CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’insertion professionnelle des handicapés est une préoccupation politique dans les différents États de l’Union européenne ; elle fait par conséquent l’objet de mesures spécifiques. C’est ainsi que l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie ont, à l’instar de la France, créé une obligation d’emploi des personnes handicapées dans toutes les entreprises dont la taille est fixée respectivement à vingt, cinquante et quinze salariés. Cette obligation de réserver une partie des postes à des travailleurs handicapés s’assortit d’un seuil fixé au préalable : 5 % en Allemagne, 2 % en Espagne, jusqu’à 7 % en Italie lorsque la taille de l’entreprise est de plus de cinquante salariés. D’autres pays européens privilégient l’élimination des discriminations dont les personnes handicapées peuvent être victimes sur le lieu de travail. C’est le cas du Danemark, des Pays-Bas et du Royaume-Uni. Le premier et le second pays cherchent à compenser les difficultés que les travailleurs handicapés rencontrent sur le marché de l’emploi ; le troisième opte, quant à lui, pour une politique purement incitative à l’égard des employeurs (Sénat, 2003) [1].

2En France, l’idée que l’isolement des personnes handicapées peut être néfaste à leur épanouissement, et plus généralement à leur reconnaissance sociale, est bien antérieure à la mise en place dans les années quatre-vingt-dix à l’échelle de l’Union européenne d’une stratégie européenne pour l’emploi. Elle est portée par un principe fort : l’ouverture plus large des portes de l’école et du monde du travail à ceux qui sont orientés vers des filières spécialisées de l’enseignement, puis vers le travail protégé. Deux lois organisent ce principe : la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975 qui affirme l’obligation éducative pour les enfants et adolescents handicapés et privilégie l’intégration en milieu scolaire ordinaire [2] ; la loi n° 87-517 du 10 juillet 1987 en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés [3] qui institue l’obligation d’employer une proportion de travailleurs handicapés équivalente à 6 % de l’effectif total. De ce point de vue, l’intégration professionnelle – au même titre que l’intégration scolaire – procède d’un souci d’équité : les travailleurs handicapés devraient avoir le même droit d’accès aux sphères d’activités professionnelles, selon des modalités identiques à celles des travailleurs « ordinaires ». On considère ainsi que le travail en milieu ordinaire est un vecteur d’intégration plus qu’une orientation vers des établissements spécialisés comme les centres d’aide par le travail (CAT).

Encadré : Le droit au travail en milieu ordinaire des personnes handicapées

Reconnu par la loi, le droit au travail en milieu ordinaire se traduit par une obligation pour les entreprises employant au moins vingt salariés d’embaucher des handicapés [4] qualifiés comme tels par la Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel (COTOREP). En 2000, les COTOREP ont reçu 263 000 demandes de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) et ont répondu à 146 000 d’entre elles ; en 2002, elles ont pris 286 000 décisions. Sur deux années, le taux de réponse des premières demandes est identique, soit 55 % (cf. Chanut et Paviot, 2002, ainsi que Chanut, 2003). Outre la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, cette commission opère un classement du travailleur handicapé dans la catégorie qui correspond à ses aptitudes professionnelles : A pour un handicap léger, B pour un handicap modéré et C lorsque le handicap est grave. Pour le décompte des travailleurs handicapés dans l’entreprise, la loi raisonne en unités de handicap et non en nombre de salariés : chaque travailleur handicapé se voit attribuer une unité de base majorée ensuite en fonction de l’importance de son handicap, de son âge, de son expérience, de sa formation ou du poste de travail. Selon le poids de ces variables, un salarié handicapé peut représenter entre 1 et 5,5 unités.
En somme, une entreprise de mille salariés doit employer un nombre variable de personnes handicapées pourvu que ces dernières représentent un total de 60 unités de handicap (soit six handicapés pour cent individus). Dans le cas contraire, l’employeur devra verser une contribution à l’Association pour la gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH) calculée en fonction du nombre de travailleurs handicapés manquants. Avec les fonds collectés, l’AGEFIPH aide à l’insertion professionnelle des handicapés, notamment en versant aux employeurs « intégrants » une prime à l’insertion de 1 600 euros et au salarié une prime de 800 euros. Hormis cette aide, le statut du travailleur handicapé reste identique à celui d’un travailleur « ordinaire » : mêmes conditions de travail, même rémunération théorique. Toutefois, si le rendement est inférieur à la moyenne, l’employeur peut, après accord de la direction départementale du travail et avis favorable de la COTOREP, pratiquer un abattement de 10 à 20 % sur le salaire. Lorsque, du fait de cet abattement, la rémunération est inférieure au SMIC, l’État ou l’AGEFIPH verse au travailleur un complément de rémunération pour atteindre le SMIC.

Des principes à la réalité

L’emploi des travailleurs handicapés : un objectif non atteint

3L’évaluation de la politique sociale en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés révèle la permanence d’une inégalité d’accès au travail ordinaire et la récurrence de particularités. Le tableau 1 indique en effet que sur cinq ans, et en dépit des variations d’effectifs, les caractéristiques sociodémographiques n’ont guère évolué. On note aussi que cette population se caractérise par une proportion élevée d’hommes et d’ouvriers, par un faible niveau de qualification et par un taux faible et constant de jeunes travailleurs handicapés [5].

Tableau 1

L’emploi des travailleurs handicapés par sexe, âge et niveau de qualification de 1996 à 2000

Tableau 1
1996 1997 1998 1999 2000 Sexe Hommes (en %) 75 74 73 68 68 Femmes (en %) 25 26 27 32 32 Ensemble 100 100 100 100 100 Nombre de TH 221 200 220 000 210 000 215 000 219 000 Âge (en %) Moins de 25 ans 2 2 1 2 2 25-49 ans 61 62 62 62 62 50 ans et plus 37 36 37 36 36 Ensemble 100 100 100 100 100 Qualifications (en %) Chefs d’entreprise 6 6 5 5 Professions intermédiaires 16 16 16 16 16 Employés 23 2 3 2 3 27 25 Ouvriers qualifiés 36 36 36 33 32 Ouvriers non qualifiés 19 19 20 19 22 Ensemble 100 100 100 100 100 Source : DARES, DOETH.

L’emploi des travailleurs handicapés par sexe, âge et niveau de qualification de 1996 à 2000

4À ces données sur l’emploi s’ajoutent celles sur les sorties du chômage : elles sont à la fois plus tardives et plus précaires que pour la moyenne des demandeurs d’emploi. Enfin, parmi les personnes qui ont retravaillé depuis leur inscription à l’ANPE, près du tiers d’entre elles ont déjà perdu leur emploi dix-huit mois plus tard (Loones et al., 2004).
En moyenne, la proportion des personnes handicapées employées en milieu ordinaire est de 4,1 % en 2000 et 4,13 % en 2001 (Amira, 2002 ; AGEFIPH, 2004) avec de fortes variations selon les secteurs d’activité (8 % dans le secteur de la santé et de l’action sociale, 5,1 % dans la métallurgie, 1,5 % dans le conseil et l’assistance…) et des différences objectives existent entre les travailleurs reconnus handicapés et les travailleurs « ordinaires ». Parmi les 31 millions de personnes en âge de travailler (20-59 ans), 1 435 000 personnes ont bénéficié d’une reconnaissance administrative de leur handicap selon les termes de la loi de juillet 1987. Parmi celles-ci, 701 000 personnes font partie des 25,5 millions d’actifs, et 535 000 d’entre elles sont occupées. Le taux d’emploi de cette population est de 37 % contre 73 % pour l’ensemble des 20-59 ans, et son taux de chômage s’élève à 24 % contre 11 % environ pour l’ensemble des actifs (Brouard, 2001). Plus de la moitié des travailleurs handicapés s’est retirée du marché du travail (51 % sont inactifs) et ceux qui s’y sont maintenus sont plus touchés par le chômage que l’ensemble des actifs (Roussel, 2004).

