification professionnelle, l’usager est libre d’embaucher à peu près n’importe qui, à condition toutefois, de trouver du personnel sur le marché. Or, déjà en 2001, un rapport officiel (DS, 2001) signalait que des pénuries de personnel risquaient d’entraver la mise en œuvre de la législation. Des difficultés persistantes obligent parfois les municipalités à apporter l’aide nécessaire sans que l’allocataire ne puisse choisir ses assistants, tandis que la grande instabilité du personnel nuit à la continuité de l’aide prévue par la loi (Kommunal, 2004a et b).
Le métier d’assistant personnel
13Monica Larsson (2002), qui a étudié le métier très féminisé d’assistant personnel, estime que beaucoup de problèmes tiennent au fait que les bénéficiaires réels de l’assistance personnelle ne correspondent pas du tout à l’image de l’usager idéal postulé par la législation, à savoir une personne entreprenante, capable de connaître et de communiquer ses besoins et de diriger une équipe d’assistants. Surtout dans les situations où la personne aidée est fragile et incapable de s’exprimer, l’absence de description de travail claire peut avoir comme conséquence que l’aidant se retrouve tiraillé entre les exigences et les attentes parfois contradictoires des proches et de son employeur externe. Le travail solitaire à domicile empêche aussi le recours au soutien de collègues et entraîne parfois une confusion déroutante entre le rôle d’employé et celui de mère, de fille ou de bonne amie. L’auteur affirme avoir constaté avec un certain étonnement que beaucoup des femmes qu’elle a interviewées se disaient satisfaites de leur travail, en dépit de ses nombreux désavantages, tels que l’isolement professionnel, le manque de prestige, le bas salaire, l’absence de directives de la part de l’usager et le travail à l’heure. Par ailleurs, celles qui avaient une expérience professionnelle dans le domaine social appréciaient avant tout la variété des tâches et la possibilité de les négocier avec leur client et étaient contentes d’échapper aux conflits entre collègues et aux réunions de travail.
14Les conditions de travail des assistants personnels alarment le syndicat des fonctionnaires municipaux (Kommunal, Svenska Kommunalarbetareförbundet), auquel sont affiliés 26 900 assistants personnels, dont 21 500 employés du secteur public et 5 400 du secteur privé, marchand et non marchand (octobre 2004). Le syndicat est d’avis que les bonnes intentions du législateur qui ont inspiré l’octroi de droits et de libertés aux personnes handicapées sont réalisées au détriment du droit des assistants personnels à bénéficier de bonnes conditions de travail et d’un salaire convenable. Par conséquent, il a mené, en 2004, une campagne nationale visant à examiner et, si possible, à améliorer leurs conditions de travail (Kommunal, 2003 et 2004). Les communes peuvent embaucher des assistants personnels par le biais de contrats de travail à durée indéterminée classiques (HÖK) ou de contrats spéciaux, dits « contrats PAN », créés pour permettre l’embauche, dans le cadre de la mise en œuvre de la LSS et de la LASS, de personnes n’ayant pas les qualifications requises pour accéder à la fonction publique, en particulier les proches des allocataires. Ces contrats sont temporaires et ne donnent droit qu’à un préavis d’un mois. Fin 2002, ils concernaient 31 % des plus de 30 000 assistants au service des municipalités. Comparés aux titulaires d’un contrat classique, dont 60 % sont affiliés à Kommunal, leur taux de syndicalisation n’est que de 30 %. Pour sa part, le secteur privé offre généralement des emplois très précaires, avec des contrats temporaires dont le délai de préavis varie entre un mois et du rien du tout.
15Le syndicat déplore que le salaire de référence choisi pour le calcul du salaire des assistants personnels soit celui de l’auxiliaire de vie [5] alors que le travail n’est pas du tout le même. Les assistants embauchés de gré à gré par la personne handicapée ne relèvent même pas de la législation générale du travail, mais de la loi sur le travail domestique qui prévoit un horaire de travail maximal de 52 heures hebdomadaires (hembiträdeslagen). Par ailleurs, Kommunal regrette que l’évolution des salaires soit conditionnée par un tarif horaire forfaitaire qui plafonne les salaires indépendamment des qualifications des assistants ou des besoins de l’usager. En 2004, le salaire mensuel moyen et médian pour toute la Suède était de 15 700 couronnes suédoises (soit 1 731 euros), les assistants les mieux payés étant ceux de la capitale avec un salaire moyen de 19 600 couronnes (soit 2 161 euros).
Comme la recherche de Monica Larsson, l’enquête de Kommunal illustre que le métier est fortement féminisé puisque quatre assistants sur cinq sont des femmes. L’âge moyen se situe entre 25 et 44 ans, les hommes étant un peu plus jeunes que les femmes. Malgré le fait que les trois quarts se disent satisfaits, 40 % et même la moitié dans la tranche d’âge des 24-34 ans sont à la recherche d’un autre emploi ou d’une formation, ce qui confirme que le travail d’assistant personnel est souvent considéré comme une solution transitoire. Parmi les aspects problématiques relevés, signalons les horaires irréguliers, parfois composés d’heures de travail éparpillées tout au long de la journée ne formant toujours qu’un emploi à temps partiel, le taux élevé d’absentéisme pour maladie causé surtout par les problèmes musculaires, le stress et l’épuisement professionnel et la grande instabilité du personnel qui nécessite la répétition constante des formations et menace la continuité et la qualité de l’aide apportée. Tous ces facteurs contribuent sans doute à expliquer la situation de recrutement difficile dans tout le pays et alarmante dans la capitale. Il semblerait également y avoir un décalage entre l’offre et la demande allant dans le sens d’une demande de personnel plus qualifié que celui qui est actuellement disponible sur le marché.
Les coûts du régime d’allocation personnalisée
16Sous l’effet combiné de plusieurs facteurs, les coûts du régime d’allocation personnalisée ont véritablement explosé depuis sa mise en place. En premier lieu, le nombre de bénéficiaires n’a cessé de croître pour diverses raisons : l’achèvement du démantèlement des institutions pour déficients mentaux et des hôpitaux psychiatriques, la diminution de l’allocation aux parents d’enfants handicapés ou malades de moins de 16 ans, la réduction de l’aide à domicile traditionnelle, le passage à la vie autonome de personnes handicapées vivant chez leurs parents ou en institution (RFV, 2000), le vieillissement de la population et le maintien du bénéfice de l’allocation personnalisée après l’âge de 65 ans, décidé en janvier 2001. En second lieu, l’ampleur de l’aide accordée a été constamment étendue et le tarif horaire a été révisé à la hausse. Alors que, pour l’allocation de l’État, les estimations initiales (1992) étaient de 7 000 bénéficiaires avec une moyenne de 40 heures d’assistance par semaine, douze ans plus tard, leur nombre dépassait les 12 300 et le quota moyen était de 106 heures par semaine, nécessitant une dépense de 800 000 couronnes (90 453 euros) par personne soit 10,1milliards (1,1milliard d’euros) au total. À cela s’ajoutent les dépenses des communes pour les vingt premières heures d’assistance, estimées à 2,5 milliards de couronnes (274,4 millions d’euros) pour 2003 (RFV, 2004b). En novembre 2004, le régime national [6] comptait environ 12 600 allocataires, marquant une nouvelle augmentation de 2 % depuis le début de l’année et de 30 % par rapport à l’année 2000. L’introduction du maintien du droit à l’allocation après l’âge de 65 ans en 2001 et la révision subséquente du dossier des personnes âgées exclues avant cette date ont eu comme conséquence que cette tranche d’âge a augmenté le plus au cours des dernières années pour atteindre 8 %, tandis que le nombre de nouveaux bénéficiaires dans la tranche d’âge des 63-64 ans a grimpé de 30 % après la modification de la loi. D’autre part, le nombre d’enfants et de jeunes en dessous de 19 ans a diminué légèrement pour atteindre environ 21 % en novembre 2004. La part des hommes, plus nombreux dans les catégories d’âge jeunes, était de 53 %, tandis que celle des femmes, surreprésentées parmi les plus de 45 ans, était de 47 %. Par ailleurs, le nombre de personnes bénéficiant d’une allocation majorée (d’un maximum de 12 %) a presque doublé depuis janvier 2002 et s’élève maintenant à 7 % (RFV, 2004c).
17Tout comme le nombre de bénéficiaires, le quota hebdomadaire d’heures d’assistance accordé n’a cessé de grimper pour atteindre une moyenne de 98,7 heures par semaine en novembre 2004, soit 100,6 chez les hommes et 96,5 chez les femmes. L’analyse historique des quotas d’heures selon le sexe révèle des écarts qui ne sont cependant pas considérables mais persistent après un contrôle pour l’âge et la déficience. C’est ainsi que les hommes vivant seuls bénéficient systématiquement de plus d’heures d’assistance que les femmes dans la même situation, tandis que l’inverse vaut s’ils vivent en ménage avec une femme valide. Cela semble indiquer que les femmes en situation de handicap sont censées s’en tirer avec moins d’aide externe que les hommes alors que les femmes valides devraient offrir plus de soutien à leur conjoint handicapé (RFV, 2004d).
18Le nombre d’heures d’assistance octroyé varie également en fonction de la déficience. Le groupe des déficients intellectuels significatifs et durables à la suite d’un traumatisme crânien bénéficie en moyenne de 121 heures (novembre 2004), tandis que les déficients mentaux et autistes et les grands handicapés physiques et psychiques ont 97 heures.
19Dix ans après la réforme de 1994, la Cour des comptes (Riksrevisionen, 2004) a présenté un rapport d’évaluation extrêmement critique sur sa mise en œuvre. Elle constate que la législation est tellement vague et laisse une telle marge d’interprétation que les décisions varient d’une caisse d’assurance à l’autre et même d’un administrateur à l’autre, ce qui nuit à la sécurité juridique. Par ailleurs, la Cour relève une contradiction entre les objectifs de la loi et ses bénéficiaires actuels, liée au fait que la moitié des bénéficiaires ont une déficience intellectuelle ou sont mineurs, et dès lors incapables de profiter de la liberté de choix et de l’autonomie que la loi visait à promouvoir. Elle estime aussi que la concentration du soutien financier de l’État sur la seule assistance personnelle peut limiter la liberté de choix individuelle parce que d’autres alternatives comme les logements services, financées par les communes, sont insuffisamment développées, alors qu’elles reviennent moins cher. La Cour est également d’avis que le manque de clarté de la législation, la responsabilité partagée entre l’État et les communes et le grand nombre d’acteurs impliqués entravent la gestion efficace, tandis qu’il n’y a même pas de base légale claire pour effectuer un contrôle financier. Finalement, elle déplore les nombreuses conséquences non intentionnelles de la législation, telles que le développement d’un marché privé constitué d’entreprises ne nécessitant aucune agrémentation, les risques d’abus liés au fait que le contrôle de qualité soit laissé aux usagers et le fait que l’indemnisation des proches pourrait entraver l’indépendance des jeunes lorsque l’allocation personnalisée constitue l’unique revenu des parents. En conclusion, la Cour estime que le suivi de la réforme a été largement insuffisant et que le temps est venu de préciser la législation, éventuellement en limitant la population visée, et de revoir le mode de financement.