Deux axes d’analyses

5Ces causes de l’écart entre les principes et leur application se répartissent entre deux approches de l’insertion professionnelle dans le monde de l’entreprise :

  • une approche « environnementale » qui tient compte à la fois du contexte économique et des aptitudes réelles de la personne handicapée ;
  • une approche « subjective » qui relève de l’ordre des représentations.
Dans le premier cas, le travailleur handicapé ne serait pas en phase avec les formes nouvelles d’organisation du travail, et la rationalisation des postes de travail. En effet, du point de vue des employeurs, les causes de ce décalage entre les principes juridiques et les pratiques effectives sont de plusieurs ordres. Il y a d’abord celles mises au jour par Blanc (1995) : les employeurs invoquent généralement les limites physiques du travailleur handicapé dans un contexte professionnel marqué par une injonction à la compétitivité économique. Ils évoquent ensuite des raisons fondées sur le caractère « imprévisible » du handicap pouvant nuire aux relations sociales à l’intérieur de l’entreprise ou avec la clientèle. De plus, les aménagements de poste induits par le recrutement d’un travailleur handicapé sont perçus comme une charge supplémentaire dont ils se passeraient volontiers. Il y a enfin la formation des handicapés qui serait insuffisante, l’inquiétude face aux problèmes de relations professionnelles et la crainte d’une moins bonne rentabilité (Blanc et Sticker, 1998). Tous ces aspects pèsent sur la décision des employeurs de ne pas se soumettre à l’obligation légale puisque le rapport entre les avantages offerts par la loi et les contraintes d’une embauche est trop déséquilibré pour être « intéressant » sur un plan pécuniaire [6]. Les chefs d’entreprise préfèrent alors s’acquitter d’une amende plutôt que de subir les désagréments occasionnés par une main-d’œuvre dont les performances seraient en deçà du niveau attendu (Blanc, 1999). Il est possible d’ajouter à cela la crise durable de l’emploi qui exacerbe la concurrence entre les travailleurs handicapés et les exclus du marché du travail [7]. Cette crise a pour effet de dissuader les premiers de s’engager dans une course à l’emploi qu’ils considèrent comme perdue d’avance.

6Dans le second cas, le rapport au handicap est appréhendé à partir des anticipations que les employeurs font sur les personnes. Dès lors que la productivité est une fin et la rationalité un moyen, l’efficacité et l’excellence serviront d’étalon à l’évaluation des salariés. À cet égard, l’approche de Gendron (1994) par le biais du modèle de la rationalité économique montre que les entreprises considèrent a priori la main-d’œuvre handicapée moins productive. La simulation de demande d’emploi réalisée par Ravaud (1994) va dans le même sens : les personnes mentionnant leur handicap sur leur curriculum vitae ont significativement moins de chances d’obtenir un rendez-vous que les autres personnes.
Ces deux manières d’aborder l’insertion professionnelle des handicapés conduisent à une conclusion identique : une approche en termes juridiques et administratifs ne suffit pas à expliquer les difficultés d’accès à l’emploi ordinaire. Des obstacles de nature économique, sociologique et psychosociologique existent, et il s’agit de ne pas les négliger. Bien analysés dans le cadre d’une entreprise, ces obstacles interviennent-ils de la même manière dans le secteur agricole ? Les préjugés qui freinent l’insertion professionnelle dans le monde de l’entreprise ont-ils le même impact sur une exploitation agricole ? C’est pour répondre à ces questions que notre problématique articule le contexte de production aux procédures matérielles et cognitives mises en place lors d’une situation d’insertion professionnelle.

Le cas des exploitations agricoles : une enquête en Dordogne

7Le choix du terrain se porte sur les exploitations agricoles [8] dans la mesure où l’on présuppose que la pénurie de main-d’œuvre dont souffre le milieu agricole s’avère plus propice que l’entreprise à la perpétuation des valeurs recherchée à travers l’insertion professionnelle, et qui participent sans doute davantage à la réussite de l’intégration au sens large du terme. Par ailleurs, une exploitation agricole a ceci de particulier qu’elle oblige à un travail éclaté en divers lieux et diverses temporalités (Joly, 2004), et qu’elle instaure des relations sociales spécifiques du fait d’un partage d’activités hors travail. Enfin, à la différence d’une entreprise, une exploitation agricole repose en général sur un schéma traditionnel de travail collectif et familial. Cette organisation permet une grande souplesse de fonctionnement, mais demande aussi une polyvalence importante [9].

8L’échantillon comprend 65 employeurs qui ont embauché, dans leur exploitation agricole de Dordogne [10], un adulte ayant obtenu une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH).
Dans la mesure où l’on s’interroge sur les facteurs facilitant ou freinant l’insertion professionnelle, nous avons ciblé trois types de situations sur la base d’une description faite au préalable par les organismes de placement : des contrats rompus, des situations dites « problématiques » où certaines difficultés ont été identifiées, et enfin des situations « satisfaisantes » où l’employeur et le salarié entretiennent de « bonnes » relations. Sur la base de cette classification (certes, sommaire), il est possible d’éclairer la nature et le contenu d’une intégration professionnelle. Pour cela, nous avons opté pour des entretiens semi-directifs réalisés auprès de 65 exploitants agricoles. Le tableau 2 répertorie les caractéristiques des salariés embauchés par ces derniers.

Tableau 2

Caractéristiques des 65 situations étudiées

Tableau 2
Catégorie COTOREP du salarié Cohabitation avec l ’employeur Contrats rompus Contrats « problématiques » « Bonnes » situations A B C C+ * Oui Non 3 3 8 51 28 37 10 13 45 * Le Code du travail prévoit un classement en catégories A, B et C. L ’application nationale de gestion informatique de la COTOREP ajoute la catégorie C+, réservée aux personnes dont l ’orientation professionnelle sera faite vers un emploi protégé en milieu ordinaire avec un abattement de salaire supérieur à 20 % et aux travailleurs handicapés placés en CAT.

Caractéristiques des 65 situations étudiées

9Le type de production des exploitations agricoles en cause se répartit à parts égales entre l’élevage d’animaux et la plantation.

10En 2001, la Dordogne comptait 142 agriculteurs employant un travailleur ayant une RQTH et se répartissant de la manière suivante : 50 employeurs pour la commune de Sarlat et ses environs (35 %), 26 à Bergerac (18 %), 43 à Périgueux (30 %) et 23 à Nontron (16 %). Les 65 employeurs rencontrés respectent la répartition de la population d’origine : 23 employeurs pour la région de Sarlat, 12 à Bergerac, 20 à Périgueux et enfin 10 à Nontron.

11Sur les 65 employeurs interrogés, 10 ont rompu le contrat du travailleur handicapé, 13 vivent une situation conflictuelle avec leur salarié et 42 entretiennent de bonnes relations avec lui. On observe aussi que la durée des contrats est significativement plus faible pour les contrats rompus que pour les contrats problématiques ou les bonnes situations. Ainsi, les contrats sont rompus au bout de cinq ans en moyenne alors que des situations « problématiques » (i.e. conflictuelles) se trouvent dans des contrats plus longs – dix-sept ans en moyenne – (dans les « bonnes » situations la durée du contrat est en moyenne de treize ans).
Les travailleurs handicapés recrutés présentent des caractéristiques marquées qui ne sont pas différentes en définitive du profil des demandeurs d’emploi handicapés dans un contexte d’augmentation du chômage : c’est une population masculine, relativement âgée avec un niveau de formation bas, occupant un poste à bas niveau de qualification.

Le handicap en situation dans des exploitations agricoles

12La spécificité d’une exploitation agricole donne plus d’intensité aux modes de régulation de l’employeur [11], qui de ce fait transforment la situation. En cela, une insertion professionnelle est une construction sociale durant laquelle s’élaborent des manières d’agir et de penser pouvant soit évoluer lorsque les conditions initiales changent, soit se maintenir ou se renforcer quand la situation reste conforme aux attentes premières des employeurs. En conséquence, les causes de la réussite ou de l’échec d’une insertion professionnelle dépendent des dimensions inhérentes à la situation elle-même et à la manière avec laquelle les employeurs la conçoivent et la rationalisent (Castra, 2003).

13Cette hypothèse conduit à minorer l’influence de variables exogènes sur les caractéristiques de la situation. Il s’avère qu’effectivement, ni l’âge, ni la taille de l’exploitation, ni le type de production (élevage d’animaux ou plantations) permettent d’établir un lien significatif avec la manière dont se déroule une intégration professionnelle. Les ruptures de contrat ne sont pas plus nombreuses chez les agriculteurs plus âgés, et l’âge du salarié ne permet pas de distinguer les situations. En d’autres termes, l’âge (de l’employeur et du salarié) n’est pas un facteur facilitant ou entravant l’insertion professionnelle. En outre, il y a une absence de lien entre la taille de l’exploitation et l’insertion professionnelle. Les « bonnes » situations comme les situations « problématiques » et rompues se trouvent aussi bien dans des exploitations de petite taille (à partir d’un salarié) que dans les exploitations de grande taille (jusqu’à 115 salariés). On parvient à une conclusion identique lorsque l’on s’intéresse à la catégorie COTOREP du travailleur handicapé. Là encore, on ne trouve aucune influence sur la situation du contrat.
Puisque les dimensions objectives du problème n’apparaissent pas déterminantes, on admettra que la méthode d’investigation appelle une observation in situ de plusieurs insertions professionnelles. La démarche d’analyse implique une entrée par le « bas ». C’est à partir des motivations principales des acteurs, des tensions inhérentes à la situation d’embauche et des différentes manières de la définir que la compréhension du problème posé peut être envisageable. Au fond, l’expérience de l’intégration professionnelle est un échange d’informations et de significations entre les différents partenaires de l’intégration professionnelle aux premiers rangs desquelles se trouvent bien évidemment les employeurs. Elle s’analyse en référence aux raisons qui dans un premier temps ont motivé l’embauche d’un travailleur handicapé puis, dans un second temps, celles qui motivent le maintien ou la rupture de contrat. Les employeurs avancent principalement deux raisons pouvant coexister dans un même discours (cf. annexe 2). Ce sont ces mêmes raisons qui justifient leur décision de reconduire ou de ne pas réitérer une telle expérience.

Ce que sait l’employeur du travailleur handicapé

14Tout d’abord, un travailleur handicapé est embauché parce que l’employeur le connaissait préalablement soit directement soit indirectement parce que le salarié était en relation avec une personne de l’entourage de l’employeur : « c’est mon père qui l’a embauché il y a 24 ans. Je l’ai repris ensuite en 84 ».

15À la connaissance antérieure de la personne handicapée, due parfois à une coexistence dans l’exploitation familiale, s’ajoute l’information délivrée par les organismes de placement. Cette information s’avère nécessaire lorsque aucune expérience du handicap ne peut aider les employeurs à anticiper la situation d’embauche et à « catégoriser » (au sens cognitif du terme) le comportement du salarié. Ce besoin se fait ressentir avec plus d’intensité lorsque l’attitude du handicapé ne correspond plus aux représentations initiales ou lorsque son comportement a changé. C’est la raison pour laquelle les demandes des employeurs sont similaires : avoir des informations plus explicites et concrètes sur « son véritable handicap », c’est-à-dire sur ses capacités, son comportement, son caractère, son passé professionnel ou personnel.

16Cependant, les informations délivrées par les organismes de placement ne répondent pas toujours aux interrogations des employeurs. Les propos de cet exploitant vivant une relation « difficile » avec son salarié illustrent bien la différence entre l’information abstraite qu’il estime recevoir et l’information concrète qu’il attend : « On m’avait dit : “il est handicapé mental”, c’est tout. On ne m’avait pas dit quels problèmes il aurait ». Les exploitants agricoles butent bien souvent contre le secret médical « J’ai questionné des infirmiers et cela relève du secret médical ».
Toutefois, l’absence d’informations sur le travailleur handicapé peut venir des exploitants eux-mêmes qui, confrontés à un manque de personnel et soucieux de résoudre rapidement leur problème, ne cherchent pas en savoir plus : « on n’a pas trop posé de questions parce qu’il nous fallait quelqu’un ». Cette attitude est somme toute cohérente dans la mesure où la « bonne » information est celle que les exploitants sont capables de tirer du contexte de travail, lorsque le salarié est en situation. Le travail accompli suffisant parfois à cerner la personne handicapée, toute information sur elle aurait été inutile : « cela n’aurait rien changé, on voit le travail qu’ils font ».

La définition de ce que l’employeur doit savoir de la situation du travailleur handicapé

17À la différence des employeurs entretenant de « bonnes relations » avec leur salarié, les employeurs dont le contrat est « problématique » ou rompu avouent avoir découvert des éléments nouveaux sur leur salarié en cours du contrat, au fur et mesure que l’intégration professionnelle progressait dans le temps. Ces éléments se répartissent entre les trois registres suivants : la compétence professionnelle (ce qu’il ne sait pas du tout faire), le comportement (ses réactions, son caractère, son humeur) [12], les excès de conduite comme l’abus d’alcool et des troubles morbides au regard desquels les employeurs sont impuissants. Cette évolution de la situation et la manière de la définir caractérisent le mieux le malentendu entre les employeurs et les organismes de placements : « j’ai appris un jour qu’il ne connaissait pas les couleurs, qu’il ne savait pas lire, ni écrire, ni compter […] J’ai découvert cela au fur et à mesure. Quand vous employez quelqu’un qui a une responsabilité dans l’entreprise vous avez des critères, un CV, un parcours, sa dernière embauche. Vous pouvez avoir des renseignements. Quand vous avez un handicapé, vous ne pouvez pas avoir ce rapport. On ne vous donne pas la possibilité de savoir exactement ce qui s’est passé, cela reste confidentiel, c’est un dossier médical ».

18L’équivoque est due au décalage entre d’une part les informations en termes de déficience (physique ou mental) ou de taux d’abattement sur le salaire, délivrées par les organismes de placement, et d’autre part les employeurs qui réclament des informations pratiques sur les travaux réalisables ou non, les réactions possibles, les changements prévisibles d’attitudes. C’est lorsque les difficultés s’accumulent que les logiques d’acteur prennent une tournure différente, et donnent lieu à des tensions. En conséquence, il est utile de dépasser l’approche catégorielle en abordant la question de l’intégration professionnelle à partir d’une analyse de la situation et des pratiques quotidiennes. Il convient par ailleurs de concevoir le recrutement en fonction des potentialités et des faiblesses du travailleur handicapé, de ce qu’il sait faire, de ce qu’il ne peut pas faire (conduire du tracteur, faucher du foin, etc.), éventuellement de ce qu’il ne pourra plus faire.

19En somme, les employeurs comprennent bien que la notion de handicap renvoie à des troubles (mentaux et/ou physiques) pouvant s’exprimer de manière très différente d’une personne handicapée à l’autre. Le quotidien de l’intégration pousse leur regard bien au-delà des classifications, des catégories définies par la COTOREP et du pourcentage d’abattement de salaire qui constituent pourtant la référence principale des organismes de placement. Dès lors que les catégories administratives servent à désigner le handicap, les employeurs auront toujours l’impression d’être renvoyés aux limites de leur propre évaluation des capacités et des compétences professionnelles de leur salarié. Ils doivent découvrir par eux-mêmes les caractéristiques personnelles de leur salarié et repérer l’existence d’une aptitude à s’adapter à de nouvelles situations de travail. Ce qui présente des risques évidents sur le contrat de travail lorsque des informations jouant en défaveur de la personne handicapée sont mises au jour. Cela étant, le fait que l’employeur ne puisse pas se référer à une classification officielle (donc générale) pour « évaluer » leur salarié peut avoir des conséquences heureuses. C’est ainsi que certains employeurs embauchant un salarié de catégorie C disent ne pas le considérer comme handicapé : « Je ne sais pas pourquoi il était reconnu handicapé, pour moi il n’avait pas de difficultés ».

20Bien que nécessaire, la connaissance ex ante des limites pratiques du handicap s’avérerait étroite sans une analyse des conséquences directes des difficultés sociales, physiques et mentales du salarié sur la réalisation des tâches prévues. Si, à l’instar de l’embauche d’un salarié « ordinaire », une intégration professionnelle suppose une fiche de poste, elle réclame aussi l’adéquation des tâches à accomplir avec les caractéristiques de la personne handicapée. En définissant précisément la situation à partir du comportement et de tâches réalisables, une partie des écueils de l’intégration professionnelle pourrait être évitée, en particulier le défaut d’information qui devient une entrave à la compréhension sociale de la situation. À l’école comme au travail, lors d’une intégration scolaire ou lors d’une intégration professionnelle, le poids des représentations du handicap est parfois lourd ; il est utile alors de démythifier le handicap par des explications claires (Zaffran, 1997).