20Le grand public a également été sensibilisé à la question par les scandales impliquant des entreprises privées qui ont défrayé la chronique en 2004 [7]. Ils concernaient notamment la destination des sommes « économisées » grâce aux bas salaires versés surtout aux proches pour lesquels, en plus, les frais de recrutement et de formation sont moindres. Comme l’État paie un tarif horaire forfaitaire et que les justificatifs requis ne concernent que les heures prestées et pas les montants dépensés, il est possible de se constituer un pécule non imposable pouvant servir aux dépenses de loisirs (appelé « trivselpengar »), sans que cela ne soit strictement interdit par la loi. Une enquête menée par le quotidien Göteborgs-Posten révèle d’ailleurs que dix des quarante entreprises contactées au moyen d’un mail anonyme promettaient ce genre de « bonus ».
Dès lors, il n’est pas étonnant que le gouvernement ait chargé l’Office national de la sécurité sociale d’examiner les modalités d’un contrôle financier efficace et d’une réglementation accrue des dépenses couvertes par l’allocation. Dans son rapport (RFV, 2004b), l’Office plaide notamment pour la spécification détaillée des dépenses admises, assortie à une justification tout aussi détaillée, l’imposition de l’obligation de tenir une comptabilité au niveau des bénéficiaires individuels et non, comme c’est le cas actuellement, au niveau agrégé, le remboursement des montants non dépensés en assistance et l’introduction d’une allocation différenciée. En guise de première mesure, les entreprises privées se sont vu imposer l’obligation, à partir du premier janvier 2005, de se faire enregistrer comme employeurs auprès de l’administration fiscale, tandis que les assistants indépendants doivent apporter la preuve qu’ils paient les cotisations sociales.
Tout porte à croire que le régime d’allocation personnalisée suédois subira de profondes modifications dans les années à venir. En effet, fortement inquiet de la dérive financière et des rapports d’évaluation négatifs, le gouvernement a chargé une commission spéciale, dirigée par le social-démocrate Jan Anderson, d’examiner tous les aspects de sa mise en œuvre. Elle devrait présenter son rapport final avant la fin de 2006.
L’allocation personnalisée au Royaume-Uni
Les dispositifs à caractère national
21Au Royaume-Uni, le premier régime d’allocation personnalisée (direct payments scheme) fut mis en place en 1988 sous la pression des associations de personnes handicapées qui craignaient les retombées négatives d’une réforme du dispositif d’aide sociale risquant de forcer les personnes handicapées très dépendantes à se faire institutionnaliser (Glasby, Littlechild, 2002). En guise de mesure temporaire fut créé un Fonds de vie autonome – IFL (Independent Living Fund) – ayant pour mission d’accorder une allocation personnalisée aux personnes présentant des limitations fonctionnelles graves qui nécessitaient de l’aide dans l’accomplissement des tâches ménagères et étaient incapables de mener une vie autonome sans l’assistance d’une tierce personne (Kestenbaum, 1996).
22Ce fonds, financé par l’État, était géré par un conseil d’administration disposant d’un large pouvoir discrétionnaire dans l’attribution des allocations et la détermination de leur montant et de leur destination. Les conditions d’éligibilité étaient très restrictives puisque l’accès au régime était non seulement soumis à conditions de ressources, mais dépendait également de l’âge (moins de 74 ans) et de la gravité des déficiences du demandeur. Les sommes allouées étaient destinées à l’aide ménagère à domicile et à l’assistance personnelle et, dans certains cas, à l’achat d’aides techniques. Hormis les membres du ménage, il était permis de rémunérer des proches. Le montant de l’allocation versée chaque mois sur le compte en banque du bénéficiaire, était modulé en fonction de ses ressources et du nombre d’heures d’aide requis, déterminé par un assistant social de l’ILF, en concertation avec l’usager.
23En tant que dispositif national, l’ILF cadrait mal dans la politique de décentralisation vers les municipalités menée par le gouvernement britannique, mais, en quelques années, ses effectifs étaient devenus trop importants pour permettre son abolition pure et simple (23 000 allocataires en 1992, Lakey, 1994). Dès lors, il fut uniquement fermé aux nouveaux usagers et rebaptisé Independent Living Extension Fund. Parallèlement fut créé un nouveau fonds, le Fonds de vie autonome 93 (Independent Living 1993 Fund) dont l’accès était encore plus restreint puisqu’il était réservé aux personnes handicapées âgées de 16 à 66 ans ayant droit à l’allocation de subsistance (disability living allowance) maximale et pour lesquelles les autorités locales déboursaient déjà au moins 200 livres (soit 290 euros) par semaine en nature ou sous la forme d’une allocation directe. Par ailleurs, il était tenu compte des ressources du ménage, à l’exception des revenus du travail.
À l’heure actuelle, ces deux régimes continuent d’exister côte à côte. Fin 2004, l’Independant Living Extension Fund avait encore 5 787 bénéficiaires, tandis que l’Independant Living 1993 Fund en avait 11 154. De l’ensemble des allocataires, 52 % étaient des femmes et 48 % des hommes et seulement 8,2 % étaient âgés de plus de 65 ans. Un peu moins d’un tiers avaient une déficience intellectuelle sévère, tandis que les autres avaient une déficience physique grave. L’allocation annuelle maximale au titre du Independant Living 1993 Fund était de 21 840 livres anglaises (soit 31 578 euros) en 2004, alors que le Independant Living Extension Fund déboursait 37 180 livres (soit 53 757 euros). Pour l’année 2003-2004, les dépenses publiques pour ces deux allocations s’élevaient au total à 190 millions de livres (soit 276 millions d’euros), et l’allocation mensuelle était, d’après une estimation très grossière, de quelque 16 300 euros.
Les dispositifs locaux
24Indépendamment de ce dispositif national, certaines autorités locales apportaient leur soutien à des régimes d’allocation personnalisée, par exemple dans le cadre de programmes de promotion de la vie autonome (Joseph Rowntree Foundation, 1997), mais elles se trouvaient dans une situation paradoxale parce que, légalement, elles ne pouvaient servir que des prestations en nature. La situation change avec la loi relative à l’allocation personnalisée de 1996 (Community Care [Direct Payments] Act, 1996) qui s’applique à toute la Grande-Bretagne, et habilite, mais n’oblige pas, les autorités locales à accorder une prestation en espèces aux bénéficiaires de prestations sociales municipales disposés à accepter ce mode de prestation et capables de le gérer (willing and able). Elles jouissent d’une grande autonomie dans l’organisation du régime et la fixation des montants alloués ; elles peuvent notamment faire supporter une partie des frais par l’usager en servant des allocations inférieures au prix des services en nature.
25Initialement les allocations municipales étaient réservées aux personnes ayant entre 18 et 65 ans, mais ces limites d’âge ont été abolies en janvier 2000. La nature du handicap ou des déficiences n’est pas décisive pour l’accès au régime, mais leur gravité ne peut pas être telle que les coûts du maintien à domicile dépassent ceux de l’hébergement en institution. Bien que le régime soit en principe ouvert aux déficients intellectuels, certaines communes se sont basées sur le critère légal de capacité précité (willing and able) pour les en exclure.
26La législation oblige les autorités locales à procéder à une évaluation exhaustive des besoins d’aide et de soins (care assessment) de chacun de leurs administrés handicapés et à élaborer, sur cette base, un plan individuel (care plan) détaillant les aides qui peuvent être apportées (care package) (Aubin, 2004). Un quota d’heures d’assistance personnelle peut s’intégrer à cet ensemble. À l’exception de l’hébergement de longue durée dans un établissement spécialisé, l’allocation personnalisée peut être destinée à toutes les formes d’assistance fournies en nature par le service social de la commune, par exemple l’aide ménagère, le portage des repas, les auxiliaires de vie, l’aide aux déplacements, l’accueil dans un centre de jour et l’aide aux démarches administratives. En règle générale, les conjoints et les autres membres du ménage du bénéficiaire ne peuvent pas être engagés comme aidants, mais le service social municipal peut accorder des dérogations. Par ailleurs, aucune qualification formelle n’est exigée des assistants. L’allocataire est entièrement libre dans le choix des prestataires et peut embaucher des indépendants ou des salariés de gré à gré ou s’adresser à des organisations, à l’exclusion toutefois des services municipaux.
27Depuis l’entrée en vigueur de la loi en avril 1997, un grand nombre d’études (citées dans Carmichael, Brown, 2002) attestent que les personnes qui organisent et achètent elles-mêmes l’aide humaine et ménagère dont elles ont besoin, sont plus satisfaites que les clients d’un service municipal ou d’un autre prestataire. Toutefois, les usagers se plaignent du fait que leur allocation se limite à une prestation de type « bed and breakfast » et néglige quasi totalement l’aide à l’intégration sociale (Mason, 1998). Les personnes âgées, par exemple, se voient rarement attribuer des heures d’assistance pour des activités sociales ou des alternatives à l’hébergement de courte durée (Clark, Gough et MacFarlane, 2004).
28Malgré les expériences positives, le développement des régimes municipaux n’a pas été spectaculaire. En septembre 2001, les municipalités anglaises déboursaient une allocation personnalisée à 5 432 personnes, tandis que deux ans plus tard, leur nombre total ne s’élevait encore qu’à 12 585, dont 6 944 handicapés physiques, 1 899 personnes âgées dépendantes et 1 337 personnes ayant une déficience intellectuelle (CSCI, 2004). En Écosse, il y aurait moins de 600 bénéficiaires, tandis qu’au Pays de Galles et en Irlande du Nord ils seraient même moins de 200 (Barnes et al., 2004).
29La mise en œuvre hésitante de la législation a amené le gouvernement en 2003 à imposer aux municipalités l’obligation légale d’examiner toute demande émanant d’une personne « disposée et capable » de gérer son propre budget d’assistance, si nécessaire avec un accompagnement adéquat, et d’apprécier au cas par cas si les objectifs des soins communautaires ne seraient pas mieux réalisés par le biais d’une allocation personnalisée que par l’offre de services en nature. Par ailleurs, les autorités locales sont appelées à ne pas freiner l’admission des personnes âgées ou présentant une déficience intellectuelle ou un trouble mental [8], mais elles ne sont pas obligées de prendre des mesures de soutien à cet effet (Morris, 2004). Toutefois, un Fonds de développement, doté de 9 millions de livres anglaises (soit 13 millions d’euros) sur trois ans vient d’être créé pour stimuler la création de partenariats entre les autorités locales et le secteur associatif pouvant faciliter la mise en œuvre de la législation.