21La situation étant inscrite dans la durée, son évaluation s’appuie sur le rapport entre les capacités personnelles du travailleur handicapé et les tâches de travail. Cela afin de répondre aux préoccupations des employeurs sur l’avenir du salarié quand ses capacités diminuent, qu’il coûte plus cher qu’il ne rapporte ou que la perspective d’une incapacité au travail se fait plus proche. Ces préoccupations donnent lieu à une interrogation en matière de suivi des contrats dont on peut dire globalement qu’il présente des lacunes (dans l’ensemble un suivi régulier n’est effectué que dans 20 % des cas). Même si un lien existe entre la demande d’un suivi et la situation du contrat (les employeurs dont la situation est « bonne » sont plus nombreux à ne pas demander de suivi alors que ceux dont le contrat est « problématique » ou rompu estiment avoir besoin d’un suivi), les employeurs faisant l’objet d’un suivi sont unanimes pour dire que cela est bénéfique : « c’était important qu’il soit là parce que le rôle d’éducateur, nous, on ne peut pas l’improviser. Et puis ce n’est pas facile non plus de prendre la suite derrière des éducateurs. On a peur des fois de ne pas savoir bien les prendre. » ; « son éducateur venait voir comment cela se passait, il cernait les problèmes qu’on avait et nous disait quoi faire. »
Le défaut de suivi semble être préjudiciable à l’insertion professionnelle car il conduit à une réévaluation par l’employeur des avantages et des inconvénients considérés lors de l’embauche. Il exacerbe l’insatisfaction et la frustration à l’égard du travail réalisé qui ne correspond pas ou plus aux attentes initiales, parce que le salarié « ne sait pratiquement rien faire » ou « qu’il ne veut plus rien faire ». Il nourrit chez les exploitants aux prises avec des difficultés le sentiment de « s’être fait avoir » et d’être abandonné : « j’ai parlé des problèmes que j’avais à l’infirmier qui le suit mais j’ai eu un blocage. Tant que je n’ai pas dit, je le mets à la porte, ils ne vont pas se bouger. Eux, ils ont rempli leur mission, ils ont réussi à réinsérer quelqu’un dans leur statistique ».
Sans l’aide d’un référent, les employeurs se trouvent désemparés et ne peuvent plus faire face à la situation qui se détériore progressivement. Les ruptures de contrat traduisent des situations devenues irrécupérables par une défaillance des modes de régulation. On devine facilement qu’un suivi régulier de l’employeur et de son salarié ou, à défaut, la création d’un dispositif que les employeurs pourraient solliciter facilement en cas de besoin permettrait de prévenir certains risques de rupture due à un jugement et une définition de la maladie échappant aux critères apparemment « objectifs » des catégories administratives.

Les contraintes de la vie quotidienne

22Dans une exploitation agricole, les conséquences de l’embauche d’un travailleur handicapé se font aussi sentir durant le temps hors travail, lorsque les relations avec le handicapé se déroulent dans la sphère domestique. À cet égard, l’observation conduite par Jodelet (1989) dans un village, sur les relations entre les pensionnaires malades et les familles d’accueil est une référence. En accordant une importance à l’expérience vécue, son étude montre que les définitions du malade mental varient selon les conditions de contact. En ce qui concerne notre étude, force est de constater que c’est la situation de gêne ressentie lors de cette cohabitation qui différencie les contrats où les relations sont bonnes, de ceux où la situation est « problématique » ou rompue. Lorsque la situation est « bonne », les employeurs avouent plus souvent ne pas être gênés par la cohabitation, et ils insistent soit sur les qualités personnelles du salarié qui facilitent la promiscuité – discrétion, compréhension, participation, etc. –, soit sur l’aspect anodin et familier que revêt à leurs yeux une telle situation : « cela ne nous dérange pas de le nourrir tous les jours, il faut bien qu’il mange et nous aussi » ; « il y a toujours eu du monde, il y avait mes beaux-parents, la grand-mère et l’arrière-grand-mère ».

23En revanche, les employeurs dont la situation est « problématique » éprouvent plus souvent de la gêne, y compris ceux qui, bien que n’hébergeant pas le salarié, doivent partager leur repas avec lui : « il rentre partout », « il ne se lave pas », « il est mal élevé », etc. La cohabitation n’est pas en soi un facteur défavorable ; elle peut le devenir lorsque l’employeur n’est pas prêt à assumer les contraintes qui en découlent ou qu’il ne peut plus les surmonter. Dans ce cas, le caractère familier de la personne handicapée n’est plus de mise ; il s’agit au contraire d’un étranger (donc un être inquiétant pour reprendre l’analogie freudienne) qui pénètre dans la sphère privée et avec qui il faut composer bon gré mal gré : « c’est sûr que c’est gênant d’avoir un étranger, il faut faire le repas pour une personne de plus, et puis il faut le supporter ».
Rien ne permet de dire si le salarié est devenu un être étrange depuis que la situation s’est dégradée ou si la situation s’est dégradée parce que le salarié était trop étranger. Il demeure que l’évaluation du degré d’interférence entre la vie privée et la vie professionnelle ainsi que le niveau de participation du salarié à la vie familiale et sociale de l’employeur reste un indicateur de son intégration sociale au sein de l’exploitation.

Pourquoi recruter un travailleur handicapé ?

24Sur un plan strictement économique, les allégements fiscaux et les abattements proposés lors de l’embauche d’un travailleur handicapé interviennent favorablement dans le calcul du coût et des avantages de la signature du contrat.

25Si seulement sept exploitants sur les 65 interviewés disent n’avoir eu aucun bénéfice, le maintien des aides financières constitue un facteur important pour la très grande majorité des employeurs. Du reste, ce calcul ne se limite pas à une maximalisation du profit. Les exploitants prennent aussi en compte le besoin pressant d’une main-d’œuvre pour un poste de travail qui ne demande pas de qualifications particulières (« on fait des fraisiers et on a besoin de main-d’œuvre ») mais qui peut être pénible et demander beaucoup de « bonne volonté ». Aussi est-il trompeur d’accorder à l’argument financier la vertu d’une interprétation totalisante car si la plupart des employeurs affirment avoir tiré avantage de la situation, ils énoncent, outre les aides financières stricto sensu, une série de gains acquis de nature différente, en particulier l’apport appréciable d’une main-d’œuvre faisant défaut dans le secteur de l’agriculture. Ces deux avantages (économique et numérique) expliquent la préférence des exploitants pour un salarié handicapé qui ne rechigne pas à l’ouvrage. Les conditions de travail enmilieu agricole entraînent certaines contraintes auxquelles seul un ouvrier handicapé, a priori plus motivé et plus dynamique qu’un ouvrier valide, pourrait répondre : « ce sont des personnes qui recherchent une famille, et si on peut leur apporter, ils sont plus fidèles, plus intéressés, plus impliqués dans le travail que ne le serait un salarié autrement. Notre métier est ingrat, on peut avoir besoin de quelqu’un à 11 heures du soir et qu’il y ait quatre heures de coupure l’après-midi mais il faut quand même qu’il soit là s’il y a lieu. Lui, il le comprend très bien ».

26Si l’agriculteur trouvait la main-d’œuvre souhaitée chez un ouvrier « ordinaire », les avantages financiers resteraient un atout de taille : « À son prix de revient, je n’aurai personne à plein-temps ».

27Ces deux arguments, satisfaction d’un besoin en main-d’œuvre et prix de revient, ne jouent pas seulement à l’embauche puisqu’une révision du contrat est parfois demandée par les exploitants qui, en cours de contrat, estiment que le travailleur handicapé rapporte moins que ce qu’il coûte. Que faire en effet lorsque « le jeu n’en vaut plus la chandelle » ? Des tensions menacent les relations dès lors qu’un déséquilibre trouble le rapport entre les coûts estimés et les bénéfices escomptés. La rupture de contrat semble être la meilleure solution, bien qu’elle expose les employeurs à des contraintes supplémentaires. Tous les exploitants s’accordent à dire qu’une telle décision les place devant l’obstacle (récurrent en milieu agricole) du manque de main-d’œuvre, et de facto l’obligation de former à nouveau une autre personne.