30Dans un rapport récent, la Commission pour l’inspection des services sociaux (Commission for Social Care Inspection) énumère les facteurs pouvant expliquer les piètres résultats de la législation (CSCI, 2004), la carence de l’information fournie aux intéressés potentiels, l’inexpérience des services sociaux municipaux, l’attitude paternaliste des professionnels et leur manque de confiance dans les capacités des demandeurs, alliés à leur volonté de garder le pouvoir, les contradictions entre la législation et la pratique locale, les problèmes liés au recrutement, à la formation et au maintien dans l’emploi d’assistants compétents et, en dernier lieu, l’insuffisance des services de soutien aux allocataires. Les auteurs d’une recherche sur le recours aux paiements directs par les personnes âgées (Clark, Gough et MacFarlane, 2004) arrivent à des conclusions similaires. Par ailleurs, ils notent que les travailleurs sociaux municipaux font état d’un conflit entre la nécessité de respecter les contraintes budgétaires locales et leur volonté d’accorder un quota d’heures couvrant tant les besoins d’aide personnelle que les besoins de nature sociale.
31Les disparités régionales existantes limitent sensiblement la liberté de mouvement des personnes handicapées à l’intérieur du pays et partant leur liberté de choix et leur autonomie. Pearson (2000, 2004) a tenté d’expliquer ces écarts et surtout le retard sensible de l’Écosse qui, avec ses moins de 600 bénéficiaires, fait figure de parent pauvre à côté de certaines municipalités du sud de l’Angleterre, comme Hamsphire et Essex qui, chacune, en ont déjà davantage. L’allocation personnalisée présupposant l’existence d’un « marché » sur lequel l’usager choisit librement son prestataire, il ne lui semble pas fortuit que son succès coïncide avec la propagation du modèle des « économies mixtes » mettant en concurrence les secteurs public et privé marchand et non marchand dans les services sociaux communautaires. Or, il semblerait qu’en Écosse les politiciens et les services sociaux locaux n’aient pas partagé l’enthousiasme de leur exécutif pour l’ouverture du service public à la concurrence, tandis que le mouvement associatif des personnes handicapées y est trop faible pour leur forcer la main.
Des activistes du mouvement pour la vie autonome déplorent non seulement la lenteur de la mise en place de l’allocation personnalisée, mais également le cadre restreint dans lequel la politique a été conçue (Pearson et al., 2005). À leur avis, l’intégration de la prestation en espèces dans les services sociaux de proximité engendre leur orientation trop exclusive sur les besoins d’aide et d’assistance des personnes dépendantes, au détriment des besoins liés à la pleine participation à la vie en société. Par ailleurs, les usagers n’échappent pas à l’emprise des professionnels puisque l’accès au dispositif dépend d’une évaluation des besoins par les administrateurs de la commune ou du Fonds de vie autonome. Dans ces circonstances, il n’est pas étonnant que le mouvement ait appelé récemment au lancement d’un nouveau programme, placé sous le contrôle des usagers (Barnes, 2004).
Ce qui est certain c’est que, dans les années à venir, le financement individualisé au plus près des besoins sera appelé à jouer un rôle plus prépondérant dans la politique de prise en charge du handicap. Le programme pluriannuel que vient de présenter l’unité de stratégie du Premier ministre Tony Blair (Strategy Unit, 2005), annonce en effet qu’à l’horizon 2025 les deux régimes d’allocation personnalisée existants et le financement des services seront intégrés dans des « budgets individualisés », disponibles à loisir en espèces ou sous forme de services en nature.
L’allocation personnalisée aux Pays-Bas
32Aux Pays-Bas, l’idée de créer une allocation personnalisée fut déjà lancée à la fin des années soixante-dix par quelques parlementaires voulant mettre fin à l’inégalité financière entre les parents qui éduquaient leur enfant déficient mental au foyer et ceux qui optaient pour un établissement spécialisé (Cremers, 2001). Toutefois, les premiers projets pilotes, impulsés par le mouvement des patients et des consommateurs, concernaient l’aide et les soins à domicile (Ramakers, 1998). À partir de 1995, des régimes nationaux, dits « budgets liés à la personne » (PGB’s, persoonsgebonden budgetten), furent établis par le biais de l’ouverture graduelle de certains droits au titre de l’assurance pour les dépenses exceptionnelles de santé, l’AWBZ [9] à la prestation en espèces. Cette assurance générale couvre les risques non assurables sur le marché, notamment l’aide sociale, sanitaire et ménagère aux personnes présentant un trouble somatique, psychogériatrique ou psychiatrique, un handicap physique, sensoriel ou intellectuel ou un problème comportemental, psychique ou psychosocial. Comme le signale Marie Wierink (2004), cette large couverture « renvoie à une construction sociale spécifique du champ de la santé aux Pays-Bas, qui relève d’une conception globalisante de la santé à laquelle participe le bien-être, vu comme un bien collectif, que les pouvoirs publics ont pour mission de promouvoir et de protéger par leur action sociale ».
L’allocation personnalisée « nouveau style »
33En 2001, le dispositif comprenait déjà cinq réglementations différentes ayant chacune leur groupe cible, leur logique, leurs procédures d’attribution et leurs instances d’évaluation, à savoir les allocations d’aide et de soins à domicile, de déficience intellectuelle, de santé mentale, de soins intensifs à domicile et de handicap physique [10]. Toutes permettaient aux bénéficiaires d’organiser eux-mêmes l’aide requise mais le nombre de domaines couverts était très variable. C’est ainsi que l’allocation de santé mentale était destinée exclusivement à l’accompagnement, tandis que l’allocation de déficience intellectuelle concernait un très large éventail de services, dont l’hébergement (Waterplas, Samoy, 2001). Comme le montre le tableau 2, début 2003, il y avait déjà plus de cinquante mille bénéficiaires, dont 72 % dans le régime aide et soins à domicile, 22 % dans le régime « déficience intellectuelle » et 6 % dans le régime « santé mentale ». À noter que l’allocation de soins intensifs à domicile avait été abolie peu de temps après son instauration et l’allocation de handicap physique était restée dans la phase expérimentale. Suite à une réforme, entrée en vigueur au 1er avril 2003, tous ces régimes ont été remplacés par un seul système, appelé « l’allocation personnalisée nouveau style » (persoonsgebonden budget nieuwe stijl). Depuis cette date, les nouveaux bénéficiaires intègrent d’office le dispositif unique, tandis que les anciens peuvent soit attendre l’échéance de leur allocation, soit intégrer le nouveau système après une réévaluation de leurs besoins. Le passage, qui était déjà réalisé à 63 % en juillet 2004, devrait être terminé avant 2006. Entre-temps, le nombre d’allocataires n’a cessé de croître et, début 2005, leur nombre total, tous régimes confondus, approchait de 70 00, tandis que les dépenses étaient de 889 millions d’euros (2 400), soit 4,5 % des dépenses totales de l’AWBZ, allant à 10 % de ses bénéficiaires (VWS, 2004).
Nombre de bénéficiaires des régimes d’allocation personnalisée aux Pays-Bas

Nombre de bénéficiaires des régimes d’allocation personnalisée aux Pays-Bas
34Dans le cadre de la modernisation de l’AWBZ, l’aide et les soins requis ne sont plus traduits en fonction de l’offre, mais en termes de besoins individuels. À cet effet, toutes les prestations couvertes par cette assurance ont été regroupées dans sept grandes catégories d’intervention (zorgfuncties), auxquelles correspondent plusieurs classes d’heures d’aide ou de soins. Il s’agit de l’aide ménagère (comprenant certaines tâches de garde des enfants), l’aide à l’accomplissement des actes essentiels de la vie courante, les soins infirmiers, deux types d’accompagnement dont l’un, appelé « accompagnement d’activation », se caractérise par une intervention limitée dans le temps visant un but spécifique, tandis que l’autre, appelé « accompagnement de soutien » est plus permanent, le traitement (soins médicaux et thérapies) et l’hébergement. À l’exception des deux dernières, qui doivent impérativement être servies en nature, toutes ces interventions, ainsi que l’accueil temporaire peuvent faire l’objet d’une allocation personnalisée, soit séparément soit combinées entre elles (CZV, 2003).
35À la demande de l’assuré, l’éligibilité au titre de l’AWBZ et l’étendue des besoins, exprimés en heures d’aide par intervention, sont appréciés par un bureau local du CIZ (Centrum indicatiestelling zorg) [11], une instance nationale indépendante, qui prend en compte tous les aspects de la déficience et du fonctionnement de la personne, son environnement physique et son entourage social. Dans ce contexte, seule l’aide allant au-delà de l’assistance « habituelle » due par les conjoints ou les parents ouvre droit à une prestation. En revanche, le choix ultérieur pour la prestation en nature ou en espèces ne conditionne pas la décision finale. Le bénéficiaire optant pour la prestation en espèces s’adresse ensuite à son bureau de soins de santé (zorgkantoor) [12] qui fixe le montant net de son allocation sur la base du nombre d’interventions auxquelles il a droit et de la classe dans laquelle il a été placé, après déduction éventuelle d’une participation financière, due à partir de 18 ans. Le ticket modérateur, instauré par le nouveau régime, varie en fonction des revenus et de l’intervention et peut aller de 27 % pour l’accompagnement à 60 % pour l’aide ménagère.
36Les barèmes des prestations en nature, diminués de 25 %, servent de référence pour la détermination du niveau de l’allocation personnalisée, ce qui implique que celle-ci peut être refusée si les coûts sont jugés trop élevés par rapport à ceux de l’hébergement dans un établissement [13]. En 2004, une allocation « nouveau style » s’élevait en moyenne à 13 000 euros par an, mais la variation était très grande puisque les déficients mentaux recevaient en moyenne 27 000 euros par an (contre 20 500 euros dans l’ancien système), tandis que 1 % des usagers touchaient plus de 73 000 euros par an (CZV, 2004). Plus de la moitié des allocations (52 %) ne concernent qu’une seule intervention au titre de l’AWBZ. La grande majorité des allocataires ont droit à l’aide ménagère (67 %) ou à l’accompagnement de soutien (53 %), tandis que seulement 16 % des allocations comprennent les soins infirmiers, 15 % l’accompagnement d’activation et 14 % l’accueil temporaire (VWS, 2004).
37Alors que les prestations en nature ne peuvent être servies que par des prestataires agréés, les allocataires sont entièrement libres dans leur choix, à condition de conclure une convention écrite spécifiant les tâches, les horaires de travail et la rémunération. Ils peuvent recourir à l’emploi de gré à gré, y compris de proches appartenant ou non à leur ménage, faire appel à des professionnels indépendants ou à des agences d’intérim ou s’adresser aux prestataires de services institutionnels ou à domicile traditionnels. Aucune exigence en matière de qualifications professionnelles des aidants rémunérés n’est imposée, mais les allocataires sont obligés de se procurer « une aide de qualité ». Le fait que l’appréciation et le contrôle de la qualité de l’aide apportée soient laissés aux bénéficiaires a soulevé des inquiétudes, surtout quant à la protection des déficients mentaux et des bénéficiaires dont les proches dépendent entièrement de l’allocation. En tout état de cause, la « souveraineté du consommateur » ne semble pas donner lieu à une avalanche de plaintes (CZV, 2004).