28Le travailleur handicapé représente une ressource pour l’employeur si, d’une part, le travail à l’exploitation se fait à cadence régulière et prévisible, d’autre part, le comportement du salarié reste stable. Dans le cas contraire, les aides financières ne pourront compenser la perte de rendement occasionnée par un manque de réactivité ou un déclin des aptitudes du salarié : « c’est vrai que les charges sont remboursées et que je ne paie que le salaire mais ça ne suffit pas. Moi, il faut que ça avance dans le boulot, surtout quand il y a un coup de bourre ».

29C’est plus la somme de travail initialement attendue que le type de tâche à remplir qui génère de l’insatisfaction chez un employeur qui perçoit malgré tout le travailleur handicapé comme un salarié sur qui il doit pouvoir compter. Que faire lorsque ce dernier « ne fait pas le rendement normal »,« ne travaille que quand il veut » ou, plus simplement, « ne peut plus travailler » ? L’employeur procède alors à une réévaluation des coûts et des bénéfices : « avec 1 000 francs de plus on aurait un gars qui aurait la tête sur les épaules et qui serait impeccable, alors je me demande si ce ne serait pas mieux ».

30C’est ainsi que le manque de compétences, la nécessité de rester constamment avec le travailleur handicapé toujours enclin à « faire une connerie », une faible productivité, une inquiétude quant à l’évolution de son comportement ou de son caractère sont vus comme une source de détérioration de la productivité.
L’évolution du rapport coûts-bénéfices intervient aussi lorsque les espoirs et les promesses faites au moment de l’embauche du travailleur handicapé n’ont pas été tenus : un avantage attendu qui n’est pas venu, un abattement de salaire plus faible que prévu, un aménagement de poste promis puis refusé. Cela explique pourquoi les employeurs dont la relation avec leur salarié est bonne ne demandent pas d’aides financières supplémentaires, alors que ceux dont le contrat est rompu ou problématique estiment qu’une aide financière supplémentaire compenserait les difficultés rencontrées. Certains demandent un abattement complémentaire des charges ou leur exonération ; d’autres réclament une rémunération (« on devrait nous payer pour le garder ») ou une aide financière additionnelle pour embaucher un autre ouvrier. Ces demandes ne sont pas liées à la situation économique des exploitations, aussi difficile soit-elle. Il s’agirait plutôt d’une rétribution compensatoire justifiée par un niveau d’implication personnel relativement élevé [13].
Outre le coût en argent (perte des avantages) et le coût en temps (obligation de trouver et de former une nouvelle personne), la décision de rompre le contrat à également un coût moral et personnel : « il aurait le sentiment qu’on l’abandonne ». L’engagement personnel qui, comme a pu le mettre en évidence Faucher (1994), constitue un facteur intervenant dans la motivation à embaucher, agit aussi sur la motivation à ne pas rompre le contrat. Les ressorts de cet engagement personnel peuvent se situer en amont de l’insertion professionnelle, lorsqu’il est le fruit d’une éducation familiale par exemple. Il tire aussi son origine de l’éventail des rôles à remplir par les agriculteurs au sein d’une exploitation agricole. En plus du rôle de « patron », les employeurs sont amenés à tenir un rôle d’éducateur et un rôle de parent. C’est pourquoi certains employeurs n’hésitent plus à considérer le travailleur handicapé comme « quelqu’un de la famille », et qu’un souci éthique intervient parfois sur la décision de maintenir le contrat malgré tous les inconvénients que cela représente : « si je le garde, c’est parce qu’il n’a pas d’autre endroit où aller ».

Conclusion

31Comment l’homme adulte, en pleine possession de ses moyens, regarde le monde intersubjectif de la vie quotidienne à l’intérieur duquel et sur lequel il agit ? se demandait le sociologue américain Alfred Schütz (Schütz, 1987). Appliquée à l’insertion professionnelle des handicapés, cette interrogation est une invite à traiter le thème central de l’action en société en lien avec le sens que son auteur lui confère et qui donne lieu à un conflit ou une entente mutuelle. Ce sens procède des désirs, des attentes, des motivations et des déceptions qui se transforment, se maintiennent ou se renforcent dans le temps. Aborder l’insertion professionnelle de la sorte suppose de la concevoir moins comme une démarche administrative et législative avec des propriétés déterminées et prévisibles qu’un phénomène contingent lié aux significations particulières que les acteurs lui attribuent. De cela dépendra la dynamique d’interactions entre les principaux acteurs que l’on repère dans la situation (l’employeur et l’employé) et à sa périphérie (les organismes de placement).

32Chaque exploitation ayant ses spécificités propres, le salarié doit posséder certaines qualités afin de ne pas se mettre en danger ou de ne pas entraver le fonctionnement général. Il doit être suffisamment rapide dans l’exécution du travail agricole et particulièrement calme lorsqu’il s’agit de travailler avec des animaux ; il doit être aussi attentif aux comportements des bêtes afin par exemple de savoir reconnaître une vache malade et, de la sorte, séparer le lait. Les aptitudes que réclame le travail dans une exploitation agricole, et qui appartiennent à un registre à la fois professionnel et social, doivent faire l’objet d’une information concise et actualisée. Or, l’exploitation agricole souffre en partie des mêmes lacunes sur le plan de l’information mises en évidence par Douet (2001) dans le dispositif d’aide à l’emploi, et qui bien souvent ont été signalées comme entraînant une baisse d’efficacité du dispositif. Cela étant, l’analyse des entretiens montre qu’une information biaisée sur les compétences réelles du handicapé est aussi préjudiciable qu’une absence d’information. L’une et l’autre conduisent à une perte de la crédibilité des organismes de placement : « la personne qui nous l’a amené nous a dit qu’il se débrouillait très bien alors qu’il ne l’avait jamais vu travailler. Ils s’imaginent que monter sur un tracteur, le faire avancer et reculer, ça suffit, mais ça n’a rien à voir ».

33En outre, le contenu de l’information délivrée peut produire des effets contre-productifs : un organisme de placement qui vante les mérites d’un salarié et insiste sur les aides financières peut parvenir au résultat visé, en l’occurrence placer un handicapé. Toutefois, la logique institutionnelle de rectification d’une inégalité initiale ne peut se limiter au placement professionnel du handicapé ; elle suppose des modes d’intervention mis en œuvre localement au plus près de l’employeur et de l’employé [14].
Ce qui fait l’autre spécificité d’une insertion professionnelle en milieu agricole est la cohabitation au sein des familles qu’elle occasionne. Dans ce contexte, l’insertion professionnelle est marquée par l’absence de séparation nette des temps sociaux : le temps de travail et le temps hors travail se déroulent sur un même espace. Dans une exploitation agricole, le handicapé devra faire téter les veaux et nettoyer l’étable, s’occuper des rosiers et entretenir le jardin, trier le bois et participer à la récolte… Il devra aussi participer à la vie sociale en apprenant le « savoir vivre avec ». L’employeur, quant à lui, doit s’assurer que le travail est correctement réalisé mais aussi être vigilant sur les conséquences de la familiarité. Acceptant de payer le prix de la cohabitation en échange des compensations financières qu’elle offre, les employeurs doivent instaurer une bonne distance entre leur famille et le travailleur handicapé. Il faut que la situation soit acceptable pour tout le monde, grâce à des règles de conduites et des usages en accord avec les normes de la vie quotidienne au sein de l’exploitation qui ne sont pas réductibles aux normes de travail. Certes, une spécialisation n’est pas nécessaire pour réaliser le travail demandé au sein de l’exploitation. Cela n’empêche pas les employeurs d’apprécier les différentes qualités du salarié, en particulier ses compétences techniques (« c’est un bon chauffeur »), ses compétences personnelles (« il est observateur », « il est sérieux ») ou plus simplement sa personnalité (« il est gentil », « il est discret »). La place du travailleur handicapé se mesure alors à l’aune des relations sociales qui s’établissent hors du temps de travail, et qui font de lui soit « une personne dans la maison, pas de la maison » (Jodelet, ibid., p. 158) soit « quelqu’un de la famille ». En conséquence, traiter la question de l’insertion professionnelle du handicapé revient à poser plusieurs interrogations : de quels handicaps et de quels handicapés s’agit-il ? De quel travail et de quelle intégration parle-t-on ? C’est dire si une meilleure information sur les comportements et les difficultés sociales que le salarié est susceptible d’avoir (degré d’agressivité, état de propreté, etc.) ainsi qu’une explicitation des attentes des employeurs sont des atouts dans la prévention des ruptures de contrat.