Pour assister les bénéficiaires dans la gestion du régime, la Banque des assurances sociales (Sociale Verzekeringsbank, SVB) [14], qui débourse les anciennes allocations sous forme de droits de tirage (Waterplas, Samoy, 2001), les informe gratuitement sur la législation du travail et la réglementation fiscale et assume, à leur demande, l’administration salariale. Pour leur part, les associations d’usagers, Per Saldo pour les déficients physiques et Naar Keuze pour les déficients intellectuels, offrent une large panoplie de mesures de soutien et défendent les intérêts des usagers.
Évaluation du nouveau système et perspectives
38Vue l’importance de la population impliquée, on peut s’étonner de la rareté des données statistiques nationales et du peu d’intérêt témoigné par les chercheurs. Signalons toutefois que le thème de l’aide informelle a été exploré dans une enquête (Van den Berg et al., 2003) menée auprès de 609 allocataires affiliés à l’association Per Saldo et de 522 de leurs aidants informels principaux, rémunérés ou non (proches, amis ou voisins). Cette étude illustre que l’âge moyen de ces aidants est de 50 ans et que les deux tiers sont des femmes. Les personnes prises en charge sont surtout le conjoint (38 %), un enfant (22 %) ou un des parents (17 %). Environ la moitié des aidants exercent une activité professionnelle, mais 30 % d’entre eux ont réduit leur horaire de travail, négocié un horaire flexible, changé d’activité ou cherché un emploi plus près du domicile de la personne dépendante. Les aidants consacrent en moyenne cinq heures par jour à l’assistance et ce, pour 60 % d’entre eux, sept jours sur sept. Les tâches les plus courantes sont le travail ménager, les soins corporels, l’aide aux déplacements, aux visites chez le médecin et aux formalités administratives. Dans un cas sur trois, l’allocataire reçoit une aide informelle supplémentaire et, dans la même proportion de cas, une aide à domicile en nature. Dans cette enquête, un peu plus de la moitié des aidants informels sont rémunérés. L’allocataire leur consacre en moyenne 42 %de son allocation personnalisée, soit 550 euros par mois mais, en général, la rémunération des conjoints et des membres du ménage empiète davantage sur le ménage puisqu’ils reçoivent en moyenne respectivement 820 euros et 770 euros par mois.
39En vue de déterminer si l’allocation nouveau style répondait aux attentes, l’Institut de recherches ITS de Nimègue (Van den Wijngaart, Ramakers, 2004) a mené une enquête auprès d’un échantillon représentatif, composé en partie de personnes entrées d’emblée dans le nouveau régime (417) et en partie d’allocataires venus des anciens systèmes (714). Parmi ces derniers, seul un usager sur cinq estime avoir plus de liberté de choix et plus d’emprise sur l’aide dispensée, jugée également mieux adaptée aux besoins individuels, tandis que les quatre autres ne voient pas ou peu d’effets positifs et se plaignent de la complexité du système et du ticket modérateur. À l’opposé, les allocataires n’ayant jamais connu autre chose que la situation de « client » de services, ont une attitude nettement plus positive, malgré le fait que leur allocation soit en moyenne plus basse.
40Cette étude, qui se veut représentative pour l’ensemble des allocataires néerlandais en 2004, y compris ceux qui bénéficient encore des anciens dispositifs [15], illustre que l’âge moyen des allocataires est d’environ 40 ans, mais qu’un quart a moins de 15 ans, tandis qu’un autre quart est âgé de plus de 60 ans. Environ six usagers sur dix sont des femmes. En ce qui concerne les conditions de vie, environ un quart d’entre eux vit seul, un tiers habite avec leurs parents et les autres (autour de 40 %) vivent avec leur conjoint ou leurs enfants. La majorité (60 %) des usagers, y compris les parents de bénéficiaires mineurs, ont un niveau d’éducation moyen, tandis que 20 %ont un niveau très bas (pas de formation ou enseignement primaire) et 20 % ont un niveau très élevé (enseignement supérieur universitaire ou non universitaire).
41Le nombre moyen d’aides humaines (aidants professionnels et informels) rémunérées au moyen de l’allocation personnalisée est de 1,9. Il est fait largement appel à l’aide de proches appartenant ou non au ménage (respectivement 24 % et 26 % de l’ensemble des aides humaines), mais une part importante de l’aide est apportée par les services de soins et d’aide à domicile et le dispositif de santé mentale et de prise en charge des personnes handicapées (32 %), des entreprises privées d’aide ménagère (19 %) ou des professionnels indépendants (18 %). L’assistance achetée consiste essentiellement en aide ménagère (57 %), accompagnement dit « de soutien » (37 %), aide aux actes de la vie quotidienne (30 %) et accompagnement dit « d’activation » (21 %). Alors que le nombre moyen d’heures d’assistance par semaine est de douze, la valeur médiane n’est que de six, ce qui signifie que la moitié des allocations ne couvrent qu’une aide humaine très limitée. Une autre enquête sur échantillon, réalisée en 2004, arrive à des chiffres similaires (Dragt, Schutte, Klingma, 2004).
42Puisque le type de déficience n’est pas déterminant pour l’accès à l’allocation personnalisée, cette caractéristique n’est pas enregistrée. Les recherches ne fournissant pas de données non plus, la distribution ne peut être estimée que très grossièrement sur la base des populations cibles des régimes en place avant la réforme du 1er avril 2003. Sachant que la réglementation « déficience intellectuelle » concernait un peu plus de 10 000 personnes et que les systèmes « santé mentale » et « handicap physique » étaient très marginaux, la seule certitude est que la majorité des bénéficiaires présentent des déficiences physiques entraînant des besoins d’aide dans l’accomplissement des actes essentiels de la vie quotidienne (ADL) et les gestes de la vie domestique (IADL).
43Dans un rapport d’évaluation récent (CZV, 2004), le collège des assureurs, qui coordonne le financement et la mise en œuvre de la loi sur les caisses de maladie (ziekenfondswet) et de l’AWBZ, met en exergue les avantages de l’allocation personnalisée : elle permet la gestion de l’aide par le bénéficiaire même, mobilise un marché du travail qui n’est pas disponible pour l’aide en nature, revient moins cher et favorise les initiatives innovantes. Toutefois, le collège relève aussi de nombreuses difficultés, notamment que les deux types d’accompagnement sont difficiles à distinguer et permettent le financement d’activités ne tombant pas sous la définition de « risque assuré », que la rémunération des proches favorise la monétarisation de l’aide informelle (CVZ, 2004b) et que le succès de l’allocation a entraîné la prolifération d’intermédiaires pas toujours très fiables. En conclusion, le collège suggère d’imposer la prestation en nature pour l’accompagnement d’activation et d’interdire la rémunération des proches ou d’étendre la notion d’aide « habituelle » définie dans les directives destinées aux instances qui ouvrent le droit à prestation au titre de l’AWBZ (LVIO, 2003).
À l’heure actuelle, non seulement l’allocation personnalisée mais aussi tout le système de l’assurance soins de santé sont concernés par les plans de réforme du gouvernement au pouvoir [16] visant à juguler la dérive des dépenses (Wierink, 2003). Dans ce contexte, l’AWBZ sera recentrée sur son objectif primaire, qui est d’assister les personnes ayant des besoins importants et de longue durée, tandis que les interventions « légères », à domicile, seront transférées progressivement aux communes qui devront assurer une prise en charge de proximité cohérente dans le cadre d’une nouvelle loi, dite « loi sur le soutien social » (Wet Maatschappelijke Ondersteuning). À partir du premier janvier 2006, l’intervention « aide ménagère », non assortie d’autres prestations, qui concerne 35 % d’allocataires (soit 25 000 personnes) et pour laquelle l’AWBZ débourse 300 millions d’euros, ne devrait déjà plus être couverte. Suivraient les deux types d’accompagnement dont bénéficient surtout les personnes présentant une déficience intellectuelle. Par ailleurs, le budget destiné aux allocations personnalisées a été plafonné et ne devrait plus augmenter que de 5 % en 2005, ce qui fait craindre l’apparition de listes d’attente.
Cette réforme a été mal reçue par la gauche et a provoqué un tollé général de la part d’une coalition d’associations de consommateurs, de patients, d’aidants et de syndicats parce que le transfert de responsabilités projeté n’est pas assorti de moyens financiers appropriés. Sous l’effet de ces protestations, le gouvernement s’est laissé extorquer la promesse que la future loi obligera les communes à offrir le choix entre la prestation en nature et la prestation en espèces, mais l’avenir du régime d’allocation semble pour le moins incertain.
L’allocation personnalisée en Belgique
44En Belgique, l’allocation personnalisée semble rencontrer un large consensus auprès des partis politiques et des associations de personnes handicapées en Wallonie et à Bruxelles mais, pour l’heure, les fonds nécessaires à sa mise en œuvre font défaut. Notre exposé se limitera donc à la seule Communauté flamande.
L’allocation personnalisée dans la Communauté flamande
45Après une phase expérimentale, entamée sous l’impulsion du mouvement de vie autonome flamand (Waterplas, Samoy, 2001), l’allocation personnalisée a été réglementée par le décret du 27 juillet 2000 instituant un « budget d’assistance personnelle » (persoonlijke assistentiebudget, PAB), tandis que les conditions d’attribution ont été fixées par arrêté du gouvernement flamand du 15 décembre 2000. Le droit à l’allocation est ouvert, sans aucune limitation relative au type de handicap, aux personnes inscrites au Fonds flamand pour l’intégration sociale des personnes handicapées qui ont droit à une aide à l’intégration sociale et sont capables de se maintenir à domicile avec une assistance raisonnable. Toutefois, les personnes âgées de plus de 65 ans ne peuvent plus s’inscrire au Fonds.
46L’attribution de l’allocation n’est pas soumise à conditions de ressources et aucune participation financière du bénéficiaire n’est demandée. Elle couvre notamment les soins personnels, l’aide ménagère, l’assistance dans l’accomplissement des actes de la vie quotidienne, les activités de jour, l’assistance à l’école et sur le lieu de travail, l’accompagnement et la garde d’enfants spécialisée. Par contre, l’assistance didactique et pédagogique, l’aide à l’emploi, les actes médicaux et paramédicaux et les thérapies ainsi que le financement d’aides techniques sont exclus. Le bénéficiaire peut embaucher ses aidants – dont ses proches – de gré à gré, faire appel à une association à condition qu’elle ne soit pas subventionnée par le Fonds flamand, à une agence d’intérim ou à un indépendant, mais doit consacrer au moins 95 % de son allocation aux frais de salaires.
47Pour tous les aspects liés à l’organisation de l’assistance, les bénéficiaires peuvent s’affilier à une « association de titulaires de budget » dont au moins les deux tiers des membres et des administrateurs doivent être des allocataires. Jusqu’à présent, le Fonds flamand a agréé et subventionné quatre associations de ce type.
48Le mode de financement du régime a des répercussions importantes sur les procédures d’attribution. En effet, le décret dispose que le Fonds flamand prend en charge les frais de l’assistance personnelle « dans les limites de son budget et à concurrence d’un montant maximum », ce qui implique que le nombre de nouveaux bénéficiaires admis dépend de l’enveloppe financière disponible. Le rythme de croissance moyen n’étant que de 200 nouvelles allocations par an, l’écart entre les demandes et les attributions n’a fait que se creuser et il a fallu mettre en place des procédures longues et complexes pour opérer une sélection (Vlaams Fonds, 2004). Comme, en plus, le travail des instances impliquées est peu documenté et qu’elles disposent d’un large pouvoir discrétionnaire, les critères d’attribution sont loin d’être transparents ; toutefois, en grandes lignes, la procédure se déroule comme suit : en se basant sur la gravité attestée de la déficience, l’administration opère une première sélection parmi les demandeurs qui satisfont les critères ouvrant droit aux prestations du Fonds. Dans ce contexte, une priorité absolue est accordée aux personnes désireuses de quitter un établissement d’hébergement mais, malgré les intentions du législateur, leur nombre est toujours très limité. Une équipe pluridisciplinaire évalue ensuite les besoins d’aide et d’assistance des personnes les plus lourdement handicapées en prenant en compte tous les aspects de leur déficience et de leur situation personnelle, et constitue un dossier individuel. Finalement, ces dossiers sont examinés par une des deux chambres d’une commission d’experts indépendants, composée d’administrateurs, de représentants des associations de personnes handicapées et de professionnels et qui est chargée d’opérer la sélection finale en fonction de la déficience, des besoins, de l’urgence et de la date d’introduction de la demande.
Chaque dossier individuel comprend deux échelles dont l’une mesure les aptitudes physiques et l’autre les aptitudes sociales, ainsi qu’une appréciation de la nécessité d’une surveillance constante de la personne concernée. Sur la base de ces trois critères, chaque demandeur est classé automatiquement dans une catégorie de gravité du handicap à laquelle correspondent deux ou trois montants d’allocation. En partant de l’allocation la plus basse pour une catégorie de gravité donnée, la commission d’experts examine si certains facteurs, comme par exemple le grand âge des parents, la dégradation prévisible de l’état de santé du demandeur ou l’absence de proches capables d’apporter de l’aide, viennent aggraver la situation du demandeur, auquel cas le montant supérieur lui est accordé, ou si en revanche, il y a des éléments rendant sa situation moins urgente (par exemple l’intention de consacrer toute l’allocation à la rémunération d’aidants informels), qui justifient l’attribution d’un montant plus bas, correspondant éventuellement à une catégorie de gravité inférieure.
Évaluation et perspectives
49Le montant définitif de l’allocation, situé dans une fourchette allant de 7 500 euros à 35 000 euros par an [17], est fixé après déduction des frais relatifs aux prestations en nature cumulables avec l’allocation (par exemple une place dans un centre de jour). En revanche, l’aide externe au Fonds, comme les services d’aide ou de soins à domicile, n’est pas prise en compte dans les calculs. Seulement 2 % des allocations attribuées se situent en dessous de 10 000 euros, tandis que la valeur médiane est de 25 000 euros et la moyenne de 27 130 euros. Le montant alloué est versé trimestriellement sur le compte en banque du bénéficiaire.
50Une équipe de chercheurs a évalué les trois premières années de mise en œuvre du système au moyen d’une enquête auprès d’un échantillon représentatif de 229 allocataires et de 222 aidants et d’une étude approfondie de quinze cas qui permettent de dresser un premier portrait sommaire des allocataires et de leurs aidants (Breda et al., 2004a et 2004b).
51Parmi les bénéficiaires, il y a une part égale de femmes et d’hommes. Tandis que chez les bénéficiaires mineurs qui représentent un quart de l’effectif, la moitié souffre d’une déficience intellectuelle, les handicaps physiques prédominent chez les bénéficiaires majeurs. Dans ce dernier groupe, un tiers vit seul, un tiers vit en ménage avec un conjoint et un tiers vit chez ses parents, alors que tous les mineurs vivent chez leurs parents.
52Les assistants personnels accomplissent les tâches permises par la loi mais, dans la pratique, les restrictions imposées à l’assistance sur le lieu de travail (pas de participation à la production) et à l’école (pas de soutien pédagogique) s’avèrent difficilement contrôlables. Quatre aidants sur cinq sont des femmes. Malgré l’absence totale d’exigences en matière de qualifications, leur niveau de formation n’est pas particulièrement bas et la plupart disposent d’une certaine expérience dans le domaine social. Comme ils ne travaillent en moyenne que 17 heures par semaine, les usagers font le plus souvent appel à plusieurs personnes, dont un proche pour la moitié d’entre eux (deux tiers de ces proches vivent dans le ménage). Dans les 15 % de cas où toute l’aide requise est fournie par des proches rémunérés, une seule personne s’occupe de tout.
53Ces rapports d’évaluation ont été plutôt mal accueillis par la frange militante des usagers (Sabbe, 2004) qui déplore notamment que les études n’aient pas été situées dans le contexte plus large de l’intégration et de la participation et négligent des questions essentielles comme le nombre d’usagers potentiels, les instruments d’évaluation des besoins et la situation des déficients mentaux. En particulier, l’enthousiasme mitigé des chercheurs et leur suggestion que l’allocation personnalisée conviendrait surtout à une « élite » de personnes handicapées actives ont suscité un vif mécontentement.
54Entre-temps, le régime est devenu élitiste pour une tout autre raison. En effet, la limitation du nombre de nouveaux usagers par an et la concentration du dispositif sur les personnes les plus gravement handicapées ont entraîné la création de longues listes d’attente, obligeant les demandeurs évincés à avoir recours aux services en nature ou à l’assurance soins flamande, dont l’allocation ne s’élève qu’à un tiers de l’allocation personnalisée minimale qui est d’environ 7 500 euros par an. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que le médiateur flamand ait vivement critiqué le système dans son rapport annuel pour 2003 (Vlaamse Ombudsdienst, 2004). Il note que les plaintes enregistrées font apparaître que les administrés sont déroutés par les procédures complexes et reçoivent trop peu d’informations. Par ailleurs, il estime que le système des priorités frustre les attentes des personnes qui répondent aux critères d’éligibilité mais sont classées dans une catégorie d’urgence ne donnant « provisoirement » pas droit au versement de l’allocation. L’appel du médiateur à résoudre le problème des listes d’attente en libérant davantage de fonds ne semble pas avoir été entendu puisque, début 2005, le nombre total d’allocataires ne s’élevait qu’à 800, tandis que plus de 2 500 personnes attendaient une décision. Par ailleurs, le budget pour l’année 2005, qui est de 25 millions d’euros, ne permettra l’attribution que de quelque 250 nouvelles allocations.
Le système flamand est problématique à bien d’autres égards. Alors que son objectif affirmé, qui était de stimuler la sortie des établissements coûteux, n’a pas été atteint, les demandes provenant de publics ne faisant quasiment pas appel aux services publics auparavant, comme les handicapés physiques non institutionnalisés, ont généré des dépenses imprévues. Par ailleurs, la fragmentation du dispositif de prise en charge n’a fait que s’accroître. Comme le Fonds flamand se limite à accorder des prestations, sans se soucier de leur cohérence, il a simplement créé une nouvelle filière administrative avec sa propre logique et ses propres procédures, indépendante de celle chargée de l’attribution des aides en nature. L’allocation personnalisée ne s’intègre donc pas dans un plan de prise en charge global et cohérent évaluant l’apport possible de toutes les prestations du Fonds et des services externes comme l’aide ménagère et les soins infirmiers à domicile. Le choix est laissé à l’usager alors qu’il n’est pas toujours le mieux placé pour trouver la solution la plus adéquate. Finalement, comme le signale la Confédération syndicale des employés du secteur social, la réglementation crée un déséquilibre entre les droits des bénéficiaires et ceux des assistants personnels, puisqu’elle ne leur consacre aucune disposition (LBC-NVK, 2003). La constatation que le dispositif d’allocation personnalisée était en passe de devenir incontrôlable et inéquitable (Breda et al., 2004b) a conduit le gouvernement, installé en juillet 2004, à envisager son remaniement profond. Tout porte à croire, par ailleurs, que la réalisation du projet ambitieux du gouvernement précédent, à savoir l’extension du financement individualisé à la prise en charge par les structures et les services agréés par le Fonds flamand se fera encore attendre longtemps.
Analyse comparée des dispositifs d’allocation personnalisée
55Plutôt que de refaire l’inventaire des interrogations soulevées par l’attribution d’allocations personnalisées aux personnes handicapées, que nous avons dressé ailleurs de façon polémique pour lancer le débat (Waterplas, Samoy, 2001), nous nous proposons dans ce qui suit d’établir une comparaison, essentiellement qualitative, entre les mises en œuvre concrètes d’un même principe de base en Suède, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Belgique. L’idéal type élaboré dans l’introduction servira de fil conducteur à cet exercice, tandis que le lecteur pourra utilement se rapporter au tableau 1 regroupant les données statistiques et quelques éléments clés de l’analyse. Notre exposé abordera tout à tour le contexte institutionnel et juridique des dispositifs, les conditions d’éligibilité et les caractéristiques des allocataires, les allocations, les assistants personnels et le marché de l’assistance et se termine par quelques remarques sur les perspectives d’avenir.
Le contexte institutionnel et juridique des dispositifs
56Les allocations personnalisées pour personnes handicapées s’inscrivent dans un contexte institutionnel très différent dans les quatre pays étudiés. En Suède et au Royaume-Uni, où la prise en charge des personnes handicapées a été transférée aux municipalités dans le cadre de la politique de décentralisation, l’État et les autorités locales se partagent la compétence et la responsabilité financière, les régimes locaux étant complétés par un dispositif national assorti d’un financement propre, pour les personnes les plus lourdement handicapées et, en ce qui concerne le Royaume-Uni, les plus nécessiteuses. La situation est très différente en Belgique où ni l’État fédéral ni les communes n’ont un rôle à jouer puisque l’allocation personnalisée a été instaurée en 2000 au niveau décentralisé dans la seule Communauté flamande qui en assume les charges financières, tandis que la gestion est assurée par un organisme public, le Fonds flamand pour l’intégration sociale des personnes handicapées. Aux Pays-Bas, seul pays où l’allocation personnalisée soit intégrée à la politique sanitaire au sens large, le dispositif est financé au niveau national dans le cadre de l’assurance pour les dépenses exceptionnelles de santé (AWBZ) et sa gestion est assurée par la Banque des assurances sociales et les caisses de maladie. Ce cadre particulier a comme conséquence fâcheuse que le dispositif se retrouve pris dans le tourbillon de la réforme de l’assurance maladie.