Annexe 1

Données de cadrage sur les travailleurs handicapés en Aquitaine

34En Aquitaine [15], le nombre de chômeurs handicapés a augmenté de 6,9% entre 2002 et 2003 ; ce taux augmente plus fortement dans le département aquitain de la Dordogne (10,3 %). Trois éléments semblent participer à ce constat : un contexte économique défavorable à l’emploi, une augmentation de 15 % de la reconnaissance des travailleurs handicapés en 2003, une augmentation de 20 % des personnes déclarées inaptes à tout poste licenciées.

35À l’instar d’autres régions, il existe en Aquitaine plusieurs dispositifs contribuant à éviter une aggravation du phénomène : mesures d’aide à l’emploi destinées aux travailleurs handicapés, projet d’action personnalisé, réseau Cap Emploi, mesures d’insertion dans le cadre des programmes départementaux d’insertion des travailleurs handicapés.

36Les caractéristiques sociodémographiques des travailleurs handicapés en Aquitaine ne sont pas très différentes des données nationales (cf. tableau 1 de l’article) : une proportion de travailleurs handicapés de 50 ans et plus nettement plus élevée que dans la population non handicapée, un niveau de formation plus faible que celui des autres demandeurs d’emploi, une proportion plus importante d’hommes.

37En 2002, 7 630 personnes handicapées travaillent dans un établissement aquitain assujetti à l’emploi des personnes handicapées ; elles sont 930 en Dordogne soit 12 % des salariés d’Aquitaine. Fin 2002, moins de la moitié des établissements assujettis à la loi s’est acquittée de l’obligation d’emploi de personnes handicapées (36,7 % atteignent leur quota par le seul emploi de personnes handicapées et 8,2 % ont recours conjointement à l’emploi direct et à la sous-traitance avec des structures de travail protégé). Cette proportion s’élève à 53,7 % en Dordogne. Comme on peut le voir dans le tableau qui suit, la proportion d’établissements employant au moins un salarié handicapé est différente selon le secteur d’activité.

38En moyenne, les deux tiers des établissements assujettis aquitains emploient des personnes handicapées. Néanmoins, 28 %environ des établissements du secteur informatique sont dans ce cas. On note aussi que le taux relatif au secteur de l’agriculture et de la chasse s’élève à 60 % environ.

Proportion d’établissements assujettis employant au moins un salarié handicapé selon l’activité, en Aquitaine (%)

tableau im3
Secteur Pourcentage Travail du bois 93,5 Industries alimentaires 81,0 Construction 73,5 Industrie chimique 68,4 Travail des métaux 67,9 Santé et action sociale 67,6 Éducation 63,0 Services auxiliaires des transports 62,5 Commerce de détail 61,1 Agriculture, chasse, services annexes 59,4 Fabrication de machines 59,2 Commerce et réparation automobiles 59,1 Services aux entreprises 54,5 Hôtels et restauration 52,5 Commerce de gros 52,1 Activités informatiques 27,8

Proportion d’établissements assujettis employant au moins un salarié handicapé selon l’activité, en Aquitaine (%)

Annexe 2

Trois cas représentatifs des situations rencontrées au cours de l’enquête

Cas no 1 : un contrat rompu

39Dans le cadre d’un changement de type de production (élevage de bovins et de canards), André (47 ans) a recruté Jean il y a neuf ans environ. Le contrat a été rompu quelques mois avant l’enquête.

40Les raisons de l’embauche de Jean sont explicites : « parce que j’avais besoin de main-d’œuvre ». Rien ne prédisposait André à embaucher un travailleur handicapé. C’est après avoir fait passer une annonce dans le journal qu’il a été contacté par « quelqu’un de l’administration ». Il n’était pas contre le principe, d’autant plus que la situation ne présentait que des avantages « il y avait un abattement de 20 % de charges et il pouvait faire des bricoles ».

41Toutefois, André s’est rendu compte, progressivement et par lui-même, que Jean avait des difficultés de plusieurs ordres :

  • sur un plan professionnel, il « a découvert qu’il était diminué, qu’il ne pouvait pas mener le tracteur, qu’il fallait l’encadrer » et qu’« on ne pouvait pas lui commander plusieurs choses à la fois » ;
  • sur un plan social, c’est un travail de socialisation qu’André a dû entreprendre auprès de Jean : « On lui a appris à vivre parce qu’il venait d’une maison où il a été traumatisé, il ne savait pas ce que c’était que d’être à table, de manger en famille, ça le traumatisait quand on recevait du monde ». Le fait d’avoir eu à tenir un rôle d’éducateur n’a pas été pour André un motif de rupture de contrat. Bien au contraire, ce rôle a été joué pleinement et les résultats obtenus furent notables : « il a fallu tout faire, de A à Z, pour son comportement vis-à-vis de la société, il n’avait aucune notion. On lui a appris à vivre et à la fin il s’était amélioré. Il a évolué, il est parti en vacances, il s’est acheté des voitures. On lui a appris à être à table, à manger en famille, à être propre. On était tout le temps avec lui ». Si bien qu’André a fini par considérer Jean « comme quelqu’un de la famille » et, d’après André, une réciprocité existait.
André trouvait la situation satisfaisante dans l’ensemble dès lors que le travail demandé était en adéquation avec les capacités de Jean : « faire des parcs (mettre les clôtures), nettoyer les fraisiers, ramasser les noix, tirer les vaches, les nourrir, etc. Il ne labourait pas, il ne faisait pas les foins, il ne portait pas l’ensilage, il ne conduisait qu’un tout petit tracteur. J’étais satisfait […] C’était adapté à son handicap parce que ce n’était que du travail manuel, il n’était pas capable de faire plus, on lui a fait voir mais ça n’a pas marché ». Le travail était fait dès lors que certaines conditions étaient remplies : accompagner Jean pour lui montrer le travail à faire car « il comprenait à sa façon », ne pas lui demander de faire un travail minutieux, sacrifier la rapidité d’exécution à la certitude d’une tâche accomplie : « C’était lent, cela ne nous convenait pas, mais on ne pouvait pas embaucher un ingénieur ».

42La situation aurait pu durer ainsi sans un changement d’attitude intervenu chez Jean, qu’André explique par une évolution de sa situation familiale : « il a eu un changement dans sa vie. Ses parents sont morts, et à partir de là, il a été horrible parce qu’il avait un frère qui avait la main sur lui et qui l’a manipulé comme il a voulu. Il était excité, perturbé. Il nous volait du gas-oil pour mettre dans sa voiture alors qu’il avait de quoi le payer ». Il fallait de surcroît gérer les relations parfois houleuses entre Jean et les ouvrières saisonnières : « si les ouvrières saisonnières ne lui plaisaient pas il les engueulait ».
Deux facteurs semblent avoir pesé véritablement sur la décision de rupture :

43

  • tout d’abord le danger que Jean a fini par présenter pour autrui : « Depuis la mort de ses parents, il est devenu infernal, trop désagréable. Il a pris une fourche et il a voulu tuer mon beau-père. Ça a été fini » ;
  • ensuite, la cohabitation devenait trop pesante : « C’était très pénible de l’avoir tout le temps. On était en couple et on avait toujours quelqu’un avec nous. Quelquefois on parlait de quelqu’un et il comprenait ce qu’il voulait, seulement il en reparlait après de travers. […] Pendant 10 ans, on n’avait pas de vie pour soi, si on s’en allait, je lui préparais un plateau pour qu’il mange […]. Quand il y avait des repas de famille, on était obligé de le garder avec nous, on ne pouvait pas le faire manger dans sa chambre. C’est une lourde charge que de le nourrir, et qu’il soit incapable de faire n’importe quoi. Il fallait tout le temps le suivre derrière. Cela n’aurait pas été pareil s’il avait eu son chez-lui et qu’il serait allé manger chez lui. Depuis un an on vit, si on veut s’en aller le soir, le lendemain on n’a pas de compte à rendre. Il fallait toujours lui dire où est-ce que l’on partait ».
Cette expérience conduit André à une certitude : jamais plus il ne reprendra un travailleur handicapé. Sa position est confortée par deux aspects supplémentaires :
  • le manque de reconnaissance du travail d’accompagnement social qu’André a réalisé auprès de Jean (« Il nous a mis au prud’homme, on lui a accordé 7 000 francs parce que l’on a fait une erreur dans la lettre de licenciement. On ne reprendra jamais quelqu’un parce que pendant 10 ans on lui a donné une vie de famille, pour être remercié comme ça, merci bien ») ;
  • et l’évolution du secteur agricole qui s’oriente vers un niveau de technicité accrue (« aujourd’hui on ne pourrait pas continuer parce qu’à notre époque ils n’ont pas leur place. Les productions sont de plus en plus pointues et il n’y a plus de travaux simples »).