57Les droits des demandeurs sont le mieux protégés en Suède, seul pays à avoir introduit, au moyen d’une législation spécifique datant de 1993, un véritable droit objectif à l’allocation personnalisée dont les intéressés peuvent se prévaloir devant les cours administratives. Aux Pays-Bas, le droit aux prestations dans le cadre de l’AWBZ est plus flou, mais semble peu contesté. À l’opposé, en Belgique, la position des demandeurs est la plus fragile puisque même une personne reconnue éligible au terme de la procédure d’attribution, n’a aucune garantie de se voir accorder une allocation et peut se retrouver sur la longue liste d’attente générée par l’enveloppe financière limitée et insuffisante. Les plaintes auprès du médiateur flamand n’ont aucune conséquence légale puisque ses avis ne sont pas contraignants. Alors que le régime national britannique ne semble pas pouvoir refuser les demandeurs éligibles, l’ouverture du droit au niveau municipal reste très aléatoire comme le prouvent les très grandes disparités locales. Le droit n’étant pas portable, les allocataires perdent leur liberté de mouvement dans le pays.
Les conditions d’éligibilité et les caractéristiques des allocataires
58Malgré la double filiation des dispositifs d’allocation personnalisée, tributaires à la fois des associations de parents d’enfants déficients intellectuels et du mouvement militant des handicapés physiques, leurs discours légitimateurs se fondent, dans une mesure plus ou moins marquée d’un pays à l’autre, sur la philosophie de la vie autonome véhiculée par le mouvement radical. De ce fait, les objectifs affirmés de ce nouveau type de prestation ne se limitent pas à la promotion de la désinstitutionalisation et du maintien à domicile, il s’agit de garantir aux bénéficiaires une emprise maximale sur l’assistance qu’ils nécessitent pour réaliser leurs choix de vie et mener une vie autonome à l’instar des autres citoyens. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que la figure emblématique de l’usager soit celle d’un jeune adulte handicapé physique en chaise roulante, faisant des études universitaires grâce à son allocation. Or, dans les pays étudiés, les allocataires appartiennent à toutes les catégories d’âge, présentent des déficiences très hétérogènes et beaucoup d’entre eux, comme les mineurs et les personnes souffrant de déficiences intellectuelles ou de troubles psychiques graves, ne sont pas capables d’organiser eux-mêmes les aides requises ni, à plus forte raison, de mener une vie vraiment indépendante. La Suède est le pays où les déficients mentaux sont les plus nombreux, puisqu’ils représentent un tiers de l’ensemble des allocataires, tandis que, partout ailleurs, ils sont un quart ou moins, selon les catégories d’âge. Mis à part le régime national britannique (ILF 1993), qui n’accepte que les bénéficiaires âgés de plus de 16 ans, tous les systèmes sont également ouverts aux mineurs pour lesquels des tiers, le plus souvent leurs parents, assurent la gestion du budget alloué. Cette contradiction manifeste entre les objectifs et les exigences du dispositif d’une part et les caractéristiques de ses bénéficiaires effectifs d’autre part soulève des interrogations dans tous les pays étudiés. Toutefois, le Royaume-Uni est l’unique pays où l’éligibilité des personnes ayant une déficience intellectuelle ait été problématisée d’emblée, des autorités locales ayant longtemps refusé une allocation personnalisée à ceux qui n’étaient pas « willing and able » d’en assumer les charges eux-mêmes. Paradoxalement cette réticence est condamnée par le gouvernement à l’heure actuelle, alors qu’en Suède et aux Pays-Bas, deux pays où l’éligibilité de ce même public n’a jamais fait de doute, des rapports critiques, rédigés dans l’optique d’une réforme future du dispositif actuel, suggèrent qu’un retour à la prestation en nature pourrait être plus efficace et plus adapté aux besoins de ce public fragile.
59En ce qui concerne la gravité du handicap, les Pays-Bas ne posent aucune condition et les allocataires présentent des degrés de handicap très divers nécessitant une assistance allant de quelques heures d’aide ménagère par semaine à des soins intensifs et une surveillance continue. En revanche, la Suède et le Royaume-Uni ont résolument opté pour le ciblage du financement national sur les populations les plus lourdement handicapées pour lesquelles les municipalités consentent déjà un effort financier. La Belgique, où la population visée est en principe définie d’une façon très large, accorde de plus en plus la priorité aux demandeurs ayant les besoins d’assistance les plus étendus. Ajoutons que la sévérité des handicaps pouvant ouvrir le droit à l’allocation personnalisée est délimitée de façon implicite par l’exigence que les coûts du maintien à domicile doivent rester en dessous de ceux de l’hébergement en institution. Seul le dispositif suédois, qui accorde un nombre d’heures d’assistance non plafonné, semble échapper à cette règle.
60Pour ce qui est du cloisonnement des dispositifs en fonction de l’âge, seuls les Pays-Bas, n’ont jamais établi de distinction entre différents publics se trouvant en situation de perte d’autonomie et ont d’emblée admis les personnes âgées. Actuellement, les régimes municipaux britanniques acceptent les nouveaux usagers âgés de plus de 65 ans, tandis que le régime national a évolué en sens inverse puisque l’âge seuil a été abaissé de 74 à 66 ans. En revanche, la Belgique et la Suède n’admettent toujours que les personnes âgées qui sont soit reconnues comme handicapées (Belgique), soit entrées dans le dispositif (Suède) avant l’âge de 65 ans. Nulle part cependant les personnes âgées ne sont majoritaires, puisqu’un quart des bénéficiaires néerlandais ont plus de 60 ans, alors que seulement 6 % des allocataires flamands et 8 % des allocataires suédois et de ceux du régime national britannique ont plus de 65 ans. Pour l’heure, il semblerait que les personnes âgées préfèrent encore faire appel aux services en nature traditionnels, mais les générations futures pourraient opérer un autre choix.
61Comme toutes les prestations sociales, les allocations personnalisées peuvent être universelles ou sélectives. Parmi les pays étudiés, la Suède et la Belgique ont mis en place les dispositifs les plus universels puisque l’accès n’est pas soumis à des conditions de revenus du demandeur et qu’aucune participation financière n’est due, tandis que le système national britannique, soumis à conditions de ressources, est le plus restrictif et se situe clairement dans une perspective assistancielle. Les Pays-Bas occupent une position intermédiaire puisqu’il n’y a pas de seuil de revenus, mais que le bénéficiaire doit s’acquitter d’un ticket modérateur modulé en fonction de son revenu imposable. À noter qu’il ne semble pas y avoir de rapport direct entre la sélectivité des régimes et leur « générosité » puisque la Suède connaît à la fois du régime le plus universel et le plus généreux.
Le nombre effectif d’allocataires dans un pays donné est déterminé par le jeu d’un grand nombre de facteurs, dont certains viennent d’être évoqués, tels que l’ancienneté du régime, l’existence d’un véritable droit à l’allocation, les conditions d’éligibilité relatives à l’âge, la nature et la gravité du handicap et aux ressources, le niveau de l’allocation et les prestations qu’elle couvre, la disponibilité et la qualité des services en nature, la politique menée en matière de substitution des prestations en nature par les prestations en espèces et le mode de financement du nouveau dispositif. À l’heure actuelle, les allocataires sont les plus nombreux aux Pays-Bas (70 000), suivis par le Royaume-Uni (25 000), la Suède (15 000) et la Flandre (800). En considérant le taux de couverture proportionnellement à l’ensemble de la population, les Pays-Bas, avec leurs quatre bénéficiaires par millier d’habitants, comptent quarante fois plus d’allocataires que la Flandre (0,1‰), dix fois plus que le Royaume-Uni (0,4‰) et deux fois plus que la Suède (2‰)
Les allocations personnalisées
62L’idéal type postule une implication intense du demandeur dans toutes les phases de la procédure d’attribution de l’allocation. Il devrait pouvoir déterminer lui-même la nature et l’ampleur de l’aide qu’il requiert pour réaliser son projet de vie. En pratique, l’emprise des professionnels, surtout au sein des instances chargées de l’évaluation des besoins et de l’établissement des plans individualisés d’aide reste grande. En vue de garantir une « distribution équitable » des allocations, la Belgique applique des échelles d’évaluation très standardisées, tandis qu’aux Pays-Bas et en Suède les évaluateurs se basent sur des directives formalisées, par exemple en ce qui concerne la prise en compte de l’obligation parentale et conjugale. Au Royaume-Uni, l’Inspection des services sociaux attribue même le succès très mitigé de l’allocation personnalisée à la persistance d’attitudes paternalistes chez les professionnels des services sociaux municipaux et à leur volonté de garder le pouvoir.
63Idéalement les allocations accordées devraient couvrir tous les besoins du demandeur, mais, en pratique, leur portée peut être limitée, notamment par les contraintes budgétaires. La Suède, qui va le plus loin dans la prise en compte d’un large éventail de besoins, se voit confrontée à une dérive financière tellement catastrophique qu’une réforme du dispositif semble s’imposer. Dans les autres pays, le lien déjà évoqué entre l’allocation personnalisée et les coûts des services en nature pourrait limiter l’indemnisation de l’assistance dans le domaine de l’intégration sociale. En tout état de cause, il semblerait qu’au Royaume-Uni, par exemple, les personnes âgées se voient rarement accorder des heures d’assistance pour des activités sociales ou pour des alternatives à l’accueil de courte durée.
64Dans le modèle idéal-typique, l’allocation personnalisée est présentée comme un instrument global permettant au bénéficiaire de remplacer l’aide bénévole de son entourage et toutes les formes de prise en charge structurées par une assistance autogérée achetée sur le marché. En réalité cependant elle est souvent combinée avec d’autres formes d’aide formelle et informelle. Parfois les allocataires y sont obligés parce que les sommes allouées ne suffisent pas à couvrir l’ensemble de leurs besoins mais, le plus souvent, il s’agit d’un choix réfléchi visant à mettre à profit les possibilités de cumul offertes par la réglementation. En effet, à quelques exceptions près, qui concernent l’accueil dans un établissement d’hébergement ou les activités dans un centre de jour ou à l’école, les allocations peuvent être combinées avec des services en nature traditionnels tels que l’aide et les soins à domicile. À l’exclusion du régime néerlandais, financé par le biais de l’assurance maladie, les systèmes d’allocations personnalisées ne couvrent pas les soins infirmiers relevant d’une autre autorité et ayant un mode de financement propre, tandis que seuls la Suède et le Royaume-Uni permettent l’achat d’aides techniques.
65Au Royaume-Uni et en Suède, un plan individualisé élaboré avec l’usager par le service social de la commune, devrait en théorie assurer la cohérence de toutes les mesures mises en œuvre, tandis qu’en Flandre et aux Pays-Bas, où la municipalité n’intervient pas dans la gestion des dispositifs, des conseillers spéciaux (zorgconsulenten) devraient aider les bénéficiaires à établir un « menu » d’aide et d’assistance sur mesure. Bien que de nombreuses recherches illustrent un haut niveau de satisfaction des usagers, il semble bien que, malgré cela, une prise en charge intégrée ne soit pas toujours garantie, notamment à cause du cloisonnement persistant entre les domaines sanitaire et social.
Les données statistiques sur les montants effectivement alloués faisant défaut, nous ne pouvons que donner une idée très grossière de leur distribution sur la base de l’écart entre les allocations annuelles minimale et maximale. En Belgique, la fourchette est la plus réduite puisque les allocations y varient entre 7 500 et 35 000 euros. Les montants accordés par les autorités locales britanniques étant inconnus, le seuil inférieur est impossible à déterminer, tandis que l’allocation maximale, déboursée par dispositif national (ILF extension Fund), s’élève à 53 757 euros. Aux Pays-Bas, l’allocation minimale théorique, correspondant à un maximum de deux heures d’aide ménagère par semaine, ne serait que de 870 euros, alors qu’aucun maximum n’a été fixé. Nous savons toutefois que quelques allocations de plus de 108 000 euros ont été accordées. Pour la Suède nous ne disposons que de moyennes, mais elles sont impressionnantes puisqu’en 2004 la dépense moyenne par personne s’élevait à 90 852 euros par année, sans compter les dépenses des communes pour les vingt premières heures d’assistance (RFV, 2004e). Il va sans dire que le niveau de l’allocation détermine dans une large mesure l’étendue des besoins que le bénéficiaire pourra satisfaire.
Les assistants personnels et le marché de l’assistance personnelle
66L’idéal type présuppose que l’usager sélectionne librement ses assistants personnels qu’il forme sur le tas pour qu’ils deviennent, selon une formule consacrée, ses « pieds et mains ». Les candidats ne doivent avoir aucune qualification professionnelle, surtout pas dans le domaine de l’aide sociale parce qu’ils risqueraient d’apporter des visions et des routines de travail en décalage avec les besoins et les choix de leur « employeur ». Par ailleurs, les aidants doivent faire preuve d’une grande flexibilité et être disponibles à toute heure du jour et de la nuit. L’idéal type postule également l’existence d’un marché sur lequel il y a une offre abondante d’assistants qui répondent aux critères et sont aisément interchangeables.
67En tant qu’aidants, les proches appartenant au ménage du bénéficiaire répondent à certains critères de l’idéal type mais pas à d’autres. Comme ils apportaient souvent déjà leur soutien avant d’être « embauchés » au moyen de l’allocation personnalisée, ils remplissent les exigences de disponibilité et de flexibilité. En revanche, ils sont difficilement remplaçables et n’occupent pas toujours une position subalterne puisqu’ils assurent souvent l’organisation et le pilotage de l’assistance lorsque l’allocataire est mineur ou souffre d’une déficience mentale ou un trouble psychique grave. De ce fait, leur place dans un dispositif d’allocation personnalisée, est empreinte d’ambiguïté et reste controversée. Il y a également certains doutes à l’égard des aidants familiaux hors ménage.
68Le Royaume-Uni mène la politique la plus restrictive en la matière puisque, à moins d’obtenir une dérogation, l’embauche de membres du ménage y est carrément proscrite. En Flandre, le recours aux proches, surtout en tant qu’aidants uniques, n’est pas encouragé et entraîne même la classification du demandeur dans une catégorie de budgets inférieure. Pourtant la rémunération de cette main-d’œuvre familiale est permise, bien que son statut au regard de la législation du travail demeure assez flou. Jusqu’à présent, le régime néerlandais ne connaît aucune restriction, tandis que la Suède pose comme unique condition que les proches soient engagés par un employeur externe à la famille et non de gré à gré. Dans ces deux pays, les directives pour les administrateurs chargés de l’appréciation des besoins stipulent explicitement que les obligations découlant de la relation parentale ou conjugale doivent être prises en compte et que seule l’aide allant au-delà de ce qui est « habituel » sera sujette à indemnisation. En pratique toutefois, la ligne de démarcation entre l’assistance obligatoire et l’aide supplémentaire s’avère difficile à tracer de façon objective et la Suède fait, par exemple, état d’un biais sexiste persistant.
69En Suède et aux Pays-Bas, d’aucuns ont exprimé la crainte que l’allocation personnalisée, surtout comme unique source de revenus des aidants familiaux, n’engendre des effets pervers, notamment en créant une dépendance accrue du bénéficiaire au lieu de stimuler son émancipation et son autonomie, par exemple en freinant son déménagement vers un logement individuel. En tout état de cause, les intérêts de l’allocataire ne coïncident pas nécessairement avec ceux de ses proches et les abus ne sont pas à exclure. Or, tandis qu’une vigilance particulière semble s’imposer pour défendre les droits des bénéficiaires les plus fragiles, l’intimité de la sphère familiale rend sa mise en œuvre problématique.
70Sur un tout autre plan, les Pays-Bas, où plus de la moitié des aidants sont des proches, apprécient que le dispositif attire un « personnel de maintien à domicile » qui ne serait pas disponible autrement, tout en s’inquiétant vivement de voir tomber des pans entiers de la solidarité familiale et sociale dans le domaine de l’économie de marché, ce qui, outre les implications sociales, risque, à terme, d’avoir des conséquences budgétaires désastreuses. Il va sans dire que l’accroissement du taux d’activité professionnelle des femmes –majoritaires parmi les aidants rémunérés – et la baisse concomitante de leur disponibilité, alliée à l’évolution des comportements familiaux et au vieillissement des aidants familiaux conditionnent l’avenir des dispositifs largement dépendants de ce type de main-d’œuvre (Bonnet, 2004).
71Pour ce qui est des assistants personnels externes à la famille, l’idéal type postule que l’allocataire les choisit librement en fonction de ses besoins et les embauche de gré à gré, mais en fait le statut de particulier employeur est très rare. En Suède, seuls 3 % des usagers y ont recours, contre environ 20 % aux Pays-Bas, les données pour la Belgique et le Royaume-Uni faisant défaut. Le plus souvent les assistants personnels ont conclu un contrat de travail avec une structure intermédiaire, comme une autorité locale, une association ou une coopérative d’usagers qui assure leur formation et leur encadrement, tout en laissant à l’usager le choix de ses aidants et l’organisation pratique de leur travail.
72Hormis en Suède, où quelques grosses entreprises ont apparemment flairé les profits considérables qu’ils pouvaient tirer des indemnisations généreuses, le secteur marchand ne semble pas encore s’être lancé sur le marché de la prestation d’aide humaine. En Flandre, seuls quelques bureaux d’intérims privés sont actifs dans ce domaine, tandis qu’aux Pays-Bas, les prestataires de services sont essentiellement non marchands. Pour le Royaume-Uni, les informations font défaut. En Belgique et aux Pays-Bas, des prestataires agréés dans le domaine du handicap ont constitué des associations à but non lucratif séparées pour gérer leurs activités dans le domaine de l’assistance personnelle. Cette solution a l’avantage de permettre la mise à disposition d’un personnel expérimenté et la constitution des « pools » capables d’assurer les remplacements, mais elle suscite la vive méfiance des usagers militants qui y voient une stratégie de la part des prestataires agréés pour « recoloniser » les services pilotés et gérés par les usagers (Huys, 2002).
73À quelques exceptions près (Guldvik, 2004 ; Hugemark, 1988 ; Larsson, 2002 ; Ungerson, 2004), le métier d’assistant personnel, ne semble guère susciter l’intérêt des chercheurs ce qui, au vu de l’ampleur des publics concernés, peut sembler étonnant. Les rares commentateurs s’accordent pour dire qu’il s’agit d’un travail difficile, impliquant parfois de lourdes charges et caractérisé par un grand isolement professionnel du fait des activités solitaires au domicile de la personne aidée. Le décalage entre l’image prototypique de l’allocataire et un segment important du public demandeur, évoqué ci-dessus, peut constituer une source de frustration et de stress. En effet, bien loin de pouvoir collaborer avec des clients exigeants et entreprenants, les assistants sont souvent appelés à intervenir auprès de personnes passives et fragiles, incapables d’exprimer leurs besoins et de piloter leur travail. Or, dans ces cas-là ils ne disposent pas d’une entière liberté d’action mais risquent au contraire de se retrouver tiraillés entre les exigences et les attentes, parfois contradictoires, de l’entourage et de leur employeur externe (la municipalité, une association, une coopérative ou une entreprise privée).
Les informations disponibles attestent que le métier est fortement féminisé, comme tous ceux du secteur social d’ailleurs, et appartient à une frange du marché du travail caractérisée par des emplois précaires, à temps partiel, payés au SMIC et offrant peu de possibilités de formation et des perspectives de carrière très réduites. Une chercheuse norvégienne s’est même demandée récemment si les assistants personnels ne constituaient pas un « nouveau prolétariat dans le domaine des soins » (Guldvik, 2004). Rien d’étonnant, dès lors, que des syndicats suédois et flamands aient déjà formulé la crainte que le nouveau marché de l’aide humaine n’entraîne une érosion des acquis sociaux des travailleurs du secteur non marchand (congés payés, préavis, suppléments pour horaires irréguliers, primes de fin d’année, etc.) (LBC-NVK, 2003 ; Kommunal, 2003 et 2004). Dans ce contexte, le regroupement des assistants personnels auprès d’un nombre limité de prestataires pourrait avoir l’avantage de faciliter la défense collective de leurs intérêts.
Le marché de l’assistance s’écarte de l’idéal type à bien des égards. D’une part, la libre concurrence entre prestataires publics et privés est loin d’être une réalité puisque, au Royaume-Uni, par exemple, il est interdit de rémunérer des agents des services municipaux au moyen d’une allocation personnalisée. D’autre part, l’offre de main-d’œuvre, qui devrait être abondante et répondre à toutes les exigences des bénéficiaires, ne correspond pas toujours aux attentes. À cet égard, l’exemple de la Suède, où des quotas d’heures d’assistance élevés devraient en théorie permettre la réalisation de l’idéal de vie autonome, illustre clairement que la liberté de choix des bénéficiaires et la qualité et la continuité de l’assistance peuvent être compromises par la pénurie de personnel, le taux élevé d’absentéisme pour maladie et la grande instabilité des effectifs. Finalement, la condition que ce soient les intérêts des allocataires qui priment, ne semble pas toujours remplie parce que les mauvaises conditions de travail attirent souvent des candidats qui considèrent le métier d’assistant personnel comme transitoire et le combinent avec d’autres activités jugées primordiales.