Cas no 2 : un contrat « problématique »

44Bernard (45 ans) fait de la polyculture et de l’élevage et vit, en concubinage, dans son exploitation agricole. Lorsque l’un de ses ouvriers est parti à la retraire en 2001, il s’est tourné vers la MSA qui lui a proposé de recruter François.

45Le contrat d’embauche a été signé sans que Bernard ait eu le temps d’apprécier les qualités de François. Une suite d’événements fâcheux durant la période d’essai a contrarié la période probatoire : « on n’a pas eu de chance parce qu’on devait le prendre à l’essai pendant deux ou trois mois. Il est venu un mois, il a passé un contrôle médical où on lui a trouvé des problèmes de santé. Il a donc été arrêté tout de suite pendant un mois et demi. Il est revenu travailler huit jours mais c’était déjà l’échéance du contrat. On a demandé à prolonger la période d’essai, mais c’est tombé dans une période où il pleuvait tout le temps. Il était gentil donc on a signé le contrat mais on n’a pas pu voir du tout ce qu’il était capable de faire ».

46Sur un plan social, François a toutes les qualités requises pour faciliter la cohabitation : « il est propre quand il vient à table et il mange correctement ». De plus, les coupures de fin de semaine facilitent la proximité : « il s’en va le week-end donc on ne l’a pas tous les jours. Il ne nous gêne pas, il est impeccable. Il mange et il va dans sa chambre ».

47Sur le plan professionnel si François ne refuse pas le travail, Bernard est obligé de refaire tout ce qu’il a fait et de lui rappeler constamment les tâches à réaliser : « Il rentre le week-end chez lui, quand il revient le lundi, il a oublié une partie de ce qu’il avait appris dans la semaine. Il faut tout le temps que je lui explique tout, que je sois sur son dos, je n’en dors plus la nuit ». L’inquiétude de Bernard est perceptible : il ne peut pas laisser François seul dans la crainte d’une casse du matériel : « Je lui expliquais doucement ce qu’il fallait qu’il fasse et comment. Je lui explique qu’il vaut mieux qu’il aille doucement sans casser du matériel et que ce soit bien fait, que je n’ai pas besoin de le refaire. J’essaye de lui apprendre dans le but que cela porte ses fruits ».

48Bernard « découvre son handicap au fur et à mesure ». Chaque découverte renforce son sentiment d’avoir fait une erreur au départ et de s’être dépensé pour rien : « je me dis que je n’aurai pas dû le prendre, j’attends qu’il s’améliore et je ne vois rien venir. Tout ce qu’on a fait, il ne l’a pas mérité ». Bernard prend son mal en patience dans la mesure où François a un CDD.
Bernard ne veut pas endosser seul la responsabilité de cet échec. Il considère que la solution est à trouver dans un placement au sein d’une exploitation dont le type de production est plus en phase avec ses compétences et incrimine les organismes de placement qui, d’après lui, « n’ont pas compris que la campagne a évolué et que le travail qui consistait à prendre une pioche et une fourche n’existe plus. Autrefois, les gens un peu simplets allaient curer les vaches et c’était parfait. Cela n’existe plus, mais ils veulent continuer à placer ces gens dits un peu simples alors qu’ils sont obligés de conduire le tracteur. On ne va pas les payer à prendre la fourche alors qu’il y a ce qu’il faut pour faire autrement. Et ils leur expliquent qu’il ne faut pas qu’ils fassent plus d’heures, qu’il ne faut pas qu’il fasse ceci, qu’il faut qu’on les traite comme des gens normaux […] Je crois qu’ils l’ont surestimé. Il est gentil, je crois que son comportement les a trompés. On ne nous a jamais dit quel était son véritable handicap, c’est secret professionnel ».

Cas no 3 : une « bonne » situation

49Il y a cinq ans que Eric, à la suite d’un appel d’offres envoyé à l’ANPE, a embauché Pascal pour l’aider dans les différentes tâches que réclame une exploitation orientée vers la production laitière, bovine, céréalière et forestière. Après avoir été adressé par la COTOREP, Pascal a été pris à l’essai puis a été retenu. L’expérience du handicap n’est pas nouvelle pour Eric. Il a déjà eu un employé beaucoup plus handicapé que Pascal et qu’il a gardé pendant six ans. Eric présente cela comme un atout : « je savais déjà ce que je devais faire avec un type comme ça, comment il fallait que je le prenne pour le faire travailler ».

50Cette expérience s’est avérée d’autant plus utile qu’au départ Eric ne savait rien sur Pascal. Dans les faits, il est satisfait du travail fourni par Pascal qui l’aide à soigner le bétail, à faire téter les veaux, à travailler dans les champs et dans les bois (sans toutefois lui confier la tronçonneuse). Ce sont des tâches faciles à réaliser et qui ne demande pas de prises d’initiative (Pascal ne sait pas reconnaître les bêtes et n’est pas autonome). Ce qui n’empêche pas Eric de laisser Pascal « faire des choses qu’il ne faisait pas avant » puisque celui-ci « prend goût au travail et qu’il respecte les heures ».

51Pascal habite chez Eric depuis le début du contrat. Une confiance règne désormais entre Pascal et la famille de son employeur : « on part, on lui laisse les clés de la maison. On peut partir deux jours et il surveillera les animaux. Il est tout le temps avec nous, il ne nous gêne pas. Quand j’ai de la famille à table ou que l’on va chez des amis, il est avec nous. Je le prends comme les autres ». La qualité des relations entre l’employeur et son salarié étant connue de l’entourage, une certaine « jalousie » existe chez « ceux qui le voudraient parce qu’ils voient que j’ai su le dresser et le garder comme il faut. Il y en a plusieurs qui m’ont demandé comment j’avais fait pour pouvoir le dresser comme ça. On nous a dit qu’on avait de la chance d’avoir trouvé un gars comme ça parce qu’il n’est pas bête. Il a des fois des réactions auxquelles je ne penserais pas ».

52Au final, et même si les relations sont bonnes, Eric insiste sur le fait que ce « petit coup de main qu’il donne en plus » n’est pas envisageable sans l’abattement prévu dans le cadre de l’insertion professionnelle.