Signalons pour finir que l’idéal type implique que le bénéficiaire soit seul juge de la qualité des services offerts. Hormis les difficultés techniques liées au contrôle de la situation domestique de nombreux usagers éparpillés sur le territoire, tous les pays étudiés semblent faire preuve d’une grande hésitation à mettre en place des systèmes de contrôle de qualité effectifs, jugés contraires aux principes qui sous-tendent l’attribution d’une allocation personnalisée. Par ailleurs, surtout dans le cas de proches rémunérés, l’intervention publique dans la sphère privée est jugée délicate. Cela n’empêche pas que la qualité des soins apportés dans le cadre d’une prestation de ce type, notamment aux déficients mentaux, soulève de sérieuses interrogations et que des voix s’élèvent pour exiger la mise en place de procédures de contrôle et de suivi plus strictes. Il semblerait que les nombreuses enquêtes attestant que les usagers se déclarent satisfaits de la qualité des services prestés, ne suffisent pas à apaiser toutes les craintes.
Perspectives d’avenir
74La littérature militante annonçait que l’attribution d’allocations personnalisées entraînerait à terme une substitution des soins institutionnels coûteux par une prise en charge à domicile qui serait même plus avantageuse que les services à domicile traditionnels. Ces attentes ont été trompées à un double égard. D’une part, l’effet de substitution escompté s’est fait attendre dans plusieurs pays. En Belgique, par exemple, les quotas de bénéficiaires quittant un établissement, prévus par le dispositif légal, n’ont jamais été remplis. En revanche, les allocations ont créé une nouvelle demande provenant de personnes qui ne faisaient pas encore appel aux deniers publics parce qu’elles étaient prises en charge par des proches non rémunérés. C’est ainsi qu’aux Pays-Bas, le collège des assureurs de soins note avec inquiétude que de plus en plus de proches refusent d’apporter leur aide si elle n’est pas indemnisée. En réponse, le gouvernement a lancé le débat sur la monétarisation des liens de solidarité au sein de la famille. D’autre part, le maintien à domicile de personnes toujours plus lourdement handicapées, nécessitant parfois une assistance permanente dispensée par plusieurs personnes, engendre des coûts égaux, si ce n’est supérieurs, à ceux de l’hébergement dans un établissement spécialisé. En Suède, où ce problème est particulièrement aigu, des observateurs notent que cette politique coûteuse de maintien à domicile est menée au détriment de l’intégration sociale des personnes plus légèrement handicapées (Cohu, Lequet-Lama, Velche, 2003), tandis que la dérive financière soulève la question plus générale de la limite de la solidarité sociale lorsqu’il s’agit de respecter le choix individuel pour une vie hors institution.
75Pour endiguer les dépenses de l’État, la Suède a transféré une partie de la responsabilité financière de l’allocation personnalisée vers les communes, tandis que les Pays-Bas projettent une opération similaire. Toutefois, l’exemple du Royaume-Uni illustre clairement que la gestion de proximité peut entraîner des disparités locales importantes, ce qui semble se confirmer en Suède.
76Dans un avenir proche, les Pays-Bas, où la population concernée par l’allocation personnalisée est la plus vaste, envisagent de réorienter leur régime sur les soins et l’aide à domicile proprement dits, tout en limitant les prestations dans le domaine de l’aide ménagère et de l’accompagnement. En Flandre, les propositions initiales du mouvement de vie autonome étaient très ambitieuses et prévoyaient la couverture d’un large éventail de besoins mais, sous l’effet des contingences budgétaires, le régime mis en place s’oriente de plus en plus vers l’apport d’aide à domicile aux personnes les plus lourdement handicapées. Le système britannique, qualifié de mesure de type « bed and breakfast » par ses détracteurs, est également axé principalement sur la satisfaction des besoins essentiels de personnes lourdement handicapées dont les exigences en matière d’intégration sociale sont plutôt négligées.
Comme les budgets de l’aide sociale sont limités, tout porte à croire que tous les pays étudiés se verront obligés d’opérer, dans les années à venir, des choix difficiles tant au niveau du public visé qu’au niveau des besoins pris en compte. Ce qui est certain toutefois, c’est que l’existence même des dispositifs d’allocation personnalisée ne devrait pas être mise en cause et qu’ils continueront d’occuper une place de choix dans la prise en charge des personnes handicapées.
Références juridiques
• Belgique
77Décret du 17 juillet 2000 modifiant le décret du 27 juin 1990 portant création d’un Fonds flamand pour l’intégration sociale des personnes handicapées en vue de l’introduction d’un budget d’assistance personnelle.
78Besluit van de Vlaamse regering van 15 december 2000 houdende vaststelling van de voorwaarden van tœkenning van een persoonlijk assistentiebudget aan personen met een handicap. Arrêté du gouvernement flamand relatif aux conditions d’attribution d’un budget d’assistance personnelle aux personnes handicapéés, modifié par l’arrêté du 30 novembre 2001.
79Decreet van 21 december 2001 houdende wijziging van het decreet van 27 juni 1990 houdende oprichting van een Vlaams Fonds voor de Sociale Integratie van Personen met een Handicap, met het oog op het tœkennen van het persoonsgebonden budget en met het oog op het invœren van de behœftegestuurde betœlaging van de voorzieningen en van een zorg-op-maat voor personen met een handicap.
• Pays-Bas
80Wet van 14 december 1967, houdende algemene verzekering bijzondere ziektekosten (Algemene Wet Bijzondere Ziektekosten).
81Besluit van 2 oktober 1997, houdende regels met betrekking tot het werkterrein, de samenstelling en werkwijze van indicatieorganen (Zorgindicatiebesluit).
82Besluit van 25 oktober 2002 houdende hernieuwde vaststelling van de aard, inhoud en omvang van de zorg waarop aanspraak bestaat ingevolge de Algemene Wet Bijzondere Ziektekosten en wijziging van andere besluiten in verband daarmee (Besluit zorgaanspraken AWBZ).
• Royaume-Uni
83National Health and Community Care Act (1990).
84The Community Care, Services for Carers and Children’s Services (Direct Payments) England Regulations 2003.
85Community Care and Health (Scotland) Act 2000.
86Carers and Direct Payments (Northern Ireland) Act 2002.
• Suède
87Socialtjänstelagen, SoL 1980 : 620.
88Lag (1993 : 87) om stöd och service för vissa funktionshindrade, LSS.
89Lag om assistansersättning (1993 : 389), LASS.
Notes
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[*]
Lina Waterplas: sociologue et fonctionnaire européen. Erik Samoy: docteur en sciences sociales, directeur de la cellule de recherche du Fonds flamand pour l’intégration sociale des personnes handicapées en Belgique.
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[1]
Journal officiel de la République française n° 36 du 12 février 2005 page 2353 : loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
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[2]
Enfin, pour faciliter la comparaison, tous les montants libellés en devises étrangères ont été convertis en euros au taux de change du 16 février 2005.
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[3]
Les services garantis par cette loi sont : les conseils et le soutien individuel, l’assistance personnelle, le service d’accompagnement, la personne de contact, le service de suppléance familiale, les brefs séjours en dehors du foyer, la prise en charge de courte durée pour les écoliers de plus de 12 ans, les familles d’accueil et les logements spéciaux pour les enfants et les jeunes, les logements adaptés aux besoins des handicapés adultes et les activités quotidiennes. Les comtés assument le service de conseil et de soutien individualisé, tandis que les huit autres mesures incombent aux communes (Noury, 2003).
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[4]
L’hébergement dans un établissement spécialisé doit rester limité à quatre semaines, tandis que le maintien de l’allocation pendant un séjour en hôpital doit être justifié par des raisons particulières comme une limitation très importante des facultés communicatives ou une déficience nécessitant des connaissances approfondies de la part des aidants.
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[5]
Il s’agit des « vårdbiträde ». La qualification s’obtient dans le deuxième cycle du secondaire ou à l’issue de la formation municipale pour adultes (Komvux). Le travail consiste en aide aux actes de la vie quotidienne, soins et aide ménagère au domicile ou dans des logements collectifs de personnes âgées ou handicapées.
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[6]
L’Agence nationale de la santé et des services sociaux (Socialstyrelsen) n’étant pas en droit d’exiger que les communes lui transmettent des données sur les bénéficiaires du régime municipal, les statistiques disponibles sur ce régime sont très limitées.
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[7]
Notamment une série d’articles de Mattisson Askerup et Christer Lövkvist publiés dans le grand quotidien de tendance libérale Göteborgs-Posten fin 2004 et repris sur le site internet du groupement d’intérêt des usagers.
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[8]
Voir notamment le discours de Stephen Ladyman, secrétaire d’État au ministère de la Santé à la Conférence régionale sur les allocations personnalisées du 26 janvier 2004.
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[9]
Cette assurance est financée par la participation des assurés, les contributions de l’État et les primes, tandis que l’exécution est aux mains des assurances publiques et des assureurs maladies privés.
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[10]
En néerlandais : « PGB Verpleging en Verzorging », « PGB Verstandelijke gehandicaptenzorg », « PGB Geestelijke gezondheidszorg », « PGB Intensieve Thuiszorg » et « PGB Lichamelijk gehandicapten ».
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[11]
Depuis le 1er janvier 2005, le CIZ remplace les instances instituées par les communes (Regionale Indicatie Organen, RIO) parce que des études avaient révélé l’existence de disparités régionales dans leurs approches et leurs procédures.
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[12]
Les bureaux de soins de santé (zorgkantoren), instaurés par les assureurs, assument les tâches découlant de l’AWBZ au niveau régional et au nom de tous les organes exécutifs.
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[13]
L’AWBZ étant un système résiduel, l’allocation est également refusée si le demandeur a droit à des prestations équivalentes à titre d’indemnisation ou au titre d’une autre législation, hormis la loi sur les caisses de maladie (ziekenfondswet).
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[14]
La SVB assure notamment la mise en œuvre de la loi sur les pensions de vieillesse (AOW), la loi sur les allocations familiales (AKW) et la loi générale relative aux survivants (ANW).
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[15]
Communication personnelle des chercheurs à Erik Samoy.
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[16]
Une coalition, dirigée par le chrétien-démocrate Jan-Pieter Balkenende, qui allie les chrétiens-démocrates (CDA), les libéraux (VVD) et les réformateurs de gauche (D66).
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[17]
Le montant maximal est basé sur le coût moyen de l’hébergement dans un logement-services du Fonds flamand, tandis que l’allocation minimale permet d’engager une aide humaine pour douze heures par semaine au salaire minimal.