Notes

  • [*]
    Maître de conférences en sociologie à Bordeaux 2 ; membre du Laboratoire d’analyse des problèmes sociaux et de l’action collective et directeur du centre de formation en sciences sociales appliquées.
  • [1]
    Si la comparaison européenne des mesures prises en faveur des personnes handicapées est possible, elle devient plus malaisée dès lors que l’attention se porte sur les situations de travail, chaque pays construisant une approche particulière (Barbier et Brygoo, 2000).
  • [2]
    Ce principe est rappelé dans la loi n° 89-486 d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989.
  • [3]
    Loi n° 87-517 du 10 juillet 1987, Journal officiel du 12 juillet 1987 en vigueur le 1er janvier 1988.
  • [4]
    Selon la loi de 1987 (article 2.1, Journal officiel du 12 juillet 1987, rectificatif du 19 novembre en vigueur le 1er janvier 1988 l’article L. 323-10) « est considéré comme travailleur handicapé au sens de la présente section, toute personne dont les possibilités d’obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite d’une insuffisance ou d’une diminution de ses capacités physiques ou mentales. La qualité du travailleur handicapé est reconnue par la commission technique d’orientation et de reclassement professionnel prévue à l’article L. 323-11 ».
  • [5]
    Ce qui s’explique en partie par le risque de survenue du handicap qui augmente avec l’âge.
  • [6]
    En ce qui concerne les salariés, la reconnaissance administrative du statut de travailleur handicapé a un impact négatif sur l’activité en milieu ordinaire et un impact positif sur l’insertion en milieu protégé (Marrisal et Robin, 2004). Considéré sous l’angle des stratégies d’évitement du marché du travail ordinaire, ce résultat interroge les manières dont la RQTH est utilisée par les individus.
  • [7]
    Cf. « Les personnes handicapées en Franche-Comté : de la reconnaissance à l’emploi », Synthèse du bilan 2004 réalisé par la mission régionale d’observation de l’emploi des personnes handicapées, n° 29, janvier 2005.
  • [8]
    Cet article s’appuie sur une enquête réalisée en juin 2001 pour la MSA de Périgueux et DEFI 24 dans le cadre du programme départemental d’insertion des travailleurs handicapés. Elle a été conduite avec Alexa Bompa. J’adresse mes remerciements à l’Observatoire régional de la santé en Aquitaine, en particulier M. Delarivière, pour les documents fournis.
  • [9]
    Cf. Association pour l’amélioration des conditions de travail en Aquitaine, 2002, « Approche collective dans l’élevage laitier : vers des conditions d’emploi et de travail de qualité », supplément thématique à Actualités Aquitaine, n° 14, octobre.
  • [10]
    Sur la situation dans l’ensemble de la région Aquitaine, se reporter à l’annexe 1.
  • [11]
    Cela ne signifie pas que les modes de régulation des autres acteurs sociaux ne devraient pas être pris en compte. Néanmoins, ce n’est pas l’objet de l’article.
  • [12]
    C’est ce qu’illustre cet employeur qui nous dit : « On savait qu’il était agité de temps en temps, mais on ne savait pas comment ».
  • [13]
    Ce qui signifie aussi que les situations rompues ou problématiques ne semblent pas liées à une trop forte attente de l’employeur lors de l’embauche.
  • [14]
    C’est une « politique du sujet » décrite par Wieviorka (1998) à propos des handicapés mais qui, dans le cadre d’une exploitation agricole, doit concerner selon nous les deux protagonistes.
  • [15]
    Les données sont issues du tableau de bord 2004 édité par l’Observatoire régional de la santé d’Aquitaine.
Français

Résumé

Après avoir fait le constat d’un décalage entre les objectifs des lois de 1975 et de 1987 et la réalité de la situation des personnes handicapées sur le marché du travail, l’article cherche à dégager les conditions d’une insertion professionnelle stable. La démarche consiste à mettre au jour les raisons (cognitives et instrumentales) qui poussent les employeurs à recruter un travailleur handicapé ainsi que les facteurs conduisant à des dysfonctionnements ou à des ruptures de contrats. L’enquête par entretiens, réalisée en Dordogne auprès d’exploitants agricoles, met en évidence les effets de l’inadéquation entre les informations jugées importantes par les employeurs et celles que délivrent les organismes de placement de personnes handicapées. L’article s’interroge au final sur l’efficacité d’une mesure qui ferait l’économie d’un suivi durable.

Bibliographie

  • AMIRA S. et al., (2002), « Les travailleurs handicapés en 2000 : des embauches en augmentation grâce à une bonne tenue de l’emploi », Premières informations et premières synthèses, DARES, n° 47.1, novembre, p. 1-7.
  • BARBIER J.-C. et BRYGOO A., (2000), « Handicapés et emploi : une difficile comparaison des politiques en Europe », Centre d’études de l’emploi, note n° 40, juillet.
  • BLANC A., (1995), Les handicapés au travail, analyse sociologique d’un dispositif d’insertion professionnelle, Paris, Dunod.
  • BLANC A. et STICKER H.-J., (1998), L’insertion professionnelle des personnes handicapées en France, Paris, Desclée de Brouwer.
  • BLANC A., (1999), « Les aléas de la discrimination positive », Esprit, n° 12, décembre, p. 17-36.
  • BROUARD C., (2004), Le handicap en chiffres, Unité des études, des recherches et du développement, CTNERHI.
  • En ligneCASTRA D., (2003), L’insertion professionnelle des publics précaires, Paris, PUF.
  • CHANUT J.-M. et PAVIOT J., (2002), L’activité des COTOREP en 2000, série Statistiques, Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, Document de travail, n° 32, mars, ministère de l’Emploi et de la Solidarité.
  • CHANUT J.-M., (2003), « L’activité des COTOREP en 2001 », Études et Résultats, DRESS, n° 220, février.
  • DORIGUZZI P., (1994), L’histoire politique du handicap : de l’infirme au travailleur handicapé, Paris, L’Harmattan.
  • DOUET C., (2001), Bulletin de liaison de l’Observatoire régional de l’emploi et de l’insertion professionnelle des personnes handicapées, Travail et insertion professionnelle des personnes handicapées en Aquitaine (TIPHA), Drouillard, Bordeaux.
  • GENDRON B., (1994), Handicap et emploi : un pari pour l’entreprise, Centre technique national d’études et de recherches sur les handicaps et les inadaptations, Paris.
  • JODELET D., (1989), Folies et représentations sociales, Paris, PUF.
  • En ligneJOLY N., « Écrire l’événement : le travail agricole en mémoire », Sociologie du travail, 46, p. 511-527.
  • LOONES A. et al., (2004), Sortir du chômage quand on est handicapé, Crédoc : consommation et modes de vie (175).
  • « L’emploi et l’insertion professionnelle des personnes handicapées en Aquitaine », Tableau de bord 2004, Observatoire régional de la santé d’Aquitaine.
  • « Les personnes handicapées en Franche-Comté : de la reconnaissance à l’emploi », Synthèse du bilan 2004 réalisé par la mission régionale d’observation de l’emploi des personnes handicapées, n° 29, janvier 2005.
  • Les personnes handicapées et l’emploi. Chiffres clés, AGEFIPH, novembre 2004.
  • MARRISSAL J.-P. et ROBIN S., (2004), Handicap et marché du travail. Processus de reconnaissance sociale du handicap et employabilité des personnes handicapées, MiRe-Dress-Inserm, Rapport d’étude n° 19/02, décembre.
  • RAVAUD J.-F., (1994), « L’insertion professionnelle des personnes handicapées. Évaluation : la place de l’approche expérimentale », in Ravaud J.-F. et Fardeau M., Insertion sociale des personnes handicapées : méthodologies d’évaluation, Paris, publications du CTNERHI.
  • ROUSSEL P., (2004), Les restrictions de participation à la vie sociale des adultes de 20 à 59 ans. Une exploitation de l’enquête HID 1999, Centre technique national d’études et de recherches sur les handicaps et les inadaptations, Paris.
  • SAINSAULIEU R., (1998), « L’entreprise et l’insertion : un enjeu de société », in Blanc A. et Sticker H.-J., L’insertion professionnelle des personnes handicapées en France, Paris, 1998, Desclée de Brouwer.
  • SCHÜTZ A., (1987), Le chercheur et le quotidien. Phénoménologie des sciences sociales, Paris, Méridiens Klincksieck.
  • SÉNAT, (2003), « L’insertion des handicapés dans l’entreprise », Les documents de travail du Sénat, Service législation comparée, n° LC 116, janvier.
  • SOUHAMI C., (2001), « Le chômage des personnes handicapées : portrait statistique », L’observatoire de l’ANPE, juin.
  • WIEVIORKA M., (1998), « Déficience, différence et égalité », in Blanc A. et Sticker H.-J., L’insertion professionnelle des personnes handicapées en France, Paris, 1998, Desclée de Brouwer.
  • ZAFFRAN J., (1997), L’intégration scolaire des handicapés, Paris, L’Harmattan.
Joël Zaffran [*]
Maître de conférences en sociologie à l’université de Bordeaux 2. Il est membre du laboratoire d’analyse des problèmes sociaux et de l’action collective et directeur du centre de formation en sciences sociales appliquées. Une partie de ses travaux porte sur le handicap.
  • [*]
    Maître de conférences en sociologie à Bordeaux 2 ; membre du Laboratoire d’analyse des problèmes sociaux et de l’action collective et directeur du centre de formation en sciences sociales appliquées.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
https://doi.org/10.3917/rfas.052.0249
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour La Documentation française © La Documentation française. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...